A-208-78
Popovich Equipment Company (Requérante)
c.
La Reine (Intimée)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge
Heald et le juge suppléant Manning—Calgary, le
17 janvier; Ottawa, le 22 janvier 1979.
Impôt sur le revenu — Pratique — Requête en annulation
d'une demande d'infirmation de la demande de suspension
d'appel en attendant le résultat des poursuites — Poursuite
d'une autre personne que l'appelante — Les dispositions rela
tives à la suspension d'appel ne s'appliquent que si l'appelante
fait l'objet des poursuites — La requête en annulation est
accueillie — Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c.
63, art. 239(4).
Il s'agit d'une requête en annulation d'une demande déposée
en vertu de l'article 28 en vue d'infirmer une demande de
suspension d'appel introduite en avril 1978 devant la Commis
sion de révision de l'impôt conformément à l'article 239(4) de
la Loi de l'impôt sur le revenu. La demande de suspension était
fondée sur l'existence d'une poursuite entamée contre une autre
personne que l'appelante. La personne visée par la poursuite sur
laquelle est fondée la suspension d'appel se trouve hors d'at-
teinte de la justice et il n'y a absolument aucune indication
quant à la date éventuelle de l'instruction de cette poursuite et
encore moins de son aboutissement.
Arrêt (le juge Heald dissident): la demande fondée sur
l'article 28 est annulée.
Le juge en chef Jackett: Sans l'indiquer expressément, le
Parlement, en adoptant cette disposition, a voulu limiter le
pouvoir conféré au Ministre de demander la suspension de
l'appel en attendant le résultat d'autres poursuites aux seuls cas
où c'est l'appelant lui-même qui est visé par ces autres poursui-
tes. Il ne s'agit que d'un pouvoir purement administratif de
fixer la priorité des actions à poursuivre, dont l'exercice n'em-
porte pas la nécessité d'une protection procédurale en faveur de
l'appelant.
Le juge Heald dissident: L'expression «... l'objet de poursui-
tes entamées en vertu du présent article ...», lorsqu'elle est
entendue dans son sens ordinaire dans le contexte des autres
paragraphes de l'article 239, confère manifestement au Minis-
tre le pouvoir de suspendre un appel formé par le contribuable
en l'espèce, même si cette suspension est fondée sur l'existence
d'une poursuite entamée en vertu de l'article 239 contre une
autre personne que ce contribuable. Si la Couronne maintient
la suspension de l'appel «en attendant le résultat des poursuites»
comme elle a le droit de le faire en vertu de l'article 239(4), elle
aura effectivement privé l'appelante de son droit d'interjeter
appel de sa cotisation d'impôt sur le revenu. En raison de ces
graves conséquences, cet article doit s'interpréter comme éta-
blissant implicitement une obligation procédurale d'agir
équitablement.
REQUÊTE en annulation.
AVOCATS:
B. A. Felesky et J. D. A. Struck pour la
requérante.
Deen Olsen et D. Akman pour l'intimée.
PROCUREURS:
Bell, Felesky & Iverach, Calgary, pour la
requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Il s'agit d'une
requête en annulation d'une demande déposée en
vertu de l'article 28 en vue d'infirmer une
demande de suspension d'appel introduite en avril
1978 devant la Commission de révision de l'impôt
conformément à l'article 239(4) de la Loi de l'im-
pôt sur le revenu. Cet article dispose que:
239... .
(4) Lorsque, dans un appel interjeté en vertu de la présente
loi, sont débattus la plupart des mêmes faits que ceux qui font
l'objet de poursuites entamées en vertu du présent article, le
Ministre peut demander la suspension de l'appel dont est saisi
la Commission de révision de l'impôt, ou la Cour fédérale, selon
le cas, et alors l'appel qui est devant la Commission ou la Cour
est suspendu en attendant le résultat des poursuites.
Il ressort de l'argument de l'avocat que la
demande de suspension d'appel était fondée sur
l'existence d'une poursuite entamée contre une
autre personne que l'appelante.
Si l'article 239(4) confère le pouvoir de suspen-
dre un appel en se fondant simplement sur l'exis-
tence d'une poursuite entamée contre une autre
personne que l'appelant, ce dernier, si ce pouvoir
était effectivement exercé, ne disposerait dans ce
cas d'aucun moyen d'assurer l'aboutissement de
cette autre poursuite qui risquerait de s'éterniser
si, par exemple, le défendeur était un fugitif de la
justice. D'après cette interprétation, une telle sus
pension d'appel pourrait, en fait, priver l'appelant
de son droit d'appel. Si telle est la portée du
pouvoir conféré par l'article 239(4), je suis enclin à
penser qu'il n'y a, en cause, aucune politique d'in-
térêt public justifiant l'interprétation selon laquelle
cette disposition autoriserait l'exercice du pouvoir
de suspendre l'appel sans accorder aucune protec
tion procédurale à l'appelant qui en est victime.
Je pense toutefois que le Parlement, en adoptant
cette disposition, n'a voulu, sans l'indiquer expres-
sément, limiter le pouvoir conféré au Ministre de
demander la suspension de l'appel en attendant le
résultat d'autres poursuites qu'aux seuls cas où
c'est l'appelant lui-même qui est visé par ces
autres poursuites. Compte tenu de cette interpré-
tation, j'estime qu'il ne s'agit que d'un pouvoir
purement administratif de fixer la priorité des
actions à poursuivre, dont l'exercice n'emporte pas
la nécessité d'une protection procédurale en faveur
de l'appelant.
Par conséquent, je suis d'avis d'annuler la
demande introduite en vertu de l'article 28 et de
laisser à la requérante le soin de prendre les mesu-
res nécessaires pour faire radier par la Commission
de révision de l'impôt la «suspension» non autorisée
ou pour la faire déclarer nulle et non avenue au
moyen, par exemple, d'une procédure de manda-
mus visant à obliger la Commission à entendre son
appel ou d'une action visant un jugement
déclaratoire.
Quoique cette requête en annulation ait soulevé
une question difficile dont la solution n'est apparue
qu'après un long débat, elle a cependant été tran-
chée avec l'assentiment des avocats.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MANNING y a souscrit.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD (dissident): En toute déférence
envers ceux d'opinion contraire, j'estime que l'arti-
cle 239(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu
confère effectivement le pouvoir de suspendre un
appel en se fondant simplement sur l'existence
d'une poursuite entamée contre une autre personne
que l'appelant. L'expression employée dans cet
article est: «... l'objet de poursuites entamées en
vertu du présent article ...» [c'est moi qui souli-
gne]. A mon avis, il faut interpréter l'article
239(4) la lumière des autres paragraphes de cet
article. En lisant l'article 239(1)', on s'aperçoit
qu'il prévoit plusieurs infractions qui sont suscepti-
bles d'être commises par d'innombrables personnes
autres que l'appelant (par exemple, les déclara-
tions fausses ou trompeuses faites par les compta-
bles, les avocats, les clients, les fournisseurs, les
employés, etc. du contribuable; la destruction, l'al-
tération, la mutilation ou la dissimulation des
registres du contribuable par un employé; les ins
criptions fausses ou trompeuses faites par un
teneur de livres à son service). En conséquence,
l'expression «... l'objet de poursuites entamées en
vertu du présent article ...», lorsqu'elle est enten-
due dans son sens ordinaire dans le contexte des
autres paragraphes de l'article 239, confère mani-
festement, à mon avis, au Ministre le pouvoir de
suspendre un appel formé par le contribuable en
l'espèce, même si cette suspension est fondée sur
l'existence d'une poursuite entamée en vertu de
l'article 239 contre une autre personne que ce
contribuable. A l'audition de l'affaire en instance,
les avocats des deux parties ont adopté cette inter-
prétation de l'article 239(4) que j'estime être la
bonne.
Compte tenu de cette interprétation de l'article
239(4) qui me paraît être exacte, je me rangerais à
l'opinion du juge en chef lorsqu'il a déclaré: «. .. ce
Voici le texte de l'article 239(1):
239. (1) Toute personne qui
a) a fait des déclarations fausses ou trompeuses, ou a
participé, consenti ou acquiescé à leur énonciation dans
une déclaration, certificat, état ou réponse produits ou faits
en vertu de la présente loi ou d'un règlement,
b) a, pour éluder le paiement d'un impôt établi par la
présente loi, détruit, altéré, mutilé, caché les registres ou
livres de comptes d'un contribuable ou en a disposé
autrement,
c) a fait des inscriptions fausses ou trompeuses, ou a
consenti ou acquiescé à leur accomplissement, ou a omis,
ou a consenti ou acquiescé à l'omission d'inscrire un détail
important dans les registres ou livres de comptes d'un
contribuable,
d) a, volontairement, de quelque manière, éludé ou tenté
d'éluder l'observation de la présente loi ou le paiement
d'un impôt établi en vertu de cette loi, ou
e) a conspiré avec une personne pour commettre une
infraction visée aux alinéas a) à d),
est coupable d'une infraction et, en plus de toute autre peine
prévue par ailleurs, est passible, sur déclaration sommaire de
culpabilité,
f) d'une amende d'au moins 25% et d'au plus le double du
montant de l'impôt que cette personne a tenté d'éluder, ou
g) à la fois de l'amende prévue à l'alinéa f) et d'un
emprisonnement d'au plus 2 ans.
dernier [l'appelant], si ce pouvoir était effective-
ment exercé, ne disposerait dans ce cas d'aucun
moyen d'assurer l'aboutissement de cette autre
poursuite qui risquerait de s'éterniser si, par exem-
ple, le défendeur était un fugitif de la justice.
D'après cette interprétation, une telle suspension
d'appel pourrait, en fait, priver l'appelant de son
droit d'appel.» Nous nous trouvons, en l'espèce,
devant un cas semblable à l'exemple donné par le
juge en chef et cité ci-dessus. La personne visée
par la poursuite sur laquelle est fondée la suspen
sion d'appel se trouve hors d'atteinte de la justice
et il n'y a absolument aucune indication quant à la
date éventuelle de l'instruction de cette poursuite
et encore moins de son aboutissement. Il s'ensuit
que la Couronne, en maintenant la suspension de
l'appel «en attendant le résultat des poursuites»
comme elle a le droit de le faire en vertu de
l'article 239(4), prive effectivement l'appelante de
son droit d'interjeter appel de sa cotisation d'impôt
sur le revenu. Tel étant le cas, j'estime qu'en raison
des graves conséquences susmentionnées, l'article
239(4) doit s'interpréter comme établissant impli-
citement une obligation procédurale d'agir équita-
blement 2 . Je suis donc d'avis que la requérante
invoque un argument défendable dans la demande
qu'elle a introduite en vertu de l'article 28 en vue
d'obtenir l'annulation de la suspension. Je rejette-
rais donc la requête en annulation.
2 Voir l'arrêt Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional
Board of Commissioners of Police [1979] 1 R.C.S. 311.
Voir également l'arrêt Inuit Tapirisat of Canada c. Le
gouverneur en conseil [1979] 1 C.F. 710.
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