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A-447-77
Samuel Moore & Company (Appelante)
c.
Le commissaire des brevets (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett—Ottawa, le 14 août 1979.
Brevets Appel contre la décision du commissaire des brevets qui a refusé la concession de brevet Requête intro- duite par l'appelante pour audition à huis clos Cette requête constitue une exception à la règle générale de la publicité de toute procédure judiciaire Il y a exception lorsque l'effet de la publicité serait néfaste à l'objet du litige
Il échet d'examiner si les demandes de brevet en cause tombent dans cette catégorie d'exception Requête rejetée Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, c. P-4, art. 10, 28(1), 42, 44
Règles sur les brevets, C.R.C. 1978, Vol. XIII, c. 1250 Règle 201(3) de la Cour fédérale.
REQUÊTE. AVOCATS:
G. Henderson, c.r. pour l'appelante. J. A. Scollin, c.r. pour l'intimé.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour l'appe- lante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Par avis d'appel en date du 30 juin 1977, l'appelante a fait appel de la décision rendue par le commissaire des brevets «refusant la concession d'un brevet sur la demande de brevet canadien 152,5730. Aujourd'hui, l'ap- pelante cherche à obtenir certaines ordonnances, savoir:
[TRADUCTION] 1. une ordonnance enjoignant à l'Administra- teur de la Cour de retirer du dossier de la Cour relatif au présent appel les documents du Bureau des brevets portant sur la demande 152,573, la transcription de l'audition devant le Comité d'appel sur les brevets d'invention, tous les affidavits versés au dossier, le dossier d'appel et les annexes y afférentes préparés en vue du présent appel, et de conserver tous ces documents, ainsi que ceux qui auront été ajoutés, dans une enveloppe scellée dont le contenu ne pourra être examiné que par la Cour, les parties en cause dans l'appel et leurs procureurs;
2. une ordonnance enjoignant à l'intimé, à ses mandataires, à ses préposés et à toute autre personne agissant en son nom de
tenir confidentiels et secrets les documents mentionnés à l'ali- néa 1 précité;
3. une ordonnance enjoignant à l'intimé, à ses mandataires, à ses préposés et à toute autre personne agissant en son nom de ne divulguer aucun renseignement concernant, d'une part, les documents mentionnés à l'alinéa I et, d'autre part, la poursuite de la présente demande devant le Bureau des brevets et l'appel y afférent, sauf à l'appelante, à ses procureurs ou à la présente Cour;
4. une ordonnance enjoignant à l'intimé de prendre les disposi tions nécessaires en son pouvoir pour récupérer tous les docu ments et toutes les copies ou sommaires de l'un quelconque des documents mentionnés à l'alinéa I que lui-même ou ses manda- taires, préposés ou autre personne agissant en son nom ont donnés ou fournis à toute personne autre que l'appelante, ses procureurs ou la présente Cour;
5. une ordonnance déclarant que toutes les audiences futures relatives au présent appel seront tenues à huis clos; et
L'appel de la décision du commissaire des bre- vets a été interjeté devant cette Cour en vertu des articles 42 et 44 de la Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, c. P-4 qui, pour autant qu'ils soient applica- bles, se lisent comme suit:
42. Chaque fois que le commissaire s'est assuré que le demandeur n'est pas fondé en droit à obtenir la concession d'un brevet, il doit rejeter la demande et, par lettre recommandée, adressée au demandeur ou à son agent enregistré, notifier à ce demandeur le rejet de la demande, ainsi que les motifs ou raisons du rejet.
44. Quiconque n'a pas réussi à obtenir un brevet en raison du refus ou de l'opposition du commissaire peut, à tout moment dans les six moins qui suivent l'envoi postal de l'avis, conformé- ment aux articles 42 ... interjeter appel de la décision du commissaire à la Cour fédérale, et cette cour a juridiction exclusive pour entendre et décider cet appel.
De fait, les principales ordonnances sollicitées constitueraient des exceptions à la règle générale selon laquelle toutes les procédures judiciaires sont publiques. A cet égard, la règle afférente aux dossiers de la Cour est énoncée à la Règle 201(3) de la Cour fédérale, qui dispose en effet que, sous réserve d'une surveillance et sans gêner les travaux de la Cour, «Toute personne peut .. . examiner les dossiers de la Cour et leurs annexes». Autant que je sache, la règle jurisprudentielle relative au prin-
Une demande visant la délivrance d'ordonnances au même effet, fondée sur l'argumentation présentée en l'espèce, a été soumise à la Cour, dossier A-446-77. Les présents motifs vaudront également pour cette demande et il est demandé qu'une copie soit versée au dossier y afférent.
cipe voulant que les audiences soient publiques n'a jamais été établie de façon plus libérale que dans l'affaire Scott c. Scott 2 , dans laquelle le vicomte Haldane, lord Chancelier, a écrit aux pages 437 et 438:
[TRADUCTION] Bien qu'il y ait le principe général qui veut que les cours du pays doivent, entre parties, administrer publi- quement la justice, ce principe souffre d'apparentes exceptions telles que celles auxquelles je me suis référé. Toutefois, les exceptions elles-mêmes résultent d'un principe plus fondamen- tal selon lequel l'objectif premier des cours de justice doit être de faire en sorte que justice soit rendue. Dans le cas de pupilles sous tutelle judiciaire et d'aliénés, la Cour agit, en fait, essen- tiellement pour protéger leurs intérêts. A cet égard, sa compé- tence est parentale et administrative et la résolution des ques tions controversées n'est qu'incidente à sa compétence. Pour atteindre son objectif premier, il peut être nécessaire parfois pour la Cour d'ordonner le huis clos. Le principe général qui ordinairement prévaut doit donc céder le pas à l'obligation fondamentale de protéger le pupille ou l'aliéné. L'autre cas évoqué, celui du litige portant sur un procédé secret, l'effet de la publicité des débats serait néfaste à l'objet même du litige, illustre une catégorie qui repose sur une autre base. Dans un tel cas, la publicité des débats pourrait bien empêcher que justice soit effectivement rendue. L'objectif fondamental étant tou- jours de faire justice, le principe général quant à la publicité des débats, qui n'est après tout qu'un moyen pour arriver à une fin, doit par conséquent céder le pas. Mais il incombe à ceux qui cherchent à déroger au principe général dans un cas donné de démontrer que la règle ordinaire doit, par nécessité, céder le pas à cette considération fondamentale. Selon notre conception du droit, cette question ne saurait relever du simple pouvoir discrétionnaire du juge qui la trancherait en se fondant sur des considérations pragmatiques. Il incombe au contraire à ce dernier de l'envisager sur le plan des principes, doivent intervenir les considérations de nécessité et non d'expédient pratique.
Au cours d'un litige proprement dit, quelle déroga- tion peut-on légalement faire au principe de la publicité des audiences? Il vaut la peine de rappe- ler ici les paroles du vicomte Haldane. Sous ce rapport, il fait allusion au
[TRADUCTION] ... litige portant sur un procédé secret, l'effet de la publicité des débats serait néfaste à l'objet même du litige
à titre d'illustration d'une catégorie qui repose sur une [TRADUCTION] «autre base».
L'avocat de l'appelante prétend que le présent appel relève de cette catégorie exceptionnelle.' Mais il n'affirme pas par que les documents versés au dossier établissent la nature secrète de l'objet du présent appel. Selon la compréhension
2 [1913] A.C. 417.
3 Sans exprimer mon point de vue là-dessus, je présume que cette catégorie serait également une exception implicite à la Règle 201(3).
que j'en ai (et j'ai vérifié avec lui aussi minutieuse- ment que possible ma version de son affirmation), il soutient que toute demande de brevet déposée en vertu de la Loi sur les brevets est en soi un secret industriel; ainsi, si une telle demande venait à faire l'objet d'un litige, la règle générale de la publicité des audiences ne devrait alors pas s'appliquer. Subsidiairement, si je le comprends bien, il sou- tient que, dans tous les cas de demande de brevet, la demande et toutes les pièces justificatives sont soumises au commissaire sous le sceau du secret, ce qui fait entrer en jeu la règle générale dégagée par l'affaire Scott c. Scott précitée.
A l'appui de ces prétentions, l'avocat de l'appe- lante invoque l'article 10 de la Loi sur les brevets dont voici le libellé:
10. A l'exception des caveats et des documents déposés dans le cas de demandes de brevets encore pendantes, ou qui ont été abandonnées, les mémoires descriptifs, dessins, modèles, renon- ciations, jugements, rapports et autres documents peuvent être consultés par le public au Bureau des brevets, sous réserve des règlements adoptés à cet égard.
La Règle 13 des Règles sur les brevets, C.R.C. 1978, Vol. XIII, c. 1250, se lit comme suit:
13. Sous réserve de l'article 11 de la Loi, ou des présentes règles, le Bureau ne doit divulguer de renseignements sur une demande de brevet à aucune personne autre que le destinataire d'une correspondance portant sur ladite demande, que son successeur régulièrement institué, ou qu'une personne spéciale- ment autorisée par le demandeur ou son agent des brevets à recevoir lesdits renseignements.
De là, il soutient très vigoureusement que ce serait aller à l'encontre de la Loi sur les brevets si les inventions soumises au commissaire par une per- sonne en vertu de cette Loi étaient révélées à ses concurrents avant la concession d'un brevet".
Je ne suis pas convaincu que l'on contrevienne à quelque aspect de l'esprit de la Loi sur les brevets en permettant que les appels des décisions du commissaire soient entendus en public. Un inven- teur peut choisir entre conserver et exploiter son invention en tant que secret industriel ou faire une demande de brevet. S'il choisit de faire une demande de brevet et s'il l'obtient, son invention sera divulguée au public et, en contrepartie, il aura
a En particulier, il fait allusion à la façon dont on pourrait se servir d'une publication antérieure pour acquérir des droits sous le régime de l'article 58 au détriment du requérant.
droit à un monopole de dix-sept ans 5 . Lorsqu'une demande cesse d'être pendante devant le Bureau des brevets «en raison [d'un] refus», il semble que le public pourrait, toujours en vertu de l'article 10, consulter les documents afférents à cette demande. Dans ce cas, le requérant peut faire appel (article 44), mais un tel appel doit être interjeté suivant les «règles et la pratique» de la Cour fédérale (article 17). Autrement dit, à ce que je vois, l'appel doit être entendu en public, à moins que la publicité des audiences ne soit néfaste à «l'objet» même du litige ou autrement n'aille à l'encontre des visées de l'équité.
Par conséquent, ce qu'il convient de considérer, c'est la question de savoir quel est l'objet de l'ap- pel. En résumé, si l'appelante a gain de cause, elle obtient un brevet lui donnant droit à un monopole de dix-sept ans pour son invention. Les éléments essentiels des moyens allégués par l'appelante en appel sont énoncés à l'article 28(1) de la Loi sur les brevets 6 , dont l'examen révèle que tous les faits essentiels devant permettre à l'appelante d'obtenir gain de cause doivent exister au moment du dépôt de sa demande ou avant le dépôt de celle-ci. Le fait que des tiers prennent, par la suite, connaissance de cette invention ne peut anéantir le droit de l'appelante à un monopole de dix-sept ans, si ce droit existait au moment de l'appel.
L'absence totale de toute considération pratique nécessitant une réduction de l'éclat habituel de la
5 C'est l'article 10 qui prévoit la «divulgation» de l'invention au public--«... les ... documents peuvent être consultés par le public au Bureau des brevets». Je ne pense pas que l'exception faite pour les demandes «pendantes» s'applique à une demande qui a été refusée; de toute façon, cet article, de par sa propre portée, ne s'applique pas à la Cour.
6 L'article 28(1) se lit comme suit:
28. (1) Sous réserve des dispositions subséquentes du pré- sent article, l'auteur de toute invention ou le représentant légal de l'auteur d'une invention qui
a) n'était pas connue ou utilisée par une autre personne avant que lui-même l'ait faite,
b) n'était pas décrite dans quelque brevet ou dans quelque publication imprimée au Canada ou dans tout autre pays plus de deux ans avant la présentation de la pétition ci-après mentionnée, et
c) n'était pas en usage public ou en vente au Canada plus de deux ans avant le dépôt de sa demande au Canada,
peut, sur présentation au commissaire d'une pétition expo- sant les faits (ce que la présente loi indique comme «le dépôt de la demande») et en se conformant à toutes les autres prescriptions de la présente loi, obtenir un brevet qui lui accorde l'exclusive propriété de cette invention.
publicité des débats que nous estimons essentielle au maintien de la probité du système judiciaire nous est révélée, à mon avis, par le fait que, pour autant que je sache, aucune requête semblable n'a jamais été faite dans un tel cas ou dans un cas de procédure de «conflit» les mêmes arguments pourraient être invoqués.
La requête est donc rejetée.
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