T-5970-78
A. M. Smith & Company Limited (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Walsh—
Halifax, 16 mai; Ottawa, 23 mai 1980.
Couronne — Indemnisation — Perte d'achalandage à la
suite de l'établissement de l'Office canadien du poisson salé
La question est de savoir si la demande d'indemnité de la
demanderesse est périmée en vertu de l'art. 2 de The Statute of
Limitations de la Nouvelle-Écosse — Il échet d'examiner si la
demande est fondée sur un «contrat formel. ou sur une
«dépossession de biens» — The Statute of Limitations,
S.R.N.-É. 1967, c. 168, art. 2(1)c),e) — Loi sur le poisson salé,
S.R.C. 1970 (1ef Supp.), c. 37, Partie III — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 38.
La demanderesse, qui possédait et exploitait une entreprise
d'exportation de poisson en Nouvelle-Écosse, réclame, sur le
fondement de l'arrêt rendu par la Cour suprême le 22 juin 1978
dans l'affaire Manitoba Fisheries Ltd. c. La Reine, indemnisa-
tion pour la dépossession de son achalandage. Par suite de la
création en 1970 de l'Office canadien du poisson salé en vertu
de la Loi sur le poisson salé, les activités de la demanderesse
devinrent inutiles et, vers la fin de 1971, elle mit fin à son
entreprise d'exportation de poisson et perdit l'achalandage y
attaché. La question se pose de savoir si la demande d'indem-
nité de la demanderesse est périmée en vertu de l'article 2 de
The Statute of Limitations de la Nouvelle-Écosse. S'appuyant
sur l'alinéa 2(1)c) de la Loi, qui prévoit une prescription de
vingt ans, la demanderesse fait valoir que son action est,
conformément audit alinéa, fondée sur «un cautionnement ou
autre contrat formel» («a bond or other specialty»), donc sur
«une obligation découlant d'une loi». La défenderesse prétend
qu'il s'agit d'une action en dépossession de biens fondée sur
l'alinéa 2(1)e) de la Loi (qui prévoit une prescription de six
ans) et, par conséquent, maintenant prescrite. Se fondant sur
l'historique de The Statute of Limitations de la Nouvelle-
Écosse, la demanderesse soutient subsidiairement que les mots
«actions en dépossession ou en conversion de biens» de l'alinéa
2(1)e) n'ont jamais été destinés à s'appliquer aux actions nées
d'une perte d'achalandage découlant d'une intervention législa-
tive dans les affaires commerciales.
Arrêt: l'action est prescrite. Pour ce qui est du premier
argument de la demanderesse, la Loi sur le poisson salé
n'impose à la Couronne aucune obligation d'indemnisation.
Toutefois, l'arrêt Manitoba Fisheries Limited de la Cour
suprême, qui a confirmé l'existence d'un recours puisque la loi
n'a pas expressément écarté le droit d'indemnisation, s'applique
en l'espèce. Le recours de la demanderesse n'est pas fondé sur
la loi («on the statute») et n'est donc pas fondé sur un contrat
formel («on a specialty»), mais dérive simplement de la loi.
Pour ce qui est du deuxième argument de la demanderesse, la
règle fondamentale d'interprétation des lois est qu'elles doivent
être interprétées littéralement en conformité des mots utilisés
dans le texte. Il n'y a pas lieu de faire l'historique du texte
considéré ou de tenter de déterminer ce qu'était l'intention du
législateur lors de l'adoption de celui-ci. L'interprétation litté-
rale de l'alinéa 2(1)e) ne pose aucune difficulté et ne conduit à
aucune situation dure, absurde ou contraire au bon sens. Bien
que la défenderesse n'ait pas matériellement dépossédé la
demanderesse de ses biens, la Cour suprême ayant décidé que
l'achalandage constituait un bien, la demanderesse est en droit
d'être indemnisée par la défenderesse. Dès lors, le cas qui nous
intéresse tombe bien sous le coup de l'alinéa 2(1)e) et de sa
prescription de six ans.
Arrêt appliqué: Manitoba Fisheries Ltd. c. La Reine
[1979] 1 R.C.S. 101. Arrêts mentionnés: Cork and
Bandon Railway Co. c. Goode (1853) 13 C.B. 826; Thom-
son c. Lord Clanmorris [1900] 1 Ch. 718. Arrêt examiné:
Dominion Distillery Products Co. Ltd. c. Le Roi [1937]
R.C.É. 145 confirmé par [1938] R.C.S. 458.
ACTION.
AVOCATS:
K. E. Eaton, c.r. et D. Pink pour la
demanderesse.
Eileen M. Thomas, c.r. et H. Gordon pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Kitz, Matheson, Green & Maclsaac, Halifax,
pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: La présente action ainsi que
l'action n° T-118-79 Zwicker & Company, Limited
c. La Reine [[1980] 2 C.F. 159], fondées sur la
Règle 474(2) de la présente Cour, tendent à obte-
nir une décision préliminaire sur un point de droit
qui est le même dans les deux actions. Les points
litigieux dans les deux affaires sont identiques.
Voici la question qui a été posée à la Cour:
[TRADUCTION] Est-ce que la réclamation de la demande-
resse est périmée en vertu des dispositions de l'article 2 de la
Statute of Limitations, S.R.N.-E. 1967, chapitre 168?
Les alinéas c) et e) du paragraphe (1) dudit article
2, qui donnent lieu aux présents litiges, sont ainsi
rédigés:
[TRADUCTION] 2 (1) Les actions dont il est fait mention
dans le présent article doivent être engagées dans le délai prévu
pour chacune, savoir:
c) pour les actions en recouvrement du loyer prévu par un
bail, les actions fondées sur un cautionnement ou autre
contrat formel et les actions en exécution d'un jugement ou
d'un engagement, dans les vingt ans de la date où la cause
d'action a pris naissance ou du prononcé du jugement;
e) sous réserve des exceptions prévues à la présente loi, toutes
actions fondées sur un prêt ou un contrat ordinaire, exprès ou
tacite, ou en recouvrement de dommages-intérêts découlant
d'un contrat ordinaire, ou en recouvrement de deniers faisant
l'objet d'une saisie-exécution; toutes actions en réparation de
dommages directs aux meubles ou aux immeubles; actions en
dépossession ou en conversion de biens meubles ou immeu-
bles; actions en diffamation, en abus de procédures et en
arrestation illégale, en séduction, en adultère, et toutes autres
actions qui eussent pu autrefois être intentées sous forme
d'action délictuelle de trespass on the case, dans les six ans
de la date où la cause d'action a pris naissance.
La question a été soulevée dans un exposé con
joint des points litigieux et des faits. Les deux
sociétés demanderesses ont été constituées dans la
province de Nouvelle-Écosse et leur siège social y
est situé. L'action de la A. M. Smith & Company
Limited a été introduite le 21 décembre 1978 et
celle de la Zwicker & Company, Limited le 4
janvier 1979, mais là n'est pas la question. Dans
les deux actions, le sous-procureur général du
Canada a, au nom de la défenderesse, déposé le 28
février 1979 une défense écrite invoquant l'article
2 de The Statute of Limitations de la Nouvelle-
Écosse. Les faits sont exposés dans les paragraphes
(2) à (9) de l'exposé conjoint des points litigieux et
des faits et sont identiques dans les deux cas, sauf
que, au paragraphe (7), il est dit que le montant
dont le versement à la demanderesse A. M. Smith
& Company Limited a été autorisé est de $60,000,
alors que dans le cas de la Zwicker & Company,
Limited il est de $46,000. Ces paragraphes sont
ainsi conçus:
[TRADUCTION] 2. Il est en outre convenu que ces points de
droit seront tranchés sur la base des faits suivants:
(1) La demanderesse est une société qui a été constituée dans
la province de Nouvelle-Écosse et qui a son siège social à
Lunenburg, dans cette même province.
(2) Jusqu'en 1971, la demanderesse possédait et exploitait
une entreprise d'exportation de poisson. Dans le cadre de ses
activités, elle achetait à Terre-Neuve du poisson préparé au
sel qu'elle emmagasinait, préparait et traitait en Nouvelle-
Écosse pour le revendre ensuite à des acheteurs dans les
autres provinces du Canada et à l'extérieur du Canada.
(3) Le 25 mars 1970, la Loi sur le poisson salé (ci-après
appelée la «Loi») a institué l'Office canadien du poisson salé
(ci-après appelé l'«Office») et a déclaré celui-ci mandataire
de la défenderesse aux fins de la Loi.
(4) La Partie III de la Loi fait interdiction à la demanderesse
de continuer d'acheter du poisson salé à Terre-Neuve et de le
transporter en Nouvelle-Écosse sans licence de l'Office,
licence que la demanderesse n'a jamais obtenue.
(5) Le gouverneur en conseil tient de la Loi le pouvoir
d'exempter la demanderesse de l'application de la Partie III,
mais il ne l'a pas fait.
(6) La Loi autorise le ministre responsable, avec l'approba-
tion du gouverneur en conseil, à conclure, au nom du gouver-
nement du Canada, un accord avec le gouvernement de la
Nouvelle-Écosse prévoyant le paiement par la province d'une
indemnité aux propriétaires d'établissements ou de matériel
servant à l'emmagasinage, au traitement ou à la préparation
du poisson pour le marché, lorsque ces établissements ou ce
matériel étaient appelés à, ou susceptibles de, devenir super-
flus du fait d'activités que la Partie III de la Loi autorisait
l'Office à exercer. Mais la province de Nouvelle-Écosse a
refusé de conclure un tel accord.
(7) Par lettre en date du 7 septembre 1971, le ministre des
Pêches a informé la demanderesse que le gouvernement du
Canada avait autorisé le versement à celle-ci à titre gracieux,
de la somme de $60,000' pour la perte de son entreprise
résultant de l'entrée en vigueur de la Loi; la demanderesse a
par la suite reçu cette somme.
(8) Du fait que l'Office ne lui a délivré aucune licence et que
le gouverneur en conseil ne l'a pas exemptée de l'application
de la Partie III de la Loi, la demanderesse a, vers la fin de
1971, cessé d'exploiter son entreprise d'exportation de pois-
son et a perdu l'achalandage de cette entreprise.
(9) Le 3 octobre 1978, la Cour suprême du Canada a rendu
sa décision dans l'affaire Manitoba Fisheries Limited c. La
Reine (1978) 23 N.R. 159 2 et une copie des motifs de
jugement prononcés au nom de la Cour par le juge Ritchie
est annexée au présent exposé.
Les deux parties admettent que la Loi sur le
poisson salé 3 , qui s'applique dans les présentes
actions, n'est pas sensiblement différente dans ses
effets de la Loi sur la commercialisation du pois-
son d'eau douce 4 , qui s'appliquait dans l'affaire
Manitoba Fisheries Limited. Dans l'affaire Mani-
toba Fisheries Limited, l'action intentée par la
demanderesse pour faire déclarer qu'elle avait
droit à une indemnité pour la perte subie en raison
de ladite Loi a été rejetée tant en première ins
tance que devant la Cour d'appel fédérale, bien
qu'il ait été reconnu que la mise en œuvre de la
Loi avait forcé les appelantes à cesser leurs activi-
tés commerciales et que les autorités fédérales, qui
' $46,000 dans l'affaire Zwicker & Company, Limited c. La
Reine.
2 Le renvoi tel que publié à [1979] 1 R.C.S. 101 est utilisé
dans ces motifs.
3 S.R.C. 1970 (1°" Supp.), c. 37.
4 S.R.C. 1970, c. F-13.
étaient responsables de cette situation, ne leur
avaient pas versé de juste indemnité. Les tribunaux
inférieurs ont statué que même si la Loi concernée
avait eu pour effet d'anéantir l'achalandage de
l'appelante, on ne pouvait dire que la Couronne
fédérale ou l'Office lui avait pris ce dernier. La
Cour suprême a statué que la Loi en question et
l'Office qu'elle avait institué avaient eu pour effet
de priver l'appelante de l'achalandage attaché à
son entreprise en activité et avaient, à toutes fins
utiles, rendu inutiles ses biens corporels, et que
l'achalandage constituait un bien pour la perte
duquel l'appelante n'avait jamais été indemnisée.
Rien dans la Loi n'autorisant à déposséder quel-
qu'un d'un tel bien sans verser d'indemnité et la
Cour ayant conclu qu'il y avait effectivement eu
dépossession, il fut statué que celle-ci n'était pas
autorisée vu la règle qui veut que [TRADUCTION]
«sauf si ses termes l'exigent, une loi ne doit pas
être interprétée de manière à déposséder une per-
sonne de ses biens sans indemnisation» (lord Atkin-
son, dans l'arrêt Le procureur général c. De Key-
ser's Royal Hotel Ltd. [1920] A.C. 508).
Le juge Ritchie, qui rendait le jugement de la
Cour, a déclaré à la page 110:
Une fois admis que la perte de l'achalandage de l'entreprise
de l'appelante, à la suite de l'entrée en vigueur de la Loi et de la
création de l'Office, est la perte d'un bien et que cet achalan-
dage a été acquis par un organisme fédéral de par la force
d'une loi, il faut à mon avis conclure que l'appelante a été
privée d'un bien que le gouvernement a acquis.
Bien que dans les présentes actions les demande-
resses appuient leurs demandes d'indemnité sur le
même fondement, on ne saurait dire que leurs
réclamations ont pris naissance le jour de la déci-
sion de la Cour suprême, soit le 22 juin 1978. Une
telle décision ne fait que déterminer dans quel sens
le droit doit être interprété. Qu'une telle décision
ait amené le demandeur à se rendre compte qu'il
disposait d'un droit d'action ou qu'elle n'ait que
confirmé le bien-fondé de ses prétentions, préten-
tions qu'avaient rejetées les juridictions inférieu-
res, on ne saurait dire que cette décision a donné
naissance à ce droit. En l'espèce, le droit à indem-
nité des demanderesses pour la dépossession de
leur achalandage doit être considéré comme ayant
toujours existé à partir du moment de cette dépos-
session, laquelle découle de l'adoption de la Loi sur
le poisson salé et du fait qu'aucune licence n'a été
délivrée aux demanderesses pour que celles-ci con-
tinuent d'exercer leurs activités. C'est à cette date
que le droit d'action a pris naissance et si les
procédures n'ont pas été engagées dans le délai
imparti par The Statute of Limitations, elles de-
vront être considérées comme prescrites en dépit
de la décision de la Cour suprême du Canada dans
l'affaire Manitoba Fisheries Limited. Puisqu'il a
été reconnu que la cessation de l'entreprise d'ex-
portation de poisson des deux demanderesses et la
perte de leur achalandage ont eu lieu vers la fin de
1971, les deux actions sont prescrites si la prescrip
tion de six ans prévue à l'article 2(1)e) de The
Statute of Limitations de la Nouvelle-Ecosse (pré-
citée) s'applique. Par contre, si c'est l'article
2(1)c) qui s'applique, ainsi que le soutiennent les
demanderesses, le délai est de vingt ans et les
actions ont été engagées en temps utile. Les
demanderesses prétendent subsidiairement que si
ni l'un ni l'autre des deux alinéas ne s'applique et
que si l'on ne peut non plus fonder la prescription
sur aucun autre article de la Loi, les actions
concernées sont imprescriptibles.
Il est acquis que c'est The Statute of Limita
tions de la Nouvelle-Écosse qui s'applique dans les
deux actions du fait de l'article 38 de la Loi sur la
Cour fédérale s .
Pour statuer sur le point de droit soulevé, la
Cour a eu l'avantage de pouvoir se fonder sur les
observations élaborées présentées par écrit par les
avocats des deux parties ainsi que sur les débats.
Les demanderesses soutiennent principalement
que les présentes actions sont fondées sur «un
cautionnement ou autre contrat formel) («a bond
or other specialty») conformément à l'alinéa c).
Elles font valoir qu'un «contrat formel» («spe-
cialty») s'entend d'un «contrat sous le sceau du
débiteur» («contract under seal»), par exemple un
cautionnement ou une hypothèque et qu'une
«créance fondée sur un contrat formels) («specialty
debt») est une obligation prévue par un tel contrat.
Un «contrat formel» peut aussi être une obligation
découlant d'une loi (voir Stroud's Judicial Dictio
nary, 4e édition, vol. 5, p. 2592). Comme il n'y a
manifestement eu aucun contrat sous le sceau du
débiteur en l'espèce, les demanderesses sont for
cées de soutenir que leurs réclamations sont fon-
5 S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10.
dées sur «une obligation découlant d'une loi». En
dehors du fait qu'on pourrait prétendre que, en
associant «contrat formel» («specialty») à «caution-
nement» («bond»), l'alinéa c) de la Loi a voulu
indiquer qu'il s'agissait de contrats formels sem-
blables au cautionnement—c'est-à-dire de «con-
trats sous le sceau du débiteur»—et non d'obliga-
tions découlant d'une loi, la défenderesse soutient
que, pour qu'une obligation résulte d'une loi, il
faut qu'elle ait été créée par une disposition
expresse de celle-ci. Les demanderesses invoquent
l'affaire The Cork and Bandon Railway Co. c.
Goode 6 , mais comme le souligne la défenderesse,
s'il a été statué qu'une action en recouvrement
d'une dette à l'égard d'une responsabilité qui prend
sa source dans une loi est une action fondée sur un
«contrat formel» («specialty»), ce jugement distin-
gue toutefois ce cas de celui où une loi autorise
l'exercice d'un recours qui ne constitue pas pour
autant une action fondée sur la loi, et n'est donc
pas une action fondée sur un «contrat formel». La
défenderesse a invoqué l'affaire Thomson c. Lord
Clanmorris 7 dans laquelle, à la page 728, le lord
juge Vaughan Williams a distingué entre l'action
qu'autorise une loi et l'action fondée sur une loi.
Dans le premier cas, il s'agirait d'une action «on
the case» et dans le second, d'une action fondée sur
la loi («on the statute») ou sur l'obligation y éta-
blie. L'affaire Dominion Distillery Products Com
pany Limited c. Le Roi» présente un intérêt parti-
culier. Il y avait été allégué que la demande de
remboursement des taxes versées sur des marchan-
dises exportées du pays, remboursement qui était
en l'occurrence prévu par la loi établissant la taxe
considérée, était une action fondée sur la loi.
Néanmoins, après examen, il a été décidé qu'il
s'agissait d'une «action for monies had and re
ceived» et non d'une «action on a specialty». Cette
action a été confirmée en pourvoi devant la Cour
suprême du Canada', où il a été décidé que l'ac-
tion résultant de la loi était une «action for monies
had and received» et non une «action on a spe
cialty». L'avocat de la défenderesse soutient que,
dans ces affaires, ces distinctions ont été invoquées
en raison de l'existence de délais de prescription
semblables à ceux que prévoit The Statute of
Limitations de la Nouvelle-Ecosse.
6 (1853) 13 C.B. 826.
7 [ 1900] 1 Ch. 718.
8 [1937] R.C.É. 145.
9 [1938] R.C.S. 458.
La Loi sur le poisson salé n'impose à la Cou-
ronne aucune obligation d'indemnisation. La
défenderesse prétend qu'il s'agit d'une action en
indemnisation fondée sur la common law et déri-
vant de la loi; il ne s'agit pas d'une action fondée
sur la loi et, par conséquent, pas d'une action
fondée sur un contrat formel. L'avocat des deman-
deresses prétend qu'il n'y avait pas de recours de
common law. La décision de la Cour suprême dans
l'affaire Manitoba Fisheries Limited a toutefois
confirmé l'existence d'un recours, puisque la loi n'a
pas expressément écarté le droit d'indemnisation.
J'en arrive à la conclusion que le recours des
demanderesses n'est pas fondé sur la loi («on the
statute») et n'est donc pas fondé sur un contrat
formel («on a specialty»), mais dérive simplement
de la loi, comme a jugé la Cour suprême.
La défenderesse prétend qu'il s'agit d'une action
en dépossession de biens fondée sur l'alinéa e) et,
par conséquent, maintenant prescrite.
Se fondant sur l'historique de The Statute of
Limitations de la Nouvelle-Écosse, les demande-
resses soutiennent subsidiairement que les mots
«actions en dépossession ou en conversion de biens»
de l'alinéa e) n'ont jamais été destinés à s'appli-
quer aux actions nées d'une perte d'achalandage
découlant d'une intervention législative dans les
affaires commerciales. Il est allégué que la pre-
mière «limitations statute» de la Nouvelle-Ecosse,
(1738) 36 Geo. 3rd c. 24, prévoyait un délai de
prescription de six ans pour toutes les «actions of
trespass, detinue, trover and replevin for taking
away of goods and cattle», s'inspirant ainsi de la
Limitations Act anglaise de 1623. La même for
mulation a été retenue dans la Limitations of
Actions Act de la Nouvelle-Écosse, S.R.N.-E.
1884, c. 112, mais dans The Statute of Limita
tions, S.R.N.-É. 1900, c. 167, les mots «detinue,
trover and replevin» ont été remplacés par l'ac-
tuelle expression «actions for the taking away or
conversion of property» («actions en dépossession
ou en conversion de biens»). L'avocat des deman-
deresses fait valoir que ce changement était destiné
à refléter les modifications apportées aux ancien-
nes formes d'action par la Judicature Act, l'inten-
tion étant d'atteindre par les mots «actions for the
taking away ... of property» le même objet que les
anciennes actions de «detinue» et de «replevin» et
de remplacer l'ancienne action de «trouer» par le
terme moderne de «conversion». L'avocat en vient
ensuite à l'«action for replevin», qui permettait à
un demandeur d'obtenir des dommages-intérêts
pour la dépossession illégale de ses biens, la pre-
mière étape étant pour celui-ci d'obtenir la restitu
tion des biens sur constitution d'un cautionnement
garantissant qu'il maintiendrait sa demande en
dommages-intérêts. Il fait remarquer que l'«action
for detinue» était à l'origine une action pour inexé-
cution d'un contrat de livraison d'un bien donné,
ouverte seulement contre ceux qui étaient chargés
de la livraison, et que, finalement, elle est devenue
une action ouverte contre quiconque retient des
biens appartenant à un autre, quel que soit le
moyen par lequel il est entré en possession de ces
biens. Mais aucune de ces notions ne s'applique à
la présente action, puisque la défenderesse n'a
jamais matériellement dépossédé les demanderes-
ses de leurs biens. Poursuivant son raisonnement,
l'avocat des demanderesses prétend que la cause
d'action ne tombant pas sous le coup de l'article 2
de The Statute of Limitations de la Nouvelle-
Écosse, puisque ni l'article 2(1)e) ni l'article
2(1)c) ne s'applique, et aucune autre disposition de
cette même loi ne s'appliquant, l'action n'est pas
prescrite.
Ce raisonnement n'emporte pas la conviction.
La règle fondamentale d'interprétation des lois est
qu'elles doivent être interprétées littéralement en
conformité des mots utilisés dans le texte. Et à
moins que des difficultés ne surgissent, il faut s'en
tenir à cette règle sans faire l'historique du texte
considéré et sans tenter de déterminer ce qu'était
l'intention du législateur lors de l'adoption de
celui-ci (voir Maxwell on the Interpretation of
Statutes, 12e édition, pages 28 et suivantes). Max-
well dit à la page 29:
[TRADUCTION] Lorsque le législateur formule une loi en termes
clairs et non équivoques auxquels on ne peut donner plus d'un
sens, il faut appliquer cette loi, quelque dur, absurde ou con-
traire au bon sens que puisse être le résultat.
L'interprétation littérale de l'alinéa e) ne me pose
aucune difficulté et ne conduit à aucune situation
dure, absurde ou contraire au bon sens. Bien que la
défenderesse n'ait pas matériellement dépossédé
les demanderesses de leurs biens, la Cour suprême
a décidé que l'achalandage constitue un bien et
que les demanderesses sont en droit d'être indem-
nisées par la défenderesse. Comme l'a déclaré le
juge Ritchie dans le passage cité plus haut, «..
l'appelante a été privée d'un bien que le gouverne-
ment a acquis». Dès lors, il me semble que le cas
qui nous intéresse tombe bien sous le coup de
l'article 2(1)e) de The Statute of Limitations de la
Nouvelle-Écosse et de sa prescription de six ans.
Comme dit Maxwell à la page 31:
[TRADUCTION] Une conséquence de la règle d'interprétation
littérale est que les termes larges doivent être interprétés large-
ment, quelque restreinte qu'ait été la portée des dispositions
antérieures portant sur le même sujet.
Et comme dit encore Maxwell, à la page 29
cette fois:
[TRADUCTION] Il a été maintes fois décidé en common law
que les lois sur la prescription («statutes of limitation») pré-
voyant qu'une action ne peut plus être engagée après l'expira-
tion d'un certain délai à partir de la naissance de la cause
d'action rendent irrecevable l'action introduite après l'expira-
tion du délai imparti, et ce même si la partie lésée n'a pas eu et
n'a, à toutes fins utiles, pas pu avoir connaissance de la
naissance de la cause d'action et même si l'auteur du méfait a
frauduleusement dissimulé la naissance de la cause d'action
jusqu'à l'expiration du délai prévu. La sévérité de ces décisions
était évidente, mais le texte n'était susceptible d'aucune autre
interprétation.
Je dois donc à regret conclure que les actions
sont prescrites et qu'il doit être répondu par l'affir-
mative à la question de droit soumise à la Cour.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.