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A-3-79
Hutterian Brethren Church of Wilson (Appelante) (Demanderesse)
c.
La Reine (Intimée) (Défenderesse)
Cour d'appel, les juges Pratte, Heald et Ryan— Edmonton, les 6, 7 et 8 novembre; Ottawa, le 3 décembre 1979.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Déductions Communauté religieuse exploitant une entreprise agricole à but lucratif et prospère Appel contre la décision de la Division de première instance qui a rejeté un appel contre les cotisations d'impôt Bien que tous les arguments avancés en première instance eussent été réitérés en appel, la Cour n'a examiné que deux questions, savoir si l'appelante avait droit à l'exemption prévue à l'art. 149(1)f) de la Loi de l'impôt sur le revenu et si elle avait le droit de déduire la valeur réelle, non pas le coût, des services fournis par ses membres Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63, art. 69(1)c), 149(1)f).
Appel formé contre le rejet par la Division de première instance du recours de l'appelante contre ses cotisations d'impôt sur le revenu. L'avocat de l'appelante a réitéré en appel tous les arguments avancés en première instance, savoir entre autres que l'appelante était une oeuvre de charité ayant droit à l'exemption prévue à l'article 149(1)j) de la Loi de l'impôt sur le revenu et que dans tous les cas, l'appelante avait le droit de déduire du calcul de son revenu la valeur réelle (non pas le coût) des services que lui fournissaient ses membres.
Arrêt: l'appel est rejeté.
Le juge Pratte: Pour se prononcer sur l'argument voulant que l'appelante soit une oeuvre de charité ayant droit à l'exemption prévue à l'article 149(1)f), il n'est pas nécessaire de déterminer si une partie de son revenu pouvait servir à l'usage personnel de ses membres, ou si ses activités religieuses pouvaient être qualifiées d'activités de bienfaisance. Il ressort de la preuve que l'entreprise agricole à but lucratif fut l'activité principale de l'appelante durant les années en question et que la majeure partie de ses ressources servait à l'achat de terres et de matériel agricole. Elle ne pouvait bénéficier de l'article 149(1)f) puis- qu'elle ne consacrait pas toutes ses ressources à des activités de bienfaisance exercées par elle-même. Une entreprise agricole à but lucratif ne devient pas une activité de bienfaisance au sens de cette disposition du seul fait qu'elle est exploitée par une oeuvre de charité ayant l'intention d'utiliser les revenus prove- nant de cette entreprise à des fins de bienfaisance. L'article 69(1)c) n'est d'aucune utilité pour l'appelante puisqu'elle n'a acquis aucun bien de ses membres et qu'elle n'a rien reçu d'eux par donation.
Le juge Heald: Les services fournis par les membres de la colonie à l'appelante n'étaient pas des donations; ils étaient plutôt fournis en application des engagements pris avec la compagnie conformément à ses statuts et conformément au contrat conclu entre la colonie appelante et ses membres. L'article 69(1)c) ne s'applique pas en l'espèce. L'appelante soutient qu'elle s'est vu refuser les déductions accordées aux
autres sociétés commerciales; or ces autres sociétés n'ont droit qu'aux déductions légitimes qui sont réclamées et justifiées.
Le juge Ryan: Les fins commerciales de la société n'étaient pas entièrement subordonnées à une fin religieuse. La société avait un objet commercial aussi bien que religieux—exploiter un établissement agricole à caractère commercial. Les motifs des personnes qui s'adonnaient à l'agriculture pouvaient fort bien être religieux, mais l'entreprise agricole elle-même était exploitée par la société comme une entreprise commerciale. Aucun de ses membres n'avait le droit de participer directe- ment aux bénéfices. Ceux-ci restaient à la disposition de la société pour la poursuite de ses objectifs religieux et commer- ciaux. L'on ne saurait dire que toutes les ressources de la société étaient consacrées à des activités de bienfaisance exer- cées par elle-même, à supposer même que ses objectifs religieux soient, aux fins de la loi, des activités de bienfaisance.
Distinction faite avec l'arrêt: Hofer c. Hofer [1970] R.C.S. 958. Arrêt examiné: Wipf c. La Reine [1975] C.F. 162.
APPEL. AVOCATS:
J. A. Matheson pour l'appelante (demande- resse).
P. Ketchum et B. Saunders pour l'intimée (défenderesse).
PROCUREURS:
J. A. Matheson, Edmonton, pour l'appelante (demanderesse).
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée (défenderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: A l'appui du présent appel, l'avocat de l'appelante a réitéré tous les arguments avancés en Division de première instance [[1979] 1 C.F. 745] pour attaquer les cotisations d'impôt sur le revenu de sa cliente pour les années 1967 à 1975. Je suis d'avis que le juge de première ins tance a eu raison de rejeter tous ces arguments et m'en tiendrai donc à quelques brèves remarques sur deux des prétentions de l'appelante.
La première veut que l'appelante soit une oeuvre de charité pouvant bénéficier de l'exemption
prévue à l'article 149(1)f) de la Loi.'
Pour régler ce premier point il n'est pas néces- saire, à mon avis, de déterminer si une partie du revenu de l'appelante était disponible pour servir au profit personnel de ses membres; il n'est pas nécessaire non plus de déterminer si les activités religieuses de l'appelante pouvaient être considé- rées comme des activités de bienfaisance. Un des principaux objets pour lesquels l'appelante a été constituée est; selon ses statuts:
[TRADUCTION] de pratiquer l'agriculture, l'élevage et la meu- nerie sous toutes leurs formes.
La preuve démontre également que l'exploitation d'une entreprise agricole à but lucratif fut l'acti- vité principale de l'appelante durant les années en question et que la plus grande partie de ses actifs fut utilisée pour l'achat de terres et de matériel agricole. Il me paraît donc évident que l'appelante ne pouvait bénéficier de l'article 149(1)f) puis- qu'elle ne consacrait pas toutes ses ressources à des activités de bienfaisance exercées par elle-même. Une entreprise agricole n'est ni une activité reli- gieuse ni une activité de bienfaisance; c'est une activité commerciale. Ceci, même si cette entre- prise est exploitée par des personnes qui croient que l'agriculture est la seule activité compatible avec une vie véritablement religieuse et ont l'inten- tion d'utiliser leurs revenus pour aider leurs coreli- gionnaires. Comme le dit le juge Pigeon dans son opinion dissidente dans l'arrêt Hofer 2 :
En droit, ce qu'est la religion, ce qu'est une Église, ne saurait dépendre de la croyance religieuse d'aucune dénomination par- ticulière, ... .
Qui plus est, une activité commerciale telle une entreprise agricole à but lucratif ne devient pas une activité de bienfaisance au sens de l'article 149 du seul fait qu'elle est exploitée par une oeuvre de charité ayant l'intention d'utiliser, les revenus pro- venant de cette entreprise à des fins de bienfaisance.
' 149. (1) Aucun impôt n'est payable en vertu de la présente Partie, sur le revenu imposable d'une personne, pour la période cette personne était
J) une oeuvre de charité constituée ou non en corporation, dont toutes les ressources étaient consacrées à des activités de bienfaisance exercées par l'oeuvre elle-même, et dont aucun revenu n'était payable à un propriétaire, membre ou action- naire de cette oeuvre, ou ne pouvait par ailleurs être disponi- ble pour servir au profit personnel de ceux-ci;
2 Hofer c. Hofer [1970] R.C.S. 958, la p. 980.
L'appelante soutient également,—et c'est le second point que je veux examiner—, qu'elle avait de toute façon le droit de déduire, dans le calcul de son revenu, la valeur réelle (non pas le coût) des services qui lui étaient fournis par ses membres. Elle fonde sa prétention sur l'article 69(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63 en vertu duquel:
69.(1)...
c) lorsqu'un contribuable a acquis des biens par donation, legs ou succession, il est réputé les avoir acquis pour une somme égale à leur juste valeur marchande à la date de leur acquisition.
Cet article ne lui est cependant d'aucune utilité puisqu'elle n'a acquis aucun bien de ses membres et qu'elle n'a rien reçu d'eux par donation.
Par ces motifs, je rejette l'appel avec dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: J'ai eu la chance de lire les motifs de mon collègue le juge Pratte. Je suis d'accord avec lui que l'appelante n'a pas le droit de bénéficier de l'exemption prévue à l'article 149(1)f) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Je suis également d'accord avec les motifs sur lesquels il fonde sa conclusion.
J'estime également, avec M. le juge Pratte, que l'appelante ne peut bénéficier des dispositions de l'article 69(1)c) de la Loi de l'impôt sur le reve- nu 3 , puisqu'elle n'a acquis aucun bien de ses mem- bres, par donation ou autrement. Les articles 2o) et p) des statuts de l'appelante prévoient ce qui suit:
[TRADUCTION] o) Les membres de la compagnie devront consacrer tous leur temps, leur travail, leurs soins, leurs gains et leurs forces à la compagnie et aux objets pour lesquels elle est formée, librement et volontairement, et sans aucune rémunéra- tion ou récompense autre que ce qui est ci-après mentionné;
3 Cet article est ainsi rédigé:
69. (1) Sauf dispositions contraires expresses contenues
dans la présente loi,
c) lorsqu'un contribuable a acquis des biens par donation, legs ou succession, il est réputé les avoir acquis pour une somme égale à leur juste valeur marchande à la date de leur acquisition.
p) Les membres de la compagnie auront droit de recevoir de celle-ci la subsistance, l'enseignement et l'éducation, selon les règles, les prescriptions, les exigences et les statuts de la compagnie, selon la religion chrétienne et conformément aux croyances et aux enseignements religieux préconisés et prati- qués par la compagnie, tant et aussi longtemps qu'ils obéiront et qu'ils se soumettront aux règles, prescriptions, exigences et statuts de ladite compagnie;
Dans l'arrêt Wipf c. La Reine 4 , les disposi tions des statuts étaient identiques aux articles 2o) et p) précités, la présente Cour a statué que les statuts constituaient un contrat entre la compagnie et chacun de ses membres. L'extrait suivant des motifs du jugement du juge Ryan dans cet arrêt Wipf s'applique aussi bien, à mon avis, à la pré- sente affaires:
Dans chacune des colonies d'importantes opérations agricoles ont été entreprises pendant les années d'imposition en cause. Ce sont les appelants et les autres membres des compagnies, ainsi que les membres de leurs familles, qui ont effectué les travaux. A mon avis cependant, les travaux agricoles ont été effectués par les compagnies agissant en conformité du pouvoir que leur confère la clause 3 du mémoire des conventions, de se consacrer à l'agriculture et à des entreprises connexes. Les services rendus par les appelants l'ont été en vertu de leurs engagements envers les compagnies tels que décrits au mémoire des conventions.
J'estime donc que les services fournis par les membres de la colonie à l'appelante n'étaient pas des donations; ils étaient plutôt fournis en applica tion des engagements pris avec la compagnie tels que prévus dans les statuts précités et du contrat conclu entre la colonie appelante et ses membres. La contrepartie de la fourniture de ces services est l'engagement de la compagnie d'assurer à ses membres, à leur conjoint et à leurs enfants subsis- tance, enseignement et éducation tel que stipulé expressément à l'article 2p) des statuts précités. Il est donc clair selon moi que l'article 69(1)c) de la Loi ne s'applique pas en l'espèce.
J'examinerai enfin la prétention de l'appelante énoncée au paragraphe 45 de son mémoire:
° Wipf c. La Reine [1975] C.F. 162. Ce jugement de la Cour d'appel a été confirmé par la Cour suprême du Canada.
Le juge Ryan aux pp. 168 et 169.
[TRADUCTION] 45. La déclaration d'impôt modifiée, telle que déposée, présentait comme don communautaire à l'Église l'ex- cédent des revenus sur les dépenses. Comme l'indique la preuve, le travail (sauf en ce qui concerne la nourriture, les vêtements et le logement) fourni par tous les membres de la colonie âgés de 6 ans et plus n'a pas été évalué en argent. Par contre, les cotisations n'ont admis à titre de déduction du revenu aucune somme ou titre du travail, alors que cette déduction, évidem- ment, est admise pour toute autre entreprise commerciale.
Le juge de première instance a déclaré sur ce point à la page 750:
Déduction a été faite du prix réel que chaque colonie a payé pour la main-d'oeuvre, c'est-à-dire le coût des biens et des services qu'elle a fournis à ses membres et à leurs familles et que ces derniers ont consommés. Le prix de revient des achats faits à l'extérieur de la colonie est déduit des recettes pour calculer le revenu imposable tandis que la valeur des biens et des services produits à l'intérieur de la colonie n'est comptée ni dans les recettes ni dans les dépenses. Rien ne justifie l'argu- ment selon lequel il faut déduire du bénéfice net d'une colonie la juste valeur au prix du marché de la main-d'oeuvre qu'elle reçoit à titre bénévole. Cette déduction ne figure pas au nombre des déductions permises pour calculer le revenu imposable d'un contribuable.
Je crois, avec le juge de première instance, que l'appelante n'aurait pas le droit de déduire de son bénéfice net la juste valeur marchande du travail fourni à titre bénévole, si travail à titre bénévole il y avait eu. Je suis également d'accord que dans la mesure l'appelante a réclamé le coût effectif de la main-d'oeuvre, cette déduction a été admise, ce qui en soi est suffisant pour régler la prétention de l'appelante en ce qui concerne le présent appel. Cependant, le contrat oblige l'appelante à fournir aux membres de la colonie ainsi qu'à leurs famil- les, entre autres: le logement, la nourriture, le vêtement, les soins nécessaires d'ordre médical et dentaire et des services d'opticien et de pharma- cien. Il me semble que le coût de tous ces éléments essentiels constitue une dépense déductible pour l'appelante, puisque cela représente vraiment ce qu'il lui en coûte pour obtenir les services de ses membres et de leurs familles, services qui sont indispensables à la bonne marche de ses très importantes activités agricoles, et qu'elle s'était engagée par contrat à fournir ces choses. D'après les déclarations d'impôt modifiées faites par l'ap- pelante pour les années en cause, il est évident que l'exploitation agricole de l'appelante n'est pas seu- lement de grande envergure, mais également très prospère. La preuve démontre que l'appelante est propriétaire d'environ 8,502 acres de terre dans la région de Lethbridge, dans le sud de l'Alberta; que
là-dessus, 6,000 acres environ sont cultivés; que l'appelante a payé ces terres environ $290,000, mais que le prix des terres agricoles ayant beau- coup augmenté depuis, leur valeur actuelle est de beaucoup supérieure à cette somme. Le bénéfice brut de l'appelante en 1973 était de $597,000; en 1974, de $721,000; et en 1975, de $990,000. Venons en maintenant aux dépenses déclarées par l'appelante. Pour l'année d'imposition 1975, par exemple, une déduction de «$38,256.79» est récla- mée au titre de «dépenses de l'Église», ce qui, a-t-on dit, comprenait le coût de la nourriture fournie aux membres de la colonie en plus de celle produite dans la ferme, ainsi que les frais médi- caux et les frais de vêtement. Toutefois la preuve ne permet pas de déterminer si les «dépenses de l'Église» comprennent tout ce que l'appelante est obligée de fournir à ses membres en vertu du contrat. M. J. K. Wurz, dans son témoignage, à la page 115 de la transcription, déclare qu'il y a [TRADUCTION] «... beaucoup d'autres choses», mais malheureusement il ne dit pas de quoi il s'agit ni ne précise la quantité. La preuve révèle qu'il y a dans la colonie appelante 110 personnes dont l'appelante est responsable. Pour les loger convenablement, l'appelante a construit trois habi tations à quatre unités de logement; elle les a meublées et entretenues; elle a construit une buan- derie communautaire dotée de machines puissantes et modernes; et elle a construit, équipé et entretenu une cantine moderne les repas sont préparés et servis à toute la communauté. Puisque la déduc- tion au titre des «dépenses de l'Église» n'est pas décomposée et puisque les coûts afférents au loge- ment ne peuvent être distingués des autres dépen- ses dont la déduction a été réclamée et accordée, il n'est pas possible de déterminer avec certitude si tous les coûts de logement déductibles ont été réclamés. Je prends les coûts de logement à titre d'exemple seulement. Il est fort possible qu'il y ait d'autres dépenses dont la déduction aurait pu être réclamée mais ne l'a pas été. Au vu des états financiers de l'appelante, il semble que la déduc- tion réclamée au titre des «dépenses de l'Église» soit une somme très modeste pour toutes les années d'imposition en cause, si on la compare au montant du bénéfice brut. Cette déduction était de $38,256.79 en 1975, pour un bénéfice brut de plus de $990,000. En 1974, elle était de $39,128.85, pour un bénéfice brut de plus de $721,000. En 1973, elle était de $22,771.72, pour un bénéfice
brut de plus de $597,000. Si l'on considère que les obligations contractuelles de l'appelante visent quelque 110 personnes, ces chiffres, même en tenant 'compte de la preuve selon laquelle la colo- nie suffit à la moitié environ de ses besoins alimen- taires, semblent beaucoup trop bas. Toutefois, comme je l'ai dit plus haut, le ministre du Revenu national a accordé les déductions réclamées par l'appelante pour ces dépenses. Ainsi donc, même si les déductions réclamées par l'appelante sont infé- rieures au coût réel, cela ne l'aide pas dans le présent appel. L'appelante n'a le droit de déduire que les sommes déductibles réclamées de la façon prescrite, avec pièces justificatives à l'appui. C'ést au contribuable qu'il incombe de réclamer les déductions auxquelles il a droit pour ses dépenses et de justifier de ces dernières, non au ministre du Revenu national.
Je fais ces observations en réponse à la préten- tion de l'appelante selon laquelle il ne lui est pas permis de faire des déductions qui sont accordées aux autres sociétés commerciales. Or ces autres sociétés n'ont droit qu'aux déductions légitimes qui sont réclamées et justifiées.
Je trouve également que c'est à bon droit que le juge de première instance a rejeté tous les autres arguments présentés contre les cotisations d'impôt sur le revenu de l'appelante pour les années d'im- position 1967 1975 inclusivement.
Par ces motifs, je rejette l'appel avec dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE RYAN: J'ai lu les motifs du jugement de M. le juge Pratte. J'endosse ses conclusions et les motifs sur lesquels il les fonde. J'ai également pris connaissance des motifs de M. le juge Heald et je suis d'accord avec ce qu'il dit. Je crois donc, avec eux, que l'appel doit être rejeté avec dépens.
Ceci dit, je ferai quelques observations sur une question qui m'a beaucoup préoccupé.
Je songe ici à un passage des motifs du jugement de M. le juge Ritchie dans Hofer c. Hofer 6 , ainsi qu'à une partie des motifs de M. le juge Freedman (tel était alors son titre) dans la même affaire lorsqu'elle était devant la Cour d'appel du Manito- ba'. Le juge Ritchie a dit ce qui suit:
Je suis convaincu, après avoir lu une grande partie de la preuve soumise de part et d'autre dans la présente affaire et après avoir étudié l'analyse qu'en ont faite le juge de première instance et la Cour d'appel dans leurs motifs de jugement, que la foi et la doctrine de la religion huttérite imprègnent toute l'existence des membres de toutes les colonies huttérites et, à cet égard, j'adopte le langage dont s'est servi le savant juge de première instance dans ses motifs de jugement quand il dit:
[TRADUCTION] Pour un Huttérite, l'Église est toute sa vie. La colonie est une association de personnes en fraternité spirituelle. La preuve tangible de cette communauté spiri- tuelle est la communauté matérielle (secondaire) qui les entoure. Ils ne cultivent pas uniquement pour cultiver, c'est le moyen d'existence qui leur garantit le plus d'indépendance vis-à-vis du monde extérieur. Le ministre est le chef spirituel et séculier de la communauté.
Il s'ensuit, à mon avis, que nonobstant le fait que la colonie d'Interlake soit une exploitation agricole florissante on ne peut pas dire qu'il s'agit d'une entreprise commerciale au sens qu'aucun de ses membres aurait un droit de participer aux bénéfices. La colonie n'est que le prolongement de l'Église et la considération primordiale qui préside à la détermination des droits de tous les membres est la réalisation de leur conception du christianisme. Pour les Huttérites, les activités de leur association sont le signe de l'Église temporelle. Dans ce con- texte, il m'est impossible de considérer en droit la colonie d'Interlake comme une espèce de société.
Le juge Freedman s'est exprimé en ces termes:
[TRADUCTION] Le mode de vie des Huttérites est à maints égards unique. Son trait dominant est probablement la présence de l'élément religieux dans tous les aspects de la vie de l'Hutté- rite. A première vue, les Huttérites mènent une vie d'agricul- teurs; mais le choix de cette activité leur est dicté par les croyances religieuses qui gouvernent leur vie. C'est parce que l'agriculture est une activité rurale, permettant aux membres de la colonie de vivre ensemble comme unité religieuse, à l'abri des influences perturbatrices de la vie urbaine, qu'elle a été choisie comme gagne-pain. A cet égard le premier juge cite le professeur H. L. Trevor-Roper:
Chaque Bruderhof ... est une communauté ... mais elle n'est ni uniquement ni principalement une entité économique. C'est une Église qui a choisi cette voie comme moyen de se conformer à ses croyances religieuses et de mener une vie religieuse.
Le juge de première instance a donc conclu que la Interlake Colony of Hutterian Brethren était une congrégation de la Hutterian Brethren Church; et je suis d'accord avec lui.
6 [1970] R.C.S. 958, aux pp. 968 et 969.
7 (1968) 65 D.L.R. (2°) 607, aux pp. 609 et 610.
Le juge de première instance en l'espèce a dit dans ses motifs qu'aucun élément de preuve ne lui permettait d'aboutir à une conclusion «radicale- ment différente» de celle à laquelle en était arrivé le juge Ritchie dans l'arrêt Hofer 8 .
La question qui me préoccupait était de savoir si, en présumant que l'entreprise agricole était exploitée par la société à titre accessoire, le but fondamental étant de nature religieuse, les bénéfi- ces provenant de l'agriculture ne pouvaient pas être considérés comme ayant été utilisés unique- ment aux fins de cette activité religieuse. Et si l'on présumait également que cette activité religieuse comportait un élément d'intérêt social, élément essentiel aux fins de la loi pour être considérée comme une œuvre de charité, ne pouvait-on pas dire que toutes les ressources de la société de «l'ceuvre», étaient consacrées à des activités de bienfaisance exercées par l'oeuvre elle-même?
Je suis toutefois convaincu que la seule conclu sion à tirer de la preuve devant nous est que les fins commerciales de la société n'étaient pas entiè- rement subordonnées à une fin religieuse. La société avait un objet commercial aussi bien que religieux—exploiter un établissement agricole à caractère commercial—qu'elle poursuivait sur une grande échelle et de façon rentable. Les motifs des personnes qui s'adonnaient à l'agriculture pou- vaient fort bien être religieux. Mais l'entreprise agricole elle-même était exploitée par la société comme une entreprise commerciale. Aucun de ses membres n'avait, il est vrai, le droit de participer directement aux bénéfices. Ceux-ci restaient toute- fois à la disposition de la société pour la poursuite de ses objectifs religieux et commerciaux. L'on ne peut donc vraiment dire que toutes les ressources de la société concernée étaient consacrées à des activités de bienfaisance exercées par elle-même, même si l'on admet que ses objectifs religieux étaient, aux fins de la loi, des activités de bienfaisance.
8 Je tiens à souligner que dans l'arrêt Hofer les questions qui se posaient étaient de savoir si certains membres d'une colonie huttérite, qui avaient été expulsés pour avoir renoncé à la foi huttérite, avaient un droit de propriété dans les actifs de la colonie et s'ils avaient été valablement expulsés. Ce sont des questions évidemment très différentes de celles qui se posent en l'espèce, c'est-à-dire l'assujettissement à l'impôt du revenu de la société.
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