A-93-79
Balbir Singh Nagra (Requérant)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration
(Intimé)
Cour d'appel, les juges Pratte et Heald et le juge
suppléant Smith—Vancouver, 12 septembre;
Ottawa, 9 octobre 1979.
Examen judiciaire — Immigration — Ordonnance d'exclu-
sion établie contre le requérant au motif qu'il avait fait une
demande de statut d'immigrant sans avoir obtenu un visa
avant de se présenter à un point d'entrée — Le requérant avait
été admis au Canada en qualité de visiteur et, après plusieurs
prolongations de séjour, y avait vécu trois ans — La demande
de résidence permanente, parrainée par son «épouse», n'a pu
être instruite, ce qui a donné lieu à un rapport conformément à
l'art. 20 puis à une enquête, et enfin à l'ordonnance d'exclusion
— Il échet d'examiner si le rapport prévu à l'art. 20, l'enquête
et l'ordonnance d'exclusion étaient fondés sur la fausse suppo
sition que le requérant était une personne désireuse d'être
admise au Canada en tant qu'immigrant alors qu'il y avait
vécu sans discontinuité pendant trois ans — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2" Supp.), c. 10, art. 28 — Loi sur
l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, art. 9(1), 20— Loi
sur l'immigration, S.R.C. 1952, c. 325, art. 7(3) [S.R.C. 1970,
c. I-2, art. 7(3)] — Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23,
art. 35.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
R. Rothe pour le requérant.
G. Carruthers pour l'intimé.
PROCUREURS:
Reiner O. Rothe, Vancouver, pour le requé-
rant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: Il s'agit d'une demande pré-
sentée en vertu de l'article 28 visant à faire annu-
ler l'ordonnance d'exclusion prononcée contre le
requérant le 30 janvier 1979, pour le motif qu'il
était une personne désireuse d'entrer au Canada en
tant qu'immigrant mais qui, contrairement au
paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration de
1976, S.C. 1976-77, c. 52, avait omis d'obtenir un
visa avant de se présenter à un point d'entrée.
Le requérant, de citoyenneté indienne, est venu
au Canada en avril 1975. Il y fut admis en qualité
de visiteur. Par la suite, on lui accorda plusieurs
prolongations de séjour dont la dernière expira le
27 juin 1977, soit trois jours après son mariage
avec une nommée Patricia Colleen Howard, vrai-
semblablement une citoyenne canadienne. Le 8
juillet 1977, il se présenta à un bureau d'immigra-
tion et demanda la résidence permanente au
Canada en tant que personne à charge parrainée
par son épouse. Il appert qu'on lui donna la per
mission de rester au pays, pendant que l'on procé-
derait à l'examen de sa demande. Le 8 février
1978, un agent d'immigration fit parvenir à
l'épouse du requérant la lettre que voici:
[TRADUCTION] Madame,
En réponse à la demande de parrainage que vous avez présentée
à ce bureau le 8 juillet 1977 en faveur de votre époux, Balbir
Singh Nagra, nous avons le regret de vous informer que vous
n'êtes pas en droit de soumettre une telle demande en vertu de
l'article 31(1)a) du Règlement sur l'immigration puisque votre
premier mariage avec M. Jora Singh Gill, qui a été célébré le
17 mai 1970 Abbotsford (Colombie-Britannique), n'a jamais
été dissous.
Il nous est par conséquent impossible de prendre en considéra-
tion votre demande.
Au cours de l'enquête, le requérant a nié avoir été
mis au courant du contenu de cette lettre. Toute-
fois, il a admis qu'on l'avait avisé, à une date non
déterminée, qu'il devra avoir quitté le pays au plus
tard le 19 mai 1978. Il ne s'est pas conformé à cet
avis et, le ler août 1978, un fonctionnaire du
ministère de l'Immigration à Ottawa a écrit la
lettre suivante au procureur du requérant:
[TRADUCTION] Monsieur,
La présente fait suite à votre lettre du 12 juin 1978 concer-
nant la demande de résidence permanente au Canada de M.
Balbir Singh Nagra.
Comme vous le savez, aucune disposition législative n'auto-
rise nos fonctionnaires à prendre en considération des demandes
de résidence permanente faites par des particuliers vivant au
Canada. Néanmoins, le Ministère a soigneusement réexaminé
le cas de votre client pour voir s'il n'y aurait pas lieu de déroger
au Règlement sur l'immigration. Malheureusement, nous
n'avons trouvé dans son dossier aucun motif suffisant pour ce
faire. Par conséquent, s'il ne quitte pas le Canada comme on le
lui a demandé, il sera prié de comparaître devant un arbitre
chargé d'examiner son droit de séjourner en ce pays. A l'audi-
tion, il a le droit de se faire assister par un conseiller juridique
et d'apporter les éléments de preuve qui n'ont pas été produits
auparavant ou dont l'agent d'immigration n'avait pas été saisi.
Étant donné toute l'attention que vous apportez à ce cas
particulier, nous regrettons infiniment de ne pas pouvoir satis-
faire à cette demande.
Le 9 janvier 1979, le requérant était encore au
pays. Il fut alors examiné par un agent d'immigra-
tion comme s'il était une personne désireuse d'être
admise au Canada en tant qu'immigrant. L'agent
d'immigration a émis l'avis que le requérant ne
pouvait être admis et a signalé son cas dans un
rapport conformément à l'article 20 de la Loi sur
l'immigration de 1976. Par suite de ce rapport,
une enquête a été menée. Celle-ci a abouti à
l'ordonnance d'exclusion que la présente demande
déposée en vertu de l'article 28 vise à faire
annuler.
L'avocat du requérant soutient principalement
que le rapport rédigé en vertu de l'article 20, ainsi
que l'enquête et l'ordonnance d'exclusion reposent
tous sur la fausse supposition selon laquelle, le 9
janvier 1979, le requérant était- une personne dési-
reuse d'être admise au Canada en tant qu'immi-
grant. L'avocat affirme que telle n'était pas la
situation du requérant puisque, à ce moment, il
était déjà au Canada où il avait vécu depuis plus
de trois ans.
Si je le comprends bien, l'avocat de l'intimé a
admis au cours de sa plaidoirie que:
a) le rapport rédigé en vertu de l'article 20,
ainsi que l'enquête et l'ordonnance d'exclusion
sont entachés de nullité, à moins qu'à l'époque
de la rédaction du rapport, le requérant ne fût
en fait une personne désireuse d'être admise au
Canada ou ne fût, en droit, considéré comme
telle;
b) à cette époque, le requérant n'était pas en
fait une personne désireuse d'être admise au
Canada.
Toutefois, selon la prétention de l'avocat de l'in-
timé, le requérant était, en droit, considéré à cette
époque comme une personne désireuse d'être
admise au Canada et que, pour cette raison, il
pouvait être signalé dans un rapport écrit sous le
régime de l'article 20. Selon l'avocat, le requérant
avait, lorsqu'il a présenté sa demande de résidence
permanente le 8 juillet 1977, fait état de sa situa
tion comme l'exige l'article 7(3) de la Loi sur
l'immigration de 1952, [S.R.C. 1970, c. I-2] de
sorte qu'il était alors devenu, en vertu des termes
mêmes de cette disposition, une personne réputée
être «une personne qui cherche à être admise au
Canada.»' Il est vrai que cette disposition avait été
déjà abrogée 2 au moment de l'examen du requé-
rant par l'agent d'immigration qui a signalé ce
dernier, conformément à l'article 20, dans un rap
port en date du 9 janvier 1979. L'avocat a toute-
fois soutenu que, malgré cette abrogation, le
requérant était toujours, en vertu de l'article 35 de
la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. 1-23 3 ,
réputé une personne qui cherche à être admise au
Canada.
Je ne peux m'empêcher de faire remarquer
qu'on ne sait pas si le requérant a vraiment fait
état de sa situation conformément à l'article 7(3)
de la Loi de 1952, lorsqu'il a présenté sa demande
de résidence permanente le 8 juillet 1977. A cette
date, à peine dix jours s'étaient écoulés depuis
l'expiration de sa dernière prolongation de séjour;
' L'article 7(3) de la Loi sur l'immigration de 1952 se lit
comme suit:
7....
(3) Lorsqu'une personne qui est entrée au Canada en
qualité de non-immigrant cesse d'être un non-immigrant ou
d'appartenir à la catégorie particulière dans laquelle elle a
été admise à ce titre et, dans l'un ou l'autre cas, demeure au
Canada, elle doit immédiatement signaler ces faits au fonc-
tionnaire à l'immigration le plus rapproché et se présenter
pour examen au lieu et au temps qui lui sont indiqués, et elle
est réputée, pour les objets de l'examen et à toutes autres fins
de la présente loi, une personne qui cherche à être admise au
Canada.
2 La Loi sur l'immigration de 1952 a été abrogée le 10 avril
1978.
3 Voici un extrait de l'article 35 de la Loi d'interprétation:
35. Lorsqu'un texte législatif est abrogé en tout ou en
partie, l'abrogation
b) n'atteint ni l'application antérieure du texte législatif
ainsi abrogé ni une chose dûment faite ou subie sous son
régime;
c) n'a pas d'effet sur quelque droit, privilège, obligation ou
responsabilité acquis, né, naissant ou encouru sous le
régime du texte législatif ainsi abrogé;
e) n'a pas d'effet sur une enquête, une procédure judi-
ciaire ou un recours concernant de semblables droit, privi-
lège, obligation, responsabilité, peine, confiscation ou
punition;
et une enquête, une procédure judiciaire ou un recours prévu
à l'alinéa e) peut être commencé, continué ou mis à exécu-
tion, et la peine, la confiscation ou la punition peut être
infligée comme si le texte législatif n'avait pas été ainsi
abrogé.
c'est peut-être pour cette raison que les fonction-
naires de l'immigration ne semblent pas (selon le
dossier) l'avoir considéré comme une personne qui
se serait signalée, comme l'exige l'article 7(3),
avant que ne fût prise la décision d'examiner son
cas le 9 janvier 1979. En tout état de cause, même
si le requérant était, le 7 juillet 1977, réputé être
en vertu de l'article 7(3) de la Loi de 1952, une
personne qui cherche à être admise au Canada, je
suis d'avis qu'il ne pouvait plus être réputé tel
après l'abrogation de cet article le 10 avril 1978. A
mon avis, l'article 35 de la Loi d'interprétation ne
s'applique pas ici parce que, sous le régime de
l'article 7(3), le requérant n'a jamais bénéficié
d'aucun droit ou privilège. Les deux parties recon-
naissent que le requérant n'a jamais eu le droit
d'entrer au Canada comme immigrant. Toutefois,
l'intimé prétend que le requérant était néanmoins
en droit d'être considéré comme une personne
ayant fait une demande d'admission au Canada.
Ce prétendu droit n'est pas, à mon avis, un droit
au sens de l'article 35 de la Loi d'interprétation.
L'article 7(3) de la Loi sur l'immigration de 1952
n'a conféré aucun droit au requérant; il permettait
simplement à ce dernier d'être réputé, aux fins de
la Loi, autre que ce qu'il était réellement. Puisque
cet article est maintenant abrogé, le requérant
demeure simplement ce qu'il est réellement et cela,
à mon avis, ne porte nullement atteinte, de quelque
façon que ce soit, à aucun de ses droits.
Pour ces motifs, je suis d'avis d'accueillir la
demande et d'annuler l'ordonnance d'exclusion
prononcée contre le requérant.
* * *
LE JUGE HEALD: Je suis d'accord.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT SMITH: Je souscris à ces
motifs de jugement.
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