T-282-80
Donald Wayne Lawrence (alias Jimmy Ray
Henson) et Glorianne Marilyn Lawrence (Requé-
rants)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration et
Jean Boisvert, agent d'immigration, en sa qualité
de directeur du Centre d'immigration du Canada
de Winnipeg (Intimés)
Division de première instance, le juge suppléant
Smith—Winnipeg, le 16 janvier et le 12 février
1980.
Immigration — Brefs de prérogative — Mandamus —
Demande de résidence permanente présentée par un fugitif des
États-Unis et parrainée par son épouse canadienne — Pendant
son séjour au Canada, le requérant avait été condamné à une
peine d'emprisonnement pour actes criminels et, après enquête,
avait fait l'objet d'un avis d'interdiction de séjour lui ordon-
nant de quitter le pays — Le Ministère refuse d'instruire la
demande de résidence permanente et la demande de parrainage
tant que la première n'est pas faite à un bureau des visas à
l'étranger — Recours en mandamus ordonnant aux intimés (1)
d'instruire la demande de résidence permanente, (2) de déter-
miner si l'octroi du droit d'établissement est contraire à la Loi,
(3) de déterminer si une autorisation spéciale est nécessaire
pour l'instruction de la demande de résidence permanente et,
dans l'affirmative, de prendre les mesures nécessaires pour
déterminer si cette autorisation sera donnée, et (4) d'informer
les requérants de la suite réservée à leurs demandes — Loi sur
l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, art. 2(1), 9(1),
19(2)d) — Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-
172, art. 4a), 6(1).
S'étant évadé de prison aux États-Unis où il purgeait une
peine d'emprisonnement de cinq ans, le requérant Donald Law-
rence est entré en 1975 au Canada en se faisant passer pour un
citoyen canadien retournant au pays, alors qu'il était citoyen
des Etats-Unis. Le 29 janvier 1979, il fut déclaré coupable de
quatre actes criminels et condamné à une peine d'emprisonne-
ment de dix-huit mois et le 5 février 1979, les deux requérants
se marièrent. Mme Lawrence est citoyenne canadienne. Au
terme d'une enquête effectuée pendant que Lawrence purgeait
sa peine, un arbitre s'est prononcé pour l'émission d'un avis
d'interdiction de séjour lui ordonnant de quitter le Canada au
plus tard le 1" avril 1980. Vers la fin de 1979, M. Lawrence a
fait une demande de résidence permanente et Mme Lawrence a
demandé à parrainer la demande de son mari. Le Ministère
décida qu'il ne pouvait instruire ni l'une ni l'autre demande tant
que M. Lawrence n'aurait pas fait sa demande de résidence
permanente à un bureau des visas à l'étranger. Les requérants
sollicitent un bref de mandamus ordonnant aux intimés (1) de
recevoir et d'instruire la demande, présentée par M. Lawrence,
de résidence permanente au Canada, (2) de déterminer s'il
serait contraire à la Loi ou au Règlement de lui accorder le
droit d'établissement, (3) de déterminer si M. Lawrence
requiert une autorisation spéciale à titre de condition préalable
de l'acceptation de sa demande de résidence permanente et,
dans l'affirmative, de prendre les mesures nécessaires pour
déterminer si cette autorisation sera donnée, et (4) d'informer
les requérants de l'accueil ou du rejet de leurs demandes.
Arrêt: la requête est accueillie. Il est normal que le Ministère
refuse de donner suite à la demande initiale de résidence
permanente tant que le requérant n'aura pas demandé un visa à
un bureau des visas à l'étranger, mais il ne peut refuser
indéfiniment de prendre une mesure quelconque à propos de
cette demande. Si le Ministère apprenait de façon certaine que
le requérant n'a pas l'intention de se rendre à un bureau des
visas à l'étranger ou si un temps raisonnable s'écoulait sans que
le requérant indique au Ministère à quel bureau des visas il
souhaite que sa demande soit envoyée, la mesure appropriée à
prendre par le Ministère serait de rejeter la demande au motif
que le requérant n'a pas obtenu un visa comme le requiert
l'article 9(1) de la Loi sur l'immigration de 1976. Les témoi-
gnages rendus devant l'arbitre font ressortir d'autres motifs que
le Ministère pourrait invoquer, s'il le voulait, pour rejeter la
demande. Il est évident que M. Lawrence n'a nullement l'inten-
tion de se rendre aux États-Unis pour y faire une demande de
visa à un bureau canadien des visas. Il doit être donné suite
à la demande de parrainage de la demande de son mari
présentée par M"'° Lawrence. Une fois la demande de M.
Lawrence rejetée—ce qui serait la décision logique sur le plan
juridique—, la demande de parrainage de son épouse pourra
être rejetée en application de l'article 79(1)b) au motif que
l'intéressé ne satisfait pas aux exigences de la Loi ou de ses
Règlements. Compte tenu de l'existence de considérations
humanitaires ou de compassion qui pourraient justifier l'octroi
du droit d'établissement et étant donné que le Ministère a
envers M. Lawrence un devoir d'équité, il devrait statuer sur la
demande de ce dernier avant que le requérant ne soit tenu de
quitter le Canada conformément à l'avis d'interdiction de
séjour, et assez tôt pour que ses droits d'appel et ceux de son
répondant ne soient pas compromis.
Distinction faite avec les décisions: Gachinga c. Le minis-
tre de l'Emploi et de l'Immigration, Athwal c. Le ministre
de l'Emploi et de l'Immigration, Dawson c. Le ministre de
l'Emploi et de l'Immigration, Tremblay -Singh c. Le
ministre de l'Emploi et de l'Immigration, Le ministre de
l'Emploi et de l'Immigration c. Sleiman.
REQUÊTE.
AVOCATS:
Arne Peltz pour les requérants.
Craig Henderson pour les intimés.
PROCUREURS:
Arne Peltz, Winnipeg, pour les requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT SMITH: Il s'agit d'une
demande présentée par les requérants pour l'émis-
sion d'un bref de mandamus ordonnant:
[TRADUCTION] 1. Que les intimés reçoivent et examinent la
demande présentée par Donald Wayne Lawrence (alias Jimmy
Ray Henson) en vue d'obtenir le droit de résider en permanence
au Canada, en conformité avec ladite Loi et ledit Règlement;
2. Que les intimés déterminent s'il serait contraire à ladite Loi
et audit Règlement d'accorder le droit d'établissement au re-
quérant Donald Wayne Lawrence;
3. Que les intimés déterminent si le requérant Donald Wayne
Lawrence a besoin, à titre de condition préalable à l'accueil de
sa demande de résidence permanente, d'une autorisation spé-
ciale sous le régime des articles 9(1) et 115(I)(ii) de ladite Loi
et, le cas échéant, que les intimés prennent toutes les mesures
nécessaires et habituelles pour déterminer si cette autorisation
sera donnée par les autorités compétentes;
4. Que les intimés avisent le requérant Donald Wayne Law-
rence de l'accueil ou du rejet de sa demande de résidence
permanente et, en outre, que les intimés avisent la requérante
Glorianne Marilyn Lawrence par écrit de l'accueil ou du rejet
de sa demande en vue de parrainer Donald Wayne Lawrence à
titre de personne appartenant à la catégorie de la famille, en
conformité avec l'article 79 de ladite Loi;
5. Et que soient prises toutes autres mesures que la Cour
estimera justes.
Le requérant Donald Wayne Lawrence est un
citoyen des États-Unis d'Amérique. La requérante
est, de naissance, citoyenne du Canada.
Les faits ne sont pas contestés. Aux fins de la
présente requête on peut les résumer comme suit.
Le requérant Donald Wayne Lawrence entra au
Canada le 5 juillet 1978. Il s'était évadé d'une
prison américaine où il était détenu sous garde
légale. A la frontière canadienne, il déclara, en
réponse aux questions d'un préposé des douanes
canadien, s'appeler Jimmy Ray Henson et être un
citoyen canadien revenant au Canada. Il se rendit
ensuite directement à la résidence de la requérante
à Winnipeg et ils commencèrent à vivre ensemble
comme mari et femme. Il avait fait la connaissance
de cette dernière par correspondance en 1975 et la
vit souvent lors d'une longue visite à Winnipeg. En
1977, ayant appris que sa mère était mourante, il
retourna aux Etats-Unis. Peu de temps après, il fut
arrêté pour avoir, en 1975, employé le courrier
pour frauder. Il fut condamné à une peine d'empri-
sonnement de cinq ans pour cette faute; c'est
pendant qu'il purgeait cette peine qu'il s'évada le 3
juillet 1978 et vint au Canada. Au cours des six
mois qui suivirent, il exerça, sans autorisation,
divers emplois à temps partiel dont un d'une
dizaine de jours au Winnipeg Winter Club.
Le 5 février 1979, les requérants se marièrent à
Winnipeg. Le 29 janvier . 1979, Donald Wayne
Lawrence avait été déclaré coupable de quatre
infractions à l'article 338 du Code criminel,
S.R.C. 1970, c. C-34 tel que modifié par S.C.
1974-75-76, c. 93, art. 32, et condamné à une
peine d'emprisonnement de 18 mois. La peine
maximale dont il était passible était de 10 ans.
Par suite du rapport dont le requérant Donald
Wayne Lawrence fit l'objet en vertu de l'article
27(2) de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C.
1976-77, c. 52, un arbitre, Kevin Flood, tint, le 19
avril 1979, une enquête à son sujet. A cette
époque, il purgeait la peine d'emprisonnement de
18 mois prononcée contre lui le 29 janvier 1979.
Au terme de l'enquête, l'arbitre déclara qu'à plu-
sieurs égards c'était le cas le plus insolite qu'il eût
jamais vu. Il statua que serait émis contre le
requérant un avis d'interdiction de séjour ordon-
nant à celui-ci de quitter le Canada au plus tard le
Zef avril 1980.
L'avis introductif de la présente requête fut
déposé le 10 janvier 1980. Entre-temps, les faits
suivants s'étaient produits:
1. Le 14 novembre 1979, M. Arne Peltz, avocat des requérants,
avait écrit au directeur du Centre d'immigration du Canada
(Pièce «A» jointe à l'affidavit de Glorianne Marilyn Lawrence),
déclarant que Donald Wayne Lawrence désirait demander le
droit d'établissement en vertu de la Loi sur l'immigration de
1976 et que Mme Lawrence désirait parrainer la demande de
son mari en conformité avec l'article 4 du Règlement sur
l'immigration de 1978. Dans sa lettre, il ajoutait ce qui suit:
[TRADUCTION] Je vous prierais de bien vouloir accorder
une entrevue à mes clients et de déterminer s'il y a lieu
d'accueillir leur demande. Si vous deviez estimer qu'une
exception aux dispositions actuelles est nécessaire en l'espèce
je vous prierais de bien vouloir prendre les mesures habituel-
les pour ce faire, en conformité avec la Loi et les Règlements.
Si vous deviez conclure que le droit d'établissement ne
peut pas être octroyé à M. Lawrence, veuillez donner à ce
dernier et à son épouse un avis écrit et motivé du rejet de la
demande. Je vous saurais gré de m'en transmettre une copie.
2. Le 19 décembre 1979, Mm» Lawrence avait rencontré M. P.
Y. Lau, agent d'immigration au Centre d'immigration du
Canada de Winnipeg. Elle lui avait remis la lettre précitée et
lui avait demandé de recevoir sa demande pour parrainer son
mari à titre de personne appartenant à la catégorie de la
famille, ce qu'il fit. Il refusa cependant de recevoir une
demande présentée par son mari en vue d'obtenir le droit de
résider en permanence au Canada.
Note: Les termes du paragraphe précédent sont tirés de l'affi-
davit de Mn' Lawrence. Ils ne sont pas tout à fait exacts
puisqu'en vertu de la Loi actuelle, elle parraine non pas son
mari mais la demande de son mari.
3. Le 28 décembre 1979, M'"' Lawrence avait reçu une lettre
(Pièce «Bll jointe à son affidavit), datée du 21 décembre 1979 et
signée de M. Lau, ainsi conçue:
[TRADUCTION] La présente fait suite à la demande que vous
avez soumise le 19 décembre 1979 pour votre mari, M.
Donald Wayne Lawrence, en produisant la formule (IMM
1009) «Parrainage d'une demande par un membre de la
catégorie de la famille et engagement à fournir de l'aide..
La législation ne nous permet pas d'examiner un engagement
si une demande d'admission n'a été présentée par votre mari.
Or, aux termes de l'article 9 de la Loi sur l'immigration, une
telle demande doit être faite à un de nos bureaux des visas à
l'étranger et examinée par un agent des visas.
Nous ne pouvons donc donner suite à votre engagement tant
que votre mari n'aura pas fait une demande de résidence
permanente au Canada à un de nos bureaux des visas à
l'étranger. Lorsque l'on nous avisera qu'il l'a fait, nous
transmettrons votre engagement à ce bureau pour qu'il
l'étudie.
Une copie de la présente lettre a été adressée à votre avocat,
M' Arne Peltz.
La position du Ministère est clairement énoncée
dans cette lettre. Le Ministère s'appuie sur les
dispositions législatives ou réglementaires suivan- _
tes.
L'article 9(1) de la Loi sur l'immigration de
1976, qui est ainsi rédigé:
9. (1) Sous réserve des dispositions réglementaires, tout
immigrant et tout visiteur doivent demander et obtenir un visa
avant de se présenter à un point d'entrée.
Donald Wayne Lawrence n'avait pas de visa à
son entrée au Canada le 5 juillet 1978.
L'article 19(2)d) de ladite Loi, qui est ainsi
conçu:
19....
(2) Ne peuvent obtenir l'admission, les immigrants et, sous
réserve du paragraphe (3), les visiteurs qui
d) ne remplissent pas les conditions prévues à la présente loi
ou aux règlements ainsi qu'aux instructions et directives
établis sous leur empire.
Donald Wayne Lawrence n'a pas rempli la con
dition selon laquelle il devait obtenir un visa avant
de se présenter à un point d'entrée. Il n'en a pas
non plus obtenu un depuis.
L'article 2(1) de la Loi, qui définit ainsi les
termes «visa» et «agent des visas»:
2.(1)...
«visa» désigne le document délivré ou le cachet apposé par un
agent des visas;
«agent des visas» désigne un agent d'immigration en poste à
l'étranger et autorisé par ordre du Ministre à délivrer des
visas;
Les articles 4a) et 6(1) du Règlement,
[DORS/78-172] qui prévoient notamment ce qui
suit:
4. Tout citoyen canadien ou résident permanent résidant au
Canada et âgé d'au moins dix-huit ans peut parrainer une
demande de droit d'établissement présentée par
a) son conjoint;
6. (1) Lorsqu'une personne appartenant à la catégorie de la
famille présente une demande de visa d'immigrant, l'agent des
visas peut lui en délivrer un ainsi qu'aux personnes à sa charge
qui l'accompagnent,
a) si elle et les personnes à sa charge, qu'elles l'accompa-
gnent ou non, satisfont aux exigences de la Loi et du présent
règlement;
b) si le répondant
(i) s'est engagé par écrit auprès du Ministre a prendre des
dispositions concernant le logement et les besoins de cette
personne et des personnes à sa charge qui l'accompagnent
L'avocat des requérants a déclaré qu'il est de
pratique courante au Ministère de donner suite
aux demandes de résidence permanente faites à
l'intérieur du Canada qui sont accompagnées
d'une demande de parrainage faite par un citoyen
canadien appartenant à la catégorie de la famille.
Il a cité les quatre décisions suivantes de la Com
mission d'appel de l'immigration:
1. Gachinga c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration,
décision rendue le 2 octobre 1978;
2. Athwal c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration,
décision rendue le 7 décembre 1978;
3. Dawson c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration,
décision rendue le 18 janvier 1979;
4. Tremblay -Singh c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immi-
gration, décision rendue le 13 février 1979.
La Loi sur l'immigration de 1976 est entrée en
vigueur le 10 avril 1978. Les quatre décisions
précitées ont été rendues après cette date. Toute-
fois, les demandes de parrainage avaient toutes été
faites en 1976 ou en 1977 et l'étude en avait sans
doute commencé avant le 10 avril 1978. Avant
cette date, les règles relatives au parrainage étaient
rédigées différemment des actuels articles 4a) et
6(1) (précités) du Règlement. Auparavant, l'arti-
cle 31(1)a) du Règlement était ainsi conçu:
31. (1) Sous réserve du présent article, toute personne qui
réside au Canada, qui est citoyen canadien ou qui a été
légalement admise au Canada aux fins de résidence perma-
nente et qui a dix-huit ans révolus a le droit de parrainer en vue
de l'admission au Canada pour résidence permanente, l'une ou
l'autre des personnes suivantes (ci-après appelée «personne à
charge parrainée"):
a) l'époux ou l'épouse de cette personne;
En conséquence de ce changement de libellé, le
répondant qui, en vertu de l'article 31(1) du
Règlement, avait autrefois le droit de parrainer un
particulier n'est maintenant autorisé, depuis le 10
avril 1978 qu'à parrainer la demande de ce parti-
culier. Il ne parraine pas le particulier lui-même.
Dans les quatre cas cités par l'avocat, les
demandes de parrainage avaient été régulièrement
faites en vertu de la loi applicable à cette époque et
elles ont été rejetées simplement parce que le
conjoint répondant n'avait pas un visa valide. Je
n'estime donc pas que ces décisions nous autorisent
à dire qu'il est de pratique courante, sous le régime
de la loi actuelle, d'étudier la demande de parrai-
nage de la demande de résidence permanente éma-
nant d'une personne qui se trouve au Canada,
surtout dans les cas où la demande de cette per-
sonne n'a pas été reçue.
L'avocat des intimés m'a signalé la décision
rendue par la Commission d'appel de l'immigra-
tion dans l'affaire Le ministre de l'Emploi et de
l'Immigration c. Sleiman, le 26 février 1979. La
demande de parrainage dans cette affaire avait été
faite le 20 octobre 1978, soit plus de six mois après
l'entrée en vigueur de la Loi sur l'immigration de
1976. A cet égard, l'affaire Sleiman est donc
analogue à la présente.
En fait, ces deux affaires sont pratiquement
identiques, y compris l'envoi d'une lettre par le
Ministère à la femme qui avait fait une demande
pour parrainer son mari. Dans les deux affaires, la
lettre annonçait un refus d'étudier la demande
pour des raisons semblables.
Dans l'affaire Sleiman, au reçu de ladite lettre,
M^ e Sleiman interjeta appel devant la Commission
d'appel de l'immigration contre la décision de ne
pas donner suite à sa demande. Le Ministre déposa
auprès de la Commission, en vertu de la règle 41
des Règles de la Commission d'appel de l'immi-
gration (1978), un avis de requête pour que soit
rendue une ordonnance déclarant que la Commis
sion n'avait pas compétence pour entendre un tel
appel aux motifs: qu'un tel appel ne peut être
interjeté par un répondant en vertu de l'article
79(2) de la Loi que lorsqu'il y a eu rejet d'une
demande de droit d'établissement; qu'il n'y avait
pas eu d'avis de rejet d'une telle demande; que ni
la lettre (précitée) adressée à Mme Sleiman ni une
lettre semblable adressée à M. Sleiman, les deux
lettres en date du ler décembre 1978, n'étaient des
avis de rejet d'une demande de droit d'établisse-
ment; et que la législation canadienne ne permet
pas de recevoir un engagement [d'un répondant]
que s'il est présenté conjointement avec une
demande d'admission qui, selon l'article 9 de la
Loi sur l'immigration de 1976, doit être faite à un
des bureaux de l'Immigration canadienne à
l'étranger et examinée par un agent des visas.
La Commission a conclu qu'il n'y avait pas eu
de rejet d'une demande de droit d'établissement et
que, par conséquent, elle n'avait pas compétence
pour connaître de l'appel de la répondante pour le
compte de son mari.
En l'espèce, au lieu d'interjeter devant la Com
mission d'appel de l'immigration un appel qui,
d'après les faits divulgués jusqu'à présent, aurait
probablement été rejeté au motif que la Commis
sion n'avait pas compétence pour en connaître,
comme dans l'affaire Sleiman, MTe Lawrence a
déposé la présente requête.
Ce que les requérants veulent obtenir en l'espèce
est une décision du Ministère sur la demande de
résidence permanente de Donald Wayne Law-
rence. La lettre du 21 décembre 1979 ne tranche
pas cette question, mais refuse simplement de
donner suite à la demande de parrainage de l'inté-
ressée jusqu'à ce que son mari ait fait une
demande de résidence permanente au Canada à un
des bureaux des visas du Canada à l'étranger.
Sous l'ancienne Loi, lorsqu'un répondant présen-
tait une demande pour parrainer une personne, et
non la demande de cette personne, cherchant à
obtenir le droit de résidence permanente, la
demande du répondant était étudiée. C'est ce qui a
été fait dans chacun des quatre cas cités par
l'avocat des requérants. Dans chaque cas, le Minis-
tère a rejeté la demande de parrainage au motif
que le conjoint parrainé n'était pas titulaire d'un
visa émis par un agent des visas à l'étranger. Dans
chaque cas, appel a été interjeté devant la Com
mission d'appel de l'immigration; celle-ci a décidé
que le rejet de la demande de parrainage était
fondé en droit, mais dans l'affaire Tremblay -
Singh, l'appel a été accueilli en vertu de l'article
79(2)b), qui autorise un appel par un répondant au
motif que des considérations humanitaires ou de
compassion justifient l'octroi d'une mesure spé-
ciale. Le paragraphe (3) de l'article 79. prévoit que
la Commission, en statuant sur un appel visé au
paragraphe (2), peut l'accueillir ou le rejeter.
En l'espèce, étant donné la preuve et les aveux
de M. Lawrence à l'enquête devant l'arbitre, il est
fort possible que la seule chance pour le requérant
d'obtenir une décision finale lui octroyant le droit
d'établissement soit de prouver qu'il existe des
considérations humanitaires ou de compassion jus-
tifiant l'octroi d'une mesure spéciale. Il est clair
que l'arbitre, d'après les motifs qu'il a donnés pour
émettre contre M. Lawrence un avis d'interdiction
de séjour plutôt qu'une ordonnance de renvoi, a été
influencé par de telles considérations. A mon avis
cela ne devrait pas être oublié lors de l'examen de
l'argumentation du répondant.
Dans son affidavit, P. Y. Lau déclare au
paragraphe 7:
[TRADUCTION] 7. Que le requérant (c'est-à-dire Donald
Wayne Lawrence) a eu la possibilité de soumettre une demande
au Bureau de l'immigration de Winnipeg le 15 janvier 1980,
niais qu'il ne sera pas donné suite à cette demande tant que le
requérant n'aura pas indiqué aux intimés le bureau des visas
auquel il désire que la formule de demande soit transmise pour
étude. Vous trouverez ci-joint, portant la cote Pièce "B", une
copie de la lettre adressée au requérant pour lui expliquer la
décision des intimés.
La lettre appelée Pièce «B» dit notamment ce qui
suit:
[TRADUCTION] La présente fait suite à la »Demande de rési-
dence permanente» (formule IMM.8E) que vous avez présentée
à ce bureau le 15 janvier 1980.
Aucune disposition du Règlement sur l'immigration ne permet
la délivrance d'un visa au Canada. Aux termes de l'article 9 de
la Loi sur l'immigration, les demandes d'admission doivent être
faites à un de nos bureaux à l'étranger et examinées par un
agent des visas.
Nous ne pouvons donc donner suite à votre demande tant que
vous ne vous serez pas présenté pour examen à un bureau des
visas à l'étranger. Lorsque l'on nous aura avisé que vous l'avez
fait, nous transmettrons votre demande à ce bureau pour qu'il
l'étudie.
D'après cette lettre et l'affidavit, il est clair que
le Ministère a en sa possession une demande de
résidence permanente au Canada présentée par M.
Lawrence, mais qu'il refuse d'y donner suite tant
que ce dernier n'aura pas demandé un visa à un
bureau des visas à l'étranger. A mon avis, il est
normal que le Ministère adopte cette position au
début, mais il ne peut refuser indéfiniment de
prendre quelque mesure que se soit relativement à
cette demande. Si le Ministère apprenait de façon
certaine que le requérant n'a pas l'intention de se
rendre à un bureau des visas à l'étranger, ou si un
temps raisonnable s'écoulait sans que le requérant
n'indique au Ministère à quel bureau des visas il
désire que sa demande soit envoyée, la mesure
appropriée à prendre par le Ministère serait de
rejeter la demande au motif que le requérant n'a
pas obtenu un visa comme le requiert l'article 9(1)
de la Loi sur l'immigration de 1976. Les témoi-
gnages rendus devant l'arbitre révèlent d'autres
motifs que le Ministère pourrait invoquer, s'il le
voulait, pour rejeter la demande. En l'espèce, je
crois qu'il est évident que M. Lawrence n'a nulle-
ment l'intention de se rendre aux États-Unis pour
y faire une demande de visa à un bureau canadien
des visas.
A mon avis, il doit être donné suite à la
demande de parrainage de la demande de son mari
présentée par Mme Lawrence. Une fois la demande
de M. Lawrence rejetée,—ce qui, en droit, sera
probablement la décision rendue,—ladite demande
de parrainage pourra être rejetée, au motif qu'en
vertu de l'article 79(1)b), l'intéressé ne satisfait
pas aux exigences de la Loi ou de ses Règlements.
Une des exigences prescrites par la Loi est en effet
que celui-ci doit demander et obtenir un visa à un
bureau des visas à l'étranger.
Le Ministère a envers M. Lawrence un devoir
d'équité. Compte tenu de l'existence de considéra-
tions humanitaires ou de compassion qui pour-
raient peut-être justifier l'octroi du droit d'établis-
sement, ce devoir signifie que le Ministère devrait
statuer sur la demande de ce dernier. En outre,
puisque M. Lawrence est obligé, en vertu de l'avis
d'interdiction de séjour qui a été émis contre lui,
de quitter le Canada au plus tard le Zef avril 1980,
la décision devrait être prise dans les meilleurs
délais. En toute justice, cette décision devrait du
reste intervenir assez tôt pour que ses droits d'ap-
pel et ceux de son répondant ne soient pas compro-
mis. Une ordonnance sera rendue à cet effet.
Les requérants n'auront droit qu'à un seul
mémoire de frais pour cette requête.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.