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T-6148-79
Marcel Piche, Robert Machatis, John N. A. Jan- vier, Nora Machatis, Walter Loth, Francis Scanie et Amable Scanie, agissant en leur nom personnel et en celui du conseil de la bande indienne de Cold Lake, des membres de la bande de Cold Lake 149 et 149(A) et 149(B), et de la bande de Cold Lake 149, 149(A) et 149(B) (Requérants)
c.
Cold Lake Transmission Limited et World Wide Energy Company Ltd. (Intimées)
Division de première instance, le juge suppléant Primrose—Edmonton, 24 et 28 décembre 1979.
Compétence Indiens Requête en injonction pour inter- dire aux défenderesses de pénétrer dans la réserve indienne de Cold Lake pour la construction d'un pipeline Il échet d'examiner si la Cour fédérale a compétence pour connaître de l'action Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, S.C. 1974-75-76, c. 15 Règlement sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, DORS/77-330 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2» Supp.), c. 10, art. 17, 18.
Les demandeurs sollicitent une injonction interdisant aux défenderesses de pénétrer dans la réserve indienne de Cold Lake. Celles-ci ont commencé la construction d'un pipeline devant traverser la réserve et ont fait une demande de droit de passage auprès des autorités compétentes du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, mais ce droit n'était pas encore accordé au commencement des travaux. Les défen- deresses ont déposé un acte de comparution conditionnelle afin de contester la compétence de la Cour au motif que la question du droit de passage sur une terre située dans la province de l'Alberta relève des tribunaux provinciaux et que rien dans la Loi sur la Cour fédérale ne permet à cette dernière de connaî- tre de cette action. Les demandeurs soutiennent que la Cou- ronne a la possession des terres du fait qu'elle peut exercer sur celles-ci certains pouvoirs comme, en l'espèce, celui d'accorder un droit de passage en vertu du Règlement d'application de la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, lequel pouvoir échappe aux Indiens et à la bande, et que la compétence de la Cour fédérale découle de l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale.
Arrêt: la requête est rejetée. Il n'y a pas de cause d'action fondée sur le droit fédéral existant. Sous le régime du Règle- ment sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, la seule procédure prévue a trait à l'acquisition des droits de surface. Avant d'exercer ces droits, il faut obtenir du gestionnaire un contrat en la matière, ce qui n'a pas encore été fait en l'espèce. Il faut donner au mot «possession» son sens usuel qui comporte l'idée d'occupation. Or, en l'espèce, ce sont les Indiens et leur bande qui occupent les terres, et non la Couronne. Attendu que la Cour est une cour créée par une loi et que sa compétence découle de la Loi sur la Cour fédérale, elle n'est pas compé- tente en l'espèce pour connaître de la requête en injonction.
Arrêts suivis: Sunday c. L'Administration de la voie mari time du Saint-Laurent [1977] 2 C.F. 3; Alda Enterprises Ltd. c. La Reine [1978] 2 C.F. 106. Distinction faite avec l'arrêt: La Reine c. Rhine [1979] 2 C.F. 651.
REQUÊTE. AVOCATS:
R. F. Roddick et C. Wood pour les requérants.
S. D. Hillier et G. W. Sharek pour les intimées.
PROCUREURS:
Lefsrud, Cunningham, Patrick & Roddick,
Edmonton, pour les requérants.
Field, Owen, Edmonton, pour les intimées.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT PRIMROSE: Les deman- deurs sollicitent une injonction interdisant aux défenderesses de pénétrer ou autrement s'intro- duire dans la réserve indienne de Cold Lake, et d'y entreprendre des travaux d'excavation. Les défen- deresses ont soulevé la question préalable de la compétence de la Cour et déposé un acte de com- parution conditionnelle.
Le dossier comprend des affidavits versés par l'avocat des demandeurs. Il en ressort que ces derniers sont membres de la bande de Cold Lake 149, 149(A) et 149(B) et qu'ils agissent en leur nom personnel et en celui du conseil de la bande indienne de Cold Lake et des membres de celle-ci. Cette bande est composée d'Indiens, à l'usage et au profit communs desquels des terres, dont le titre juridique de propriété est attribué à Sa Majesté, ont été mises de côté dans la partie nord-est de l'Alberta, et que j'appellerai ci-après la «réserve».
En décembre 1979, les défenderesses ont com- mencé la construction d'un pipeline traversant la réserve indienne de Cold Lake. Pour ce faire, elles ont pénétré dans la réserve et y ont effectué cer- tains travaux préparatoires. La Cour a été avisée que les travaux étaient actuellement suspendus et qu'il était urgent qu'une décision rapide soit rendue en ce qui concerne la demande d'injonction. Il ressort de la déclaration que les défenderesses ont fait la sourde oreille aux appels répétés lancés par le chef et les conseillers de la bande pour
qu'elles cessent la construction du pipeline et qu'el- les quittent la réserve.
La procédure régissant l'accès aux réserves indiennes est énoncée dans la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, S.C. 1974-75-76, c. 15 et dans le Règlement sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, C.P. 1977-1057 [DORS/77-330], en date du 22 avril 1977. Voici le libellé de l'article 28 dudit Règlement:
28. (1) Toute personne désirant des droits de superficie sur des terres indiennes pour l'exploitation de pétrole ou de gaz autrement que selon l'article 5 doit, avant d'exercer ces droits, présenter, dans une forme approuvée par le gestionnaire, une demande pour obtenir un contrat quant à ces droits.
(2) Avec la permission du conseil de bande concerné et la personne occupant légalement la terre ces droits sont demandés, le requérant peut cependant obtenir un droit de passage pour effectuer des essais, déterminer l'emplacement des installations éventuelles, arpenter ou accomplir d'autres travaux nécessaires à sa demande.
(3) Le requérant
a) remet au conseil de bande concerné, au gestionnaire, à la personne occupant légalement la terre et au bureau de district du ministère, un exemplaire de la demande et un plan d'arpentage établi selon l'article 32;
b) négocie avec ce conseil et cette personne, les indemnités à payer pour les dommages subis, notamment ceux résultant de la subdivision des lieux, les inconvénients et le dérangement, la redevance fixe, s'il y a lieu, et toutes les autres conditions spéciales requises par lui, ce conseil ou cette personne; et
e) sur approbation de la demande par ce conseil et cette personne, remet au gestionnaire
(i) l'indemnité payable pour ces droits,
(ii) quatre exemplaires de la demande approuvée par le requérant, ce conseil et cette personne, et
(iii) une copie sur pellicule à base de polyester et six imprimés du plan d'arpentage préparé selon l'article 32.
(4) Si le gestionnaire est convaincu que la documentation reçue est complète, que le requérant a besoin d'un tel contrat pour jouir des droits obtenus en vertu d'un bail ou d'un permis et que ce contrat ne portera pas atteinte aux intérêts du conseil de bande concerné ou de la personne occupant légalement le terrain, il consent au contrat dans une forme qu'il approuve.
(5) Ce contrat est pour une des périodes qui, de l'avis du gestionnaire, sont nécessaires pour permettre l'extraction, le transport et le traitement du pétrole ou du gaz concerné.
Il ressort de l'affidavit d'Ed Moore, de Calgary, le gestionnaire des ressources minérales de l'Al- berta (ainsi désigné en vertu de la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes et le Règle- ment y afférent) que le 14 décembre 1979 la défenderesse Cold Lake Transmission Ltd. a déposé une demande de droit de passage dans la réserve indienne de Cold Lake 149 et que cette demande a été soumise aux autorités compétentes du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et à l'arpenteur en chef du Canada. L'affidavit mentionne en outre qu'aucun droit de passage n'avait été accordé au 19 décembre 1979 et que le traitement d'une telle demande exige approximativement six semaines.
Les défenderesses prétendent que la question du droit de passage sur une terre située dans la pro vince de l'Alberta relève des tribunaux provinciaux et que rien dans la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 10, ne permet à cette dernière de connaître d'une telle action. L'article 18 de cette Loi est ainsi conçu:
18. La Division de première instance a compétence exclusive en première instance
a) pour émettre une injonction, un bref de certiorari, un bref de mandamus, un bref de prohibition ou un bref de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire, contre tout office, toute commission ou tout autre tribunal fédéral; et
b) pour entendre et juger toute demande de redressement de la nature de celui qu'envisage l'alinéa a), et notamment toute procédure engagée contre le procureur général du Canada aux fins d'obtenir le redressement contre un office, une commission ou à un autre tribunal fédéral.
Les défenderesses s'appuient sur l'affaire Sunday c. L'Administration de la voie maritime du Saint-Laurent [1977] 2 C.F. 3, la Cour s'est ainsi exprimée la page 9):
Quant à l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale, l'avocat des demandeurs soutient qu'en autant que la Couronne fédérale est une défenderesse, cela suffit pour donner compétence à la Cour, quelles que soient l'identité ou la qualité des autres défenderesses. A mon sens, cette prétention est erronée. Le fait qu'une défenderesse ait été constituée partie avec les autres défenderesses qui sont de bon droit parties à l'instance, n'a pas pour effet de donner à la Cour compétence à son égard. Je souscris aux commentaires du juge Collier dans l'arrêt Anglo - photo Limited c. Le «Ikaros» ([1973] C.F. 483), auxquels le juge Heald s'est reporté en les approuvant dans l'affaire Desbiens c. La Reine ([1974] 2 C.F. 20) [voir page 498]:
Et à la page 11:
Il est clair que la compétence de la présente Cour est établie par la loi et sa compétence à l'égard d'une action particulière
doit découler de la Loi sur la Cour fédérale ou d'une autre loi habilitante. Je ne pense pas qu'aucune des dispositions auxquel- les on m'a renvoyé ni aucune autre dont j'aie connaissance autorise cette Cour à accueillir ou à entendre la demande dont fait état l'action intentée contre Hydro -Ontario. (Voir aussi: Union Oil Co. of Canada Ltd. c. La Reine [1976] 1 C.F. 74.)
Les défenderesses s'appuient aussi sur l'affaire Mathias c. Findlay [1978] 4 W.W.R. 653 dans laquelle le chef et les membres du conseil de bande d'une bande indienne ont, à titre de représentants, cherché à faire reconnaître en justice leur droit de possession sur certaines terres de la réserve occu- pées par les défendeurs. A cet égard, ils ont demandé une injonction interlocutoire ordonnant aux défendeurs de quitter les terres en cause; pour leur part, ces derniers ont soutenu que, puisque les terres de la réserve appartenaient à la Couronne, seule la Cour fédérale était compétente. Le juge Berger a accordé l'injonction et décidé que la bande et non la Couronne était possesseur des terres et que, par conséquent, la bande avait eu raison de se présenter devant la Cour suprême provinciale. En l'espèce, il se présente la même situation: Sa Majesté est propriétaire des terres en cause mais les défenderesses soutiennent que la bande en est le possesseur et que, par conséquent, la Cour fédérale n'est pas compétente.
Dans Alda Enterprises Ltd. c. La Reine [1978] 2 C.F. 106, le juge Collier a tenu les propos suivants la page 109):
Les défendeurs ont prétendu que la Cour fédérale n'avait pas compétence pour entendre la réclamation de la Couronne. La Cour suprême du Canada a confirmé cette prétention. Elle a renvoyé à son raisonnement antérieur dans l'arrêt Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Limitée ([1977] 2 R.C.S. 1054)* en le précisant: la compétence de la Cour fédérale repose sur la condition préalable de
. l'existence d'une législation fédérale applicable sur laquelle on puisse fonder les procédures. Il ne suffit pas que le Parlement du Canada puisse légiférer sur un domaine dont relève la question soumise à la Cour fédérale. (McNamara, à la page 658.) [C'est moi qui souligne.]
La Cour a conclu qu'il n'existait pas de loi fédérale sur laquelle la demanderesse aurait pu appuyer sa réclamation. L'action a été rejetée.
* Voir les décisions suivantes dans lesquelles le principe établi dans Quebec North Shore a été appliqué: Blanchette c. C.N. [1977] 2 C.F. 431; McGregor c. La Reine [1977] 2 C.F. 520; La Reine c. Canadian Vickers Ltd. (non publiée, du greffe: T-1453-74—motifs du 22 juin 1977); Skaarup Shipping Corp. c. Hawker Industries Ltd. (n° du greffe: T-1648-77— motifs du 26 septembre 1977).
Après avoir examiné la jurisprudence, l'éminent juge en est arrivé à la conclusion que le critère applicable à la question de compétence consiste à s'interroger sur la compétence de la Cour fédérale pour connaître de la réclamation en cause si cel- le-ci était déposée contre un seul défendeur plutôt que d'être greffée sur une action intentée contre d'autres défendeurs qui, eux, sont régulièrement soumis à la compétence de la Cour. En cette espèce, le savant juge a conclu que la Cour fédé- rale n'était pas compétente.
Les demandeurs soutiennent que la Couronne a la possession des terres du fait qu'elle peut exercer sur celles-ci certains pouvoirs comme, en l'espèce, celui d'accorder un droit de passage en vertu du Règlement pris en application de la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, lequel pou- voir échappe, de toute évidence, aux Indiens et à la bande. C'est pourquoi, selon eux, la Cour fédérale acquiert compétence en vertu de l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale. De plus, ils font valoir que s'il est reconnu que les Indiens ont la posses sion de ces terres, le Ministre partagerait tout au moins cette possession avec eux. Toutefois, les défenderesses soulignent pour leur part que, dans cette éventualité, le Ministre aurait être consti- tué partie demanderesse à l'action, ce qui, bien entendu, n'a pas été fait.
Les défenderesses s'appuient sur l'affaire La Reine c. Rhine [1979] 2 C.F. 651, la question de la compétence de la Cour fédérale fut abordée à la lumière de la jurisprudence. Dans cette affaire, la Division de première instance avait conclu que la Cour fédérale n'avait pas compétence pour con- naître de l'action en vertu de l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale parce que l'action n'était pas fondée sur le droit fédéral existant. Toutefois, la Cour d'appel a jugé que les paiements anticipés en cause, faits par l'entremise de l'intimé, avaient été effectués conformément à la Loi sur les paiements anticipés pour le grain des Prairies, S.R.C. 1970, c. P-18 et que l'intimé avait négligé de les rem- bourser. Le juge Heald s'est exprimé en ces termes la page 658):
Je ne suis pas d'accord avec l'opinion du savant juge de première instance que l'obligation de l'emprunteur naît de sa promesse contractuelle de rembourser. Si je comprends bien le savant juge de première instance, il est d'avis que c'est l'enga- gement qui impose l'obligation de rembourser alors que, selon moi, l'obligation de rembourser et la méthode de rembourse-
ment découlent de la Loi et du Règlement y afférent, et non de la promesse contractuelle. J'estime que cette opinion a égale- ment pour fondement l'article 14 de la Loi visée qui prévoit que: «Lorsqu'un producteur est en défaut, toutes procédures contre lui, pour assurer l'exécution de son engagement, peuvent être prises au nom de la Commission ou au nom de Sa Majesté.» Je rejette également l'opinion du savant juge de première instance que la réclamation de l'appelante est en tous points semblable à la réclamation de la Couronne fondée sur un cautionnement dans l'affaire McNamara (précitée): cette opi nion vient de sa conviction que la Loi visée ne «comporte aucune [disposition] régissant l'exécution de l'engagement» [page 364]. A mon avis, la Loi visée comporte des dispositions précises régissant l'exécution de l'engagement. Outre les arti cles de la Loi visée et du Règlement énoncés plus haut, il faut mentionner le paragraphe 13(1) de la Loi qui établit les circonstances dans lesquelles un emprunteur est réputé en défaut. Ce paragraphe se lit ainsi:
La Cour a conclu que la Loi visée établissait la méthode de remboursement, la promesse de rem- bourser, le défaut lui-même et le droit d'obtenir paiement, et que la cause d'action tout entière était une création de la Loi visée et du Règlement y afférent, de sorte qu'il n'y avait aucun doute que la Cour fédérale était compétente. Toutefois, il faut distinguer cette affaire de la présente, même si les demandeurs soutiennent le contraire en affirmant que l'objet de la présente demande relève du droit fédéral, que Sa Majesté est indubitablement pro- priétaire des terres en cause et que, par consé- quent, en vertu de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, c. I-6 il incombe au Ministre d'accomplir certaines choses prévues par le Règlement susmentionné.
Si j'établis une distinction entre la présente demande et l'affaire Rhine c'est parce que dans Rhine, la cause d'action découlait spécifiquement de la Loi et des règlements fédéraux dans lesquels était établie la procédure tout entière, tandis qu'en l'espèce, sous l'empire du Règlement en cause, la seule procédure exposée à grands traits est celle relative à l'acquisition de droits de superficie. Il est clair qu'avant d'exercer de tels droits, il faut obte- nir du gestionnaire un contrat quant à ces droits, ce qui, en l'espèce, n'a pas été fait ou n'est pas encore fait. Par conséquent, qui est possesseur des terres en cause: la Couronne ou les Indiens? A mon avis, il faut donner au mot «possession» son sens usuel qui comporte l'idée d'occupation. Or, en l'espèce, ce sont les demandeurs et leurs bandes qui occupent les terres.
Par conséquent, j'en suis arrivé à la conclusion que, puisque la présente Cour est une cour créée en vertu d'une loi et que sa compétence découle de la Loi sur la Cour fédérale, elle n'est pas compétente pour connaître de la présente demande. La demande d'injonction est donc rejetée avec dépens et la déclaration sera radiée.
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