T-4537-78
Oxford Shopping Centres Ltd. (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge en chef
adjoint Thurlow—Edmonton, 11 septembre;
Ottawa, 30 novembre 1979.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions —
La demanderesse avait payé à la ville une somme d'argent au
lieu et place d'éventuelles taxes d'amélioration locale — Le
Ministre a refusé la déduction de cette somme mais a autorisé
la déduction de 5% de ce montant à titre de déduction
admissible en application de l'art. 14 de la Loi de l'impôt sur
le revenu — Il échet d'examiner si le montant en cause est une
dépense de capital ou une dépense déductible — S'il s'agit
d'une dépense déductible, il échet d'examiner si la demande-
resse est obligée de l'amortir sur un certain nombre d'années et
de n'en déduire qu'une partie appropriée dans l'année d'impo-
sition dont s'agit — Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-
71-72, c. 63, art. 14.
Appel fondé sur la Loi de l'impôt sur le revenu contre une
nouvelle cotisation d'impôt pour 1973. Le Ministre a refusé la
déduction, au motif qu'il s'agissait d'une dépense de capital,
d'une somme que la demanderesse avait payée à la ville de
Calgary aux termes d'un contrat, mais a autorisé la déduction
de 5% de ce montant qu'il a déclaré admissible en vertu de
l'article 14 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cette somme
avait été payée à la Ville au lieu et place des taxes d'améliora-
tion locale faisant suite au réaménagement des rues qui a
ajouté à la valeur du centre commercial de la demanderesse. Il
échet d'examiner (I) si le montant en cause est une dépense de
capital ou une dépense déductible dans le calcul du revenu aux
fins de l'impôt, et (2) à supposer que ce montant soit déductible
à titre de dépense, si la demanderesse est tenue de l'amortir sur
un certain nombre d'années et de n'en déduire qu'une partie
appropriée dans l'année d'imposition dont s'agit.
Arrêt: l'appel est accueilli. C'est la nature de l'avantage à
gagner qui, plus que toute autre caractéristique en l'espèce,
permettra de classer les dépenses visées en dépenses de capital
ou dépenses de revenu. La dépense est afférente et accessoire à
l'entreprise de la demanderesse plutôt qu'aux biens immobiliers
servant à l'exploitation de celle-ci. Elle a été engagée pour
répondre à l'un des nombreux besoins qui surgissent lorsqu'on
fait marcher une entreprise et qui, pour que celle-ci réussisse,
doivent être comblés à même ses revenus. Le rapport, si rapport
il y a, consisterait dans l'accroissement de la valeur locative par
suite du réaménagement des rues. La nature de l'avantage à
gagner indique qu'il s'agit d'une dépense de revenu, alors que le
paiement en trois montants forfaitaires dénote une dépense de
capital. Il est plus juste, du point de vue pratique et commercial
et compte tenu des critères prédominants, de classer la dépense
comme dépense de revenu. Il est vrai que les principes de
comptabilité admettent la méthode que la demanderesse a
adoptée lorsqu'elle a chosi d'amortir ce montant pour des fins
commerciales, et qu'une déduction de la totalité du montant en
1973 dénaturerait les bénéfices pour cette année-là, mais il
ressort de la jurisprudence que ce montant, représentant une
dépense en cours qui n'est liée à aucun poste du revenu, est
déductible seulement dans l'année où il a été payé. Le «principe
de rapprochement» ne s'applique pas aux dépenses en cours
d'une entreprise. Par conséquent, le Ministre n'a pas le droit
d'insister que la demanderesse amortisse la dépense ou l'étale
sur un certain nombre d'années.
Arrêts appliqués: British Columbia Electric Railway Co.
Ltd. c. Le ministre du Revenu national [1958] R.C.S. 133;
Le ministre du Revenu national c. Algoma Central Rail
way [1968] R.C.S. 447; Canada Starch Co. Ltd. c. Le
ministre du Revenu national [1969] 1 R.C.E. 96. Arrêts
examinés: B.P. Australia Ltd. c. Commissioner of Taxa
tion of the Commonwealth of Australia [1966] A.C. 224;
Sun Newspapers Ltd. c. The Federal Commissioner of
Taxation (1938-39) 61 C.L.R. 337; Commissioner of
Taxes c. Nchanga Consolidated Copper Mines Ltd.
[1964] A.C. 948; Ounsworth c. Vickers, Ltd. [1915] 3
K.B. 267; Le ministre du Revenu national c. Tower
Investment Inc. [1972] C.F. 454; Le ministre du Revenu
national c. Canadian Glassine Co., Ltd. [1976] 2 C.F. 517;
Associated Investors of Canada Ltd. c. Le ministre du
Revenu national [1967] 2 R.C.E. 96.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
N. W. Nichols et R. Miller pour la
demanderesse.
W. Lefebvre et H. Gordon pour la défende-
resse.
PROCUREURS:
Milner & Steer, Edmonton, pour la demande-
resse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT THURLOW: Il s'agit
ici d'un appel au titre de la Loi de l'impôt sur le
revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63, interjeté par la
demanderesse contre une nouvelle cotisation que le
Ministre a établie pour son année d'imposition
1973 et dans laquelle il a refusé la déduction d'un
montant de $490,050 que la demanderesse a payé
à la ville de Calgary aux termes d'un contrat,
parce qu'il s'agissait, selon lui, d'une dépense de
capital. A la place, le Ministre a autorisé une
déduction d'environ 5% de ce montant qu'il a
déclaré admissible en vertu de l'article 14 de la Loi
précitée.
Les points litigieux de l'appel sont les suivants:
(1) le montant est-il une dépense de capital ou une
dépense déductible dans le calcul du revenu aux
fins de l'impôt et (2) si le montant est déductible
comme dépense, la demanderesse était-elle obligée
de l'amortir sur un certain nombre d'années et de
n'en déduire qu'une partie appropriée dans ladite
année d'imposition? Personne ne conteste que le
montant a été dépensé en vue de gagner ou de
produire un revenu tiré de biens ou d'une
entreprise.
Le contrat a été passé le 21 décembre 1972.
Depuis quelques années précédant cette date, la
demanderesse, qui s'appelait alors Chinook Shop
ping Centre Limited, possédait et exploitait un
grand centre commercial situé sur un terrain de
forme rectangulaire dans la ville de Calgary. Ce
centre était borné à l'est par la rue MacLeod, au
sud par la rue Glenmore, à l'ouest par le chemin
Meadow View et au nord par la 60e avenue. De
l'autre côté de la 60e avenue, il y avait un autre
centre commercial, le Southridge Shopping
Centre, qui était exploité par Chinook-Ridge
Expansion Limited et Oxlea Investment Limited.
Ce centre occupait un terrain borné au sud par la
60e avenue et à l'ouest par le 5e rue s.-o. Le tracé
de cette dernière était en forme de «S». Toutefois,
sa partie nord était en ligne directe avec le prolon-
gement vers le nord du chemin Meadow View. Les
rues MacLeod et Glenmore étaient toutes deux de
grandes artères et les encombrements qui se pro-
duisaient à leur intersection et à celle du chemin
Meadow View et de la rue Glenmore étaient
source de problèmes pour la Ville et la
demanderesse.
En 1969, la Ville a élaboré des plans préliminai-
res pour construire à l'intersection MacLeod-Glen -
more un échangeur en trèfle qui, s'il avait été
réalisé, aurait absorbé une grande partie du terrain
de stationnement de la demanderesse. Cela aurait
contraint cette dernière à trouver une solution de
rechange car elle s'était engagée vis-à-vis de ses
locataires à fournir un terrain de stationnement
suffisant. La demanderesse s'est donc opposée au
projet et ce, pour plusieurs motifs, dont notam-
ment le besoin d'assurer à la clientèle du Chinook
Shopping Centre la sécurité de l'accès et de la
sortie. Elle a réussi à convaincre la Ville de se
joindre à elle pour faire faire une étude de la
situation par des conseillers techniques en circula
tion. A la suite de cette étude, le projet de l'échan-
geur en trèfle a été abandonné et remplacé par
celui d'un échangeur en «losange resserré».
Les plans initiaux préparés par la Ville pré-
voyaient en outre la construction d'un «saut-de-
mouton» destiné à faciliter, sur la rue Glenmore, la
circulation se dirigeant vers l'est et tournant à
gauche sur le chemin Meadow View, pour ensuite
accéder au centre commercial. Puisque personne
ne s'était opposé à la construction de ce «saut-de-
mouton», il faisait encore partie des plans d'ensem-
ble au moment de la signature du contrat. La Ville
projetait également de redresser la 5e rue s.-o. en
vue de la relier au chemin Meadow View, ainsi que
de fermer et de céder aux propriétaires des centres
commerciaux (lesquels étaient, à l'époque, contrô-
lés par Oxlea) la plus grande partie de la 60e
avenue s.-o. et la partie courbe au sud de la 5e rue
s.-o., afin de faciliter l'expansion du centre com
mercial et de son terrain de stationnement.
L'entente en vertu de laquelle le montant pré-
sentement en cause a été payé, ne consiste pas en
un seul document, mais en six contrats qui ne
forment qu'une seule transaction relative aux
modifications projetées. Le premier déclare, entre
autres, ceci:
[TRADUCTION] ET ATTENDU QUE Chinook, Chinook-Ridge
et Oxlea désirent agrandir et relier entre eux les centres
commerciaux et ont besoin à cette fin de certains terrains
appartenant à la Ville;
ET ATTENDU QUE la Ville désire élargir la rue Glenmore,
redresser la 5e rue sud-ouest et construire un échangeur, le tout
tel que précisé ci-dessous, et a besoin à cette fin de certains
terrains appartenant à Chinook et à Oxlea;
Le contrat prévoit ensuite que la demanderesse,
Chinook-Ridge et Oxlea vendront à la Ville au
prix convenu de $85,000 l'acre, les parties de leurs
terrains dont cette dernière a besoin pour élargir et
transformer les rues, et que la Ville vendra à la
demanderesse et à Oxlea, au même prix l'acre, les
parties de la 60e avenue s.-o., de la 5e rue s.-o. et
d'une ruelle située au nord de la 60e avenue s.-o.,
qui ne seront plus requises comme rues. La Ville
s'engage également à redresser` la 5e rue s.-o. et à
construire l'échangeur à l'intersection MacLeod-
Glenmore.
Un autre contrat stipule que la demanderesse
démolira une station-service située sur ses terrains
et en construira une autre ailleurs moyennant un
montant de $235,000 que la Ville lui versera. Un
autre contrat vise le «saut-de-mouton». Il autorise
la demanderesse, pendant une période d'option, à
obliger la Ville à construire le «saut-de-mouton» et
à appliquer relativement à cette construction les
modalités convenues aux paiements qui incombent
à ladite demanderesse. Un autre contrat confère à
la Ville l'option d'acheter à la demanderesse, à un
prix convenu l'acre égal à celui du premier contrat,
l'un de ses terrains dont elle a besoin pour cons-
truire le «saut-de-mouton». Enfin, dans un autre
contrat, Oxlea accepte de faire don à la Ville d'une
parcelle de terrain, qui sera située à l'ouest de la 5e
rue s.-o. lorsque celle-ci aura été redressée.
J'en viens maintenant au dernier contrat, dont
les parties sont la demanderesse, Chinook-Ridge,
Oxlea et la Ville. Il est rédigé dans les termes
suivants:
[TRADUCTION] ATTENDU Qu'en vertu d'un contrat passé à la
même date entre les mêmes parties, Chinook et Oxlea ont
vendu à la Ville et la Ville a vendu à Chinook et à Oxlea
certains terrains en vue d'élargir la rue Glenmore, de redresser
la 5e rue s.-o. et de construire un échangeur, le tout comme il
est précisé ci-dessous, et qu'en conséquence, la Ville, à la
demande de Chinook, de Chinook-Ridge et d'Oxlea, a accepté
d'apporter certaines modifications aux terrains et aux voies
contiguës aux centres commerciaux Chinook et Southridge, de
manière à faciliter l'utilisation de ces terrains et l'expansion
projetée, comme il est précisé ci-après;
ET ATTENDU QUE le coût des modifications susmentionnées
peut avoir pour résultat de rendre Chinook et Oxlea débitrices
envers la Ville de taxes d'amélioration locale découlant de ces
modifications, lesdites corporations ont décidé de payer à la
Ville, au lieu et place de ces taxes, les montants prévus ci-après
aux dates prévues ci-après;
ET ATTENDU QUE la Ville a accepté de verser à Chinook
certaines sommes pour l'aider à défrayer une partie des frais
que la construction de l'échangeur lui occasionnera;
Les dispositions de ce contrat stipulent que:
[TRADUCTION] 2. La Ville, en contrepartie des sommes que
Chinook et Oxlea doivent lui verser en lieu et place des taxes
d'amélioration locale découlant des travaux et améliorations
qu'elle a entrepris:
a) procédera au redressement prévu au nord de la 60°
avenue, tel que l'indique le plan de la ville de Calgary,
dossier n° DD -3-14;
b) procédera au redressement prévu au sud de la 60° avenue
et défraiera les coûts afférents à la construction d'une voie
d'accès au centre commercial Chinook, tel que l'indique le
plan de la ville de Calgary, dossier n° DD -3-14;
c) construira une voie d'accès ou une entrée pour le centre
commercial Chinook, qui facilitera les virages des véhicules
circulant dans les deux directions sur la rue MacLeod en face
de la 61° avenue sud-ouest, et y installera des feux de
circulation, le tout comme l'indique le plan de la ville de
Calgary, dossier n° DD -4-03;
d) procédera à certaines améliorations sur la rue MacLeod,
entre la rue Glenmore et la 60° avenue sud-ouest, tel que
l'indique le plan de la ville de Calgary, dossier n° DD -4-03,
sauf que les améliorations à la 60° avenue sud-ouest ne seront
apportées qu'à une date susceptible de convenir à Chinook, à
Oxlea et à la Ville.
3. En contrepartie des travaux et des améliorations que la Ville
effectuera à la demande de Chinook et d'Oxlea, conformément
à la clause 2 du présent contrat, en lieu et place des taxes
d'amélioration locale découlant de ces travaux, Chinook et
Oxlea paieront à la Ville la somme globale de quatre cent
quatre-vingt-huit mille cinq cent soixante-quinze dollars
($488,575) aux dates et de la manière énoncées ci-dessous:
a) le 31 décembre 1972, Chinook paiera à la Ville vingt et
un mille dollars ($21,000);
b) le 31 mars 1973, Oxlea paiera à la Ville trente mille
dollars ($30,000);
c) le 31 mars 1973, Chinook paiera à la Ville quatre cent
trente-sept mille cinq cent soixante-quinze dollars ($437,-
575).
Ces paiements seront réputés être le règlement final de toutes
les taxes d'amélioration locale que Chinook et Oxlea auraient
dû payer du fait des travaux et des améliorations effectués par
la Ville, comme il est dit plus haut. Toutefois, si la Ville
procède aux améliorations de la 60° avenue sud-ouest, dont il
est question dans la clause 2d), Chinook lui versera une somme
complémentaire de neuf mille dollars ($9,000) plus des intérêts
composés au taux annuel de huit et demi pour cent (8 1 / 2 %) et
calculés du 1°" janvier 1973 à la date du paiement. Ce paiement
sera fait en lieu et place de toutes les taxes d'amélioration
locale dont Chinook serait autrement redevable à la Ville pour
les améliorations que celle-ci a effectuées.
4. II est entendu et convenu que les sommes que Chinook et
Oxlea verseront à la Ville aux termes du présent contrat ne
seront pas réputées viser les améliorations locales qu'elle effec-
tuera ultérieurement dans le voisinage des centres commerciaux
Chinook, Southridge et Chinook-Ridge.
5. Le 31 mars 1973, la Ville versera à Chinook trente-sept
mille dollars ($37,000) pour l'aider.à défrayer les coûts que la
construction de l'échangeur et tous les travaux connexes sont
susceptibles d'entraîner pour cette dernière.
Ledit montant de $490,050 représente la somme
des trois paiements énoncés au paragraphe 3, plus
un ajustement de $1,475, qui provient, d'une part,
des changements apportés d'un commun accord
aux projets et, d'autre part, de l'arrondissement du
nombre d'acres.
La demanderesse prétend que ce montant a été
payé en lieu et place des taxes d'amélioration
locale qui, si elles avaient donné lieu à une cotisa-
tion, auraient été considérées comme une dépense
de revenu, et que le montant en question est de la
même nature. Son avocat a étayé cette argumenta
tion en soulignant qu'aucun nouvel actif n'a été
acquis en contrepartie du paiement et qu'il n'a
entraîné ni changement ni amélioration dans l'or-
ganisation des affaires de la demanderesse ni dans
ses immeubles.
La défenderesse, elle, prétend que la dépense a
été faite pour protéger les actifs immobilisés de
l'entreprise (c'est-à-dire l'immeuble abritant le
centre commercial) contre la menace que représen-
tait le projet initial de la Ville de construire un
échangeur en trèfle, ainsi que pour protéger l'acha-
landage lié à l'emplacement du centre commercial.
A l'appui de cette thèse, l'avocat déclare qu'il
s'agit là de dépenses extraordinaires et exception-
nelles et non pas de dépenses faites dans le cours
ordinaire des affaires de la demanderesse.
Je n'accepte entièrement aucune de ces deux
argumentations.
A mon sens, de tous les projets, seul l'échangeur
en trèfle menaçait la jouissance du droit de pro-
priété de la demanderesse; or, au moment de la
signature des contrats, ce projet avait été aban-
donné en faveur d'un meilleur, en l'occurrence un
échangeur en «losange resserré», tel que recom-
mandé par les conseillers techniques en planifica-
tion de la circulation. Ledit montant ne correspond
pas aux honoraires que ceux-ci ont demandés pour
l'étude à la suite de laquelle ils ont proposé un
meilleur projet et supprimé par le fait même la
menace que représentait le précédent. Il ne s'agit
pas non plus d'une dépense engagée à cet égard.
J'estime que le projet initial prévoyant la construc
tion d'un échangeur en trèfle n'a rien à voir avec la
question à résoudre si ce n'est qu'il fut révélateur
de l'existence d'un problème de circulation auquel
il a fallu trouver une solution en instituant d'abord
une étude de la situation.
D'autre part, la dépense n'est pas un paiement
de taxes et ne peut vraiment pas être considérée
comme étant de cette nature. Bien que le contrat
déclare que le montant a été versé en lieu et place
des taxes afférentes aux améliorations de voirie, ce
ne sont pas ces termes, selon moi, qui révèlent la
véritable nature de ce montant mais la contrepar-
tie que la Ville a offerte en retour, c'est-à-dire la
promesse de procéder à des améliorations et la
promesse implicite de ne pas cotiser la demande-
resse pour les taxes d'amélioration locale découlant
de ces travaux. Si, pour quelque raison, la Ville ne
les avait jamais exécutés, l'autre partie aurait eu le
droit de recouvrer ledit montant pour défaut d'exé-
cution de la contrepartie. Ce droit n'est pas carac-
téristique d'un paiement de taxes. D'autre part, les
$490,050 ne représentent pas le coût des améliora-
tions apportées aux rues ni le versement du prix
d'achat de ces améliorations. Bien que sur ce point,
la preuve soit inexistante ou tout au moins très
vague, il paraît probable que le montant ne repré-
sente qu'une partie du coût des améliorations. Par
conséquent, j'estime qu'il faut le considérer comme
une contribution aux coûts que supportera la Ville.
Je passe maintenant aux critères qu'il convient
de retenir pour résoudre la question. Dans British
Columbia Electric Railway Company Limited c.
M.R.N.', le juge Abbott s'est réclamé en ces
termes des anciennes dispositions de la Loi de
l'impôt sur le revenu, qui ne diffèrent pas sensible-
ment des dispositions pertinentes actuellement en
vigueur:
[TRADUCTION] L'objectif essentiel présumé de toute entre-
prise commerciale étant la recherche d'un profit, toute dépense
consentie «en vue de gagner ou de produire un revenu» s'inscrit
dans le cadre de l'art. 12(1)a), qu'il s'agisse d'une dépense de
revenu ou d'une dépense de capital.
Dès qu'il est acquis qu'une dépense donnée est engagée dans
le but de gagner ou de produire un revenu, il faut ensuite, pour
rechercher s'il y a assujettissement à l'impôt sur le revenu,
déterminer si une telle dépense constitue une dépense de revenu
ou une dépense de capital. Les principes sous-jacents à une telle
distinction reviennent à dire, en fait, que, le revenu aux fins de
l'impôt étant calculé sur une base annuelle, une dépense de
revenu est une dépense engagée dans le but de gagner le revenu
au cours de l'année où elle a été consentie, et elle doit être
déduite du revenu brut de l'année en question. La majeure
partie des dépenses en capital d'autre part, peut être amortie ou
annulée en un certain nombre d'années, selon que l'actif pour
lequel la dépense est consentie s'inscrit ou ne s'inscrit pas dans
le cadre des règlements sur l'allocation du coût en capital
prévus à l'art. 11(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
' [1958] R.C.S. 133, aux pages 137 et 138.
Les principes généraux à appliquer pour déterminer si une
dépense qui serait admissible en vertu de l'art. 12(1)a) est une
dépense de capital, sont maintenant bien établis. Comme le
juge Kerwin (tel était alors son titre) l'a souligné dans Mon-
treal Light, Heat & Power Consolidated c. Le ministre du
Revenu national [[1942] R.C.S. 89, la p. 105, [1942] 1
D.L.R. 596, [1942] C.T.C. 1, confirmé [1944] A.C. 126,
[1944] 1 All E.R. 743, [1944] 3 D.L.R. 545], alors qu'il
concluait à l'application du principe énoncé par le vicomte Cave
dans British Insulated and Helsby Cables, Limited c. Atherton
[[1926] A.C. 205, à la p. 214; 10 T.C. 155], le critère ordinaire
pour déterminer si une dépense a été faite à titre de capital, est
de savoir si elle l'a été «dans le but d'apporter un avantage pour
le bénéfice durable de l'entreprise de l'appelante».
Dix ans plus tard, dans M.R.N. c. Algoma
Central Railway 2 , le juge Fauteux (tel était alors
son titre), parlant au nom de la Cour, a exposé la
question de la manière suivante [aux pages 449 et
450]:
[TRADUCTION] Le Parlement ne définit pas les expressions
«dépense ... de capital» ou «dépense à compte de capital».
Comme il n'y a pas de critère) législatif, appliquer ou non ces
expressions à toutes dépenses particulières doit dépendre des
circonstances propres à l'affaire. Nous ne pensons pas qu'un
critère unique permette d'élaborer cette définition et nous
approuvons l'avis exprimé dans une décision récente du Conseil
privé rendue par lord Pearce dans l'affaire B.P. Australia Ltd.
c. Commissioner of Taxation of the Commonwealth of Aus-
tralia [[1966] A.C. 224]. En mentionnant la question de savoir
si une dépense était de capital ou ordinaire, il déclarait à la
page 264:
On ne peut pas trouver la solution du problème en appli-
quant un critère ou une description rigide. Elle doit découler
de plusieurs aspects de l'ensemble des circonstances dont
certaines peuvent aller dans un sens et d'autres dans un
autre. Une observation peut se détacher si nettement qu'elle
domine d'autres indications plus vagues dans le sens con-
traire. C'est une appréciation saine de toutes les caractéristi-
ques directrices qui doit apporter la réponse finale.
Dans Canada Starch Co. Ltd. c. M.R.N. 3 , le
président Jackett (tel était alors son titre), après
avoir cité l'affaire Algoma, résume ainsi la
distinction:
[TRADUCTION] Aux fins d'examen de la difficulté soulevée
par le présent appel, j'estime utile de me référer aux commen-
taires sur «la distinction entre les dépenses et débours effectués
à titre de revenu et ceux effectués à titre de capital» que fait le
juge Dixon dans Sun Newspapers Ltd. et al. c. Fed. Com. of
Taxation [(1938) 61 C.L.R. 337, la p. 359] où il dit:
La distinction entre les dépenses à titre de capital et les
dépenses à titre de revenu correspond à la distinction entre
l'entité, la structure ou l'organisation commerciale établie en
vue de réaliser des bénéfices et le mode de fonctionnement
2 [1968] R.C.S. 447.
3 [1969] 1 R.C.É. 96, aux pages 101 et 102.
auquel elle a recours pour toucher des recettes régulières au
moyen de dépenses régulières, la différence entre ces dépen-
ses et ces recettes constituant les bénéfices ou les pertes de
cette entité.
En d'autres termes, si je comprends bien, de façon générale:
a) d'une part, une dépense consentie en vue de l'acquisition
ou de la création d'une entité, structure ou organisation
commerciale, dans le but de gagner un profit ou en vue du
développement d'une telle entité, structure ou organisation,
constitue une dépense à compte de capital, et
b) d'autre part, une dépense consentie au cours de l'exploita-
tion d'une entité, structure ou organisation lucrative consti-
tue une dépense à compte de revenu.
L'application de ce critère à l'achat ou à la création des biens
ordinaires qui constituent la structure commerciale telle que
créée à l'origine ou une adjonction à celle-ci, ne présente
aucune difficulté. Les installations et les machines sont des
actifs immobilisés et l'argent versé à cet effet constitue une
dépense à titre de capital, qu'il s'agisse:
a) d'argent versé en vue de l'établissement d'une nouvelle
structure commerciale;
b) d'argent versé pour une adjonction à une structure com-
merciale déjà existante;
c) d'argent versé pour acheter une structure commerciale
déjà existante.
Toutefois, il existe à mon avis, de ce point de vue, une
différence de principe entre des biens tels que des installations
et des machines, et un achalandage. Dès qu'un achalandage
existe, il peut être acheté, si l'on peut dire, et l'argent versé à
cette fin sera normalement considéré comme l'ayant été GA titre
de capital». Toutefois, ce mode d'achat mis à part, j'estime
qu'un achalandage ne peut être acheté qu'à titre d'élément
accessoire à l'exploitation même d'une entreprise. L'argent
n'est pas déboursé pour créer un achalandage; l'achalandage est
la conséquence normale de l'exploitation d'une entreprise. Par
conséquent, l'argent est déboursé pour l'exploitation de l'entre-
prise: il s'agit donc d'une dépense de revenu.
Dans l'affaire B.P. Australia, lord Pearce cite [à
la page 261 ] comme [TRADUCTION] «guide utile à
celui ou celle qui s'aventure dans ces régions», les
commentaires suivants formulés par le juge Dixon
dans l'affaire Sun Newspapers Ltd. c. The Federal
Commissioner of Taxation 4 :
[TRADUCTION] A mon sens, il faut examiner trois aspects: a)
la nature de l'avantage recherché (son caractère permanent
peut alors entrer en ligne de compte), b) son utilisation, son
importance ou la façon d'en jouir (comme pour le critère
précédent, la fréquence de l'emploi peut aussi entrer en ligne de
compte) et c) les moyens adoptés pour l'obtenir. Par exemple,
des compensations ou des débours ont-ils été effectués périodi-
quement en contrepartie de l'utilisation ou de la jouissance et
pour une durée proportionnée au paiement? Ou encore, existe-
t-il une clause définitive ou un paiement final qui en garantit
l'utilisation ou la jouissance future?
4 (l938-39) 61 C.L.R. 337, aux pages 363 et 362.
et
la dépense doit être considérée comme une dépense de revenu
lorsque son objet la fait entrer dans la catégorie très générale
des choses qui, somme toute, constituent la demande qu'il faut
constamment satisfaire au moyen des revenus d'un commerce
ou de ses capitaux mobiles et il n'est pas nécessaire que la réelle
répétition de cette dépense se produise ou soit escomptée
comme probable.
Lord Pearce cite aussi [à la page 262] le passage
suivant tiré du jugement rendu par vicomte Rad-
cliffe dans Commissioner of Taxes c. Nchanga
Consolidated Copper Mines Ltd. 5 :
[TRADUCTION] Là encore, les tribunaux ont insisté sur l'im-
portance de distinguer entre les coûts afférents à la création, à
l'achat ou à l'agrandissement de la structure permanente (qui
ne signifie pas perpétuelle), dont le revenu doit être le produit
ou le fruit, et le coût du revenu lui-même ou de l'exécution des
opérations qui servent à le gagner. Sans doute s'agit-il là de la
distinction la plus claire que la loi par elle-même peut vraisem-
blablement apporter, mais la réalité de la distinction, il faut
l'admettre, n'est pas des plus faciles à appliquer, car les régimes
fiscaux des différents pays permettent d'imputer de plus en plus
de catégories de dépenses de capital sur les bénéfices par voie
de provisions pour amortissement et, ce faisant, reconnaissent
qu'en tout état de cause, l'épuisement du capital fixe entre dans
les frais d'exploitation. Même alors, les opérations commercia-
les peuvent être d'une grande complexité et en vérité il est
parfois difficile de tirer une ligne de démarcation et d'établir
des distinctions subtiles entre les bénéfices qui sont réalisés «à
même les» actifs et ceux qui le sont «sur» les actifs ou «avec» les
actifs.
Plus loin, lord Pearce formule dans ses motifs le
commentaire que le juge Fauteux (tel était alors
son titre) a repris dans l'affaire Algoma. Puis il
poursuit en ces termes [à la page 264]:
[TRADUCTION] Bien que les dépenses de capital et les dépenses
de revenu soient différentes et facilement identifiables lorsqu'il
s'agit de cas évidents, la ligne de démarcation est souvent
difficile à tracer dans les cas limites; et des considérations
divergeantes peuvent produire une situation où la réponse
repose sur des questions d'importance et de degré. Cette
réponse:
dépend de l'effet envisagé de la dépense d'un point de vue
pratique et commercial plutôt que de la classification juridi-
que des droits, s'il en est, garantis, employés ou épuisés en
cours de route:
Notes du juge Dixon dans l'arrêt Hallstroms Pty. Ltd. c.
Federal Commissioner of Taxation [(l946) 72 C.L.R. 634,
648]. A chaque nouvelle cause, les parties utilisent dans leur
argumentation des phrases appropriées qu'elles empruntent aux
jugements antérieurs; mais ces phrases ne constituent pas le
facteur décisif et n'ont pas une application illimitée. Elles ne
font que cristalliser les facteurs qui, dans un cas donné, peuvent
faire pencher la balance après examen de tous les éléments.
5 [1964] A.C. 948, la page 960.
Lord Pearce examine ensuite les trois aspects
dont a parlé le juge Dixon dans l'affaire Sun
Newspapers. Tout d'abord, la nature de l'avantage
recherché, notamment son caractère permanent et
,sa fréquence, ainsi que la nature du besoin ayant
suscité la recherche de cet avantage. Sous cette
rubrique, il examine en outre le critère servant à
déterminer si la dépense fut faite à même le capital
fixe ou mobile, ainsi que la manière dont il faut la
traiter selon les principes ordinaires de comptabi-
lité commerciale; il cherche également à détermi-
ner si l'argent a été dépensé pour la structure dans
laquelle les bénéfices devaient être gagnés. Puis il
se penche sur le deuxième et le troisième aspect,
c'est-à-dire l'utilisation projetée des bénéfices et le
mode de paiement.
Si j'ai résumé tous les éléments qui précèdent,
c'est parce qu'ils me semblent indiquer certaines
des nombreuses facettes d'un cas complexe qu'il
peut être nécessaire d'examiner et de peser avant
d'en arriver à une conclusion dans un cas qui
n'entre pas nettement dans une catégorie ou dans
l'autre, mais qui présente des caractéristiques dont
certaines sont orientées dans un sens et d'autres,
dans l'autre.
En l'espèce, l'entreprise de la demanderesse, si
j'en juge par les documents produits devant la
Cour, consiste à louer des boutiques situées dans
ses immeubles à des entreprises commerciales, à
mettre des aires de stationnement à la disposition
des clients de ses locataires et, possiblement, à
fournir à ces derniers certains services. Les recet-
tes proviennent des loyers qui sont en partie calcu-
lés sur le chiffre d'affaires des locataires. Le succès
de son entreprise dépend donc en grande partie de
la popularité dont son centre commercial jouit
parmi les clients de ses locataires.
Selon moi, dans une telle entreprise, les fonds
que la demanderesse dépense pour agrandir et
améliorer les locaux ou les immeubles de son
centre commercial ou pour organiser la structure
de son entreprise sont des dépenses de capital;
mais, les dépenses annuelles afférentes aux taxes
municipales (et notamment les taxes d'améliora-
tion locale faisant suite à des travaux de voirie) et
les dépenses consacrées à hausser la popularité du
centre, que ce soit au moyen d'annonces, d'artifi-
ces publicitaires ou autrement, mais qui n'entrai-
nent aucun achat d'équipement ou de machines
pour l'entreprise, sont des dépenses de revenu.
Passons maintenant aux divers aspects à exami
ner. A mon avis, c'est la nature de l'avantage à
gagner qui, plus que toute autre caractéristique en
l'occurrence, permettra de classer les dépenses
visées en dépenses de capital ou dépenses de
revenu. Il est bien évident que les paiements, abs
traction faite de toute autre chose, étaient défini-
tifs. Mais il en est de même pour toute chose qui,
prise isolément, prend un aspect quelque peu
exceptionnel. Il est aussi évident que l'on s'atten-
dait à ce que l'avantage, quel qu'il soit, ait un
caractère durable ou plus ou moins permanent. Ce
point est peut-être celui qui donne le plus à enten-
dre que les dépenses visées sont des dépenses de
capital. Soulignons cependant qu'en l'espèce,
l'avantage n'a pas un caractère plus permanent
que celui que l'on escomptait tirer, suite à l'étude
géologique, dans l'affaire Algoma. Quant à savoir
«à quoi la dépense est censée servir d'un point de
vue pratique et commercial», ce critère, tout en
ayant un certain poids, n'apporte rien de
concluant.
Car si, comme je le pense, la dépense peut et
doit être considérée comme ayant été faite en vue
de maintenir et peut-être de rehausser la popula-
rité du centre commercial parmi les clients des
locataires et de permettre à ce centre de rivaliser
avec ses concurrents, tout en évitant de payer une
taxe d'amélioration suite aux travaux de voirie,
elle doit alors être considérée comme une dépense
de revenu en dépit de la nature définitive du
paiement ou du caractère plus ou moins permanent
de l'avantage qu'elle entraîne.
Je ne pense pas non plus que la question puisse
être résolue et la dépense cataloguée comme
dépense de capital du seul fait que le contrat fait
partie d'un groupe de contrats connexes, dont cer-
tains prévoient des dépenses de capital et qui ne
forment qu'une seule transaction complexe. S'il n'y
avait eu qu'un seul contrat où les dépenses n'au-
raient été ni séparées ni séparables, le caractère
d'actif immobilisé facilement reconnaissable dans
le contenu des autres contrats aurait très bien pu
servir à caractériser l'ensemble; mais je ne pense
pas qu'il en soit ainsi lorsque la dépense a été
soigneusement isolée dans un seul. contrat qui en
indique l'objet précis.
En outre, bien qu'il soit concevable que l'encom-
brement de la circulation aurait pu avoir des effets
indésirables sur la popularité du centre commer
cial et sur ses chances d'en concurrencer un autre
et aurait pu donner lieu à quelque autre solution
comportant une dépense de capital, comme par
exemple la restructuration du centre commercial,
de ses immeubles ou de ses voies d'entrée et de
sortie (et il se peut fort bien que l'on ait fait de
telles dépenses) tel ne fut pas l'objet de celle qui
nous occupe. L'argent n'a pas été versé pour modi
fier ou agrandir les terrains ou les immeubles de la
demanderesse ni pour structurer son exploitation,
mais pour inciter la Ville à apporter des modifica
tions à certains ouvrages municipaux, lesquelles
auraient pour la demanderesse un effet bénéfique
sur la réalisation de l'un de ses objectifs, c'est-à-
dire de promouvoir ses affaires et de rehausser la
popularité de son centre commercial.
Dans Ounsworth c. Vickers, Limited 6 , où les
faits sont assez comparables, l'on a statué que le
coût de nouvelles installations construites sur un
immeuble n'appartenant pas au contribuable, mais
destinées à être utilisées par l'entreprise du deman-
deur, était une dépense de capital. Mais en l'es-
pèce, les améliorations, tout en facilitant la circu
lation dans les rues contiguës au centre
commercial et l'accès à celui-ci, évitant ainsi à la
clientèle de ses locataires d'avoir à chercher un
parcours moins achalandé pour s'y rendre, ne cons
tituent pas à mon avis des améliorations destinées
à être utilisées dans l'exploitation de l'entreprise de
la demanderesse. Elles sont plutôt destinées à être
utilisées par le public en général, c'est-à-dire par
ceux qui fréquentent le centre commercial ou qui
ne font que passer dans ce quartier.
J'estime que la dépense avait pour cause les
effets indésirables présents et prévisibles de l'en-
combrement de la circulation sur la popularité du
centre commercial et sur ses chances de rivaliser
avec un autre centre commercial qui devait être
construit à quelque trois milles plus loin. Elle me
semble donc être afférente et accessoire à l'entre-
prise de la demanderesse plutôt qu'aux biens
6 [1915j 3 K.B. 267.
immobiliers servant à l'exploitation de celle-ci. Si
je ne m'abuse, elle a été engagée pour répondre à
l'un des nombreux besoins qui surgissent lorsqu'on
fait marcher une entreprise et qui, pour que cel-
le-ci réussisse, doivent être comblés à même ses
revenus.
En outre, cette dépense n'entraînera jamais
aucune recette si ce n'est indirectement, par suite
du relèvement progressif des loyers que les amélio-
rations effectuées par la Ville devraient entraîner.
Ce facteur me paraît aussi militer en faveur de
l'imputation de la dépense sur le capital mobile
plutôt que sur le capital fixe.
Quant au traitement qui, selon les principes de
comptabilité commerciale, doit être réservé à cette
dépense, je ne vois aucune raison de penser que la
demanderesse n'a pas respecté ces principes en
l'imputant sur le revenu et en l'amortissant sur une
période de quinze ans, de manière à ne pas fausser
les bénéfices et les pertes pendant l'année de paie-
ment, plutôt que de traiter l'avantage comme un
actif et d'en imputer la dépréciation. D'ailleurs, le
paiement n'a donné lieu à l'achat d'aucun bien et
n'a rien rapporté à l'entreprise sinon un avantage
incorporel susceptible de résulter de l'accroisse-
ment de ses revenus, et dont on ne peut estimer
que la durée et encore de façon imprécise. En
outre, il me semble que si cet avantage incorporel
figurait dans un bilan comme actif immobilisé,
cela constituerait certes une inscription plutôt inu-
sitée. Par conséquent, cette considération donne
elle aussi à entendre que la dépense en cause en est
une de revenu.
Je ne vois rien dans la façon dont on devait jouir
de l'avantage (si ce n'est qu'il ne pouvait être
réalisé qu'en rentrées), qui aide à classer la
dépense comme dépense de capital ou dépense de
revenu. Quant aux moyens par lesquels l'avantage
fut obtenu, soit trois paiements forfaitaires au lieu
de paiements périodiques calculés d'une quelcon-
que façon en fonction de l'importance de l'avan-
tage pour la période considérée, ils indiquent
plutôt une dépense de capital qu'une dépense de
revenu.
Suite à l'étude minutieuse de ces questions, j'es-
time plus juste, du point de vue pratique et com-
mercial, et compte tenu des critères prédominants,
de classer la dépense comme dépense de revenu.
Je passe maintenant à la question de savoir si,
dans le calcul de son revenu aux fins de l'impôt, la
demanderesse était obligée de répartir la dépense
de $490,050 sur un certain nombre d'années,
comme elle l'a fait dans le calcul de ses bénéfices
aux fins commerciales. Dans son bilan du 31 mars
1973, elle indique comme actif un poste intitulé
«frais différés», qui comprend les $490,050. A cette
époque, bien que le montant eût été payé à la
Ville, les travaux de voirie n'avaient pas encore été
commencés. Une annotation sur le bilan indique
que les $490,050 devaient être amortis sur une
période de quinze ans à compter de 1974; toute-
fois, aux fins de l'impôt, la demanderesse a déduit
la totalité de ce montant comme dépense engagée
en 1973.
Elle a agi ainsi parce qu'en 1964, le Ministre
avait refusé la déduction réclamée en 1961, 1962
et 1963, des parties amorties d'une dépense sem-
blable (bien qu'inférieure) faite en 1961 et l'avait
enjointe de calculer son revenu en opérant la
déduction du plein montant dans l'année d'imposi-
tion 1961. Dans l'affaire M.R.N. c. Tower Invest
ment Inc. 7 , le Ministre avait adopté une position
identique, mais le juge Collier n'en a pas moins
conclu, relativement à des dépenses de $153,301
engagées en 1963, 1964 et 1965 pour l'insertion
d'annonces publicitaires, que le contribuable
n'était pas obligé de déduire le montant de la
dépense dans l'année où elle a été engagée et que,
conformément aux principes comptables, il pouvait
en reporter une fraction sur des années ultérieures.
Dans M.R.N. c. Canadian Glassine Co., Ltd. 8 ,
le juge Le Dain, après avoir exprimé sa dissidence,
a conclu que la dépense visée était une dépense de
revenu et a déclaré (à la page 536):
Dans l'arrêt Associated Investors of Canada Limited c.
M.R.N. [1967] 2 R.C.É. 96, la page 100 (note en bas de
page), le président Jackett a émis l'opinion que le principe
énoncé par le président Thorson n'est pas [TRADUCTION] «ap-
plicable dans n'importe quelles circonstances» et qu' [TRADUC-
TION] «il existe plusieurs genres de dépenses qui sont déduc-
tibles dans le calcul des bénéfices pour l'année `relativement à
7 [1972] C.F. 454.
8 [1976] 2 C.F. 517.
laquelle' elles ont été faites ou sont dues.» Dans l'affaire Tower
Investment, le juge Collier a conclu [aux pages 461-462]: «A
mon avis, les distinctions que fait le président Jackett s'appli-
quent dans un cas comme celui de la présente affaire. Les frais
de publicité engagés dans la présente affaire ne sont pas des
dépenses courantes au sens usuel de cette expression. Ils ont été
engagés en vue de produire des revenus non seulement dans
l'année durant laquelle ils ont été faits, mais aussi dans les
années à venir.»
Comme le juge de première instance, je suis d'avis que cette
conclusion s'applique aussi à la dépense engagée en l'espèce.
L'opinion du président Thorson n'est pas une conclusion dictée
par les termes de l'article 12(1)a), mais un principe déduit
[TRADUCTION] «de l'intention générale de la Loi» qui devrait
être précisé afin d'éviter que, dans une affaire comme la
présente, son application présente une fausse image de la
situation financière du contribuable, au lieu d'en donner une
image juste et raisonnable. Effectivement, l'avocat de l'appe-
lant n'a pas contesté devant cette cour le droit d'appliquer le
principe de «l'imputation des dépenses aux revenus correspon-
dants» à la présente affaire et a supposé que la dépense en cause
était déductible aux fins du calcul du revenu.
En l'espèce, la Couronne adopte la position sui-
vante: si le montant n'est pas une dépense de
capital, il incombe au contribuable de l'amortir sur
un certain nombre d'années et de ne réclamer,
chaque année, que la déduction d'une partie de
celui-ci. L'avocat prétend que, sauf lorsque la Loi
de l'impôt sur le revenu comporte une disposition
particulière, les principes de comptabilité commer-
ciale reconnus s'appliquent aux fins de déterminer
le revenu tiré d'une entreprise pour l'année et que
le fait de déduire la totalité dudit montant dans
l'année 1973, plutôt que de l'amortir et d'en étaler
la déduction sur un certain nombre d'années, déna-
ture et réduit indûment le revenu de 1973. Il
n'attaque pas la méthode comptable adoptée par la
demanderesse qui, dans le calcul de ses bénéfices à
des fins commerciales, a amorti le montant sur une
période de quinze ans.
Dans Associated Investors of Canada Limited c.
M.R.N. 9 , le président Jackett (tel était alors son
titre) a déclaré ce qui suit dans un renvoi en bas de
page:
[TRADUCTION] Il a également été plaidé que l'article
12(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui énonce:
12. (1) Dans le calcul du revenu, il n'est opéré aucune
déduction à l'égard
a) d'une somme déboursée ou dépensée, sauf dans la
mesure où elle l'a été par le contribuable en vue de gagner
ou de produire un revenu tiré de biens ou d'une entreprise
du contribuable,
9 [1967] 2 R.C.É. 96, aux pages 100 et 101.
doit être interprété comme interdisant, dans le calcul des
bénéfices tirés d'une entreprise pour une année, la déduction
d'une somme qui n'a pas été déboursée ou dépensée au cours de
ladite année. A l'appui de cette prétention, on a invoqué le
jugement du président Thorson dans l'affaire Rossmor Auto
Supply Ltd. c. M.R.N. [ 1962] C.T.C. 123, qui déclare (p. 126):
«Selon l'interprétation que je donne à l'article 12(1)a), les
débours ou les dépenses qui peuvent être déduits dans le calcul
du revenu d'un contribuable pour l'année ... se limitent aux
sommes déboursées ou dépensées par le contribuable durant
l'année sur laquelle porte la cotisation» (les italiques sont de
moi). Si cette interprétation était une partie essentielle de
l'argumentation sur laquelle la décision rendue dans cette
affaire a été basée, je me sentirais obligé de la suivre, bien
qu'elle ne soit pas, à mon avis, basée sur un principe qui
s'applique dans n'importe quelles circonstances. Dans ladite
affaire, toutefois, il est clair que le prêt n'a pas été consenti
dans le cours ordinaire des affaires de l'appelante, et c'est ce
que le président a décidé. A mon avis, bien que certains genres
de dépenses doivent être déduites dans l'année durant laquelle
elles ont été faites ou engagées, et dans aucune autre, (par
exemple, des frais de réparations, comme dans l'affaire Naval
Colliery Co. Ltd. c. C.I.R. (1928) 12 T.C. 1017, ou des frais de
sarclage, comme dans l'affaire Vallambrosa Rubber Co.. Ltd.
c. Farmer (1910) 5 T.C. 529), il existe plusieurs genres de
dépenses qui sont déductibles dans le calcul des bénéfices pour
l'année «relativement à laquelle» elles ont été faites ou sont
dues. (Comparer les articles 11(1)c) et 14 de la Loi.) Par
exemple, la façon ordinaire de calculer les bénéfices bruts
d'exploitation aboutit à un pareil résultat (produit des ventes de
l'année, dont on retranche l'excédent du stock initial en début
d'exercice plus les achats faits durant l'année sur le stock final
en clôture d'exercice), c'est-à-dire que (hormis le cas où la
valeur marchande des marchandises serait inférieure au prix
payé) le coût des marchandises vendues dans l'année est déduit
du produit de la vente de celles-ci, même si lesdites marchan-
dises ont été achetées et payées au cours d'un exercice
antérieur. Il s'agit là, bien sûr, de la seule façon logique de
calculer le produit des ventes faites dans l'année. Comparer le
jugement du vicomte Simon dans l'affaire I.R.C. c. Gardner
Mountain & D'Ambrumenil, Ltd. (1947) 29 T.C. (p. 93):
«Dans le calcul des bénéfices imposables d'une entreprise ... le
prix des services rendus et des marchandises livrées, lorsqu'il ne
sera payé que dans une année ultérieure, ne peut pas, d'une
manière générale, être considéré comme une perte pure du
contribuable pour l'année durant laquelle le prix a été déboursé
et, pour l'année durant laquelle le prix sera payé ou viendra à
échéance, le prix desdites marchandises ne peut pas être con-
sidéré comme un profit pur. En déterminant ... le montant du
résultat net de l'opération, les chiffres placés du côté des
recettes doivent se rapporter ... au compte des profits et pertes
de la même année, et cette année sera l'année durant laquelle le
service a été rendu ou durant laquelle les marchandises ont été
livrées.» (Cette Cour a suivi ce raisonnement dans le jugement
du juge Cameron dans l'affaire Ken Steeves Sales Ltd. c. Le
ministre du Revenu national [1955] R.C.E. 108, la p. 119.)
La situation est différente dans le cas des «dépenses courantes».
Voir le jugement du juge Rowlatt dans l'affaire Naval Colliery
Co. Ltd. c. C.!.R. précitée (p. 1027): «... et les frais de
réparation, les dépenses courantes d'une entreprise et ainsi de
suite ne peuvent pas être imputés directement aux postes de
rentrées correspondants, et leur imputation ne peut pas être
limitée de manière à les faire correspondre, ou à essayer de les
faire correspondre, aux rentrées réelles de l'année en question.
Si des réparations courantes sont faites, si des lubrifiants sont
achetés, il n'est évidemment pas question de procéder à une
enquête pour déterminer si les réparations ont été en partie
rendues nécessaires par l'usure normale d'une pièce de matériel
qui a produit des bénéfices durant l'année qui a précédé ou si
les réparations faites permettront à la pièce de matériel de
contribuer aux profits durant l'année suivante, et ainsi de suite.
Les dépenses de ce genre sont considérées, et doivent être
considérées, comme des dépenses engagées dans l'exploitation
de l'entreprise envisagée comme un tout chaque année, et les
revenus sont les revenus de l'entreprise envisagée comme un
tout pour l'année, sans essayer de rattacher chaque dépense à
un poste donné des revenus. Voir également Riedle Brewery
Ltd. c. Le ministre du Revenu national [1939] R.C.S. 253. En
ce qui concerne la souplesse de la méthode de calcul des
revenus permise par la Loi de l'impôt sur le revenu, voir le
jugement du juge Cameron dans l'affaire Ken Steeves (pré-
citée) aux pages 113 et 114.
Je pense qu'aux fins de l'impôt sur le revenu, il
ressort de ce jugement que le «principe du rappro
chement» s'applique aux dépenses afférentes à cer-
tains postes de revenu et, en particulier, au calcul
des bénéfices tirés de l'achat et de la vente d'un
stock '°, mais par contre ne s'applique pas aux
dépenses en cours de l'entreprise et ce, même si le
fait de déduire un poste de dépenses en cours
particulièrement important dans l'année où il est
payé dénature le revenu de ladite année. Or, en
l'espèce, il paraît indiscutable que les principes de
comptabilité admettent la méthode que la deman-
deresse a adoptée lorsqu'elle a choisi d'amortir
ledit montant pour des fins commerciales. De plus,
il paraît non moins indiscutable que le fait de
déduire la totalité du montant en 1973 dénature-
rait les bénéfices pour cette année-là. Par consé-
quent, puisque ledit montant représente une
dépense en cours qui n'est liée à aucun poste du
revenu, le renvoi à l'affaire Associated Investors et
la jurisprudence à laquelle le président Jackett se
réfère (et en particulier l'affaire Vallambrosa
Rubber et l'affaire Naval Colliery) indiquent que
ce montant est déductible seulement dans l'année
où il a été payé. Selon le sens du jugement dans
l'affaire Tower Investment et celui des propos du
juge de première instance et du juge Le Dain dans
l'affaire Canadian Glassine, il semble que l'on ait
seulement jugé qu'un contribuable restait libre
d'étaler la déduction sur un certain nombre d'an-
1 ° Comparer avec Neonex International Ltd. c. La Reine
[1978] CTC 485, la page 497.
nées. Il n'y a pas été affirmé, comme cela l'avait
été dans la jurisprudence antérieure, que la
dépense ne peut pas être déduite intégralement
dans l'année où elle a été faite. Quant à la Loi, elle
ne comporte aucune disposition particulière qui
interdise la déduction du plein montant dans l'an-
née où il a été versé. Par conséquent, je ne pense
pas que le Ministre ait le droit d'insister pour que
la demanderesse amortisse la dépense ou l'étale sur
un certain nombre d'années.
Il existe aussi un autre aspect à considérer. La
période de quinze ans que la demanderesse a choi-
sie n'a guère de rapport avec la durée prévisible
des améliorations de voirie, qui peut fort bien être
plus longue. Ce choix s'explique donc probable-
ment parce que cette période est celle que la Ville
aurait retenue. Par ailleurs, s'il y a autre chose qui
doit être prise en considération en l'espèce ce n'est
pas la durée de ces améliorations, mais celle des
avantages qui sont censés influer sur la popularité
du centre commercial, compte tenu spécialement
de la perspective de l'ouverture d'un autre centre
commercial à quelque trois milles de distance et de
la mise en oeuvre d'autres projets du même ordre
susceptibles de nuire à la popularité du centre
commercial de la demanderesse dans une Ville en
pleine expansion. Certes il s'agit là d'impondéra-
bles, mais ils me confirment dans l'opinion que la
totalité du montant est déductible dans l'année où
il a été versé.
Par conséquent, je suis d'avis d'accueillir l'appel
avec dépens et de renvoyer l'affaire au Ministre
pour qu'il établisse, à la lumière de ce qui précède,
de nouvelles cotisations.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.