T-1232-78
Moses Deitcher (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Marceau—
Montréal, le 6 septembre; Ottawa, le 24 septembre
1979.
Impôt sur le revenu — Allocation du coût en capital —
Récupération — Résidence — Le demandeur, citoyen et rési-
dent canadien, a acquis un immeuble au titre duquel il a
déduit l'allocation du coût en capital pendant plusieurs années
d'imposition — Devenu résident des Bahamas, le demandeur a
continué à opérer les déductions d'amortissement prévues par
la Loi — L'année suivante, le demandeur a vendu l'immeuble,
encourant ainsi la récupération de l'amortissement — Le
demandeur, invoquant sa qualité de non-résident, prétendit
limiter le montant de cette récupération à la déduction qu'il
avait réclamée l'année précédente en cette qualité — Le Minis-
tre a inclus le montant total de la récupération dans le revenu
du demandeur — Appel contre la décision de la Commission
de révision de l'impôt qui a confirmé la nouvelle cotisation
établie par le Ministre — Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C.
1952, c. 148, art. 110(1),(5) [S.C. 1970-71-72, c. 63, art. 2161
modifiée par S.C. 1974-75-76, c. 26, art. 121(5).
Arrêt suivi: Le ministre du Revenu national c. Bessemer
Trust Co. [1972] C.F. 1398.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
François Tremblay pour le demandeur.
Roger Roy pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Verchère & Gauthier, Montréal, pour le
demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE MARCEAU: Cette action—intentée en
appel d'une décision de la Commission de révision
de l'impôt aux termes de laquelle était confirmée
la cotisation nouvelle datée du 7 novembre 1974
émise par le Ministre contre le demandeur pour
l'année d'imposition 1971—met en cause l'inter-
prétation et l'application de deux dispositions de la
Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148,
telles qu'en vigueur en 1971, soit celles des para-
graphes (1) et (5) de l'ancien article 110 (devenu
l'article 216 dans la loi nouvelle), qui se lisaient
alors comme suit:
110. (1) Lorsqu'un montant a été payé pendant une année
d'imposition à une personne non résidante au titre, sous forme
ou au lieu de paiement ou en acquittement de loyer de biens
immeubles ou réels au Canada ou d'une redevance forestière,
cette personne peut, dans les deux ans à compter de la fin de
l'année d'imposition, produire une déclaration de revenu, sous
le régime de la Partie I, en la forme prescrite pour une personne
résidant au Canada à l'égard de l'année d'imposition et, sans
porter atteinte à sa responsabilité en matière d'impôt autrement
exigible aux termes de la Partie I, elle est dès lors tenue, au lieu
de payer l'impôt en vertu de la présente Partie sur ce montant,
de verser l'impôt en vertu de la Partie I pour cette même année
d'imposition comme si
a) elle était une personne résidant au Canada et non
exempte d'impôt aux termes de l'article 62,
b) son intérêt dans des biens immeubles ou réels au Canada
ou des concessions forestières au Canada constitue sa seule
source de revenu, et
c) elle n'avait droit à aucune déduction sur son revenu aux
fins de déterminer son revenu imposable.
(5) Lorsqu'une personne non résidante a produit une décla-
ration de revenu sous le régime de la Partie I pour une année
d'imposition ainsi que le permet le présent article et qu'elle a,
dans le calcul de son revenu aux termes de la Partie I pour la
même année déduit un montant en vertu de l'alinéa a) du
paragraphe (1) de l'article 11à l'égard de biens immeubles ou
réels au Canada ou d'une concession forestière au Canada,
cette personne doit, dans le délai prescrit à l'article 44 pour la
production d'une déclaration de revenu selon la Partie I, pro-
duire une déclaration de revenu sous le régime de la Partie I, en
la forme prescrite pour une personne résidant au Canada, pour
toute année d'imposition subséquente durant laquelle ces biens
immeubles ou réels ou concession forestière, ou tout intérêt
dans ces biens immeubles ou réels ou concession forestière, font
l'objet d'une disposition, au sens de l'article 20, par cette
personne. Ladite personne, sans porter atteinte à son assujettis-
sement à l'impôt autrement payable en vertu de la Partie I,
devient dès lors assujettie, au lieu de payer l'impôt en vertu de
la présente Partie sur tout montant qui lui a été versé ou qui est
censé, en vertu de la présente Partie, lui avoir été versé durant
cette année d'imposition subséquente à l'égard de tout intérêt
de cette personne dans des biens immeubles ou réels au Canada
ou des concessions forestières au Canada, à payer l'impôt en
vertu de la Partie I pour cette année d'imposition subséquente
comme si
a) elle était une personne résidant au Canada,
b) son intérêt dans des biens immeubles ou réels au Canada
ou des concessions forestières au Canada constituait sa seule
source de revenu, et
c) elle n'avait droit à aucune déduction sur son revenu dans
le calcul de son revenu imposable.'
' Le paragraphe (1) est reproduit au paragraphe (1) de
l'article 216 de la loi actuelle mais le paragraphe (5), après
avoir été reproduit intégralement au paragraphe (5) de 216, a
été amendé en 1974 et j'y reviendrai.
Les faits sont simples et non contestés; les voici
brièvement résumés. Au cours des années 1961 et
1962, le demandeur, alors citoyen et résident cana-
dien, se porta acquéreur de la moitié indivise d'un
immeuble à loyers situé à Laval, dans la province
de Québec. Jusqu'en 1970, en rendant compte
chaque année pour fins d'impôts des revenus qu'il
retirait de cet immeuble, le demandeur réclama,
comme l'article 11(1)a) de la Loi lui en donnait le
droit, une allocation de son coût en capital et
profita d'autant de déductions d'amortissement
pour un montant total de $30,580.35. En 1970, le
solde non amorti du coût en capital s'établissait à
$60,382.71.
Le 18 mai 1970, le demandeur devint résident
des Bahamas. En soumettant son rapport d'impôt
pour l'année 1970, il réclama encore une déduction
d'amortissement du coût en capital de son immeu-
ble en se prévalant de l'option qu'autorisait le
paragraphe (1) de l'article 110 reproduit ci-haut.
L'année suivante, cependant, le demandeur se
départissait de sa part dans l'immeuble pour un
prix de beaucoup supérieur à son coût d'acquisi-
tion. Aux termes du paragraphe (5) dudit article
110 que j'ai également reproduit ci-haut, il devait
faire rapport en conséquence, et inclure dans son
revenu la récupération d'amortissement qu'il
venait de réaliser. C'est ce qu'il fit mais, invoquant
sa qualité de non-résident, il prétendit limiter le
montant de cette récupération à la déduction
réclamée par lui en cette qualité, soit uniquement
celle de l'année précédente, au montant de
$2,262.43. Par sa nouvelle cotisation, le Ministre
contesta cette façon de voir et procéda à inclure
dans le revenu imposable du demandeur le mon-
tant total des déductions réclamées par lui depuis
1962. Le demandeur naturellement s'objecta mais
en vain et, ses prétentions ayant été rejetées par la
Commission de révision, il soumit sa façon de voir
à la Cour.
Le demandeur, par son procureur, prétend que
le texte même des paragraphes (1) et (5) de
l'article 110, tels qu'ils existaient en 1971, appuie
ses prétentions à l'effet que le montant de récupé-
ration dont il est tenu de rendre compte doit se
limiter à la déduction réclamée par lui l'année
précédente et il ajoute que les modifications que le
Parlement a cru devoir apporter par la suite à ces
dispositions de la Partie III de la Loi ne sont
venues que confirmer l'interprétation qu'il sou-
tient. Voici plus précisément son argumentation.
Le demandeur fait valoir d'abord que les Parties
I et III de la Loi doivent être tenues pour distinc-
tes, chacune étant indépendante et constituant en
elle-même une législation autonome. L'article 110
(de même que son successeur dans la loi actuelle)
renvoie à la Partie I, mais par simple «référence» et
dans le seul but d'éviter une répétition de certaines
dispositions déjà exprimées ailleurs. Il faut donc
lire les articles de référence comme s'ils étaient
reproduits dans l'article qui s'y réfère et se garder
d'en étendre la portée au-delà du cadre dans lequel
doit jouer ce dernier. Or l'article 110, en 1970, ne
concernait que le non-résident de sorte que la
déduction qu'il permettait en un premier temps
(paragraphe (1)) et la récupération qu'il visait en
un second temps (paragraphe (5)), ne pouvaient
avoir rapport qu'au non-résident. Ainsi, en est-il
quant à lui. En 1970, il est, pour ainsi dire, sorti du
cadre de la Partie I et est entré dans celui de la
Partie III, et si, en 1971, il fut obligé d'inclure
dans son revenu une récupération d'amortissement,
c'était uniquement en vertu des dispositions de la
Partie III, soit justement celles du paragraphe (5)
de l'article 110 qui ne pouvait viser que la déduc-
tion d'amortissement préalablement réclamée par
lui en vertu du paragraphe (1).
Le résultat, poursuit le demandeur, est contesta-
ble sur le plan équité mais une loi fiscale ne
s'interprète pas selon l'équité et c'est d'ailleurs
pour modifier ce résultat que le Parlement est
intervenu en 1974 pour modifier le paragraphe (5)
de l'article 216 (autrefois 110) et exiger pour
l'avenir qu'un contribuable rende compte au
moment où il dispose de son bien de la récupéra-
tion couvrant tant les déductions d'amortissement
qu'il aurait pu obtenir sous la Partie I que celles
obtenues par lui sous la Partie III.
Voilà donc, telle que je l'ai comprise, l'argumen-
tation du demandeur. Malheureusement, c'est une
argumentation qui ne parvient pas à me convain-
cre.
D'abord pour ce qui est de l'analyse exégétique
des textes, celle suggérée par le demandeur ne
tient pas compte, à mon sens, des termes mêmes
utilisés par le législateur dans le paragraphe (1) de
l'article 110. Le texte en effet ne se réfère pas
strictement à certaines dispositions spécifiques de
la Partie I, il parle d'un rapport d'impôt «sous le
régime de la Partie I» («under Part I»), et il
accepte de considérer le non-résident «comme s'il
était résident au Canada». Ainsi, quant au sujet
traité et pour les fins visées, tout le régime de la
Partie I est incorporé et le contribuable est assi-
milé à un résident canadien. Je ne comprends pas
autrement l'arrêt M.R.N. c. Bessemer Trust Com
pany [1972] C.F. 1398 infirmant [1972] C.F.
1176. Il en résulte, à mon avis, que par suite de son
option en 1970, le demandeur, pour ce qui touchait
à son immeuble, est resté assujetti au même
régime qu'auparavant, et il a continué à être traité
à cet égard comme s'il était demeuré résident au
Canada. En 1971, par l'effet du paragraphe (5), il
était tenu de se soumettre au même régime et
d'être traité comme s'il était toujours résident au
Canada.
Ensuite, pour ce qui est des interventions législa-
tives ultérieures à 1971, dans la mesure où il est
possible d'en tenir compte, je ne les vois pas de la
même façon que le demandeur. Le texte du para-
graphe (5) de l'article 216 (autrefois 110) modifié
en 1974 par S.C. 1974-75-76, c. 26, article 121(5)
se lit comme suit:
121... .
(5) Lorsqu'une personne ou une fiducie dont cette personne
est bénéficiaire a déposé une déclaration de revenu en vertu de
la Partie I pour une année d'imposition, ainsi que le permet le
présent article ou que l'exige l'article 150 et que, lors du calcul
du montant de son revenu en vertu de la Partie I un montant a
été déduit, en vertu de l'alinéa 20(1)a) ou est réputé conformé-
ment au paragraphe 107(2) avoir été déductible en vertu de cet
alinéa relativement à des biens immeubles, à un avoir forestier
ou à une concession forestière situés au Canada, cette personne
doit, dans le délai prescrit à l'article 150 pour le dépôt d'une
déclaration de revenu selon la Partie I, déposer une déclaration
de revenu en vertu de la Partie I, en la forme prescrite dans le
cas d'une personne résidant au Canada, pour toute année
d'imposition postérieure durant laquelle elle ne résidait pas au
Canada et durant laquelle les biens immeubles, l'avoir forestier
ou la concession forestière ou tous droits y afférents font l'objet
d'une disposition, au sens de l'article 13, de la part de cette
personne ou de la part d'une société dont elle est membre, et
cette personne, indépendamment de son obligation de payer
l'impôt par ailleurs payable en vertu de la Partie I, est dès lors
tenue, plutôt que de payer l'impôt en vertu de la présente Partie
sur toute somme qui lui a été versée ou qui est réputée, en vertu
de la présente Partie lui avoir été versée ou avoir été versée à
une société dont elle est membre, durant cette année d'imposi-
tion postérieure relativement à tout droit sur un bien immeuble,
un avoir forestier ou une concession forestière situés au
Canada, de payer l'impôt payable en vertu de la Partie I pour
cette année d'imposition postérieure comme si
a) elle était une personne résidant au Canada et n'était pas
exonérée d'impôt en vertu de l'article 149;
b) le revenu provenant de ses droits sur des biens immeubles,
des avoirs forestiers ou des concessions forestières situés au
Canada et sa part du revenu d'une société dont elle était
membre provenant de ses droits sur des biens immeubles, des
avoirs forestiers ou des concessions forestières situés au
Canada, constituaient sa seule source de revenu; et
c) elle n'avait droit à aucune déduction sur son revenu, aux
fins du calcul de son revenu imposable.
A mon avis, les modifications apportées au texte
ancien n'ont pas eu pour but de couvrir pour
l'avenir un cas comme celui du demandeur, mais
d'atteindre le contribuable qui, après avoir bénéfi-
cié de déductions d'amortissement alors qu'il était
résident canadien, deviendrait résident étranger et
se garderait de se prévaloir de l'option autorisée
par le paragraphe (1).
Je suis d'avis que la façon de voir du Ministre
était fondée et la Commission de révision a eu
raison de la confirmer: en se prévalant en 1970 de
la possibilité que lui accordait le paragraphe (1) de
l'article 110, le demandeur demeurait assujetti,
quant à son immeuble, au régime de la Partie I et
devait dès lors être traité comme s'il était toujours
résident du Canada.
L'action sera donc rejetée avec dépens.
A la demande des parties, je retournerai néan-
moins le dossier au Ministre pour qu'il émette une
cotisation qui tienne compte de l'engagement qu'il
a pris d'établir le montant de la récupération à
$30,588.35 au lieu de $31,159.05, comme l'atteste
le paragraphe 11 de l'exposé conjoint des faits.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.