T-1540-79
Aerosol Fillers Inc. (Appelante)
c.
Plough (Canada) Limited (Intimée)
Division de première instance, le juge Cattanach—
Ottawa, 4 et 11 septembre 1979.
Marques de commerce — Radiation — Appel contre la
décision du registraire des marques de commerce qui a auto-
risé le maintien de l'enregistrement de la marque «PHARMACO»
— Preuve de l'«emploi» — La simple affirmation d'emploi
n'est pas admissible — L'affirmation d'emploi postérieur à la
date de l'avis ne constitue pas une preuve admissible —
Ordonnance enjoignant au registraire de radier l'enregistre-
ment — Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, c.
T-10, art. 44.
Appel formé contre la décision du registraire des marques de
commerce, lequel, après avoir émis un avis à la demande de
l'appelante et en application de l'article 44(1) de la Loi sur les
marques de commerce et après avoir pris en considération
l'affidavit de l'intimée, a décidé de maintenir l'enregistrement
de la marque «PHARMACO» de l'intimée. L'avocat de l'appe-
lante fait valoir que l'alinéa 2 de l'affidavit du président de
l'intimée ne constitue pas une preuve de l'emploi de la marque
de commerce en cause, mais une conclusion sur une question de
droit qu'il n'appartient pas au déclarant de faire. En second
lieu, les termes de l'alinéa 2 de l'affidavit ne parlent que d'un
emploi postérieur à la date de l'avis prévu à l'article 44; en
conséquence, aucune preuve n'a été produite quant à l'emploi
de la marque à une époque antérieure à cette date, preuve que
l'usager est tenu d'établir.
Arrêt: l'appel est accueilli. Les simples affirmations conte-
nues dans l'alinéa 2 de l'affidavit selon lesquelles l'intimée
«emploie» et «employait ... la marque de commerce déposée
PHARMACO» constituent des conclusions sur une question de
droit que le déclarant n'était pas en droit de tirer ou d'affirmer
sous serment comme s'il s'agissait d'une question de fait. En
agissant de la sorte, le déclarant usurpe les fonctions du regis-
traire ou de la Cour statuant, en appel, sur la décision du
registraire. L'allégation contenue à l'alinéa 2 de l'affidavit selon
laquelle l'intimée «emploi actuellement» sa marque de com
merce déposée ne peut signifier que cet emploi est postérieur à
la date de l'avis et, de ce fait, ne constitue pas une preuve
admissible. L'allégation selon laquelle le propriétaire inscrit
«employait au 7 septembre 1978, la marque de commerce
déposée ...» signifie que cette marque était employée à la date
de l'avis, mais elle n'indique pas clairement si la marque était
employée avant cette date, c'est-à-dire à l'époque en cause. Les
allégations consignées dans un affidavit doivent être précises et
ne doivent pas se prêter à plus d'une interprétation. Une
affirmation non étayée quant à l'emploi d'une marque est
inacceptable; de plus, toute allégation ambiguitas patens dans
un affidavit le rend irrecevable.
APPEL.
AVOCATS:
S. Godinsky, c.r. pour l'appelante.
C. Kent pour l'intimée.
PROCUREURS:
Greenblatt, Godinsky & Uditsky, Montréal,
pour l'appelante.
Burke-Robertson, Chadwick & Ritchie,
Ottawa, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: Le présent appel, inter-
jeté conformément à l'article 56 de la Loi sur les
marques de commerce, S.R.C. 1970, c. T-10, vise
une décision du registraire des marques de com
merce rendue le 29 janvier 1979. A la suite d'un
avis en date du 7 septembre 1978 que le registraire
a émis en vertu de l'article 44(1) de la Loi à la
demande de l'appelante (faite par lettre en date du
6 juillet 1978) et après qu'il eut pris en considéra-
tion l'affidavit daté du 6 novembre 1978 qui lui a
été présenté le 14 novembre 1978, il a décidé de
maintenir l'enregistrement, en date du 6 novembre
1959, sous le numéro 115,881, de la marque PHAR-
MACO en liaison avec des «préparations pharma-
ceutiques».
Voici les dispositions de l'article 44:
44. (1) Le registraire peut, à tout moment, et doit, sur la
demande écrite présentée après trois années à compter de la
date de l'enregistrement, par une personne qui verse les droits
prescrits, à moins qu'il ne voie une raison valable à l'effet
contraire, donner au propriétaire inscrit un avis lui enjoignant
de fournir, dans les trois mois, un affidavit ou une déclaration
statutaire indiquant, à l'égard de chacune des marchandises ou
de chacun des services que spécifie l'enregistrement, si la
marque de commerce est employée au Canada et, dans la
négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et
la raison de son défaut d'emploi depuis cette date.
(2) Le registraire ne doit recevoir aucune preuve autre que
cet affidavit ou cette déclaration statutaire, mais il peut enten-
dre des représentations faites par ou pour le propriétaire inscrit
de la marque de commerce, ou par ou pour la personne à la
demande de qui l'avis a été donné.
(3) Lorsqu'il apparaît au registraire, en raison de la preuve à
lui fournie ou de l'omission de fournir une telle preuve, que la
marque de commerce, soit à l'égard de la totalité des marchan-
dises ou services spécifiés dans l'enregistrement, soit à l'égard
de l'une quelconque de ces marchandises ou de l'un quelconque
de ces services, n'est pas employée au Canada, et que le défaut
d'emploi n'a pas été attribuable à des circonstances spéciales
qui le justifient, l'enregistrement de cette marque de commerce
est susceptible de radiation ou modification en conséquence.
(4) Lorsque le registraire en arrive à une décision sur la
question de savoir s'il y a lieu ou non de radier ou de modifier
l'enregistrement de la marque de commerce, il doit notifier sa
décision, avec les motifs pertinents, au propriétaire inscrit de la
marque de commerce et à la personne à la demande de qui
l'avis a été donné.
(5) Le registraire doit agir en conformité de sa décision si
aucun appel n'en est interjeté dans le délai prévu par la
présente loi ou, si un appel est interjeté, il doit agir en confor-
mité du jugement définitif rendu dans cet appel.
Le but et l'objet de cet article 44 ont été
analysés par le président Thorson dans Re Wolf-
ville Holland Bakery Ltd. ((1965) 42 C.P.R. 88)
et par le président Jackett (tel était alors son titre)
dans The Noxzema Chemical Co. of Canada Ltd.
c. Sheran Manufacturing Ltd. ([1968] 2 R.C.É.
446) et dans Broderick & Bascom Rope Co. c. Le
registraire des marques de commerce ((1970) 62
C.P.R. 268).
Cette mesure législative introduite en 1953
visait l'instauration d'une procédure simple et
expéditive permettant de radier du registre des
inscriptions les marques de commerce qui ne sont
pas revendiquées, de bonne foi, par leurs proprié-
taires, comme étant des marques de commerce
encore employées au Canada. Aux termes de cette
mesure, le registraire peut procéder à cette radia
tion soit à sa diligence, soit à la demande de toute
personne, après trois années à compter de la date
de l'enregistrement.
En l'espèce, le registraire a, à la demande de
l'appelante et conformément à l'article 44, envoyé
à l'intimée un avis auquel cette dernière a répondu
en déposant un affidavit dans lequel elle déclare
employer sa marque déposée. Se fondant sur cette
affirmation, le registraire a décidé que la marque
de commerce ne devait donc pas être radiée.
L'essentiel de l'affidavit, daté du 6 novembre
1978 (soit à la date du dix-neuvième anniversaire
de l'enregistrement de la marque de commerce) et
présenté au registraire le 14 novembre de la même
année, est consigné en son alinéa 2 que voici:
[TRADUCTION] 2. QUE Plough (Canada) Limited emploie
actuellement et employait au 7 septembre 1978, la marque de
commerce déposée PHARMACO dans la pratique normale du
commerce en liaison avec des préparations pharmaceutiques.
Immédiatement après l'alinéa 2 apparaît l'ins-
cription LE DÉCLARANT N'A RIEN D'AUTRE À
AJOUTER, et effectivement il n'a rien ajouté. Cet
alinéa 2 de l'affidavit était donc le seul élément sur
lequel le registraire pouvait fonder sa décision.
Le déclarant est le président-directeur général
de l'intimée, elle-même identifiée à l'alinéa 1
comme étant le propriétaire inscrit de la marque
de commerce. C'est donc en connaissance de cause
qu'il a fait la déclaration consignée à l'alinéa 2.
Il est clair que la seule question présentement en
litige est de savoir si l'affidavit fourni par le pro-
priétaire inscrit constitue une preuve justifiant la
décision prise par le registraire selon laquelle la
marque de commerce était encore employée et ne
devait donc pas être radiée.
A cet égard, l'avocat de l'appelante fait valoir
deux arguments.
Le premier porte que l'alinéa 2 de l'affidavit
(précité) ne constitue nullement une preuve de
l'emploi de la marque de commerce, mais constitue
plutôt une conclusion sur une question de droit
qu'il n'appartenait pas au déclarant de faire.
Subsidiairement, l'avocat de l'appelante soutient
que la preuve de l'emploi de la marque doit se
rapporter à une époque antérieure à la date de
l'avis donné conformément à l'article 44, c'est-à-
dire, en l'espèce, à une époque antérieure au 7
septembre 1978; or, selon l'avocat, les termes de
l'alinéa 2 de l'affidavit ne parlent que d'un emploi
postérieur à cette date. Par conséquent, il soutient
qu'aucune preuve n'a donc été produite quant à
l'emploi de la marque à une époque antérieure à
cette date, alors que l'usager était tenu d'apporter
une telle preuve.
Je suis d'accord avec l'avocat de l'appelante qui
prétend que ce qui constitue un «emploi» aux fins
de l'article 44 de la Loi sur les marques de com-
merce est déterminé à l'article 2 et à l'article 4(1)
de la Loi' et que toute conclusion afférente à la
question de savoir si un ensemble de faits répond à
la définition du mot «emploi» constitue une conclu
sion sur une question de droit.
Le juge Gibson dans The Molson Companies
Ltd. c. Halter ((1977) 28 C.P.R. (2 e ) 158) et le
juge Thurlow (alors juge puîné) dans Porter c.
Don the Beachcomber ((1967) 48 C.P.R. 280) ont
également conclu en ce sens.
Dans The Molson Companies Ltd. c. Halter
précité, le juge Gibson, après avoir cité les diverses
décisions judiciaires qui se sont penchées sur la
définition de l'expression «emploi» telle qu'utilisée
dans la Loi sur les marques de commerce, s'est
exprimé en ces termes (à la p. 177):
Pour prouver l'emploi au Canada d'une marque de commerce
pour les fins de la Loi, il faut établir, avant tout, une opération
commerciale ordinaire par laquelle le propriétaire de la marque
de commerce conclut un contrat avec un client qui lui com-
mande les marchandises portant la marque de commerce et
livre à ce dernier ces marchandises conformément au contrat.
Autrement dit, suivant les dispositions de l'article 4, l'«emploi»
doit avoir lieu «dans la pratique normale du commerce» au
moment du transfert du droit de propriété ou de la possession
de ces marchandises.
Puisque ce qui constitue l'emploi d'une marque
de commerce selon la définition de la Loi sur les
marques de commerce est une question de droit, il
s'ensuit que les simples affirmations contenues
dans l'alinéa 2 de l'affidavit selon lesquelles, l'inti-
mée «emploie» et «employait ... la marque de
commerce déposée PHARMACO» constituent des
conclusions sur une question de droit que le décla-
rant n'était pas en droit de tirer et d'affirmer sous
serment comme s'il s'agissait d'une question de
fait. En agissant de la sorte, le déclarant usurpe les
fonctions du registraire ou de cette Cour statuant
sur l'appel de la décision du registraire.
2....
«emploi» ou «usage», à l'égard d'une marque de commerce
signifie tout emploi qui, selon l'article 4, est réputé un
emploi en liaison avec des marchandises ou services;
4. (I) Une marque de commerce est censée employée en
liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la pro-
priété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique
normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises
mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont
distribuées ou si elle est, de quelque autre manière, liée aux
marchandises au point qu'avis de liaison est alors donné à la
personne à qui la propriété ou possession est transférée.
Pour revenir à l'argument portant sur ce que le
déclarant aurait dû faire, celui-ci aurait dû établir
des faits permettant de conclure à l'emploi de la
marque plutôt que de tirer lui-même une conclu
sion en ce sens car c'est au registraire et à la Cour
qu'il appartient de tirer cette conclusion.
Je pourrais certes statuer sur le présent appel en
me fondant uniquement sur ce point mais vu ma
conception de la responsabilité imposée au regis-
traire par l'article 44, il appert que la deuxième
prétention faite par l'avocat de l'appelante n'est
aucunement subsidiaire à la première mais que ces
deux prétentions se complètent plutôt quant à leurs
effets.
Dans Parker-Knoll Ltd. c. Le registraire des
marques de commerce ((1977) 32 C.P.R. (2e) 148,
à la p. 153) le juge Walsh a conclu que la preuve
quant à l'emploi d'une marque devrait se limiter à
l'emploi qui s'en est fait antérieurement à l'émis-
sion de l'avis donné par le registraire.
L'allégation contenue à l'alinéa 2 de l'affidavit,
selon laquelle l'intimée «emploie actuellement» sa
marque de commerce déposée, ne peut donc uni-
quement signifier que cette marque était employée
à l'époque où l'affidavit a été rédigé, c'est-à-dire le
6 novembre 1978, donc à une date postérieure à
celle de l'avis, celui-ci ayant été donné le 7 septem-
bre 1978. Par conséquent, l'allégation quant à
l'emploi ne vaut que pour l'emploi qui s'est fait de
la marque après la date de l'avis et ne constitue
pas, à ce titre, une preuve acceptable.
Il ne nous reste plus qu'à examiner l'allégation
selon laquelle le propriétaire inscrit «employait au
7 septembre 1978, la marque de commerce dépo-
sée ...». Littéralement, cela signifie que la marque
de commerce était employée au 7 septembre 1978,
soit à la date de l'avis, mais cette allégation n'indi-
que pas clairement si la marque était employée
avant le 7 septembre 1978, c'est-à-dire à l'époque
pertinente. Les allégations consignées dans un affi
davit doivent être précises, surtout lorsqu'il s'agit
d'un affidavit produit conformément à l'article
44(2) car il constitue alors la seule preuve que le
registraire est autorisé à recevoir. L'affidavit ne
doit donc être sujet à plus d'une interprétation; si
tel est le cas, il convient alors d'adopter l'interpré-
tation qui va à l'encontre de l'intérêt de la partie
pour laquelle le document a été rédigé.
En vertu de l'article 44, le registraire n'est pas
autorisé à recevoir de preuve autre que l'affidavit
et il doit fonder sa décision sur le contenu de ce
document. Aucun contre-interrogatoire ne peut
venir ébranler le fondement des allégations et les
affidavits contradictoires ne sont pas permis.
Dans ces circonstances, je suis d'avis qu'il
incombe au registraire d'exiger la plus grande
précision dans les preuves qui lui sont présentées.
Une simple déclaration non étayée quant à l'em-
ploi d'une marque est inacceptable; de plus, toute
allégation ambiguitas patens dans un affidavit le
rend irrecevable.
Pour tous ces motifs, j'en viens à la conclusion
que le registraire ne s'est pas acquitté de son
obligation et que sa décision n'est pas fondée.
Il s'ensuit que l'appel doit être accueilli, avec
dépens contre l'intimée. Il est ordonné que le regis-
traire radie l'enregistrement.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.