A-593-79
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration
(Appelant)
c.
Brendan Leeson Selby (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Thurlow, le juge
Addy et le juge suppléant Kerr—Vancouver, 11
février; Ottawa, 6 mars 1980.
Immigration — Dans l'exercice de la compétence à elle
conférée par le paragraphe 59(1) pour entendre et juger les
appels faits conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur
l'immigration de 1976, la Commission d'appel de l'immigra-
tion était-elle compétente pour décider si l'intéressé était un
résident permanent, auquel le paragraphe 72(1) conférerait le
droit d'appel, alors que, en vertu du paragraphe 24(2), l'arbitre
n'avait pas été convaincu que cette personne n'avait pas
renoncé à considérer le Canada comme son lieu de résidence
permanente et en avait donc conclu qu'il n'était plus un
résident permanent? — Loi sur l'immigration de 1976, S.C.
1976-77, c. 52, art. 2(1), 24(1),(2), 25(1),(2), 59(1), 72(1),(2),(3)
— Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10,
art. 28.
Ayant obtenu le statut d'immigrant reçu en 1966, l'intimé a
résidé au Canada jusqu'en 1971. Il a alors quitté le pays pour
l'Allemagne, où il a résidé jusqu'en 1979, date de son retour au
Canada. L'arbitre a, conformément au paragraphe 24(2) de la
Loi sur l'immigration de 1976, jugé qu'il n'était plus un
résident permanent et a rendu contre lui une ordonnance
d'exclusion. Sur appel, la Commission d'appel de l'immigration
annula l'ordonnance de renvoi. Le litige pose la question de
savoir si la Commission était compétente pour décider si l'inté-
ressé était un résident permanent, auquel le paragraphe 72(1)
conférerait le droit d'appel, alors que, en vertu du paragraphe
24(2), l'arbitre n'avait pas été convaincu que cette personne
n'avait pas renoncé à considérer le Canada comme son lieu de
résidence permanente et en avait donc conclu qu'il n'était plus
un résident permanent.
Arrêt: l'appel est rejeté. La Commission d'appel de l'immi-
gration est compétente pour recevoir des preuves et statuer sur
le fait dont dépend le droit d'appel. Le paragraphe 24(2) ne
change rien à cette compétence. Lorsqu'elle a à examiner la
question d'intention, la Commission d'appel de l'immigration
juge à nouveau, d'après la preuve produite devant elle, et le
problème posé par l'application du paragraphe 24(1), soit de
déterminer si la personne concernée a quitté le Canada ou est
demeurée à l'étranger avec l'intention de renoncer à considérer
le Canada comme son lieu de résidence permanente, reste le
même, que cette personne ait été ou non absente plus de cent
quatre-vingt-trois jours. Le paragraphe 72(1) donne au résident
permanent frappé par une ordonnance de renvoi le droit d'inter-
jeter appel à la Commission d'appel de l'immigration. La
personne qui a obtenu le droit d'établissement et qui n'a pas
quitté le Canada ou n'est pas demeurée à l'étranger avec
l'intention de renoncer à considérer le Canada comme son lieu
de résidence permanente, a le droit d'interjeter appel, nonobs-
tant la conclusion de l'arbitre qu'il a quitté le Canada ou est
demeuré à l'étranger avec l'intention de renoncer à considérer
le Canada comme son lieu de résidence permanente. Toute
autre interprétation des paragraphes 24(1) et 72(1) rendrait
définitives et non susceptibles d'appel les conclusions de l'arbi-
tre, même si, aux termes du paragraphe 59(1), la Commission
d'appel de l'immigration a compétence exclusive pour entendre
et juger toutes questions relatives à la confection de l'ordon-
nance de renvoi.
Arrêts appliqués: Gana c. Le Ministre de la Main-d'oeuvre
et de l'Immigration [1970] R.C.S. 699; Srivastava c. Le
ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration [1973]
C.F. 138.
APPEL.
AVOCATS:
G. C. Carruthers pour l'appelant.
Rod Holloway pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelant.
Rod Holloway, Vancouver, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: Le présent appel
pose la question de savoir si, dans l'exercice de la
compétence à elle conférée par le paragraphe
59(1) pour entendre et juger les appels faits con-
formément au paragraphe 72(1) de la Loi sur
l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, la
Commission d'appel de l'immigration était compé-
tente pour décider si l'intéressé était un résident
permanent, auquel le paragraphe 72(1) conférerait
par conséquent le droit d'appel, alors que, en vertu
du paragraphe 24(2), l'arbitre n'avait pas été con-
vaincu que cette personne n'avait pas renoncé à
considérer le Canada comme son lieu de résidence
permanente et en avait donc conclu qu'il n'était
plus un résident permanent.
Les faits sont simples. Ayant obtenu le statut
d'immigrant reçu en 1966, l'intimé a résidé au
Canada jusqu'en 1971. Il a alors quitté le pays
pour l'Allemagne, où il a résidé jusqu'en mars
1979, date de son retour au Canada. Entre temps,
il avait passé environ un mois au Canada vers la
fin de 1976. A la suite d'une enquête ouverte lors
de son retour au Canada en mars 1979, l'arbitre a,
conformément au paragraphe 24(2), jugé qu'il
n'était plus un résident permanent et a rendu
contre lui une ordonnance d'exclusion. Sur appel,
la Commission d'appel de l'immigration jugea que
l'intimé n'avait ni quitté le Canada ni demeuré à
l'étranger avec l'intention de renoncer à considérer
le Canada comme son lieu de résidence perma-
nente, et elle annula l'ordonnance de renvoi. Dans
la mesure où la Commission était compétente pour
se prononcer sur ce litige, les conclusions par elle
tirées de la preuve produite ne seront pas
contestées.
Voici les dispositions pertinentes de la Loi:
2. (1) Dans la présente loi
«résident permanent» désigne la personne qui
a) a obtenu le droit d'établissement,
b) n'a pas acquis la citoyenneté canadienne, et
c) n'a pas perdu son statut conformément au paragraphe
24(1);
24. (1) Sont déchues de leur statut de résident permanent les
personnes
a) qui quittent le Canada ou demeurent à l'étranger avec
l'intention de renoncer à considérer le Canada comme lieu de
leur résidence permanente; ou
b) qui ont fait l'objet d'une ordonnance d'expulsion non
infirmée ou dont le sursis d'exécution n'a pas été accordé en
vertu du paragraphe 75(1).
(2) Le résident permanent qui se trouve à l'étranger plus de
cent quatre-vingt-trois jours au cours d'une période de douze
mois est réputé avoir renoncé à considérer le Canada comme
son lieu de résidence permanente, sauf s'il établit le contraire à
la satisfaction d'un agent d'immigration ou d'un arbitre, selon
le cas.
59. (1) Est instituée la Commission d'appel de l'immigration
ayant compétence exclusive, en matière d'appels visés aux
articles 72, 73 et 79 et en matière de demande de réexamen
visée à l'article 70, pour entendre et juger sur des questions de
droit et de fait, y compris des questions de compétence, relati
ves à la confection d'une ordonnance de renvoi ou au rejet d'une
demande de droit d'établissement présentée par une personne
appartenant à la catégorie de la famille.
72. (1) Toute personne frappée par une ordonnance de
renvoi qui est soit un résident permanent, autre qu'une per-
sonne ayant fait l'objet du rapport visé au paragraphe 40(1),
soit un titulaire de permis de retour valable et émis conformé-
ment aux règlements, peut interjeter appel à la Commission en
invoquant l'un ou les deux motifs suivants:
a) un moyen d'appel comportant une question de droit ou de
fait ou une question mixte de droit et de fait;
b) le fait que, compte tenu des circonstances de l'espèce, elle
ne devrait pas être renvoyée du Canada.
A mon avis, il est important de remarquer que le
paragraphe 24(2), relatif à la perte de statut, n'a
pas été incorporé par référence à la définition de
«résident permanent» du paragraphe 2(1). Seul le
paragraphe 24(1) l'a été. Il ne faut donc pas
interpréter le paragraphe 24(2) comme faisant
partie de la définition, pas plus que l'article 25'.
J'insiste sur cette distinction parce que l'avocat de
l'appelant a soutenu que, au fond, le paragraphe
24(2) fait partie de la définition et que toute sa
plaidoirie me semble reposer sur cette prétention.
En application du paragraphe 24(1), il faut se
demander si le «résident permanent» a quitté le
Canada ou est demeuré à l'étranger avec l'inten-
tion de renoncer à considérer le Canada comme
son lieu de résidence permanente. Il s'agit là d'une
question de fait relevant du pouvoir d'appréciation,
tout d'abord, de l'agent d'immigration qui en est
saisi, et ensuite, en cas de contestation, de celui de
l'arbitre. Mais le paragraphe 72(1) confère au
«résident permanent» frappé par une ordonnance
de renvoi le droit d'interjeter appel à la Commis
sion d'appel de l'immigration. Ainsi, la personne
qui a obtenu le droit d'établissement et qui n'a pas
quitté le Canada ou demeuré à l'étranger avec
l'intention de renoncer à considérer le Canada
comme son lieu de résidence permanente, a le droit
d'interjeter appel, nonobstant la conclusion de l'ar-
bitre qu'il a quitté le Canada ou demeuré à l'étran-
ger avec l'intention de renoncer à considérer le
Canada comme son lieu de résidence permanente.
Toute autre interprétation des paragraphes 24(1)
et 72(1) rendrait définitives et non susceptibles
d'appel les conclusions de l'arbitre, même si, aux
termes du paragraphe 59(1), la Commission d'ap-
pel de l'immigration a «compétence exclusive .. .
pour entendre et juger sur des questions de droit et
' 25. (1) Le résident permanent désireux de quitter le
Canada temporairement ou qui se trouve à l'étranger, peut
demander à un agent d'immigration, dans la forme prescrite,
un permis de retour.
(2) Le fait pour une personne de posséder et d'être titulaire
d'un permis valide de retour pour résident, délivré de la
manière prescrite, établit, jusqu'à preuve du contraire, que son
séjour à l'étranger ne constituait pas une renonciation à consi-
dérer le Canada comme son lieu de résidence permanente.
de fait, y compris des questions de compétence,
relatives à la confection d'une ordonnance de
renvoi» et même si, aux termes du paragraphe
76(1), la Commission, sur un appel fondé sur
l'article 72, peut annuler l'ordonnance de renvoi. A
mon avis, il ne faut pas adopter une interprétation
des paragraphes 24(1) et 72(1) qui fasse échec au
droit d'appel précité. Selon moi, la Commission
d'appel de l'immigration, lorsqu'elle est saisie d'un
appel interjeté par une personne faisant l'objet
d'une ordonnance de renvoi au motif que l'arbitre
a conclu que cette personne n'était plus une rési-
dente permanente pour avoir quitté le Canada ou
être demeurée à l'étranger avec l'intention de
renoncer à considérer le Canada comme son lieu
de résidence permanente, est compétente pour
recevoir des preuves et statuer sur le fait dont
dépend le droit d'appel.
A mon avis, le paragraphe 24(2) ne change rien
à cette compétence. Ce paragraphe fournit simple-
ment à l'agent d'immigration, tout d'abord, à l'ar-
bitre ensuite, une règle pour déterminer si le statut
de résident permanent a été perdu. L'application
de ce paragraphe peut soulever des questions de
fait autres que celle relative à l'intention de renon-
cer à considérer le Canada comme lieu de rési-
dence permanente. Ainsi, le litige peut consister à
déterminer si le séjour à l'étranger a duré plus de
cent quatre-vingt-trois jours ou s'il est intervenu à
l'intérieur d'une période de douze mois. La maté-
rialité même de l'absence peut être contestée. La
Loi ne dit pas clairement que de telles questions,
tout comme celles nées de l'application du para-
graphe 24(1), sont tranchées sans appel par l'arbi-
tre. Et le membre de phrase «sauf s'il établit le
contraire à la satisfaction d'un agent d'immigra-
tion ou d'un arbitre, selon le cas» ne fait rien
d'autre que de conférer un droit d'appréciation à
l'agent d'immigration et à l'arbitre, chacun à son
stade. On peut même se demander si ce paragra-
phe 24(2) a une application large lorsque, sur
appel de la personne concernée, la Commission
d'appel de l'immigration doit examiner l'intention
de renoncer à considérer le Canada comme lieu de
résidence permanente. La Commission juge à nou-
veau d'après la preuve produite devant elle, la
personne concernée ayant la charge d'établir que
l'ordonnance de renvoi n'aurait pas dû être rendue.
Le problème posé par l'application du paragraphe
24(1), soit de déterminer si la personne concernée
a quitté le Canada ou est demeurée à l'étranger
avec l'intention de renoncer à considérer le Canada
comme son lieu de résidence permanente, reste le
même, que cette personne ait été ou non absente
plus de cent quatre-vingt-trois jours. Dans l'appré-
ciation de la preuve, la durée de l'absence ne sera
prise en compte que dans la mesure où, compte
tenu de toutes les circonstances de l'espèce, elle
confirme l'intention de renoncer à considérer le
Canada comme lieu de résidence permanente. Le
paragraphe 24(2) n'entre en jeu que si, considérée
dans son ensemble, la preuve ne favorise pas plus
une thèse que l'autre.
Les décisions rendues dans Gana c. Le Ministre
de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration 2 et Sri-
vastava c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de
l'Immigration 3 , surtout les passages cités dans les
motifs du juge Addy, me semblent répondre à la
prétention de l'avocat de l'appelant, selon laquelle,
en vertu du paragraphe 24(2), lorsqu'une personne
n'a pas établi à la satisfaction d'un agent d'immi-
gration ou d'un arbitre qu'elle n'a pas renoncé à
son statut de résident permanent, elle est réputée
avoir renoncé à ce statut et elle n'a de ce fait plus
le droit de faire appel en vertu du paragraphe
72(1).
Sous le régime de la Loi de 1976 comme sous
celui de la Loi antérieure, l'agent d'immigration
qui applique le paragraphe 24(2) remplit une fonc-
tion d'appréciation. Mais sa décision n'est pas sans
appel. Elle n'exclut pas le droit de l'arbitre d'exa-
miner à son tour l'affaire et d'en arriver à une
conclusion différente. L'arbitre remplit sa fonction
sur une base judiciaire, mais on ne donnerait pas
au droit d'appel prévu au paragraphe 72(1) son
plein effet si on limitait son application au cas où
l'arbitre, convaincu par la preuve établie en vertu
du paragraphe 24(2), aurait cependant rendu une
ordonnance de renvoi, tout en niant ce droit d'ap-
pel à la personne qui, bien qu'elle n'ait pas con-
vaincu l'arbitre, pourrait cependant convaincre la
Commission qu'elle est encore effectivement une
résidente permanente parce qu'elle n'a jamais
quitté le Canada ou n'est jamais restée à l'étranger
avec l'intention de renoncer à considérer ce pays
comme son lieu de résidence permanente.
2 [1970] R.C.S. 699.
3 [1973] C.F. 138.
Je rejetterais donc l'appel.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE ADDY: Cet appel du ministre de l'Em-
ploi et de l'Immigration porte sur la compétence
que l'article 72 de la Loi sur l'immigration de
1976, confère à la Commission d'appel de l'immi-
gration pour entendre l'appel de l'intimé à l'ins-
tance, lequel, après avoir obtenu le statut d'immi-
grant reçu, est resté à l'étranger plus de 183 jours
et, lors de son retour, n'a pas établi à la satisfac
tion de l'arbitre, en application du paragraphe
24(2) cité plus loin, qu'il n'avait pas renoncé à
considérer le Canada comme son lieu de résidence
permanente.
L'intimé est entré au Canada le 25 septembre
1966, à titre d'immigrant reçu. Il y est resté jusque
vers juin ou juillet 1971, puis il est parti pour
l'Allemagne pour ne revenir au Canada que cinq
ans plus tard, soit en novembre 1976. Après envi-
ron un mois, il est reparti pour l'Allemagne, le 8
décembre 1976, où il est resté jusqu'à son retour
au pays, en mars 1979. Compte tenu de ces cir-
constances, l'arbitre a conclu qu'il n'était plus un
résident permanent et a rendu contre lui une
ordonnance de renvoi.
Sur appel de l'intimé, la Commission d'appel de
l'immigration, après examen de nouvelles preuves,
a infirmé la décision de l'arbitre et a jugé que
l'intimé avait établi à sa satisfaction qu'il n'avait
jamais renoncé à considérer le Canada comme son
lieu de résidence permanente. L'appelant à l'ins-
tance soutient que la Commission était incompé-
tente pour infirmer la décision de l'arbitre.
Un résident permanent a un droit acquis au
Canada car l'article 4(1) de la Loi énonce que les
citoyens canadiens ainsi que les résidents perma
nents ont le droit d'entrer au Canada et l'article 5
prévoit que ce sont les seules personnes à jouir de
ce droit. Pour priver une personne d'un droit
acquis, il faut une disposition claire et précise, et,
en cas d'ambiguïté, l'interprétation doit se faire
dans le sens du maintien du droit. Ces dernières
années, ce principe bien établi a été appliqué de
manière encore plus stricte. D'un autre côté, il est
aussi vrai qu'il ne peut y avoir d'appel contre les
jugements d'un tribunal que dans la mesure où la
loi le prévoit.
Voici comment l'article 2(1) de la Loi sur l'im-
migration de 1976 définit l'expression «résident
permanent»:
2. (1) ...
«résident permanent» désigne la personne qui
a) a obtenu le droit d'établissement,
b) n'a pas acquis la citoyenneté canadienne, et
c) n'a pas perdu son statut conformément au paragraphe
24(1);
L'expression «droit d'établissement» utilisée à
l'alinéa a) a été définie à l'article 2(1) comme
«l'autorisation d'entrer au Canada pour y établir
une résidence permanente». Il en ressort qu'un
requérant n'a pas besoin d'être effectivement au
Canada ou d'y être effectivement entré pour obte-
nir le statut de résident permanent; ce statut est
obtenu dès qu'est accordée la permission d'entrer
au Canada pour y établir une résidence perma-
nente. Conformément à l'article 9(1), sous réserve
des dispositions réglementaires, tout immigrant
doit avoir fait sa demande avant de se présenter à
un point d'entrée. Le même principe ressort des
dispositions de l'article 24(1), où il est dit que sont
déchues de leur statut de résident permanent les
personnes «qui quittent le Canada ou demeurent à
l'étranger ...», et de celles de l'article 24(2), où il
est question du «résident permanent qui se trouve à
l'étranger ...» [c'est moi qui souligne].
Bien entendu, l'idée de droit d'établissement
implique nécessairement celle d'intention, de la
part du requérant, de résider de façon permanente
au Canada.
L'alinéa c) précité donne de l'expression «rési-
dent permanent» une définition fort peu satisfai-
sante, car l'expression «résident permanent» est
reprise* pour définir «résident permanent». Ce
n'est pas seulement une redondance, mais aussi
une absurdité que d'énoncer, dans la définition
d'un statut juridique, que le titulaire conserve son
statut tant qu'il ne l'a pas perdu. Je ne peux donc
m'empêcher de croire que cela ne fait pas vraiment
partie de la définition du statut, mais vise plutôt à
préciser qu'il ne s'agit pas d'un statut inviolable
tout en donnant l'un des motifs de déchéance de ce
dernier.
* N.D.T.: Dans la version anglaise seulement.
Voici les parties pertinentes de l'article 24:
24. (1) Sont déchues de leur statut de résident permanent
les personnes
a) qui quittent le Canada ou demeurent à l'étranger avec
l'intention de renoncer à considérer le Canada comme lieu de
leur résidence permanente;
(2) Le résident permanent qui se trouve à l'étranger plus de
cent quatre-vingt-trois jours au cours d'une période de douze
mois est réputé avoir renoncé à considérer le Canada comme
son lieu de résidence permanente, sauf s'il établit le contraire à
la satisfaction d'un agent d'immigration ou d'un arbitre, selon
le cas. [C'est moi qui souligne.]
On a fait remarquer que la définition de «rési-
dent permanent» à l'article 2(1) ne réfère qu'à
l'article 24(1) et non à l'article 24(2). Même sans
faire partie intégrante de la définition de résident
permanent, ce dernier paragraphe affecte les con
ditions d'application du paragraphe 24(1), puis-
qu'il prévoit que tout résident permanent qui aura
passé à l'étranger plus de 183 jours au cours d'une
période de douze mois aura la charge d'établir, à
son retour, qu'il n'avait pas l'intention de renoncer
à considérer le Canada comme le lieu de sa rési-
dence permanente.
L'article 72 est ainsi rédigé:
72. (1) Toute personne frappée par une ordonnance de
renvoi qui est soit un résident permanent, autre qu'une per-
sonne ayant fait l'objet du rapport visé au paragraphe 40(1),
soit un titulaire de permis de retour valable et émis conformé-
ment aux règlements, peut interjeter appel à la Commission en
invoquant l'un ou les deux motifs suivants:
a) un moyen d'appel comportant une question de droit ou de
fait ou une question mixte de droit et de fait;
b) le fait que, compte tenu des circonstances de l'espèce, elle
ne devrait pas être renvoyée du Canada.
(2) Toute personne, frappée par une ordonnance de renvoi,
qui
a) n'est pas un résident permanent mais dont le statut de
réfugié au sens de la Convention a été reconnu par le
Ministre ou par la Commission, ou
b) demande l'admission et était titulaire d'un visa en cours de
validité lorsqu'elle a fait l'objet du rapport visé au paragra-
phe 20(1),
peut, sous réserve du paragraphe (3), interjeter appel à la
Commission en invoquant l'un ou les deux motifs suivants:
c) un moyen d'appel comportant une question de droit ou de
fait ou une question mixte de droit et de fait;
d) le fait que, compte tenu de considérations humanitaires ou
de compassion, elle ne devrait pas être renvoyée du Canada.
(3) Lorsqu'une personne, visée aux alinéas (2)a) ou b), est
frappée d'une ordonnance d'expulsion et
a) a fait l'objet d'une attestation visée au paragraphe 39(1),
ou
b) appartient, selon la décision d'un arbitre, à une catégorie
non admissible visée aux alinéas 19(1 )e), J) ou g),
elle ne peut interjeter appel à la Commission qu'en se fondant
sur un motif d'appel comportant une question de droit ou de
fait ou une question mixte de droit et de fait.
Les paragraphes (1) et (2) de l'article 72 pré-
voient le cas d'une ordonnance de renvoi, et le
paragraphe (3) celui d'une ordonnance d'expul-
sion. D'après l'article 2(1), l'ordonnance de renvoi
englobe l'ordonnance d'exclusion aussi bien que
l'ordonnance d'expulsion. Le paragraphe (1) de
l'article 72 accorde un droit d'appel au résident
permanent et au titulaire d'un permis de retour
valable. Le résident permanent a le droit d'obtenir
un permis de retour valable avant de quitter le
pays. Mais il n'a pas droit d'appel en vertu de ce
paragraphe s'il fait l'objet de rapports en matière
de sécurité ou de criminalité. Si cette exception
n'est pas applicable au titulaire d'un permis de
retour valable, c'est probablement parce que le
permis aura été annulé si les enquêtes le justifient.
Le paragraphe (2) traite des appels ouverts au
réfugié au sens de la Convention ou au titulaire
d'un visa en cours de validité contre lequel un
agent d'immigration a fait un rapport énonçant
qu'il n'est pas légalement admissible. Enfin, le
paragraphe (3) s'applique aux personnes qui, bien
qu'elles appartiennent à la même catégorie que
celles visées au paragraphe (2), ont été frappées
d'une ordonnance d'expulsion plutôt que d'une
ordonnance de renvoi et ont fait l'objet d'une
attestation du Ministre et du solliciteur général sur
le fondement de rapports secrets en matière de
sécurité ou de criminalité ou ont été jugées inad-
missibles par l'arbitre à cause de leurs activités
d'espionnage ou de subversion ou de leur tendance
à la violence, etc.
Pour chacune des trois catégories d'appelants,
l'article 72 prévoit des moyens d'appel différents.
D'où il suit que la Commission d'appel de l'immi-
gration doit décider dans quelle catégorie un appe-
lant tombe avant de pouvoir déterminer la nature
et l'étendue de sa compétence dans le cas consi-
déré. Ainsi, pour qu'un appel fondé sur l'article
72(1) soit recevable, la Commission doit s'assurer
que l'appelant tombe bien dans l'un des deux cas
qui y sont mentionnés. La question de savoir si une
personne est un résident permanent est donc, en ce
qui concerne sa compétence, essentielle à trancher
pour la Commission.
En l'espèce, l'appelant soutient que la Commis
sion ne peut déterminer si une personne ayant fait
l'objet d'une enquête est un résident permanent
dans le cas où un agent d'immigration ou un
arbitre ont, en application de l'article 24(2),
conclu qu'elle avait perdu ce statut. Même si cela
était, il n'en resterait pas moins que, dans le cas
d'une personne qui ne s'est pas absentée plus de
183 jours, rien n'empêche la Commission de déter-
miner si une personne a ou n'a pas perdu le statut
de résident permanent en vertu de l'article
24(1)a).
Les permis de retour peuvent être délivrés pour
des périodes de plus de 183 jours. Par conséquent,
le résident permanent qui, avant de quitter le
Canada, prend la précaution d'obtenir un permis
de retour et qui, lorsqu'il reste après une absence
de plus de 183 jours, ne peut convaincre l'agent
d'immigration ou l'arbitre qu'il n'a pas renoncé à
considérer le Canada comme son lieu de résidence
permanente, jouit d'un droit d'appel inconditionnel
en application de l'article 72(1) qui prévoit que
«Toute personne frappée par une ordonnance de
renvoi qui est ... titulaire de permis de retour
valable . .. peut interjeter appel ...». Donc, si l'on
retenait la thèse de l'appelant, le seul résident
permanent qui perdrait son droit d'appel en vertu
de l'article 72(1) serait celui qui, sans avoir obtenu
de permis de retour avant de quitter le pays, se
serait trouvé à l'étranger plus de 183 jours et ne
pourrait, à son retour, convaincre l'agent d'immi-
gration ou l'arbitre de sa constante intention de
revenir à titre de résident permanent. Une telle
personne serait non seulement privée du droit d'ap-
pel prévu à l'article 72(1) mais de tout droit
d'appel puisqu'elle ne serait sans doute pas un
réfugié au sens de la Convention et qu'elle ne
pourrait, se présentant à la frontière comme une
personne ayant le droit d'entrer au pays, produire
de visa conformément à l'article 9(1). Par contre,
si la même personne avait pris la précaution d'ob-
tenir un permis de retour avant de quitter le pays,
elle garderait un droit absolu d'interjeter appel en
vertu de l'article 72(1), quelles qu'aient été ses
actions et déclarations à l'étranger.
La seule justification possible d'une aussi étroite
exclusion serait que l'article 24(2) spécifie que,
pour rentrer au Canada, le requérant doit établir
son droit au statut de résident permanent à la
satisfaction d'un agent d'immigration ou d'un arbi-
tre, plutôt que dire simplement qu'il doit justifier
de ce droit, sans préciser devant qui.
L'argument que l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10,
permet cependant à une telle personne de deman-
der à cette Cour d'examiner la décision de l'agent
d'immigration ou de l'arbitre n'emporte pas l'ad-
hésion, compte tenu du caractère très limité des
motifs pour lesquels une décision est susceptible
d'être annulée en application de cet article.
Cette question a été examinée, dans une certaine
mesure, par la Cour suprême du Canada dans
Gana c. Le Ministre de la Main-d'oeuvre et de
l'Immigration 4 et, plus tard, par la présente Cour
dans l'arrêt Srivastava c. Le ministre de la Main-
d'oeuvre et de l'Immigrations. Malgré que les
questions de droit et de fait concernées diffèrent,
ces deux arrêts ont examiné le même principe
juridique, à savoir que l'obligation pour une per-
sonne donnée de statuer sur certaines questions ne
restreint pas ce qui peut être considéré comme un
droit général d'appel. Dans cette mesure, ces deux
arrêts peuvent aider à la solution de la présente
espèce.
4 [1970] R.C.S. 699.
5 [1973] C.F. 138.
Dans l'affaire Gana, voici ce que dit le juge
Spence, au nom de la Cour, à la page 708:
Les articles 11 et 14 de la Loi sur la Commission d'appel de
l'immigration, 1966-67 (Can.), c. 90, définissent la compétence
de la Commission d'appel de l'immigration. L'article 11 décrète
qu'une personne contre qui une ordonnance d'expulsion a été
rendue aux termes des dispositions de la Loi sur l'immigration
peut, en se fondant sur un motif d'appel qui implique une
question de droit ou une question de fait, ou une question mixte
de droit et de fait, interjeter appel à la Commission. L'article
14(c) décrète que la Commission peut statuer sur un appel
prévu à l'art. 11 ou à l'art. 12 en prononçant la décision et en
rendant l'ordonnance que l'enquêteur spécial qui a présidé
l'audition aurait dû prononcer et rendre. La Commission d'ap-
pel de l'immigration a donc le droit de rendre toute ordonnance
que peut rendre l'enquêteur spécial et, comme je l'ai signalé, en
vertu de l'art. 11(2) de la Loi sur l'immigration, l'enquêteur
spécial a le pouvoir d'examiner la question de savoir si une
personne doit être admise à entrer au Canada ou à y demeurer
ou si elle doit être expulsée, et celui de statuer en l'espèce.
Il poursuit à la page 709:
On a prétendu de la part du ministre que les premiers mots
de l'alinéa (/) du paragraphe (3) de l'article 34 du Règlement
«si un fonctionnaire à l'immigration est d'avis» interdisent toute
révision. Je ne suis pas d'avis que ces mots du Règlement font
obstacle à la révision de l'opinion du fonctionnaire à l'immigra-
tion, dans l'accomplissement du devoir statutaire imposé à
l'enquêteur spécial par différentes dispositions de la Loi sur
l'immigration. A mon avis ces mots signifient simplement que
le fonctionnaire à l'immigration doit faire l'appréciation du
requérant, mais non que sa conclusion est définitive et sans
appel.
Dans l'arrêt Srivastava, le juge en chef Jackett
s'exprime ainsi à la page 159:
A mon avis, le bien-fondé de la décision de la Commission
tourne autour de la question de savoir si l'expression «suivant
l'opinion d'un enquêteur spécial» vise, comme la Commission
semble l'avoir pensé, à conférer à l'enquêteur un certain pou-
voir discrétionnaire ou si elle n'est qu'un simple rappel du fait
que c'est ce fonctionnaire qui est le premier à déterminer si la
personne qui désire entrer au Canada est réellement (de bonne
foi), comme elle le prétend, un «immigrant» ou un «non-immi
grant». A mon avis, la jurisprudence résout la question. Je ne
vois aucune différence entre le droit qu'a l'appelant de faire
examiner par la Commission d'appel de l'immigration une
décision que l'enquêteur spécial prend en vertu de l'article 5p)
et celui qu'il a de faire examiner de la même façon une décision
que le fonctionnaire à l'immigration prend en vertu de la Règle
34(3)f). Aux termes de la Règle 34(3), l'une des conditions
d'admission en résidence permanente est que le fonctionnaire à
l'immigration doit être d'«avis» que le demandeur aurait été
admis au Canada s'il avait subi l'examen hors du Canada.
L'article 59(1) de la Loi sur l'immigration de
1976 stipule qu'en matière d'appel fondé sur l'arti-
cle 72, la Commission a «compétence exclusive ...
pour entendre et juger sur des questions de droit et
de fait, y compris des questions de compétence,
relatives à la confection d'une ordonnance de
renvoi ... H.
Compte tenu des larges pouvoirs de la Commis
sion en matière d'appel concernant différentes
catégories de personnes demandant à entrer au
Canada, j'estime que si le Parlement avait eu
l'intention de conférer à l'arbitre le pouvoir de
statuer sans appel sur le point de savoir si une
personne telle que l'intimé à l'instance a perdu son
statut de résident permanent et tous les droits y
attachés, il l'aurait fait de façon claire et précise et
ne se serait pas borné à déclarer, comme à l'article
24(2), que la personne concernée doit établir à la
satisfaction d'un agent d'immigration ou d'un arbi-
tre qu'elle n'a pas renoncé à considérer le Canada
comme son lieu de résidence permanente.
Pour ces motifs, j'estime que la Commission est
compétente en vertu de l'article 72(1) pour annu-
ler la décision par laquelle l'arbitre a, en applica
tion de l'article 24(2), refusé à une personne qui
jouissait certainement du statut de résident perma
nent le droit de rentrer au Canada comme tel.
Comme l'avocat de l'appelant admet que l'appel
porte exclusivement sur la question de compétence
et la Commission était fondée, compte tenu de la
preuve devant elle, à conclure que l'intimé à l'ins-
tance n'avait jamais eu l'intention de renoncer à
considérer le Canada comme son lieu de résidence
permanente, je rejetterais l'appel et je confirmerais
les conclusions de la Commission.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT KERR: Pour les mêmes
motifs que le juge en chef et que le juge Addy,
j'estime qu'il y a lieu de rejeter l'appel.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.