A-3-79
Hutterian Brethren Church of Wilson (Appelante)
(Demanderesse)
c.
La Reine (Intimée) (Défenderesse)
Cour d'appel, les juges Pratte, Heald et Ryan—
Edmonton, les 6, 7 et 8 novembre; Ottawa, le 3
décembre 1979.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions
Communauté religieuse exploitant une entreprise agricole à
but lucratif et prospère — Appel contre la décision de la
Division de première instance qui a rejeté un appel contre les
cotisations d'impôt — Bien que tous les arguments avancés en
première instance eussent été réitérés en appel, la Cour n'a
examiné que deux questions, savoir si l'appelante avait droit à
l'exemption prévue à l'art. 149(1)f) de la Loi de l'impôt sur le
revenu et si elle avait le droit de déduire la valeur réelle, non
pas le coût, des services fournis par ses membres — Loi de
l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63, art. 69(1)c),
149(1)f).
Appel formé contre le rejet par la Division de première
instance du recours de l'appelante contre ses cotisations d'impôt
sur le revenu. L'avocat de l'appelante a réitéré en appel tous les
arguments avancés en première instance, savoir entre autres
que l'appelante était une oeuvre de charité ayant droit à
l'exemption prévue à l'article 149(1)j) de la Loi de l'impôt sur
le revenu et que dans tous les cas, l'appelante avait le droit de
déduire du calcul de son revenu la valeur réelle (non pas le
coût) des services que lui fournissaient ses membres.
Arrêt: l'appel est rejeté.
Le juge Pratte: Pour se prononcer sur l'argument voulant que
l'appelante soit une oeuvre de charité ayant droit à l'exemption
prévue à l'article 149(1)f), il n'est pas nécessaire de déterminer
si une partie de son revenu pouvait servir à l'usage personnel de
ses membres, ou si ses activités religieuses pouvaient être
qualifiées d'activités de bienfaisance. Il ressort de la preuve que
l'entreprise agricole à but lucratif fut l'activité principale de
l'appelante durant les années en question et que la majeure
partie de ses ressources servait à l'achat de terres et de matériel
agricole. Elle ne pouvait bénéficier de l'article 149(1)f) puis-
qu'elle ne consacrait pas toutes ses ressources à des activités de
bienfaisance exercées par elle-même. Une entreprise agricole à
but lucratif ne devient pas une activité de bienfaisance au sens
de cette disposition du seul fait qu'elle est exploitée par une
oeuvre de charité ayant l'intention d'utiliser les revenus prove-
nant de cette entreprise à des fins de bienfaisance. L'article
69(1)c) n'est d'aucune utilité pour l'appelante puisqu'elle n'a
acquis aucun bien de ses membres et qu'elle n'a rien reçu d'eux
par donation.
Le juge Heald: Les services fournis par les membres de la
colonie à l'appelante n'étaient pas des donations; ils étaient
plutôt fournis en application des engagements pris avec la
compagnie conformément à ses statuts et conformément au
contrat conclu entre la colonie appelante et ses membres.
L'article 69(1)c) ne s'applique pas en l'espèce. L'appelante
soutient qu'elle s'est vu refuser les déductions accordées aux
autres sociétés commerciales; or ces autres sociétés n'ont droit
qu'aux déductions légitimes qui sont réclamées et justifiées.
Le juge Ryan: Les fins commerciales de la société n'étaient
pas entièrement subordonnées à une fin religieuse. La société
avait un objet commercial aussi bien que religieux—exploiter
un établissement agricole à caractère commercial. Les motifs
des personnes qui s'adonnaient à l'agriculture pouvaient fort
bien être religieux, mais l'entreprise agricole elle-même était
exploitée par la société comme une entreprise commerciale.
Aucun de ses membres n'avait le droit de participer directe-
ment aux bénéfices. Ceux-ci restaient à la disposition de la
société pour la poursuite de ses objectifs religieux et commer-
ciaux. L'on ne saurait dire que toutes les ressources de la
société étaient consacrées à des activités de bienfaisance exer-
cées par elle-même, à supposer même que ses objectifs religieux
soient, aux fins de la loi, des activités de bienfaisance.
Distinction faite avec l'arrêt: Hofer c. Hofer [1970] R.C.S.
958. Arrêt examiné: Wipf c. La Reine [1975] C.F. 162.
APPEL.
AVOCATS:
J. A. Matheson pour l'appelante (demande-
resse).
P. Ketchum et B. Saunders pour l'intimée
(défenderesse).
PROCUREURS:
J. A. Matheson, Edmonton, pour l'appelante
(demanderesse).
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée (défenderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: A l'appui du présent appel,
l'avocat de l'appelante a réitéré tous les arguments
avancés en Division de première instance [[1979] 1
C.F. 745] pour attaquer les cotisations d'impôt sur
le revenu de sa cliente pour les années 1967 à
1975. Je suis d'avis que le juge de première ins
tance a eu raison de rejeter tous ces arguments et
m'en tiendrai donc à quelques brèves remarques
sur deux des prétentions de l'appelante.
La première veut que l'appelante soit une oeuvre
de charité pouvant bénéficier de l'exemption
prévue à l'article 149(1)f) de la Loi.'
Pour régler ce premier point il n'est pas néces-
saire, à mon avis, de déterminer si une partie du
revenu de l'appelante était disponible pour servir
au profit personnel de ses membres; il n'est pas
nécessaire non plus de déterminer si les activités
religieuses de l'appelante pouvaient être considé-
rées comme des activités de bienfaisance. Un des
principaux objets pour lesquels l'appelante a été
constituée est; selon ses statuts:
[TRADUCTION] de pratiquer l'agriculture, l'élevage et la meu-
nerie sous toutes leurs formes.
La preuve démontre également que l'exploitation
d'une entreprise agricole à but lucratif fut l'acti-
vité principale de l'appelante durant les années en
question et que la plus grande partie de ses actifs
fut utilisée pour l'achat de terres et de matériel
agricole. Il me paraît donc évident que l'appelante
ne pouvait bénéficier de l'article 149(1)f) puis-
qu'elle ne consacrait pas toutes ses ressources à des
activités de bienfaisance exercées par elle-même.
Une entreprise agricole n'est ni une activité reli-
gieuse ni une activité de bienfaisance; c'est une
activité commerciale. Ceci, même si cette entre-
prise est exploitée par des personnes qui croient
que l'agriculture est la seule activité compatible
avec une vie véritablement religieuse et ont l'inten-
tion d'utiliser leurs revenus pour aider leurs coreli-
gionnaires. Comme le dit le juge Pigeon dans son
opinion dissidente dans l'arrêt Hofer 2 :
En droit, ce qu'est la religion, ce qu'est une Église, ne saurait
dépendre de la croyance religieuse d'aucune dénomination par-
ticulière, ... .
Qui plus est, une activité commerciale telle une
entreprise agricole à but lucratif ne devient pas
une activité de bienfaisance au sens de l'article 149
du seul fait qu'elle est exploitée par une oeuvre de
charité ayant l'intention d'utiliser, les revenus pro-
venant de cette entreprise à des fins de
bienfaisance.
' 149. (1) Aucun impôt n'est payable en vertu de la présente
Partie, sur le revenu imposable d'une personne, pour la période
où cette personne était
J) une oeuvre de charité constituée ou non en corporation,
dont toutes les ressources étaient consacrées à des activités de
bienfaisance exercées par l'oeuvre elle-même, et dont aucun
revenu n'était payable à un propriétaire, membre ou action-
naire de cette oeuvre, ou ne pouvait par ailleurs être disponi-
ble pour servir au profit personnel de ceux-ci;
2 Hofer c. Hofer [1970] R.C.S. 958, la p. 980.
L'appelante soutient également,—et c'est là le
second point que je veux examiner—, qu'elle avait
de toute façon le droit de déduire, dans le calcul de
son revenu, la valeur réelle (non pas le coût) des
services qui lui étaient fournis par ses membres.
Elle fonde sa prétention sur l'article 69(1)c) de la
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c.
63 en vertu duquel:
69.(1)...
c) lorsqu'un contribuable a acquis des biens par donation,
legs ou succession, il est réputé les avoir acquis pour une
somme égale à leur juste valeur marchande à la date de leur
acquisition.
Cet article ne lui est cependant d'aucune utilité
puisqu'elle n'a acquis aucun bien de ses membres
et qu'elle n'a rien reçu d'eux par donation.
Par ces motifs, je rejette l'appel avec dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: J'ai eu la chance de lire les
motifs de mon collègue le juge Pratte. Je suis
d'accord avec lui que l'appelante n'a pas le droit de
bénéficier de l'exemption prévue à l'article
149(1)f) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Je suis
également d'accord avec les motifs sur lesquels il
fonde sa conclusion.
J'estime également, avec M. le juge Pratte, que
l'appelante ne peut bénéficier des dispositions de
l'article 69(1)c) de la Loi de l'impôt sur le reve-
nu 3 , puisqu'elle n'a acquis aucun bien de ses mem-
bres, par donation ou autrement. Les articles 2o)
et p) des statuts de l'appelante prévoient ce qui
suit:
[TRADUCTION] o) Les membres de la compagnie devront
consacrer tous leur temps, leur travail, leurs soins, leurs gains et
leurs forces à la compagnie et aux objets pour lesquels elle est
formée, librement et volontairement, et sans aucune rémunéra-
tion ou récompense autre que ce qui est ci-après mentionné;
3 Cet article est ainsi rédigé:
69. (1) Sauf dispositions contraires expresses contenues
dans la présente loi,
c) lorsqu'un contribuable a acquis des biens par donation,
legs ou succession, il est réputé les avoir acquis pour une
somme égale à leur juste valeur marchande à la date de
leur acquisition.
p) Les membres de la compagnie auront droit de recevoir de
celle-ci la subsistance, l'enseignement et l'éducation, selon les
règles, les prescriptions, les exigences et les statuts de la
compagnie, selon la religion chrétienne et conformément aux
croyances et aux enseignements religieux préconisés et prati-
qués par la compagnie, tant et aussi longtemps qu'ils obéiront
et qu'ils se soumettront aux règles, prescriptions, exigences et
statuts de ladite compagnie;
Dans l'arrêt Wipf c. La Reine 4 , où les disposi
tions des statuts étaient identiques aux articles 2o)
et p) précités, la présente Cour a statué que les
statuts constituaient un contrat entre la compagnie
et chacun de ses membres. L'extrait suivant des
motifs du jugement du juge Ryan dans cet arrêt
Wipf s'applique aussi bien, à mon avis, à la pré-
sente affaires:
Dans chacune des colonies d'importantes opérations agricoles
ont été entreprises pendant les années d'imposition en cause. Ce
sont les appelants et les autres membres des compagnies, ainsi
que les membres de leurs familles, qui ont effectué les travaux.
A mon avis cependant, les travaux agricoles ont été effectués
par les compagnies agissant en conformité du pouvoir que leur
confère la clause 3 du mémoire des conventions, de se consacrer
à l'agriculture et à des entreprises connexes. Les services rendus
par les appelants l'ont été en vertu de leurs engagements envers
les compagnies tels que décrits au mémoire des conventions.
J'estime donc que les services fournis par les
membres de la colonie à l'appelante n'étaient pas
des donations; ils étaient plutôt fournis en applica
tion des engagements pris avec la compagnie tels
que prévus dans les statuts précités et du contrat
conclu entre la colonie appelante et ses membres.
La contrepartie de la fourniture de ces services est
l'engagement de la compagnie d'assurer à ses
membres, à leur conjoint et à leurs enfants subsis-
tance, enseignement et éducation tel que stipulé
expressément à l'article 2p) des statuts précités. Il
est donc clair selon moi que l'article 69(1)c) de la
Loi ne s'applique pas en l'espèce.
J'examinerai enfin la prétention de l'appelante
énoncée au paragraphe 45 de son mémoire:
° Wipf c. La Reine [1975] C.F. 162. Ce jugement de la Cour
d'appel a été confirmé par la Cour suprême du Canada.
Le juge Ryan aux pp. 168 et 169.
[TRADUCTION] 45. La déclaration d'impôt modifiée, telle que
déposée, présentait comme don communautaire à l'Église l'ex-
cédent des revenus sur les dépenses. Comme l'indique la preuve,
le travail (sauf en ce qui concerne la nourriture, les vêtements
et le logement) fourni par tous les membres de la colonie âgés
de 6 ans et plus n'a pas été évalué en argent. Par contre, les
cotisations n'ont admis à titre de déduction du revenu aucune
somme ou titre du travail, alors que cette déduction, évidem-
ment, est admise pour toute autre entreprise commerciale.
Le juge de première instance a déclaré sur ce
point à la page 750:
Déduction a été faite du prix réel que chaque colonie a payé
pour la main-d'oeuvre, c'est-à-dire le coût des biens et des
services qu'elle a fournis à ses membres et à leurs familles et
que ces derniers ont consommés. Le prix de revient des achats
faits à l'extérieur de la colonie est déduit des recettes pour
calculer le revenu imposable tandis que la valeur des biens et
des services produits à l'intérieur de la colonie n'est comptée ni
dans les recettes ni dans les dépenses. Rien ne justifie l'argu-
ment selon lequel il faut déduire du bénéfice net d'une colonie
la juste valeur au prix du marché de la main-d'oeuvre qu'elle
reçoit à titre bénévole. Cette déduction ne figure pas au nombre
des déductions permises pour calculer le revenu imposable d'un
contribuable.
Je crois, avec le juge de première instance, que
l'appelante n'aurait pas le droit de déduire de son
bénéfice net la juste valeur marchande du travail
fourni à titre bénévole, si travail à titre bénévole il
y avait eu. Je suis également d'accord que dans la
mesure où l'appelante a réclamé le coût effectif de
la main-d'oeuvre, cette déduction a été admise, ce
qui en soi est suffisant pour régler la prétention de
l'appelante en ce qui concerne le présent appel.
Cependant, le contrat oblige l'appelante à fournir
aux membres de la colonie ainsi qu'à leurs famil-
les, entre autres: le logement, la nourriture, le
vêtement, les soins nécessaires d'ordre médical et
dentaire et des services d'opticien et de pharma-
cien. Il me semble que le coût de tous ces éléments
essentiels constitue une dépense déductible pour
l'appelante, puisque cela représente vraiment ce
qu'il lui en coûte pour obtenir les services de ses
membres et de leurs familles, services qui sont
indispensables à la bonne marche de ses très
importantes activités agricoles, et qu'elle s'était
engagée par contrat à fournir ces choses. D'après
les déclarations d'impôt modifiées faites par l'ap-
pelante pour les années en cause, il est évident que
l'exploitation agricole de l'appelante n'est pas seu-
lement de grande envergure, mais également très
prospère. La preuve démontre que l'appelante est
propriétaire d'environ 8,502 acres de terre dans la
région de Lethbridge, dans le sud de l'Alberta; que
là-dessus, 6,000 acres environ sont cultivés; que
l'appelante a payé ces terres environ $290,000,
mais que le prix des terres agricoles ayant beau-
coup augmenté depuis, leur valeur actuelle est de
beaucoup supérieure à cette somme. Le bénéfice
brut de l'appelante en 1973 était de $597,000; en
1974, de $721,000; et en 1975, de $990,000.
Venons en maintenant aux dépenses déclarées par
l'appelante. Pour l'année d'imposition 1975, par
exemple, une déduction de «$38,256.79» est récla-
mée au titre de «dépenses de l'Église», ce qui,
a-t-on dit, comprenait le coût de la nourriture
fournie aux membres de la colonie en plus de celle
produite dans la ferme, ainsi que les frais médi-
caux et les frais de vêtement. Toutefois la preuve
ne permet pas de déterminer si les «dépenses de
l'Église» comprennent tout ce que l'appelante est
obligée de fournir à ses membres en vertu du
contrat. M. J. K. Wurz, dans son témoignage, à la
page 115 de la transcription, déclare qu'il y a
[TRADUCTION] «... beaucoup d'autres choses»,
mais malheureusement il ne dit pas de quoi il
s'agit ni ne précise la quantité. La preuve révèle
qu'il y a dans la colonie appelante 110 personnes
dont l'appelante est responsable. Pour les loger
convenablement, l'appelante a construit trois habi
tations à quatre unités de logement; elle les a
meublées et entretenues; elle a construit une buan-
derie communautaire dotée de machines puissantes
et modernes; et elle a construit, équipé et entretenu
une cantine moderne où les repas sont préparés et
servis à toute la communauté. Puisque la déduc-
tion au titre des «dépenses de l'Église» n'est pas
décomposée et puisque les coûts afférents au loge-
ment ne peuvent être distingués des autres dépen-
ses dont la déduction a été réclamée et accordée, il
n'est pas possible de déterminer avec certitude si
tous les coûts de logement déductibles ont été
réclamés. Je prends les coûts de logement à titre
d'exemple seulement. Il est fort possible qu'il y ait
d'autres dépenses dont la déduction aurait pu être
réclamée mais ne l'a pas été. Au vu des états
financiers de l'appelante, il semble que la déduc-
tion réclamée au titre des «dépenses de l'Église»
soit une somme très modeste pour toutes les années
d'imposition en cause, si on la compare au montant
du bénéfice brut. Cette déduction était de
$38,256.79 en 1975, pour un bénéfice brut de plus
de $990,000. En 1974, elle était de $39,128.85,
pour un bénéfice brut de plus de $721,000. En
1973, elle était de $22,771.72, pour un bénéfice
brut de plus de $597,000. Si l'on considère que les
obligations contractuelles de l'appelante visent
quelque 110 personnes, ces chiffres, même en
tenant 'compte de la preuve selon laquelle la colo-
nie suffit à la moitié environ de ses besoins alimen-
taires, semblent beaucoup trop bas. Toutefois,
comme je l'ai dit plus haut, le ministre du Revenu
national a accordé les déductions réclamées par
l'appelante pour ces dépenses. Ainsi donc, même si
les déductions réclamées par l'appelante sont infé-
rieures au coût réel, cela ne l'aide pas dans le
présent appel. L'appelante n'a le droit de déduire
que les sommes déductibles réclamées de la façon
prescrite, avec pièces justificatives à l'appui. C'ést
au contribuable qu'il incombe de réclamer les
déductions auxquelles il a droit pour ses dépenses
et de justifier de ces dernières, non au ministre du
Revenu national.
Je fais ces observations en réponse à la préten-
tion de l'appelante selon laquelle il ne lui est pas
permis de faire des déductions qui sont accordées
aux autres sociétés commerciales. Or ces autres
sociétés n'ont droit qu'aux déductions légitimes qui
sont réclamées et justifiées.
Je trouve également que c'est à bon droit que le
juge de première instance a rejeté tous les autres
arguments présentés contre les cotisations d'impôt
sur le revenu de l'appelante pour les années d'im-
position 1967 1975 inclusivement.
Par ces motifs, je rejette l'appel avec dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE RYAN: J'ai lu les motifs du jugement
de M. le juge Pratte. J'endosse ses conclusions et
les motifs sur lesquels il les fonde. J'ai également
pris connaissance des motifs de M. le juge Heald
et je suis d'accord avec ce qu'il dit. Je crois donc,
avec eux, que l'appel doit être rejeté avec dépens.
Ceci dit, je ferai quelques observations sur une
question qui m'a beaucoup préoccupé.
Je songe ici à un passage des motifs du jugement
de M. le juge Ritchie dans Hofer c. Hofer 6 , ainsi
qu'à une partie des motifs de M. le juge Freedman
(tel était alors son titre) dans la même affaire
lorsqu'elle était devant la Cour d'appel du Manito-
ba'. Le juge Ritchie a dit ce qui suit:
Je suis convaincu, après avoir lu une grande partie de la
preuve soumise de part et d'autre dans la présente affaire et
après avoir étudié l'analyse qu'en ont faite le juge de première
instance et la Cour d'appel dans leurs motifs de jugement, que
la foi et la doctrine de la religion huttérite imprègnent toute
l'existence des membres de toutes les colonies huttérites et, à
cet égard, j'adopte le langage dont s'est servi le savant juge de
première instance dans ses motifs de jugement quand il dit:
[TRADUCTION] Pour un Huttérite, l'Église est toute sa vie.
La colonie est une association de personnes en fraternité
spirituelle. La preuve tangible de cette communauté spiri-
tuelle est la communauté matérielle (secondaire) qui les
entoure. Ils ne cultivent pas uniquement pour cultiver, c'est le
moyen d'existence qui leur garantit le plus d'indépendance
vis-à-vis du monde extérieur. Le ministre est le chef spirituel
et séculier de la communauté.
Il s'ensuit, à mon avis, que nonobstant le fait que la colonie
d'Interlake soit une exploitation agricole florissante on ne peut
pas dire qu'il s'agit d'une entreprise commerciale au sens
qu'aucun de ses membres aurait un droit de participer aux
bénéfices. La colonie n'est que le prolongement de l'Église et la
considération primordiale qui préside à la détermination des
droits de tous les membres est la réalisation de leur conception
du christianisme. Pour les Huttérites, les activités de leur
association sont le signe de l'Église temporelle. Dans ce con-
texte, il m'est impossible de considérer en droit la colonie
d'Interlake comme une espèce de société.
Le juge Freedman s'est exprimé en ces termes:
[TRADUCTION] Le mode de vie des Huttérites est à maints
égards unique. Son trait dominant est probablement la présence
de l'élément religieux dans tous les aspects de la vie de l'Hutté-
rite. A première vue, les Huttérites mènent une vie d'agricul-
teurs; mais le choix de cette activité leur est dicté par les
croyances religieuses qui gouvernent leur vie. C'est parce que
l'agriculture est une activité rurale, permettant aux membres
de la colonie de vivre ensemble comme unité religieuse, à l'abri
des influences perturbatrices de la vie urbaine, qu'elle a été
choisie comme gagne-pain. A cet égard le premier juge cite le
professeur H. L. Trevor-Roper:
Chaque Bruderhof ... est une communauté ... mais elle
n'est ni uniquement ni principalement une entité économique.
C'est une Église qui a choisi cette voie comme moyen de se
conformer à ses croyances religieuses et de mener une vie
religieuse.
Le juge de première instance a donc conclu que la Interlake
Colony of Hutterian Brethren était une congrégation de la
Hutterian Brethren Church; et je suis d'accord avec lui.
6 [1970] R.C.S. 958, aux pp. 968 et 969.
7 (1968) 65 D.L.R. (2°) 607, aux pp. 609 et 610.
Le juge de première instance en l'espèce a dit
dans ses motifs qu'aucun élément de preuve ne lui
permettait d'aboutir à une conclusion «radicale-
ment différente» de celle à laquelle en était arrivé
le juge Ritchie dans l'arrêt Hofer 8 .
La question qui me préoccupait était de savoir
si, en présumant que l'entreprise agricole était
exploitée par la société à titre accessoire, le but
fondamental étant de nature religieuse, les bénéfi-
ces provenant de l'agriculture ne pouvaient pas
être considérés comme ayant été utilisés unique-
ment aux fins de cette activité religieuse. Et si l'on
présumait également que cette activité religieuse
comportait un élément d'intérêt social, élément
essentiel aux fins de la loi pour être considérée
comme une œuvre de charité, ne pouvait-on pas
dire que toutes les ressources de la société de
«l'ceuvre», étaient consacrées à des activités de
bienfaisance exercées par l'oeuvre elle-même?
Je suis toutefois convaincu que la seule conclu
sion à tirer de la preuve devant nous est que les
fins commerciales de la société n'étaient pas entiè-
rement subordonnées à une fin religieuse. La
société avait un objet commercial aussi bien que
religieux—exploiter un établissement agricole à
caractère commercial—qu'elle poursuivait sur une
grande échelle et de façon rentable. Les motifs des
personnes qui s'adonnaient à l'agriculture pou-
vaient fort bien être religieux. Mais l'entreprise
agricole elle-même était exploitée par la société
comme une entreprise commerciale. Aucun de ses
membres n'avait, il est vrai, le droit de participer
directement aux bénéfices. Ceux-ci restaient toute-
fois à la disposition de la société pour la poursuite
de ses objectifs religieux et commerciaux. L'on ne
peut donc vraiment dire que toutes les ressources
de la société concernée étaient consacrées à des
activités de bienfaisance exercées par elle-même,
même si l'on admet que ses objectifs religieux
étaient, aux fins de la loi, des activités de
bienfaisance.
8 Je tiens à souligner que dans l'arrêt Hofer les questions qui
se posaient étaient de savoir si certains membres d'une colonie
huttérite, qui avaient été expulsés pour avoir renoncé à la foi
huttérite, avaient un droit de propriété dans les actifs de la
colonie et s'ils avaient été valablement expulsés. Ce sont là des
questions évidemment très différentes de celles qui se posent en
l'espèce, c'est-à-dire l'assujettissement à l'impôt du revenu de la
société.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.