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T-335-79
Phyllis Barbara Bronfman Trust (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Marceau— Montréal, 25 octobre; Ottawa, 28 novembre 1979.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Déductions Fiducies La demanderesse recevait 50 p. 100 des revenus de la fiducie et, au gré des fiduciaires, des prélèvements de capital Deux prélèvements de capital ont été versés par les fiduciaires qui, au lieu de vendre les titres, ont emprunté de l'argent à cette fin Il échet d'examiner si demanderesse a le droit de déduire des revenus les intérêts à titre d'argent «utilisé aux fins de gagner le revenu provenant d'une entreprise ou de biens» Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, art. 11(1)c), 12(1)a) Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63, art. 18(1)a), 20(1)c).
Distinction faite avec l'arrêt: Trans -Prairie Pipelines Ltd. c. Le ministre du Revenu national 70 DTC 6351.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu. AVOCATS:
M. Vineberg pour la demanderesse. R. Roy pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Phillips & Vineberg, Montréal, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU: La demanderesse est une fiducie constituée en 1942 par un nommé Samuel Bronfman au bénéfice de sa fille. En vertu de l'acte de fiducie, cette dernière, à titre de bénéfi- ciaire, a droit annuellement à 50 pour cent des revenus de la fiducie et peut, à l'occasion, recevoir à la discrétion des fiduciaires certains montants prélevés à même le capital de la fiducie. C'est ainsi qu'en décembre 1969 et en mars 1970, les fiduciai- res ont versé à la bénéficiaire des prélèvements de capital de l'ordre de $500,000 et $2,000,000 res- pectivement. A l'époque, les avoirs de la fiducie, tous productifs de revenus, se composaient de valeurs en portefeuille investies dans des sociétés publiques et privées, dont le prix de base dépassait $15,000,000 et dont la juste valeur marchande
était évaluée à plus de $70,000,000. Toutefois, les fiduciaires et leurs conseillers financiers estimaient à cette époque que le temps n'était pas propice à la vente de l'un quelconque de ces titres; ainsi, pour pouvoir effectuer lesdits prélèvements de capital, les fiduciaires ont chaque fois emprunter de l'argent à la banque. Par conséquent, la question qui se pose en l'espèce est de savoir si la demande- resse était en droit, comme elle le prétend, de déduire de ses gains, pour des fins fiscales, les intérêts qu'elle a payés à la banque ($110,114 en 1970, $9,802 en 1971 et $1,432 en 1972) jusqu'au remboursement des emprunts en 1972.
Les dispositions législatives applicables en l'es- pèce sont les alinéas 11(1)c) et 12(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, pour les années d'imposition 1970 et 1971, et les alinéas 18(1)a) et 20(1)c) de la nouvelle Loi, S.C. 1970- 71-72, c. 63 pour l'année d'imposition 1972. Selon ces dispositions, l'intérêt sur un montant d'argent emprunté est déductible s'il a été «utilisé aux fins de gagner le revenu provenant d'une entreprise ou de biens».
La demanderesse prétend que même si les mon- tants d'argent empruntés à la banque ont réelle- ment été utilisés pour verser à la bénéficiaire les prélèvements de capital susmentionnés, on doit néanmoins considérer ces montants comme ayant été «utilisés aux fins de gagner le revenu provenant ... de biens» au sens l'entend la Loi, puisque leur utilisation a permis à la fiducie de conserver des titres qui étaient productifs de revenu et dont en outre la valeur a augmenté avant le rembourse- ment des emprunts. D'après l'avocat de la deman- deresse, cette prétention s'inscrirait exactement dans le cadre de la décision rendue par la Cour de l'Échiquier en 1970, dans l'affaire Trans -Prairie Pipelines Ltd. c. M.R.N. 70 DTC 6351. La défen- deresse n'est pas du même avis et j'estime qu'elle a raison.
A mes yeux, la décision rendue dans l'affaire Trans -Prairie Pipelines ne peut être considérée comme une autorité étayant l'argumentation avan- cée par la demanderesse. En effet, cette argumen tation me paraît inacceptable, compte tenu des termes utilisés par le législateur dans les articles applicables des deux Lois en cause.
Le sommaire de l'affaire Trans -Prairie Pipe
lines résume en ces termes les faits pertinents et la décision du président Jackett (tel était alors son titre):
[TRADUCTION] La société appelante fut constituée en 1954 en vue de construire et d'exploiter des pipelines. Son capital initial émis consistait en un certain nombre d'actions ordinaires et 140,000 actions privilégiées rachetables; ces dernières avaient une valeur nominale totale de $700,000. En 1956, la société émit des obligations de première hypothèque valant $700,000 et utilisa $400,000 du montant ainsi emprunté (et $300,000 obtenus par l'émission d'actions ordinaires supplé- mentaires) pour racheter les actions privilégiées. En 1956 (et au cours des années ultérieures), elle déduisit l'intérêt payé sur ses obligations; en 1956, elle déduisit également (en vertu de l'article 11(1)cb)) les frais juridiques engagés lors de l'émission des obligations et du rachat des actions privilégiées. Le Minis- tre a autorisé la société à déduire seulement les trois septièmes des dépenses réclamées. Selon lui, les quatre septièmes, soit $400,000, du montant d'argent emprunté par la voie de l'émis- sion d'obligations ont été utilisés par la société pour racheter ses actions privilégiées et non aux fins de gagner un revenu prove- nant de son entreprise, de sorte que l'intérêt sur le montant de $400,000 ne pouvait pas être déduit de son revenu sous le régime de l'article 11(1)c) et que seuls les frais juridiques afférents à $300,000 des $700,000 empruntés pouvaient être déduits conformément à l'article 11(1)cb). Après que la Com mission d'appel de l'impôt (65 DTC 642) eut donné raison à l'interprétation du Ministre, Îa société interjeta appel devant la Cour de l'Échiquier.
Arrêt: l'appel est accueilli. La société appelante était en droit de déduire la totalité de l'intérêt payé sur ses obligations durant les années en question, ainsi que tous les frais juridiques réclamés sous le régime de l'article 11(1)cb). La totalité des $700,000 empruntés par la voie de l'émission d'obligations était, durant ces années, de l'argent emprunté pour gagner un revenu provenant de l'entreprise de la société, au sens de l'article 11(1)c). Le capital utilisé à cette fin antérieurement aux opérations en cause était les $700,000 souscrits par les actionnaires privilégiés et le montant souscrit par les premiers actionnaires ordinaires. Après ces opérations, l'argent souscrit par les actionnaires privilégiés avait été retiré et le capital que la société utilisait dans son entreprise pour gagner un revenu était le montant souscrit par les actionnaires ordinaires (suite à l'émission initiale et la nouvelle émission d'actions ordinaires) et l'emprunt de $700,000. Selon le bon sens courant des affai- res, l'emprunt de $700,000 est simplement venu combler le vide créé par le rachat des actions privilégiées au prix de $700,000. A n'en pas douter, l'article 11(1)c) doit être interprété comme permettant la déduction de l'intérêt uniquement au cours des années l'argent emprunté est employé dans l'entreprise plutôt que pendant toute la durée de l'emprunt du moment que sa première utilisation était aux fins de gagner un revenu provenant de l'entreprise.
Je vois cette décision comme une application du principe bien connu dégagé dans les affaires de nature fiscale, principe selon lequel on doit prendre en considération la conséquence réelle de l'opéra- tion ou des séries d'opérations en cause plutôt que
leur aspect juridique ou apparent. Les opérations conclues par la compagnie dans l'affaire Trans - Prairie ont eu pour seul effet de remplacer une partie de son capital constituée par l'argent origi- nairement souscrit par les détenteurs d'actions pri- vilégiées par de l'argent emprunté par la voie d'une émission d'obligations. Il s'agissait donc d'une simple substitution de créancier, la situation finan- cière de la compagnie restant la même. Par une interprétation exacte du mot «utilisé» qui apparaît au sous-alinéa 11(1)c)(1) de la Loi en vigueur à cette époque, le savant Président a évité le résultat inadmissible selon lequel les opérations effectuées dans ce seul but pourraient profiter au fisc.
La situation en l'espèce est très différente. L'ar- gent n'a pas été emprunté pour rembourser une dette précédemment contractée aux fins d'acquérir les actifs productifs de revenu de la fiducie. Les séries d'opérations effectuées par les fiduciaires, savoir les prélèvements de capital, l'emprunt, les versements à la bénéficiaire et, en ce faisant, la conservation des titres qui, autrement, auraient été vendus, ont plus que simplement changé les élé- ments constitutifs du capital productif de la fidu- cie: ce capital a indubitablement été réduit de quelque $2,500,000. Tandis que la décision rendue dans l'affaire Trans -Prairie n'a modifié en rien la situation dans laquelle se trouvait le fisc antérieu- rement aux opérations, la décision sollicitée en l'espèce par la demanderesse aurait pour consé- quence de permettre à la fiducie de soustraire à l'impôt une partie de son revenu sans qu'il soit besoin pour elle de faire quoi que ce soit ni pour augmenter la valeur de son capital ni pour changer la composition de ses avoirs.
L'avocat de la demanderesse soutient vigoureu- sement que les opérations en cause ont abouti au même résultat que celui qui aurait été obtenu si les fiduciaires avaient vendu une partie des actifs pour effectuer les prélèvements de capital et avaient ensuite emprunté de l'argent pour remplacer ces actifs, auquel cas l'intérêt afférent à ces emprunts aurait certes été déductible. Je ne partage pas cet avis. S'il y avait eu vente d'actifs, ceux-ci seraient restés productifs de revenu et, par conséquent, productifs d'impôts et l'argent emprunté aurait été ajouté à la totalité du revenu et du capital produc- tif d'impôts; or, en l'espèce, aucun montant n'a été ajouté au capital productif d'impôts. C'est à
mon avis une différence qui me paraît détermi- nante à la lumière du raisonnement qui sous-tend les règles établies par le Parlement en ce qui concerne la déductibilité, pour fins d'impôt sur le revenu, de l'intérêt payable par un contribuable sur un emprunt.'
A mon avis, on ne saurait dire qu'en l'espèce, l'emprunt bancaire contracté par la demanderesse a été «utilisé aux fins de gagner [un] revenu prove- nant .. . de biens" au sens l'entendent l'an- cienne et l'actuelle Loi de l'impôt sur le revenu. Le Ministre a donc eu raison de refuser la déduction de l'intérêt payable sur cet emprunt.
Par conséquent, l'appel est rejeté.
' Comparer: Sternthal c. La Reine 74 DTC 6646.
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