T-2139-76
La Reine (Demanderesse)
c.
Thomas Healy (Défendeur)
Division de première instance, le juge en chef
adjoint Thurlow—Toronto, le 21 mars; Ottawa, le
10 avril 1978.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions —
La restriction de l'art. 8(4) n'empêche pas l'employé de déduire
le prix de repas des frais de voyage prévus à l'art. 8(1)h) —
Présence habituelle de l'employé à son lieu de travail, à savoir
aux trois établissements de son employeur — Un de ces
établissements était situé dans une autre municipalité —
L'employé a-t-il droit de déduire le prix de repas dont il
réclame la déduction comme faisant partie des frais de
voyage? — Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c.
63, art. 8(1)h),(4) — Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23,
art. 3(1), 26(7).
Le défendeur, qui était au service d'une société dont le siège
social était à Toronto et qui exploitait plusieurs entreprises, se
présentait habituellement pour son travail aux pistes de course
de Greenwood ou de Woodbine à Toronto ou à celle de
Fort-Érié. Les frais de voyage du défendeur pour se rendre à ce
dernier endroit étaient déductibles conformément à l'article
8(1)h); la Commission de révision de l'impôt a décidé que le
prix de repas n'était pas assujetti aux restrictions de l'article
8(4) et devait être inclus dans la déduction des frais de voyage.
Le point en litige est celui de savoir si le défendeur est en droit
de déduire le prix de repas dont il réclame la déduction comme
faisant partie de ses frais de voyage.
Arrêt: l'appel est accueilli. Pour donner son sens au mot
«habituellement» selon le contexte de l'article 8(4), il est néces-
saire d'identifier l'établissement de l'employeur où l'employé,
«de façon régulière», «usuellement» ou «normalement» se présen-
tait pour son travail. Il importe également de préciser la
municipalité où l'établissement se trouve. Cet employé, norma-
lement et de façon régulière, se rendait pour son travail aux
trois établissements de l'employeur. Il n'existe aucun motif
valable pour établir une distinction entre l'un de ces établisse-
ments, et je ne puis conclure qu'un seul ou que deux d'entre eux
étaient l'établissement où le défendeur se présentait habituelle-
ment pour son travail. Étant donné que les mots écrits au
singulier comprennent le pluriel, à moins qu'une intention
contraire n'apparaisse, les mots «municipalité» et «établisse-
ment» comprennent le pluriel. Tous les trois par conséquent
étaient visés par l'expression «établissement ... où il se présen-
tait habituellement pour son travail» figurant à l'article 8(4).
La municipalité où est située la piste de Fort-Érié et celle, ou
celles, où sont situées les pistes Woodbine et Greenwood sont
également visées par le mot «municipalité» figurant audit para-
graphe. L'article 8(4) en conséquence retire au défendeur le
droit à la déduction en question.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
W. Lefebvre pour la demanderesse.
J. L. McDougall pour le défendeur.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
demanderesse.
Fraser & Beatty, Toronto, pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT THURLOW: Il s'agit
ici d'un appel d'une décision de la Commission de
révision de l'impôt qui avait accueilli l'appel inter-
jeté par le défendeur contre une cotisation d'impôt
sur le revenu établie à l'égard de l'année 1973. Le
point en litige est celui de savoir si le défendeur est
en droit, en calculant son revenu, de déduire une
somme de $504, prix de repas dont il réclame la
déduction comme faisant partie de frais de voyage.
En vertu de l'alinéa 8(1)h) de la Loi de l'impôt
sur le revenu'
8. (1) ...
h) lorsque le contribuable, dans l'année,
(i) a été, d'une manière habituelle, tenu d'exercer les
fonctions de son emploi ailleurs qu'au lieu même de l'en-
treprise de son employeur ou à différents endroits,
il peut, sous réserve des autres limitations prévues
par ledit alinéa, déduire
... les sommes qu'il a dépensées pendant l'année aux fins de
déplacements pour exercer les fonctions de son emploi;
Le défendeur invoque cet alinéa à l'appui de sa
demande de déduction.
Mais, en vertu du paragraphe 8(4),
8. ...
(4) Une somme dépensée par un cadre ou un employé pour
son repas ne doit pas être incluse dans le calcul du montant
d'une déduction en vertu de l'alinéa (1)j) ou h), à moins que le
repas n'ait été pris au cours d'une période où les fonctions de ce
cadre ou de cet employé l'oligeaient à être absent, durant une
période d'au moins douze heures, de la municipalité dans
laquelle était situé l'établissement de l'employeur où il se
présentait habituellement pour son travail, et à être absent, le
cas échéant, de la région métropolitaine où cet établissement
était situé.
Le défendeur habite Toronto. Pendant environ
25 ans, dont 1973, il était employé de l'Ontario
Jockey Club qui a son siège social à Toronto et
' S.C. 1970-71-72, c. 63.
exploite six pistes de course au nombre desquelles
les pistes Greenwood et Woodbine à Toronto et
une autre à Fort-Érié à environ 100 milles de
Toronto. En 1973, le défendeur occupait pendant
la saison hippique, du 21 mars au 1e. décembre, le
poste de chef de division de la salle de trésorerie et
parfois celui de chef de la salle de trésorerie, en
rapport avec les opérations de pari mutuel du
Club. Durant cette année-là, il a séjourné à diver-
ses reprises pour son travail aux pistes de course
Greenwood, Woodbine et de Fort-Érié. Il a tra-
vaillé deux fois dans l'année à Fort-trié lors de
deux courses, la première fois du 15 avril au 13
mai et la seconde du 18 juillet au 1" septembre.
Pendant son séjour dans cette ville il vivait dans un
motel. Il n'a reçu de son employeur aucune alloca
tion ni aucun remboursement pour ses frais de
transport aller et retour, pas plus que pour ses frais
de subsistance. La déduction de ses frais de trans
port et de motel, qu'il réclame en vertu de l'alinéa
8(1)h), n'a pas été contestée, mais celle du mon-
tant des frais de repas, soit $504, a été refusée en
vertu du paragraphe 8(4). Le montant lui-même
de $504 pour ces frais de repas n'est pas contesté.
Le défendeur appartenait au syndicat des
employés du Club. Au début de la saison hippique,
il était informé de l'endroit où il devait se présen-
ter au travail en premier lieu par une liste d'affec-
tation affichée au bureau du syndicat. Les listes
des courses ultérieures étaient affichées près des
pistes pendant l'épreuve en cours. Au début d'une
saison, le défendeur ne s'attendait pas nécessaire-
ment à travailler hors de Toronto pendant l'année,
mais il était fort probable qu'il devrait aller tra-
vailler à Fort-trié. Une fois, antérieurement à
l'année 1973, il s'était porté volontaire pour s'y
rendre, le Club manquant alors de main-d'oeuvre,
et par la suite on l'y avait envoyé chaque année,
sauf une année où il était désireux d'éviter ce
déplacement en raison d'une maladie de son père.
En 1973, le défendeur a été envoyé en premier lieu
à la piste Greenwood et il a travaillé là et à la piste
Woodbine pendant la plus grande partie de la
saison hippique.
Il a fait valoir qu'étant, d'une manière habi-
tuelle, tenu d'exercer les fonctions de son emploi à
différents endroits, la somme en litige était déduc-
tible comme faisant partie des sommes dépensées
par lui aux fins de déplacements, aux termes de
l'alinéa 8(1)h), et que la déduction n'en était pas
interdite par le paragraphe 8(4) puisque la piste de
course de Fort-Érié n'était pas l'établissement de
l'employeur «où il se présentait habituellement
pour son travail», au sens dudit paragraphe.
The Shorter Oxford English Dictionary définit
ainsi le mot «ordinarily» (habituellement):
[TRADUCTION] 1. En conformité avec la règle; se produisant
de façon régulière .... 2. Dans la plupart des cas; usuellement,
communément .... 3. Dans sa portée habituelle .... 4.
Comme il est normal ou usuel ... .
Dans la version française de la Loi, l'expression
correspondante utilisée à l'alinéa 8(1)h) est «d'une
manière habituelle», et au paragraphe 8(4) l'équi-
valent donné est «habituellement». Le dictionnaire
Quillet de la langue française définit ainsi le mot
«habituellement»: «D'habitude, par habitude; d'or-
dinaire». Le contraire donné est: «Rarement,
exceptionnellement». Le sens prêté à «habituel,
elle» est: «Passé à l'état d'habitude; coutumier». On
fait l'opposition avec «Rare, exceptionnel, inac-
coutumé, désuet». On propose comme synonyme
«NORMAL».
A l'alinéa 8(1)h) l'expression «d'une manière
habituelle» modifie le membre de phrase «tenu
d'exercer les fonctions de son emploi ... [etc.]», et,
me semble-t-il, elle équivaut à «normalement», par
opposition à «rarement» ou «occasionnellement». Le
sens «dans la plupart des cas» ne convient pas,
tandis que le sens «se produisant de façon régu-
lière», lui, convient.
Selon moi, c'est en fait de façon régulière, nor-
male et non pas exceptionnelle que le défendeur
exerçait les fonctions de son emploi pendant la
saison hippique, à la demande de son employeur, à
au moins deux, sinon trois endroits différents, soit
à Toronto et à Fort-trié, ou aux pistes de course
Greenwood, Woodbine et de Fort-Érié. Je conclus
en conséquence que la situation du défendeur rele-
vait de l'alinéa 8(1)h) et qu'il avait droit à la
déduction des sommes dépensées aux fins de dépla-
cements pour exercer les fonctions de son emploi.
Qui plus est, ces dépenses devraient, je crois,
inclure, mais en vertu du paragraphe 8(4), le coût
de ses repas quand il se trouvait à Fort-trié pour
son travail.
Dans ce dernier paragraphe, le mot «habituelle-
ment» figure dans le membre de phrase «dans
laquelle était situé l'établissement de l'employeur
où il se présentait habituellement pour son travail».
Dans ce contexte il modifie l'expression «se présen-
tait pour son travail» et restreint la portée que la
phrase aurait si ledit mot n'y figurait pas. L'ex-
pression elle-même «se présentait pour son travail»
désigne, je crois, la présence quotidienne d'un
employé à son poste. Pour donner son sens au mot
«habituellement», il me semble nécessaire de con-
cevoir et d'identifier l'établissement de l'employeur
où l'employé, «de façon régulière», «usuellement»
ou «normalement», se présentait pour son travail.
Cela fait, le libellé du paragraphe oblige à faire
un pas de plus et à préciser la municipalité où
l'établissement se trouve.
En l'espèce, il ne s'agit pas, me semble-t-il, d'un,
mais de trois établissements du Jockey Club où le
défendeur, au cours de la saison hippique, se ren-
dait pour son travail usuellement, normalement et
de façon régulière, c'est-à-dire les pistes de course
Woodbine, Greenwood et Fort-Érié, selon les cour
ses prévues et la piste à laquelle le défendeur était
affecté. Les faits de l'espèce ne me permettent pas
de distinguer, aux fins qui nous occupent, une des
trois pistes des autres et je ne puis conclure que
l'une d'entre elles était seule, ou que deux d'entre
elles étaient ensemble, à l'exclusion des autres,
l'établissement où le défendeur se présentait habi-
tuellement pour son travail.
En vertu des paragraphes 3(1) et 26(7) de la Loi
d'interprétation 2 , et à moins qu'une intention con-
traire n'apparaisse, les mots écrits au singulier
comprennent le pluriel, et le pluriel comprend le
singulier. Je ne pense pas qu'une intention con-
traire apparaisse dans le paragraphe 8(4) de la Loi
de l'impôt sur le revenu et il faut donc, à mon avis,
en l'appliquant ici, entendre les deux mots «muni-
cipalité» et «établissement» comme comprenant le
pluriel.
Les pistes de course Woodbine, Greenwood et de
Fort-Érié étaient toutes des établissements où le
défendeur se présentait habituellement pour son
travail. Toutes trois par conséquent étaient visées
par l'expression «établissement ... où il se présen-
2 S.R.C. 1970, c. I-23.
tait habituellement pour son travail» figurant au
paragraphe 8(4). Il s'ensuit à mon avis que la
municipalité où est située la piste de Fort-trié et
celle, ou celles, où sont situées les pistes Woodbine
et Greenwood sont également visées par le mot
«municipalité» figurant audit paragraphe. Le para-
graphe 8(4) en conséquence s'applique et retire au
défendeur le droit à la déduction en question.
L'appel sera accueilli et la cotisation rétablie.
En vertu du paragraphe 178(2) de la Loi de
l'impôt sur le revenu, il sera ordonné au ministre
du Revenu national de payer tous les frais raison-
nables et justifiés du défendeur afférents à l'appel.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.