T-2491-78
Michael John Martinoff (Requérant)
c.
Le S/e.m. L. M. Gossen (Intimé)
Division de première instance, le juge Collier—
Vancouver, le 12 juin et le 22 septembre 1978.
Brefs de prérogative — Mandamus — Le requérant
demande une ordonnance enjoignant à l'intimé de délivrer un
permis concernant une entreprise d'armes à feu — L'article
requérant le permis a été abrogé et n'a pas été immédiatement
remplacé — Le pouvoir de l'intimé de délivrer des permis est
révoqué mais est nommé registraire local d'armes à feu —
L'intimé devrait-il être contraint à instruire la demande sui-
vant l'ancienne ou la nouvelle loi, alors que celle-ci a été
présentée sous le régime de l'ancienne loi? Code criminel,
S.R.C. 1970, c. C-34, art. 96(2), 97(1),(3),(4), 99(5),(6) — Loi
de 1977 modifiant le droit pénal, S.C. 1976-77, c. 53, art. 3 cf.
art. 82(1), 103(4) et 106.2(5) — Loi d'interprétation, S.R.C.
1970, c. 1-23, art. 35 et 36.
Le requérant demande, par cette requête en mandamus, une
ordonnance enjoignant à l'intimé, registraire local d'armes à
feu nommé par le procureur général de la Colombie-Britanni-
que, de lui délivrer un permis d'exploiter une entreprise qui
comporte la vente au détail, la réparation ou la prise en gage
d'armes à autorisation restreinte, ou, à défaut, une ordonnance
enjoignant à l'intimé de considérer sa demande, de l'accueillir
ou de la rejeter. Le requérant a fait une demande pour le
permis le 5 décembre 1977. Le l" janvier 1978, l'article 97 du
Code criminel qui exigeait la délivrance de permis d'armurier a
été abrogé, et l'intimé n'était plus habilité à les délivrer. Le 4
janvier 1978, le procureur général de la Colombie-Britannique
a révoqué toutes les charges qu'il avait précédemment confiées
à l'intimé et dans le même temps l'a nommé registraire local
d'armes à feu. Le requérant soutient que l'intimé aurait dû
instruire la demande tout comme si l'ancienne loi s'appliquait
encore, et qu'en cas de refus les motifs lui soient communiqués
pour qu'il puisse interjeter appel en vertu de l'article 99(6) de
l'ancienne loi.
Arrêt: la demande est rejetée. Rien dans les articles 35 ou 36
de la Loi d'interprétation ne vient confirmer la thèse du
requérant. Le point de vue de l'intimé est légalement inattaqua-
ble. Pendant que l'intimé instruisait la demande de permis
d'exploitation d'une entreprise, le pouvoir de délivrer ce genre
de permis lui a été retiré, et la loi ne prévoyait personne pour
poursuivre l'instruction de la demande en question. A ce stade
(c'est-à-dire au 1" et au 4 janvier 1978), le requérant n'avait
pas de droits acquis. L'intimé n'a pas retardé indûment l'ins-
truction de la demande.
DEMANDE.
AVOCATS:
Le requérant pour lui-même.
J. A. Rubenstein pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le requérant pour lui-même.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE COLLIER: Il s'agit encore d'une escar-
mouche dans le conflit sans fin entre le requérant
et l'intimé. De nouveau, le litige met en jeu la
«réglementation des armes à feu» du Code criminel
en vigueur en 1977 et les modifications apportées
par la Loi de 1977 modifiant le droit pénal'.
Le requérant demande, par cette requête en
mandamus, une ordonnance enjoignant à l'intimé
de lui délivrer un permis d'exploiter une entreprise
qui comporte la vente au détail, la réparation ou la
prise en gage d'armes à autorisation restreinte, ou,
à défaut, une ordonnance enjoignant à l'intimé de
considérer sa demande d'un tel permis et ensuite
de l'accueillir ou de la rejeter.
Je cite le recours visé dans l'avis de requête:
[TRADUCTION] ... une ordonnance portant bref de mandamus
enjoignant à l'intimé le S/e.m. L. M. Gossen de s'acquitter,
envers le requérant, de ses obligations prévues à l'art. 99 du
Code criminel de 1977.
J'ai autorisé, à l'audience, que la conclusion
suivante soit ajoutée à la requête initiale:
[TRADUCTION], ou lui enjoignant d'instruire la demande du
requérant tendant à obtenir un permis d'exploitation d'une
entreprise visée à l'article 96(2) du Code criminel conformé-
ment aux dispositions du Code en vigueur avant le 1" janvier
1978.
Voyons maintenant les faits.
Le 5 décembre 1977, le requérant Martinoff a
demandé au S/e.m. Gossen de lui délivrer un
permis d'exploiter une entreprise visée au paragra-
phe 96(2) du Code en vigueur à cette date (c'est-à-
dire un commerce d'armes).
Le paragraphe 96(2) porte:
96. ...
(2) Nul ne doit exploiter une entreprise qui comporte
a) la vente au détail d'armes à autorisation restreinte,
b) la réparation d'armes à autorisation restreinte, ou
c) la prise en gage d'armes à autorisation restreinte,
' S.C. 1976-77, c. 53, art. 3.
à moins qu'il ne soit le détenteur d'un permis à cette fin.
En décembre 1977, le S/e.m. Gossen, intimé,
était le registraire local d'armes à feu, nommé par
le procureur général de la Colombie-Britannique
qui lui déléguait en outre le pouvoir de délivrer les
permis visés aux paragraphes 97(1),(3) et (4) du
Code alors en vigueur. Ces paragraphes portent:
97. (1) Un permis autorisant une personne à avoir en sa
possession une arme à autorisation restreinte ailleurs que dans
sa maison d'habitation ou son siège d'affaires peut être émis
par
a) le commissaire ou une personne qu'il a autorisée expressé-
ment, par écrit, à émettre un permis à cette fin, ou
b) le procureur général d'une province ou une personne qu'il
a expressément autorisée, par écrit, à émettre un permis à
cette fin,
et le permis demeure valide jusqu'à l'expiration de la période
pour laquelle il est déclaré émis, à moins qu'il ne soit révoqué
plus tôt.
(3) Un permis de transport d'une arme à autorisation res-
treinte d'un endroit à un autre endroit y spécifiés peut être émis
par toute personne mentionnée au paragraphe (1), à toute
personne qui est requise de transporter cette arme en raison
d'un changement de résidence ou pour toute autre raison de
bonne foi, et demeure valide jusqu'à l'expiration de la période
pour laquelle il est déclaré émis, à moins qu'il ne soit révoqué
plus tôt.
(4) Un permis d'exploiter une entreprise mentionnée au
paragraphe 96(2) peut être émis par toute personne mentionnée
au paragraphe (1) et demeure valide jusqu'à sa révocation.
A la réception de la demande, l'intimé a émis un
doute quant à l'intention du requérant d'exploiter
réellement une entreprise.
Voici la réponse en date du 27 décembre 1977
de Martinoff:
[TRADUCTION] Monsieur,
Je vous écris à la demande du S/e.m. L. M. Gossen qui est
l'autorité compétente en matière de permis d'exploitation d'une
entreprise d'armes à autorisation restreinte.
Conformément aux prescriptions du Code criminel du
Canada, j'ai présenté le lundi 5 décembre 1977 au S/e.m.
Gossen une demande de permis d'exploitation d'une entreprise
d'armes à autorisation restreinte (à ne pas confondre avec un
permis municipal de commerce).
Il m'a déclaré qu'il consulterait à ce sujet M. Lorne Newson,
le chef provincial des préposés aux armes à feu, et m'a con-
seillé, un peu plus tard, d'en parler à M. Ken Armstrong (je ne
suis pas certain du nom exact) à la mairie.
J'ai vu M. Newson qui a déclaré ne pas vouloir s'ingérer, en
matière de délivrance des permis, dans les attributions du
S/e.m. Gossen. J'ai vu également M. Armstrong (je ne suis pas
certain du nom exact) qui m'a expliqué qu'un permis municipal
de commerce n'était requis qu'en cas de commerce exploité
dans un but lucratif.
Si je voulais acheter, par exemple, 100 lb de poudre à un prix
avantageux pour en garder une partie pour moi-même et
revendre le reste à mes amis au prix de revient, je serais requis
par la loi d'obtenir un permis fédéral pour les explosifs, mais
non un permis municipal de commerce.
De même, si je voulais acheter, par exemple, cinq pistolets à
un prix avantageux pour en garder un pour moi-même et
revendre le reste à mes amis au prix de revient, je serais requis
par la loi d'obtenir un permis fédéral pour l'exploitation d'une
entreprise d'armes à autorisation restreinte, mais non un permis
municipal de commerce.
D'après l'article 99(3) du Code criminel, la sécurité d'autrui
est le seul motif valable de refus de délivrance d'un permis
d'exploitation d'une entreprise d'armes à autorisation res-
treinte. Or, le juge John Davies m'a déclaré apte à obtenir des
mitrailleuses, et mes propres précautions de sécurité excèdent
les normes fédérales proposées.
Économiste de profession, je m'accommode mal de l'ineffica-
cité, des marges bénéficiaires exagérées et des prix exorbitants
des armuriers locaux.
Je vous saurais gré de me délivrer dans les meilleurs délais un
permis d'exploitation d'une entreprise d'armes à autorisation
restreinte.
L'intimé reçut cette lettre le 4 janvier 1978.
Aux termes de la Loi de 1977 modifiant le droit
pénal, les articles 82 à 106 du Code ont été
abrogés à compter du ler janvier 1978. De nou-
veaux articles ont été adoptés, certains entrant en
vigueur le ler janvier 1978 et d'autres, le ler janvier
1979.
Comme on peut le voir, l'article 97 ancien a été
abrogé. A compter du l er janvier 1978, l'intimé
n'était pas habilité à délivrer des permis d'armu-
riers. A été également abrogé le paragraphe 96(2)
cité plus haut, qui imposait aux armuriers le
permis visé à l'article 97.
La nouvelle loi contient certaines dispositions
sur les obligations et responsabilités des personnes
se livrant au commerce des armes à feu et des
armes à autorisation restreinte.
Certains registres et inventaires doivent être
tenus; la perte, la destruction ou le vol de toute
arme à autorisation restreinte ou de toute arme à
feu doivent être signalés (paragraphes 103(1),(2)
et (3)).
Voici le texte du paragraphe 103(4) nouveau:
103. ...
(4) Il est interdit d'exploiter une entreprise visée au paragra-
phe (1) ou au sous-alinéa (2)b) (i) à moins d'être titulaire d'un
permis à cette fin.
Voici le texte du paragraphe 106.2(5) nouveau:
106.2.. .
(5) Le commissaire, le procureur général de la province où
est située ou prévue l'entreprise, le chef provincial des préposés
aux armes à feu de cette province ou toute personne que le
procureur général de la province ou le chef provincial des
préposés aux armes à feu nomment par écrit à cette fin peuvent
délivrer des permis pour l'exploitation des entreprises visées au
paragraphe 103(1) ou au sous-alinéa 103(2)b)(i); ces permis
demeurent valides, sauf révocation, jusqu'au terme de la
période, d'un an au maximum, pour laquelle ils sont déclarés
avoir été délivrés.
Ces deux paragraphes n'entreront en vigueur
que le lei janvier 1979.
Il m'appert donc qu'un permis n'est pas requis
en 1978 pour exploiter une entreprise et que per-
sonne n'est habilitée à délivrer un tel permis. Je
présume que les armuriers titulaires de permis
délivrés sous le régime de l'ancienne réglementa-
tion n'ont eu aucune difficulté d'ordre juridique,
mais qu'un nouveau venu qui s'aventurerait sans
permis dans ce commerce en 1978, se heurterait à
d'autres dispositions de loi qui l'empêcheraient à
coup sûr d'exploiter son entreprise, sous peine de
poursuites criminelles.
Il me reste à rappeler un dernier fait.
Le 4 janvier 1978, le procureur général de la
Colombie-Britannique a révoqué toutes les charges
qu'il avait précédemment confiées à l'intimé et,
dans le même temps et en application du paragra-
phe 82(1) de la nouvelle loi de 1977, l'a nommé
registraire local d'armes à feu et préposé aux
armes à feu.
Voici les moyens de défense invoqués en l'espèce
par l'intimé, tels qu'ils ressortent des paragraphes
6 à 8 de son affidavit:
[TRADUCTION] 6. Par révocation en date du 4 janvier 1978, le
pouvoir de délivrer les permis visés aux dispositions susmention-
nées du Code criminel du Canada m'a été retiré. Ci-joint à titre
d'annexe «B» la copie conforme d'une lettre du sous-procureur
général de la Colombie-Britannique informant nos services de
cette révocation. Cette révocation m'a été signifiée vers le 10
janvier 1978.
7. A aucun moment, je n'avais pris la décision de délivrer ou de
refuser un permis au sieur Michael Martinoff parce que je
n'étais pas certain de la nécessité d'un permis dans les cas visés
à l'article 96(2) ancien du Code criminel du Canada.
8. Par suite de l'abrogation des articles 82 106 anciens du
Code criminel du Canada et de la révocation susmentionnée, je
ne suis plus habilité à délivrer le genre de permis demandé par
le sieur Martinoff et ce, à compter de janvier 1978.
De son côté, le requérant soutient que sa
demande de permis d'exploitation d'une entreprise
a été présentée le 5 décembre 1977 l'autorité
compétente; que l'ancienne loi était alors en
vigueur; que l'intimé aurait dû instruire la
demande tout comme si l'ancienne loi s'appliquait
encore; qu'il aurait dû soit délivrer soit refuser le
permis demandé; qu'en cas de refus, l'intimé aurait
dû lui notifier le refus motivé conformément au
paragraphe 99(5) ancien; qu'en ce cas, le requé-
rant est en droit d'interjeter appel devant justice
en vertu du paragraphe 99(6) ancien 2 .
Je ne saurais souscrire à cette thèse.
Je ne trouve rien dans les articles 35 ou 36 de la
Loi d'interprétation 3 qui, vu les circonstances
inhabituelles de l'espèce, viendrait confirmer la
thèse du requérant. A mon avis, le point de vue de
l'intimé est légalement inattaquable. Pendant que
le S/e.m. Gossen instruisait la demande de permis
d'exploitation d'une entreprise, le pouvoir de déli-
vrer ce genre de permis lui a été retiré. La loi ne
prévoit malheureusement personne pour poursui-
vre l'instruction de la demande en question. A ce
stade (c'est-à-dire au 1e" et au 4 janvier 1978), le
requérant n'avait pas de droits acquis.
J'ai établi que l'intimé n'a pas retardé indûment
l'instruction de la demande.
La requête est rejetée. Vu les circonstances, les
dépens ne seront pas adjugés.
ORDONNANCE
1. L'avis de requête déposé au nom du requérant
et daté du 6 juin 1977 est modifié par l'addition,
2 Le même droit d'appel est prévu dans la «nouvelle» loi en
cas de refus de délivrance de certains permis, dont les permis
d'exploitation d'une entreprise.
3 S.R.C. 1970, c. I-23.
après les termes «Code criminel» de 1977 la fin
du premier paragraphe, de ce qui suit:
[TRADUCTION] , ou lui enjoignant d'instruire la demande du
requérant tendant à obtenir un permis d'exploitation d'une
entreprise visée au paragraphe 96(2) du Code criminel confor-
mément aux dispositions du Code en vigueur avant le 1" janvier
1978.
2. Ladite requête est rejetée sans dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.