T-3194-78
Vincent N. Hurd (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Dubé—
Toronto, 11 octobre; Ottawa, 18 octobre 1979.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Non-résidents
— Option d'achat d'actions donnée pendant que l'employé
travaillait au Canada mais levée seulement après son retour
aux États-Unis — Ir échet d'examiner si la plus-value repré-
sente un revenu tiré des charges et emplois occupés au Canada,
que vise l'art. 115(1)a)(i) de la Loi de l'impôt sur le revenu —
Il échet d'examiner si le bénéfice réalisé représente un avan-
tage acquis à titre de capital et exempt d'impôt en vertu de
l'article VII! de la Convention relative à l'impôt entre le
Canada et les États-Unis d'Amérique — Loi de l'impôt sur le
revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63, art. 2(3), 7(1)a) — Loi de 1943
sur la Convention relative à l'impôt entre le Canada et les
Etats-Unis d'Amérique, S.C. 1943-44, c. 21.
Appel contre la décision de la Commission de révision de
l'impôt confirmant la cotisation du ministre du Revenu national
qui a ajouté la somme de $77,812.50 au revenu du demandeur
pour l'année d'imposition 1973. Le demandeur, qui est citoyen
américain, travaillait au Canada de septembre 1965 au 31 mars
1971 et, au cours de cette période, s'est vu offrir une option
d'achat d'actions par la compagnie qui l'employait. Il est
retourné aux États-Unis le ler avril 1971 mais n'a levé l'option
que le 26 septembre 1973. C'est la différence entre le cours du
marché à cette dernière date et le prix payé que le Ministre a
incluse dans le revenu du demandeur pour 1973. Le demandeur
fait valoir (1) que rien dans la Loi de l'impôt sur le revenu ne
permet d'affirmer que le demandeur est réputé avoir occupé
une charge ou un emploi au Canada pendant l'année d'imposi-
tion 1973 et (2) que s'il y a eu avantage au sens de l'alinéa
7(1)a) de la Loi, cet avantage a été acquis à titre de capital et
est donc exempt d'impôt en vertu de l'article VIII de la
Convention relative à l'impôt entre le Canada et les États-Unis
d'Amérique.
Arrêt: l'appel est rejeté avec dépens. En vertu de l'alinéa
7(1)a), la plus-value des actions acquises par le demandeur doit
*être réputée avoir été reçue ... en raison de son emploi dans
l'année d'imposition où il a acquis les actions* et, *pour plus de
précision*, le paragraphe 7(4) dispose que le paragraphe 7(1)
doit continuer de s'appliquer comme *si la personne était encore
un employé et comme si l'emploi durait encore*. En l'espèce,
l'emploi qui est réputé avoir duré est, bien entendu, celui qu'il
occupait au Canada à l'époque de la signature de l'entente. Que
le demandeur ait réellement occupé une charge ou un emploi au
Canada pendant l'année d'imposition 1973 importe peu. Le
demandeur ne peut prétendre qu'il s'agit d'un avantage acquis
à titre de capital qui est, par conséquent, exempt d'impôt au
Canada en vertu de l'article VIII de la Convention relative à
l'impôt entre le Canada et les États-Unis d'Amérique puisque
l'opération en cause n'était ni une vente ni un échange de biens
capital. Il a acquis les actions à un prix préalablement fixé dans
l'entente et, du fait de leur plus-value, a reçu en raison de son
emploi au Canada un avantage imposable en vertu de la Loi. Le
simple fait qu'il n'ait levé l'option qu'après son départ du
Canada ne change en rien le caractère de cet. avantage.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
T. G. Heintzman et J. L. Finlay pour le
demandeur.
I. MacGregor pour la défenderesse.
PROCUREURS:
McCarthy & McCarthy, Toronto, pour le
demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par,
LE JUGE DUBÉ: Il s'agit d'un appel de la déci-
sion de la Commission de révision de l'impôt con-
firmant la cotisation du ministre du Revenu natio
nal par laquelle fut ajoutée au revenu du
demandeur la somme de $77,812.50 pour l'année
d'imposition 1973.
La principale question à trancher en l'espèce est
de savoir si une personne résidant aux Etats-Unis
peut être imposée au Canada à l'égard d'une
option d'achat d'actions qui lui avait été donnée
alors qu'elle était employée au Canada, mais
qu'elle n'a levée qu'à son retour aux États-Unis.
Les deux parties ont déposé un exposé conjoint
des faits identique à celui qui a été soumis à la
Commission de révision de l'impôt. Voici ce dont il
s'agit:
Le demandeur est un citoyen américain qui a
travaillé et résidé au Canada de septembre 1965
au 31 mars 1971, date après laquelle il est rentré
aux États-Unis. Le 4 octobre 1967, son employeur,
The British American Oil Company Limited («la
Compagnie»), une corporation canadienne, lui
donna, par voie d'accord, une option d'achat sur
2,500 de ses actions, au prix de $37 3/8 l'action.
Le 1" avril 1971, il retourna aux États-Unis pour
travailler à la Gulf Oil Corporation, une «filiale»
de son ancien employeur. Le 26 septembre 1973, il
leva régulièrement son option d'achat et acquit
5,000 actions ordinaires (les actions ayant été
entre-temps fractionnées), au prix de $18.69 l'ac-
tion. Le demandeur réalisa ainsi un bénéfice de
$77,812.50, soit la différence entre le cours du
marché et le prix payé. Le Ministre a inclus ce
montant au complet dans le revenu du demandeur
pour l'année d'imposition 1973.
Pour fins d'impôt, le demandeur a déclaré seule-
ment une partie de cette somme, soit $43,606.13,
qu'il a calculée en répartissant la somme totale de
$77,812.50 selon le pourcentage obtenu en divisant
le nombre de jours pendant lesquels il fut employé
au Canada par le nombre total de jours entre la
date où lui fut donnée l'option d'achat et celle où il
l'a levée. Voici son calcul:
[TRADUCTION] Calcul de la fraction imposable du bénéfice
résultant de l'option d'achat d'actions
Date de l'octroi de l'option d'achat 4 octobre 1967
Date de la levée de l'option d'achat 26 septembre 1973
Date de mon départ du Canada et de
mon retour aux É.-U. 1" avril 1971
Nombre de jours entre la date de l'octroi et celle de la levée de
l'option d'achat:
jours passés au Canada 1224 56.04%
jours passés aux É.-U.* 960 43.96%
2184 100%
Fraction imposable du bénéfice résultant de l'option d'achat
d'actions:
.5604 x 77,812.50 = $43,606.13
* Y compris les 51 jours passés aux É.-U. pour affaires entre le
4 octobre 1967 et le 1" avril 1971.
L'accord portant sur l'option d'achat contenait
ces dispositions: l'option d'achat ne peut être levée
qu'après une année de travail continu pour la
Compagnie ou une filiale. Elle doit être levée dans
un délai de dix ans; en cas de retraite, dans un
délai de six mois; en cas de décès, dans un délai de
douze mois; en cas de cessation d'emploi pour
d'autres raisons, dans un délai de trois mois. Si le
capital-actions de la Compagnie est fractionné en
un plus grand nombre d'actions, le titulaire de
l'option d'achat peut acquérir un nombre d'actions
proportionnel au nombre d'actions accru.
Le savant avocat du demandeur invoque deux
arguments alternatifs: premièrement, rien dans la
Loi de l'impôt sur le revenu ne permet d'affirmer
que le demandeur est réputé avoir occupé une
charge ou un emploi au Canada pendant l'année
d'imposition 1973; deuxièmement, si le demandeur
a effectivement acquis un avantage aux termes de
l'alinéa 7(1)a) de la Loi, cet avantage a été acquis
à titre de capital et est donc exempt d'impôt en
vertu de l'article VIII de la Convention relative à
l'impôt entre le Canada et les États-Unis
d'Amérique.
Il prétend que l'assiette de l'impôt au Canada
compte sur deux facteurs: la résidence et les activi-
tés exercées par des non-résidents à l'intérieur du
Canada. Le demandeur étant un non-résident, la
disposition taxatrice applicable serait le paragra-
phe 2(3) que voici:
2....
(3) Lorsqu'une personne non imposable en vertu du paragra-
phe (1) pour une année d'imposition
a) a été employée au Canada,
b) a exploité une entreprise au Canada, ou
c) a disposé d'un bien canadien imposable
à une date quelconque de l'année, ou d'une année antérieure, un
impôt sur le revenu doit être payé, ainsi qu'il est prévu ci-après,
sur son revenu imposable gagné au Canada pour l'année,
déterminé conformément à la section D.
Il soutient que les lois fiscales doivent être inter-
prétées étroitement et que l'impôt n'est exigible
que si les termes en prévoient clairement le prélè-
vement. Pour que le demandeur soit imposable
pour l'année d'imposition 1973, il doit avoir été
employé au Canada ou doit être réputé avoir été
employé au Canada, et son revenu imposable doit
être déterminé conformément à la section D. Cette
section, intitulée «Revenu imposable gagné au
Canada par des non-résidents», ne contient que les
deux articles 115 et 116. Le dernier ne s'applique
pas puisqu'il porte sur la disposition par un non-
résident de certains biens.
La disposition applicable, c.-à-d. le sous-alinéa
115(1)a)(i), prévoit que le revenu imposable d'une
personne non résidante est la fraction de ses «reve-
nus tirés des charges et des emplois occupés par
elle au Canada». Ce sous-alinéa se lit comme suit:
115. (1) Aux fins de la présente loi, le revenu imposable,
pour une année d'imposition, gagné au Canada, par une per-
sonne non résidante, est la fraction de son revenu pour l'année,
qui serait déterminée en vertu de l'article 3
a) si elle n'avait pas de revenu autre
(i) que les revenus tirés des charges et des emplois occupés
par elle au Canada,
Les dispositions de ce sous-alinéa ne s'appli-
quent pas au demandeur puisqu'il n'a occupé ni
charge, ni emploi au Canada durant l'année d'im-
position 1973. En effet, au cours de cette année-là,
il travaillait aux États-Unis.
Le demandeur admet toutefois qu'en vertu de
l'alinéa 7(1)a), un employé qui a acquis des
actions en vertu d'une convention telle que celle
qui lui a donné son option d'achat, est réputé avoir
reçu un avantage en raison de son emploi mais ce,
selon l'argument du demandeur, uniquement dans
l'année d'imposition où il a acquis les actions. Or,
comme le souligne le demandeur, il n'a exercé
aucune charge au Canada en 1973. Voici le libellé
de l'alinéa:
7. (1) Lorsqu'une corporation a convenu de vendre ou d'at-
tribuer un certain nombre d'actions de son capital-actions, ou
des actions d'une corporation avec laquelle elle a un lien de
dépendance, à un de ses employés ou à un employé d'une
corporation 'avec laquelle elle a un lien de dépendance,
a) si l'employé a acquis des actions en vertu de la conven
tion, un avantage, égal à la fraction de la valeur des actions
qui, au moment où il les a acquises, était en sus de la somme
qu'il a payée ou devra payer pour ces actions à la corpora
tion, est réputé avoir été reçu par l'employé en raison de son
emploi dans l'année d'imposition où il a acquis les actions;
Le demandeur conclut donc que le Parlement
n'a pas précisé qu'un contribuable dans sa situa
tion est réputé avoir occupé une charge ou un
emploi au Canada et que, par conséquent, pour les
fins du calcul de son revenu imposable aux termes
du sous-alinéa 115(1)a)(1), il ne peut être inclus
dans ce calcul aucun avantage réputé avoir été
reçu par lui sous le régime de l'alinéa 7(1)a).
Bien entendu, le savant avocat n'est pas sans
savoir que le paragraphe 7(4) de la Loi dispose que
le paragraphe (1) continue de s'appliquer «comme
si la personne était encore un employé et comme si
l'emploi durait encore". A cet égard, il soutient
qu'en vertu du paragraphe 7(4), le demandeur
peut être réputé être encore un employé mais non
pas être un employé au Canada. Autrement dit,
selon lui, le paragraphe 7(4) ne s'applique pas aux
non-résidents. Durant l'année d'imposition 1973, le
demandeur n'était ni un résident ni un employé au
Canada et il ne peut être considéré comme tel que
s'il existe une disposition expresse à cet effet. Le
paragraphe 7(4) se lit comme suit:
7....
(4) Pour plus de précision, il est par les présentes déclaré que
lorsqu'une personne, qui serait par ailleurs visée au paragraphe
(1), a cessé d'être un employé avant que se soient réalisées
toutes les , onditions qui rendraient cette disposition applicable,
le paragraphe (1) doit continuer de s'appliquer comme si la
personne était encore un employé et comme si l'emploi durait
encore.
Quant au calcul obtenu en répartissant le béné-
fice entre les jours passés au Canada et ceux
passés aux E. -U. durant la période allant du jour
de l'octroi de l'option d'achat à celui de la levée de
cette option, on nous renvoie au sous-alinéa
115(1)a)(v). L'avocat du demandeur admet toute-
fois que son client s'est à tort prévalu de cette
disposition qui ne s'applique pas à son cas: il n'est
pas un non-résident au sens du paragraphe 115(2).
Malheureusement pour le demandeur, je me
dois de rejeter sa première prétention.
Le paragraphe 2(3) susmentionné de la Loi
s'applique expressément à un non-résident qui «a
été employé» au Canada à une date quelconque de
l'année «ou d'une année antérieure». Il peut être
imposé même s'il n'a pas été employé au Canada
durant l'année d'imposition. En vertu de l'alinéa
7(1)a), la plus-value des actions acquises par le
demandeur doit «être réputée avoir été reçue ... en
raison de son emploi dans l'année d'imposition où
il a acquis les actions». De plus, «pour plus de
précision», le paragraphe 7(4) dispose que le para-
graphe 7(1) doit continuer de s'appliquer comme
«si la personne était encore un employé et comme
si l'emploi durait encore». En l'espèce, l'emploi qui
est réputé avoir duré est, bien entendu, celui qu'il
occupait au Canada à l'époque de la signature de
l'entente. Il ne peut s'agir d'un emploi subséquent
ou précédent. Il doit s'agir de l'emploi qui a donné
lieu à l'entente et qui est réputé, en vertu du
paragraphe 7(4), avoir duré jusqu'à l'époque de la
réalisation du bénéfice.
Que le demandeur ait réellement occupé une
charge ou un emploi au Canada pendant l'année
d'imposition 1973 importe peu. A mon avis, du
rapprochement des diverses dispositions de l'article
7, il ressort que le demandeur non-résident a reçu,
en raison de son emploi au Canada qui a effective-
ment pris fin en 1971 mais qui est réputé avoir
duré jusqu'en 1973, un avantage imposable en
cette année d'imposition.
Subsidiairement, le demandeur prétend que si
cet avantage constitue un revenu imposable en
vertu des dispositions de l'article 7, il s'agit alors
d'un avantage acquis à titre de capital qui est, par
conséquent, exempt d'impôt au Canada en vertu
de l'article VIII de la Convention relative à l'impôt
entre le Canada et les États-Unis d'Amérique. Cet
article se lit comme suit:
ARTICLE VIII
Les bénéfices tirés, dans l'un des Etats contractants, de la
vente ou de l'échange de biens capital par une personne physi
que qui réside dans l'autre Etat contractant, ou par une société
ou une autre personne morale de ce dernier Etat, seront
exempts de l'impôt dans le premier Etat, à condition que ladite
personne physique, ou ladite société ou autre personne morale
n'ait pas d'établissement stable dans le premier Etat.
Le demandeur soutient que l'acquisition des
actions faite en vertu de l'option d'achat constitue
«un échange de biens capital». Il prétend que, selon
la common law, l'entente constatant l'option
d'achat d'actions était un bien capital qu'il a
échangé en 1973 contre des actions de Gulf
Canada Limitée.
Cet argument n'est pas valable. L'opération en
cause n'était ni une vente ni un échange de biens
capital. Le demandeur a acquis les actions â un
prix préalablement fixé dans l'entente et, du fait
de leur plus-value, il a reçu en raison de son emploi
au Canada un avantage imposable en vertu de la
Loi. Le simple fait qu'il n'ait levé l'option d'achat
qu'après son départ du Canada ne change en rien
le caractère de cet avantage.
En conséquence, l'appel est rejeté avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.