T-5472-78
J. E. Cranswiek (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge suppléant
Grant—Toronto, 15 et 22 janvier 1980.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Montants inclus
— Paiement direct en espèces au demandeur de la part de la
compagnie-mère étrangère de la filiale dont le demandeur est
l'un des actionnaires minoritaires — Il échet d'examiner si la
somme reçue constitue un revenu au sens des dispositions de la
Loi de l'impôt sur le revenu — Loi de l'impôt sur le revenu,
S.R.C. 1952, c. 148, modifiée par S.C. 1970-71-72, c. 63, et
par S.C. 1974-75-76, c. 26, art. 9(1), 15, 248(1).
Appel interjeté par le demandeur contre les nouvelles cotisa-
tions de son revenu imposable pour l'année 1977, cotisations
par suite desquelles ce dernier a été grossi du montant d'un
paiement spécial qu'avait fait Westinghouse Electric Corpora
tion au demandeur. Le demandeur détenait 640 actions ordinai-
res du capital social de Westinghouse Canada Limited (ci-des-
sous désignée WCL). En 1977, Westinghouse Electric
Corporation (Westinghouse Electric) a proposé ce choix aux
actionnaires de WCL: ils pourraient soit céder leurs actions à
Westinghouse Electric contre $26 l'action, soit les conserver et
recevoir de cette dernière un paiement direct en espèces de
$3.35 l'action. Le demandeur n'a cédé aucune de ses actions et,
par conséquent, a reçu un paiement direct en espèces de $2,144.
Le demandeur n'était pas actionnaire de Westinghouse Electric
avec laquelle il n'avait aucun lien à l'époque en cause. Au
moment de l'offre, Westinghouse Electric détenait environ 75
p. 100 des actions de WCL. L'offre faite par Westinghouse
Electric, qui visait des fins de gestion, avait également pour but
de prévenir toute contestation ou action de la part d'actionnai-
res minoritaires à la suite de la vente, en 1977, de la division
d'appareils électroménagers à un prix bien inférieur à sa valeur
comptable. Cette offre n'a pas été motivée par le fait que les
actionnaires de WCL auraient eu des revendications exécutoi-
res contre Westinghouse Electric. Le demandeur n'avait pas
déclaré ce paiement direct en espèces dans son revenu imposa-
ble pour 1977, mais celui-ci a été cotisé une nouvelle fois de
façon à inclure ce paiement. Il échet d'examiner si ce paiement
constitue un revenu au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Arrêt: l'appel est accueilli. La somme en cause n'était pas un
revenu du demandeur. Du point de vue du demandeur, la
somme qu'il a reçue représentait un paiement volontaire et
aucun lien n'existait entre le payeur et le contribuable. Avant
l'offre faite en la matière, le contribuable ne pouvait s'attendre
à recevoir la somme en cause, et il est peu probable que cela se
reproduise jamais. Cette somme pourrait être qualifiée de gain
imprévisible.
Arrêt appliqué: Federal Farms Ltd. c. Le ministre du
Revenu national [1959] R.C.E. 91. Distinction faite avec
les arrêts: London Investment and Mortgage Co., Ltd. c.
Inland Revenue Commissioners [1957] 1 All E.R. 277;
[1958] 2 All E.R. 230; J. Gliksten & Son Ltd. c. Green
[1929] A.C. (C.L.) 381.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
J. B. Tinker, c.r. et D. J. M. Brown pour le
demandeur.
N. Helfield pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Blake, Cassels & Graydon, Toronto, pour le
demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT GRANT: Il s'agit en l'es-
pèce de l'appel interjeté par le demandeur des
nouvelles cotisations de son revenu imposable pour
l'année 1977 au titre de la Loi de l'impôt sur le
revenu, S.R.C. 1952, c. 148. Ces cotisations ont été
établies par le sous-ministre du Revenu national
qui a ajouté au revenu du demandeur la somme de
$2,144 que lui avait versée Westinghouse Electric
Corporation. Le demandeur a choisi de saisir
directement la Cour fédérale et non la Commission
de révision de l'impôt, en se fondant sur l'article
172(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Les parties ont déposé l'exposé conjoint des faits
suivant (pièce 1):
[TRADUCTION] EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS
Aux fins expresses de l'appel formé contre la nouvelle cotisa-
tion d'impôt pour l'année d'imposition 1977 du demandeur, le
demandeur et la défenderesse, par leurs avocats respectifs,
reconnaissent les faits ci-après:
1. Le demandeur est un particulier qui habite la ville de
Burlington, province d'Ontario.
2. En 1977, le demandeur était le propriétaire véritable de
640 actions ordinaires du capital social de Westinghouse
Canada Limited (ci-après dénommée «WCL»), qui est une
société anonyme canadienne.
3. Le 8 février 1977, Westinghouse Electric Corporation
(«Westinghouse Electric»), qui est une société anonyme amé-
ricaine, a proposé ce choix aux actionnaires de WCL: ils
pourraient soit céder leurs actions à Westinghouse Electric
contre $26 l'action, soit les conserver et recevoir de cette
dernière un paiement direct en espèces de $3.35 par action.
4. Le demandeur n'a cédé aucune de ses actions de WCL à
la suite de l'offre susmentionnée. En conséquence, il a reçu
de Westinghouse Electric, vers le 18 mars 1977, un paiement
direct en espèces de $2,144, conformément au deuxième
choix proposé.
5. Le demandeur n'était pas actionnaire de Westinghouse
Electric avec laquelle il n'avait aucun lien à l'époque en
cause.
6. Au moment de l'offre, Westinghouse Electric détenait
environ 75 p. 100 des actions de WCL.
7. Par suite d'un accord conclu avec une société américaine,
White Consolidated Industries Inc., Westinghouse Electric
lui a vendu son entreprise d'appareils électroménagers et
certains de ses droits mondiaux à compter du 31 décembre
1974. Subséquemment WCL a convenu de vendre à WCI
Canada Limited, qui est une filiale de White Consolidated
Industries Inc., certains éléments de l'actif de son entreprise
d'appareils électroménagers, moyennant leur valeur compta-
ble nette, à payer par WCI Canada Limited, plus $8,000,000
à payer par Westinghouse Electric.
8. Le projet de vente à WCI Canada Limited était soumis à
l'autorisation prévue par la Loi sur l'examen de l'investisse-
ment étranger, S.C. 73-74, c. 46, autorisation qui n'a pas été
donnée après deux demandes successives, et l'accord entre
WCL et WCI Canada Limited a été annulé.
9. Le 31 décembre 1976, WCL a accepté de vendre son
entreprise d'appareils électroménagers à Canadian Appliance
Manufacturing Company Limited («CAMCO°). Le prix con-
venu était de quelque $6,000,000 inférieur à la valeur comp-
table de l'entreprise d'appareils électroménagers, arrêtée au
31 décembre 1976. La vente à CAMCO fut signée le 30 juin
1977.
10. L'offre faite par Westinghouse Electric visait des fins de
gestion. Elle avait également pour but de prévenir toute
contestation ou action qui pourrait être intentée de la part
d'actionnaires minoritaires de WCL, à l'égard de la vente de
la division d'appareils électroménagers, notamment à la suite
du refus des autorités d'approuver la vente à WCI Canada
Limited, en application de la Loi sur l'examen de l'investisse-
ment étranger. Elle n'a pas été motivée par le fait que les
actionnaires de WCL auraient eu des revendications exécu-
toires contre Westinghouse Electric.
11. Dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition
1977, le demandeur n'a pas inclus la somme reçue de West-
inghouse Electric.
12. Par avis de nouvelle cotisation n° 604960 en date du 25
septembre 1978, le sous-ministre du Revenu national a établi
la nouvelle cotisation du demandeur pour l'année d'imposi-
tion 1977, dont le revenu a été rectifié de façon à inclure la
somme de $1,474,000. L'avis de nouvelle cotisation porte:
Votre revenu a été rectifié de façon à inclure la somme de
$1,474 que vous avez reçue en 1977 de Westinghouse
Electric Corporation à titre d'actionnaire de Westinghouse
Canada Limited.
Cette somme représente le paiement direct en espèces au
titre des 440 actions enregistrées au nom même du deman-
deur (200 autres actions appartenant au demandeur sont
enregistrées au nom de Wood Gundy Limited).
13. Le 4 octobre 1978, le demandeur a déposé en bonne et
due forme un avis d'opposition à la nouvelle cotisation.
14. Par avis de nouvelle cotisation n° 605202 en date du 31
octobre 1978, le sous-ministre du Revenu national a établi
encore une nouvelle cotisation du demandeur pour l'année
d'imposition 1977, dont le revenu a été rectifié de façon à
inclure la somme de $670. L'avis de nouvelle cotisation porte:
Votre déclaration a été rectifiée pour tenir compte d'un
paiement supplémentaire de $670.00 de Westinghouse
Electric Corporation.
Ce montant supplémentaire représente le paiement direct en
espèces pour les 200 actions du demandeur, enregistrées au
nom de Wood Gundy Limited.
FAIT à Toronto, le 10 janvier 1980.
BLAKE, CASSELS & GRAYDON
Signé: John B. Tinker
Avocats du demandeur
FAIT à Toronto, le 10 janvier 1980.
R. TASSÉ
Sous-procureur général de
l'Ontario
Signé: N. M. Helfield
Avocat de la défenderesse
Par ailleurs, le demandeur a déposé à l'audience
qu'à l'époque en cause, il était un actionnaire de
Westinghouse Canada Limited, mais qu'il n'avait
aucun lien avec Westinghouse Electric Corpora
tion dont il n'était ni actionnaire ni employé. La
seule communication qu'il ait jamais reçue de cette
compagnie était l'offre du 8 février 1977 (pièce 2).
Il a conservé ses actions de Westinghouse Canada
Limited, et, sans l'avoir demandé, a reçu de West-
inghouse Electric Corporation le chèque de $2,144
qu'il a encaissé. Il n'a intenté aucune action en
justice au sujet de la vente par Westinghouse
Canada Limited d'une partie de son entreprise
d'appareils électroménagers, ni n'a communiqué
avec d'autres actionnaires à ce sujet.
Le litige porte sur la nature du paiement en
cause. S'agissait-il d'un revenu au sens de la Loi de
l'impôt sur le revenu? L'avocat du Ministre recon-
naît que si ce paiement était déclaré revenu, ce
serait le revenu tiré d'un bien. Aux termes de
l'article 9 de la Loi:
9. (1) Sous réserve des dispositions de la présente Partie, le
revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien
pour une année d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour
cette année.
L'article 248(1) de la Loi porte:
248. (1) Dans la présente loi,
biens signifie des biens de toute nature, meubles ou immeu-
bles, corporels ou incorporels et comprend, sans restreindre la
portée générale de ce qui précède,
a) un droit de quelque nature qu'il soit, une action ou part,
b) à moins d'une intention contraire évidente, de l'argent, et
c) un avoir forestier;
Le paiement en cause ne tombe pas dans le
champ d'application de l'article 15 de la Loi parce
que le contribuable n'était pas un actionnaire de la
société qui lui a versé cette somme. Ce paiement a
été fait dans des circonstances tellement inhabi-
tuelles que les avocats en présence m'ont informé
qu'ils n'avaient pu trouver un précédent. La plu-
part des causes od il s'agissait de déterminer si une
somme reçue devait être considérée comme revenu
aux fins de l'impôt sur le revenu portent sur des
paiements assimilables à la rémunération de servi
ces rendus, comme Seymour c. Reed [ 1927] A.C.
(C.L.) 554. Hochstrasser (H.M. Inspector of
Taxes) c. Mayes 38 T.C. 673. Curran c. M.R.N.
[1959] R.C.S. 850. Moore c. Griffiths (H.M. In
spector of Taxes) 48 T.C. 338. Cirella c. La Reine
[1978] 2 C.F. 195. La succession Phaneuf c. La
Reine [1978] 2 C.F. 564. La Reine c. McLaughlin
[1979] 1 C.F. 470.
Les prestations d'assurance reçues par un contri-
buable par suite de la destruction de son stock ou
de l'expropriation de ses marchandises constituent
une recette commerciale et font partie de son
revenu imposable. Il a été jugé que pareilles
sommes rentraient dans les recettes commerciales
du contribuable aux fins de l'impôt puisqu'elles
représentaient la contrepartie de ses marchandises
et qu'il les a reçues dans le cours des affaires. J.
Gliksten & Son Ltd. c. Green [1929] A.C. (C.L.)
381. London Investment and Mortgage Co., Ltd. c.
Inland Revenue Commissioners [1957] 1 All E.R.
277; [1958] 2 All E.R. 230.
Une cause qui se rapproche davantage de l'af-
faire en instance est Federal Farms Limited c.
M.R.N. [1959] R.C.E. 91: elle portait sur les
dommages subis par une société maraîchère de la
région de Holland Marsh des suites de l'ouragan
Hazel qui a inondé les terres et détruit les récoltes.
Une compagnie a été constituée pour recevoir les
dons à répartir entre les exploitants agricoles tou-
chés. Les fonds recueillis, qui ne couvraient pas
tous les dommages, ont été répartis entre les béné-
ficiaires au prorata de leurs pertes. La demande-
resse a reçu pour sa part $10,000. Il n'était pas
assuré contre l'inondation et il n'a rien reçu d'au-
cune autre source pour couvrir la totalité de ses
pertes. Cette somme a été ajoutée au revenu impo-
sable du contribuable par nouvelle cotisation du
Ministre, qui estimait qu'elle remplaçait les mar-
chandises du contribuable, c'est-à-dire les légumes
et les récoltes qui avaient été détruits. Le juge
Cameron a distingué cette cause de J. Gliksten &
Son Ltd. c. Green (supra) au motif a) qu'il s'agis-
sait d'un don, b) que ce don provenait de personnes
qui n'avaient aucun lien d'affaires avec le con-
tribuable, c) qu'il n'avait aucun rapport avec l'en-
treprise du contribuable, d) que le contribuable
n'avait pas le droit légal d'exiger ce don, e) qu'au
moment des pertes, il ne pouvait s'attendre à le
recevoir, et f) qu'il était peu probable que cela se
reproduise jamais. Il a conclu que la somme reçue
était un don, c'est-à-dire ni un revenu ni une
recette imposable par application de la Loi de
l'impôt sur le revenu.
Par le paragraphe 10 de l'exposé conjoint des
faits susmentionné, les parties ont convenu en l'es-
pèce que l'offre de $3.35 par action, faite par
Westinghouse Electric aux actionnaires de West-
inghouse Canada Limited, visait des fins de ges-
tion, et qu'elle avait également pour but de préve-
nir toute contestation ou action qui pourrait être
intentée, de la part d'actionnaires minoritaires de
Westinghouse Canada Limited, à l'égard de la
vente de la division d'appareils électroménagers,
surtout à la suite du refus des autorités d'approu-
ver la vente à W.C.I. Canada Limited, en applica
tion de la Loi sur l'examen de l'investissement
étranger. Elle n'a pas été motivée par le fait que
les actionnaires de Westinghouse Canada Limited
auraient eu des revendications exécutoires contre
Westinghouse Electric.
A part ce paragraphe 10, aucune preuve n'a été
administrée pour préciser la nature des contesta-
tions ou actions que Westinghouse Electric voulait
prévenir par les paiements faits aux actionnaires
minoritaires qui conservaient leurs actions. Si une
action avait été intentée contre certaines parties
intéressées à la suite de l'annulation de la vente, les
sommes que le demandeur eût recouvrées ne pré-
senteraient certainement pas les caractéristiques
d'un revenu. Quoi qu'il en soit, il est indéniable
que du point de vue du demandeur, la somme qu'il
a reçue représentait un paiement volontaire et
aucun lien n'existait entre le payeur et le contri-
buable, lequel ne devait nullement s'attendre à
recevoir cette somme avant d'en avoir reçu l'offre
(pièce 2). Il est très peu probable qu'il reçoive
encore quelque chose à ce titre. Cette somme
pourrait donc être qualifiée de gain imprévisible.
Je suis persuadé qu'il ne s'agissait pas là d'un
revenu au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Il échet donc de juger que la somme en cause
n'était pas un revenu du demandeur, et de ren-
voyer la cotisation du revenu imposable du deman-
deur pour l'année 1977 au Ministre pour nouvelle
cotisation conformément à cette conclusion.
Le demandeur recouvrera ses dépens taxés de la
défenderesse.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.