T-3600-76
Lex Tex Canada Limited (Demanderesse)
c.
Duratex Inc. (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Addy—
Montréal, le 28 mai; Ottawa, le 31 mai 1979.
Pratique — Requête en radiation — Le procureur de la
défenderesse a déposé un affidavit traitant de questions de
fond à l'appui d'une partie de la requête — Le procureur de la
défenderesse s'est retranché derrière le secret professionnel
pour refuser de répondre au contre-interrogatoire du procu-
reur de la demanderesse — La Cour rejette toutes les déposi-
tions du témoin qui refuse de répondre au motif qu'il est tenu
au secret professionnel — Attendu que c'est la seule preuve
présentée, la requête doit être rejetée — Règle 419 de la Cour
fédérale.
REQUÊTE.
AVOCATS:
G. A. Macklin pour la demanderesse.
R. Uditsky pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour la
demanderesse.
Greenblatt, Godinsky & Uditsky, Montréal,
pour la défenderesse.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran-
çais par
LE JUGE ADDY: La requête en cause, présentée
par la défenderesse en vertu de la Règle 419 vise à
faire radier certains paragraphes de la déclaration
de la demanderesse. Elle est fondée en partie sur la
Règle 419(1)a), c'est-à-dire sur le motif que la
déclaration ne révèle aucune cause d'action. Il va
de soi que la Cour, en examinant cette obligation,
doit s'en tenir à la déclaration elle-même; elle ne
peut entendre de preuve à l'appui de la requête.
J'ai conclu, pour les motifs prononcés à l'audience,
qu'il ne pouvait être fait droit à la requête de la
défenderesse introduite en vertu de la Règle
419(1)a).
La difficulté provient des autres motifs fondés
sur les alinéas b) à f) inclusivement de la Règle
419(1) et à l'appui desquels une preuve peut être
entendue. Un affidavit émanant du procureur de la
défenderesse a été déposé à l'appui de cette partie
de la requête. Cet affidavit ne fait pas qu'identifier
les documents ou les lettres: il traite également des
questions de fond sur lesquelles cette partie de la
requête est fondée. En voici quelques extraits:
[TRADUCTION] 3. ... la défenderesse a intérêt à ne pas révéler
à la demanderesse et, de ce fait, à ne pas divulguer des
informations touchant l'origine de l'une quelconque de ses
matières premières;
4. ... la préparation de la défense dans cette affaire est
sérieusement entravée et, par conséquent, la défenderesse subit,
dans les circonstances, un préjudice grave et sérieux.
L'avocat de la demanderesse a contre-interrogé
le procureur de la défenderesse sur cet affidavit,
mais ce dernier a refusé, à maintes reprises, de
répondre à nombre de questions qui lui ont été
posées, se retranchant derrière le secret profession-
nel.
Le droit d'une partie de contre-interroger com-
plètement un témoin cité à comparaître par la
partie adverse sur toute question ayant trait à son
témoignage et d'obtenir des réponses à ces ques
tions constitue l'un des principes les plus fonda-
mentaux de notre système judiciaire. Un droit tout
aussi fondamental et encore plus jalousement pré-
servé par nos tribunaux est celui de toute personne
d'être assurée que les communications faites à son
procureur relativement à tout sujet d'ordre juridi-
que ne seront pas divulguées.
L'espèce démontre clairement, et de façon élo-
quente, combien il est contraire aux règles pour le
procureur d'une partie engagée dans une procé-
dure judiciaire de faire une déclaration sous ser-
ment ou de témoigner oralement au nom de son
client relativement à toute question au sujet de
laquelle il a été consulté. Les tribunaux de
common law ont reconnu cette règle depuis fort
longtemps; mais il semble que, depuis peu, cette
dernière soit tombée, jusqu'à un certain point, en
désuétude, du moins en ce qui concerne les procé-
dures interlocutoires, au motif, surtout, qu'il est
beaucoup plus pratique pour le procureur de faire
de telles déclarations.
Quel qu'en soit le motif, il est tout à fait irrégu-
lier et inacceptable de la part d'un procureur de
faire une déclaration sous serment (et ce, même
dans le cadre d'une procédure interlocutoire) lors-
que cette déclaration porte sur des questions de
fond, car il s'expose ainsi à être contre-interrogé
sur des questions faisant l'objet du privilège procu-
reur-client. En l'espèce, l'avocat de la défenderesse
a déclaré très franchement que c'était précisément
afin d'éviter de répondre à des questions relative-
ment à certains aspects de l'affaire sur lesquels un
autre représentant de la défenderesse pourrait être
contre-interrogé, que la décision de faire faire une
déclaration sous serment par le procureur de la
défenderesse a été prise. Cela, bien entendu fait
ressortir d'autant plus clairement l'injustice, fon-
damentale que cette pratique risque d'entraîner.
Si, comme en l'espèce, le procureur refuse de
répondre au motif qu'il est tenu au secret profes-
sionnel, privant ainsi la partie adverse du droit de
le contre-interroger de façon complète et détaillée
sur tous les points soulevés dans l'affidavit, la Cour
n'a pas d'autre choix que de rejeter toute la preuve
produite par ce témoin. En l'espèce, cette preuve se
résume à l'affidavit du procureur et les pièces y
annexées. Étant donné que c'est la seule preuve qui
a été présentée, la requête doit être rejetée.
Au cours des débats, l'avocat de la défenderesse,
tout en faisant valoir que sa cliente ne renonçait
pas au privilège procureur-client, a demandé au
tribunal d'ordonner au procureur de répondre à
certaines questions auxquelles il avait refusé de
répondre, alléguant le secret professionnel, et de
donner les réponses que la Cour jugerait pertinen-
tes afin de trancher la question de la régularité des
plaidoiries contre lesquelles on fait valoir des
objections. A mon avis, une telle ordonnance serait
non seulement totalement irrégulière mais égale-
ment illégale et inapplicable, étant donné que le
privilège est absolu, et selon moi, digne de la même
protection que le principe de l'indépendance du
pouvoir judiciaire, vu qu'il est tout aussi essentiel à
notre système judiciaire.
Puisque l'objet de la requête est très important
et que son règlement non seulement déterminera la
nature et la durée des procédures éventuelles dans
le cadre de l'action mais également aura des consé-
quences importantes sur quelques-uns des droits
fondamentaux des parties, la requête est rejetée
sans préjudice au droit de la défenderesse de la
renouveler ou d'en présenter une supplémentaire
relativement à la déclaration, le tout à la condition
que la défenderesse signifie à la demanderesse un
nouvel avis de requête, le cas échéant, dans les
trois semaines à compter de la date de l'ordon-
nance émise conformément à ces motifs.
Compte tenu de la requête incidente de la
demanderesse portant qu'une défense soit déposée
sans délai dans cette affaire, advenant que la
défenderesse néglige de signifier un nouvel avis de
requête dans le délai susmentionné, elle sera tenue
de signifier et de déposer sa défense dans les dix
jours suivant l'expiration de ce délai. Un avis de
requête émanant de la défenderesse et signifié dans
les trois semaines susmentionnées pourra être pré-
senté après la grande vacance.
Les dépens seront adjugés à la demanderesse
suivant l'issue de la cause.
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