A-67-78
Le procureur général du Canada (Appelant)
(Défendeur)
c.
Les Brasseries Labatt du Canada Limitée (Inti-
mée) (Demanderesse)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge
Pratte et le juge suppléant Smith—Vancouver, le
11 avril 1979.
Brefs de prérogative — Jugement déclaratoire — Aliments
et drogues — Appel contre un jugement de la Division de
première instance déclarant que le produit étiqueté «Special
Lite.. ne peut être confondu avec la bière légère au sens des
Règlements sur les aliments et drogues — La teneur en alcool
de la bière légère est définie par ces Règlements — La teneur
en alcool est indiquée sur l'étiquette du produit de l'intimée
Le juge de première instance n'attachait aucune importance au
fait que le produit de l'intimée n'était pas conforme aux
normes réglementaires — II échet d'examiner si le juge de
première instance a eu raison de conclure que la bière «Special
Lite.. de Labatt ne saurait être confondue avec la bière légère
au sens des Règlements — Il échet d'examiner si les Règle-
ments établissant les normes de la bière légère sont invalides
— Loi des aliments et drogues, S.R.C. 1970, c. F-27, art. 2, 6,
25, 26 — Règlements sur les aliments et drogues, DORS/54-
664, art. A.01.002, B.01,001, B.01.006, B.02.130, B.02.134.
Appel formé contre un jugement de la Division de première
instance déclarant que le produit de la demanderesse, étiqueté,
empaqueté et vendu sous le nom de Labatt's Special Lite ne
peut être confondu avec la bière légère telle que la définissent
les Règlements d'application de la Loi des aliments et drogues.
Ces Règlements établissent des normes tant pour la «bière» que
pour la «bière légère». Le juge de première instance est arrivé à
la double conclusion qu'indépendamment de l'orthographe pho-
nétique du mot «Lite», l'intimée avait étiqueté, empaqueté et
annoncé son produit comme bière «légère», et que la teneur en
alcool était indiquée sur les étiquettes, sur les cartons et dans la
publicité du produit. Cependant, le juge de première instance
n'a pas considéré comme pertinente à la question à trancher la
conclusion selon laquelle la boisson en cause avait été étiquetée,
empaquetée et annoncée en tant que «bière légère», même si elle
ne répondait pas à la norme prescrite pour la bière légère.
L'intimée fait sienne la conclusion de la Division de première
instance et appuie le jugement en faisant valoir, de façon
subsidiaire, l'invalidité du paragraphe des Règlements établis-
sant les normes de la bière légère; le juge de première instance
n'avait pas remis en question la validité de ce paragraphe.
Arrêt: l'appel est accueilli. La question de savoir si, dans le
cas où une norme a été prescrite pour une catégorie nommée
d'aliments, l'article 6 interdit l'étiquetage, l'empaquetage, la
vente ou l'annonce d'un article non conforme à la norme
prescrite de telle manière qu'il puisse être confondu a) avec
l'aliment ainsi nommé, ou b) avec l'aliment conforme à la
norme prescrite, est une question ambiguë. Le jugement atta-
qué est fondé sur la deuxième interprétation; si celle-ci était
fondée, cela signifierait que l'article 6 interdit seulement de
faire passer pour conforme un article qui n'est pas conforme à
la norme prescrite. La première interprétation est cependant
celle qu'il faut retenir; l'article 6 interdit de présenter comme
appartenant à une catégorie nommée un article qui n'est pas
conforme à la norme prescrite pour les articles de cette catégo-
rie. La Loi prévoit des Règlements établissant des normes pour
les aliments relevant d'une catégorie nommée et, une fois la
norme établie, interdit sous peine de sanction pénale l'étique-
tage, l'empaquetage, la vente ou l'annonce d'un article de telle
manière qu'il puisse être confondu avec un aliment de cette
catégorie, s'il n'est pas conforme à la norme prescrite. Si les
Règlements établissant une norme pour la bière légère sont
valides, l'intimée a enfreint l'article 6. La norme prescrite pour
la bière légère n'excède pas les pouvoirs que le gouverneur en
conseil tient de la Loi. L'objet de la Loi, à savoir la protection
du public contre les risques pour la santé et contre la fraude,
ainsi que la protection du consommateur contre toute fausse
représentation, intentionnelle ou non, quant aux aliments qu'il
consomme, n'outrepasse pas les limites du droit criminel telles
que les définit l'article 91(27) de l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique, 1867.
Arrêt appliqué: Standard Sausage Co. c. Lee [1933] 4
D.L.R. 501 et [1934] I D.L.R. 706.
APPEL.
AVOCATS:
W. J. A. Hobson, c.r. et C. Bruce pour l'appe-
lant (défendeur).
D. M. M. Goldie, c.r. et D. Brown pour
l'intimée (demanderesse).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelant (défendeur).
Russell & DuMoulin, Vancouver, pour l'inti-
mée (demanderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Appel est interjeté
d'un jugement de la Division de première instance
qui a fait droit à une action visant l'obtention d'un
jugement déclaratoire selon lequel:
[TRADUCTION] I. Le produit de la demanderesse, la Labatt's
Special Lite (dont fait état la déclaration et qui a été saisi ou
menacé d'une pareille mesure en vertu des dispositions de la Loi
des aliments et drogues, S.R.C. 1970, c. F-27), de la manière
dont il est étiqueté, empaqueté et vendu et de la manière dont il
aurait été annoncé, ne peut pas être confondu avec de la bière
légère telle que ce produit est décrit à l'article B.02.134 des
Règlements établis sous l'autorité de la Loi des aliments et
drogues.
La Cour a adjugé à l'intimée les frais de l'action.'
L'étiquette de la boisson en cause est ci-après
reproduite à partir d'un échantillon.
Pte.-.,:li"
4.
Es,
8peclal Lite
t oi
ïR
BIÈRE
La Loi des aliments et drogues, S.R.C. 1970, c.
F-27, et les Règlements établis sous son autorité
constituent les textes pertinents en l'espèce. L'ali-
néa 25(1)c) de la Loi prévoit l'établissement d'un
règlement «pour établir des normes de composi
tion, de force ... ou d'autres propriétés d'un
article d'alimentation». «Substance alimentaire» ou
«aliment» comprend, au sens de la définition de
l'article 2, «tout article ... comme pouvant servir
... de breuvage à l'homme». Conformément à
l'article 25, des Règlements ont donc été établis
pour prescrire des normes pour des aliments
notamment pour «la bière» (article B.02.130) et
pour la «bière légère» (article B.02.134). L'article
6 de la Loi se lit comme suit:
6. Lorsqu'une norme a été prescrite pour un aliment, nul ne
doit étiqueter, empaqueter, vendre ou annoncer un article de
telle manière qu'il puisse être confondu avec cet autre aliment,
à moins que l'article ne soit conforme à la norme prescrite.
L'article 26 de la Loi rend passible d'une peine
toute personne qui contrevient à l'une quelconque
des dispositions de cette Loi.
Le jugement déclaratoire rendu par la Division
de première instance correspond à la demande de
redressement contenue dans le paragraphe 1 lb) de
la déclaration. Il est à noter que:
[TRADUCTION] a) le paragraphe 11b) sollicite un jugement
déclaratoire selon lequel la boisson en cause «de la manière dont
' Ni la question de la compétence ni celle de savoir si l'affaire
en cause relève des affaires qui peuvent faire l'objet d'un
jugement déclaratoire n'ont été soulevées par les parties ou ne
semblent à ce point évidentes qu'elles doivent l'être par la Cour.
elle est étiquetée, empaquetée et vendue ...» ne peut pas être
confondue avec de «la bière légère» selon «la norme énoncée à
l'article B.02.134», et que
b) la décision contestée fait droit à une déclaration selon
laquelle cette boisson «de la manière dont elle est étiquetée,
empaquetée et vendue ...» ne peut pas être confondue avec de
«la bière légère telle que ce produit est décrit à l'article
B.02.134».
A mon avis, un jugement déclaratoire ne doit
être accordé que dans la mesure où il répond à un
but pratique immédiat de nature commerciale ou
autre. Le seul but clairement visé par la décision
de l'intimée de contester le jugement déclaratoire
en cause est qu'elle désire, pour des raisons com-
merciales sérieuses, faire reconnaître que l'inter-
diction prévue à l'article 6 ne s'applique ni aux
actes qu'elle a accomplis ni à ceux qu'elle accom-
plira. A mon avis, à moins d'interpréter le juge-
ment comme étant, de fait, une déclaration en ce
sens, la Cour doit le rejeter comme n'étant pas le
résultat d'un exercice compétent du pouvoir discré-
tionnaire de la Cour de rendre de tels jugements. 2
Les parties, par l'intermédiaire de leurs avocats,
sont convenues, au cours de l'argumentation, si je
les ai bien comprises, de considérer le jugement de
la Division de première instance comme un juge-
ment déclaratoire selon lequel, en fait, l'étique-
tage, l'empaquetage et la vente de la boisson en
cause, de la manière dont ces opérations ont été
effectuées, ne contrevenaient pas à l'article 6. Cela
dit, il faut savoir si cette déclaration a été corrobo-
rée par la preuve produite devant la Division de
première instance.
Le jugement attaqué a été rendu par la Division
de première instance qui a tenu pour acquis que
l'article B.02.134 des Règlements avait validement
prescrit une norme pour «la bière légère». Si je l'ai
bien comprise, l'intimée, devant la présente Cour,
fait sienne la position de la Division de première
instance et, en outre, appuie le jugement en faisant
'Indépendamment des principes généraux régissant le pou-
voir discrétionnaire d'un tribunal de rendre des jugements
déclaratoires, il faut préciser que la Cour fédérale ne veut
rendre un tel jugement que si, ce faisant, elle applique une loi
fédérale. La question est de savoir si en rendant un jugement
déclaratoire sur un fait, sans dire s'il découle de la loi fédérale
des conséquences juridiques à même d'agir sur ce fait, la Cour
applique cette loi.
valoir de façon subsidiaire que l'article B.02.134
est invalide.'
Afin de comprendre le raisonnement en vertu
duquel le savant juge de première instance a
conclu que l'intimée était fondée à obtenir le juge-
ment déclaratoire qui lui a été accordé, il est
nécessaire de garder à l'esprit que lorsqu'on lit les
articles B.02.130 et B.02.134 ensemble, on cons-
tate, premièrement, que l'un des deux éléments
obligatoires de la norme prescrite pour «la bière»
est qu'elle
doit renfermer au moins 2.6% et au plus 5.5% d'alcool par
volume; ...
deuxièmement, que l'un des deux éléments obliga-
toires de la normé prescrite pour «la bière légère»
est qu'elle
doit renfermer au moins 1.2% et au plus 2.5% d'alcool par
volume; ...
et, enfin, que l'autre élément obligatoire est que la
boisson doit être le produit de la fermentation
alcoolique d'une infusion de malt d'orge et de
houblon ou d'extrait de houblon dans de l'eau
potable, brassée de telle manière qu'elle possède
l'arôme, le goût et les caractéristiques communé-
ment attribués à
a) la bière, ou à
b) la bière légère,
suivant le cas.
Après avoir examiné la preuve, le savant juge de
première instance est arrivé, entre autres, à deux
conclusions sur les faits fondamentaux, savoir:
a) qu'indépendamment de l'orthographe phoné-
tique du mot «Lite», l'intimée «emploie l'adjectif
`light' (légère) pour décrire sa bière dans son
étiquetage, son empaquetage et sa publicité», et
b) que les étiquettes sur les bouteilles indivi-
duelles, les renseignements sur le carton et la
publicité projetée indiquent tous clairement,
même à l'observateur ou au client le plus dis
trait, que la teneur en alcool est de 4%.
La «question», à son avis, se posait comme suit:
3 A mon avis, si, par ailleurs, l'un des deux moyens venait
confirmer lé jugement attaqué, la déclaration devrait être refor-
mulée afin d'établir clairement qu'il s'agit d'une déclaration
selon laquelle ce qui a été fait ne l'a pas été en violation de
l'article 6.
La demanderesse [l'intimée] a-t-elle étiqueté, empaqueté et
annoncé sa bière Special Lite de telle manière qu'elle puisse
être confondue avec de la bière légère canadienne?
Il a émis l'opinion qu'il s'agissait «d'une question
de fait, une question laissée à l'appréciation du
jury» et que, pour la trancher, il devait tenter de se
mettre à la place de «la personne moyenne, hon-
nête et raisonnable». Après avoir posé la question,
le savant juge de première instance s'est attaqué à
la résoudre de la façon suivante:
La preuve produite ne comporte aucune description, explica
tion ou illustration de l'arôme, du goût et des caractéristiques
communément attribués à la bière légère. La preuve n'établit
pas que le Canadien moyen, honnête et raisonnable connaît ces
attributs-là. A mon avis, le Canadien type en qualité d'acheteur
éventuel du produit de la demanderesse, le considérerait comme
une boisson moins lourde ou pas aussi lourde que d'autres
bières ou comme une bière à plus faible teneur en alcool.
En l'espèce, l'acheteur canadien moyen, honnête et raisonna-
ble se rendrait vite compte (en raison de l'étiquetage, de
l'empaquetage et de la publicité) que le produit de la demande-
resse a une teneur en alcool de 4% en volume et non pas une
teneur en alcool inconnue ou difficile à préciser. Selon l'avocat
du défendeur, le fait pour la demanderesse de révéler en termes
précis une teneur en alcool nettement supérieure à la teneur
maximum de la bière légère ne la soustrait pas à l'interdiction
prévue à l'article 6 de la Loi. L'autre norme («l'arôme, le goût
et les caractéristiques communément attribués à la bière
légère») s'applique également et est aussi importante. Mais, je
le répète, la preuve ne me permet pas de dire ce que le
Canadien moyen, honnête et raisonnable sait de cette norme-là
ou du sens donné au terme bière légère dans le Règlement.
Je conclus de la preuve que la boisson Special Lite («ali-
ment») de la demanderesse n'a pas été étiquetée, empaquetée
ou annoncée de telle manière qu'elle pût être confondue avec la
boisson dite «bière légère» («aliment»).
La décision du juge de première instance est
claire: selon ce dernier, de la manière dont elle a
été étiquetée, empaquetée ou annoncée, la boisson
en cause qui avait une teneur en alcool de 4% en
volume et qui était décrite comme tel, ne pouvait
être confondue avec une boisson satisfaisant à la
norme prescrite pour «la bière légère». Il est évi-
dent qu'il n'a pas considéré comme pertinente à la
question à trancher la conclusion selon laquelle la
boisson en cause a été étiquetée, empaquetée et
annoncée en tant que «bière légère», même si elle
ne répondait pas à la norme prescrite pour «la
bière légère».
Dans ces circonstances, la question de savoir si
la déclaration aurait dû être accordée repose, à
mon avis, si l'on tient compte de l'hypothèse de la
validité de la norme prescrite, sur le sens de l'arti-
cle 6 de la Loi que je cite à nouveau par souci de
commodité:
6. Lorsqu'une norme a été prescrite pour un aliment, nul ne
doit étiqueter, empaqueter, vendre ou annoncer un article de
telle manière qu'il puisse être confondu avec cet autre aliment,
à moins que l'article ne soit conforme à la norme prescrite.
La question de savoir si, dans le cas où une
norme a été prescrite pour une catégorie nommée
d'aliments, l'article 6 interdit l'étiquetage, l'empa-
quetage, la vente ou l'annonce d'un article non
conforme à la norme prescrite de telle manière
qu'il puisse être confondu
a) avec l'aliment ainsi nommé, ou
b) avec l'aliment conforme à la norme prescrite,
est une question, semble-t-il, ambiguë (je n'aurais
toutefois pas pensé que cette ambiguïté se posait).
La deuxième interprétation de l'article est celle sur
laquelle le jugement contesté est fondé. Si cette
interprétation se révélait exacte, alors l'article 6
interdirait seulement de faire passer un article
comme satisfaisant à une norme prescrite à moins
de réellement y satisfaire. Advenant que la pre-
mière interprétation soit exacte, l'article 6 interdi-
rait de faire passer un article comme appartenant
à une catégorie nommée d'articles à moins d'être
conforme à la norme prescrite pour les articles de
cette catégorie. A mon avis, la première interpréta-
tion est celle que l'on doit retenir. Appliquée aux
faits de l'espèce, elle donne à l'article 6 le sens
suivant:
Lorsqu'une norme a été prescrite pour (la bière légère), nul ne
doit étiqueter, empaqueter, vendre ou annoncer un article de
telle manière qu'il puisse être confondu avec (la bière légère), à
moins que l'article ne soit conforme à la norme prescrite.
Si j'en comprends bien l'objet, la Loi des aliments
et drogues, aux termes de cet article, vise à proté-
ger les consommateurs non seulement contre les
aliments dangereux mais également contre toute
fausse représentation sur la composition des ali-
ments. Elle est fondée sur la proposition que les
aliments sont achetés par des personnes qui ne
connaissent ni ne comprennent les détails techni-
ques de la composition des aliments et qui se fient
uniquement aux «noms usuels» 4 des aliments. Par
conséquent, la Loi prévoit la prescription de
«normes» pour des aliments vendus sous divers
noms usuels. Ces normes, dans la mesure où elles
sont régulièrement prescrites, garantissent au con-
sommateur qu'il reçoit un produit correspondant à
celui qu'il s'estime en droit de recevoir lorsqu'il se
fie sur le nom usuel de l'article à l'égard duquel
une norme a été prescrite, qu'il en connaisse ou en
comprenne ou non la description technique. La Loi
prévoit donc l'adoption d'un règlement pour établir
des normes pour «un article d'alimentation»,
c'est-à-dire pour des articles d'une catégorie dési-
gnée d'aliments', et rend passible d'une peine,
lorsqu'une norme a été prescrite pour un «aliment»,
c'est-à-dire pour une catégorie d'aliments', toute
personne qui étiquette, empaquette, vend ou
annonce un article de telle manière qu'il puisse
être confondu «avec cet autre aliment», c'est-à-dire
avec un article de la catégorie qui a fait l'objet
d'une norme', «à moins que l'article ne soit con-
forme à la norme prescrite».
Par conséquent, il découle, selon moi, des con
clusions du savant juge de première instance
portant
4 Il semble que cette proposition soit le fondement des Règle-
ments sur les aliments et drogues (voir C.P. 1954-1915 du 8
décembre 1954, [DORS/54-664] dans sa forme modifiée).
L'article A.01.002 (qui figure dans la Partie A sous la rubrique
«Administration» et le sous-titre «Dispositions générales») pré-
voit que «Lorsqu'il y a lieu, les dispositions du présent règle-
ment établissent les normes de composition, de concentration
... ou autre propriété de la substance alimentaire ... auxquel-
les elles se rapportent». L'article B.01.001 (qui figure dans la
Partie B sous la rubrique «Aliments» et le sous-titre «Disposi-
tions générales») prévoit que dans cette partie, l'expression
«nom usuel» désigne notamment «a) le nom de l'aliment
imprimé en caractères gras .. .»; l'article B.01.006 (qui apparaît
sous le même sous-titre) prévoit, notamment, que sauf disposi
tions contraires, l'étiquette figurant sur l'emballage d'un ali-
ment doit porter dans son espace principal «le nom usuel de
l'aliment». Les Règlements, comme on l'a déjà mentionné,
prescrivent des normes pour la bière et la bière légère et le nom
de chacun de ces articles doit être imprimé en caractères gras.
5 Lorsqu'il existe une disposition législative permettant
l'adoption d'un «règlement» pour établir des normes pour «un
article d'alimentation», j'estime, dans la mesure où le terme
«règlement» sous-entend une règle générale, qu'il s'agit d'une
disposition législative qui permet l'établissement d'une norme
pour une catégorie d'aliments. Il s'ensuit que l'expression
«autre aliment» de l'article 6 renvoie à un article de la catégorie
d'aliments à l'égard de laquelle la norme a été prescrite.
a) que l'intimée «emploie l'adjectif `light'
(légère) pour décrire sa bière dans son étique-
tage, son empaquetage et sa publicité», et
b) que la teneur en alcool de cette bière était de
4%,
que l'intimée a violé l'article 6, dans la mesure où
le Règlement qui a établi la norme pour la bière
légère est valide.
Je passe à l'argument subsidiaire de l'intimée
qui fait valoir, si je le comprends bien, que le
Règlement prescrivant une norme pour la bière
légère est invalide car il équivaut à une tentative
de réglementation des entreprises locales dans cha-
cune des provinces.
Si j'ai bien compris l'avocat de l'intimée, cet
argument ne vise pas à remettre en cause la vali-
dité de la Loi des aliments et drogues; il fait plutôt
valoir, en donnant à l'article 6 le sens que je lui ai
donné, que la norme prescrite pour la bière légère
outrepasse les pouvoirs conférés au gouverneur en
conseil par cette Loi. La position de l'intimée, si je
la comprends bien, est la suivante: la Loi donne le
pouvoir de faire un règlement prescrivant une
norme qui, lue de concert avec l'article 6, interdit
la mise sur le marché de substances alimentaires
dangereuses ou la mise sur le marché frauduleuse
d'un article d'alimentation, c'est-à-dire la vente
d'un article que l'on fait passer comme apparte-
nant à une catégorie ou à une sorte d'articles à
laquelle il n'appartient pas véritablement. Dans ces
conditions, toujours aux termes de l'argument, si la
norme prescrite a pour effet d'interdire la mise sur
le marché d'un article même lorsqu'il n'est pas
question de substances dangereuses ou de fraude,
alors la norme n'en est pas une que le gouverneur
en conseil est autorisé à prescrire.
L'argument est sérieux. De prime abord, les
dispositions en cause de la Loi des aliments et
drogues (ci-après désignée «la Loi en cause») res-
treignent la manière dont diverses entreprises loca
les engagées dans la fabrication et la distribution
d'aliment sont exploitées. Par ailleurs, on peut
dire, sans toutefois en faire l'historique, que la Loi
des aliments et drogues est depuis très longtemps
considérée, dans ses dispositions essentielles,
comme un élément important des textes législatifs
adoptés par le Parlement pour la protection du
public canadien et qu'en restreindre la portée,
comme le propose l'intimée, risquerait très certai-
nement d'ébranler sérieusement, sinon de détruire,
son efficacité actuelle. 6
Il importe, par conséquent, de ne pas retarder
indûment le Règlement de cet appel de manière à
permettre à la Cour suprême du Canada de tran-
cher, en dernier ressort, aussi rapidement que pos
sible, tout doute quant à l'efficacité de la Loi et de
permettre aux autorités législatives compétentes de
prendre, le cas échéant, les mesures correctives
appropriées afin de réduire au minimum la période
au cours de laquelle le public risque de se trouver
démuni de cette protection jugée essentielle par les
autorités susvisées.
J'ai l'intention d'étudier l'argument subsidiaire
de l'intimée à partir de l'hypothèse que la norme
en cause n'a pas été prescrite pour protéger le
public contre un produit dangereux pour la santé
ou contre une fraude car je ne connais aucun
moyen par lequel un tribunal peut, à l'issue d'une
simple étude des Règlements ou autrement, classer
les normes dans la catégorie de celles qui ont été
prescrites pour répondre à l'un de ces objectifs et
celles qui l'ont été afin de s'assurer que le public
reçoit ce qu'il est en droit de recevoir lorsqu'il
achète des aliments d'après leurs noms usuels.
(Dans le cas, par exemple, de la norme pour la
bière légère, il m'est facile de comprendre qu'un
consommateur particulièrement sensible à l'alcool
(qui, compte tenu de la quantité consommée et des
réactions de la personne, peut constituer un risque
pour la santé) puisse être trompé par le nom «bière
légère» et croire qu'il achète une boisson dont la
teneur en alcool est infime par rapport à la teneur
en alcool de la bière ordinaire; et selon moi, il est
fort probable qu'un avertissement quant à la
teneur en alcool de la bière légère soit, aux yeux de
6 Les problèmes d'exécution qui pourraient se poser si, au
terme de chaque poursuite, la Cour devait trancher la question
de savoir si la norme en cause vise à protéger le public contre
un danger pour la santé ou contre une fraude ou vise simple-
ment à le protéger contre toute fausse représentation, sont
évidents. Si le temps nous le permettait, ii serait intéressant de
faire des recherches sur les antécédents législatifs de la Loi afin
de déterminer si, lorsqu'elle a été adoptée pour la première fois,
le Parlement, par préambule ou autrement, a fait connaître la
«matière» véritable du «droit» (voir les articles 91 et 92 de l'Acte
de l'Amérique du Nord britannique, 1867) ou si des modifica
tions ont par la suite été apportées par le Parlement ou par la
Commission de révision des lois.
cette personne, dénué de tout sens dans la mesure
où il n'y a pas de comparaison avec la teneur en
alcool de la bière ordinaire.)
J'estime, par conséquent, que la Loi en cause ne
peut être lue sous réserve de la limitation implicite
avancée par l'intimée et qu'il faut donc conclure
qu'elle est ultra vires dans son ensemble ou que la
norme contestée est valide.
Si j'ai bien compris son argument, l'intimée fait
valoir que la restriction du pouvoir du gouverneur
en conseil de prescrire des normes est fondée sur
l'affirmation qu'il serait ultra vires des pouvoirs du
Parlement d'interdire la vente d'articles sous des
noms trompeurs car le pouvoir de faire des lois en
matière criminelle n'équivaudrait, dans ce
domaine, qu'à l'imposition d'une peine de nature
criminelle relativement à des actes qui sont dange-
reux pour la santé ou frauduleux. J'ai l'intention
d'étudier cet argument et, compte tenu de la con
clusion que je prendrai à cet égard, je ne me
reporterai pas à la question de savoir si la Loi en
cause trouve son fondement dans le préambule ou
le paragraphe (2) de l'article 91 de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique, 1867.
En premier lieu, il faut souligner que la Loi en
cause ne tombe pas dans le cadre des lois recon-
nues comme étant ultra vires du Parlement, savoir,
par exemple, celles
a) qui tentent, par l'octroi de permis, de régle-
menter les entreprises locales d'une province 7 ;
b) qui réglementent ce qui peut ou non être
fabriqué ou vendu dans une provinces; ou
c) qui donnent naissance à des droits de nature
délictuelle ou contractuelle découlant de la con-
duite de personnes exploitant des entreprises
locales dans une province. 9
D'un point de vue constitutionnel, la Loi en
cause, si je la comprends bien, interdit la mise sur
le marché d'un aliment sous un nom spécifique qui
a fait l'objet d'une norme à moins que cet aliment
ne soit conforme à cette norme.
7 Le Roi c. Eastern Terminal Elevator Company [1925]
R.C.S. 434; et Le renvoi relatif à l'article 16 de la Loi spéciale
des revenus de guerre [1942] R.C.S. 429.
s Canadian Federation of Agriculture c. Le procureur géné-
ral du Québec [1951] A.C. 179.
9 MacDonald c. Vapor Canada Limited [1977] 2 R.C.S. 134.
La Cour d'appel de la Colombie-Britannique,
dans un arrêt mettant en cause une version anté-
rieure de la Loi des aliments et drogues 10 , a décidé
que le Parlement en adoptant une telle interdic
tion, exerçait validement son pouvoir de faire des
lois en matière criminelle; et, sous réserve de diffé-
rences de nature constitutionnelle entre les faits de
cet arrêt et les faits de l'espèce, je suis d'avis que la
présente Cour doit faire sienne et appliquer la
décision de la Cour d'appel de la Colombie-Britan-
nique.
Même si le libellé de la Loi en cause est, dans
une certaine mesure, différent du texte législatif
étudié par la Cour d'appel de la Colombie-Britan-
nique (par exemple, aux termes de la Loi en cause,
un aliment qui n'est pas conforme à la norme
prescrite n'est pas réputé être «falsifié»), j'estime,
d'un point de vue constitutionnel, qu'on arrive à la
même conclusion. Dans l'arrêt précité, la Cour a
conclu que l'interdiction de vendre un aliment
représenté comme étant de la «viande fraîche»
alors que cet aliment renfermait un agent prohibé
par la norme prescrite pour de la «viande fraîche»,
était bien fondée en droit criminel et ce, même si
l'aliment en cause ne constituait pas un risque
pour la santé. Je ne vois aucune différence entre
cette interdiction et la Loi en cause.
L'essence de la Loi contestée en l'espèce, si je la
comprends bien, est que la vente d'une substance
alimentaire fait l'objet d'une peine de nature cri-
minelle lorsque cette substance, mise sur le marché
sous un nom, n'est pas conforme à la norme pres-
crite pour ce nom. L'objet de la Loi contesté, selon
moi, n'est pas seulement de protéger le public
contre les risques pour la santé et les cas de fraude
mais également de protéger les consommateurs
contre toute fausse représentation, volontaire ou
non, quant aux aliments qu'ils consomment. Ce
but, si j'ai bien compris la jurisprudence, n'outre-
passe pas les limites du droit criminel telles qu'el-
les existent en vertu de l'article 91(27) de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique, 1867."
1 0 Standard Sausage Co. c. Lee [1933] 4 D.L.R. 501 et
[1934] 1 D.L.R. 706.
" Voir Proprietary Articles Trade Association c. Le procu-
reur général du Canada [1931] A.C. 310, lord Atkin, aux
pages 323 et 324. [TRADUCTION] a... si le Parlement décide à
bon droit que lesdites activités commerciales doivent être répri-
mées dans l'intérêt public, leurs Seigneuries ne voient pas
pourquoi le Parlement ne pourrait pas en faire des crimes», et
également [TRADUCTION] «Le droit est criminel en ce qu'il
Même si je reconnais que la ligne de démarca-
tion entre la Loi en cause et une loi qui réglemente
des entreprises locales est mince en raison de
a) la nature de l'interdiction, et de
b) la délégation par le Parlement du pouvoir de
prescrire des normes,
je constate, après avoir lu les motifs du jugement
de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique,
que cette dernière a étudié l'affaire en prenant en
considération les deux points de vue. Comme je l'ai
déjà indiqué, je suis d'avis que la présente Cour
doit faire sienne et appliquer la décision de la Cour
d'appel précitée.
Pour ces motifs, je suis d'avis d'accueillir l'appel
avec dépens, de rejeter le jugement de la Division
de première instance ainsi que l'action engagée
devant la Division de première instance, avec
dépens.
* * *
LE JUGE PRATTE y a souscrit.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT SMITH y a souscrit.
désigne la qualité de certains actes ou omissions qui sont
interdits par l'État en vertu de dispositions pénales appro-
priées*. Le problème est bien entendu de faire la distinction
entre une loi pénale à caractère véritable et une loi déguisée,
c'est-à-dire une loi portant sur l'une des catégories de sujets de
l'article 92 et justifiée [TRADUCTION] *par l'adoption de dispo
sitions accessoires qui correspondent à de nouveaux aspects du
droit criminel du Dominion*. Voir Le procureur général de
l'Ontario c. Reciprocal Insurers [1924] A.C. 328, le juge Duff
(alors juge puîné) aux pages 340 et suiv.
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