A-1-79
Le procureur général de Terre-Neuve, pour le
compte de Sa Majesté la Reine du chef de la
province de Terre-Neuve et la The Newfoundland
and Labrador Federation of Municipalities
(Appelants)
c.
La Compagnie des chemins de fer nationaux du
Canada (Intimée)
Cour d'appel, les juges Heald et Urie et le juge
suppléant Kerr—Ottawa, le 30 janvier et le 1"
février 1980.
Transports — Appel sur une question de droit, fondée sur
l'art. 64(2) de la Loi nationale sur les transports, d'une déci-
sion du comité des transports par véhicule à moteur de la
Commission canadienne des transports qui a autorisé une
hausse du tarif du service d'autocar assuré en Terre-Neuve
par le C.N. — L'erreur de droit consisterait en ce que la portée
réelle de cette décision est que le comité n'avait pas compé-
tence pour déterminer si le tarif déposé conformément à
l'art. 40 de la Loi était justifié et raisonnable — Les appelants
soutiennent que le comité a commis l'erreur manifeste de
n'avoir pas terminé l'enquête qu'il était requis d'effectuer par
cet article, notamment en ce qui concerne la nature et l'impor-
tance d'un accroissement de l'efficacité ou d'une réduction des
coûts — Les appelants prétendent que le comité a négligé de
tenir pleinement compte de la preuve établissant l'inefficacité
ou le niveau anormalement élevé des frais d'exploitation du
service — Appel rejeté.
APPEL.
AVOCATS:
O. N. Clarke pour les appelants.
P. J. Lewis, c.r. et H. J. G. Pye, c.r. pour
l'intimée.
M. Vary pour la Commission canadienne des
transports.
PROCUREURS:
Martin, Easton, Woolridge & Poole, Corner
Brook, pour les appelants.
Lewis & Sinnott, Saint-Jean, pour l'intimée.
La Commission canadienne des transports,
Ottawa, pour la Commission canadienne des
transports.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Appel est interjeté, avec per
mission de la Cour, en vertu de l'article 64(2) de la
Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, c.
N-17, modifiée, d'une décision du comité des
transports par véhicule à moteur de la Commission
canadienne des transports, soit la décision n°
MV -40-58 (MV -78-12) du 11 août 1978. L'article
64(2) prévoit un appel avec permission de la Cour
sur une question de droit ou une question de
compétence.
Résumons les faits. Le comité des transports par
chemin de fer de la Commission canadienne des
transports, par sa décision n° R-2673 du 3 juillet
1968, accueillit la demande de la Compagnie des
chemins de fer nationaux du Canada (C.N.)
d'abandonner son service de trains de voyageurs
dans la province de Terre-Neuve. Cette décision n°
R-2673 comportait l'exigence que le service d'au-
tocar proposé par ladite Compagnie à Terre-Neuve
soit institué et exploité de façon continue. C'est
ainsi que le service d'autocar Roadcruiser fut inau-
guré à Terre-Neuve en décembre 1968. Le 19 août
1977, la Compagnie des chemins de fer nationaux
déposa le tarif local spécial de passagers n° 4-3 en
conformité avec les dispositions de l'article 40 de
la Loi nationale sur les transports.' Le tarif n° 4-3
prévoyait une hausse de 15% par rapport au tarif
local spécial de passagers n° 4-2 qui était alors en
vigueur pour le service d'autocar Roadcruiser. Au
' Cet article est ainsi rédigé:
40. (1) Une personne exploitant une entreprise de trans
port par véhicule à moteur visée par la présente Partie ne
doit pas imposer de droits autres que les droits spécifiés dans
un tarif en vigueur déposé à la Commission.
(2) Lorsque la personne qui exploite une entreprise de
transport par véhicule à moteur visée par la présente Partie
est membre d'une association représentant des personnes
engagées dans des exploitations semblables, l'association
peut, en conformité des règlements que la Commission peut
établir à cet égard, préparer et produire auprès de la Com
mission un tarif de droits pour le compte de cette personne.
(3) La Commission peut rendre des ordonnances relatives
à toutes les questions concernant le trafic, les droits et les
tarifs d'une entreprise de transport par véhicule à moteur
visée par la présente Partie, et elle peut rejeter tout tarif de
droits, ou toute partie d'un semblable tarif,
a) que la Commission estime n'être pas compensatoire et
n'être pas justifié par l'intérêt public; ou
(Suite à la page suivante)
cours de l'audience publique tenue en conformité
des dispositions de la Loi suite à leur requête, les
appelants demandèrent à la Commission de rejeter
le tarif n° 4-3 en vertu des pouvoirs qui lui sont
conférés par l'article 40 précité. La question prin-
cipale examinée à l'audience était de savoir si la
Commission devait rejeter l'augmentation de 15%
proposée par la Compagnie des chemins de fer
nationaux. Dans une décision de la majorité de ses
trois membres, le comité décida que le tarif n° 4-3
ne devait pas être rejeté. C'est cette décision qui
fait l'objet du présent appel.
L'avocat des appelants allègue que la décision
attaquée est entachée d'une erreur de droit et d'un
défaut de compétence. Si j'ai bien compris, la
première erreur consisterait en ce que la portée
réelle de cette décision est que le comité a jugé
qu'il n'avait pas compétence, en vertu de l'article
40 précité, pour déterminer si le tarif déposé était
justifié et raisonnable. A l'appui de cette affirma
tion, l'avocat cite un extrait des motifs dissidents
du commissaire March où celui-ci déclarait (D.A.
page 377):
[TRADUCTION] C'est alors que je me suis rendu compte du
fait que mes collègues sont d'avis que l'article 40 de la Loi
nationale sur les transports ne nous donne pas le mandat
d'examiner les raisons des coûts élevés ou du peu de bénéfices
du service Roadcruiser (en acceptant tels quels les chiffres de
M. House).
Telle est l'interprétation que donne le commissaire
March de l'opinion de la majorité, mais cela n'est
pas, à mon avis, confirmé par les opinions expri-
mées par la majorité elle-même dans les motifs de
sa décision. A la page 369 du dossier d'appel, les
motifs de la décision de la majorité disent ceci:
[TRADUCTION] Comme nous l'avons mentionné plus haut, nos
pouvoirs relatifs aux droits et aux tarifs sont prévus à l'article
40 de la Loi.
Et à la page 370 du dossier d'appel, lors de l'exa-
men des dispositions de l'article 40(3)b), la majo-
rité s'est exprimée comme suit:
(Suite de la page précédente)
b) que la Commission estime être un tarif qui tire un
avantage indu de la situation de monopole favorisant les
transporteurs par véhicule à moteur s'il n'existe aucun
service efficace et concurrentiel fourni par un autre trans-
porteur en commun qui n'est pas un autre transporteur par
véhicule à moteur ou une combinaison de transporteurs par
véhicule à moteur;
et la Commission peut exiger que l'entreprise de transport
par véhicule à moteur substitue à ce tarif un tarif de droits
qu'elle juge satisfaisant, ou elle peut prescrire d'autres tarifs
en remplacement du tarif ainsi rejeté en tout ou en partie.
[TRADUCTION] L'alinéa (3)b) de l'article 40 s'applique
directement au service Roadcruiser puisqu'il n'existe manifeste-
ment «aucun service efficace et concurrentiel fourni par un
autre transporteur». Dans ce cas, nous devons décider si le tarif
local spécial de passagers n° 4-3 «tire un avantage indu de la
situation de monopole favorisant les transporteurs par véhicule
à moteur». Pour ce faire, nous estimons pouvoir tenir compte de
tous les faits et de toutes les circonstances qui nous semblent
pertinents.
Et à la page 370, nous trouvons le paragraphe
suivant:
[TRADUCTION] Nous estimons avoir le pouvoir, dans une situa
tion de monopole, de rejeter, aux fins de l'établissement de
tarifs, toute dépense exorbitante, ce qui ne signifie pas que nous
puissions dicter à la compagnie la nature ou l'importance des
dépenses qu'elle devrait faire.
A mon avis, ces extraits établissent clairement que
cette majorité, dans l'interprétation de l'article
40(3), a conclu qu'elle avait le pouvoir de rejeter,
aux fins de l'établissement de tarifs, toute dépense
«exorbitante» et que, dans l'exercice des pouvoirs
que lui confère l'article 40(3)b), elle pouvait «tenir
compte de tous les faits et de toutes les circons-
tances qui [lui semblaient] pertinents»». J'en con-
clus donc, relativement à cet argument de l'avocat
des appelants, que la décision de la majorité ne
comporte aucune erreur de droit ou de compé-
tence.
L'on reproche en second lieu à la majorité du
comité d'avoir commis l'erreur manifeste de
n'avoir pas terminé l'enquête qu'elle était tenue de
faire en vertu de l'article 40(3) précité. Plus préci-
sément, les appelants allèguent que le comité n'a
pas suffisamment poussé l'enquête en ce qui con-
cerne la nature ou l'importance d'un accroissement
de l'efficacité ou d'une diminution des frais possi
bles dans l'exploitation du service Roadcruiser. En
outre, les appelants prétendent que le comité a
négligé de tenir pleinement compte de la preuve
produite par les appelants démontrant l'inefficacité
ou le niveau anormalement élevé des frais d'exploi-
tation du service Roadcruiser. A mon avis cet
argument est sans fondement. Les motifs de la
majorité comptent 58 pages. Dans ces motifs, la
majorité résume parfaitement les dépositions des
témoins qui ont comparu devant le comité. Les
témoins de l'intimée étaient Fabian Kennedy,
gérant du service Roadcruiser et Raymond Nose-
worthy, comptable agréé, membre d'une maison de
vérificateurs dont les services étaient retenus par
l'intimée. Les appelants ont appelé comme témoin
R. K. House, professeur de science économique à
l'Université York. Après un examen attentif de la
preuve, la majorité est arrivée aux conclusions
suivantes (D.A. page 373):
[TRADUCTION] Bien que nous ayons trouvé intéressantes les
comparaisons statistiques qui nous ont été présentées au cours
de l'audience, nous estimons que notre devoir consiste à tran-
cher la question en se fondant sur des faits plutôt que sur des
hypothèses. Nous reconnaissons que l'efficacité de l'exploitation
du service Roadcruiser pourrait être améliorée mais, comme
nous l'avons dit plus haut, la réduction des frais qui pourrait en
résulter ne suffirait toujours pas à éliminer la marge considéra-
ble qui sépare les dépenses des revenus.
A cet égard, nous ne sommes pas d'accord qu'une situation
de monopole nous oblige à fixer un niveau de tarif qui couvri-
rait tout juste les frais d'exploitation, qui s'agisse des frais réels
ou des frais imputés après le rejet des dépenses exorbitantes.
Avant que nous puissions prescrire des tarifs dans une situation
de monopole, il doit nous être démontré que le tarif attaqué
«tire un avantage indu» de cette situation de monopole. Or, nous
ne croyons pas que le fait de percevoir une modeste rémunéra-
tion du capital employé pour la prestation du service Road -
cruiser revienne à tirer un avantage indu de la situation.
Comme, en l'espèce, les revenus qu'assureront les droits prévus
dans le tarif local spécial de passagers n° 4-3 ne couvrent pas les
frais d'exploitation du service Roadcruiser, il est évident qu'un
tel tarif ne tire pas un avantage indu d'une situation de
monopole.
A mon avis la majorité du comité avait devant elle
suffisamment d'éléments de preuve pour statuer
comme elle l'a fait. Il n'a pas été démontré qu'elle
a négligé ou refusé de tenir compte d'aucun élé-
ment de preuve qui lui a été présenté. Si la majo-
rité a reconnu que «l'efficacité de l'exploitation du
service ( ... ) pourrait être améliorée», elle était
toutefois manifestement convaincue qu'un tel
redressement n'éliminerait pas le déficit d'exploita-
tion, conclusion à laquelle elle pouvait à bon droit
arriver d'après la preuve. Par conséquent, le
comité n'était pas tenu de pousser plus loin son
enquête avant d'arriver à cette conclusion. Après
examen du dossier, je suis convaincu que les inves
tigations faites et la preuve produite étaient ample-
ment suffisantes et que la majorité du comité n'a
pas commis d'erreur ouvrant droit à révision dans
son appréciation de la preuve.
Par ces motifs, je rejette l'appel.
* * *
LE JUGE URGE: Je suis d'accord.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT KERR: Je suis d'accord.
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