A-703-79
Câble Laurentide Ltée (Appelante)
c.
Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommu-
nications canadiennes (Intimé)
et
Le procureur général du Canada et Lachute
Cablevision Ltée (Mis-en-cause)
Cour d'appel, les juges Pratte et Le Dain, le juge
suppléant Lalande—Montréal, 10 et 11 juin 1980.
Examen judiciaire — Appel — Réunion par application de
la Règle 1314 — Appel formé contre la décision du CRTC qui
a refusé l'autorisation d'acquérir l'actif d'une entreprise de
télédistribution et d'en poursuivre l'exploitation — Finance-
ment prévu par la filiale d'une société étrangère — Il échet
d'examiner si la décision du CRTC n'était pas suffisamment
motivée — Il échet d'examiner si le CRTC a mal interprété les
instructions du gouverneur en conseil — Il échet d'examiner si
le CRTC a contrevenu à ces instructions en refusant de délivrer
une licence à une personne qui pouvait en obtenir une — Le
pouvoir discrétionnaire du CRTC de refuser de délivrer une
licence n'est pas limité par ces instructions — Requête et appel
rejetés — Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, c. B-11, art.
3, 22(1)a), 26, 27(1) — Instructions au CRTC (Sociétés cana-
diennes habiles), CRC, Vol. IV, c. 376, art. 8 — Loi sur la
Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10, art. 28 — Règle
1314 de la Cour fédérale.
DEMANDE d'examen judiciaire et appel.
AVOCATS:
Michel Robert pour l'appelante.
J. Ouellet, c.r. pour le mis-en-cause le procu-
reur général du Canada.
PROCUREURS:
Robert, Darsereau & Barre, Montréal, pour
l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour le
mis-en-cause le procureur général du Canada.
Voici les motifs du jugement prononcés en fran-
çais â l'audience par
LE JUGE PRATTE: L'appelante attaque une déci-
sion du Conseil de la radiodiffusion et des télécom-
munications canadiennes.' Par cette décision, le
Conseil a rejeté la requête qu'avait présentée l'ap-
pelante pour qu'on l'autorise à acquérir les actifs
d'une entreprise de télévision par câble à Lachute,
Québec, et pour qu'on lui délivre une licence de
radiodiffusion lui permettant de continuer l'exploi-
tation de cette entreprise.
L'avocat de l'appelante a d'abord soutenu que la
décision du Conseil n'était pas suffisamment moti
vée et qu'elle contrevenait, à cause de cela, à
l'article 42 des Règles de procédure du CRTC qui
oblige le Conseil à motiver ses décisions. 2 Il suffit
de lire les motifs donnés par le Conseil à l'appui de
sa décision pour constater que ce reproche n'est
pas fondé. Ces motifs révèlent clairement, à mon
avis, que le Conseil a rejeté la requête de l'appe-
lante parce que celle-ci se proposait de financer
l'acquisition de l'entreprise de télévision qu'elle
voulait exploiter d'une façon qui pouvait éventuel-
lement permettre que cette entreprise passe aux
mains d'une société étrangère. D'ailleurs, les
motifs du Conseil sont suffisamment brefs qu'il est
possible de les citer en entier:
Dans son étude de cette demande, le Conseil a constaté que le
requérant proposait de financer cette transaction par l'intermé-
diaire d'une filiale canadienne d'une société de financement non
canadienne et que les conditions qui sont rattachées à l'offre de
financement ouvraient la voie à une prise de contrôle possible
d'une entreprise titulaire d'une licence de radiodiffusion par
une société non canadienne.
La Directive sur la propriété C.P. 1969-2229 incluant modifica
tion prescrit que le Conseil ne peut «délivrer ou renouveler»
aucune licence de radiodiffusion à des «sociétés autres que les
sociétés canadiennes remplissant les conditions». Le paragraphe
4c) de la Directive précise «que ne sera pas considérée comme
société canadienne remplissant les conditions, toute société qui
... est, de l'avis du Conseil, effectivement possédée ou contrô-
lée, soit directement soit indirectement, soit par la possession de
ses actions ou d'actions d'une autre société, soit par la posses
sion d'une partie importante de la dette de la société ou de
quelque autre façon que ce soit, par ou pour le compte d'une
(société qui ne remplit pas les conditions)».
Par conséquent, le Conseil estime que l'approbation de la
transaction n'est pas souhaitable, compte tenu du mode de
financement proposé.
' L'appelante a d'abord demandé l'annulation de cette déci-
sion en la façon prévue à l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), c. 10. Elle a ensuite fait appel
de cette même décision suivant l'article 26 de la Loi sur la
radiodiffusion, S.R.C. 1970, c. B-11. Ces deux recours ont
ensuite été réunis par une ordonnance de la Cour prononcée en
vertu de la Règle 1314.
2 Cet article 42 prévoit que «le Conseil peut donner oralement
ou par écrit les motifs de ses ordonnances ou décisions».
Je veux ici ouvrir une parenthèse. et dire quel-
ques mots de la «Directive sur la propriété» men-
tionnée dans la décision du Conseil. Cette directive
est un décret du gouverneur en conseil dont le titre
véritable est «Instructions au CRTC (Sociétés
canadiennes habiles)»; on la retrouve maintenant
au chapitre 376 de la Codification des règlements
du Canada de 1978. Ce décret interdit au Conseil
de délivrer des licences de radiodiffusion aux gou-
vernements, personnes et sociétés étrangères et,
aussi, aux sociétés qui, de l'avis du Conseil, sont
effectivement contrôlées par des étrangers. Il a été
adopté en vertu du paragraphe 27(1) et de l'alinéa
22(1)a) de la Loi sur la radiodiffusion. Suivant le
paragraphe 27(1):
27. (1) Le gouverneur en conseil peut, à l'occasion, par
décret, émettre des instructions à l'intention du Conseil comme
le prévoient le paragraphe 18(2) et l'alinéa 22(1)a).
Quant à l'alinéa 22(1)a), il prescrit ce qui suit:
22. (1) Aucune licence de radiodiffusion ne doit être attri-
buée, modifiée ou renouvelée en conformité de la présente
Partie
a) en contravention d'instructions données au Conseil par le
gouverneur en conseil sous l'autorité de la présente loi
concernant
(iii) les classes de requérants auxquels des licences de
radiodiffusion ne peuvent être attribuées ... .
Ces explications données, je peux en venir au
second argument présenté par l'avocat de l'appe-
lante. Suivant lui, la décision attaquée est entachée
d'illégalité parce qu'elle est fondée sur une fausse
interprétation des instructions émanant du gouver-
neur en conseil. L'avocat de l'appelante a soutenu
que ces instructions n'interdisent nullement que
l'on délivre une licence de radiodiffusion à une
société telle que l'appelante qui n'est manifeste-
ment ni une société étrangère ni une société qui
soit effectivement contrôlée par des étrangers. Ce
serait donc à tort que le Conseil se serait fondé sur
ces instructions pour rejeter la requête de
l'appelante.
Ce second argument me paraît reposer sur une
mauvaise interprétation de la décision du Conseil
qui n'a jamais jugé, à mon avis, que le décret du
gouverneur en conseil interdisait de délivrer une
licence à l'appelante. Ce que le Conseil me semble
avoir décidé, c'est que, dans les circonstances, il ne
lui paraissait pas souhaitable d'acquiescer à la
demande de l'appelante parce que, en le faisant, il
permettrait peut-être que se crée dans l'avenir une
situation que les instructions émanant du gouver-
neur en conseil paraissent vouloir éviter.
L'avocat de l'appelante a enfin prétendu que si
telle était la signification véritable de la décision
du Conseil, elle serait quand même illégale parce
que le Conseil aurait, en la rendant, contrevenu
aux instructions du gouverneur en conseil puisqu'il
aurait refusé de délivrer une licence à une per-
sonne qui, suivant les instructions, pouvait en obte-
nir une. Ce dernier argument me semble, lui aussi,
devoir être rejeté. Le Conseil possède, en vertu de
l'article 17 de la Loi sur la radiodiffusion, le
pouvoir discrétionnaire d'attribuer les licences de
radiodiffusion en tenant compte des principes
énoncés à l'article 3 et, en particulier, à l'alinéa b)
de cet article suivant lequel ale système de la
radiodiffusion canadienne devrait être possédé et
contrôlé effectivement par des Canadiens ...».
Cette discrétion est limitée par les instructions
émises par le gouverneur en conseil en vertu du
paragraphe 27(1), instructions dont l'effet est pré
cisé par l'alinéa 22(1)a):
22. (1) Aucune licence de radiodiffusion ne doit être attri-
buée, modifiée ou renouvelée en conformité de la présente
Partie
a) en contravention d'instructions données au Conseil par le
gouverneur en conseil ... .
Il est donc clair, suivant cette dernière disposition,
que le seul effet que peuvent avoir les instructions
émises par le gouverneur en conseil sur la discré-
tion que l'article 17 accorde au Conseil est d'empê-
cher ce dernier de décerner, modifier ou renouveler
une licence en contravention des instructions. Les
directives ne peuvent avoir pour effet de forcer le
Conseil à décerner une licence. D'ailleurs, si on lit
les instructions dont il s'agit ici, il est clair qu'elles
ne font qu'interdire au Conseil de délivrer des
licences à certaines catégories de personnes et ne
limitent pas la discrétion du Conseil de refuser une
licence à une personne à qui les instructions n'in-
terdisent pas d'en accorder une. S'il existait quel-
que doute à ce sujet, il serait dissipé par l'alinéa
8b) des instructions, suivant lequel:
8. Rien dans les présentes instructions ne doit s'interpréter
comme limitant
b) le pouvoir du Conseil de la radiodiffusion et des télécom-
munications canadiennes, dans la poursuite de ses objectifs
... de refuser de délivrer une licence de radiodiffusion ou de
refuser d'accorder une modification ou un renouvellement de
licence de radiodiffusion à un requérant d'une classe autre
qu'une classe définie à l'article 3.
Pour ces motifs, je rejetterais l'appel et la
demande faite en vertu de l'article 28.
* * *
LE JUGE LE DAIN y a souscrit.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT LALANDE y a souscrit.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.