T-1794-79
John Martin (Requérant)
c.
H. H. Chapman (Intimé)
et
Le sous-procureur général du Canada et le Conseil
de bande de la réserve indienne de Maria
(Mis-en-cause)
Division de première instance, le juge Marceau—
Québec, le 26 octobre; Ottawa, le 28 novembre
1979.
Brefs de prérogative — Mandamus — Indiens — Droit
d'être inscrit au registre des Indiens — Le requérant, qui est né
de l'union hors mariage d'un Indien et d'une blanche, a
demandé son inscription comme membre de la bande de son
père, en application de l'art. 11(1)c) de la Loi sur les Indiens
— Le Registraire a rejeté la demande parce que le requérant
n'est pas un enfant légitime — Il échet d'examiner si le
requérant a le droit d'être inscrit et si la Cour a lieu d'enjoin-
dre au Registraire, par ordre de mandamus, de donner suite à
la demande d'enregistrement — Loi sur les Indiens, S.R.C.
1970, c. I-6, art. 11(1)c).
Distinction faite avec l'arrêt: Brule c. Plummer [1979] 2
R.C.S. 344. Arrêt suivi: Ville de Montréal Ouest c. Hough
[1931] R.C.S. 113.
REQUÊTE.
AVOCATS:
R. Poirier pour le requérant.
L'intimé n'était pas représenté.
J. M. Aubry pour les mis-en-cause.
PROCUREURS:
Poirier & Mill, Bonaventure, pour le requé-
rant.
L'intimé n'était pas représenté.
Le sous-procureur général du Canada pour
les mis-en-cause.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran-
çais par
LE JUGE MARCEAU: La question qui se pose ici
est très précise et aussi bien la définir dès le
départ. Il s'agit de savoir si l'alinéa c) du paragra-
phe (1) de l'article 11 de la Loi sur les Indiens,
S.R.C. 1970, c. I-6, vise un enfant illégitime aussi
bien que légitime. Cet article est celui qui, dans la
Loi, précise les personnes qui ont droit d'être
inscrites au registre des Indiens; il faut le lire en
son entier pour comprendre la difficulté:
11. (1) Sous réserve de l'article 12, une personne a droit
d'être inscrite si
a) elle était, le 26 mai 1874, aux fins de la loi alors intitulée:
Acte pourvoyant à l'organisation du Département du Secré-
taire d'État du Canada, ainsi qu'à l'administration des
Terres des Sauvages et de l'Ordonnance, chapitre 42 des
Statuts du Canada de 1868, modifiée par l'article 6 du
chapitre 6 des Statuts du Canada de 1869 et par l'article 8
du chapitre 21 des Statuts du Canada de 1874, considérée
comme ayant droit à la détention, l'usage ou la jouissance des
terres et autres biens immobiliers appartenant aux tribus,
bandes ou groupes d'Indiens au Canada, ou affectés à leur
usage;
b) elle est membre d'une bande
(i) à l'usage et au profit communs de laquelle des terres
ont été mises de côté ou, depuis le 26 mai 1874, ont fait
l'objet d'un traité les mettant de côté, ou
(ii) que le gouverneur en conseil a déclarée une bande aux
fins de la présente loi;
c) elle est du sexe masculin et descendante directe, dans la
ligne masculine, d'une personne du sexe masculin décrite à
l'alinéa a) ou b);
d) elle est l'enfant légitime
(i) d'une personne du sexe masculin décrite à l'alinéa a)
ou b), ou
(ii) d'une personne décrite à l'alinéa c);
e) elle est l'enfant illégitime d'une personne du sexe féminin
décrite à l'alinéa a), b) ou d); ou
J) elle est l'épouse ou la veuve d'une personne ayant le droit
d'être inscrite aux termes de l'alinéa a), b), c), d) ou e).
Le requérant, qui est né le 27 octobre 1953 de
l'union hors mariage d'une blanche et d'un Indien
membre inscrit de la bande connue sous le nom de
«Micmacs de Maria», s'est vu dénier par l'intimé,
le Registraire du registre des Indiens, le droit
d'obtenir son inscription comme membre de la
bande de son père. Le Registraire lui fit savoir que
l'article 11(1)c) qu'il invoquait ne lui était pas
applicable parce qu'il n'était pas un enfant légi-
time. La présente requête, à laquelle s'oppose le
sous-procureur général du Canada, a naturelle-
ment pour but d'obtenir que le droit du requérant,
en vertu de l'alinéa en cause, soit reconnu et que le
Registraire soit enjoint, par ordre de mandamus,
de donner suite à la demande d'enregistrement.
Ce n'est pas la première fois, en fait, que cette
question de savoir si le mot «descendant» utilisé par
le législateur dans l'article 11(1)c) de la Loi sur
les Indiens doit s'entendre au sens large de progé-
niture, légitime ou non peu importe, ou au sens
étroit de descendant légitime seulement. Elle fut
soulevée de façon précise, une fois déjà, devant la
Cour supérieure de la province de Québec, dans la
cause Margaret Valerie Chrystal Two Axe c. Iro-
quois of Caughnawaga Band Council, et le tribu
nal, sous la présidence de l'honorable juge Bard,
confirma alors l'interprétation restrictive tradition-
nelle adoptée par l'administration. Cette décision
du 9 décembre 1977, cependant, ne saurait consti-
tuer un précédent véritable, parce qu'elle fut
rendue à partir essentiellement d'une prémisse
qu'on ne peut plus aujourd'hui accepter comme
telle. Invoquant une série d'autorités anglaises et
canadiennes, au premier rang desquelles il plaçait
l'arrêt de la Cour suprême dans Ville de Montréal
Ouest c. Hough [1931] S.C.R. 113—arrêt qui
portait sur l'interprétation de l'article 1056 du
Code civil québécois—le juge Bard, en effet, part
du postulat que les mots «enfant», «parent» et
«descendant» utilisés seuls dans un acte législatif
doivent s'entendre en principe d'enfant, parent ou
descendant légitimes, étant donné que notre droit
entend ignorer, sauf pour des fins limitées et for-
mellement prévues, la relation filiale purement
naturelle. [TRADUCTION] «Il s'ensuit», écrit le
juge, «que puisque aucune disposition de l'article
11(1)c) n'inclut l'enfant illégitime parmi les des
cendants directs dans la ligne masculine d'un
Indien du sexe masculin, le législateur entendait
l'exclure. Il faut donc conclure que l'article
11(1)c) ne s'applique pas à l'enfant illégitime».
Mais justement la Cour suprême dans une décision
toute récente, Brule c. Lois Evelyn Plummer, exé-
cutrice de la succession de feu Rudolph Joseph
Brule [1979] 2 R.C.S. 343, où il s'agissait d'inter-
préter le mot «enfant» tel qu'utilisé dans The Insu
rance Act, de l'Ontario, S.R.O. 1960, c. 190, rejeta
la prémisse de départ du juge Bard. Le juge en
chef, écrivant pour la majorité, s'exprima claire-
ment sur ce point dès les premières phrases de ses
motifs [à la page 346]:
Il est cependant indéniable que dans son sens ordinaire et
littéral, le mot «enfant» désigne la progéniture, la descendance
directe de la mère qui a mis l'enfant au monde et du père qui
l'a engendré. Prétendre que le mot «enfant», quand il n'est pas
défini dans une loi, désigne un enfant légitime seulement, ce
n'est pas lui donner son sens ordinaire, mais c'est plutôt le lui
enlever, en lui imposant, au nom de la common law, une
restriction juridique et lui donner une interprétation judiciaire
qui met l'enfant illégitime au ban du droit.
Il est manifeste que l'issue de ce litige dépend du point de
départ adopté. Si l'on part du sens courant et biologique du
mot, qui comprend les enfants illégitimes, il faut invoquer
d'autres considérations comme le contexte et l'histoire pour le
changer. En revanche, si, comme le soutient l'appelante, on part
du sens prétendument obligatoire en common law, le change-
ment dépend également d'autres considérations. Il me semble
donc que si rien dans la loi, considérée dans son ensemble, ne
vise à restreindre la notion d'enfant aux enfants légitimes, il
nous appartient carrément dès lors de décider s'il faut à ce
stade-ci continuer de donner à ce mot le sens restreint que
certains tribunaux lui ont attribué par le passé. Cette Cour ne
s'est jamais prononcée directement sur ce point et, en l'absence
de directive expresse du législateur, elle est donc libre de
parvenir à l'interprétation qu'elle estime la meilleure.
La solution du problème que pose l'interpréta-
tion du texte en cause ne peut donc plus se satis-
faire d'un raisonnement basé sur une sorte de
présomption à l'effet que le législateur ne penserait
normalement qu'en terme de légitimité. Cette solu
tion, il faut la dégager aujourd'hui en partant
d'une présomption exactement inverse, ce qui exige
évidemment un réexamen à partir d'une approche
toute différente. C'est ce que j'ai tenté de faire. Il
arrive cependant que la conclusion à laquelle je
suis arrivé est finalement restée la même que celle
du juge Bard car, à mon avis, le contexte législatif
dans lequel s'insère cet article 11(1)d) de la Loi
sur les Indiens force à admettre que la règle qu'il
édicte ne peut concerner que les descendants légiti-
mes. Voici pourquoi je pense ainsi.
Premièrement. Une lecture d'ensemble de cette
Loi sur les Indiens montre clairement, à mon sens,
que le Parlement s'est constamment préoccupé, en
exprimant sa volonté, de distinguer les enfants
illégitimes des enfants légitimes, mais alors qu'il
n'a utilisé le qualificatif «légitime» que très excep-
tionnellement (lorsque la disposition à énoncer exi-
geait une plus grande clarification parce que voi-
sine d'une disposition parallèle d'opposition,
comme on le voit dans les alinéas d) et e) de
l'article ici concerné), il a, de façon répétée, prévu
le cas de l'enfant illégitime en le désignant comme
tel formellement et expressément. Ainsi à l'article
48 relatif à la dévolution des biens at intestat,
après avoir couvert le cas des enfants sans préci-
sion, il réglemente spécifiquement le cas des
enfants illégitimes. Ainsi encore à l'article 68 rela-
tif au soutien des enfants, des règles, détachées de
celles édictées pour les enfants sans précision,
visent spécifiquement les enfants illégitimes. Les
rédacteurs de la Loi étaient sans doute convaincus
de l'acceptation de cette prémisse que la Cour
suprême a rejetée à l'effet que le terme «enfant»
employé seul s'entendrait normalement de l'enfant
légitime.
Deuxièmement et surtout. Si on accepte la thèse
du requérant à l'effet que cet alinéa c) de l'article
11(1) donne au fils illégitime d'un Indien le statut
d'Indien, on rend inintelligible l'alinéa d) au terme
duquel l'enfant, fils ou fille, d'un Indien peut
revendiquer le statut d'Indien à la condition d'être
légitime. Le résultat est évidemment inacceptable:
la disposition équivoque d'un article doit autant
que possible être interprétée de façon à donner
effet aux autres dispositions auxquelles elle est
rattachée (voir parmi bien d'autres l'arrêt Mont-
real Light, Heat and Power Co. c. Cité de Mont-
réal [1924] 2 D.L.R. 605). C'est pourquoi d'ail-
leurs je ne crois même pas qu'en adoptant cet
alinéa c), le législateur ait eu en vue le propre fils
d'un Indien; ce sont les autres descendants dont il
voulait parler. Je pense, en effet, que le législateur
est parti de l'idée que le statut d'Indien devait être
réservé à celui dont on était certain que le sang
était indien. Or, cette certitude ne peut évidem-
ment venir que d'une preuve irréfutable de filia-
tion, preuve qui n'est possible en réalité, qu'à
l'égard de la mère, et en droit, par l'effet de la
présomption bien connue pater is est, à l'égard du
père légitime. En parlant de l'enfant légitime de
l'Indien à l'alinéa d) (l'enfant légitime de l'In-
dienne n'a pas à être considéré, car ou bien celle-ci
est mariée à un Indien, et là pas de problème, ou
bien elle ne l'est pas et par le fait même elle n'a
plus le statut d'Indien (article 14)), et de l'enfant
illégitime de l'Indienne, à l'alinéa e), le législateur
couvre tous les enfants légitimes et illégitimes à
qui il est disposé à reconnaître le statut d'Indien.
Dans ce contexte, l'alinéa c) ne peut être compris
que comme visant une filiation autre qu'au pre
mier degré, i.e. un descendant au-delà du fils, et
puisqu'il s'agit de filiation paternelle, il faut com-
prendre filiation paternelle légitime, puisqu'il
serait absurde de penser qu'on ait pu vouloir
donner au petit-fils illégitime d'un Indien un statut
que son fils illégitime, lui, ne pouvait revendiquer.
Sans doute peut-on s'interroger sur la véritable
utilité pratique de la disposition ainsi comprise,
mais je ne crois pas qu'il me soit nécessaire de
m'employer à dégager les hypothèses que le légis-
lateur ait pu avoir en vue; il me suffit de penser
que c'est là la seule interprétation qui donne à la
disposition elle-même et aux autres auxquelles elle
est rattachée un sens cohérent.
Je suis donc d'avis que l'intimé a raison de nier
au requérant le droit d'être inscrit sur le registre
des Indiens en vertu de l'article 11(1)c) de la Loi
sur les Indiens: cette disposition ne saurait être
invoquée aux fins d'enregistrement sur le registre
par l'enfant illégitime d'un Indien.
La requête en mandamus sera donc rejetée.
ORDONNANCE
La requête est rejetée avec dépens.
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