T-1867-79
Andrew Graydon Bruce et Sandra Gaye Meadley
(Requérants)
c.
Herbert Reynett, en sa qualité de chef d'institu-
tion du pénitencier de la Colombie-Britannique,
Donald Yeomans, en sa qualité de commissaire à
la discipline, et tout fonctionnaire du Service
canadien des pénitenciers agissant sous les ordres
du commissaire à la discipline en vertu de l'article
13(3) de la Loi sur les pénitenciers (Intimés)
Division de première instance, le juge Walsh—
Vancouver, les 9, 10 et 26 avril 1979.
Brefs de prérogative — Quo warranto — Mandamus —
Injonction — Un détenu placé à l'écart s'est vu refuser la
permission de se marier — Ce détenu pourrait également faire
l'objet, contre son gré, d'un transfèrement dans une institution
à l'extérieur de la province — Demande de quo warranto pour
déterminer si le chef d'institution était habilité à exercer la
fonction ou la compétence dont se réclamait sa décision —
Demande de mandamus visant à obliger le chef d'institution à
interpréter toute loi du Canada relative au mariage envisagé et
ce, conformément à la Déclaration canadienne des droits —
Demande d'injonction interdisant au chef d'institution de s'in-
gérer dans le mariage envisagé sauf dans la mesure de sa
compétence — Demande d'injonction interdisant au commis-
saire à la discipline de procéder à l'éventuel transferement
contre le gré du détenu — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C.
1970 (2e Supp.), c. 10, art. 18 — Règlement sur le service des
pénitenciers, DORS/62-90, art. 2.10, 2.27, 2.30(1),(2) —
Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, c. 44 (S.R.C.
1970, Appendice III), art. 1, 2b),e).
Les requérants Meadley et Bruce (détenu placé à l'écart au
pénitencier de la Colombie-Britannique) se fondent sur l'article
18 de la Loi -sur la Cour fédérale pour demander justice à la
suite de la décision du chef d'institution qui leur refusait la
permission de se marier. Ils demandent un bref de quo war-
ranto pour déterminer si le chef d'institution du pénitencier
était habilité à exercer la fonction ou la compétence dont se
réclamait la décision par laquelle il refusait la permission de
mariage. A titre subsidiaire, ils demandent un bref de manda-
mus obligeant le chef d'institution à interpréter et à appliquer,
conformément à la Déclaration canadienne des droits, toute loi
du Canada lui conférant la compétence concernant le mariage
envisagé et à agir équitablement dans l'exercice de cette com-
pétence. Ils demandent également une injonction interdisant au
chef d'institution d'intervenir dans le mariage envisagé sauf
dans la mesure de sa compétence. Enfin, ils demandent une
injonction interdisant au commissaire à la discipline ou aux
fonctionnaires sous ses ordres d'exercer leur compétence, quelle
qu'elle soit, pour transférer le requérant Bruce dans une insti
tution à l'extérieur de la Colombie-Britannique, tant que n'au-
ront pas été réglées toutes les questions relatives au mariage
envisagé et tant qu'ils ne se seront pas acquittés de leur devoir
d'équité en révélant aux requérants les faits qui leur sont
reprochés et en leur donnant la possibilité d'y répondre, en ce
qui concerne le mariage tout comme le transfèrement envisagé.
Arrêt: la demande est rejetée. Le bref de quo warranto ne
vise pas plus que le simple droit d'occupation d'une fonction ni
ne s'étend aux situations où la personne concernée excède les
pouvoirs de sa fonction. Il n'est pas le moyen de droit à faire
valoir en l'espèce même si le chef d'institution a excédé ses
pouvoirs en refusant aux requérants la permission de se marier.
Il y a lieu pour les requérants de faire valoir les moyens
subsidiaires. L'ordre permanent en vertu duquel M. Reynett a
refusé d'autoriser le mariage et son pouvoir de refus sont
valides. Il ne faut pas conclure que la Déclaration canadienne
des droits s'applique en l'espèce, car le droit de se marier n'est
pas un des droits fondamentaux spécifiquement protégés par
cette loi, même s'il s'agit d'un droit issu de la common law dont
l'inapplicabilité n'est pas spécifiquement prévue par la Loi sur
les pénitenciers et le Règlement d'application. Une personne
purgeant une peine d'emprisonnement perd inévitablement
beaucoup de droits et ne jouit que des droits autorisés par le
Règlement. On ne peut en conclure que la Loi sur les péniten-
ciers et le Règlement d'application violent la Déclaration cana-
dienne des droits parce qu'il n'y est pas spécifiquement énoncé
qu'ils sont applicables malgré cette dernière. Le chef d'institu-
tion a simplement exercé sa discrétion administrative en refu-
sant la permission de mariage même s'il a pu accorder cette
permission à d'autres prisonniers en d'autres occasions. Le
requérant ne saurait prétendre qu'on l'a privé du droit à
l'égalité devant la loi. Le chef d'institution avait néanmoins
l'obligation d'agir équitablement. La Cour n'a pas le pouvoir
d'examiner une décision administrative au fond: elle doit se
limiter à apprécier si la décision et la manière dont elle a été
rendue sont équitables. Rien n'indique que le chef d'institution
a agi de façon inéquitable. En conséquence, il ne sera délivré
contre le chef d'institution ni mandamus ni injonction lui
interdisant de faire obstacle au mariage envisagé. Il n'y a pas
lieu à injonction sur une base quia timet pour empêcher un
transfèrement qui peut ne jamais avoir lieu. Bien qu'une déci-
sion en matière de transfèrement soit de nature administrative,
elle doit néanmoins être équitable et tenir compte de tous les
éléments. On ne peut alléguer qu'une décision n'a pas été
rendue de façon équitable lorsqu'en fait, aucune décision n'a
été prise et qu'il n'existe que des indices de ce qui pourrait
arriver dans un avenir indéterminé.
REQUÊTE.
AVOCATS:
John Conroy pour les requérants.
W. B. Scarth pour les intimés.
PROCUREURS:
Abbotsford Community Legal Services,
Abbotsford, pour les requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: En vertu de l'article 18 de la
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.),
c. 10, les requérants font les demandes de redresse-
ment suivantes:
1. Un bref de quo warranto pour déterminer si
l'intimé Herbert Reynett, en sa qualité de direc-
teur du pénitencier de la Colombie-Britannique, a
le droit d'exercer la fonction ou la compétence
réclamées dans sa décision du 23 mars 1979 inter-
disant au requérant Andrew Graydon Bruce
d'épouser la requérante Sandra Meadley.
2. Subsidiairement, un bref de mandamus obli-
geant ledit intimé Herbert Reynett, en sa qualité
de chef d'institution du pénitencier de la Colom-
bie-Britannique, d'interpréter et d'appliquer toute
loi du Canada lui conférant la compétence concer-
nant le mariage envisagé entre le requérant
Andrew Graydon Bruce et Sandra Meadley de
manière à ne pas supprimer, restreindre ou
enfreindre directement ou indirectement l'un quel-
conque des droits et des libertés fondamentales
reconnus dans la Déclaration canadienne des
droits, et l'obligeant, en sa qualité précitée, à agir
équitablement dans l'exercice de sa compétence
ainsi conférée, conformément au devoir de tout
administrateur d'agir équitablement.
3. Une injonction interdisant à cet intimé, en sa
qualité précitée, d'intervenir dans le mariage envi-
sagé entre les requérants, sauf dans la mesure de
sa compétence; et
4. Une injonction interdisant à l'intimé Donald
Yeomans, en sa qualité de commissaire à la disci
pline, ainsi qu'à tout autre fonctionnaire du Ser
vice canadien des pénitenciers agissant sous ses
ordres en vertu de l'article 13(3) de la Loi sur les
pénitenciers, S.R.C. 1970, c. P-6, d'exercer quel-
que compétence que ce soit en vertu de cet article,
pour transférer le requérant Andrew Graydon
Bruce à l'institution Millhaven, dans la province de
l'Ontario, ou à toute autre institution en dehors de
la province de la Colombie-Britannique tant que:
a) n'auront pas été réglées toutes les questions
relatives au mariage envisagé entre les requé-
rants, et
b) qu'ils n'auront pas exécuté leur devoir géné-
ral d'équité envers les requérants en leur révé-
lant tous les motifs d'interdiction et en leur
donnant l'occasion raisonnable d'y répondre, à
la fois en ce qui concerne le mariage et le
transfert envisagés.
La demande est accompagnée d'affidavits signés
par Sandra Meadley et Andrew Graydon Bruce,
auxquels sont annexés divers documents. Toute-
fois, la demande est principalement fondée sur un
mémoire daté du 23 mars 1979 et envoyé par
Herbert Reynett, en sa qualité de directeur du
pénitencier de la Colombie-Britannique, à Andrew
Graydon Bruce pour lui faire part des motifs pour
lesquels il avait interdit le mariage. Le mémoire se
réfère à une conversation qu'il a eue avec Bruce
neuf mois auparavant concernant le désir de ce
dernier d'épouser Sandra Meadley. Le mémoire
fait en outre mention d'une longue enquête qui a
permis de recueillir certains documents parmi les-
quels on trouve des documents ou rapports fournis
par le père A. Roy, le révérend T. Speed, le
procureur général de la Colombie-Britannique et
le bureau de Vancouver de la Commission natio-
nale des libérations conditionnelles, de même
qu'un dossier complet et récent sur Bruce fourni
par le fonctionnaire chargé du classement de
celui-ci. Le directeur fait également mention de
trois conversations qu'il a eues avec Mlle Meadley
desquelles il a conclu qu'elle est entièrement dispo
sée pour le mariage envisagé. Le directeur déclare
qu'il lui incombe de décider d'une part où, en cas
d'approbation, ce mariage peut être célébré et,
d'autre part, si cette activité menace la sécurité de
l'institution. Voici sa conclusion:
[TRADUCTION] Compte tenu des restrictions imposées à un
individu incarcéré en vertu de l'article 2.30(1)a) du Règlement
sur le service des pénitenciers, et particulièrement de celles
ayant trait aux visites, je contreviendrais à mes propres ordres
permanents en autorisant ce mariage.
Comme votre conduite dans le passé a justifié votre transfert à
une unité spéciale de détention où vous avez été tenu en
isolation cellulaire depuis 1975, je ne peux qu'en conclure
qu'une permission de mariage, alors qu'on vous interdit de vous
joindre aux autres, porterait atteinte à la sécurité de
l'institution.
Je crois que, dans les présentes circonstances, le mariage repré-
sente un espoir illusoire de satisfaction personnelle. Je com-
prends que vous avez des intentions sincères qui montrent un
progrès très net et qui témoignent d'une volonté ferme de
changement. Toutefois, jusqu'à ce que vous prouviez une capa-
cité à vous adapter au cadre habituel d'un pénitencier, je ne
peux pas autoriser la célébration de ce mariage.
Quoique la lettre ne se reporte qu'au seul article
2.30(1)a) du Règlement, il vaut mieux reproduire
ci-après l'article au complet puisque le paragraphe
(2) a été invoqué par les requérants à l'appui de
l'allégation qu'en l'espèce, l'interdiction de se join-
dre aux autres n'a pas été imposée à Bruce à titre
de peine à laquelle il avait été condamné. Voici le
libellé de l'article en question:
2.30. (1) Si le chef de l'institution est convaincu que,
a) pour le maintien du bon ordre et de la discipline dans
l'institution, ou
b) dans le meilleur intérêt du détenu,
il est nécessaire ou opportun d'interdire au détenu de se joindre
aux autres, il peut le lui interdire, mais le cas d'un détenu ainsi
placé à l'écart doit être étudié, au moins une fois par mois, par
le Comité de classement qui recommandera au chef de l'institu-
tion la levée ou le maintien de cette interdiction.
(2) Un détenu placé à l'écart n'est pas considéré comme
frappé d'une peine à moins qu'il n'y ait été condamné, et il ne
doit, pour autant, perdre aucun de ses privilèges et agréments,
sauf ceux
a) dont il ne peut jouir qu'en se joignant aux autres détenus,
ou
b) qui ne peuvent pas raisonnablement être accordés, compte
tenu des limitations du lieu où le détenu est ainsi placé à
l'écart et de l'obligation d'administrer ce lieu de façon
efficace.
Il convient d'examiner les faits ayant conduit à
la mise à l'écart du requérant Bruce, ainsi que les
mesures prises en vue du mariage des requérants
telles qu'elles ont été énoncées dans les affidavits
et les documents y annexés. Andrew G. Bruce et
Sandra G. Meadley, âgés respectivement de 30 et
23 ans, sont nés à North Vancouver. Bruce, con-
damné pour meurtre le 19 juin 1970, a reçu une
sentence d'emprisonnement à vie. D'après une
lettre de la Commission des libérations condition-
nelles, il sera admissible à la libération condition-
nelle le 23 avril 1980. Il a déclaré, dans son
affidavit, qu'à l'exception des deux premières
semaines suivant immédiatement le prononcé de sa
sentence, d'une période de trois mois au début de
1971, d'une période de deux mois à la fin de 1971
et d'une période de six mois allant du 18 décembre
1974 au 9 juin 1975, il a purgé sa peine en
isolement cellulaire. Ainsi depuis le 9 juin 1975, il
a toujours été, en vertu de l'article 2.30, en isole-
ment cellulaire au pénitencier de la Colombie-Bri-
tannique, soit depuis une période continue de pres-
que quatre ans. L'affidavit fait renvoi à la décision
rendue par le juge Heald dans l'affaire McCann c.
La Reine' où le requérant Bruce était l'un des
demandeurs qui cherchaient à obtenir une déclara-
tion portant que l'isolement cellulaire constitue
une peine cruelle et inusitée au sens de la Déclara-
tion canadienne des droits. Toutefois, la Cour a
statué que la décision d'imposer une peine d'isole-
ment cellulaire en vertu de l'article 2.30(1)a) était
de caractère purement administratif et que les
demandeurs ne pouvaient obtenir la déclaration
demandée puisque ni l'article la) ni l'article 2e) de
la Déclaration canadienne des droits n'étaient
applicables. Voici le libellé de l'article 1 et celui de
l'article 2b) et e) de cette loi 2 :
1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de
l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont
existé et continueront à exister pour tout individu au Canada
quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa
religion ou son sexe:
a) le droit de l'individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de
la personne ainsi qu'à la jouissance de ses biens, et le droit de
ne s'en voir privé que par l'application régulière de la loi;
b) le droit de l'individu à l'égalité devant la loi et à la
protection de la loi;
c) la liberté de religion;
d) la liberté de parole;
e) la liberté de réunion et d'association, et
J) la liberté de la presse.
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du
Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonob-
stant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et
s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou
enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et
déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la
diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du
Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
b) infligeant des peines ou traitements cruels et inusités, ou
comme en autorisant l'imposition;
e) privant une personne du droit à une audition impartiale de
sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la
définition de ses droits et obligations;
Le 9 juin 1975, après six mois de détention
commune avec les autres détenus, le requérant
Bruce, qui était alors sous l'impression que les
' [1976] 1 C.F. 570.
2 S.C. 1960, c. 44 [S.R.C. 1970, Appendice III].
autorités le transféreraient de nouveau en isole-
ment cellulaire, a été impliqué dans un incident de
prise d'otages à la suite de quoi il a été accusé
d'extorsion et, le 10 mars 1977, condamné à 14 ans
d'emprisonnement. Dans son appel, qui n'a pas
encore été entendu, interjeté contre cette sentence,
il se propose d'agir comme son propre conseiller
juridique. Le 21 février 1978, la suite d'un autre
incident de prise d'otages survenu le 28 janvier
1978 où il était de connivence avec quatre autres
détenus, cinq chefs d'accusation différents ont été
portés contre lui. Son procès à cet égard n'a pas
encore eu lieu, quoique tous ses coïnculpés aient
été jugés. Là aussi il se propose d'agir en son nom
mais avec l'aide et les recommandations de son
avocat dans la présente demande.
Le 7 juillet 1978, la suite de sa demande
d'examen psychiatrique, plusieurs psychiatres ont
conduit avec lui des interviews et des examens;
dans l'un de ces cas, l'examen a été fait en dehors
du pénitencier, sous escorte sécuritaire. Il dit
savoir que, pendant un certain temps, des fonction-
naires du service pénitentiaire ont procédé à des
examens de son cas pour déterminer s'il répondait
aux critères exigés pour un transfert à une unité
spéciale de détention. Dans son cas, il s'agirait
d'un transfert à l'institution Millhaven dans la
province de l'Ontario. D'après le mémoire de M.
Reynett, il semble satisfaire à ces exigences.
Aucune décision définitive n'a été prise relative-
ment à ce transfert auquel il s'oppose énergique-
ment pour le motif qu'en plus de M"e Meadley,
toute sa famille et ses amis habitent en Colombie-
Britannique. Il a aussi des appréhensions vis-à-vis
l'attitude du personnel de sécurité de cette institu
tion à son égard, à cause de sa réputation, sans
compter que les autres détenus s'attendront à ce
qu'il devienne leur chef et qu'il y organise d'autres
manifestations du même genre. Il déclare n'avoir
jamais été pleinement renseigné sur les motifs du
refus d'autoriser son mariage avec Mile Meadley,
car on ne lui a jamais fourni copie des rapports,
des examens ou des autres enquêtes auxquels M.
Reynett s'est référé dans son mémoire, et on ne lui
a jamais donné l'occasion d'y répondre. Il désire
un mariage chrétien et il est prêt à accepter à ce
qu'il soit célébré à l'intérieur de l'institution, à
New Westminster, et il se dit également prêt à se
soumettre à toute mesure de sécurité raisonnable.
Pour tout détenu mis à l'écart en vertu de l'article
2.30, la procédure de visite commence par un
appel téléphonique du préposé aux visites et à la
correspondance informant l'unité d'isolement cel-
lulaire que le détenu peut y venir rencontrer son
visiteur; le détenu est alors soumis à une fouille
corporelle au cours de laquelle il doit se dévêtir
complètement, lever ses bras et ses jambes, se
recourber et écarter ses fesses; lorsque le détenu a
remis ses vêtements, on lui met des chaînes à ses
jambes, à ses mains et à sa taille, puis il est escorté
à la salle de visite. Au retour, le détenu est de
nouveau complètement fouillé. Les visites, à l'ex-
ception de celles faites par les avocats et les psy-
chiatres, sont faites par téléphone à travers une
cloison, sans aucun contact direct entre le visiteur
et le détenu; un seul détenu à la fois est admis à
sortir de l'unité d'isolement cellulaire. Le requé-
rant a reçu plusieurs visites d'avocats et de méde-
cins sans que ne survienne aucun incident portant
atteinte à la sécurité de l'institution. En 1972, son
ancienne épouse et son fils Jason ont pu lui rendre
visite en contact direct et il n'est survenu aucun
incident. A de nombreuses occasions durant les six
dernières années, on lui a permis de sortir du
pénitencier pour des fins médicales ou judiciaires,
y compris pour un séjour de plusieurs semaines au
Royal Columbian Hospital en 1975, jusqu'à ce
qu'il soit ensuite transféré au Vancouver General
Hospital où il est resté jusqu'en août 1975; il fit
ensuite, en 1976, deux autres séjours dans cet
hôpital pour y être opéré. Des visites à un médecin
et à un spécialiste ont également été autorisées.
Pour la première fois en juin 1978, il a mis M.
Reynett au courant de son désir d'épouser M"e
Meadley. On lui a alors dit de discuter de ce projet
avec son agent de classement David Davis, ce qu'il
a fait. On lui a dit qu'il fallait obtenir le consente-
ment du procureur général, faire effectuer une
analyse de milieu sur M"' Meadley par le Service
des libérations conditionnelles, soumettre le projet
à l'aumônier ou au prêtre et, finalement, obtenir
l'approbation de M. Reynett.
Après de très longs délais, Bruce a finalement
été informé que l'on attendait les résultats de
l'analyse de milieu menée par le Service des libéra-
tions conditionnelles sur M"e Meadley. C'est seule-
ment le 23 mars 1979 que M. Reynett l'a informé
de sa décision de ne pas permettre la célébration
du mariage et lui a donné le mémoire susmen-
tionné.
Dans son affidavit, M"e Meadley déclare que,
pour rendre visite à Bruce, il lui fallait remplir une
formule détaillée du Service canadien des péniten-
ciers comportant une vérification sécuritaire par la
Gendarmerie royale du Canada. De janvier à avril
1977, elle lui a rendu environ trois visites par mois.
De mai à septembre 1977, elle lui a rendu des
visites hebdomadaires, mais en septembre et octo-
bre 1977, ils ont décidé en commun de mettre un
terme à leur histoire et de cesser toute visite à
cause des circonstances. Ils ont, cependant, conti-
nué à s'écrire et, à partir de novembre 1977, elle a
recommencé à lui rendre visite et ce, au rythme de
deux fois par semaine, sauf pendant la période
allant de la fin janvier à la fin avril 1978, la suite
de la prise d'otages. En avril 1978, elle a dû
remplir, pour des fins sécuritaires, une nouvelle
formule pour obtenir le rétablissement de ses
droits de visite. En mai 1978, étant tombés amou-
reux l'un de l'autre, ils ont décidé de se marier.
Puisque le procès de Bruce relatif à sa participa
tion à la prise d'otages de janvier 1978 n'avait pas
encore eu lieu, il devait obtenir pour son mariage
le consentement du procureur général de la pro
vince de la Colombie-Britannique, car ce mariage
risquait de nuire à l'administration de la justice.
Le 28 septembre 1978, le bureau du procureur
général a informé l'avocat de M". Meadley que les
accusations toujours pendantes portées contre
Bruce constituaient le seul obstacle au mariage
envisagé. Il a été décidé, en temps utile, que Mile
Meadley ne serait pas citée comme témoin dans le
procès intenté contre Bruce; c'est ainsi que le 22
décembre 1978, le bureau du procureur général
s'est dit d'avis que le mariage envisagé ne consti-
tuerait pas un obstacle et ne porterait pas atteinte
à l'administration de la justice.
M"e Meadley relate ses différentes entrevues
avec M. Reynett, au cours desquelles elle a essayé
de sonder ce dernier au sujet des arrangements à
prendre en matière de sécurité pour faciliter le
mariage, mais il a refusé d'examiner ces questions.
Elle a coopéré avec l'agent du Service national des
libérations conditionnelles, mais il a refusé de lui
donner une copie de l'analyse de milieu au motif
que cette analyse était confidentielle. Il lui a toute-
fois révélé que l'analyse était, dans une proportion
de 70 p. 100, favorable au mariage envisagé. Fina-
lement, ce n'est qu'à la suite d'une lettre en date
du 8 mars 1979, adressée par l'avocat de M"e
Meadley à M. Reynett, que ce dernier a pris sa
décision. Elle a confirmé qu'on ne lui a permis de
prendre connaissance d'aucun des rapports ou
analyses faits à son sujet et que M. Reynett l'avait
assurée qu'il la tiendrait au courant de tout aspect
négatif formulé dans ces rapports mais rien de
négatif ne lui a encore été rapporté. Antérieure-
ment à la décision d'interdire le mariage, son
avocat lui a conseillé d'obtenir une licence de
mariage, qu'elle a effectivement obtenue le 29
mars, et de retenir les services d'un ecclésiastique
compétent et de deux témoins dignes de foi,
comme l'exige le Marriage Act de la province de la
Colombie-Britannique'. Elle a joint à son affidavit
la licence de mariage, la lettre d'un pasteur de
l'église Westminster Unitarian Church dans
laquelle il se dit prêt à célébrer le mariage, ainsi
que la lettre d'un conseiller familial et de son
épouse l'assurant qu'ils acceptent d'être les deux
témoins requis.
En ce qui concerne la possibilité du transfert de
Bruce à l'institution de Millhaven en Ontario, elle
a déclaré que ce transfert serait un obstacle grave
à leur projet de mariage et qu'elle serait obligée de
quitter son emploi, sa famille et ses amis en
Colombie-Britannique pour le suivre, s'installer en
Ontario et de nouveau y faire des démarches pour
mettre à exécution leur projet de mariage.
En l'espèce, l'un des points litigieux consiste à
déterminer si le quo warranto constitue une procé-
dure pertinente. Les requérants allèguent que cette
procédure vise en l'espèce plus que le simple droit
d'occupation d'une fonction et s'étend aux situa
tions où la personne concernée a outrepassé les
pouvoirs que lui confère sa fonction. Ils ne contes-
tent ni la nomination de M. Reynett ni son droit de
tenir la fonction qu'il occupe. Ils ont cité des
précédents dont les plus pertinents sont les déci-
sions Rex ex rel. Haines c. Hanniwell 4 et Regina
ex rel. McPhee c. Sargent 5 . Dans la première de
ces décisions, le juge McRuer, juge en chef de la
Haute Cour, s'est exprimé en ces termes (à la page
47):
3 S.R.C.-B. 1960, c. 232.
4 [1948] O.R. 46.
5 (1967) 64 D.L.R. (2e) 153.
[TRADUCTION] Dans Reg. c. The Guardians of St. Martin's
in the Fields (1851), 17 Q.B. 149, la page 163, 117 E.R.
1238, le juge Erle a déduit de Darley c. La Reine ex rel.
Kinahan (1846), 12 Cl. & F. 520, 8 E.R. 1513, trois critères
d'application du quo warranto: «l'origine de la fonction, sa
durée et les devoirs qu'elle comporte.»
Après avoir traité de l'origine et de la durée,
lesquelles ne font l'objet d'aucun litige en l'espèce,
il s'est ainsi prononcé [aux pages 47 et 48]:
[TRADUCTION] Il faut des devoirs de nature publique, c'est-à-
dire des devoirs à l'égard du public qui relèvent de la compé-
tence des tribunaux royaux et dont les droits sont protégés par
le quo warranto.
Il appert que cette citation se réfère aux devoirs
de la charge de façon générale. Dans cette espèce,
il s'agissait de déterminer si un membre de la
Niagara Falls Bridge Commission occupait une
charge publique à l'endroit de laquelle une procé-
dure en quo warranto pouvait être instituée. J'es-
time que cette décision ne constitue pas un précé-
dent à l'appui de la proposition voulant qu'en cas
de fonction régulièrement occupée, il soit possible
d'utiliser la procédure en quo warranto pour atta-
quer toute décision prise en outrepassant ses pou-
voirs par le titulaire de cette charge. Dans
McPhee, le juge d'appel Tysoe s'est exprimé en ces
termes (à la page 158):
[TRADUCTION] Dans ce jugement, j'ai dit plus haut qu'une
procédure en quo warranto permet de vérifier le fondement du
droit ou du pouvoir en vertu duquel une personne occupe une
charge et de déterminer si elle a le droit légitime d'exercer les
fonctions qu'elle prétend pouvoir exercer. Je suis d'avis que la
nomination de la personne à cette charge et la validité de cette
nomination constituent des objets pertinents sur lesquels doit
avant tout porter cette procédure, car, si la nomination n'est
pas valable, le titulaire de la charge n'aurait alors aucun droit
ni aucun pouvoir en vertu duquel il pourrait occuper cette
charge ou exercer les fonctions y afférentes. [C'est moi qui
souligne.]
Le juge est arrivé à cette conclusion en se fondant,
en partie, sur une ancienne source américaine,
High's Extraordinary Legal Remedies (1874), où
il est dit (à la page 436):
[TRADUCTION] Elle ne régit pas non plus les fonctions officiel-
les telles qu'exécutées par la personne qu'elle peut mettre en
cause car elle ne vise pas cette dernière en tant que telle mais
plutôt la personne qui occupe la charge ou qui exerce le
pouvoir, et ce non dans le but de lui dicter ou de lui prescrire
ses devoirs officiels, mais seulement pour déterminer si elle a le
droit légitime d'exercer les fonctions qu'elle prétend pouvoir
exercer. [C'est moi qui souligne.]
Plus loin, à la page 448, il est dit:
[TRADUCTION] Puisqu'une procédure en quo warranto, ou
toute autre procédure de ce genre, n'est utilisée que pour
vérifier le fondement du droit à occuper une charge ou exercer
un pouvoir, il s'ensuit qu'elle ne constitue pas une mesure de
redressement en cas de faute officielle et on ne peut l'utiliser
pour vérifier la validité des actes officiels des cadres des
compagnies ou du gouvernement. Ainsi, en cas d'abus de
confiance commis par les administrateurs d'une association
incorporée, on ne peut obtenir le redressement demandé que
par la voie d'une procédure en equity et non par une procédure
en quo warranto. Ainsi, lorsqu'un fonctionnaire menace d'exer-
cer des pouvoirs qui ne lui ont pas été conférés par la loi ou,
dans l'exercice des fonctions de sa charge, d'outrepasser sa
compétence territoriale, l'injonction est une mesure plus perti-
nente qu'une procédure en quo warranto. Ainsi, on ne peut pas
recourir à cette procédure pour empêcher les autorités légale-
ment constituées d'une ville de lever et de percevoir des taxes
au-delà des limites de cette ville, en vertu d'une loi de la
législature repoussant ces limites, et l'on ne peut déterminer la
constitutionnalité de cette loi par une procédure en quo war-
ranto. [C'est moi qui souligne.]
En rendant sa décision, le juge Tysoe s'est aussi
référé, à la page 157, la déclaration suivante du
juge Lush dans l'affaire Le Roi c. Speyer; Le Roi
c. Cassel [1916] 1 K.B. 595, la page 628:
[TRADUCTION] Au moyen de cette procédure [quo warranto]
et des brefs de mandamus et de prohibition, cette cour peut
contrôler, et effectivement contrôle, toute personne tenant une
charge publique ... et exécutant des fonctions publiques qu'el-
les soient judiciaires ou autres; il s'agit des moyens par lesquels
cette cour peut obliger ces personnes à remplir leurs devoirs
suivant la loi au cas où elles y feraient défaut, ou les empêcher
d'agir si elles n'ont pas compétence à cet égard. [C'est moi qui
souligne.]
En rendant sa décision dans McPhee, le juge d'ap-
pel McFarlane (tel était alors son titre) s'est référé
à une autre déclaration du juge Lush, à la page
627 du jugement précité, et dont voici le libellé:
[TRADUCTION] Certes il fut une époque où l'on utilisait
exclusivement le vieux bref de quo warranto pour éviter les
empiétements sur les prérogatives royales. Mais les temps ont
changé, et la nature ainsi que le domaine d'application du bref
se sont élargis et, avant même que ne soit rendu l'arrêt Darley
c. La Reine, une procédure semblable à celle du quo warranto
avait remplacé l'ancien bref et était bien plus largement appli-
quée. Cette procédure permet de demander à ceux qui préten-
dent exercer d'importantes fonctions de caractère public d'en
rendre compte s'ils n'ont pas été légalement autorisés à les
exercer et ce, quelle que soit la personne qui a procédé à leur
nomination. [C'est moi qui souligne.]
En réponse à cela, l'avocat des intimés s'est
reporté au jugement Gosselin c. Drouin 6 rendu par
la Cour du Banc de la Reine du Québec et où le
juge d'appel Owen s'est ainsi prononcé (à la page
210):
6 [1959] B.R. (Qué.) 201.
[TRADUCTION] La question de droit qui se pose ensuite
consiste à déterminer si un bref de quo warranto est recevable
seulement en cas d'usurpation de titre relativement à une
charge ou également en cas d'abus d'autorité ou de pratiques
illégales dans l'exercice des fonctions afférentes à cette charge.
Et plus loin, à la même page, il dit:
[TRADUCTION] Il existe des décisions judiciaires à l'appui du
principe que le bref de quo warranto est recevable en cas d'abus
d'autorité ou de pratiques illégales par un cadre compétent
dans l'exercice de ses fonctions.
Dans le sens contraire, on peut citer une décision de cette
cour, l'arrêt Bégin c. Bolduc ([1944] B.R. 725), qui renvoie à
une décision antérieure de cette cour et soutient qu'un bref de
quo warranto n'est pas recevable en cas de pratiques illégales
ou d'abus d'autorité commis par un tel cadre dans l'exercice de
ses fonctions ....
Aucune partie n'ayant cité de décision à la fois postérieure et
contraire à celle de Bégin c. Bolduc, je suivrais donc ce dernier
jugement et déciderais qu'un bref de quo warranto n'est pas
recevable en l'espèce.
Il n'existe aucun doute quant au droit de M.
Reynett d'occuper sa charge. Je me dois donc de
conclure que le quo warranto n'est pas le moyen de
droit pertinent à faire valoir en l'espèce même si
M. Reynett a outrepassé ses pouvoirs en rejetant
pour le moment la demande de mariage formulée
par les requérants. En tout état de cause, il s'agit
d'un moyen discrétionnaire et je suis convaincu
que les requérants pourraient obtenir gain de cause
par les moyens subsidiaires que sont le mandamus
ou l'injonction, moyens auxquels ils ont aussi
recours en l'espèce. Les intimés n'ont pas contesté
le droit de recourir à ces moyens, mais ils ont
soutenu que ceux-ci ne sont pas applicables en
l'espèce et ne doivent pas être accordés.
Les requérants ont contesté, d'une part, la vali-
dité de l'ordre permanent en vertu duquel M.
Reynett a refusé d'autoriser le mariage et, d'autre
part, la compétence de ce dernier à rendre cette
décision. L'article 29(1) de la Loi sur les péniten-
ciers, S.R.C. 1970, c. P-6, permet au gouverneur
en conseil d'édicter des règlements «b) relatifs à la
garde, le traitement, la formation, l'emploi et la
discipline des détenus; et c) relatifs, de façon géné-
rale, à la réalisation des objets de la présente loi et
l'application de ses dispositions». L'article 29(3),
qui prévoit que le commissaire peut établir des
règles, est ainsi libellé:
29....
(3) Sous réserve de la présente loi et de tous règlements
édictés sous le régime du paragraphe (1), le commissaire peut
établir des règles, connues sous le nom d'Instructions du com-
missaire, concernant l'organisation, l'entraînement, la disci
pline, l'efficacité, l'administration et la direction judicieuse du
Service, ainsi que la garde, le traitement, la formation, l'emploi
et la discipline des détenus et la direction judicieuse des
pénitenciers.
Dans le Règlement édicté par le décret C.P. 1962-
302, en date du 8 mars 1962 7 , les articles 1.13,
1.14, 1.15 et 1.16 distinguent entre les directives
du commissaire, les instructions au personnel divi-
sionnaire, les ordres permanents et les ordres de
service courant. L'article 1.15 traite des ordres
permanents. L'article 1.15(1) est ainsi libellé:
1.15. (1) Un chef d'institution peut, sous l'autorité du Com-
missaire, établir des ordres permanents qui doivent comprendre
tous les ordres propres à son institution.
I.l appert que, si M. Reynett avait édicté des ordres
permanents relatifs au mariage des détenus incar-
cérés dans le pénitencier de la Colombie-Britanni-
que dont il est le chef d'institution (et l'on n'a
produit au procès aucun ordre permanent de ce
genre), l'on pourrait sérieusement contester son
pouvoir d'édicter ces ordres car il n'est pas certain
qu'il s'agirait alors d'ordres «propres à son institu
tion». Toutefois, en tant que chef d'institution, il
aurait sans doute le droit d'établir des ordres de ce
genre. Voici le libellé de l'article 1.12(1) du Règle-
ment, tel que modifié par le décret C.P. 1972-2327
en date du 21 septembre 1972 8 :
1.12. (1) Le chef d'institution est responsable de la direction
de son personnel, de l'organisation, de la sûreté et de la sécurité
de son institution, y compris la formation disciplinaire des
détenus qui y sont incarcérés.
L'article 1.12(2) permet au chef d'institution de
déléguer à ses subordonnés immédiats les affaires
courantes ou peu importantes d'administration,
mais il exige qu'il veille personnellement: «a) aux
questions relatives à l'organisation et l'orientation
d'ensemble et b) aux questions d'importance qui
exigent son attention et sa décision particulières».
M. Reynett a certes réservé une attention particu-
lière à la décision relative au mariage en cause.
Voici le libellé de l'article 2.30 du Règlement:
2.30. (1) Si le chef de l'institution est convaincu que,
a) pour le maintien du bon ordre et de la discipline dans
l'institution, ou
7 DORS/62-90.
8 DORS/72-398.
b) dans le meilleur intérêt du détenu,
il est nécessaire ou opportun d'interdire au détenu de se joindre
aux autres, il peut le lui interdire, mais le cas d'un détenu ainsi
placé à l'écart doit être étudié, au moins une fois par mois, par
le Comité de classement qui recommandera au chef de l'institu-
tion la levée ou le maintien de cette interdiction.
(2) Un détenu placé à l'écart n'est pas considéré comme
frappé d'une peine à moins qu'il n'y ait été condamné, et il ne
doit, pour autant, perdre aucun de ses privilèges et agréments,
sauf ceux
a) dont il ne peut jouir qu'en se joignant aux autres détenus,
ou
b) qui ne peuvent pas raisonnablement être accordés, compte
tenu des limitations du lieu où le détenu est ainsi placé à
l'écart et de l'obligation d'administrer ce lieu de façon
efficace.
Ainsi qu'il a été mentionné plus haut, le requé-
rant Bruce a été tenu en isolement cellulaire pen
dant presque quatre ans à cause de son implication
dans des incidents de prise d'otages. A cet égard,
son avocat a insisté sur le fait qu'il ne s'agit pas là
d'une peine car le requérant n'a jamais été formel-
lement condamné à l'isolement cellulaire. La Cour
n'a pas, en l'espèce, à se pencher sur la longueur
ou l'opportunité de cet isolement malgré sa durée
prolongée. Évidemment, M. Reynett est d'avis que
la continuation de cet isolement est nécessaire
«pour le maintien du bon ordre et de la discipline
dans l'institution» et qu'on peut refuser au requé-
rant, même s'il n'est frappé d'aucune peine, le
privilège et l'agrément du mariage (s'il s'agit là
d'un des privilèges et des agréments auxquels un
prisonnier peut avoir droit) parce «qu'ils ne peu-
vent pas raisonnablement être accordés, compte
tenu des limitations du lieu où le détenu est ainsi
placé à l'écart et de l'obligation d'administrer ce
lieu de façon efficace». A l'affidavit de Bruce ont
été joints beaucoup de rapports et d'avis de psy-
chiatres recommandant son transfert au «Centre
de psychiatrie à sécurité maximale de Matsqui»
où, selon ces experts, un traitement pourrait lui
être extrêmement avantageux. D'ailleurs, le requé-
rant a lui-même sollicité ce transfert qui a, cepen-
dant, été retardé jusqu'à l'issue de son procès
relatif à la prise d'otages survenue en janvier 1978.
Cette intention se dégage d'une lettre datée du 17
octobre 1978, adressée à Sandra Meadley par le
solliciteur général, l'honorable Jean Jacques Blais.
Bien que le refus de M. Reynett soit le fruit
d'une décision administrative, l'on a soulevé la
question de savoir s'il a satisfait à son obligation
d'agir équitablement en refusant d'autoriser le
mariage dans les présentes circonstances. Voici en
quels termes il a rédigé le dernier paragraphe de sa
lettre de refus:
[TRADUCTION] Je crois que, dans les présentes circonstances,
le mariage représente un espoir illusoire de satisfaction person-
nelle. Je comprends que vous avez des intentions sincères qui
montrent un progrès très net et qui témoignent d'une volonté
ferme de changement. Toutefois, jusqu'à ce que vous prouviez
une capacité à vous adapter au cadre habituel d'un pénitencier,
je ne peux pas autoriser la célébration de ce mariage.
Bien entendu, l'avocat des requérants a
demandé comment Bruce peut prouver sa capacité
à s'adapter au cadre d'un pénitencier lorsqu'il est
en isolation cellulaire.
On a fait état des articles du Règlement relatifs
à l'importance de la réhabilitation dans le système
pénitentiaire, en particulier des dispositions de
l'article 2.10(1) et (2) dont voici le libellé:
2.10. (1) II doit être établi dans chaque institution un pro
gramme convenable d'activité pour les détenus, conçu, dans la
mesure où cela est pratique, pour rendre les détenus, lors de
leur libération, aptes à assumer leurs responsabilités de citoyen
et à se conformer aux prescriptions de la loi.
(2) Pour donner effet au paragraphe (1), le Commissaire
doit, dans la mesure où cela est pratique, assurer à chaque
détenu susceptible d'en bénéficier, une formation académique
professionnelle, un travail productif et instructif, une activité
religieuse, des loisirs et lui procurer une orientation psychiatri-
que, psychologique et sociale.
Toutefois, l'article 2.27 du Règlement dispose que:
2.27. Le chef de l'institution doit prendre toutes les mesures
nécessaires pour assurer la bonne garde des détenus confiés à
ses soins.
Compte tenu du fait que Bruce a été mêlé à des
incidents de prise d'otages, ces dispositions sont
particulièrement importantes.
Les lois de la Colombie-Britannique ne posent
aucun empêchement au mariage. On a maintenant
décidé de ne pas citer Mue Meadley comme témoin
dans le procès du requérant; ce dernier a obtenu
une licence de mariage (bien que celle-ci soit
postérieure au refus de M. Reynett); un pasteur a
accepté de célébrer le mariage; et un conseiller
familial et son épouse, qui connaissent Mue Sandra
Meadley depuis plusieurs années et qui ont analysé
la situation avec elle, ont accepté de servir de
témoins. Bien entendu, tous ces arrangements ne
lient en rien M. Reynett s'il a le pouvoir de refuser
la permission demandée, en vertu du Règlement
sur le service des pénitenciers.
L'avocat des requérants a invoqué une règle
fondamentale en matière d'interprétation, à savoir
qu'il ne faut pas interpréter une loi de manière à
dénier un droit à moins de dispositions expresses
de la loi dans ce sens. Il invoque cette règle pour
étayer son allégation selon laquelle d'une part,
l'incarcération dans un pénitencier n'entraîne pas
la perte du droit fondamental au mariage et, d'au-
tre part, le chef d'institution n'a aucun pouvoir
discrétionnaire pour interdire un mariage à l'égard
duquel il n'existe aucun empêchement légal, à
moins que la bonne garde des détenus ou le main-
tien du bon ordre et de la discipline dans l'institu-
tion ne soient mis en cause. A l'appui de cette
allégation, l'avocat a cité l'arrêt Spooner Oils
Limited c. The Turner Valley Gas Conservation
Board 9 où il est dit:
[TRADUCTION] Il ne faut pas interpréter un texte législatif
comme portant atteinte à des droits acquis ou à «une position
acquise» (Main c. Stark ((1890) 15 App. Cas 384, à la page
388)) sauf lorsque le libellé du texte exige cette interprétation.
Coke a défini cette règle comme une «loi du Parlement» (2 Inst.
292), voulant dire, sans doute, qu'il s'agit d'une règle fondée
sur la pratique coutumière du Parlement; cela sous-entend que,
lorsque le Parlement veut délibérément porter atteinte à de tels
droits ou à une telle position, cette intention est toujours
déclarée de façon expresse, sauf lorsque cette intention se
dégage de façon manifeste des dispositions du texte législatif.
Sous ce rapport, l'avocat a fait l'analogie suivante,
à savoir que les dispositions de l'article 14(4)e) de
la Loi électorale du Canada, S.R.C. 1970 (l er
Supp.), c. 14, rendent inhabile à voter toute per-
sonne détenue dans un établissement pénitentiaire
et y purgeant une peine pour avoir commis quelque
infraction.
L'incarcération entraîne inévitablement la perte
d'un grand nombre de privilèges et d'agréments,
mais la question qui se pose est de savoir si un
détenu perd tous ses privilèges et agréments, sauf
ceux que lui laissent spécifiquement la Loi sur les
pénitenciers et le Règlement y afférent, ou si, au
contraire un détenu conserve tous ses privilèges et
agréments sauf ceux dont il est expressément privé
en vertu de cette loi et de ce règlement, ainsi que le
soutiennent les requérants. A cet égard, on s'est
reporté à l'affaire Regina c. Le directeur du camp
9 [1933] R.C.S. 629, la page 638.
de correction de Beaver Creek, Ex parte
MacCaud 10 , où il a été ainsi disposé (à la page
377):
[TRADUCTION] Ce serait une banalité de répéter qu'un
détenu dans une institution continue à jouir de tous les droits
civils d'une personne, sauf ceux dont il ne peut plus se prévaloir
par suite de l'exécution de cette sentence.
Et plus loin, il est dit:
[TRADUCTION] Notons au départ que la sentence prononcée
contre un accusé déclaré coupable entraîne l'extinction, pen
dant la période licite d'emprisonnement, de tous ses droits à la
liberté et à la possession des biens dans l'enceinte de l'institu-
tion où il purge sa sentence, sauf dans la mesure où, le cas
échéant, il s'agit de droits expressément préservés par la Loi sur
les pénitenciers.
A la page 380 on peut lire:
[TRADUCTION] C'est seulement lorsque son action ne porte pas
atteinte aux droits du détenu en tant que personne ou aux droits
légitimes du détenu en tant que tel, que le chef d'institution ne
peut avoir à répondre devant la Cour de l'opportunité de ses
méthodes et de la légitimité de sa décision.
Il n'en résulte pas, cependant, que M. Reynett
était obligé d'agir de façon judiciaire, comme cela
appert d'une décision rendue par la Cour suprême
dans Martineau et Butters c. Le Comité de disci
pline des détenus de l'Institution de Matsqui" où
le juge Pigeon, qui a rendu la décision de la
majorité, s'est ainsi prononcé (à la page 133):
Au risque de me répéter, cela ne signifie pas que chaque fois
qu'une décision porte atteinte aux droits d'un requérant, il
existe un devoir d'agir de façon judiciaire.
Les requérants invoquent également l'article 2
de la Déclaration canadienne des droits (précité),
suivant lequel toute loi du Canada, à moins qu'une
loi du Parlement ne déclare expressément qu'elle
s'appliquera nonobstant cette Déclaration, doit
s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas
supprimer, restreindre ou enfreindre l'un quel-
conque des droits ou des libertés reconnus et
déclarés dans cette Déclaration. Aucune disposi
tion de la Loi sur les pénitenciers ne prévoit son
application nonobstant la Déclaration canadienne
des droits, mais il ne faut pas en conclure que
cette Déclaration est applicable en l'espèce car le
droit de se marier n'est pas un des droits fon-
damentaux spécifiquement protégés par cette loi,
même s'il s'agit d'un droit issu de la common law
dont l'inapplicabilité n'est pas expressément
prévue par la Loi sur les pénitenciers et le Règle-
10 [1969] 1 C.C.C. 371.
11 [1978] 1 R.C.S. 118.
ment y afférent. Évidemment, une personne pur-
geant une peine d'emprisonnement perd inévitable-
ment beaucoup de droits, tels que celui de la
liberté et de la propriété, et ne jouit que des droits
autorisés par le Règlement. Toutefois, on ne peut
déduire du fait qu'il en soit ainsi que la Loi sur les
pénitenciers et le Règlement y afférent violent la
Déclaration canadienne des droits parce qu'il n'y
est pas spécifiquement énoncé que la Loi et le
Règlement seront applicables nonobstant la Décla-
ration. Le requérant Bruce allègue une violation
des dispositions de l'article 1 b), en ce qu'il a été
privé du droit à l'égalité devant la loi. Ainsi que l'a
fait ressortir le juge Ritchie dans l'arrêt de la Cour
suprême Le Procureur général du Canada c.
Lavell 12 :
Nulle part dans la Déclaration des droits trouvons-nous des
termes prévoyant que les lois du Canada doivent s'interpréter
sans discrimination à moins que cette discrimination ne com-
porte un déni de l'un des droits et libertés garantis ....
Dans La Reine c. Burnshine 13 , le juge Martland,
parlant au nom de la majorité de la Cour, s'est
reporté, en l'approuvant, à une autre déclaration
du juge Ritchie dans l'arrêt Lavell (précité) où il
dit (à la page 1365):
Selon moi, le sens à donner au libellé de la Déclaration des
droits est celui qu'il avait au Canada à l'époque de l'adoption
de la Déclaration, et il s'ensuit que l'expression «égalité devant
la loi» doit s'interpréter à la lumière de la loi en vigueur au
Canada à ce moment-là.
Lorsqu'on considère le sens qu'il faut attacher aux mots
«égalité devant la loi» figurant à l'al. b) de l'art. 1 de la
Déclaration, je crois important de signaler qu'à mon sens ces
termes ne sont pas efficaces pour invoquer le concept égalitaire
illustré par le 14' Amendement de la Constitution des États-
Unis tel qu'interprété par les tribunaux de ce pays-là. (Voir
Smythe c. La Reine ([1971] R.C.S. 680), Juge en chef Fau-
teux, pp. 683 et 686). Je crois plutôt que, compte tenu des
termes employés dans le second alinéa du préambule de la
Déclaration des droits, l'expression «égalité devant la loi» se
trouvant à l'art. 1 doit se lire dans son contexte, comme une
partie du «règne du droit» auquel les termes de cet alinéa
accordent une autorité prépondérante.
Dans l'affaire Le procureur général du Canada c.
Canard 14 , le juge Beetz s'est ainsi prononcé:
L'égalité devant la loi sans discrimination en raison de la
race, de l'origine nationale, de la couleur, de la religion ou du
sexe ne signifie pas simplement l'égalité avec toutes les autres
personnes de la catégorie visée par une loi particulière: une telle
signification rendrait possible toutes les formes de discrimina-
12 [1974] R.C.S. 1349, à la page 1364.
13 [1975] 1 R.C.S. 693, à la page 704.
14 [1976] 1 R.C.S. 170, à la page 205.
tion interdite dans la mesure où les autres personnes de la
catégorie visée seraient aussi victimes de la même forme de
discrimination.
Dans l'application de ces principes aux circons-
tances de l'espèce, il appert que, si la Loi sur les
pénitenciers ou le Règlement y afférent conte-
naient des dispositions spécifiques concernant le
mariage des prisonniers, et si ces dispositions
n'étaient pas respectées ou étaient appliquées de
façon injuste dans le cas de Bruce, celui-ci pourrait
alors soutenir qu'on lui a nié «l'égalité devant la
loi». Théoriquement, il pourrait même invoquer
une discrimination certaine si, même en l'absence
de règlements semblables, les demandes de permis
sion de mariage faites par d'autres prisonniers
avaient toujours été accordées alors qu'il a été le
seul à essuyer un refus. Mais tel n'est évidemment
pas le cas en l'espèce. En effet, M. Reynett a
simplement exercé sa discrétion administrative en
refusant cette permission à Bruce, même s'il a
accordé des permissions de ce genre à d'autres
prisonniers à d'autres occasions.
L'avocat des requérants s'est reporté à la déci-
sion américaine Vawter Jr. c. Reed rendue par la
Cour de district des États-Unis, district oriental de
l'état de la Caroline du nord, division de Raleigh,
portant le n° 77-363 -CRT et datée du 24 février
1978. Il en a d'ailleurs fourni une photocopie.
Dans son examen d'une partie de la jurisprudence
américaine relative au droit au mariage, le juge
s'est ainsi prononcé:
[TRADUCTION] Le droit au mariage est un droit fondamental
protégé par la Constitution des États-Unis. Sauf en cas d'inté-
rêt impérieux de l'État, d'atteinte à la sécurité de l'institution
ou de convenance administrative, ce qui n'a pas été établi en
l'espèce, ce droit reste suprême, et le règlement du Department
of Correction répond alors plus au critère de constitutionnalité.
Ainsi qu'il a déjà été mentionné, la Déclaration
canadienne des droits diffère suffisamment de la
Constitution américaine pour rendre la jurispru
dence américaine inapplicable à l'interprétation de
cette Déclaration.
Les requérants invoquent également l'article 2e)
de la Déclaration canadienne des droits qui inter-
dit l'interprétation d'une loi canadienne de
manière à «[priver] une personne du droit à une
audition impartiale de sa cause, selon les principes
de justice fondamentale, pour la définition de ses
droits et obligations». Il est allégué qu'en décidant
de ne pas montrer à la requérante Sandra Meadley
les rapports d'évaluation la concernant, on l'a
privée du droit à une audition impartiale de sa
cause. Il s'agit là toutefois d'une décision purement
administrative qui n'avait pas à être prise sur une
base judiciaire ou quasi judiciaire. Cela n'exclut
pas que M. Reynett avait l'obligation d'agir équi-
tablement. Cette question a été tranchée au fond
dans un arrêt récent de la Cour suprême: il s'agit
de l'affaire Nicholson c. Haldimand-Norfolk
Regional Board of Commissioners of Police
[1979] 1 R.C.S. 311, dans laquelle le juge en chef
Laskin s'est ainsi prononcé à la page 324:
J'accepte donc aux fins des présentes et comme un principe de
common law ce que le juge Megarry a déclaré dans Bates v.
Lord Hailsham ([1972] 1 W.L.R. 1373), la p. 1378: [TRA-
DUCTION] «dans le domaine de ce qu'on appelle le quasi-judi-
ciaire, on applique les règles de justice naturelle et, dans le
domaine administratif ou exécutif, l'obligation générale d'agir
équitablement».
Et plus loin, à la même page, il dit:
L'apparition d'une notion d'équité, moins exigeante que la
protection procédurale de la justice naturelle traditionnelle, est
commentée dans de Smith, Judicial Review of Administrative
Action, précité, à la p. 208.
L'intimé se reporte toutefois à une citation qui
apparaît à la page 327 du même jugement, citation
empruntée à lord Denning dans le jugement Sel-
varajan c. Race Relations Board [1976] 1 All
E.R. 12, dans lequel, après un examen de la juris
prudence britannique récente, il s'est ainsi pro-
noncé (à la page 19):
[TRADUCTION] Dans tous ces cas, on a jugé que l'organisme
chargé d'enquêter a le devoir d'agir équitablement; mais les
exigences de l'équité dépendent de la nature de l'enquête et de
ses conséquences pour les personnes en cause. La règle fonda-
mentale est que dès qu'on peut infliger des peines ou sanctions
à une personne ou qu'on peut la poursuivre ou la priver de
recours, de redressement ou lui faire subir de toute autre
manière un préjudice en raison de l'enquête et du rapport, il
faut l'informer de la nature de la plainte et lui permettre d'y
répondre. Cependant, l'organisme enquêteur est maître de sa
propre procédure. Il n'est pas nécessaire qu'il tienne une audi
tion. Tout peut se faire par écrit. Il n'est pas tenu de permettre
la présence d'avocats. Il n'est pas tenu de révéler tous les détails
de la plainte et peut s'en tenir à l'essentiel. Il n'a pas à révéler
sa source de renseignements. Il peut se limiter au fond seule-
ment. De plus, il n'est pas nécessaire qu'il fasse tout lui-même.
Il peut faire appel à des secrétaires et des adjoints pour le
travail préliminaire et plus. Mais en définitive, l'organisme
enquêteur doit arrêter sa propre décision et faire son propre
rapport.
La Cour d'appel de l'Ontario s'y est aussi référée
dans l'affaire Re Downing et Graydon (1979) 21
O.R. 292 dans laquelle le juge Blair s'est ainsi
prononcé à la page 307:
[TRADUCTION] Les affaires Guay c. Lafleur (précitée) et
L'Alliance des Professeurs (précitée) mettent en lumière la
conception traditionnelle suivant laquelle les principes de jus
tice naturelle régissent l'exercice du pouvoir judiciaire mais non
celui du pouvoir administratif. Cette distinction est quelque peu
obscurcie par l'émergence de la doctrine de «l'équité» applicable
à l'exercice du pouvoir administratif: voir l'arrêt Nicholson c.
Haldimand-Norfolk Regional Board of Com'rs of Police
[[1979] 1 R.C.S. 311]. Cette louable restriction ainsi imposée à
l'arbitraire des décisions administratives ne porte, cependant,
d'aucune façon atteinte aux exigences spécifiques et bien éta-
blies de la justice naturelle régissant l'exercice du pouvoir
judiciaire.
On s'est également reporté à l'arrêt Nicholson
dans l'affaire Inuit Tapirisat of Canada c. Son
Excellence le très honorable Jules Léger [1979] 1
C.F. 710, et dans lequel le juge Le Dain, se
référant à l'arrêt Nicholson, s'est ainsi prononcé (à
la page 716):
Compte tenu de cet arrêt, je crois, en toute déférence, qu'il
ne suffit pas, pour trancher la question d'une obligation procé-
durale d'agir équitablement, de conclure que la fonction ou le
pouvoir en cause n'est ni judiciaire ni quasi judiciaire. L'avocat
des intimés soutient que la déclaration ne présente pas la
question d'une obligation d'agir équitablement comme étant
quelque chose de distinct de la justice naturelle. A mon avis, la
relation conceptuelle précise entre une obligation procédurale
d'agir équitablement et les règles de justice naturelle n'est pas
suffisamment nette pour pouvoir radier une déclaration en se
fondant sur les distinctions techniques qui existent entre ces
deux concepts. J'estime que la demande allègue suffisamment
le défaut d'une «audition équitable» pour permettre aux appe-
lantes d'invoquer, comme fondement de leur action, l'obligation
d'agir équitablement. Je ne pense pas que les allusions à la
justice naturelle puissent, en l'espèce, empêcher l'obligation
d'agir équitablement d'être invoquée.
Compte tenu de cette jurisprudence dans les
circonstances de l'espèce, rien n'établit que l'in-
timé Reynett n'a pas agi équitablement. Le temps
consacré à l'examen de la demande de permission
de mariage prouve que la décision n'a pas été
rendue sans réflexion suffisante. De nombreux
documents et rapports ont été soumis et l'intimé a
discuté de la question à plusieurs reprises avec la
requérante Sandra Meadley. Le quatrième para-
graphe de sa lettre montre qu'il a jugé nécessaire
de prendre en considération deux facteurs, à savoir
que le pénitencier n'est pas une place publique et
que la célébration envisagée pourrait mettre en
péril la sécurité de l'institution. (On a admis, à cet
égard, que les permissions pour visite sans sépara-
tion ou les visites avec séparation ne dépendent pas
de l'état civil. En effet, une fois marié, le requérant
serait dans la même situation qu'un autre détenu
déjà marié au moment de son incarcération. On se
fonde sur la conduite du prisonnier, et non sur son
état civil, pour déterminer le type de visites qu'il
peut recevoir.)
C'est sur les actes passés de Bruce qui ont
motivé son transfert dans une unité spéciale de
détention, et sur le fait qu'il a été tenu en isolation
cellulaire depuis 1975, que s'est basé M. Reynett
pour conclure qu'une permission de mariage accor-
dée au requérant pendant son isolement pourrait
porter atteinte à la sécurité de l'institution et qu'en
conséquence, ce mariage représentait, dans les cir-
constances, un espoir illusoire de satisfaction per-
sonnelle. Il a reconnu que les intentions du requé-
rant montrent un progrès très net et témoignent
d'une volonté ferme de changement. Mais il ne
peut autoriser le mariage envisagé, à moins que le
requérant ne prouve sa capacité à s'adapter au
cadre habituel d'un pénitencier. En d'autres
termes, sans fermer la porte définitivement au
mariage envisagé, M. Reynett exige, avant de
donner son autorisation, que le requérant améliore
son attitude. On pourrait alléguer, ainsi que l'a fait
le requérant, qu'il est difficile pour Bruce de
démontrer un changement d'attitude tant et aussi
longtemps qu'il sera en isolement cellulaire et qu'il
n'aura pas été réintégré dans une ambiance plus
normale, mais la Cour n'a pas à connaître de cette
question en l'espèce, pas plus que de la question
touchant au fait que Bruce pourrait être gardé en
isolement cellulaire tant que les chefs d'accusation
portés contre lui n'auront pas été tranchés et qu'il
n'aura pas été transféré au Regional Psychiatric
Centre à Abbotsford. Cette cour n'a pas le pouvoir
d'examiner une décision administrative au fond:
elle doit se limiter à décider si la décision et la
façon dont elle a été rendue sont équitables. La
preuve produite appuie cette conclusion. En consé-
quence, il ne sera délivré contre M. Reynett ni
mandamus ni injonction l'empêchant de refuser
d'autoriser le mariage envisagé. M. Reynett avait
le droit et le pouvoir de prendre cette décision
administrative et la Cour ne peut pas y substituer
son avis.
Il reste à décider s'il faut émettre une injonction
interdisant à l'intimé Donald Yeomans en sa qua-
lité de commissaire à la discipline, ainsi qu'à tout
autre fonctionnaire du Service canadien des péni-
tenciers agissant sous ses ordres, de transférer le
requérant Bruce à l'institution de Millhaven dans
la province de l'Ontario, avant que ne soient
réglées toutes les questions relatives au mariage
envisagé.
Il appert qu'avant de décider du transfert d'un
prisonnier, il faut examiner sa situation familiale
et son état de santé. En l'espèce, quelques affida
vits signés par des médecins nous révèlent que le
requérant pourrait subir une dépression psychique
profonde et que toute perspective de réhabilitation
pourrait être compromise si le mariage envisagé
n'était pas uniquement retardé jusqu'à une amélio-
ration de sa conduite et s'il était transféré en un
lieu très éloigné de sa famille et de sa fiancée, ce
qui évidemment porterait sérieusement atteinte à
sa volonté d'entreprendre un traitement de réhabi-
litation au Regional Psychiatric Centre à Abbots-
ford. En outre, la requérante Sandra Meadley a
déclaré qu'elle devrait alors renoncer à son emploi
actuel pour le suivre à Millhaven afin d'être à ses
côtés, ce qui lui occasionnerait sans doute bien des
difficultés. Bien qu'une décision en matière de
transfert soit également de nature administrative,
elle doit néanmoins être équitable et tenir compte
de tous les éléments. Le juge Collier a conclu en ce
sens dans l'affaire Magrath c. La Reine [1978] 2
C.F. 232, où il dit (à la page 255):
Je ne dis pas qu'un détenu ne peut jamais être en droit de
contester, pour manque d'équité, une décision de transfert prise
à son égard. Certaines circonstances pourraient faire naître un
tel droit.
On a conclu en ce sens même avant que ne soit
rendue la décision dans l'affaire Nicholson.
La question est peut-être académique en l'espèce
puisque aucune décision n'a été prise concernant le
transfert. On comprend, cependant, que les requé-
rants soient inquiets compte tenu du libellé quel-
que peu bizarre de l'avant-dernier paragraphe de
la lettre de M. Reynett où il est dit [TRADUCTION]
«Comme votre conduite dans le passé a justifié
votre transfert à une unité spéciale de détention» et
du passage suivant tiré d'une lettre, datée du 5
septembre 1978, que M. Yeomans a fait parvenir
en réponse à M. Bryan Williams qui lui avait écrit
en tant qu'avocat de Bruce et d'autres personnes:
[TRADUCTION] «Vous avez raison de croire que M.
Bruce sera vraisemblablement transférer au Feder
al Adjustment Centre à l'institution de Millhaven,
en Ontario, aussitôt que les accusations portées
contre lui auront été tranchées par les tribunaux.»
A part le fait que la décision relative au trans-
fert soit une question administrative et que la Cour
ne doive pas substituer son point de vue à celui du
commissaire à la discipline ou de ses représentants
dûment autorisés, il appert qu'on ne peut délivrer
aucune injonction sur une base quia timet dans le
but d'empêcher un transfert éventuel qui peut ne
jamais avoir lieu. Évidemment la décision relative
au transfert ne sera pas prise avant que les tribu-
naux de la Colombie-Britannique ne statuent de
façon définitive sur les diverses accusations portées
contre Bruce. Ainsi, les circonstances d'après les-
quelles la décision sera prise pourront bien avoir
changé. Par exemple, comme nous l'avons déjà
mentionné, il est possible que Bruce soit transféré
au Regional Psychiatric Centre à Abbotsford pour
fins de traitement, plutôt qu'à Millhaven pour fins
d'incarcération. On ne peut alléguer qu'une déci-
sion n'a pas été rendue de façon équitable lors-
qu'en fait aucune décision n'a encore été prise et
qu'il n'existe simplement que des indices de ce qui
pourrait arriver dans un avenir indéterminé. En
conséquence, la demande en vue de la délivrance
d'une injonction doit aussi être rejetée. Comme il
s'agit d'une demande inhabituelle soulevant une
sérieuse question de droit qui n'a jamais encore été
examinée, la demande est rejetée sans frais.
ORDONNANCE
La demande des requérants est rejetée sans
frais.
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