T-4656-77
Gerald Morin (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Decary—
Ottawa, les 22, 23, 24 janvier et le 26 juillet 1979.
Fonction publique — Le demandeur était absent de son
poste pendant plus d'une semaine — Le Sous-ministre a
déclaré le poste vacant au sens de l'art. 27 de la Loi sur
l'emploi dans la Fonction publique — En déterminant si
l'absence était due à des causes indépendantes de la volonté du
demandeur, le Sous-ministre n'a tenu compte que des faits
invoqués par le supérieur du demandeur, sans connaître les
raisons qui ont causé son absence — Il échet d'examiner si le
Sous-ministre a exercé sa discrétion de façon équitable et
convenable — Il échet d'examiner si la déclaration d'abandon
de poste est invalide — Loi sur l'emploi dans la Fonction
publique, S.R.C. 1970, c. P-32, art. 27.
Le poste du demandeur a été déclaré vacant au sens de
l'article 27 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique.
Pour déterminer si l'absence du demandeur était due ou non à
des causes indépendantes de sa volonté, aux fins de cet article,
le Sous-ministre s'est fondé uniquement sur les faits rapportés
par le supérieur du demandeur et n'a pas tenu compte des
difficultés faites à ce dernier avant son absence. Il échet
d'examiner si le Sous-ministre a exercé de façon juste, équitable
et raisonnable le pouvoir discrétionnaire qu'il tient de
l'article 27.
Arrêt: l'action est accueillie. L'une des trois conditions que
doit satisfaire le Sous-ministre avant de déclarer un poste
abandonné veut qu'il soit d'avis que les raisons de l'absence ne
sont pas indépendantes de la volonté de l'employé. Le Sous-
ministre ne peut recourir à l'article 27 s'il ne connaît pas toutes
les raisons qui ont causé l'absence de l'employé, car il lui faut
connaître ces raisons pour exercer d'une manière juste, équita-
ble et raisonnable la discrétion que la Loi lui accorde par
l'expression «de l'avis du sous-chef». Les embêtements, les
tracasseries, les mesquineries et le harassement dont le deman-
deur a été l'objet sont des faits qu'il faut considérer pour juger
si les raisons de l'absence étaient, de l'avis du Sous-ministre,
dépendantes ou indépendantes de la volonté du demandeur. Le
fait de se baser seulement sur les faits invoqués par le supérieur
du demandeur et de ne pas tenir compte de l'effet des difficul-
tés faites au demandeur, entachent l'exercice de la discrétion du
Sous-ministre.
Arrêt examiné: Pure Spring Co. Ltd. c. Le ministre du
Revenu national [1946] R.C.E. 471.
ACTION.
AVOCATS:
Louise Caron pour le demandeur.
Yvon Brisson pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Louise Caron, Ste-Foy, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE DECARY: Le point en litige se résume à
déterminer si les faits établis, les pièces produites à
l'enquête et les conclusions qui peuvent être tirées
de ces faits et pièces permettaient au sous-ministre
des Travaux publics d'exercer, avec justice, équité
et raisonnabilité la discrétion que l'article 27 de la
Loi sur l'emploi dans la Fonction publique,
S.R.C. 1970, c. P-32, lui donne de juger si les
raisons de l'absence du demandeur étaient ou non
indépendantes de sa volonté aux fins de déclarer
qu'il avait abandonné son poste.
L'article 27 se lit comme suit:
27. Lorsqu'un employé s'absente de son poste pendant une
semaine ou davantage, sauf pour des raisons qui, de l'avis du
sous-chef, sont indépendantes de sa volonté, ou sauf en confor-
mité de ce qui est autorisé ou prévu par une loi du Parlement ou
sous son régime, le sous-chef peut, au moyen d'un écrit appro-
prié adressé à la Commission, déclarer que l'employé a aban-
donné le poste qu'il occupait. Cet employé cesse dès lors d'être
un employé.
Il y a trois conditions prévues à l'article 27 pour
qu'un sous-ministre puisse déclarer un poste aban-
donné: il faut une absence de plus d'une semaine; il
faut qu'il soit d'avis que les raisons de l'absence ne
sont pas indépendantes de la volonté de l'employé
et finalement il faut, par un écrit approprié, qu'il
avise la Commission de la Fonction publique que
l'employé a abandonné son poste.
A mon avis, le Sous-ministre ne peut recourir à
cet article s'il ne connaît pas toutes les raisons qui
ont causé l'absence de l'employé, et c'est seulement
une fois ces raisons connues qu'il est habilité à
exercer la discrétion que la Loi lui accorde par
l'expression «de l'avis du sous-chef», c'est-à-dire, de
juger, dans le cas présent, si les raisons de l'ab-
sence sont indépendantes ou dépendantes de la
volonté de l'employé. Si le Sous-ministre exerce sa
discrétion sans connaître toutes les raisons de l'ab-
sence, l'on ne peut prétendre que cette discrétion
ait été exercée d'une manière juste, équitable et
raisonnable. Considérant la conséquence possible
d'un tel geste, c'est la justice et l'équité qui exigent
que l'on porte le plus grand soin à l'application de
cet article 27.
Dans l'affaire présente, les embêtements, les
tracasseries, les mesquineries et le harassement
dont le demandeur a été l'objet sont des faits qu'il
faut considérer pour pouvoir juger avec justice si
les raisons de l'absence étaient, de l'avis du Sous-
ministre, dépendantes ou indépendantes de la
volonté du demandeur. Il faut noter que sur huit
années de service dans la Fonction publique, ce
n'est qu'au cours des deux dernières années que le
demandeur a eu des difficultés avec ses supérieurs.
Cela, à mon avis, nous oblige à reconnaître qu'il a
eu un comportement normal dans son milieu de
travail durant six années. Accusé d'incompétence
en 1975, quelques mois avant l'application de l'ar-
ticle 27 son égard, il a gagné son grief devant la
Commission de la Fonction publique.
A mon avis, le fait de ne pas répondre à une
lettre n'implique pas que l'employé n'a pas une ou
des raisons indépendantes de sa volonté qui l'empê-
chent d'être à son poste. Dans le cas présent, un
subalterne a écrit au demandeur et six jours après
la fin du délai de quelques jours prévus pour
répondre à ladite lettre, le Sous-ministre écrivait à
la secrétaire de la Commission de la Fonction
publique, attestant que l'employé avait abandonné
son poste. Il est en preuve que le demandeur n'a
pas répondu à ladite lettre parce qu'il avait tou-
jours jugé que la personne qui la lui avait adressée
n'avait pas à lui donner d'ordres.
Il n'y a rien au dossier démontrant que des
renseignements pour connaître les raisons de l'ab-
sence ont été pris autrement qu'auprès des fonc-
tionnaires qui avaient témoigné quelques mois plus
tôt contre le demandeur devant la Commission de
la Fonction publique qui avait rejeté la plainte
d'incompétence. Malgré que l'on ait reconnu la
compétence du demandeur et malgré la gravité de
la nature de cette deuxième procédure que l'on
entamait, ayant le même effet que la première
relativement à la compétence, c'est-à-dire la perte
de l'emploi, le Sous-ministre n'a pas cru bon de
s'enquérir lui-même auprès du demandeur des rai-
sons de son absence.
Si le Sous-ministre ne prend pas de renseigne-
ments auprès de l'employé aussi bien qu'auprès de
ses supérieurs, il me répugne de croire qu'il soit
habilité et qu'il soit en état d'exercer sa discrétion
d'une façon juste, équitable et raisonnable pour
décider du bien-fondé d'un geste aussi lourd de
conséquences que la déclaration d'abandon de
poste. La perte possible de l'emploi et l'âge du
demandeur, soit dans la cinquantaine, son service
dans la Fonction publique depuis huit ans, la
reconnaissance, quatre mois plus tôt, de sa compé-
tence, son service sans heurt jusqu'à l'arrivée d'un
nouveau directeur régional, le conflit de personna-
lité qui en résulte et qui ne peut certes dépendre
plus du demandeur que du directeur régional, et
que je crois imputable, considérant le témoignage
devant moi, surtout à la personne en plus haute
autorité présente en Cour devant moi mais qui n'a
pas témoigné, à mon avis tous ces faits exigeaient
que l'on fasse preuve non seulement de prudence et
de sagesse, mais également de décence et d'équité
et que l'on s'enquière d'une façon efficace auprès
du demandeur des raisons de son absence avant
d'être d'avis qu'elles n'étaient pas indépendantes
de sa volonté.
Si l'on examine les faits révélés à l'enquête l'on
ne peut, si l'on veut maintenir la notion de ce qui
est juste et équitable, s'empêcher d'en déduire que
l'absence du demandeur était due justement à un
comportement causé par les mesquineries, le
harassement, les bouleversements et les humilia
tions qu'il avait subis. Il y a entre autres cette
demande de renvoi pour incompétence qui, quatre
mois plus tôt, avait été rejetée par la Commission
de la Fonction publique. Un aussi court délai pour
recourir à un moyen aussi draconien que la décla-
ration d'abandon de poste n'est certes pas preuve
de décence et encore moins d'équité. Tous ces faits
avaient, comme l'on dit communément, «rendu à
bout» le demandeur. De telles circonstances expli-
quent qu'un employé puisse s'absenter de son poste
pour des raisons indépendantes de sa volonté car il
a perdu le courage de faire face aux difficultés que
l'on se plaît à multiplier sur son chemin.
A mon avis, il faut que la discrétion prévue à
l'article 27 de la Loi soit exercée de manière juste,
équitable et raisonnable. Cela comporte nécessai-
rement de connaître la cause des raisons que le
demandeur avait d'être absent. Je ne crois pas, de
par l'enquête devant la Cour, que le Sous-ministre
était au courant de toutes ces raisons et il ne
pouvait donc pas être d'avis que des raisons pou-
vaient être indépendantes de la volonté du deman-
deur. Il faut connaître toutes les raisons pour être
en mesure de formuler l'avis qu'elles sont indépen-
dantes ou dépendantes de la volonté d'un employé.
Le Sous-ministre n'était pas au courant de tous
les faits et, n'ayant pas la version du demandeur,
ne pouvait pas exercer la discrétion de manière
juste, équitable et raisonnable comme il se devait
de le faire pour pouvoir déterminer la nature des
raisons de l'absence afin d'être habilité, le cas
échéant, à déclarer qu'il y avait abandon de poste.
D'après la preuve au dossier, la déclaration
d'abandon de poste est invalide vu que, pour faire
cette déclaration, il faut que le Sous-ministre
détermine que les raisons de l'absence étaient indé-
pendantes ou dépendantes de la volonté de l'em-
ployé. Les faits établis démontrent que l'absence
ne dépendait pas de la volonté de l'employé, mais
qu'elle était causée par son comportement, créé
par les difficultés constantes dont il était victime
depuis deux ans.
Avant de discuter des règles régissant l'exercice
de la discrétion, je crois qu'il est bon de résumer
certains faits que je considère comme détermi-
nants: le 9 mai 1975, plainte du ministère des
Travaux publics pour incompétence du demandeur
comme agent d'information; le demandeur en
appelle devant la Commission de la Fonction
publique; le supérieur du demandeur et le direc-
teur régional de qui relevait le demandeur étaient
les seuls témoins, à part, évidemment, le deman-
deur; le président de la Commission d'appel de la
Fonction publique, Monsieur J. Vinokur, qui a
entendu l'affaire, rejette la plainte d'incompétence,
c'est-à-dire qu'il déclare le demandeur compétent
comme agent d'information; peu de temps avant
cette procédure, le demandeur avait été envoyé de
Montréal à Ottawa pour y remplir des fonctions
temporaires alors qu'officiellement il occupait tou-
jours la position d'agent d'information à Montréal;
le demandeur n'a jamais vu de document officiel
pour ce transfert; on lui assigne la rédaction fran-
çaise de panneaux indiquant les travaux entrepris
par le Ministère; le demandeur continue d'être
victime de tracasseries, mesquineries, harcèle-
ments: changements répétés de local de travail,
usage de son bureau par d'autres personnes, obli
gation de garder la porte de son bureau ouverte,
obligation de remplir fiche de présence quotidienne
de fabrication artisanale alors que ce n'était pas la
pratique officielle; dans le jugement de la Commis
sion d'appel de la Fonction publique, Monsieur
Vinokur ne considère pas comme très sérieux le
fait que le demandeur n'avait pas établi un service
de coupures de presse, d'autant plus que le Minis-
tère refusait de payer pour les journaux; quant à
une lettre adressée par erreur à un citoyen, lettre
signée par M. Laurendeau, le commissaire blâme
M. Laurendeau pour n'avoir pas vérifié les docu
ments qu'il signait; quant à des remarques peu
élogieuses faites par le demandeur au sujet de son
supérieur devant un autre fonctionnaire du Minis-
tère, le commissaire considère qu'il y a là preuve
de conflit de personnalité et que le manque de
coopération était seulement avec le directeur régio-
nal et avec personne d'autre au Ministère; l'affaire
est considérée comme étant une affaire discipli-
naire plutôt que touchant la compétence; quant à
un avis dans une publication du Ministère, et à
l'information dont on se sert lors de l'inauguration
d'une bâtisse, le commissaire en vient à la conclu
sion que jamais des instructions précises n'ont été
données au demandeur; la question d'un compte de
dépenses est considérée elle aussi comme étant
disciplinaire et non pas une question de compé-
tence; en ce qui concerne l'incident dans le bureau
du directeur général en juillet 1974, où le deman-
deur fut avisé oralement que ses services n'étaient
pas satisfaisants et qu'il serait transféré à Ottawa,
il est bien naturel qu'il en fut bouleversé.
Cet appel devant la Commission d'appel de la
Fonction publique fut gagné par le demandeur qui
a été jugé compétent et effectivement, à certains
endroits, ce sont ses supérieurs qui sont blâmés
pour manque de précision dans leurs directives.
Un fait qui est frappant et dont il faut sûrement
tenir compte est que cette cause pour incompé-
tence fut entendue en juin 1975 et que le Minis-
tère, qui l'avait perdue, s'empresse de recourir à un
autre stratagème, celui de l'article 27, qui est
rarement employé, et ce après un délai de quatre
mois à peine.
La preuve démontre qu'il y avait heurt de tem-
pérament entre le directeur régional de Montréal
et le demandeur. Qu'il y ait heurt de tempérament
ne justifie pas d'essayer d'éliminer un employé par
une guerre d'usure. L'absence de plus de six jours,
causée par le transfert à Ottawa et le comporte-
ment des supérieurs envers le demandeur, a été
l'occasion recherchée. Ces supérieurs, à Montréal
et à Ottawa, lui avaient fait valoir qu'il n'était pas
désiré. Il n'est pas étonnant que dans de telles
circonstances, le demandeur n'en vienne à être à
bout de nerfs et s'absente pendant plus d'une
semaine. A mon avis, son comportement était typi-
que des personnes dans son état et son absence
était indépendante de sa volonté. Le demandeur ne
pouvait pas lutter seul indéfiniment contre ce qui
pouvait être considéré pratiquement comme une
cabale. Le fait que le demandeur devait être à bout
n'a pas été pris en considération lorsque le Sous-
ministre a jugé des raisons de l'absence. A mon
avis, le recours à l'article 27 était l'étape suivante
de la tentative de renvoi pour incompétence, tenta
tive où le Ministère avait échoué.
Cette façon d'agir démontre que l'on n'a pas
suivi les règles établies pour l'exercice de la discré-
tion et dont le juge Thorson, président de la Cour
de l'Échiquier tel qu'il était alors, résume dans
l'affaire de Pure Spring Co. Ltd. c. Le ministre du
Revenu national':
[TRADUCTION] La discrétion que peut exercer le Ministre en
vertu de l'article 6(2), quoique très large, a des limites qui sont
inhérentes au concept même de discrétion, comme l'a indiqué la
Chambre des Lords dans l'affaire Sharp c. Wakefield ((1891)
A.C. 173, à la page 179), dans laquelle le lord Chancelier
Halsbury, a déclaré:
Lorsqu'il est dit qu'une chose peut être effectuée à la
discrétion des autorités, on entend alors par discrétion que
cette chose doit être effectuée conformément aux règles de la
raison et de la justice, et non pas en conformité d'une opinion
personnelle: Rook's Case (5 Rep. 100, A); conformément à
la loi et non à l'humeur du moment. Cette discrétion doit être
non pas arbitraire, vague et fantaisiste mais légale et régu-
lière. Et enfin, elle doit s'exercer dans les limites que se fixe
l'honnête homme qui exerce avec compétence sa charge:
(Wilson c. Rasta!! (4 T.R., à la page 754)
Dans le cas présent, la raison et la justice ne
semblent pas avoir été un guide dans l'exercice de
la discrétion car l'on n'a pas consulté le demandeur
pour connaître les raisons de son absence; la décla-
ration d'abandon de poste semble avoir été faite
par dépit de la décision de la Commission où le
demandeur avait eu gain de cause en étant déclaré
compétent.
' [1946] R.C.É. 471, la page 479.
Le président Thorson énonce des principes qui
régissent l'exercice de la discrétion que la jurispru
dence a établis, ibidem, pages 482 et 484:
[TRADUCTION] Les principes dont doit s'inspirer toute per-
sonne investie de pouvoirs administratifs discrétionnaires
influant sur des droits ont été définis avec divers degrés de
précision et de clarté. Elle ne doit pas exercer sa discrétion
«d'une manière oppressive ou en fonction d'une motivation
malhonnête ou indirecte»—le juge en chef Tindal dans La
Reine c. Governors of Darlington School ((1884) 6 Q.B. 682, à
la page 715). Elle doit agir comme «un homme raisonnable
désireux de rendre justice»—Knight Bruce, V. C. dans In re
Fremington School ((1847) 11 Jur. 421, à la page 424). Il doit
y avoir un examen équitable des faits et l'occasion de se faire
entendre doit être justement accordée—lord Langdale, Maître
des rôles, dans Willis c. Childe ((1850) 13 Beav. 117, à la page
130). Le pouvoir discrétionnaire doit s'exercer «en l'absence
totale de motivation indirecte, avec honnêteté d'intention et
après avoir considéré la question avec équité»—le lord Chance-
lier Truro dans In re Beloved Wilkes' Charity ((1851) 3
MacN. & G. 440, à la page 447). Si les autorités investies de
pouvoirs discrétionnaires ont agi de manière déraisonnable, par
exemple en partant d'idées générales préconçues alors qu'elles
auraient dû se pencher sur le cas particulier dont elles étaient
saisies, elles n'ont pas exercé leur discrétion—le juge Wight-
man dans La Reine c. Sylvester ((1862) 31 L.J. (N.S.) (M.C.)
92, à la page 95). Dans Hayman c. Governors of Rugby School
((1874) 18 Eq. 28, à la page 68) sire R. Malins, V. C. a établi
le principe selon lequel les pouvoirs discrétionnaires, ou arbi-
traires comme il les a appelés, doivent être «exercés équitable-
ment et honnêtement».
Toute personne investie du pouvoir de formuler une opinion
doit exercer honnêtement son jugement—lord Herschell dans
Allcroft c. Lord Bishop of London ((1891) A.C. 666, à la page
680). Dans Leeds Corporation c. Ryder ((1907) A.C. 420, à la
page 423) le lord Chancelier Loreburn a dit que les juges de
paix qui sont investis du pouvoir discrétionnaire d'octroyer des
permis «doivent agir honnêtement et s'efforcer d'appliquer la loi
sans déroger à son esprit ni à ses buts». Plus loin, il a ajouté:
Les juges ... agissent dans une capacité administrative car
ils exercent une discrétion qui peut dépendre de considération
d'ordre politique et du bon sens pratique—ils doivent, bien
entendu, agir honnêtement. C'est en cela que consiste leur
devoir.
A la page 424, le comte de Halsbury applique le même critère,
c'est-à-dire celui «du désir sincère de viser les buts fixés dans la
Loi promulguée par le Parlement». L'importance et l'à-propos
de cette affaire réside dans l'accent qu'elle met sur le fait que
l'exercice de la discrétion administrative peut dépendre de
considération d'ordre politique et que le fonctionnaire qui a la
charge de l'exercer doit honnêtement traduire dans les faits
l'intention du Parlement.
Dans l'affaire présente, le fait de se baser seule-
ment sur les faits invoqués par le supérieur du
demandeur et de ne pas tenir compte de l'effet des
difficultés faites au demandeur, entachent, à mon
avis, l'exercice de la discrétion du Sous-ministre.
La Cour n'est pas dans l'impossibilité de contrôler
l'exercice de la discrétion tel que le dit le président
Thorson à la page 489 ibidem, parce que l'exercice
n'est pas équitable et juste:
[TRADUCTION] L'impossibilité pour une cour de contrôler
l'exercice de la discrétion ou d'intervenir à cet égard pour
s'assurer qu'elle a été exercée équitablement et honnêtement,
est maintes fois réaffirmée par sire R. Malins, V.C. dans
Hayman c. Governors of Rugby School ((1874) 18 Eq. 28).
C'est mon opinion que l'on a choisi, par strata-
gème, sans hésitation sur le choix des moyens, à
rendre le demandeur à bout. C'est à cause de cet
état qu'il s'est absenté et cet état était indépendant
de sa volonté mais dépendant de ceux qui l'avaient
rendu à bout. Décider en pareil cas, sans connais-
sance de l'état du demandeur, que l'absence n'est
pas indépendante de l'état du demandeur, c'est ne
pas tenir compte de la justice, de l'équité et de la
raisonnabilité.
Tenant dûment compte de tous les faits devant
moi, il me faut conclure que la discrétion n'a pas
été exercée d'une façon juste et équitable et consé-
quemment il n'y a pas d'abandon de poste car le
certificat du Sous-ministre est invalide.
Considérant tous ces faits, je déclare que la
déclaration d'abandon de poste n'a pas été valide-
ment faite et que depuis le 30 septembre 1975 le
demandeur n'a pas cessé d'occuper son poste, qu'il
l'occupe toujours et qu'il a droit à tous les salaires,
augmentations de salaires et bénéfices marginaux
comme s'il n'y avait jamais eu de prétendu aban
don de poste, ainsi qu'à l'intérêt sur ces montants à
partir de la date où chacun était dû.
Si les parties ne peuvent s'entendre sur le mon-
tant des salaires, augmentations de salaires, béné-
fices marginaux et dommages auxquels le deman-
deur a droit avec intérêts, la Cour pourra en
établir le montant.
L'action est accueillie avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.