A-17-79
Kai Lee (Requérant)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration
(Intimé)
Cour d'appel, le juge Urie, les juges suppléants
Kelly et Kerr—Toronto, le 17 mai; Ottawa, le 20
juin 1979.
Examen judiciaire — Immigration — Le requérant, étudi-
ant originaire de Hong Kong, avait été convaincu d'infraction
punissable sur déclaration sommaire de culpabilité — Le
requérant s'était gardé de révéler cette condamnation lorsqu'il
avait demandé et obtenu la prolongation de son autorisation de
séjour pour fin d'études, une première fois après la condamna-
tion et la deuxième fois, après son retour d'un voyage à Hong
Kong — Au retour de ce voyage, le requérant a pu entrer au
Canada grâce à son statut d'étudiant et sans rien révéler de sa
condamnation — Procédure d'enquête engagée par l'Immigra-
tion — Demande d'examen et d'annulation de la décision de
l'arbitre qui a conclu que le requérant était une personne non
admissible au titre de l'art. 19(2)a) de la Loi sur l'immigration
de 1976 — Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52,
art. 19(2)a),6) — Code criminel, S.R.C. 1970, c. C-34, art. 294
modifié par S.C. 1974-75-76, c. 93, art. 25 — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 28.
Le requérant sollicite l'examen et l'annulation d'un avis
d'interdiction de séjour rendu le 9 janvier 1979 par un arbitre à
l'issue d'une enquête tenue conformément à l'article 27(4) de la
Loi sur l'immigration de 1976. Le requérant, étudiant origi-
naire de Hong Kong, avait été, par voie de poursuite sommaire,
accusé puis déclaré coupable de vol de moins de $200. Après sa
condamnation qu'il se garda de révéler, le requérant a demandé
et obtenu une prolongation de son autorisation de séjour pour
fin d'études. Peu de temps après sa condamnation, le requérant
s'est rendu à Hong Kong et, à son retour, a pu entrer au
Canada grâce à son statut d'étudiant et sans rien révéler de sa
condamnation. Avant que les procédures ne furent entamées
pour enquêter sur la légitimité de sa présence au Canada, le
requérant a demandé et obtenu une nouvelle prolongation de
son autorisation de séjour pour fin d'études, toujours sans
révéler sa condamnation. L'arbitre a conclu que le requérant
aurait été nécessairement déclaré non admissible en tant que
personne visée à l'article 19(2)a), puisqu'il avait été reconnu
coupable d'une infraction «punissable par voie d'acte d'accusa-
tion, en vertu d'une autre loi du Parlement, d'une peine maxi-
male de moins de dix ans d'emprisonnement».
Arrêt: la demande est accueillie. A la lumière de l'arrêt
Smalenskas c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, la
Cour ne saurait accueillir l'argument du requérant, selon lequel
il n'était pas une personne qui demandait l'admission au
Canada, puisque son autorisation de séjour pour fin d'études
était encore valide à l'époque. Quant au deuxième argument, la
nature de la modification du Code criminel montre qu'en
adoptant l'actuel article 294b), le législateur visait à créer deux
infractions distinctes lorsque la valeur du vol ne dépasse pas
$200: acte criminel et infraction punissable sur déclaration
sommaire de culpabilité. Le requérant a été déclaré coupable
d'une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpa-
bilité. L'article 19 établit le lien entre la non-admissibilité au
Canada et une «déclaration de culpabilité» pour un acte crimi-
nel ou des déclarations de culpabilité pour plusieurs infractions
susceptibles de poursuite sommaire. Bien que, par suite de
l'infraction commise par le requérant, le ministère public eût pu
requérir une déclaration de culpabilité d'acte criminel, telle n'a
pas été la déclaration de culpabilité qui a été prononcée en fait
contre le requérant. Puisque le requérant n'a pas été déclaré
coupable d'une infraction visée à l'article 19(2)a), mais d'une
infraction visée à l'article 19(2)b), il ne fait pas partie de la
catégorie des personnes exclues par cette disposition. L'arbitre
a commis une erreur de droit en rendant l'avis d'interdiction de
séjour entrepris.
Arrêt suivi: Smalenskas c. Le ministre de l'Emploi et de
l'Immigration [1979] 2 C.F. 145.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
M. J. Danilunas pour le requérant.
G. Garton pour l'intimé.
PROCUREURS:
Marija J. Danilunas, London, pour le
requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT KELLY: Le requérant solli-
cite la révision et l'annulation d'un avis d'interdic-
tion de séjour prononcé le 9 janvier 1979 par un
arbitre à l'issue d'une enquête tenue conformément
au paragraphe 27(4) de la Loi sur l'immigration
de 1976, S.C. 1976-77, c. 52.
C'est en 1976 que le requérant, qui venait de
Hong Kong, a reçu pour la première fois la per
mission d'entrer au Canada à titre d'étudiant.
Selon toute apparence, c'est légalement qu'il se
trouvait, à ce titre, au Canada le 30 mai 1978.
L'autorisation de séjour pour fin d'études, qu'il
détenait à cette époque, expirait le 26 juin 1978.
A Saskatoon, en mai 1978, le requérant a été
accusé, en vertu des articles 283 et 294 du Code
criminel, S.R.C. 1970, c. C-34, de vol de moins de
$200. A la suite de procédures intentées par voie
de déclaration sommaire de culpabilité, le requé-
rant a été, le 30 mai 1978, déclaré coupable de
cette infraction.
Après avoir ainsi été déclaré coupable, ce qu'il
se garda bien de révéler, le requérant a présenté
une demande de prolongation de la durée de son
autorisation de séjour pour fin d'études, qu'il se vit
accorder jusqu'au 20 septembre 1978.
Au cours de l'été de 1978, donc peu de temps
après avoir été déclaré coupable, le requérant a
quitté le Canada à destination de Hong Kong. Le
20 août 1978, il a pu rentrer au Canada par le
point d'entrée qu'est l'aéroport international de
Vancouver, grâce à son statut d'étudiant et en se
gardant de révéler qu'il avait été reconnu coupable
de vol.
Avant que les procédures ne soient entamées en
vue d'enquêter sur la légitimité de sa présence au
Canada, il a présenté une nouvelle demande de
prolongation de la durée de son autorisation de
séjour pour fin d'études, qu'il se vit accorder jus-
qu'au 10 septembre 1979. Encore une fois, il passa
sous silence la déclaration de culpabilité dont il
avait fait l'objet.
L'arbitre a conclu qu'il n'était pas un citoyen
canadien, ni un résident permanent, mais plutôt
une personne qui, en présentant une demande
d'admission, aurait nécessairement été déclarée
non admissible en tant que personne visée à l'arti-
cle 19(2)a), puisqu'il avait déjà été reconnu coupa-
ble d'une infraction «punissable par voie d'acte
d'accusation, en vertu d'une autre loi du Parle-
ment, d'une peine maximale de moins de dix ans
d'emprisonnement».
Le requérant fonde sur deux arguments sa con-
testation -de la décision de l'arbitre. Le premier
porte que le 20 août 1978, le requérant n'était pas
une personne qui demandait l'admission au
Canada, puisque son autorisation de séjour pour
fin d'études était, à cette époque, encore valide. A
la lumière de la décision rendue par cette Cour
dans Smalenskas c. Le ministre de l'Emploi et de
l'Immigration ([1979] 2 C.F. 145), la prétention
du requérant n'est pas soutenable; effectivement,
en quittant le Canada sans avoir obtenu au préala-
ble une permission spéciale pour y rentrer, il
devait, à son retour, se présenter à un agent d'im-
migration comme une personne désireuse d'entrer
au Canada. Si le requérant avait été reconnu
coupable d'une des infractions visées à l'article
19(2)a), il était de ce fait une personne non admis-
Bible au Canada en vertu de la Loi sur l'immigra-
tion de 1976 et ce, malgré la décision prise par
l'agent d'immigration à Vancouver.
Le deuxième argument, que le requérant a fait
valoir avec plus d'insistance, porte qu'après avoir
été reconnu coupable à la suite de procédures
intentées par voie de déclaration sommaire de
culpabilité, il ne tombe pas dans la catégorie de
personnes dont l'admission au Canada, à titre
d'immigrant ou visiteur, est interdite par l'article
19(2)a)—c'est-à-dire la catégorie visée à cette
partie de l'article qui se lit comme suit:
19....
(2) Ne peuvent obtenir l'admission, les immigrants et, sous
réserve du paragraphe (3), les visiteurs qui
a) ont été déclarés coupables d'une infraction ... commise
au Canada ... [qui constitue] une infraction qui peut être
punissable par voie d'acte d'accusation, en vertu d'une autre
loi du Parlement, d'une peine maximale de moins de dix ans
d'emprisonnement ....
Dans l'analyse de ce deuxième argument, l'his-
torique de l'article 19 nous est d'un certain
secours. Depuis plusieurs années, la législation
canadienne en matière d'immigration a établi cer-
taines catégories de personnes non admissibles au
Canada; pour cette raison, leur présence ici ne
peut être légalisée en vertu des procédures ordinai-
res prévues par la Loi. En termes généraux, l'une
des catégories de personnes non admissibles com-
prenait les personnes ayant eu un comportement
que les autorités canadiennes considéraient comme
criminel. Il s'en est suivi logiquement qu'une per-
sonne d'une catégorie non admissible, découverte
au Canada, était considérée comme si elle cher-
chait à y être admise, et sa présence ici ne chan-
geait rien à son statut.
Avant l'adoption de la Loi de 1976, le fait
d'avoir été reconnu coupable d'une infraction com-
portant turpitude morale constituait l'un des critè-
res servant à déterminer l'appartenance à cette
catégorie non admissible. Or, pour établir si une
personne appartenait à cette catégorie, l'agent
chargé d'appliquer• un critère devait nécessaire-
ment porter un jugement de valeur. Il était donc
normal, au moment de la refonte de la Loi en
1976, d'y inclure des critères objectifs permettant
de déterminer les personnes qui ne sont pas admis-
sibles au Canada en raison d'un comportement
criminel. Selon ces critères, l'admission au pays
doit être refusée si la personne a été reconnue
coupable (au Canada ou ailleurs) d'une conduite
répréhensible qui, sans égard à la loi étrangère,
comporte certains éléments propres à une ou plu-
sieurs infractions punissables en vertu des lois du
Canada.
Au moment de décider si une personne désireuse
d'entrer au Canada tombe sous le coup de cette
interdiction, il faut tenir compte des modalités de
la procédure criminelle actuellement applicables
au Canada. Il existe deux façons en vertu desquel-
les un inculpé peut subir son procès et être déclaré
coupable: il y a la façon formelle, c'est-à-dire par
voie d'acte d'accusation, et la façon qui l'est moins,
c'est-à-dire par voie de déclaration sommaire de
culpabilité. Pour les procès relatifs à la perpétra-
tion d'infractions sérieuses, savoir des actes crimi-
nels, il faut recourir à la procédure d'inculpation
par voie d'acte d'accusation; par contre, à l'autre
extrémité, il y a la perpétration d'infractions de
moindre importance reconnues comme des infrac
tions punissables sur déclaration sommaire de cul-
pabilité et pour lesquelles seule la procédure som-
maire peut convenir.
Outre les catégories d'infractions susmention-
nées, les actes tombant sous certaines définitions
générales, tels que les voies de fait commises dans
l'intention de se soustraire ou de résister à l'arres-
tation ou à la détention légale, et la perpétration
d'un vol ou d'un méfait, se voient divisés, par le
Code criminel, en deux infractions punissables dis-
tinctes, dont l'une constitue un acte criminel
assorti, en vertu des termes mêmes de l'article qui
le crée, d'une peine maximale d'emprisonnement,
tandis que l'autre constitue une infraction punissa-
ble sur déclaration sommaire de culpabilité, assor-
tie d'une peine dont la nature est définie par les
dispositions de la Partie XXIV du Code criminel.
Par conséquent, dans un cas donné, l'accusé
peut être cité à procès et, le cas échéant, déclaré
coupable, mais uniquement à l'égard de l'une ou
l'autre de ces infractions et non des deux. C'est au
ministère public à décider de l'infraction pour
laquelle il cherchera à obtenir une déclaration de
culpabilité.
Aux termes de l'article 19 de la Loi sur l'immi-
gration de 1976, les personnes ayant un casier
judiciaire sont réparties en trois catégories selon la
nature de l'infraction et la gravité de la peine
qu'elles auraient encourues en vertu du droit cana-
dien si les infractions pour lesquelles elles ont été
déclarées coupables avaient été commises au
Canada. Premièrement—les personnes déclarées
coupables après avoir été citées à procès par voie
d'acte d'accusation pour une infraction punissable,
en vertu d'une loi canadienne, d'une peine maxi-
male d'au moins dix ans d'emprisonnement;
deuxièmement—les personnes déclarées coupables
après avoir été citées à procès par voie d'acte
d'accusation pour une infraction punissable, en
vertu d'une loi canadienne, d'une peine maximale
de moins de dix ans d'emprisonnement; troisième-
ment—les personnes déclarées coupables d'avoir
commis au moins deux infractions (qui ne décou-
lent pas d'un même événement) punissables sur
déclaration sommaire de culpabilité.
La première et la troisième catégorie ne s'appli-
quent pas au requérant. Quant à la deuxième, qui
a servi de fondement à l'arbitre pour rendre sa
décision, elle est décrite à l'article 19(2)a)
(précité).
La déclaration de culpabilité prononcée contre
le requérant par suite d'un procès sur déclaration
sommaire de culpabilité, et dont la pièce C6 cons-
titue une copie conforme, expose que le requérant
a, le 20 mai 1979, Saskatoon (Saskatchewan),
contrevenu aux articles 283 et 294 du Code crimi-
nel en commettant un vol de marchandises d'une
valeur de moins de $200 appartenant à la compa-
gnie de la Baie d'Hudson, sise à l'angle de la 2'
avenue et de la 23e rue à Saskatoon (Saskatche-
wan).
L'article 294 du Code criminel, tel qu'édicté par
la Loi de 1975 modifiant le droit criminel, S.C.
1974-75-76, c. 93, se lit comme suit:
294. Sauf disposition contraire des lois, quiconque commet
un vol
a) est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprison-
nement de dix ans, si le bien volé est un titre testamentaire
ou si la valeur de ce qui est volé dépasse deux cents dollars;
ou
b) est coupable
(i) d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement de
deux ans, ou
(ii) d'une infraction punissable sur déclaration sommaire
de culpabilité,
si la valeur de ce qui est volé ne dépasse pas deux cents
dollars.
Avant cette modification apportée en 1975, l'ar-
ticle 294 du Code criminel était ainsi libellé:
294. Sauf prescription contraire des lois, quiconque commet
un vol est coupable d'un acte criminel et passible
a) d'un emprisonnement de dix ans, si le bien volé est un
titre testamentaire, ou si la valeur de ce qui est volé dépasse
cinquante dollars, ou
b) d'un emprisonnement de deux ans, si la valeur de ce qui
est volé ne dépasse pas cinquante dollars.
La nature de la modification démontre que le
Parlement avait l'intention en édictant l'actuel
article 294b) de créer deux infractions distinctes
dans les cas où la valeur de ce qui est volé ne
dépasse pas $200: l'une constituant un acte crimi-
nel punissable d'une peine d'emprisonnement
maximale de deux ans, et l'autre constituant une
infraction punissable sur déclaration sommaire de
culpabilité. ,
Rappelons ici que le requérant a été déclaré
coupable d'une infraction punissable sur déclara-
tion sommaire de culpabilité.
L'article 19 établit un lien entre la non-admissi-
bilité au Canada et une «déclaration de culpabilité»
pour une infraction punissable par voie d'acte d'ac-
cusation ou des déclarations de culpabilité pour au
moins deux infractions punissables sur déclaration
sommaire de culpabilité. Bien que le ministère
public pût, par suite de l'infraction commise par le
requérant, demander à ce qu'il soit déclaré coupa-
ble d'un acte criminel, la déclaration de culpabilité
finalement prononcée contre lui ne portait pas sur
une infraction punissable par voie d'acte d'accusa-
tion.
Par conséquent, puisque le requérant n'a pas été
déclaré coupable d'une infraction visée à l'article
19(2)a) et qu'il n'a à son compte qu'une seule
déclaration de culpabilité pour une infraction visée
à l'article 19(2)b), il ne peut être inclus dans la
catégorie de personnes exclues par ces dispositions.
L'arbitre a donc commis une erreur de droit en
prononçant l'avis d'interdiction de séjour dont la
révision est sollicitée en l'espèce.
La demande est accueillie et l'avis d'interdiction
de séjour est annulé.
* * *
LE JUGE URIE y a souscrit.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT KERR y a souscrit.
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