A-206-78
Thomas Healy (Appelant)
c.
La Reine (Intimée)
Cour d'appel, les juges Heald et Urie et le juge
suppléant MacKay—Toronto, le 10 janvier;
Ottawa, le 12 janvier 1979.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions —
Frais de subsistance de l'employé tenu de s'absenter pour plus
de douze heures de la municipalité dans laquelle est situé
l'établissement de son employeur réclamés à titre de déduction
— Employé accomplissant les deux tiers de son travail aux
établissements situés dans la municipalité principale de son
employeur, et le dernier tiers à un établissement de celui-ci
situé dans une autre municipalité — L'employé a-t-il le droit
de déduire ses frais de subsistance? — Loi de l'impôt sur le
revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63, art. 8(1)h) et (4) — Loi
d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23, art. 3 et 26(7).
Il s'agit d'un appel du jugement de la Division de première
instance qui accueillait l'appel formé par l'intimée contre une
décision de la Commission de révision de l'impôt. L'appelant
travaillait pour un organisme ayant son siège social à Toronto
et des places d'affaires à l'intérieur et à l'extérieur du Toronto
métropolitain. Il accomplissait les deux tiers de son travail aux
pistes de course situées dans le Toronto métropolitain, et le
reste du temps à la piste de Fort-Érié. La question qui se pose
est de savoir si l'appelant avait droit de réclamer ses frais de
subsistance à titre de frais de déplacement encourus dans
l'exercice de son emploi. Par suite de la décision de la Division
de première instance, la cotisation d'impôt sur le revenu de
l'appelant, établie par l'intimée pour l'année d'imposition 1973,
qui rejetait la déduction réclamée pour ses frais de subsistance
encourus alors qu'il travaillait à Fort-Érié, a été rétablie.
Arrêt: l'appel est accueilli. Fort-Érié n'était pas «la municipa-
lité dans laquelle était situé l'établissement de l'employeur où il
se présentait habituellement pour son travail». C'était tout
simplement l'un des «différents endroits» où il devait se présen-
ter pour son travail en raison de la nature de son emploi. Cette
opinion sur la situation d'emploi de l'appelant le place dans le
cadre de l'article 8(4). L'expression «se présentait pour son
travail», lorsqu'elle est utilisée en liaison avec le mot «habituel-
lement», selon le sens que lui donne le dictionnaire, renvoie aux
mots se présentait, et leur confère un sens plus étendu, à savoir
«dans la plupart des cas» ou comme une règle générale. Si l'on
remplace le mot «habituellement» par les mots «communément»
et «usuellement», on peut conclure que l'appelant a droit à la
déduction des frais de subsistance, et le fait qu'il existe deux
établissements dans la municipalité où il exerce son emploi ne
change en rien la situation. L'article a pour objet d'établir en
premier lieu dans quelle municipalité l'employé se présente
ordinairement au travail, et ensuite de déterminer s'il a droit ou
non à la déduction des frais de subsistance, étant donné que
dans l'exécution de ses fonctions il a dû être absent de cette
municipalité pendant plus de douze heures. Suivant cette inter-
prétation de l'article, l'existence d'un ou de plusieurs établisse-
ments dans la municipalité «principale» est sans importance.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
J. L. McDougall pour l'appelant.
W. Lefebvre et C. G. Pearson pour l'intimée.
PROCUREURS:
Fraser & Beatty, Toronto, pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Il s'agit d'un appel interjeté à
l'encontre d'un jugement prononcé par la Division
de première instance [[1979] 1 C.F. 81] qui
accueillait l'appel formé par l'intimée contre une
décision de la Commission de révision de l'impôt.
En conséquence, la cotisation d'impôt établie par
l'intimée sur le revenu de l'appelant pour l'année
d'imposition 1973, qui rejetait la déduction qu'il
réclamait pour ses repas alors qu'il travaillait à
Fort-Érié (Ontario) a été rétablie.
Les faits pertinents en l'espèce peuvent s'énon-
cer brièvement de la façon suivante: l'appelant
résidant, pendant toute la période qui nous inté-
resse, dans le Toronto métropolitain, et il travail-
lait pour l'Ontario Jockey Club (ci-après appelé le
Club), occupant le poste de chef de division de la
salle de trésorerie et parfois celui de chef de la
salle de trésorerie en rapport avec les opérations de
pari mutuel de son employeur. Il avait cumulé ces
postes pendant quelque vingt-cinq ans avant que le
procès n'ait lieu au mois de mars 1978. L'appelant,
pendant toute la période considérée, était membre
de la Mutuel Employees Association, section locale
528 de l'Union internationale des employés des
services, et à ce titre, son emploi relevait de l'appli-
cation d'une convention collective en date du 1"
janvier 1973.
En 1973, le siège social de l'Ontario Jockey
Club était situé à Rexdale, partie du Toronto
métropolitain, et il y est encore. Le Club exploite
six pistes de course au nombre desquelles dont
deux se trouvent dans le Toronto métropolitain,
soit les pistes Woodbine et Greenwood, et une
autre à Fort-Érié (Ontario) à environ 100 milles
du Toronto métropolitain. Le Club tient deux pro-
grammes de courses de pur sang chaque année à
chacune des pistes mentionnées. Le Club a désigné
l'appelant pour travailler, à différents moments de
l'année, à chacune des trois pistes. En 1973, il a
travaillé à Fort-trié du 15 avril au 13 mai et du 18
juillet au l er septembre. Pendant son séjour dans
cette ville il vivait dans un motel. Il n'a reçu de la
part du Club aucune allocation ni aucun rembour-
sement pour ses frais de transport aller et retour,
pas plus que pour ses frais de logement et de
subsistance alors qu'il séjournait à Fort-Erié.
L'appelant, pour l'année d'imposition 1973, a
déduit de son revenu les frais de transports, de
logement et de subsistance engagés alors qu'il
travaillait à Fort-Érié. La déduction qu'il récla-
mait pour ses frais de déplacement et de logement
en vertu de l'article 8(1)h) de la Loi de l'impôt sur
le revenu a été accueillie par le ministre du Revenu
national, mais celle du montant des frais de repas,
soit $504, a été refusée car elle ne relevait pas de
l'exception prévue à l'article 8(4) de la Loi. Le
montant lui-même des frais de repas n'est pas
contesté. La Commission de révision de l'impôt a
accueilli l'appel formé par l'appelant, mais la Divi
sion de première instance a infirmé cette décision
et rétabli la cotisation. C'est à l'encontre de ce
jugement qu'appel est interjeté.
Il serait bon de souligner parmi les autres faits,
qu'il appartenait au Club d'établir la date et l'en-
droit où devraient travailler, à l'occasion, les
employés régis par la convention collective. Il le
faisait en fournissant, sur demande du syndicat,
une liste d'affectation, et en l'affichant dans
chacun des bureaux des pistes de course en vue
d'informer les employés du lieu où ils devaient se
présenter au travail. La preuve révèle également
que c'est au siège social du Club à Toronto qu'on
préparait la paye des employés, et qu'elle leur était
livrée par messager à la piste où ils travaillaient.
Les questions de discipline se réglaient, en premier
lieu, aux pistes de course, cependant, la décision
finale était prise par un cadre supérieur au siège
social.
Les articles 8(1)h) et 8(4) de la Loi de l'impôt
sur le revenu' sont ainsi libellés:
' S.C. 1970-71-72, c. 63.
8. (1) ...
h) lorsque le contribuable, dans l'année,
(i) a été, d'une manière habituelle, tenu d'exercer les
fonctions de son emploi ailleurs qu'au lieu même de l'en-
treprise de son employeur ou à différents endroits,
(ii) a été tenu, en vertu de son contrat d'emploi, d'acquit-
ter les frais de déplacement engagés par lui pour l'accom-
plissement des fonctions de sa charge ou de son emploi, et
(iii) n'a pas reçu d'allocation pour frais de déplacement,
qui, en vertu du sous-alinéa 6(1)b)(v), (vi) ou (vii), n'était
pas incluse dans le calcul de son revenu, et n'a pas réclamé
de déduction pour l'année en vertu de l'alinéa e), f) ou g),
les sommes qu'il a dépensées pendant l'année aux fins de
déplacements pour exercer les fonctions de son emploi;
(4) Une somme dépensée par un cadre ou un employé pour
son repas ne doit pas être incluse dans le calcul du montant
d'une déduction en vertu de l'alinéa (1)f) ou h), à moins que le
repas n'ait été pris au cours d'une période où les fonctions de ce
cadre ou de cet employé l'obligeaient à être absent, durant une
période d'au moins douze heures, de la municipalité dans
laquelle était situé l'établissement de l'employeur où il se
présentait habituellement pour son travail, et à être absent, le
cas échéant, de la région métropolitaine où cet établissement
était situé.
Le savant juge de première instance après avoir
examiné la preuve et vérifié le sens que les diction-
naires donnent au mot «habituellement», a tiré les
conclusions suivantes [aux pages 84 et 85]:
Selon moi, c'est en fait de façon régulière, normale et non pas
exceptionnelle que le défendeur exerçait les fonctions de son
emploi pendant la saison hippique, à la demande de son
employeur, à au moins deux, sinon trois endroits différents, soit
à Toronto et à Fort-trié, ou aux pistes de course Greenwood,
Woodbine et de Fort-trié. Je conclus en conséquence que la
situation du défendeur relevait de l'alinéa 8(1)h) et qu'il avait
droit à la déduction des sommes dépensées aux fins de déplace-
ments pour exercer les fonctions de son emploi. Qui plus est, ces
dépenses devraient, je crois, inclure, mais en vertu du paragra-
phe 8(4), le coût de ses repas quand il se trouvait à Fort-trié
pour son travail.
Dans ce dernier paragraphe, le mot «habituellement» figure
dans le membre de phrase «dans laquelle était situé l'établisse-
ment de l'employeur où il se présentait habituellement pour son
travail». Dans ce contexte il modifie l'expression «se présentait
pour son travail» et restreint la portée que la phrase aurait si
ledit mot n'y figurait pas. L'expression elle-même «se présentait
pour son travail» désigne, je crois, la présence quotidienne d'un
employé à son poste. Pour donner son sens au mot «habituelle-
ment», il me semble nécessaire de concevoir et d'identifier
l'établissement de l'employeur où l'employé, «de façon régu-
lière», «usuellement» ou «normalement», se présentait pour son
travail.
Cela fait, le libellé du paragraphe oblige à faire un pas de
plus et à préciser la municipalité où l'établissement se trouve.
En l'espèce, il ne s'agit pas, me semble-t-il, d'un, mais de
trois établissements du Jockey Club où le défendeur, au cours
de la saison hippique, se rendait pour son travail usuellement,
normalement et de façon régulière, c'est-à-dire les pistes de
course Woodbine, Greenwood et Fort-Érié, selon les courses
prévues et la piste à laquelle le défendeur était affecté. Les faits
de l'espèce ne me permettent pas de distinguer, aux fins qui
nous occupent, une des trois pistes des autres et je ne puis
conclure que l'une d'entre elles était seule, ou que deux d'entre
elles étaient ensemble, à l'exclusion des autres, l'établissement
où le défendeur se présentait habituellement pour son travail.
J'estime, en accord avec le savant juge de pre-
mière instance, et il va de soi que l'intimée ne le
conteste pas, que le cas de l'appelant relève de
l'article 8(1)h) et qu'il avait donc droit de déduire
ses frais de déplacement. Cependant, en toute
déférence, je n'approuve pas sa conclusion selon
laquelle l'article 8(4) ne permet pas à l'appelant de
déduire le coût de ses repas quand il se trouvait à
Fort-Érié pour son travail.
D'après la preuve, il est clair que:
a) le siège social du Club (c'est-à-dire l'em-
ployeur) était situé, en 1973 et au moment de
l'audience, dans la municipalité du Toronto
métropolitain;
b) c'est au siège social que l'employeur distri-
buait la paye, prenait les mesures disciplinaires
et dressait les horaires de la répartition du tra
vail de ses employés;
c) l'appelant, qui résidait dans la municipalité
du Toronto métropolitain, ayant reçu de son
employeur, soit le Club, son horaire de travail
pour 1973, a accompli les deux tiers de son
travail dans les établissements que le Club
exploitait dans ladite municipalité;
d) lorsqu'il travaillait à l'établissement du Club,
à Fort-Erié, l'appelant avait droit de déduire ses
frais de logement et de déplacement conformé-
ment à l'article 8(1)h) de la Loi, parce qu'il a
été habituellement tenu d'exercer les fonctions
de son emploi à différents endroits.
Il s'ensuit de façon logique et évidente en raison
des faits susmentionnés que l'appelant travaillait
habituellement dans la municipalité du Toronto
métropolitain. L'employeur possédait deux établis-
sements dans cette municipalité et l'appelant s'y
présentait habituellement pour son travail, dépen-
dant naturellement de celui qui était de service à
ce moment-là. En 1973, l'appelant a dû interrom-
pre son travail habituel alors que son employeur l'a
affecté à un autre établissement situé à l'extérieur
de Toronto, à Fort-trié, pendant une période qui a
représenté environ le tiers de ses activités cette
année-là. A mon avis, cela n'était pas «la munici-
palité dans laquelle était situé l'établissement de
l'employeur où il se présentait habituellement pour
son travail». C'était tout simplement l'un des «dif-
férents endroits» où il devait se présenter pour son
travail en raison de la nature de son emploi. Sui-
vant les faits de l'espèce, il me semble évident que
la municipalité du Toronto métropolitain était la
municipalité dans laquelle étaient situés les établis-
sements où l'appelant se présentait ordinairement
ou généralement pour son travail.
La question qui se pose est donc de savoir si
cette opinion sur la situation d'emploi de l'appelant
en 1973 le place dans le cadre de l'article 8(4) aux
fins de la déduction de ses frais de repas dans le
calcul de son revenu imposable. Je crois que ledit
article s'applique à son cas. The Shorter Oxford
English Dictionary donne, entre autres, la défini-
tion suivante du mot «ordinarily» (habituelle-
ment): [TRADUCTION] «Dans la plupart' des cas;
usuellement, communément».
Si l'on remplace le mot «habituellement» par les
mots «communément» et «usuellement» qui sont
utilisés dans l'analyse de la situation d'emploi de
l'appelant faite aux paragraphes précédents, on
peut facilement conclure que l'appelant a droit à la
déduction des frais de repas, à moins que l'exis-
tence de deux établissements dans la municipalité
où il exerce son emploi ne vienne changer la
situation. A mon avis, il ne devrait pas en être
ainsi. En toute logique, l'article a pour objet d'éta-
blir en premier lieu dans quelle municipalité l'em-
ployé se présente ordinairement au travail, et
ensuite de déterminer s'il a droit ou non à la
déduction des frais de repas, étant donné que dans
l'exécution de ses fonctions il a dû être absent de
cette municipalité pendant plus de douze heures.
Suivant cette interprétation de l'article, l'existence
d'un ou de plusieurs établissements dans la munici-
palité «principale» est sans importance. Les articles
3(1) et 26(7) de la Loi d'interprétation permettent
d'arriver à une telle interprétation 2 logique, sans
qu'il soit nécessaire de conclure, comme l'a fait le
distingué juge de première instance, que les mots
«municipalité» et «établissement» écrits au singulier
doivent comprendre le pluriel, étant donné, selon
mon interprétation de l'article 8(4), qu'il se dégage
une intention contraire, au sens de l'article 3(1).
En toute déférence, j'estime que le distingué
juge de première instance a commis une erreur
lorsqu'il a conclu [aux pages 84 et 85] que:
Dans ce dernier paragraphe [8(4)], le mot «habituellement»
figure dans le membre de phrase «dans laquelle était situé
l'établissement de l'employeur où il se présentait habituelle-
ment pour son travail». Dans ce contexte il modifie l'expression
«se présentait pour son travail» et restreint la portée que la
phrase aurait si ledit mot n'y figurait pas. L'expression elle-
même «se présentait pour son travail» désigne, je crois, la
présence quotidienne d'un employé à son poste.
Je suis d'avis qu'au contraire l'expression «se
présentait pour son travail» lorsqu'elle est utilisée
en liaison avec le mot «habituellement», selon le
sens que lui donne le dictionnaire, renvoie aux
mots se présentait, et leur confère un sens plus
étendu, à savoir, «dans la plupart des cas» ou
comme une règle générale. Une telle interprétation
des mots coïncide avec ce qui me paraît nécessaire
pour interpréter l'article 8(4) qui doit être lu con-
jointement avec l'article 8(1)h).
L'article 8(1)h) a pour but de permettre aux
employés qui sont tenus en raison de leur emploi
de travailler à l'occasion ailleurs qu'aux lieux où ils
exercent habituellement leurs fonctions, de déduire
les débours que cela leur a occasionnés. L'article
8(4) a pour but d'empêcher les abus dans l'appli-
cation de l'article 8(1)h) et non pas de faire obsta
cle à la déduction légitime de dépenses régulière-
ment engagées alors qu'ils travaillaient à différents
endroits. A mon avis, l'interprétation restrictive
que le juge de première instance a retenue aurait
pour effet de limiter injustement la portée générale
des articles.
2 Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23.
3. (1) A moins qu'une intention contraire n'apparaisse,
chacune des dispositions de la présente loi s'étend et s'appli-
que à tout texte législatif, que celui-ci soit édicté avant ou
après l'entrée en vigueur de la présente loi.
26. ...
(7) Les mots écrits au singulier comprennent le pluriel, et
le pluriel comprend le singulier.
Pour les motifs susmentionnés, je suis d'avis
d'accueillir l'appel et de renvoyer la cotisation en
cause au ministre du Revenu national pour qu'il
établisse une nouvelle cotisation permettant à l'ap-
pelant de déduire ses frais de repas pour l'année
d'imposition 1973, soit la somme de $504. L'appe-
lant devrait avoir droit à ses dépens de l'appel ainsi
qu'à ceux que lui a accordés le jugement de la
Division de première instance.
* * *
LE JUGE HEALD: Je souscris.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY: Je suis d'accord
avec les motifs rendus par mon collègue le juge
Urie ainsi qu'avec les conclusions qu'il a tirées.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.