T-3578-79
Le procureur général du Canada (Requérant)
c.
Peter Cumming en qualité de membre du tribunal
des droits de la personne constitué en vertu de la
Loi canadienne sur les droits de la personne et la
Commission canadienne des droits de la personne
et Roberta Bailey, William Carson, Réal Pellerin
et Michael McCaffrey (Intimés)
Division de première instance, le juge en chef
adjoint Thurlow—Ottawa, 27 et 31 juillet 1979.
Brefs de prérogative — Prohibition — Droits de la personne
— Impôt sur le revenu — Tribunal constitué pour enquêter sur
les plaintes formées contre des actes discriminatoires commis,
en violation de la Loi canadienne sur les droits de la personne,
dans l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu — Les
chefs de plainte étaient la discrimination sexuelle tenant aux
dispositions relatives à la garde d'enfants et la discrimination
pour cause de situation de famille tenant à la disposition
relative à la déduction au titre du conjoint — Requête visant à
défendre au tribunal intimé d'enquêter sur les plaintes — Loi
canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, c. 33,
art. 3, 4, 5, 31, 32(1), 33, 35(1), 36(3), 39(1), 40(1),(2),(6),
41(1),(2) — Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c.
63, art. 63(1), 109(1).
Requête en bref de prohibition pour défendre à l'intimé Peter
Cumming de siéger en tant que tribunal des droits de la
personne constitué en application de la Loi canadienne sur les
droits de la personne pour entendre les plaintes présentées à la
Commission des droits de la personne par les intimés Bailey,
Carson, Pellerin et McCaffrey. Bailey et Carson se plaignent
que le gouvernement du Canada, par l'entremise de Revenu
Canada, Impôt, a commis un acte discriminatoire en invoquant
la situation de famille de Roberta Bailey pour lui refuser le
droit d'inscrire son concubin William Carson comme personne
à charge aux fins de l'impôt sur le revenu. Les intimés Pellerin
et McCaffrey reprochent à Revenu Canada, Impôt, de commet-
tre un acte discriminatoire contre les hommes dans l'application
de l'article 63 de la Loi de l'impôt sur le revenu en matière de
frais de garde d'enfants. A l'issue d'une enquête préliminaire, la
Commission a conclu que l'objet des plaintes justifiait une
enquête de la part du tribunal des droits de la personne
constitué en application de la Loi.
Arrêt: la requête est rejetée. En constituant le tribunal, la
Commission n'a pas outrepassé les pouvoirs qu'elle tient du
paragraphe 39(1). Les articles 40 et 41 confèrent au tribunal le
droit de mener une enquête et, à l'issue de celle-ci, de décider si
une plainte d'acte discriminatoire est fondée et notamment si
l'acte qui est visé par la plainte et qui a été prouvé constitue en
droit un acte discriminatoire interdit. En établissant les cotisa-
tions d'impôt, le ministère du Revenu national fournit des
services au sens de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits
de la personne. Cette Loi est formulée en termes larges et, ni
par son objet ni par son but, elle ne se prête à une interprétation
restrictive. Il échet d'examiner si, en l'espèce, l'application par
le Ministère, qui fournit un service au public, d'une loi qui
défavorise une personne du fait d'un motif de distinction illicite
constitue en soi un acte discriminatoire au sens de la Loi
canadienne sur les droits de la personne. Quand bien même
cette question, ou un élément de cette question, serait la seule
sur laquelle il échet de conclure, elle ne met pas en jeu la
compétence du tribunal de connaître des plaintes, mais il s'agit
là d'un point sur lequel le tribunal doit statuer, dans la mesure
où une décision s'impose, avant de décider si, d'après les faits
constatés à l'enquête, un motif de distinction illicite a été établi.
Arrêts mentionnés: Lodge c. Le ministre de l'Emploi et de
l'Immigration [1979] 1 C.F. 775; Bell c. The Ontario
Human Rights Commission [1971] R.C.S. 756; Re CIP
Paper Products Ltd. et Saskatchewan Human Rights
Commission (1978) 87 D.L.R. (3') 609.
REQUÊTE.
AVOCATS:
T. B. Smith, c.r. et M. L. Jewett pour le
requérant.
Robert Nelson et George Addy pour l'intimé
Peter Cumming.
R. Juriansz pour l'intimée Commission cana-
dienne des droits de la personne.
Les intimés Roberta Bailey, Réal Pellerin,
William Carson n'étaient pas représentés.
R. MacKay pour l'intimé Michael McCaf-
frey.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le
requérant.
Gowling & Henderson, Ottawa, pour l'intimé
Peter Cumming.
L'avocat-conseil général de la Commission
canadienne des droits de la personne, Ottawa,
pour cette intimée qui agit pour son propre
compte.
Robin D. MacKay, Ottawa, pour l'intimé
Michael McCaffrey.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT THURLOW: Par
cette demande de bref de prohibition, le requérant
veut empêcher l'intimé Peter Cumming, en sa
qualité de membre d'un tribunal des droits de la
personne en vertu de la Loi canadienne sur les
droits de la personne', de faire enquête sur les
plaintes déposées devant la Commission cana-
dienne des droits de la personne par les intimés
Roberta Bailey, William Carson, Réal J. Pellerin
et Michael McCaffrey. Les avocats de la Commis
sion canadienne des droits de la personne, de Peter
Cumming et de Michael McCaffrey ont contesté
la demande. Les autres intimés n'ont pas comparu
et n'étaient pas représentés.
Roberta Bailey et William Carson se plaignent
que le gouvernement du Canada, par l'entremise
de -Revenu Canada, Impôt, ait commis un acte
discriminatoire, vers le 30 mai 1978, en refusant à
Roberta Bailey une déduction pour une personne à
charge, soit William Carson, dans le calcul de son
revenu imposable, en raison de sa situation de
famille. Les plaignants précisent qu'à leur avis
Revenu Canada a commis un acte discriminatoire
contre Roberta Bailey parce qu'elle n'est pas
mariée, et [TRADUCTION] «qu'en outre Revenu
Canada (les) place indûment dans une situation
financière difficile».
Notons les termes de l'article 109 de la Loi de
l'impôt sur le revenu [S.R.C. 1952, c. 148 telle
que modifiée par S.C. 1970-71-72, c. 63] relatifs à
l'objet de ces plaintes:
109. (1) Aux fins du calcul du revenu imposable d'un parti-
culier pour une année d'imposition, il peut être déduit de son
revenu pour l'année celles des sommes suivantes qui sont
appropriées:
a) dans le cas d'un particulier qui, pendant l'année, était une
personne mariée subvenant aux besoins de son conjoint, une
somme égale au total de
(i) $1,600, et
(ii) $1,400 moins la fraction, si fraction il y a, du revenu
du conjoint pour l'année pendant le mariage qui est en sus
de $300;
Voici le libellé de la plainte de Pellerin:
[TRADUCTION] ... En 1976, 1977 et 1978, le gouvernement du
Canada, par l'entremise de Revenu Canada, a commis un acte
discriminatoire en refusant aux pères la déduction de frais de
garde d'enfants, c'est-à-dire en me refusant la déduction de tels
frais dans ma déclaration de revenus de 1976. Voici des préci-
sions au sujet de cette plainte:
Mon épouse et moi, nous nous sommes séparés sans accord
écrit. J'ai la garde de notre enfant. La direction de Revenu
Canada a refusé la déduction des frais de garde de mon enfant
parce qu'aucun accord écrit de séparation n'avait été signé à ce
moment-là. Si j'étais une femme, il en irait tout autrement.
' S.C. 1976-77, c. 33.
Dans ses grandes lignes, la plainte de McCaf-
frey est analogue. Ce dernier prétend que vers le
19 mars 1978 Revenu Canada a commis un acte
discriminatoire contre lui en raison de son sexe.
Voici quelques précisions là-dessus:
[TRADUCTION] Refus de la déduction de frais de garde
d'enfants parce qu'aucun accord écrit de séparation n'a été
signé et que je suis une mère de sexe masculin.
Voici les dispositions du paragraphe 63(1) de la
Loi de l'impôt sur le revenu relatives à l'objet de
ces plaintes:
63. (1) Peuvent être déduites lors du calcul du revenu tiré
dans une année d'imposition par un contribuable qui est
a) une femme, ou
8) un homme,
(i) qui, à une date quelconque dans l'année, n'était pas
marié,
(ii) qui, à une date quelconque dans l'année, a été séparé
de sa femme en vertu d'un arrêt, d'une ordonnance ou d'un
jugement d'un tribunal compétent ou en vertu d'un accord
écrit,
les sommes payées dans l'année par le contribuable à titre ou au
titre de frais de garde pour ses enfants, dans la mesure
La décision de la Cour sera fondée sur les
documents suivants, versés au dossier:
(1) un affidavit d'un sous-ministre adjoint du
ministère du Revenu national (Impôt) produi-
sant des copies de lettres échangées entre la
Commission canadienne des droits de la per-
sonne et le Ministère à propos des plaintes, dont
des copies des plaintes, l'avis de la décision de la
Commission sur la plainte de Roberta Bailey et
de William Carson ainsi que des avis des dates
de l'examen des quatre plaintes par le tribunal;
(2) un affidavit du président de la Commission
canadienne des droits de la personne produisant
une copie de l'avis de la décision de la Commis
sion sur les plaintes de Pellerin et de McCaffrey;
(3), un affidavit de l'intimé McCaffrey qui
atteste le refus par le ministère du Revenu natio
nal de sa déduction de frais de garde d'enfants,
sa séparation de fait et l'absence d'accord écrit
de séparation entre lui et son épouse. L'intimé
affirme qu'une femme, dans la même situation,
pourrait déduire les frais de garde d'enfants. Il
produit également une copie d'une publication
du ministère du Revenu national où l'on parle
du processus des cotisations d'impôt comme
d'un service, ce qui renforce l'opinion de l'intimé
selon laquelle le Ministère est un organisme de
services.
Voici le corps de l'avis de la décision de la
Commission sur les plaintes de Bailey et de
Carson:
[TRADUCTION] Les plaignants ont prétendu que l'intimé a
commis un acte discriminatoire aux termes de l'article 5 de la
Loi canadienne sur les droits de la personne car il a défavorisé
Roberta Bailey en rejetant ses déductions dans la cotisation de
l'impôt sur le revenu.
L'enquête a révélé que Roberta Bailey est un contribuable
célibataire qui vit en union libre mais stable avec William
Carson. Ce dernier ne gagne aucun revenu et est entièrement à
la charge de Roberta Bailey.
En mars 1978, Roberta Bailey a produit une déclaration de
revenus pour l'année 1977 dans laquelle elle a déduit une
somme de $1,400 pour William Carson, personne à charge. Le
1" juin 1978, elle a reçu une lettre de Revenu Canada par
laquelle le Ministère refusait sa déduction en se fondant sur
l'article 109(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu qui n'accorde
la déduction de $1,400 qu'à «une personne mariée subvenant
aux besoins de son conjoint».
La Commission canadienne des droits de la personne est
convaincue que la plainte est fondée car la Loi de l'impôt sur le
revenu fait une distinction abusive et l'intimé, dans l'application
de l'article 109(1) de cette Loi, a défavorisé Roberta Bailey du
fait qu'elle n'était pas mariée. La Commission accepte le
rapport de l'enquêteur et constituera un tribunal des droits de
la personne pour examiner cette plainte.
Voici le libellé de l'avis de la décision relative
aux plaintes de Pellerin et de McCaffrey:
[TRADUCTION] Le 5 février 1979, Real J. Pellerin a déposé
une plainte contre l'intimé devant la Commission canadienne
des droits de la personne. Le 27 mars 1979, Michael McCaf-
frey a déposé une plainte contre l'intimé devant la Commission
canadienne des droits de la personne. La Commission cana-
dienne des droits de la personne a pris l'initiative d'une plainte
contre l'intimé le 28 mai 1979 2 . La Commission est d'avis que
ces plaintes portent substantiellement sur des questions identi-
ques de droit et de fait. C'est pourquoi elles seront entendues
ensemble. La Commission prétend que Sa Majesté la Reine,
représentée par le ministre du Revenu national, défavorise les
hommes avec l'application de l'article 63 de la Loi de l'impôt
sur le revenu.
z La plainte dont la Commission a pris l'initiative n'a pas été
versée au dossier et n'est pas mentionnée dans l'avis introductif
de la présente demande.
L'enquête a révélé que l'article 63(1) de la Loi de l'impôt sur
le revenu énonce les conditions qu'un homme doit remplir pour
déduire des frais de garde d'enfants dans le calcul de son revenu
pour une année d'imposition. Aux termes de cette disposition,
une femme n'est pas tenue de remplir ces conditions pour
déduire des frais de garde d'enfants dans le calcul de son revenu
pour une année d'imposition. L'intimé a refusé la déduction de
frais de garde d'enfants par les plaignants Pellerin et McCaf-
frey pour l'année d'imposition 1977. La déduction aurait été
acceptée si les plaignants avaient été des femmes.
La Commission accepte les rapports des enquêteurs et
ordonne la constitution d'un tribunal des droits de la personne
pour décider si l'application de l'article 63 de la Loi de l'impôt
sur le revenu constitue un acte discriminatoire au sens de
l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Aux termes de la Loi, selon mon interprétation,
ces décisions signifient que la Commission, après
une enquête préliminaire, a conclu que l'objet des
plaintes justifiait un examen par un tribunal des
droits de la personne conformément à la Loi, et
qu'elle a décidé de constituer un tel tribunal dans
un cas «pour examiner cette plainte» et dans l'au-
tre, «pour décider si l'application de l'article 63 de
la Loi de l'impôt sur le revenu constitue un acte
discriminatoire au sens de l'article 5 de la Loi
canadienne sur les droits de la personne.»
Selon la thèse du requérant, en établissant les
cotisations d'impôt sur le revenu, le ministère du
Revenu national ne fournit pas un service au sens
de l'article 5, mais même s'il s'agissait d'un service
au sens de cette disposition, ce n'est pas le Minis-
tère qui défavorise une personne en raison de sa
situation de famille ou de son sexe mais la loi, soit
en l'occurrence la Loi de l'impôt sur le revenu, que
le Ministère a le devoir d'appliquer. En outre, tout
redressement qu'accorderait un tribunal des droits
de la personne en vertu de l'article 41 serait incom
patible avec les dispositions de la Loi de l'impôt
sur le revenu et constituerait une abrogation ou
une modification de la loi contraire à l'esprit de la
Loi canadienne sur les droits de la personne et, en
tout état de cause un abus de pouvoir. Par consé-
quent, l'avocat a demandé à la Cour d'interdire les
recours en instance devant le tribunal des droits de
la personne.
Dans ses motifs de jugement dans la récente
affaire Lodge c. Le ministre de l'Emploi et de
l'Immigration', la Cour d'appel a résumé les dis
positions et l'économie de la Loi canadienne sur les
droits de la personne. Point n'est besoin de les
reproduire ici. La Loi est intitulée: «Loi visant à
compléter la législation canadienne actuelle en
matière de discrimination et de protection de la vie
privée». Son objet est énoncé à l'article 2. A l'arti-
cle 3, la situation de famille et le sexe sont déclarés
motifs de distinction illicite. Selon l'article 4, un
acte discriminatoire, décrit aux articles 5 à 13,
peut faire l'objet d'une plainte en vertu de la Partie
III. Quiconque est trouvé coupable d'un acte dis-
criminatoire peut être assujetti à une ordonnance
aux termes des articles 41 et 42.
Voici le libellé de l'article 5, soit le seul des neuf
articles de définition d'actes discriminatoires qui
semble applicable aux plaintes en cause:
5. Constitue un acte discriminatoire le fait pour le fournis-
seur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'héber-
gement destinés au public
a) d'en priver, ou
b) de défavoriser, à l'occasion de leur fourniture,
un individu, pour un motif de distinction illicite.
Voici les dispositions de la Partie III relatives à
la procédure et à la compétence en ce qui concerne
les plaintes:
31. Pour l'application de la présente Partie, «acte discrimina-
toire» s'entend des actes visés aux articles 5 à 13.
32. (I) Sous réserve des paragraphes (5) et (6), les individus
ou groupes d'individus ayant des motifs raisonnables de croire
qu'une personne a commis un acte discriminatoire peuvent
déposer une plainte devant la Commission en la forme accepta
ble pour cette dernière.
33. Sous réserve de l'article 32, la Commission doit statuer
sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime la
plainte irrecevable dans les cas où il apparaît à la Commission
a) qu'il est préférable que la victime présumée de l'acte
discriminatoire épuise d'abord les recours internes ou les
procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont
raisonnablement ouverts; ou
b) que la plainte
(i) pourrait avantageusement être instruite, dans un pre
mier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures
prévues par une autre loi du Parlement,
(ii) n'est pas de sa compétence,
(iii) est frivole, vexatoire, sans objet ou entachée de mau-
vaise foi, ou
3 [1979] I C.F. 775.
(iv) a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an à
compter de la dernière des actions ou abstentions sur
lesquelles elle est fondée, ou de tout délai plus long que la
Commission estime indiqué dans les circonstances.
35. (1) La Commission peut désigner la personne (ci-après
dénommée «l'enquêteur») chargée d'enquêter sur une plainte.
36....
(3) Dans les cas où, au reçu du rapport d'enquête prévu au
paragraphe (1), la Commission est convaincue
a) que la plainte est fondée, qu'il n'y a pas lieu de la
renvoyer conformément au paragraphe (2), ni de la rejeter
pour les motifs énoncés aux sous-alinéas 33b)(ii) à (iv), elle
peut accepter le rapport; ou
b) que la plainte n'est pas fondée ou qu'il y a lieu de la
rejeter pour les motifs énoncés aux sous-alinéas 33b)(ii) à
(iv), elle doit rejeter la plainte.
Notons qu'en vertu de l'article 33, la Commis
sion doit statuer sur toute plainte sauf si elle
estime, notamment, que la plainte n'est pas de sa
compétence. Aux termes de l'alinéa 36(3)b), par
référence aux sous-alinéas 33b)(ii) à (iv) la Com
mission doit également rejeter la plainte si elle
estime que la plainte ne relève pas de sa compé-
tence. Donc, par déduction, si elle ne rejette pas la
plainte pour l'un des motifs énoncés, la Commis
sion doit statuer sur celle-ci en vertu d'autres
dispositions de la Loi. Il ressort des documents
versés au dossier que la Commission, en l'espèce, a
statué sur les plaintes pour désigner des enquê-
teurs, puis accepter leurs rapports par la suite et,
enfin, constituer, dans la personne de M. Cum
ming, un tribunal conformément à l'article 39. Il
faut également déduire du fait que la Commission
n'a pas rejeté les plaintes en vertu de l'alinéa
36(3)b) que d'après elle ces plaintes relevaient de
sa compétence et demandaient une décision de sa
part.
Voici les dispositions pertinentes relativement
aux tribunaux:
39. (1) La Commission peut, à toute étape postérieure au
dépôt de la plainte, constituer un tribunal des droits de la
personne (ci-après dénommé, à la présente Partie, le «tribunal»)
chargé d'examiner la plainte.
40. (1) Le tribunal doit, après avis conforme à la Commis
sion, aux parties et, à sa discrétion, à tout intéressé, examiner
l'objet de la plainte pour laquelle il a été constitué; il doit
donner à ceux-ci la possibilité pleine et entière de comparaître
et de présenter des éléments de preuve et des arguments, même
par l'intermédiaire d'un avocat.
(2) En comparaissant devant le tribunal et en présentant ses
éléments de preuve et ses arguments, la Commission doit
adopter l'attitude la plus proche, à son avis, de l'intérêt public,
compte tenu de la nature de la plainte.
(6) Les audiences du tribunal sont publiques, mais le tribu
nal peut, dans l'intérêt public, ordonner le huis clos pour tout
ou partie de leur durée.
41. (1) A l'issue de son enquête, le tribunal rejette la plainte
qu'il juge non fondée.
(2) A l'issue de son enquête, le tribunal qui juge la plainte
fondée peut, sous réserve du paragraphe (4) et de l'article 42,
ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupa-
ble d'un acte discriminatoire
A mon avis, la Commission n'a pas outrepassé les
pouvoirs que lui accorde le paragraphe 39(1) en
constituant un tribunal. Elle aurait pu en consti-
tuer un à toute étape après le dépôt des plaintes.
En l'espèce, elle l'a fait après la tenue d'une
enquête et après avoir accepté le rapport de l'en-
quêteur. Si, comme je le crois, la Commission était
compétente pour constituer un tribunal, les articles
40 et 41 conféraient au tribunal le droit de mener
une enquête et, à l'issue de celle-ci, de décider si
les plaintes d'actes discriminatoires étaient fondées
et notamment si l'acte qui était visé par les plaintes
et qui a été prouvé constituait aux termes de la Loi
un acte discriminatoire interdit.
Selon moi, le requérant, en substance, demande
à la Cour de se substituer au tribunal et de statuer
sur une question qui relève de la compétence du
tribunal aux termes de la Loi. Si la Cour accueille
la présente demande, cela signifie que l'objet des
plaintes n'est pas la distinction illicite, que le
tribunal peut seulement rejeter les plaintes et que,
par conséquent, le tribunal n'est pas compétent
pour tenir un examen ni pour dire qu'aucune
distinction illicite n'a été établie et enfin que la
plainte est rejetée.
La Cour a sans aucun doute le droit, quand la
compétence d'un tribunal inférieur dépend d'un
point de droit clair et distinct, de statuer sur ce
point et, si elle conclut que le tribunal n'est pas
compétent, d'interdire à ce dernier d'entendre la
cause. Voir Bell c. The Ontario Human Rights
Commission. 4 Mais comme l'a souligné le juge en
chef de la Saskatchewan Culliton dans Re CIP
Paper Products Ltd. et Saskatchewan Human
Rights Commissions, à la page 612:
[TRADUCTION] Il faut prendre garde d'étendre indûment
l'application de la décision dans Bell c. Ontario Human Rights
Com'n (précitée). Dans cette affaire, la Cour a dit simplement
que lorsque la compétence du tribunal dépend d'un point de
droit clair dont la résolution ne repose pas sur des faits particu-
liers, ce point peut être résolu sur une requête de prohibition.
La Cour n'a pas dit qu'il y a lieu d'accorder la prohibition si,
d'après la prétention, la plainte n'est pas fondée aux termes de
la loi que le plaignant invoque. La Commission des droits de la
personne est compétente pour décider si la plainte est conforme
aux termes de la loi invoquée et si, en cas de réponse affirma
tive, un motif de distinction illicite a été établi. La Cour ne peut
pas s'attribuer les droits et les devoirs conférés à la Commission
par la loi à la faveur d'une demande de prohibition qui porte en
fait sur le fond de la plainte.
En l'espèce, certains points de droit découlent
peut-être des plaintes. On peut se demander si le
ministère du Revenu national, quand il établit les
cotisations d'impôt, fournit des services au sens de
l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la
personne. En cas de réponse affirmative, on peut se
demander s'il commet un acte discriminatoire en
appliquant les dispositions discriminatoires de la
Loi de l'impôt sur le revenu. Si c'est le cas, les
diverses mesures prévues à l'article 41 sont-elles
appropriées et doivent-elles être appliquées? Et les
dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu qui
établissent une distinction illicite aux termes de la
Loi canadienne sur les droits de la personne ont-
elles été, pro tanto, abrogées? D'autres points
pourraient être soulevés.
Quant au premier point, qui touche, à mon sens,
la compétence du tribunal, je n'admets pas l'affir-
4 [1971] R.C.S.756.
5 (1978) 87 D.L.R. (3 9 ) 609.
mation générale selon laquelle le ministère du
Revenu national, quand il établit les cotisations
d'impôt, ne fournit pas des services au sens de
l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la
personne. Le libellé de la Loi est large et tant par
son objet que par son but, la Loi ne demande pas
une interprétation stricte. Toutefois, selon moi, il
n'est pas impossible que la fourniture de tels servi
ces au public soit l'occasion d'une distinction illi-
cite pour l'un des motifs énoncés dans la Loi.
Sauf cette question générale, il me semble qu'en
l'espèce il faut se demander si l'application par le
Ministère, qui fournit ainsi un service au public,
d'une loi qui défavorise une personne pour un
motif de distinction illicite constitue en soi un acte
discriminatoire au sens de la Loi canadienne sur
les droits de la personne. Ces plaintes ne compor-
tent peut-être à peu près que ce point de droit.
Mais même si, de fait, cette question, ou un aspect
de cette question, est le seul point à résoudre pour
tirer une conclusion, je pense que ce dernier ne se
rapporte pas à la compétence du tribunal relative-
ment aux plaintes. C'est un point sur lequel le
tribunal doit statuer, dans la mesure où une déci-
sion s'impose, avant de décider si, d'après les faits
constatés à l'enquête, un motif de distinction illi-
cite a été établi. Aucun des autres points précités
ne se rapporte non plus à la compétence du tribu
nal. S'ils sont posés, il appartiendra au tribunal de
les résoudre.
Dans l'affaire Lodge précitée, le juge Le Dain
dit, aux pages 785 et 786 de ses motifs:
La question de savoir dans quelle mesure, le cas échéant,
l'application de textes législatifs fédéraux, édictés dans un but
réglementaire ou non, tombent sous le coup de la Loi cana-
dienne sur les droits de la personne est, il va sans dire,
importante. On pourrait, à partir des faits établis dans chacun
des cas, établir des distinctions importantes entre les différents
aspects de la fonction publique. Il est préférable, je crois, que
ces questions soient tranchées en premier lieu par la Commis
sion, comme le stipule l'article 33, avant qu'un tribunal soit
appelé à statuer.
Ce passage concerne l'exercice des fonctions de
la Commission plutôt que celui des fonctions d'un
tribunal mais, à mon avis, le même principe est en
jeu. Il est préférable pour la Cour de laisser le
tribunal tenir ses enquêtes librement et de ne pas
le lui interdire, sauf dans les cas où il est clair et
indubitable que le tribunal n'est pas compétent
pour statuer sur la question qui lui est soumise. Tel
n'est pas le cas en l'espèce, à mon sens.
Par conséquent, la demande est jugée sans fon-
dement et elle est rejetée avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.