A-366-78
L'Association canadienne des employés du trans
port aérien (Requérante)
c.
Eastern Provincial Airways (1963) Limited et
l'Association internationale des machinistes et des
travailleurs de l'aéroastronautique (Intimées)
Cour d'appel, les juges Heald et Le Dain, le juge
suppléant Kerr—Ottawa, 23 novembre 1979 et 14
janvier 1980.
Examen judiciaire — Relations du travail — Conflit entre
deux syndicats rivaux sur la question de savoir lequel des
deux a compétence pour ce qui est du fret aérien de la
compagnie — Renvoi au Conseil canadien des relations du
travail — Il échet d'examiner si le litige a été soumis au
Conseil dans une action relevant de sa compétence — Il échet
d'examiner si la détermination de l'unité de négociation se
rapporte à l'existence d'une convention collective ou à l'identi-
fication des parties ou des employés liés par la convention
collective — Arrêt (le juge Le Dain dissident): le Conseil est
compétent en l'espèce — Code canadien du travail, S.R.C.
1970, c. L-1, art. 158 — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970
(2° Supp.), c. 10, art. 28.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
Carl R. Thompson pour la requérante.
Thomas C. Turner pour l'intimée Eastern
Provincial Airways (1963) Limited.
Raymond J. Halley pour l'intimée Associa
tion internationale des machinistes et des tra-
vailleurs de l'aéroastronautique.
Gerald J. McConnell et John MacPherson
pour le Conseil canadien des relations du
travail.
PROCUREURS:
Martin, Easton, Woolridge & Poole, Corner
Brook, pour la requérante.
Easton, Facey & Turner, Gander, pour l'inti-
mée Eastern Provincial Airways (1963)
Limited.
Wells, O'Dea, Halley, Earle, Shortall &
Burke, Saint-Jean, pour l'intimée Association
internationale des machinistes et des travail-
leurs de l'aéroastronautique.
Kitz, Matheson, Green & MacIsaac, Halifax,
pour le Conseil canadien des relations du
travail.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Il s'agit ici d'une demande
d'examen et d'annulation présentée au titre de
l'article 28 par l'Association canadienne des
employés du transport aérien (ACETA) relative-
ment à une décision que le Conseil canadien des
relations du travail a rendue le 16 juin 1978 sur
renvoi aux termes de l'article 158 du Code cana-
dien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1 ', d'une ques
tion portée devant un conseil d'arbitrage présidé
par R. Hattenhauer. La difficulté à laquelle ledit
conseil d'arbitrage a fait face et qui a motivé ce
renvoi devant le Conseil est la suivante: l'em-
ployeur, l'Eastern Provincial Airways (1963)
Limited (E.P.A.), a signé des conventions collecti
ves dans lesquelles elle a reconnu l'Association
internationale des machinistes et des travailleurs
de l'aéroastronautique (AIMTA) et l'ACETA
comme agents négociateurs exclusifs d'employés
qui accomplissent certaines fonctions. Les faits
pertinents sont résumés dans la lettre de renvoi que
le conseil d'arbitrage Hattenhauer a adressée au
Conseil canadien des relations du travail. En voici
les termes:
[TRADUCTION]
Président
Conseil canadien des relations du travail
Édifice Lester B. Pearson
4» étage, Tour (D»
125, promenade Sussex
Ottawa (Ontario)
K1A 0X8
Objet: Renvoi en vertu de l'art. 158(1) de la Partie V du Code
canadien du travail
Cher Monsieur,
Suite à l'audition d'un grief entre la section locale 1763 de
l'Association internationale des machinistes et des travailleurs
de l'aéroastronautique et l'Eastern Provincial Airways (1963)
' L'article 158 du Code canadien du travail est rédigé dans
les termes suivants:
158. (1) Lorsqu'une question se pose relativement à une
affaire qui a été portée devant un arbitre ou un conseil d'arbi-
trage, et que cette question se rapporte à l'existence d'une
convention collective ou à l'identification des parties ou des
employés liés par une convention collective, l'arbitre, le conseil
d'arbitrage, le Ministre ou toute partie présumée peut porter la
question devant le Conseil pour instruction et décision.
(2) Le renvoi d'une question devant le Conseil en application
du paragraphe (1) n'a pas pour effet de suspendre une procé-
dure engagée devant un arbitre ou un conseil d'arbitrage à
moins que l'arbitre ou le conseil d'arbitrage ne décide que la
nature de la question justifie la suspension de la procédure ou
que le Conseil n'en ordonne la suspension.
Limited, le conseil d'arbitrage nommé pour régler le différend a
jugé, conformément à l'art. 158 de la Partie V du Code, qu'une
question se rapportant à l'existence d'une convention collective
doit être portée devant le Conseil pour décision. Pour votre
information, vous trouverez ci-joint une copie de la sentence
arbitrale et des copies des éléments de preuve requis par le
conseil (et soumis ultérieurement par la compagnie).
Voici les principaux faits:
(1) Le 31 octobre 1963, le Conseil a émis une ordonnance
(modifiée le 4 mai 1971) accréditant l'Association internatio-
nale des machinistes comme agent négociateur pour une unité
d'employés de l'Eastern Provincial Airways (1963) Limited,
comprenant notamment les commis de fret aérien.
(2) Le 3 mars 1964, le Conseil a émis une ordonnance
accréditant la Maritime Airline Pilots' Association comme
agent négociateur pour une unité d'employés de l'Eastern Pro
vincial Airways (1963) Limited, de laquelle unité était exclu,
entre autres groupes, celui des commis de fret aérien. Par suite
d'une ordonnance d'accréditation datée du 13 mai 1975, l'Asso-
ciation canadienne des employés du transport aérien a remplacé
la Maritime Airline Pilots' Association comme agent négocia-
teur pour la même unité d'employés.
(3) La compagnie a négocié des conventions collectives sépa-
rées avec les deux agents négociateurs et, à partir du 1°' avril
1967, date d'entrée en vigueur des conventions, des tâches
traditionnellement réservées aux commis de fret aérien mais qui
étaient (au sus de l'A.I.M. et avec son accord) accomplies dans
certaines circonstances par les agents du trafic, ont été formel-
lement incluses dans l'énoncé de fonctions de ces derniers qui
font par ailleurs partie de l'unité de négociation MALPA. Sont
jointes à titre d'annexes à la sentence arbitrale les descriptions
de poste respectives qui figurent dans les conventions actuelle-
ment en vigueur.
(4) De l'avis de ce conseil, la question de la compétence
respective des deux agents négociateurs avait été réglée par le
Conseil canadien des relations du travail lorsqu'il a défini les
deux unités de négociation, définition que la compagnie a
d'abord acceptée; toutefois, en 1967, dans la convention
MALPA, elle a étendu unilatéralement le champ de cette unité
de négociation en vue d'y inclure une fonction que le Conseil
avait exclue et assignée spécifiquement à l'unité représentée par
l'A.I.M.
(5) L'art. 118p) donne au Conseil canadien des relations du
travail le pouvoir:
de trancher à toutes fins afférentes à la présente Partie toute
question qui peut se poser, à l'occasion de la procédure,
notamment, et sans restreindre la portée générale de ce qui
précède, la question de savoir
(v) si un groupe d'employés est une unité habile à négocier
collectivement.
(6) L'employeur a-t-il en fait assumé une fonction qui était
réservée au Conseil canadien des relations du travail, (1) en
acceptant dans une convention collective d'élargir unilatérale-
ment l'unité de négociation attribuée par le Conseil à l'agent
négociateur MALPA et (2) en diminuant ainsi unilatéralement
l'unité de négociation pour laquelle le Conseil avait accrédité
l'A.I.M. comme agent négociateur? Telle est la question qui se
pose maintenant. En d'autres termes, ce conseil renvoie mainte-
nant au Conseil canadien des relations du travail, pour décision,
dans un premier temps, la question de savoir si la compagnie a
outrepassé ses pouvoirs en exerçant des pouvoirs réservés au
Conseil et en concédant à la MALPA un droit qu'elle n'avait
pas le pouvoir d'assigner puisqu'il l'avait déjà été à l'agent
négociateur A.I.M.
(7) Si l'on répond par l'affirmative à l'une ou aux deux
questions qui précèdent, il faudra alors déterminer si les con
ventions collectives signées avec la MALPA (et plus tard avec
l'ACETA) ou du moins les articles de ces conventions qui
élargissent le champ de ladite unité, sont toujours valables et
obligatoires. Par conséquent, ce conseil renvoie, dans un
deuxième temps, au Conseil canadien des relations du travail le
soin de trancher la question de la validité de la convention
ACETA dans son intégralité, en présumant que l'article 4.02
soit nul et inséparable du reste de celle-ci, ou (subsidiairement)
s'il est séparable, de trancher la question de la validité de cet
article (et en particulier de la partie qui inclut dans la conven
tion ACETA des tâches déjà couvertes par la convention
A.I.M.).
Si votre Conseil requiert des renseignements ou des explica
tions complémentaires, soyez assuré que nous serons heureux de
vous les fournir, dans la mesure où cela nous sera possible.
(Dossier conjoint vol. 1. pp. 7 à 9.)
Le Conseil a assumé compétence en vertu de l'arti-
cle 158(1) du Code canadien du travail et a rendu
à l'égard du problème susmentionné une décision
assortie de motifs détaillés. En l'espèce, la requé-
rante prétend que le Conseil était incompétent
pour statuer sur ce renvoi présenté au titre de
l'article 158(1), premièrement, parce qu'il n'y était
soulevé aucune question se rapportant à l'existence
d'une convention collective et, deuxièmement,
parce que l'identification des parties liées par la
convention AIMTA ne posait aucun problème. En
outre, la requérante prétend qu'au titre de l'article
158, le conseil d'arbitrage Hattenhauer n'avait pas
la compétence de saisir le Conseil d'un renvoi
concernant la convention ACETA puisque le con-
seil Hattenhauer n'avait à traiter que de la conven
tion AIMTA.
Selon moi, ces arguments sont sans fondement.
En ce qui concerne le premier, j'estime que
lorsque l'article 158(1) donne au Conseil le pou-
voir de statuer sur «... l'existence d'une conven
tion collective», il lui donne obligatoirement com-
pétence pour statuer sur la validité de cette
convention. Or, pour ce faire, il lui faut absolu-
ment examiner toutes les circonstances qui entou-
rent les conventions AIMTA et ACETA, parce
que toutes deux ont pour effet de conférer les
mêmes droits aux deux agents négociateurs.
Je ne suis pas non plus d'accord avec le
deuxième argument de la requérante. Les termes
employés dans l'article 158(1) sont «... l'identifi-
cation des parties ou des employés liés par une
convention collective ...b. [C'est moi qui souligne.]
Dans sa décision, le Conseil a défini les paramè-
tres de chaque convention collective et a ainsi
identifié les employés de l'E.P.A. qui sont en fait
«liés» par chacune d'elles. A mon avis, l'article
158(1) donne nettement au Conseil le pouvoir de
ce faire.
De même, je ne suis pas disposé à accepter le
troisième argument de la requérante car, pour y
souscrire, il faut nécessairement lire la référence à
«une convention collective» comme si, en réalité, il
y était écrit «la convention collective.» L'emploi des
termes «une convention collective» donne claire-
ment au Conseil le pouvoir d'examiner toutes les
conventions collectives pertinentes lorsqu'il statue
sur l'identification des parties liées par une con
vention collective. En examinant les deux conven
tions, le Conseil a donc agi, en l'espèce, dans les
limites de sa compétence.
Pour ces motifs, je conclus que le Conseil cana-
dien des relations du travail était compétent en
vertu de l'article 158 du Code pour connaître de
cette affaire. Par conséquent, je suis d'avis de
rejeter la demande présentée au titre de
l'article 28.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN (dissident): J'ai pris connais-
sance avec grand intérêt des motifs de mon collè-
gue le juge Heald et c'est avec respect que j'avoue
ne pas partager son avis. En effet, selon moi, le
Conseil canadien des relations du travail (CCRT)
n'était pas, en l'espèce, compétent au titre de
l'article 158 du Code canadien du travail pour
prendre la décision qu'il a prise.
Selon cet article, lorsqu'une question se pose
relativement à une affaire portée devant un arbitre
ou un conseil d'arbitrage et que cette question se
rapporte à l'existence d'une convention collective
ou à l'identification des parties ou des employés
liés par une convention collective, le CCRT est
compétent pour l'entendre et la régler. Pour ce
faire, il faut que la question soit exactement du
genre spécifié dans l'article 158 et n'ait pas été
formulée en vue d'étayer cette compétence.
En l'espèce, le point litigieux qui a donné lieu au
renvoi est un conflit de distribution du travail
engendré par les dispositions réciproquement
incompatibles des conventions collectives que la
compagnie («Eastern Provincial») a signées avec
l'Association internationale des machinistes et des
travailleurs de l'aéroastronautique («AIMTA») et
l'Association canadienne des employés du trans
port aérien («ACETA»). Il peut se résumer ainsi:
qui des employés de l'unité AIMTA ou de l'unité
ACETA doit être chargé de remplir et d'envoyer
les feuilles de route afférentes aux opérations de
manutention du fret de l'Eastern Provincial?
Afin de replacer ce point litigieux dans son
cadre, j'estime nécessaire d'en faire la genèse de
façon détaillée. L'AIMTA a été accréditée pour
représenter une unité de négociation comprenant,
entre autres, les «commis de fret aérien» et les
«contrôleurs du chargement» dont les tâches, selon
la définition qu'en donne la convention collective
signée avec l'Eastern Provincial, comprennent le
traitement des feuilles de route pour le fret. La
Maritime Airline Pilots' Association («MALPA»)
a été accréditée pour représenter une unité de
négociation qui comprenait, entre autres, la classi
fication d'«agents», mais qui excluait expressément
les «commis de fret aérien> et les «contrôleurs du
chargement». Par la suite, l'ACETA a succédé à la
MALPA comme agent négociateur d'une unité
d'employés comprenant, entre autres, les «agents
du trafic». Au bout d'un certain temps, dans la
convention MALPA/ACETA, l'énoncé de fonc-
tions des «agents du trafic» a été élargi de manière
à inclure le traitement des feuilles de route et
l'AIMTA a accepté que la compagnie confie ces
tâches à des employés ne faisant pas partie de son
unité lorsque le volume des marchandises n'est pas
suffisant pour justifier l'emploi de préposés au fret
à plein temps. Toutefois, la référence aux feuilles
de route, qui figure dans l'énoncé de fonctions des
«agents du trafic» couverts par la convention
ACETA, ne reflète pas cette restriction et le con-
flit a surgi quand l'ACETA a revendiqué le droit
d'accomplir les tâches relatives aux feuilles de
route quel que soit le volume du trafic. Les deux
conventions collectives comprennent des clauses de
reconnaissance syndicale exclusive qui couvrent les
catégories d'employés y énumérées et des disposi
tions stipulant que les tâches attribuées à ces
catégories seront assignées aux employés des
unités respectives.
Le conflit a donné lieu à la formation de trois
conseils d'arbitrage. On peut les nommer d'après le
nom de leurs présidents respectifs: le conseil Wool-
ridge, le conseil Thistle et le conseil Hattenhauer.
Devant le conseil Woolridge, l'AIMTA a présenté
un grief collectif, alléguant que des agents du
trafic de l'unité ACETA effectuaient le travail de
ses commis de fret aérien dans les bases de l'East-
ern Provincial à Moncton et Halifax. Le conseil,
après avoir souligné que l'ACETA avait déposé un
grief analogue revendiquant compétence sur les
opérations de fret à Moncton et que [TRADUC-
TION] «le véritable litige en cause était un conflit
de compétence entre le syndicat et 1'ACETA au
sujet de tâches de fret de la compagnie», a sus-
pendu les procédures en attendant les résultats du
renvoi dont l'Eastern Provincial avait saisi le
CCRT en vertu de l'article 158. Le renvoi ne
faisait donc pas suite à la décision prononcée par le
conseil Woolridge. Le conseil Thistle a lui aussi été
saisi d'un grief collectif mais déposé cette fois par
l'ACETA qui alléguait que la compagnie avait
contrevenu à la convention collective en permet-
tant à des employés de l'unité AIMTA d'accomplir
certaines tâches relatives au chargement du fret à
Moncton. Le conseil Thistle a refusé d'adopter la
même ligne de conduite que le conseil Woolridge
et de suspendre les procédures en attendant les
résultats du renvoi effectué au titre de l'article
158. En effet, il a tenu compte, entre autres, d'une
opinion exprimée de façon non officielle par le
vice-président du CCRT, selon laquelle l'article
158 ne semblait pas s'appliquer au règlement d'un
conflit de ce genre. Le conseil Thistle a jugé que
l'Eastern Provincial avait enfreint les dispositions
de la convention ACETA et lui a ordonné «de
cesser et de renoncer à embaucher des personnes
assujetties à la convention conclue avec AIMTA
pour accomplir du travail attribué à des employés
aux termes de la présente convention.» La compa-
gnie s'étant soumise à cette décision, l'AIMTA a
déposé un grief dans lequel elle reproche à la
compagnie de violer les termes de la convention
collective la liant à celle-ci en faisant accomplir
par des employés de l'unité ACETA des tâches
assignées aux commis de fret aérien membres de
l'AIMTA. C'est le conseil Hattenhauer qui a été
saisi de ce grief. Il a jugé que la compagnie avait
enfreint les dispositions de la convention AIMTA
et lui a ordonné: [TRADUCTION] «de cesser de faire
accomplir par des employés qui ne sont pas mem-
bres de l'AIMTA des tâches visées par cette con
vention collective, plus spécialement, les tâches
assignées aux commis de fret aérien à Moncton.»
Le conseil a ensuite retardé l'exécution de son
ordonnance [TRADUCTION] «d'un mois à compter
de la date à laquelle le Conseil canadien des
relations du travail aura tranché la question portée
devant lui ou aura déclaré que cette question ne
pouvait faire l'objet d'un renvoi aux termes de
l'art. 158 du Code.» Le conseil Hattenhauer a
ensuite procédé au renvoi fondé sur l'article 158,
que mon collègue le juge Heald expose en détail
dans ses motifs.
En décidant, à la demande de la compagnie, que
les procédures soient suspendues et que l'affaire
soit portée devant le CCRT en vertu de l'article
158, le conseil Hattenhauer a déclaré que:
[TRADUCTION] Enfin, comme le fait valoir la compagnie, le
point litigieux dans ce conflit ne porte ni sur l'existence d'une
convention collective ni sur l'identification des parties à cette
convention. Or, aux termes de l'art. 158(1), seules ces questions
peuvent faire l'objet d'un renvoi devant le Conseil canadien des
relations du travail. Donc, à première vue, il n'y a, en l'espèce,
aucune question qui pourrait être soumise à l'examen du Con-
seil, d'autant plus qu'une opinion en ce sens a déjà été exprimée
par le vice-président du Conseil. Bien sûr, cette opinion, trans-
mise sous forme de lettre, peut être acceptée ou rejetée après
audition par le présent conseil, mais il ne peut certes pas
ignorer une opinion aussi autorisée car ce serait agir sans
discernement. Si l'on entend soumettre, par renvoi, la question
au Conseil canadien des relations du travail, il faudrait que les
deux causes, et non pas une seule, aient été entendues avant
qu'il soit saisi de la question.
Dans son renvoi au CCRT, le conseil Hatten-
hauer a présenté la question comme se rapportant
à l'existence de la convention ACETA, ou à une
partie de cette convention, dans la mesure où elle
entraîne la remise en question de la validité de son
article 4.02 qui assigne aux «agents du trafic» les
tâches relatives aux feuilles de route pour le fret.
Dans sa décision, le CCRT s'est dit d'avis que la
question à lui soumise avait nullement trait à
l'existence d'une convention collective. C'est en ces
termes qu'il a exprimé [30 di 82], la page 87, ses
vues sur l'absence de lien entre la question en litige
et les conditions posées par l'article 158:
De toute évidence, la présente affaire n'a pas trait à un
problème touchant l'existence d'une convention collective. Elle
porte sur la question de savoir si le problème en cause peut être
interprété comme touchant «l'identification des employés liés
par une convention collective». Le genre d'étude nécessaire pour
répondre à cette question est la suivante: il nous faut tout
d'abord déterminer les fonctions véritables de certains
employés, puis se demander si ces employés sont assujettis aux
dispositions d'une convention collective. Le problème qui
résulte de l'application de cette méthode à la présente affaire
est que, prima facie, le Conseil n'ira pas plus loin que les deux
décisions arbitrales contradictoires. Nous constaterons que cer-
tains employés remplissent les fonctions relatives aux feuilles de
route et nous concluerons ensuite que ces employés sont liés par
la convention collective de l'A.I.M.T.A. et par la convention
collective de l'A.C.E.T.A. Voilà la conséquence prima facie et
elle n'ajoute rien au règlement du problème que pose la pré-
sente affaire. Pour le résoudre, le présent Conseil devrait faire
ure démarche de plus et déclarer quelle convention collective
doit s'appliquer dans certaines circonstances. Le Conseil d'arbi-
trage présidé par M. Hattenhauer a réalisé cela et dans le
renvoi qu'il a effectué au Conseil canadien des relations du
travail il lui demande de déterminer si la convention collective
relative à l'A.C.E.T.A. est une convention valide.
Le CCRT a tranché la question dont il avait été
saisi en définissant les pouvoirs de négociation de
l'AIMTA et l'ACETA relativement aux feuilles de
route. Ce faisant (et je le dis avec le plus grand
respect), il s'est efforcé avec ingéniosité d'adapter
l'article 158 au règlement d'un conflit de compé-
tence sur la distribution du travail. Toutefois, aussi
souhaitable qu'il puisse être que le Conseil ait le
pouvoir de résoudre ce genre de conflit, je pense
que l'article 158 n'a pas été conçu à cette fin. Le
Conseil en force trop les termes pour leur faire dire
ce qu'il cherche à démontrer.
Le règlement du point litigieux porté devant le
conseil Hattenhauer (à savoir si la compagnie
avait ou non enfreint en matière de distribution du
travail les dispositions de la convention collective
la liant à l'AIMTA) n'a soulevé aucune question
se rapportant à l'existence de cette convention
collective ou à l'identification des employés qu'elle
lie. De plus, le conseil Hattenhauer était en mesure
de régler le grief, et il l'a fait, sans examiner ces
points. La question qu'il a soumise au CCRT dans
son renvoi est issue des deux sentences arbitrales
contradictoires découlant de dispositions contra-
dictoires touchant la reconnaissance syndicale et la
distribution du travail, contenues dans les deux
conventions collectives. Comme le CCRT le dit
dans le passage précité de sa décision, le problème
qui se pose est le suivant: quelle est celle des deux
conventions qui doit prévaloir? Il ne s'agit donc
pas ici d'un point litigieux se rapportant à l'exis-
tence d'une convention collective ou à l'identifica-
tion des employés qu'elle lie puisque personne ne
conteste que les employés qui accomplissent les
tâches relatives aux feuilles de route dans les gares
de l'Eastern Provincial sont liés par leurs conven
tions collectives respectives. Il s'agit en fait d'un
point litigieux que le CCRT a cherché à résoudre
par une déclaration sur le pouvoir de négociation
des deux syndicats à l'égard des tâches relatives
aux feuilles de route et ce, en se basant sur la
teneur de leurs certificats d'accréditation syndicale
et sur l'abandon par l'AIMTA d'une partie de sa
compétence relative aux tâches afférentes à la
manutention du fret dans certains aérogares. Telle
fut la vraie question posée au Conseil et celle à
laquelle il a répondu. Il n'a pas été appelé à
trancher une question se rapportant à l'existence
d'une convention collective en particulier ou à
l'identification des employés liés par une conven
tion collective. Il ressort de sa décision que les
conventions collectives et les sentences arbitrales
fondées sur elles doivent être interprétées et appli-
quées selon la définition que le Conseil donne du
pouvoir de négociation. Cela ressort clairement
dans le dernier paragraphe de la décision du Con-
seil [à la page 93]:
Dans son renvoi, le Conseil d'arbitrage présidé par M. Hatten-
hauer posait deux questions précises. Nous ne jugeons pas
nécessaire d'y apporter des réponses précises. La déclaration
susmentionnée au sujet de la portée du pouvoir de négociation
de chaque syndicat fait disparaître le problème au centre de ce
conflit. Les conventions collectives, et par conséquent les déci-
sions arbitrales, doivent être interprétées sous réserve de la
présente décision. Cela signifie que la décision Hattenhauer est
valable dans la mesure où elle s'applique à Halifax et que la
décision Thistle relative à Moncton s'applique aussi.
Les répercussions possibles de la décision du Con-
seil sur le degré d'assujettissement de certains
employés, dans certaines situations, à l'une ou
l'autre des conventions, ne sont pas claires. D'ail-
leurs, le Conseil n'avait pas à les préciser.
Dans le cours des plaidoiries, on s'est référé au
pouvoir que les dispositions de l'article
118p)(v),(vi),(vii) et (viii) du Code canadien du
travail confèrent au Conseil. En voici le libellé:
118. Le Conseil a, relativement à toute procédure engagée
devant lui, pouvoir
p) de trancher à toutes fins afférentes à la présente Partie
toute question qui peut se poser, à l'occasion de la procédure,
notamment, et sans restreindre la portée générale de ce qui
précède, la question de savoir
(v) si un groupe d'employés est une unité habile à négocier
collectivement,
(vi) si une convention collective a été conclue,
(vii) si quelque personne ou association est partie à une
convention collective ou est liée par cette dernière, et
(viii) si une convention collective est en application.
On a soutenu qu'en vertu de ces dispositions et, en
particulier, du sous-alinéa (v), le Conseil avait le
pouvoir de prendre la décision qu'il a prise. Si l'on
prend pour acquis que cette décision pourrait s'ins-
crire dans le cadre de l'exercice, par le Conseil, du
pouvoir qui lui permet de déterminer si un groupe
d'employés est une unité habile à négocier collecti-
vement, il faudrait alors décider si toute cette
question a été soumise au Conseil au cours de
procédures pour lesquelles il était compétent. Pour
les raisons que je viens d'exposer, j'estime que le
Conseil n'était pas compétent au titre de l'article
158. En outre, il ressort d'une comparaison entre
les termes de l'article 158 et ceux de l'article 118p)
que la reconnaissance d'un groupe d'employés
comme unité habile à négocier collectivement ne
peut être assimilée à la détermination de l'exis-
tence d'une convention collective ou à l'identifica-
tion des parties ou des employés qu'elle lie. Il ne
faut pas confondre la nature de la question à
trancher avec celle des effets que cette décision
peut avoir.
Pour ces raisons, j'accueillerais la demande au
titre de l'article 28 et j'annulerais la décision du
Conseil.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT KERR: Les motifs du juge
Heald et ceux du juge Le Dain font ressortir la
complexité de l'affaire soumise à l'examen du Con-
seil canadien des relations du travail. Il me semble
que ce dernier a exercé les fonctions que l'article
158 du Code canadien du travail lui attribue et
qu'il était compétent pour ce faire. Par conséquent,
je suis d'avis de rejeter la présente demande.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.