T-2814-74
R. Gordon Shaw (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Walsh—
Charlottetown, 17, 18, 19 et 20 mars; Ottawa, 28
mars 1980.
Brefs de prérogative — Jugement déclaratoire — Couronne
— Expropriation de terre au bénéfice d'un parc national —
Action en indemnisation ou requête en ordonnance attribuant
au demandeur la propriété du bien-fonds en cause — Il échet
d'examiner si le bien-fonds en cause appartenait au deman-
deur ou à la défenderesse — Il échet d'examiner si l'expro-
priation était valide — Il échet d'examiner si la Cour peut
rendre un jugement déclaratoire pour ordonner à la Couronne
d'observer un engagement antérieur — Action rejetée — Loi
sur les parcs nationaux, S.R.C. 1952, c. 189; S.R.C. 1970, c.
N-13, modifiée par S.C. 1974, c. 11 — The National Parks
Act, S.R.1.-P.-E. 1951, c. 102, art. 3, 4, 5 et 7 — The Statute
of Limitations, S.R. 1.-P.-E. 1951, c. 87, art. 17.
Le demandeur conclut à une indemnité ou, subsidiairement,
à une ordonnance lui attribuant le bien-fonds en cause. Par acte
notarié, le demandeur a acquis en 1936 de ses père et mère le
titre de propriété de divers fonds. En 1937, la province de
l'Ïle-du-Prince-Edouard a exproprié une partie de ces terres qui
a été transférée par la suite à la Couronne du chef du Canada
(Couronne canadienne) pour servir de parc national. L'expro-
priation de 1937 était fondée sur un levé erroné de l'époque. En
conséquence, le demandeur revendique la propriété de la partie
des terres qui était censée expropriée, et il a affirmé son droit
de propriété en s'y livrant à la chasse et aux sports. Au fil des
ans, le demandeur a activement affirmé son droit de propriété
en écrivant à diverses autorités jusqu'à ce que sa revendication
fût généralement reconnue comme valide, en 1954. La province
a de nouveau exproprié une partie des terres du demandeur,
pour en transférer l'administration et le contrôle à la Couronne
canadienne, mais en a expressément exclu la superficie revendi-
quée par le demandeur. En 1974, la description du parc a été
modifiée dans la Loi sur les parcs nationaux et, à cette
occasion non plus, il n'a pas été fait état de la partie revendi-
quée par le demandeur. La première question litigieuse porte
sur le droit de propriété relatif à la superficie revendiquée par le
demandeur, selon lequel une grande partie des terres expro-
priées s'était formée par accroissement naturel et appartenait
au propriétaire riverain qu'il était; pourtant il n'en a reçu
aucune indemnisation. Sa revendication de titre de propriété est
encore fondée sur le fait que le décret d'expropriation de 1937
n'a jamais été enregistré. La défenderesse fait valoir que la
superficie en cause s'est formée par accroissement et appartient
de ce fait à la Couronne. Il échet en second lieu de déterminer
le tracé de la limite sud du fonds exproprié en 1937, d'examiner
si l'expropriation de 1954 ne constitue qu'une rectification de la
limite établie en 1937 ou si elle représente une expropriation
supplémentaire. Il échet en dernier lieu d'examiner si la Conr
peut rendre un jugement déclaratoire pour ordonner à la Cou-
ronne de respecter un engagement antérieur.
Arrêt: l'action est rejetée. L'indemnité était pour l'ensemble
de la superficie expropriée, comme l'énonce le décret, et l'ex-
propriation de 1937 ne donne au demandeur aucune créance
supplémentaire. Avoir attendu de 1937 à 1974 pour réclamer la
propriété du fonds exproprié parce que le décret n'a pas été
enregistré, en dépit du fait que le fonds ait été subséquemment
incorporé au parc national, est manifestement excessif; toute
demande portant sur le titre de propriété est prescrite. En
l'espèce, après avoir soigneusement décrit le fonds, comme à
l'époque il crut qu'il devait l'être, l'arpenteur annexa un plan
sur lequel avait été tracée une ligne rouge. La ligne rouge
correspond à son interprétation de la description mais n'y
ajoute rien; si donc la description est fausse parce qu'on y
indiquerait erronément la présence d'une échancrure qui n'exis-
te pas, la ligne rouge n'ajoute rien ni n'a pour effet d'élargir la
surface expropriée. La superficie en cause a été délibérément
exclue par la Couronne provinciale de l'expropriation de 1954,
afin qu'on puisse l'aliéner au demandeur, et elle a été exclue de
la description modifiée figurant dans la Loi sur les parcs
nationaux de 1974. Le titre appartient donc à celui à qui il était
dévolu avant l'expropriation de 1954; le fonds est à l'extérieur
des limites du parc; donc, apparemment, on n'a ni souhaité ni
voulu l'inclure dans le parc. La défenderesse soutient que le
fonds était visé par l'expropriation de 1937; elle admet cepen-
dant tacitement, sinon expressément, que le bornage Cautley
était erroné, de sorte que l'expropriation de 1954, effectuée par
la Couronne provinciale, et la modification subséquente appor-
tée à la Loi sur les parcs nationaux, étaient nécessaires pour
rectifier la limite sud du parc. Indépendamment de l'accord
intervenu à l'époque, l'article 7 de The National Parks Act
exige que tout fonds exproprié non nécessaire à un parc natio
nal soit revendu à l'exproprié au prix de l'indemnité versée.
Comme cette surface ne fait pas partie du parc, elle devrait
présumément être retournée au demandeur si l'argument de la
défenderesse voulant qu'elle ait été régulièrement incluse dans
l'expropriation de 1937 devait être accepté. Comme elle n'a pas
été régulièrement incluse dans l'expropriation de 1937, la pré-
tention de la Couronne à son sujet doit dépendre de l'accroisse-
ment. Certaines parties de la superficie en cause seraient donc
sous la laisse moyenne de haute mer, mais une grande partie en
constitue certainement la terre ferme. La seule conclusion
définitive à laquelle on puisse arriver, c'est qu'une partie de la
superficie en cause appartient à la Couronne en vertu de sa
propriété du sol au-delà de la laisse moyenne de haute mer,
mais que la plus grande partie constitue une surface que le
demandeur peut légitimement revendiquer. Le sol appartenant
à la Couronne irait à la province toutefois, non à la Couronne
canadienne. Ce serait un geste de bonne foi, fort équitable de la
part de la Couronne canadienne, que d'exécuter les accords
intervenus avant l'expropriation de 1954 et, par décret, de
retourner le fonds à la Couronne provinciale étant bien entendu
que celle-ci le remettrait à son tour au demandeur. Ayant
montré ce que devrait faire la Couronne canadienne pour
remédier à la situation, la question, fort sérieuse, demeure de
savoir si la Cour peut prononcer un jugement déclaratoire en ce
sens. La question doit être d'ordre pratique et non théorique,
celui qui la soulève doit avoir un intérêt réel à le faire et il doit
pouvoir présenter un adversaire valable, c'est-à-dire quelqu'un
ayant un intérêt réel à s'opposer à la déclaration sollicitée. Le
problème en l'espèce, c'est que la Couronne canadienne n'est
probablement pas un adversaire valable. Aucun jugement
déclaratoire n'est expressément demandé en l'espèce. Ce qui est
demandé, c'est ou bien $2,000,000 ou bien une ordonnance
attribuant au demandeur les fonds expropriés en 1954 et en
1937, pour lesquels aucune indemnité n'a été versée. Semblable
ordonnance ne peut être rendue contre la Couronne canadienne
et, de toute façon, la superficie revendiquée par le demandeur
n'a été régulièrement incluse ni dans l'une ni dans l'autre
expropriation. Si cette surface ne fut jamais régulièrement
expropriée, le titre en est dévolu à la Couronne provinciale ou
au demandeur, mais non à la défenderesse. Bien que la Cour
puisse indiquer à la défenderesse la voie à suivre, il s'agit là
d'une question plutôt politique que judiciaire. La Cour ne peut
pas ordonner à la Couronne d'adopter un décret en exécution
d'un engagement antérieur. En matière d'exercice par les
ministres de la Couronne de leur pouvoir discrétionnaire,
aucune cour de justice ne peut intervenir s'il n'y a pas eu
violation d'une disposition législative édictée par la législature.
Distinction faite avec l'arrêt: Grasett c. Carter (1885) 10
R.C.S. 105. Arrêts appliqués: Le procureur général de la
province de Colombie-Britannique c. Neilson [1956]
R.C.S. 819; Le procureur général du Canada c. Higbie
[1945] R.C.S. 385; Solosky c. La Reine [1980] 1 R.C.S.
821. Arrêts mentionnés: Affaire de la compétence sur les
pêcheries provinciales (1897) 26 R.C.S. 444; Russian
Commercial and Industrial Bank c. British Bank for
Foreign Trade Ltd. [1921] 2 A.C. 438; Pyx Granite Co.
Ltd. c. Ministry of Housing and Local Government [ 1958]
1 Q.B. 554; Cox c. Green [1966] 1 Ch. 216; Thorne Rural
District Council c. Bunting [1972] 1 Ch. 470; Theodore c.
Duncan [ 1919] A.C. 696.
ACTION.
AVOCATS:
N. H. Carruthers et T. Matheson pour le
demandeur.
R. P. Hynes et J. MacNutt pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Foster, Carruthers, O'Keefe & Matheson,
Charlottetown, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Le litige en l'espèce porte sur
le titre de propriété d'un certain bien-fonds sis
dans, ou adjacent à, un parc national qui se trouve
entre Brackley Beach et la baie Covehead dans
l'Île-du-Prince -Edouard et, plus particulièrement,
sur le côté sud du fonds. Le 29 avril 1936, par acte
notarié, le demandeur a acquis de ses père et mère
le titre de propriété de divers fonds dans Brackley
Beach, lesquels appartenaient à sa famille depuis
1793. Par décret du ler mars 1937 la province de
l'Île-du-Prince -Edouard expropria une partie de ce
terrain, partie qui est décrite comme le lopin 3 par
la Partie VII de la Loi sur les parcs nationaux'.
Le 4 mai 1953 fut dûment enregistré, en l'Île-du-
Prince-Édouard, le plan de ce qui était présenté
comme une modification de la limite sud dudit
lopin 3 et, par décret de la province du 22 juillet
1954, il était proclamé que ces terrains appartien-
draient dorénavant à la Couronne du chef de la
province. Subséquemment un décret du 21 octobre
1954 modifia ce décret et transporta l'administra-
tion, le contrôle et la jouissance dudit bien-fonds à
la Couronne du chef du Canada. Il y eut une autre
modification, par le décret du 25 novembre 1954.
Le demandeur obtint $3,000 en 1938 pour, pré-
tend-il, approximativement 135 acres de terre, en
conséquence de l'expropriation de 1937, mais il ne
reçut absolument rien pour les terrains pris en
1954. Il soutient_ qu'une grande partie du fonds
exproprié par l'Ile-du-Prince-Edouard se serait
formée par accroissement naturel, que par consé-
quent il lui appartient et qu'il n'a reçu aucune
indemnité à ce titre. Il demanda l'autorisation
d'engager une action contre Sa Majesté la Reine
du chef de la province de l'Île-du-Prince-Édouard
mais se vit refuser le fiat nécessaire à l'époque
pour ce faire, par lettre en date du 27 janvier 1972.
Il conclut à une indemnité de $2,000,000 ou, subsi-
diairement, à une ordonnance lui attribuant les
biens-fonds que décrivent les décrets de l'Île-du-
Prince-Édouard, modifiés, des 1" mars 1937 et 22
juillet 1954. En un état préliminaire de la cause, la
défenderesse demanda la radiation de la déclara-
tion du demandeur pour motif qu'on y trouvait
aucune cause raisonnable à la demande intentée
contre elle. Ce qui fit l'objet de développements
assez élaborés dans le jugement du juge Collier du
18 novembre 1974; il y statue que les droits que
prétend avoir le demandeur pourraient bien s'avé-
rer des droits réels et donc suivre l'immeuble en les
mains de la Couronne fédérale qui en a mainte-
nant la possession. Il rejeta la requête disant que
l'affaire demandait une instruction en bonne et
due forme que seul un procès fournirait. Au début
de l'instance la défenderesse invoqua à nouveau ce
moyen, s'y référant comme à une question de
1 S.R.C. 1952, c. 189.
compétence. Quoique je n'y voie pas une question
de compétence, notre juridiction ayant, nul ne
saurait en douter, compétence en matière d'action
intentée contre Sa Majesté la Reine du chef du
Canada, il n'en existe pas moins un doute fort
sérieux, vu les faits, sur le droit subjectif de l'ac-
tionner en l'espèce. La requête fut prise en délibéré
et il y eut alors administration d'une preuve fort
exhaustive, comprenant la production de trois
volumes incluant quelque 250 pièces, des plans, des
photographies aériennes, des dessins, des copies de
décret, fédéraux et provinciaux, et des copies d'une
correspondance volumineuse échangée entre les
autorités du parc, fédérales et provinciales, des
députés fédéraux, des ministres, des arpenteurs,
etc. D'autres pièces ont été produites à l'audience,
dont le rapport d'un expert hautement qualifié, un
géomorphologue, professeur à l'Université
McMaster, lequel a étudié avec un soin considé-
rable le littoral de l'Île-du-Prince-Édouard aux
environs des lieux en cause; il a témoigné. Étant
donné qu'ont été soulevées plusieurs questions inté-
ressantes, fort sérieuses, en dehors de celles, juridi-
ques, du droit subjectif du demandeur d'actionner
la Couronne du chef du Canada, j'ai décidé d'en
traiter même si, à la fin, les conclusions auxquelles
j'en arrive à leur égard peuvent se révéler sans
conséquence, obiter, vu la décision à rendre sur la
question, comme la qualifie la défenderesse, de
compétence de la Cour.
Comme Sa Majesté du chef de la province de
l'Île-du-Prince-Édouard n'a pas été, ni ne pouvait
être, mise en cause en l'instance devant la Cour, la
défenderesse s'est trouvée en une position en quel-
que sorte difficile, trouvant nécessaire en défense
de faire valoir certains des moyens qui auraient été
soulevés si l'action avait été engagée contre Sa
Majesté la Reine du chef de la province de
l'Ile-du-Prince-Édouard. Pour la commodité on
parlera ci-après de la Couronne canadienne et de
la Couronne provinciale. L'un des principaux argu
ments de la défenderesse, au soutien duquel on a
administré une preuve considérable, y compris
l'expertise, est que le fonds en litige était un
terrain, s'il s'agissait vraiment de terre ferme, qui
n'avait jamais appartenu au demandeur, ni à ces
auteurs d'après les titres, mais qui s'était formé
par accroissement, par suite de l'action combinée
de la mer et du vent, et qui ne profita jamais au
demandeur, ni à ses auteurs, mais plutôt à la
Couronne. Toutes les parties concèdent que le
littoral de l'Île-du-Prince -Edouard, du côté du
golfe, s'est modifié substantiellement au cours des
ans, des baies se creusant puis disparaissant, des
îles surgissant et s'engloutissant, des bras de mer
et des golfes se formant puis se refermant. On ne
peut guère avoir une idée qu'approximative de la
forme qu'avait en 1793 le cordon sableux dont une
partie a fini par se développer en ce qu'aujourd'hui
on peut considérer comme de la terre ferme, deve-
nue partie intégrante du parc national de l'Île-du-
Prince-Édouard (un parc fédéral). Le lieu précis
de la laisse de haute mer moyenne sur son côté
sud, sur la baie Brackley, fait, même maintenant,
l'objet d'un litige entre les parties. Il n'est pas mis
en doute qu'en droit tout sol en deçà de la laisse de
haute mer moyenne sur les rives où l'action de la
marée se fait sentir appartienne à la Couronne. Il
n'est pas non plus mis en doute que l'alluvion
profite au propriétaire riverain ni, à l'inverse, qu'il
puisse en être privé par le déplacement de la laisse
de haute mer consécutivement à l'action de la
marée. Ce n'est donc pas sans conséquence juridi-
que qu'on cherche à déterminer si l'ensemble du
sol apparu postérieurement à 1793, et qui forme
maintenant la partie orientale du parc national,
appartenait en 1936 au demandeur par accroisse-
ment ou si, comme le prétend la défenderesse, les
limites du fonds du demandeur, comme les décrit
le titre, montrent que le sol qui s'est formé subsé-
quemment, et qui fait maintenant partie du parc
national, ne lui a pas profité mais constitue plutôt
un fonds appartenant à la Couronne, formé imper-
ceptiblement au fur et à mesure que le sable et la
vase des cordons sableux et des îles du large se sont
réunis en cette masse de terre unique. Si cet
argument est valable, alors les expropriations de
1937 et de 1954 n'auraient pas été nécessaires; la
Couronne provinciale aurait alors exproprié ce qui
lui appartenait déjà. Il ne pourrait donc y avoir
litige au sujet de la limite sud du fonds exproprié,
sur la baie Brackley, source de l'instance présente.
L'acte de vente de 1793 visait 300 acres de terre
mais ce ne sont que les 200 acres les plus à l'est qui
nous intéressent ici. Elles ont été achetées de con
cert par Duncan Shaw et Duncan McCullum. Ce
sont les limites est et sud qui sont en cause; voici
comment on les décrit:
[TRADUCTION] Au nord et à l'est, par les passes de la pointe
Brackley et de la baie Little Rustico; au sud par la baie d'York
ou par Cove.
L'acte poursuit:
AVEC tous et chacun des bâtiments, arbres, eaux, cours d'eau,
pâturages, prés, servitudes d'inondation, fruits, commodités,
avantages, attraits, héritages et appartenances quels qu'ils
soient.
Le golfe à l'est fut vendu par le sieur McCullum à
M. Shaw. Une esquisse préparée en 1880, sur la
foi d'un bornage datant de 1847, montre une
pointe de terre beaucoup moins avancée que celle
d'aujourd'hui mais, aussi, ce qui paraît être un
cordon sableux, au nord, séparé par un petit bras
de mer, la pointe orientale du cordon s'avançant
bien au-delà de la pointe orientale de terre, dans ce
qu'on appelait alors la baie d'York. La défende-
resse fait valoir que c'est sans doute là ce qu'on
désignait comme les «passes de la pointe Brackley
et de la baie Little Rustico» et que, subséquem-
ment, le cordon sableux aurait rejoint cette terre à
l'est. Ce ne peut être là bien sûr que spéculation.
Lorsque le demandeur acquéra le fonds en 1936,
on en décrivit les limites sud et est comme suit:
[TRADUCTION] Au sud et au sud-est par la rive de la baie de
Brackley Point; et à l'est par ladite rive et par la partie
orientale d'un cordon sableux enfermant la baie précitée, d'une
superficie d'UNE CENTAINE D'ACRES de terre, plus ou moins,
étant la ferme et l'hôtel appartenant à l'aliénateur.
Manifestement ni l'aire impliquée, ni sa descrip
tion comme ferme et hôtel appartenant à l'aliéna-
teur ne révèlent aucune assertion de propriété sur
l'est du fonds, l'objet du litige actuel, qui serait
apparemment en grande partie formé d'alluvions.
Le fait est que personne n'accordait beaucoup
d'importance à cette bande de terre à l'époque. Il y
avait bien une jolie plage au nord, du côté du golfe,
mais le sud était marécageux, subissait dans une
certaine mesure l'effet de la marée et n'intéressait
à peu près que les chasseurs des canards et des oies
qui se nourrissaient là. De bonne foi cependant le
demandeur a toujours considéré ce fonds comme le
sien.
S'il n'y avait eu aucune expropriation et qu'il
faille régler le litige sur le fondement de l'apparte-
nance des accroissements, la décision serait en
vérité fort difficile à rendre. On ne peut attendre
de l'expert, dont le témoignage sera analysé plus
en détail plus loin, une détermination précise de la
forme qu'avait le fonds en question ni du lieu de la
laisse de haute mer moyenne l'entourant en 1793.
Tout ce qu'il a pu dire c'est qu'en général, en
conséquence des observations qu'il avait faites trois
jours auparavant, en juillet 1978, il lui semblait
qu'avec la marée une partie substantielle de l'aire
désignée par la lettre C, et probablement une
partie de celle désignée par la lettre B 2 , objet du
litige, dans la baie de Brackley, était recouverte
d'au moins un ou deux pouces d'eau. Le type de
végétation montre qu'on classerait cet endroit
comme une zone de slikke, devant être inondée
quotidiennement. Un type différent de végétation,
le schorre, n'a besoin d'être inondé qu'une ou deux
fois par mois. Plus haut on trouve des joncs de la
Baltique qui ne peuvent résister à l'eau salée. Plus
haut encore, dans le parc, on trouve des arbres
aujourd'hui. Normalement les îles et les cordons
sableux auraient été amenés au rivage; ils auraient
été érodés au nord ou du côté du golfe et transpor
tés, par des embranchements ou autrement, avec le
temps, vers le sud ou du côté de la baie Brackley.
Cette évolution normale aurait, suppose-t-on fait
que la rive du côté sud aurait graduellement reculé
avec le temps, le marécage s'asséchant éventuelle-
ment. L'alluvionnement, les indentations, se font et
se défont en quelques décennies, non en quelques
siècles. La rive sud de la baie Brackley, au lieu de
s'accroître, toutefois, a en fait reculé de 1935 à
1960 à une vitesse que j'estime être d'un mètre
l'an. C'est dû, dans une certaine mesure, à la
construction d'une route tout au long du parc, d'un
bout à l'autre, qui a stabilisé le sol et arrêté les
déplacements du sable au travers de ce qu'on
pourrait peut-être appeler la péninsule.
Les parties s'entendent pour dire que les lieux
source du litige sont devenus en quelque sorte de
plus en plus marécageux, si l'on peut dire, avec les
ans. A une certaine époque, au cours des années
30, le demandeur entretint un petit terrain de golf
pour ses invités qui allait de la propriété où se
trouve son hôtel jusqu'à la surface décrite comme
une échancrure dans le rapport d'arpentage Caut-
ley de 1937, lequel sera examiné plus tard, et
peut-être, en partie, jusqu'à l'aire désignée par la
lettre B. Il n'existe plus. Le demandeur et un voisin
de toujours, Walter Matheson, maintenant âgé de
92 ans, lequel a témoigné, ont en effet fait creuser
certains bassins à l'endroit qu'on désigne comme
l'aire C, pour y faire flotter des leurres et y attirer
les oiseaux sauvages. On a aussi construit à cet
2 L'emplacement des surfaces ainsi désignées fera l'objet de
développements ultérieurs.
endroit que, familièrement, le demandeur et ses
invités appelaient la colline 70, un poste d'observa-
tion et un affût pour la chasse. Ces actes consti
tuent certainement une assertion de propriété sur
ledit fonds et montrent aussi qu'au moins certaines
de ses parties étaient relativement asséchées au
moins à l'époque de la première expropriation.
En tous les cas, savoir à qui appartenait la
majeure partie du fonds qu'occupe actuellement le
parc national avant l'expropriation ne présente
guère d'intérêt pratique puisque la Couronne pro-
vinciale décida justement, en 1937, d'effectuer
cette expropriation. Font l'objet du présent litige la
limite sud du fonds exproprié et le sens de la
seconde expropriation, en 1954, simple correction
de la limite ou, au contraire, expropriation d'un
fonds additionnel, de sorte que si le demandeur a
jamais pu profiter de l'alluvion accroissant les
fonds expropriés, ils cessèrent de lui appartenir
avec l'expropriation, que les expropriations aient
été nécessaires ou non pour conférer le droit de
propriété à la Couronne provinciale, et le contrôle
administratif à la Couronne canadienne. Le mode
de création des parcs nationaux au Canada exige
d'abord que la province exproprie ou acquière de
gré à gré les biens-fonds nécessaires à cette fin,
puis les cède à l'État canadien et alors, selon la Loi
sur les parcs nationaux du Canada, ils sont consti-
tués en parc national. La Loi sur les parcs natio-
naux 3 déclare en son article 6(3) que le gouver-
neur en conseil peut autoriser le Ministre à
acheter, exproprier ou autrement acquérir, tout
terrain ou intérêt dans ceux-ci, y compris les terres
des indiens ou de toute autre personne, pour les
fins d'un parc, mais à l'article 6, paragraphe (4),
on dispose que la Loi sur l'expropriation s'appli-
que à toute procédure en expropriation prise en
exécution de cet article. La Couronne canadienne
n'a pas acquis ce fonds pour le parc de cette
manière; il a été exproprié par la Couronne provin-
ciale le l er mars 1937, comme dit précédemment,
ses limites étant décrites et tracées sur le plan
annexé au décret. La National Parks Act de
l'Île-du-Prince-Édouard, (1936) 1 Edward VIII, c.
17, en vigueur à l'époque, abandonne l'indemnisa-
tion du fonds exproprié dans ce but pour ainsi dire
au pouvoir discrétionnaire du lieutenant-gouver-
3 S.R.C. 1970, c. N-13.
peur en conseil. L'article 5 de la Loi (aujourd'hui
S.R.Î.-P.-E. 1951, c. 102) prévoit ce qui suit au
sujet des fonds qu'un décret qualifie de parc
national:
[TRADUCTION] 5. (1) Si, dans un délai raisonnable après
qu'a été pris le décret, aucun accord n'est intervenu en regard
du montant et du partage de l'indemnité que devrait verser le
gouvernement de la province à titre d'indemnisation pour les
fonds et lieux expropriés, le lieutenant-gouverneur en conseil est
autorisé à prendre un décret additionnel fixant le montant de
cette indemnité et le Trésorier provincial pourra alors déposer
ce montant près la Cour de Chancellerie pour partage et remise
éventuels aux parties qui y ont droit, sur requête de l'une
d'elles. Ce dépôt près la Cour acquitte la créance de tous ceux,
quels qu'ils soient, qui réclament indemnisation pour l'expro-
priation des fonds.
(2) A défaut de cette requête en paiement extrajudiciaire,
par les parties y ayant droit, dans les trois mois du dépôt près la
Cour de Chancellerie, par le Trésorier provincial, celui-ci
pourra obtenir, de plein droit, par requête présentée à la Cour,
une ordonnance obligeant le greffier à tirer un chèque, au nom
de la Cour, aux parties bénéficiaires comme paiement
extrajudiciaire.
Il est particulièrement significatif que cet article
emploie les termes «est autorisé» plutôt que le
terme «devra» et ne parle que d'un «montant» à
verser comme dédommagement. Un «montant»
cela s'entend aussi bien de $0.01 ou $1.00 que
d'une somme infinie; ce que l'article dit en fait,
c'est qu'à moins de vente de gré à gré, le proprié-
taire doit se contenter de l'indemnité qui lui est
offerte. Il est intéressant de signaler le libellé de
l'article 7:
[TRADUCTION] 7. Au cas où quelque fonds exproprié ne se
révélerait pas nécessaire au parc national, le lieutenant-gouver-
neur en conseil offrira en premier lieu de revendre le fonds à
ceux qui en furent expropriés, au prix de l'indemnité versée; si
l'offre est refusée, il est alors autorisé à l'aliéner, par vente ou
autrement, comme il le jugera opportun.
Ceci a son importance, comme on le verra plus
loin, vu que l'aire B fut exclue de la description
modifiée du parc dans la Loi sur les parcs natio-
naux canadienne. Ces dispositions fort draconien-
nes de la Loi de l'Île-du-Prince -Edouard semblent
contraires au principe fondamental selon lequel le
souverain ne peut contraindre personne à céder sa
propriété si ce n'est moyennant juste indemnité; je
n'irai pas jusqu'à dire cependant que c'était un
excès de pouvoir de la part de l'assemblée législa-
tive de l'Ile-du-Prince-Edouard de les adopter, ni
qu'elles pourraient en quelque façon être annulées
en l'instance, la province n'étant pas en cause et
n'y étant pas représentée. Dans sa demande d'in-
demnité du 11 juin 1937, le demandeur réclame
$150 l'acre, soit $1,200 pour 8 acres de terre
arable, $50 l'acre, soit $1,400, pour 28 acres de
terre en bois debout (pouvant être vendues en
partie à $10 le chaînon carré) et $30 l'acre, soit
$1,260, pour 42 acres de mauvais pâturage, d'her-
bes des sables, de champs de canneberges et de
plages, pour un total (apparemment mal addi-
tionné) de $3,760. Ultérieurement, le 16 juin, son
avocat attira l'attention sur le fait qu'il avait
oublié 15 acres de marécages en plus de la superfi-
cie réclamée, ce qui, à $30 l'acre, ajoutait un autre
$450 la réclamation, pour un total de $4,310.
Dans son annexe, du 6 août 1937, jointe au décret
du lieutenant-gouverneur en conseil, fixant les
indemnités à verser aux diverses parties expro-
priées pour cet objet, il lui est alloué $2,098.75.
Plus tard, le 28 septembre 1937, le demandeur
affirma que le gouvernement lui avait pris, pour le
parc, 10 acres de terre déboisées, les 117 acres
restant se composant de dunes et de forêts, et qu'il
aimerait voir modifier la démarcation de façon à
conserver le fonds déboisé, celui-ci ayant de la
valeur pour lui mais étant inaccessible pour les fins
du parc. C'est ce qui apparaît dans une lettre qu'il
envoya à M. Roy Gibson du ministère des Res-
sources naturelles à Ottawa. Après bien des enquê-
tes et des discussions, et une correspondance suivie
entre diverses personnes, dont le premier ministre
d'alors de l'Île-du-Prince -Edouard, sa requête fut
finalement refusée. En janvier 1938 toutefois une
évaluation de la terre en bois debout, dont il avait
été exproprié, fut faite; elle donna une valeur
totale de $2,206.40 pour le bois. Finalement sa
créance pour l'expropriation fut acquittée entière-
ment pour un montant de $3,000, qui lui fut versé
le 14 avril 1938, un décret approuvant la transac
tion ayant été pris. D'après le témoignage du
demandeur à l'instruction, il croyait que cette
somme était en paiement uniquement de la portion
de la propriété expropriée, à laquelle il avait attri-
bué une valeur spécifique, et que rien n'était prévu
pour ce qui restait du fonds, dont il fut exproprié
pour le parc, et dont il prétend qu'il lui appartient
par accroissement. Il dit, et il n'y a aucune raison
de ne pas le croire, qu'un ingénieur du gouverne-
ment lui a dit qu'aucun terrain à l'est du point
figurant sur le plan de l'arpenteur la borne XLII
ne lui appartenait et que c'était pourquoi il avait
évalué son fonds en ne prenant en compte que ce
qui était à l'ouest de celle-ci. C'est fort vraisembla-
ble vu que la province prétend qu'il s'agissait là de
terres de la Couronne. De toute façon il n'y a
aucun moyen de séparer la partie du fonds expro-
prié pour laquelle il prétend avoir été remboursé de
celle pour laquelle il ne l'aurait pas été. L'indem-
nité était pour l'ensemble de la superficie expro-
priée, comme l'énonce le décret, et l'expropriation
de 1937 ne lui donne aucune créance supplémen-
taire.
Le demandeur avance un autre argument. Il se
prétend propriétaire du fonds exproprié en 1937.
L'article 3 de The National Parks Act de l'Île-du-
Prince-Édouard déclare que le décret contenant le
plan et la description du fonds exproprié sera
déposé au bureau d'enregistrement du comté où il
est situé. L'article 4 oblige à expédier le décret par
poste recommandée à tout titulaire d'un droit sur
le fonds. Ni l'une ni l'autre de ces formalités n'ont
été respectées. M. Shaw a appris pour la première
fois qu'il y aurait une expropriation lorsque l'ar-
penteur Cautley visita sa propriété et, en fait,
habita chez lui pendant que dura le bornage. Qu'il
ait ou non été notifié par poste recommandée de
l'expropriation, il en a certainement eu connais-
sance puisqu'il négocia l'indemnité à verser,
indemnité qu'il obtint éventuellement.
Une préposée du bureau d'enregistrement a dit
dans son témoignage que ni le décret du ler mars
1937 ni la vente faite par la Couronne provinciale
à la Couronne canadienne le 4 mars 1937 ne
furent enregistrés. Elle dit qu'il y a eu une époque
où les décrets n'étaient pas enregistrés mais sim-
plement conservés au bureau du Secrétaire de la
province. On ne refusait pas l'enregistrement tou-
tefois. Depuis les années 50 on enregistre ces
décrets; l'expropriation de 1954 fut donc régulière-
ment enregistrée comme le veut la Loi.
La Loi sur la prescription de la province, le The
Statute of Limitations, c. 87 des Statuts revisés
Î.-P. -E. 1951, prescrit, en son article 17, l'action
pétitoire par vingt ans à compter de l'époque où le
droit a pris naissance. Avoir attendu de 1937 à
1974 pour réclamer la propriété du fonds exproprié
parce que le décret n'a pas été enregistré, en dépit
du fait que le fonds ait été subséquemment incor-
poré au parc national, comme il apparaît à la
Partie VII de la Loi sur les parcs nationaux,
S.R.C. 1952, c. 189, et que le parc ait depuis été
aménagé en ces lieux, est manifestement excessif;
toute demande portant sur le titre de propriété du
fonds est prescrite. C'est apparemment en s'ap-
puyant sur sa prétention à la propriété de cette
partie du terrain du parc que furent, fort exagéré-
ment, réclamés $2,000,000 sous prétexte que s'il
s'avérait que l'expropriation n'avait pas été régu-
lièrement faite, alors toute cette partie du parc
national, y compris la très belle plage du côté du
golfe, lui aurait été illicitement enlevé; on devrait
alors l'en dédommager. Cet argument est sans
valeur et la Cour l'a fait savoir; aussi, après avoir
consulté son avocat, le demandeur retira-t-il sa
demande d'indemnité supplémentaire pour l'expro-
priation de 1937. Je crois cependant qu'il faut
ajouter qu'ayant accepté $3,000 pour 117 acres de
la plus belle partie de son fonds, il était déraison-
nable de sa part de proposer $2,000,000 comme
indemnité pour quelques centaines d'acres de
dunes de plages et pour la partie méridionale du
marécage. L'avocat justifie ce montant en disant
que, comme un tribunal ne peut statuer ultra
petits, on cherche toujours à réclamer suffisam-
ment afin d'obtenir tout ce à quoi on pourrait avoir
droit. Je suis d'avis cependant que les demandes
excessives et fort exagérées constituent un abus des
voies de droit de la Cour car elles peuvent avoir
pour effet de mettre en péril le défendeur au-delà
de ce que justifient les faits, avec pour résultat
que, dans bien des litiges portés en justice, on fera
alors beaucoup plus de frais qu'il ne pourrait être
éventuellement recouvré advenant que l'on ait gain
de cause. De telles réclamations sont fréquentes
notamment dans les instances engagées devant
jury aux États-Unis mais, à mon avis, elles doivent
être découragées; ne devraient être réclamées que
des sommes réalistes. En l'espèce les frais d'arpen-
teurs, d'experts, de la reproduction des pièces et le
temps qu'ont consacré à l'affaire les hommes de
loi, sans parler de celui des hauts fonctionnaires,
des ministres, etc., sont cent fois supérieurs à la
valeur de tout bien-fonds que pourrait réclamer le
demandeur. Comme l'a fait remarquer l'avocat de
celui-ci au moment où il résuma sa plaidoirie, au
cours du litige ont été impliqués plus de dix fonc-
tionnaires des parcs nationaux fédéraux, quatre de
l'Île-du-Prince -Edouard, huit conseils juridiques de
divers ministères du gouvernement fédéral dont
celui de la Justice, y compris deux sous-ministres,
le sous-procureur général de l'Île-du-Prince-
Édouard, le premier ministre de l'Île, le procureur
général et un député de celle-ci, quatre arpenteurs
différents et, depuis 1954, quatre représentants du
solliciteur général du Canada, cinq ministres fédé-
raux, etc.: une histoire absurde et lamentable.
Mais comme l'a dit l'avocat de la défenderesse, la
Couronne ne saurait transiger lorsqu'elle croit la
demande non fondée, même si le coût de la contes-
tation dépasse de beaucoup ce qui est en jeu. La
Cour a proposé d'exercer son pouvoir discrétion-
naire, advenant que le demandeur soit débouté, et
de refuser d'allouer à la défenderesse les frais
énormes en jeu; son avocat confirma ultérieure-
ment qu'il avait reçu instruction de ne pas exiger
ces frais, ce qui était approprié, je pense, en
l'espèce.
Les limites du fonds exproprié en 1937, limites
qu'on a voulu corriger par l'expropriation de 1954,
sont cause de confusion et ont conduit au présent
litige. Les autorités fédérales engagèrent à l'épo-
que M. R. W. Cautley, un arpenteur réputé, pour
procéder au bornage; celui-ci écrit à l'arpenteur
général du Canada, le 30 octobre 1936, qu'il s'agit
[TRADUCTION] «d'un arpentage urgent, fait à la
mauvaise saison, pour permettre au gouvernement
local de céder son titre au Dominion, pour que la
Direction des parcs puisse autoriser l'élargissement
des terrains alloués à ce parc. C'est une course
contre la montre que de faire tout l'arpentage
nécessaire avant que tout le pays ne soit entière-
ment gelé». Il ajoute, dans une lettre qu'il envoie
au Commissaire-adjoint des parcs nationaux du
Canada, le 30 octobre 1936: [TRADUCTION]
«Quant à l'instance en expropriation que doit enga-
ger la province, je crois que vous admettrez que
nous n'avons rien à y voir et qu'il serait fort peu
sage d'assumer quelque responsabilité que ce soit à
son égard». D'autres lettres, postérieures, mention-
nent les conditions hivernales extraordinairement
sévères rencontrées.
L'arpenteur général du Canada écrivit au chef
du Bureau des parcs nationaux le 15 février 1937
lui disant notamment, au sujet du projet de des
cription du fonds, qu'on y trouvait des lacs, des
étangs, des ruisseaux et des marais; qu'on voulait
les inclure dans le parc; il ajoutait: [TRADUCTION]
«Si le fond de ces étendues d'eau n'appartient pas
déjà à la Couronne du chef du Dominion, je
propose la description suivante: [TRADUCTION]
`Avec toutes les terres, émergées ou non'». Il
signale aussi que les bleus n'indiquent pas la limite
tracée en rouge sur le plan et il ajoute: [TRADUC-
TION] «une description des tenants et aboutissants
de ce lopin serait préférable».
Il n'est pas nécessaire d'inclure ici toute la des
cription modifiée du fonds exproprié; il suffit de
s'en tenir à cette partie qui nous intéresse, laquelle
mentionne une borne de fer, marquée XLII, puis
poursuit:
De là, continuant sur la même ligne droite d'après un relève-
ment de S. 88° 38' 2 E., pour couper la ligne de haute marée
moyenne de la baie Brackley; de là, dans une direction orientale
le long de la ligne de haute marée moyenne de la baie Brackley
et de la baie Covehead, jusqu'à l'entrée de Covehead Harbour;
de là dans une direction occidentale le long de la ligne de haute
marée moyenne du golfe Saint-Laurent jusqu'à l'entrée de la
baie Rustico; de là, dans une direction orientale le long de la
ligne de haute marée moyenne de la baie Rustico jusqu'au point
de départ. Le tout tel qu'indiqué en rouge sur le plan annexé.
Dans un mémorandum du 17 février 1937 on dit
que la superficie de l'aire expropriée est de 846
acres. Une fois que l'Île-du-Prince -Edouard eut
effectué l'expropriation, un acte de vente fut
rédigé, le 4 mars 1937, par lequel la Couronne du
chef de la province aliénait à la Couronne du chef
du Canada la propriété expropriée pour $1 et, le 6
avril 1937, un décret fédéral proclama que lesdits
fonds seraient réservés pour la constitution d'un
parc national.
La description et le plan que prépara M. Caut-
ley indiquent, et c'est là le problème, une baie
profonde que les témoins et la correspondance
appellent une indentation immédiatement à l'est
de la borne XLII, l'extrémité se prolongeant légè-
rement au nord d'une ligne droite, tirée dans une
direction est, entre la borne XLII et la borne
XLIII, laquelle est un peu à la droite de l'échan-
crure. Le demandeur a déclaré dans son témoi-
gnage, corroboré en cela par le témoin Matheson,
un vieux résident de la région, qu'aucune échan-
crure semblable n'a jamais existé. En fait un des
verts du terrain de golf aurait été situé au milieu
même du lieu où devrait se trouver l'échancrure.
Ils affirment dans la volumineuse correspondance
produite, et il semble que d'autres l'admettent, que
M. Cautley peut fort bien avoir pris les glaces
empilées sur la grève pour la rive et crut qu'elles
démarquaient une échancrure. Le témoignage de
l'expert McCann semble montrer que d'après la
végétation il est probable qu'il y ait eu une légère
échancrure à cet endroit mais je pense que le poids
de la preuve administrée montre qu'elle n'était pas,
et de loin, aussi profonde que l'indique le levé. La
chose importe car, à moins qu'il n'y ait eu une
échancrure s'enfonçant dans les terres aussi pro-
fondément que le montre le plan d'arpentage, la
limite décrite comme une ligne droite tirée dans
l'azimut S 88° .38' .2.E ne pourrait intersecter
aucune laisse de haute mer moyenne longeant la
baie Brackley, mais au contraire se prolongerait
sur la terre ferme, plein est, au-delà de la borne
XLIII, tout à fait à la droite de l'échancrure,
jusqu'à la baie Covehead. En ce cas toutefois,
comme il a déjà été dit, il serait difficile d'interpré-
ter la description car elle ne couperait jamais la
laisse de haute mer moyenne de la baie Brackley;
au contraire elle ne s'arrêterait qu'à la baie Cove-
head. Si l'échancrure n'existait pas en fait, alors la
petite surface à son extrémité, marquée A sur les
plans subséquents, ne serait pas visée par les
expropriations de 1937. Deux autres surfaces sur
ces plans, dont les dimensions exactes sont sans
conséquence, sont l'une marquée B, située en
partie dans l'échancrure qui apparaît sur le plan et
en partie à l'est de celle-ci, 850 pieds à l'est de la
borne XLII, descendant jusqu'à la ligne rouge qui
serait la laisse moyenne de haute mer, et l'autre,
beaucoup plus large, subséquemment appelée l'aire
C, s'étendant depuis l'est de l'aire B jusqu'à la baie
Covehead. Les limites nord des aires B et C
seraient constituées par la ligne droite tirée de la
borne XLII à la borne XLIII et prolongée dans la
même direction jusqu'à la baie Covehead. Ce sont
là les surfaces litigieuses.
La description qui fut faite du fonds lors de
l'expropriation de 1937 se termine par ces mots:
[TRADUCTION] «Le tout tel que souligné en rouge
comme l'indique le plan annexé». La défenderesse
soutient que cette ligne rouge trace la limite du
fonds exproprié et cite de la jurisprudence en ce
sens y compris l'arrêt de la Cour suprême Grasett
c. Carter 4 . Je ne souscris pas à cette opinion. Dans
cette affaire, comme dans d'autres d'ailleurs, il n'y
a aucune description en tenants et aboutissants; on
ne peut se référer qu'à un plan. En l'espèce, après
4 (1885) 10 R.C.S. 105.
avoir soigneusement décrit le fonds, comme à
l'époque il crut qu'il devait être, l'arpenteur
annexa ensuite un plan sur lequel avait été tracée
une ligne rouge. La ligne rouge correspond à son
interprétation de la description mais n'y ajoute
rien; aussi, si la description est fausse, parce qu'on
y indiquerait erronément la présence d'une échan-
crure là où aucune n'existe, alors la ligne rouge
n'ajoute rien ni n'a l'effet d'élargir la surface
expropriée. C'est ce qu'avaient pensé la plupart des
fonctionnaires impliqués dans le dossier, autrement
l'expropriation de 1954 n'aurait pas été nécessaire
pour inclure cette partie du fonds.
De 1937 1954 M. Shaw échangea une volumi-
neuse correspondance avec plusieurs fonctionnaires
pour tenter de faire reconnaître ces droits sur ce
terrain. Dans une lettre du 22 mars 1949, qu'il
envoie à M. James Smart du ministère des Mines
d'Ottawa, il déclare que le sol dont il a parlé, et
que M. Smart a marqué sur la carte, lui appar-
tient. Il ajoute:
[TRADUCTION] Heureusement l'arpenteur a fait une erreur et
en conséquence le tout est faux.
Après il aurait demandé à un ingénieur de revoir le
travail et consulté le ministère des Travaux
publics. Il écrit:
[TRADUCTION] Il semble que votre propriété doive longer la
ligne actuelle jusqu'à la baie Covehead. Toutefois je n'en veux
qu'une partie.
Il parle de la construction des voies d'accès au parc
et ajoute:
[TRADUCTION] J'espère qu'ils construiront cette route avant
que je ne meure de vieillesse.
C'était là pour le moins de l'ironie puisqu'en 1980
il était toujours bien portant et fort alerte lorsqu'il
témoigna à l'audience. Il incluait un croquis gros-
sier intitulé [TRADUCTION] «Surface qu'il est pro-
posé de retenir», soit celle qui fut subséquemment
désignée comme la surface B et, pour ce qui est de
la surface ultérieurement appelée surface C, il
écrit: [TRADUCTION] «vous pouvez avoir cette
partie». Dans un mémorandum au conseil juridique
du ministère des Ressources et du développement
économique, M. Smart recommandait d'agir en ce
sens pour que les limites du parc soient définitive-
ment reconnues. Le conseil répliqua que des pour-
parlers avec la province devraient être engagés et
que si celle-ci se déclarait prête à fournir un titre
pour le fonds additionnel, la limite pourrait être
arpentée et la Loi modifiée. Une correspondance
volumineuse s'ensuivit et il semble qu'il ait été
généralement admis par toutes les parties qu'en
1937 l'expropriation n'avait pas en fait inclus ces
surfaces ou, à tout le moins, on en doutait. A un
moment donné on crut que la surface B se prolon-
geait sur 500 pieds à l'est de la borne XLII, avant
que la ligne ne coupe vers la baie Brackley. M.
Shaw voulait 1,000 pieds et le Directeur des parcs
en proposait 700. Le 11 février 1952 l'ami de M.
Shaw, M. Matheson, écrivit au Directeur des
parcs, lui disant:
[TRADUCTION] Bien entendu nous prenons pour attitude que ce
fonds n'a jamais appartenu à la province ni au D. du C., que les
Shaw en réalité font donation des hautes terres et des dunes au
parc national et que la surface conservée ne constitue qu'une
petite partie de ce qui leur revient de droit.
Le 16 août 1952 le Directeur des parcs écrivit au
Directeur des parcs nationaux lui disant qu'il avait
discuté de la limite de la baie Brackley avec M. J.
O. C. Campbell, le sous-procureur général de la
province, qu'il avait exprimé l'avis que M. Shaw
était le propriétaire du terrain litigieux que l'ar-
penteur, M. R. W. Cautley, avait considéré comme
une échancrure mais qui se révélait maintenant
être de la terre ferme, de sorte que toute modifica
tion de la limite à cet endroit devrait faire l'objet
d'un arrangement entre eux et M. Shaw. M. H. A.
Young, Sous-ministre, écrit le 6 octobre 1952 M.
Campbell pour lui suggérer que la ligne soit pro-
longée vers l'est de 850 pieds à compter de la
borne XLII, selon l'azimut 24° 50' E., pour couper
la laisse moyenne de haute mer de la baie Brack-
ley. Ce serait là la surface B. On a fait remarquer
que M. Shaw aurait alors à abandonner tous ses
droits sur les terrains au nord et à l'est de la
nouvelle limite. M. Campbell considéra cette sug
gestion comme fort sage. Un nouveau bornage fut
proposé. Il fut exécuté par M. V. A. MacDonald,
arpenteur chef du Department of Public Highways
(le ministère de la Voirie) de l'Île-du-Prince -
Edouard. On prépara une description de la limite
proposée pour le parc, laquelle exclurait la surface
B mais inclurait les surfaces A et C. Entre-temps
les fonctionnaires du parc autorisèrent la chasse
dans le secteur controversé. Après un autre
échange de correspondance, le ministère de la Jus
tice, en janvier 1954, désigna comme son agent en
cette affaire M. F. A Large, c.r., de Charlottetown
(devenu aujourd'hui le juge Large). Dans une
lettre que le ministère de la Justice adressa le 6
mai 1954 à M. Large, on suggère, pour éviter tout
litige futur en matière de propriété, que la province
réacquière les terres incluses dans l'aire C et les
transporte à Sa Majesté la Reine du chef du
Canada.
En temps requis, le 22 juillet 1954, fut pris un
décret de l'Ile-du-Prince-Edouard, comme dit pré-
cédemment, modifiant la description de façon à ce
que soient incluses les surfaces A et C mais expres-
sément exclue la surface B. M. Large écrivit au
sous-ministre de la Justice à Ottawa pour dire qu'il
avait préparé un acte d'aliénation pour transmettre
les deux fonds de terre de la province au Domi
nion. A ce moment-là M. W. R. Jackett, Sous-
ministre adjoint (qui devint plus tard le juge en
chef Jackett) écrivit à M. Large lui proposant
l'adoption d'un nouveau procès-verbal du Conseil
des ministres de l'Île-du-Prince -Edouard qui trans-
porterait [TRADUCTION] «l'administration, le con-
trôle et la jouissance" des fonds à la Couronne du
chef du Canada; il citait de la jurisprudence,
laquelle disait que la Couronne provinciale ne
pouvait régulièrement opérer une aliénation en
faveur de la Couronne canadienne. Ce décret
modificateur fut pris le 21 octobre 1954 et dûment
enregistré par le conservateur du bureau d'enregis-
trement comme le demande l'article 3 du c. 102
des Lois de l'Île-du-Prince -Edouard. M. Large
prescrivit aussi que, conformément à l'article 4, un
exemplaire de l'acte soit expédié à M. Shaw par
courrier recommandé.
Un décret canadien fut pris le 6 avril 1955; il
mentionne la nécessité de réajuster les limites du
lopin 3 pour se conformer au plan et au bornage
révisés et dit_ qu'il est nécessaire que le Canada
obtienne de l'Ile-du-Prince-Edouard le titre de pro-
priété de deux lopins de terre et cède à la province
un autre lopin adjacent au nord de la baie Brack-
ley. 5 La cession de l'administration, du contrôle et
de la gérance des deux lopins à la Couronne
canadienne était approuvée. Quoique aucune men
tion expresse n'ait été faite du motif de la rétroces-
sion dudit lopin B à l'Île-du-Prince -Edouard, il est
évident qu'on voulait par là qu'il soit remis à M.
Shaw. La correspondance importante qui suivit
établit simplement que les résidents locaux s'inté-
ressaient d'abord et avant tout à la chasse. Les
5 Il s'agit du lopin B.
fonctionnaires du parc craignaient de ne pouvoir
l'empêcher aussi proposa-t-on de modifier la Loi
sur les parcs nationaux pour y inclure la descrip
tion révisée des limites du parc. De nouveaux
ministres et de nouveaux sous-ministres, tant de
l'ordre provincial que fédéral, vinrent en poste,
aussi fallut-il expliquer à nouveau, et à nouveau
encore, la situation. Apparemment on chercha à
faire rouvrir le dossier et à faire exclure du parc
une plus grande surface au profit de la chasse. Le
5 septembre 1957 l'honorable Alvin Hamilton, qui
était en correspondance avec J. Angus MacLean,
le ministre des Pêches de l'Île-du-Prince -Edouard,
écrivit à M. Shaw lui disant que: [TRADUCTION]
«tout changement qui aurait pour effet de réduire
à nouveau le fonds réservé au parc national remet-
trait en cause le compromis accepté depuis plu-
sieurs années. Un tel changement ne laisserait
d'autre choix au Ministère que de revenir à son
interprétation initiale du plan de 1937. Toute déci-
sion finale à laquelle on arriverait alors pourrait
fort bien se révéler moins favorable que l'actuel
état de fait. Dans les circonstances je crois que
vous reconnaîtrez avec moi qu'il vaut mieux laisser
les choses telles qu'elles sont». L'honorable A.
Hamilton écrivit aussi à M. H. MacQuarrie, alors
député provincial de l'Île, devenu subséquemment
sénateur, au sujet d'une pétition d'un groupe de ses
électeurs qui voulaient voir agrandir le terrain où
était autorisée la chasse. Il y répétait qu'il n'était
pas souhaitable d'apporter d'autres modifications
aux limites du parc. Un échange de correspon-
dance subséquent, avec l'honorable W. A. Mathe-
son, alors premier ministre de l'Île, en 1957, révèle
une certaine hésitation à ce sujet. Le 30 septembre
1958 M. Hamilton écrivit à M. Matheson pour lui
dire qu'à la suite d'un nouveau bornage les lopins
B et C seraient rétrocédés à la province. La lettre
affirme expressément que les lopins B et C [TRA-
DUCTION] «ne font pas présentement partie du
parc à cause de l'ambiguïté de la description des
fonds riverains actuellement donnée à l'annexe de
la Loi sur les parcs nationaux».
La plus grande partie de la correspondance qui
suit concerne l'endroit en général ainsi que l'em-
placement de la laisse de haute mer moyenne. En
1970 le ministre des Affaires indiennes et du Nord
canadien d'alors décida que le Canada devrait
conserver les terrains parce qu'il s'agissait d'un
lieu important pour les oiseaux migrateurs qui y
trouvaient leur nourriture. Dans une lettre du 22
février 1974, de Pierre Fortin, adjoint spécial du
Ministre, adressée à l'avocat du demandeur, on dit
que la Couronne canadienne revient à sa position
initiale, soit: que les surfaces en question aient
toujours fait partie du parc depuis 1937 et que
l'expropriation de 1954 ait eu lieu seulement pour
faire disparaître les ambiguïtés et non parce qu'on
avait reconnu que la surface C se trouvait à l'exté-
rieur des limites du parc. En réalité la Loi sur les
parcs nationaux canadienne fut modifiée par le
S.C. 1974, c. 11 de façon à inclure les surfaces A
et C. La surface B dont le demandeur se prétend
propriétaire n'existe pour ainsi dire que dans les
nuages. Elle a été délibérément exclue par la Cou-
ronne provinciale de l'expropriation de 1954, afin
qu'on puisse l'aliéner au demandeur, et elle a été
exclue de la description modifiée apparaissant
dans la Loi sur les parcs nationaux de 1974, qui
n'a inclus que la description des surfaces A et C du
parc, les seules que la Couronne provinciale ait
expropriées pour cette fin. Le titre appartient donc
à celui à qui il était dévolu avant l'expropriation de
1954; le fonds est à l'extérieur des limites du parc
et donc, apparemment, on n'a ni souhaité ni voulu
l'inclure dans le parc. Il suffirait que la Couronne
canadienne le cède par décret à la Couronne pro-
vinciale et qu'à son tour, celle-ci le remette au
demandeur conformément aux accords intervenus
à l'époque. La défenderesse soutient quand même
que le fonds était visé par l'expropriation de 1937;
elle admet cependant tacitement, sinon expressé-
ment, que le bornage Cautley était erroné; de sorte
que l'expropriation de 1954, effectuée par la Cou-
ronne provinciale, et la modification subséquente
apportée à la Loi sur les parcs nationaux, étaient
nécessaires pour corriger la limite sud du parc.
Indépendamment de l'accord intervenu à l'époque,
l'article 7 de The National Parks Act (ci-dessus)
exige que tout fonds exproprié non nécessaire à un
parc national soit revendu à l'exproprié au prix de
l'indemnité versée. Comme cette surface ne fait
pas partie du parc, elle devrait présumément être
retournée à M. Shaw si l'argument de la défende-
resse voulant qu'elle ait été régulièrement incluse
dans l'expropriation de 1937 devait être accepté.
Comme je vois la chose, la seule aire sur laquelle
le demandeur puisse encore prétendre à quelque
droit est celle que désigne la lettre B et qui,
délibérément, a été exclue du parc national. Vu
que je ne considère pas qu'elle ait été régulière-
ment incluse dans l'expropriation de 1937, la pré-
tention de la Couronne à son sujet doit dépendre
de l'accroissement. De même la prétention de M.
Shaw est, elle aussi, fondée sur l'accroissement.
Comme je l'ai dit précédemment la preuve admi-
nistrée à ce sujet est loin d'être concluante. Le
témoin McCann, expert fort bien renseigné et fort
utile, n'a pu établir avec quelque certitude l'empla-
cement de la laisse moyenne de haute mer même
pour l'année 1978; a fortiori cet emplacement est
beaucoup plus incertain pour les années 1936 ou
1793. Ces observations, a-t-il reconnu, ont été
faites alors que les marées étaient à leur plus haut
niveau, la lune étant pleine et à son périgée à cette
époque. La marée haute est normalement, a-t-on
admis, moins haute aux autres époques de l'année.
Parmi la doctrine à laquelle on s'est référé, l'un
des ouvrages les plus utiles à ce sujet est le traité
sur le droit fluvial de A. S. Wisdom (The Law of
Rivers and Watercourses) qui, aux pages 19 et 20,
définit l'estran comme: [TRADUCTION] «cette por
tion du sol entre la laisse de haute et celle de basse
mer, en période de petites marées ou, plus particu-
lièrement, le sol entre la laisse de haute et celle de
basse mer, apparaissant entre le flux et le reflux
ordinaire de la mer. La haute mer ordinaire est
mesurée à ce point de la ligne de la haute mer
moyenne, entre les marées de printemps et les
marées de mortes-eaux, établi par la moyenne des
marées normales au cours de l'année, c'est-à-dire
le point sur la plage qui, quatre jours par semaine
pendant la plus grande partie de l'année, est
atteint et recouvert par la marée». On trouve une
autre bonne définition dans l'ouvrage de La
Forest: Water Law in Canada—The Atlantic
Provinces—à la page 240:
[TRADUCTION] Par laisse de haute mer de petite marée, on
entend la laisse moyenne de haute mer des petites marées ou
marées de mortes-eaux. Plus précisément on notera avec profit
que le droit connaît trois genres de marées: (I) les grandes
marées de printemps qui se produisent aux deux équinoxes; (2)
les marées de printemps qui se produisent lors de la pleine lune
ou de la nouvelle lune; (3) les petites marées ou marées de
mortes-eaux qui ont lieu entre la pleine lune et la nouvelle lune
deux fois toutes les vingt-quatre heures. Les deux premières
sont exclues lors de la mesure de la laisse moyenne de haute
mer, laquelle se réfère à la petite marée ou marée de mortes-
eaux. La petite marée ou marée de mortes-eaux bien entendu
varie de jour en jour. Pendant trois jours de la semaine la
marée est plus haute que la moyenne et pour trois autres jours
plus basse; pour un jour la marée moyenne est atteinte. C'est
cette marée moyenne qui a été adoptée comme laisse ordinaire
ou moyenne de haute mer. Dans l'affaire Nielson c. Pacific
Great Eastern Ry. ([1918] 1 W.W.R. 597) le juge Macdonald
de la Cour suprême de Colombie-Britannique a dit que cette
limite ne pouvait être déterminée que par des observations
faites au moins tout au long d'une année et, comme il n'y avait
aucune archive en Colombie-Britannique, où cette affaire fut
décidée, il eut recours à l'état de la végétation et aux accumula
tions d'épaves et de bois de grève. Mais en des circonstances
ordinaires il est douteux que l'état de la végétation puisse servir
de guide; dans l'affaire Turnbull c. Saunders ((1921) 48
R.N.-B. 502) en Cour suprême du Nouveau-Brunswick, on a
dit que la végétation n'avait rien à voir avec la localisation de la
laisse de haute mer.
Certaines formes de végétation qu'a décrites le
témoin McCann n'ont besoin de l'eau de mer que
quatre ou cinq fois par mois. Ce n'est pas là
l'ceuvre de la laisse moyenne de haute mer
annuelle mais celle de quelque grande marée. Le
niveau de la laisse moyenne de haute mer doit être
quelque peu en deçà. Il y a un grand banc de sable,
apparaissant clairement dans les photographies
aériennes, qui constitue la plus grande partie inon-
dée. L'inondation se produit avant tout dans l'aire
C mais aussi, en partie, dans l'aire B. Certaines
parties de l'aire B seraient donc sous la laisse
moyenne de haute mer mais une grande partie de
l'aire, et en particulier la zone la plus haute au
nord-ouest, où pousse par exemple une épinette de
45 ans environ, constitue certainement la terre
ferme. Dans un plan d'arpenteur daté du 12 octo-
bre 1977 (pièce 237), une ligne indiquerait la
laisse ordinaire de haute mer à ce moment-là,
laquelle est plus haute que celle établie par l'ar-
penteur V. A. MacDonald en 1953, mais elle ne
touche aucunement la surface indiquée comme une
échancrure dans le levé Cautley de 1937. Une
partie importante de la surface B doit donc être
considérée comme de la terre ferme. S'appuyant
largement sur l'arrêt de la Cour suprême Le pro-
cureur général de la province de Colombie-Bri-
tannique c. Neilson 6 , la défenderesse attache une
importance considérable à la théorie de la «forma-
tion verticale» que l'on distingue de l'accroisse-
ment. L'affaire portait sur les alluvions que for-
mait une rivière, ce qui n'est pas le cas ici, mais les
mêmes principes s'appliquent. La théorie, que
défendent aussi d'autres auteurs, veut qu'il y ait
lieu à accroissement proprement dit lorsque la rive
se retire graduellement, et presque insensiblement,
au cours d'une longue période de temps. Mais si du
6 [1956] R.C.S. 819.
sable ou de la glaise sont apportés en un lieu donné
et déposés là (en l'espèce aidés par la végétation
qui tend à les retenir lorsque l'eau se retire), ils
s'amassent verticalement. Les faits de l'espèce
colombienne étaient en substance similaires à ceux
du présent cas, s'il fut jamais possible de comparer
deux fonds de terre; le juge Rand dit à la page
827:
[TRADUCTION] Mais l'accroissement, l'extension lente du sol
par le fait du changement insensible de la limite, est traité, dans
les deux degrés de juridiction inférieurs, comme incluant le
soulèvement graduel généralisé, par le fait de la sédimentation,
du lit d'une rivière. En toute déférence je ne puis que penser
qu'il s'agit là d'une fausse conception. Ce soulèvement graduel
ici n'était pas, en cours de formation, un processus d'accroisse-
ment; c'était au contraire une émergence généralisée d'un sol
appartenant à la Couronne. L'accroissement n'a pas lieu tant
que la ligne des hautes eaux n'a pas retraité, ou n'a pas été
repoussée par le sol s'élargissant. Lorsque le niveau général de
la basse mer en l'espèce a été atteint, la surface que recou-
vraient les eaux demeurait la propriété de la Couronne: les
sédiments soulevant le fond verticalement n'avaient touché
aucune autre propriété. Alors commença la formation de crêtes
émergées sur ce sol au même moment qu'il s'en formait aux
limites du lot originaire. Sauf en ce dernier point, il s'agissait de
bandes émergées de ce qui avait été le lit de la rivière, sans lien
aucun avec le lot. Cette formation verticale généralisée ne
comportait aucun élément d'annexion progressive et d'extension
du sol existant découlant d'un déplacement des eaux: la crête
principale à l'extrémité sud subissait le même processus et en
était au même degré de soulèvement que l'extrémité nord.
Lorsque les conditions d'application de l'accroissement au
profit des personnes privées ne sont pas présentes, la propriété
de la Couronne n'est pas atteinte.
De toute évidence un banc de sable ou une île au
large n'appartiennent pas au propriétaire riverain
à moins de titre exprès contraire; si, avec l'écoule-
ment du temps, de la glaise et du sable se déposent
dans l'espace les séparant de la rive, cela ne lui
donne pas la propriété de cet espace, ni du banc,
alors qu'une extension graduelle de la terre vers le
large, due à l'action des marées et du vent, consti-
tuerait un accroissement proprement dit. Que se
passe-t-il lorsque, et si, cet accroissement depuis la
rive atteint éventuellement le banc de sable? C'est
là une question sur laquelle je n'émets aucun avis
car rien n'indique que ce soit ce qui est arrivé sur
la rive sud, du côté de la baie Brackley.
Je crois que la seule conclusion définitive à
laquelle on puisse arriver au sujet de la surface B,
c'est qu'une partie de celle-ci appartient à la Cou-
ronne en vertu de sa propriété du sol au-delà de la
laisse moyenne de haute mer mais que la plus
grande partie constitue une surface que M. Shaw
peut légitimement revendiquer. Le sol appartenant
à la Couronne irait à la province toutefois, non à la
Couronne canadienne. (Voir l'Affaire de la com-
pétence sur les pêcheries provinciales (1897) 26
R.C.S. 444 aux pages 514, 515. Voir aussi l'ou-
vrage Water Law in Canada (précité) à la p. 463.)
Le refus de la Couronne canadienne de retour-
ner à la Couronne provinciale la surface B de
façon que celle-ci puisse alors fournir un titre clair
à M. Shaw est difficile à comprendre vu que cette
surface a été définitivement exclue des limites du
parc par la description modifiée que contient la
Loi de 1974. Cela éclaircirait le titre sur ce fonds
une fois pour toutes, à la satisfaction de toutes les
parties, et ne ferait qu'exécuter en toute bonne foi
les accords conclus et approuvés, après de longues
discussions, par les différents ministres de la Cou-
ronne. M. Shaw a avec persistance fait acte de
propriétaire sur ledit fonds, en y aménageant un
terrain de golf, puis des caches pour la chasse, etc.,
et même, à une certaine époque, en y plaçant des
pancartes avisant qu'il s'agissait d'une propriété
privée et que les intrus seraient poursuivis en
justice (pièce 211-A). La Couronne canadienne
quant à elle ne s'est jamais opposée à cela et a
maintenant choisi de ne pas inclure la surface dans
son parc. La Couronne canadienne n'a jamais
interdit la chasse, même dans l'aire C, au moins
jusqu'à l'adoption de la Loi de révision de 1974 qui
l'inclut dans les limites du parc. Apparemment on
ne savait pas s'il fallait y autoriser la chasse ou au
contraire l'inclure dans les limites du parc pour
l'interdire; il s'agissait là d'une question politique
débattue depuis l'expropriation des surfaces A et C
en 1954, et qui l'était encore lors de l'adoption de
la Loi de 1974. C'est un peu la faute du deman-
deur si on n'a pas donné d'effet au règlement de
1954 auquel tous avaient souscrit. Ayant accepté
d'abandonner ses prétentions sur la surface C en
échange d'un titre clair sur la surface B, lui et ses
amis et associés n'en ont pas moins par la suite
cherché par tous les moyens à la faire exclure du
parc pour que la chasse y soit autorisée. L'affaire
devint une question autant politique que juridique
de sorte que la Couronne canadienne déclara, pro-
bablement à bon droit, que rien de plus ne serait
fait pour exécuter l'accord portant sur la partie B
tant que la Loi sur les parcs nationaux ne serait
pas modifiée pour inclure dans le parc les aires A
et C, et cela a pris 20 ans. Dans l'intervalle M.
Shaw conserva l'usage du fonds mais sans obtenir
aucun titre clair sur celui-ci. On peut même soute-
nir que si l'expropriation de 1937 incluait les sur
faces B et C, ou si elles appartenaient à la Cou-
ronne par accroissement, alors M. Shaw, en
offrant de signer une quittance renonçant à toute
prétention future sur la surface C, en contrepartie
d'un titre clair sur la surface B, offrait en réalité
d'aliéner la propriété du fonds d'autrui. La défen-
deresse fait valoir des arguments subsidiaires l'un
à l'autre et dans un sens mutuellement incompati
bles. Le premier est une assertion de propriété en
vertu de l'expropriation de 1937, fondée sur la
description qu'en a donnée M. Cautley à l'époque,
dont tout le monde admet maintenant qu'elle était
erronée. Sans cela l'expropriation de 1954 n'aurait
pas été nécessaire mais au contraire superflue. La
Couronne canadienne de fait participa aux arran
gements la concernant et, en temps voulu, accepta
«l'administration, le contrôle et la jouissance» des
aires expropriées; ce qui excluait la surface B. Le
fonds exproprié en 1937 fut en réalité vendu par la
Couronne provinciale à la Couronne canadienne
mais il est apparu plus tard qu'il s'agissait là d'une
façon erronée de faire. Dans l'arrêt de la Cour
suprême du Canada Le procureur général du
Canada c. Higbie' on dit à la page 404:
[TRADUCTION] Après tout il n'y a pas vraiment aliénation vu
que Sa Majesté demeure propriétaire dans les deux cas et,
donc, ce n'est que l'administration du bien qui passe du contrôle
de l'exécutif de la province sous celui du Dominion. Lorsque la
Couronne du chef de la province transporte un fonds à la
Couronne du chef du Dominion, elle n'abandonne aucun droit.
Ce qui intervient n'est qu'un changement de contrôle
administratif.
La Couronne provinciale n'aurait donc pas dû
céder le titre de propriété à la Couronne cana-
dienne. On aurait dû faire comme lors de l'expro-
priation de 1954. Mais comme j'ai jugé qu'il vaut
mieux considérer que les surfaces A, B et C
n'étaient pas incluses dans les descriptions du
fonds exproprié en 1937, il semble que ni la pro-
priété ni le contrôle administratif n'aient jamais
été dévolus à la Couronne canadienne dans le cas
de la surface B.
L'argument subsidiaire de la défenderesse
cependant est que ni l'une ni l'autre des expropria
tions n'étaient nécessaires vu que le fonds lui a
7 [1945] R.C.S. 385.
toujours appartenu de toute façon par accroisse-
ment. 8 C'est là un fondement fort peu solide pour
prétendre à un titre de propriété sur un fonds sur
lequel la Couronne canadienne ne peut plus pré-
tendre à aucun droit. Ce serait un geste de bonne
foi, fort équitable de la part de cette dernière, que
d'exécuter les accords intervenus avant l'expro-
priation de 1954 et, par décret, de retourner le
fonds à la Couronne provinciale étant bien entendu
que celle-ci le remettrait alors à M. Shaw. Quant à
savoir si la Couronne ferait cela parce que le fonds
aurait été inclus dans l'expropriation de 1937 et
que, n'étant pas requis pour les fins du parc, il
doive être remis à M. Shaw conformément à l'arti-
cle 7 de la National Parks Act, ou parce que ce
serait en exécution des accords conclus avant l'ex-
propriation de 1954, ne fait en pratique aucune
différence; il est clair que la Cour ne peut en
l'espèce ordonner à la Couronne provinciale d'agir
en ce sens. La lettre de Pierre Fortin, adjoint
spécial du ministre des Affaires indiennes et du
Nord canadien, en date du 22 février 1974, qui
finit par refuser de faire quoi que ce soit au sujet
de la demande de M. Shaw, semble, si on la lit
soigneusement, porter principalement sur la sur
face C. Elle fut écrite cependant avant que ne soit
adoptée la Loi sur les parcs nationaux de 1974 qui
expressément exclut la surface B de la description
des limites du parc. Dans sa lettre, M. Fortin dit:
[TRADUCTION] Le bill S-4 n'exclut du parc aucun terrain.
Comme le révèle la lecture de l'annexe à la Loi, ce
n'est pas le cas. Il conclut:
[TRADUCTION] Si la première expropriation est contestée, nous
pensons que le gouvernement fédéral ne devrait pas être mis en
cause.
Cette dernière affirmation peut se révéler fort
justifiée puisque c'est la Couronne provinciale qui
effectua les expropriations. La Couronne provin-
ciale (et il se peut fort bien que ce soit à tort)
refusa toutefois à M. Shaw, dans une lettre du 27
janvier 1972, le Fiat nécessaire à sa demande, pour
motif que: [TRADUCTION] «les droits de la pro
vince sur le fonds ont été transportés à la Cou-
ronne (fédérale); la demande de M. Shaw devrait
être poursuivie contre la Couronne (fédérale).» Le
fait que la Couronne provinciale ait refusé au
demandeur d'agir contre elle en justice à ce sujet,
B Comme dit précédemment, si vraiment il y a eu accroisse-
ment, c'est à la Couronne provinciale qu'il a profité.
bien entendu, ne lui donne en soi aucun droit qu'il
n'aurait pas autrement contre la Couronne cana-
dienne. Ayant montré ce que je crois que devrait
faire la Couronne canadienne pour remédier à la
situation, la question, fort sérieuse, demeure de
savoir si la Cour peut prononcer un jugement
déclaratoire en ce sens.
Le juge Dickson traita assez longuement des
jugements déclaratoires dans l'arrêt récent de la
Cour suprême Solosky c. La Reine [1980] 1
R.C.S. 821. L'éminent juge dit à la page 830 de
l'arrêt:
Le jugement déclaratoire est un recours qui n'est pas res-
treint par la forme ni limité par le fond et qui appartient à des
personnes ayant un lien juridique dont découle une «véritable
question» à trancher concernant leurs intérêts respectifs.
Se référant à l'affaire Russian Commercial and
Industrial Bank c. British Bank for Foreign Trade
Ltd. [1921] 2 A.C. 438, il cite cet extrait de l'arrêt
de lord Dunedin, à la p. 448:
[TRADUCTION] La question doit être réelle et non théorique,
celui qui la soulève doit avoir un intérêt réel à le faire et il doit
pouvoir présenter un adversaire valable, c'est-à-dire quelqu'un
ayant un intérêt véritable à s'opposer à la déclaration sollicitée.
Le problème ici c'est que la Couronne canadienne
n'est probablement pas un «adversaire valable». On
s'est aussi référé à l'arrêt Pyx Granite Co. Ltd. c.
Ministry of Housing and Local Government
[1958] 1 Q.B. 554, dans lequel lord Denning dit à
la page 571:
[TRADUCTION] ... s'il existe une question de fond que quel-
qu'un a un intérêt réel à soulever, et quelqu'un d'autre à s'y
opposer, alors le tribunal a le pouvoir discrétionnaire de la
résoudre par voie de jugement déclaratoire, ce qu'il fera si c'est
justifié.
Aucun jugement déclaratoire n'est expressément
demandé en l'instance présente de toute façon. Ce
qui est demandé c'est ou bien $2,000,000, ou bien
une ordonnance attribuant les fonds expropriés en
1954 et en 1937, et pour lesquels aucune indemnité
n'a été versée, au demandeur. Semblable ordon-
nance ne peut être rendue contre la Couronne
canadienne et, de toute façon j'ai jugé que la
surface B n'a été régulièrement incluse ni dans
l'une ni dans l'autre expropriation. Si cette surface
ne fut jamais régulièrement expropriée, le titre en
est dévolu à la Couronne provinciale, ou au
demandeur, mais non à la défenderesse. L'affaire
Cox c. Green [1966] 1 Ch. 216, jugea qu'un des
principes sur lequel la Cour se base pour refuser
un jugement déclaratoire, c'est lorsque le litige
n'en est pas un qui soit justiciable. Dans l'affaire
Thorne Rural District Council c. Bunting [1972] 1
Ch. 470, le juge Megarry dit, à la page 477:
[TRADUCTION] Je reconnais que le jugement déclaratoire
constitue un recours souple, largement ouvert, et que ces der-
nières années la tendance à assouplir et à faciliter le recours
aux tribunaux a, si besoin est, été accentuée; en vérité le recours
est fort utile. Mais il doit y avoir une limite. Pour ma part je
suis incapable de comprendre pourquoi une administration
locale devrait être autorisée à contester les droits communs
d'usage que prétend avoir A sur le fonds de B, en demandant
un jugement déclaratoire contre A, alors que B, le principal
intéressé, n'est même pas mis en cause. Si l'administration
perd, pourquoi B devrait-il voir son fonds grevé d'un droit
raffermi, ou apparemment raffermi, alors qu'il aurait fort bien
pu être à même d'en démontrer l'inexistence s'il avait été partie
à l'instance?
Bien que je puisse indiquer, et que j'aie indiqué,
à la défenderesse la voie à suivre relativement à la
surface B, il s'agit là plutôt d'une question politi-
que que d'une décision judiciaire. Je ne crois pas
que la Cour puisse ordonner à la Couronne d'adop-
ter un décret en exécution d'un engagement anté-
rieur. A cet effet je me référerai à nouveau à
l'arrêt Le procureur général du Canada c. Higbie
(précité), où le juge en chef Rinfret, à la page 405,
cite un extrait de l'affaire Theodore c. Duncan
[1919] A.C. 696, à la page 706, où le vicomte
Haldane dit, en parlant de l'exercice, par les minis-
tres de la Couronne, de leur pouvoir discrétion-
naire:
[TRADUCTION] Aucune cour de justice ne peut exercer ce
pouvoir discrétionnaire s'il n'y a pas eu violation d'une disposi
tion législative édictée par la législature. Les ministres ne sont
responsables de l'exercice de leurs fonctions que devant la
Couronne et le Parlement et n'ont de compte à rendre à aucune
autorité extérieure, aussi longtemps qu'ils ne font rien d'illégal.
Avec regret donc je ne puis en l'instance ordon-
ner que soient faites les démarches nécessaires
pour confirmer le titre que le demandeur prétend
avoir sur l'aire désignée par la lettre B ni, subsi-
diairement, lui attribuer un tel titre de propriété.
Ce qui laisse la question de sa propriété, et même
celle de sa possession, indéfinie et incertaine; ce
qui ne peut être corrigé que, comme je l'ai suggéré,
par la Couronne canadienne et la Couronne pro-
vinciale de concert, lesquelles pourraient faire les
démarches nécessaires pour exécuter les accords
conclus de bonne foi par toutes les parties en 1954.
Cela la Cour ne peut l'ordonner toutefois, aussi le
demandeur est-il débouté mais sans frais.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.