A-605-79
Plough (Canada) Limited (Appelante) (Intimée)
c.
Aerosol Fillers Inc. (Intimée) (Appelante)
Cour d'appel, le juge en chef Thurlow, les juges
Heald et Urie—Ottawa, 24 et 25 septembre, 20
octobre 1980.
Marques de commerce — Radiation — Appel contre un
jugement de la Division de première instance ordonnant la
radiation de la marque de commerce PHARMACO - Preuve
relative à l'«emplob — Faute de décrire ce qui est appelé
emploi et d'énoncer les faits conformément à l'art. 44(3) de la
Loi sur les marques de commerce — Faute de fournir les
preuves au sens de l'art. 44(3) — Appel rejeté — Loi sur les
marques de commerce, S.R.C. 1970, c. T-10, art. 44.
Appel interjeté d'un jugement de la Division de première
instance qui a accueilli l'appel d'une décision rendue par le
registraire des marques de commerce conformément à l'article
44 de la Loi sur les marques de commerce, ordonnant la
radiation de l'enregistrement de la marque de commerce PHAR-
MACO employée par l'appelante. En ce qui concerne l'affidavit
déposé par l'appelante en réponse à l'avis notifié parle regis-
traire en application du paragraphe 44(1) de la Loi, le juge de
première instance a statué que les simples affirmations conte-
nues dans l'affidavit, selon lesquelles l'appelante «emploie» et
«employait» la marque de commerce déposée, constituent des
conclusions sur une question de droit qu'elle n'était pas en droit
de tirer. Le juge de première instance a également statué que
l'affidavit était incomplet en ce qu'il ne révélait rien sur l'em-
ploi de la marque de commerce antérieurement à la date de
l'avis donné conformément à l'article 44. Suivant l'avocat de
l'appelante, le contenu de l'affidavit répondait bien aux exigen-
ces de la Loi et le registraire pouvait seulement en conclure que
rien n'établissait que la marque de commerce n'était pas
employée au Canada.
Arrêt: l'appel est rejeté. Le paragraphe 44(1) prévoit le dépôt
d'un affidavit «indiquant», et non seulement énonçant, si la
marque de commerce est employée, c'est-à-dire décrivant l'em-
ploi de cette marque de commerce au sens de la définition de
l'expression «marque de commerce» à l'article 2 et du terme
«emploi» à l'article 4. Cela a pour but d'informer le registraire
quant à l'emploi de la marque de commerce afin que lui et la
Cour, s'il y a appel, puissent apprécier la situation et appliquer,
le cas échéant, la règle de fond énoncée au paragraphe 44(3).
Cet affidavit ne fournit pas tous les renseignements demandés
en ce qu'il ne fait aucune distinction entre les préparations
pharmaceutiques en liaison avec lesquelles la marque est
employée et celles avec lesquelles elle ne l'est pas. Il omet de
décrire l'emploi qui est fait de la marque de commerce, c'est-à-
dire, dans le cas de marchandises, l'emploi tel que visé à
l'article 4. Il ne dit pas de quelle façon la marque de commerce
est employée, ni dans quel sens le terme est employé. On ne
peut conclure que les affirmations contenues dans cet affidavit
constituent des conclusions sur une question de droit car cet
affidavit est ambigu. Puisque l'affidavit ne contient pas les
renseignements prévus au paragraphe 44(1) et dans l'avis du
registraire délivré en application de ce paragraphe, cela équi-
vaut à une «omission de fournir une telle preuve„ au sens du
paragraphe 44(3). Cette omission justifie la conclusion que la
marque de commerce n'est pas employée au Canada.
Arrêts mentionnés: Broderick & Bascom Rope Co. c. Le
registraire des marques de commerce (1970) 62 C.P.R.
268; John Labatt Ltd. c. The Cotton Club Bottling Co.
(1976) 25 C.P.R. (2') 115.
APPEL.
AVOCATS:
John C. Osborne, c.r. et Rose-Marie Perry
pour l'appelante.
Samuel Godinsky, c.r. et Richard Uditsky
pour l'intimée.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour l'appe-
lante.
Greenblatt, Godinsky, Uditsky, Montréal,
pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: Il s'agit d'un
appel interjeté contre un jugement de la Division
de première instance [[1980] 2 C.F. 338] qui a
accueilli l'appel d'une décision du registraire des
marques de commerce rendue conformément à
l'article 44' de la Loi sur les marques de com
merce, S.R.C. 1970, c. T-10, et ordonné la radia
tion de l'enregistrement de la marque de com
merce PHARMACO (n° 115,881) employée par
l'appelante.
I 44. (1) Le registraire peut, à tout moment, et doit, sur la
demande écrite présentée après trois années à compter de la
date de l'enregistrement, par une personne qui verse les droits
prescrits, à moins qu'il ne voie une raison valable à l'effet
contraire, donner au propriétaire inscrit un avis lui enjoignant
de fournir, dans les trois mois, un affidavit ou une déclaration
statutaire indiquant, à l'égard de chacune des marchandises ou
de chacun des services que spécifie l'enregistrement, si la
marque de commerce est employée au Canada et, dans la
négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et
la raison de son défaut d'emploi depuis cette date.
(2) Le registraire ne doit recevoir aucune preuve autre que
cet affidavit ou cette déclaration statutaire, mais il peut enten-
dre des représentations faites par ou pour le propriétaire inscrit
de la marque de commerce, ou par ou pour la personne à la
demande de qui l'avis a été donné.
(3) Lorsqu'il apparaît au registraire, en raison de la preuve à
lui fournie ou de l'omission de fournir une telle preuve, que la
Enregistrée en 1958 comme marque de com
merce de Pharmaco (Canada) Ltd. et destinée à
être employée en liaison avec des préparations
pharmaceutiques, cette marque fut transférée à
l'appelante en 1973. Le 7 septembre 1978, sur
demande écrite présentée par l'intimée le 6 juillet
1978, le registraire a, conformément au paragra-
phe 44(1) de la Loi, donné à l'appelante un avis lui
enjoignant de fournir, dans les trois mois, un affi
davit ou une déclaration statutaire indiquant, à
l'égard de chacune des marchandises ou de chacun
des services que spécifie l'enregistrement, si la
marque de commerce est employée au Canada et,
dans la négative, la date où elle a été ainsi
employée en dernier lieu et la raison de son défaut
d'emploi depuis cette date.
A cela, l'appelante a répondu par un affidavit de
son président déclarant:
[TRADUCTION] 2. QUE Plough (Canada) Limited emploie
actuellement et employait au 7 septembre 1978, la marque de
commerce déposée PHARMACO dans la pratique normale du
commerce en liaison avec des préparations pharmaceutiques.
Le registraire a rendu sa décision sous forme de
lettre qui se lit en partie comme suit:
[TRADUCTION] Compte tenu de la preuve produite, il appert
que la marque de commerce déposée susmentionnée est
employée au Canada en liaison avec les marchandises et les
services que spécifie son enregistrement. Par conséquent, j'ai
décidé qu'il n'y a lieu ni de modifier ni de radier
l'enregistrement.
Toutefois, dans son jugement sur l'appel inter-
jeté contre cette décision du registraire, le savant
juge de la Division de première instance a statué [à
la page 342] que «les simples affirmations conte-
nues dans l'alinéa 2 de l'affidavit selon lesquelles,
l'intimée `emploie' et `employait ... la marque de
marque de commerce, soit à l'égard de la totalité des marchan-
dises ou services spécifiés dans l'enregistrement, soit à l'égard
de l'une quelconque de ces marchandises ou de l'un quelconque
de ces services, n'est pas employée au Canada, et que le défaut
d'emploi n'a pas été attribuable à des circonstances spéciales
qui le justifient, l'enregistrement de cette marque de commerce
est susceptible de radiation ou modification en conséquence.
(4) Lorsque le registraire en arrive à une décision sur la
question de savoir s'il y a lieu ou non de radier ou de modifier
l'enregistrement de la marque de commerce, il doit notifier sa
décision, avec les motifs pertinents, au propriétaire inscrit de la
marque de commerce et à la personne à la demande de qui
l'avis a été donné.
(5) Le registraire doit agir en conformité de sa décision si
aucun appel n'en est interjeté dans le délai prévu par la
présente loi ou, si un appel est interjeté, il doit agir en confor-
mité du jugement définitif rendu dans cet appel.
commerce déposée PHARMACO' constituent des
conclusions sur une question de droit que le décla-
rant n'était pas en droit de tirer et d'affirmer sous
serment comme s'il s'agissait d'une question de
fait», que cela, en soi, était suffisant pour entraîner
le rejet de l'appel mais qu'en outre, l'affidavit était
incomplet en ce qu'il ne révélait rien sur l'emploi
de la marque de commerce antérieurement air-7
septembre 1978, date de l'avis donné conformé-
ment à l'article 44, et qu'il n'y avait devant le
registraire aucune preuve capable de justifier sa
décision. Par conséquent, le savant juge de pre-
mière instance a accueilli l'appel et a ordonné la
radiation de l'enregistrement.
Si j'ai bien compris, la position défendue devant
cette Cour par l'avocat de l'appelante se résume
fondamentalement à ce que le contenu de l'affida-
vit répondait bien aux exigences de la Loi, qu'il
était conforme à la pratique depuis longtemps
établie au Bureau d'enregistrement des marques
de commerce et que le juge de première instance a
commis une erreur lorsqu'il a jugé ce contenu non
satisfaisant. L'avocat de l'appelante a également
allégué que le juge de première instance avait mal
compris la question en litige et n'avait pas abordé
le problème soulevé par l'application du paragra-
phe 44(3) quant à savoir si le registraire avait le
pouvoir de conclure, à la simple lumière du con-
tenu de l'affidavit, que cette marque de commerce
n'était pas employée au Canada. A cet égard, il
allègue que le registraire pouvait seulement con-
clure, à partir de l'affidavit, que rien n'établissait
que la marque de commerce n'était pas employée
au Canada.
Un certain nombre d'arrêts traitent du but et de
la portée de l'article 44, notamment les affaires Re
Wolfville Holland Bakery Ltd. 2 , The Noxzema
Chemical Co. of Canada Ltd. c. Sheran Manufac
turing Ltd. 3 et Broderick & Bascom Rope Co. c.
Le registraire des marques de commerce'. Il n'est
pas nécessaire de répéter ici ce qui a été dit dans
ces arrêts car l'analyse qu'on y a fait de l'article 44
constitue un exposé clair et pertinent de l'état du
droit. Dans l'affaire Broderick & Bascom Rope
Co. c. Le registraire des marques de commerce, le
2 (1965) 42 C.P.R. 88.
3 [1968] 2 R.C.É. 446, la p. 453.
4 (1970) 62 C.P.R. 268.
président Jackett (tel était alors son titre) a
résumé en ces termes le but de l'article 44 [aux
pages 276 et 277]:
[TRADUCTION] L'article 44 envisage en fait une procédure
simple pour débarrasser le registre des inscriptions de marques
de commerce qui ne sont pas revendiquées bona fide par leurs
propriétaires comme des marques de commerce en usage. Tout
ce que peut faire le registraire consiste à déterminer si la preuve
fournie par le propriétaire inscrit ou son omission de fournir
une telle preuve démontre que la marque de commerce est
employée ou qu'il existe des circonstances justificatives. C'est la
question que pose l'article 44. La décision du registraire ne
règle rien de façon définitive sauf la question de savoir si
l'inscription est susceptible de radiation ou non en vertu de
l'article 44.
Toutefois, l'on s'est fondé sur une expression
utilisée par le président Jackett dans l'affaire
Noxzema pour justifier ce qui, semble-t-il, est
devenu une pratique établie dans la préparation
des affidavits présentés en réponse aux avis déli-
vrés en vertu de l'article 44. Dans cette affaire, le
président Jackett, paraphrasant les prescriptions
de l'article 44, s'est exprimé en ces termes [à la
page 453]:
[TRADUCTION] En d'autres termes, l'article 44 fournit un
moyen de débarrasser le registre des enregistrements dont les
propriétaires inscrits ont cessé de revendiquer l'emploi. Un
propriétaire inscrit peut éviter qu'un tel sort soit réservé à son
enregistrement en déposant soit une simple déclaration d'em-
ploi de la marque de commerce, soit la raison du défaut
d'emploi de cette marque s'il avoue ne pas l'employer.
Il m'apparaît que, dans ce contexte, l'expression
«une simple déclaration d'emploi de la marque de
commerce» ne sert qu'à désigner ce que le proprié-
taire inscrit doit déposer. Il ne s'agit pas du tout
d'une inscription de ce qu'il faut faire pour démon-
trer que la marque est effectivement employée. A
mon avis, l'on ne peut à bon droit permettre que
cette expression soit interprétée de façon à ce que
l'emploi d'une marque de commerce puisse être
établi pour les fins de l'article 44 par un simple
énoncé portant que la marque est ou a été
employée 5 . Cette expression est tout à fait compa
tible avec les prescriptions de la Loi, et c'est à
celle-ci qu'il convient de se référer pour déterminer
ce que le propriétaire inscrit de l'enregistrement
est tenu de démontrer par son affidavit ou sa
déclaration, sans jamais oublier que cette procé-
5 A comparer aux commentaires du juge Cattanach dans
John Labatt Ltd. c. The Cotton Club Bottling Co. (1976) 25
C.P.R. (2°) 115, la p. 122.
dure a pour objet de débarrasser le registre des
inscriptions des marques de commerce dont les
propriétaires inscrits ne revendiquent plus de
bonne foi l'emploi. A mon avis, le fait que le
Bureau des marques de commerce ait admis ou
toléré des réponses semblables à celles en l'espèce
ou des réponses encore plus incomplètes ne consti-
tue pas un motif pour s'éloigner de l'esprit et de la
lettre de la Loi, tels qu'ils sont exprimés à l'article
44, lorsqu'il s'agit de décider si ces réponses sont
complètes et valables, même si, en l'espèce, cette
pratique du Bureau pourrait expliquer l'affidavit
incomplet produit devant le registraire.
Le paragraphe 44(1) exige qu'il soit fourni au
registraire un affidavit ou une déclaration statu-
taire «indiquant», et non simplement énonçant, si
la marque de commerce est employée, c'est-à-dire
décrivant l'emploi de cette marque de commerce
au sens de la définition de l'expression «marque de
commerce» à l'article 2 et de l'expression «emploi»
à l'article 4. Cela ressort clairement des termes du
paragraphe en question puisqu'il exige que le pro-
priétaire inscrit fournisse un affidavit ou une dé-
claration statutaire indiquant, à l'égard de cha-
cune des marchandises ou de chacun des services
que spécifie l'enregistrement, si la marque de com
merce est employée au Canada et, dans la néga-
tive, la date où elle a été ainsi employée en dernier
lieu et la raison de son défaut d'emploi depuis cette
date. Cela a pour but non seulement d'indiquer au
registraire que le propriétaire inscrit ne veut pas
renoncer à l'enregistrement, mais aussi de l'infor-
mer quant à l'emploi de la marque de commerce
afin que lui et la Cour, s'il y a appel, puissent être
en mesure d'apprécier la situation et d'appliquer,
le cas échéant, la règle de fond énoncée au para-
graphe 44(3). Il n'est pas permis à un propriétaire
inscrit de garder sa marque s'il ne l'emploie pas,
c'est-à-dire s'il ne l'emploie pas du tout ou s'il ne
l'emploie pas à l'égard de certaines des marchandi-
ses pour lesquelles cette marque a été enregistrée.
Quant à l'affidavit déposé par l'appelante en
réponse à l'avis donné par le registraire, soulignons
tout d'abord que cet affidavit ne fournit pas tous
les renseignements demandés en ce qu'il ne fait
aucune distinction entre les préparations pharma-
ceutiques en liaison avec lesquelles la marque est
employée et celles avec lesquelles elle ne l'est pas.
L'affidavit ne précise pas quelles préparations sont
visées dans cette catégorie large et mal définie des
préparations pharmaceutiques et il n'indique pas, à
l'égard de chacune des marchandises que spécifie
l'enregistrement, si la marque de commerce est
employée au Canada, et, dans la négative, la date
où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la
raison de son défaut d'emploi depuis cette date. Je
doute qu'une personne puisse obtenir l'enregistre-
ment d'une marque couvrant une catégorie aussi
large de marchandises; quoi qu'il en soit, le simple
fait que l'enregistrement vise à couvrir une catégo-
rie aussi large ne constitue pas une raison pour ne
pas nommément désigner, dans l'affidavit même,
les préparations en liaison avec lesquelles la
marque est employée et pour ne pas donner les
renseignements exigés par le paragraphe et par
l'avis. Le défaut de ce faire et l'effort qui semble
avoir été déployé pour éviter de donner les rensei-
gnements demandés dans l'avis, sèment le doute
quant à la sincérité des déclarations contenues
dans l'affidavit. Ces déclarations ne seraient com
patibles qu'avec un certain emploi minimal de la
marque en liaison avec une seule préparation phar-
maceutique, alors que l'on a cherché à faire appa-
raître que la marque était employée en liaison avec
une catégorie très variée de marchandises. De plus,
l'omission de décrire l'emploi qui est fait de la
marque de commerce nous laisse perplexes quant à
la signification des déclarations. En effet, si le
signataire d'un affidavit ne précise pas ce qu'il
entend par l'emploi d'une marque de commerce, il
pourrait très bien y affirmer qu'il emploie la
marque même si, en fait, cet emploi n'est que celui
qu'il est fait de celle-ci dans la publicité afférente
à l'entreprise du titulaire de l'enregistrement. Si
tel est le sens de ce qu'il a voulu dire, le signataire
pourrait, le cas échéant, apaiser ses remords de
conscience en se disant que son affidavit est, dans
un certain sens, véridique et défendable. Mais c'est
de l'emploi de la marque de commerce qu'il faut
faire la preuve; or, dans le cas de marchandises, il
faut faire la preuve d'un emploi du genre de celui
prévu à l'article 4, c'est-à-dire qu'il faut prouver
que la marque est apposée sur les marchandises ou
sur leur emballage ou liée aux marchandises, au
moment de la vente ou de la livraison de celles-ci,
dans la pratique normale du commerce, dans le
but de différencier des autres marchandises celles
qui sont fabriquées ou vendues par le titulaire de la
marque. Or, il n'appert pas que dans l'affidavit en
cause, l'expression «emploi» soit utilisée dans ce
sens, puisque le signataire n'y dit pas de quelle
façon la marque de commerce est employée, ni le
sens attribué à l'expression.
Avec déférence, je ne partage pas l'avis du
savant juge de première instance selon lequel les
affirmations contenues dans cet affidavit consti
tuent des conclusions sur une question de droit. A
mon avis; l'affidavit est ambigu dans ce qu'il
énonce. En effet, on pourrait l'interpréter comme
une simple déclaration non pertinente en l'espèce
ou comme une déclaration pertinente dont les
termes constituent une conclusion sur une question
mixte de fait et de droit. Toutefois, ni la Cour ni le
registraire ne sont liés par l'opinion ou la conclu
sion du signataire, selon laquelle l'emploi qu'il fait
de la marque de commerce est conforme à ce que
la Loi prévoit à ce chapitre. Celle-ci exige que
soient précisés certains faits; il appartient ensuite
au registraire et, le cas échéant, à la Cour, de
décider si ces précisions sont révélatrices d'un
emploi de la marque. Par conséquent, que l'affida-
vit soit interprété dans un sens ou dans l'autre, il
appert selon moi qu'il ne satisfait pas aux exigen-
ces du paragraphe 44(1) et qu'il n'établit pas
l'emploi de la marque au sens de la Loi.
En outre, comme ce fut le cas pour l'affidavit en
cause dans l'affaire American Distilling Co. c.
Canadian Schenley Distilleries Ltd. 6 , il faut, en
l'espèce, examiner ce que l'affidavit ne dit pas. On
peut difficilement croire qu'un propriétaire inscrit
passerait sous silence le fait que, jusqu'à l'époque
où il a reçu un avis donné en vertu de l'article 44,
il employait effectivement sa marque de commerce
en liaison avec les préparations pharmaceutiques
qu'il vendait et qu'il chercherait plutôt à répondre
aux questions posées dans l'avis par un simple
énoncé portant que le titulaire de la marque de
commerce emploie actuellement et employait à la
date de l'avis cette marque, dans la pratique nor-
male du commerce, en liaison avec des prépara-
tions pharmaceutiques. Je souscris aux propos de
l'avocat de l'intimée, selon lesquels plutôt que de
révéler les faits requis par l'avis, cet affidavit
essaie de les cacher. En outre, le fait que l'appe-
lante, en réponse à l'appel interjeté contre la déci-
sion du registraire, n'ait pas déposé, comme elle
aurait pu le faire, un affidavit supplémentaire
décrivant l'emploi qu'elle a fait de sa marque de
6 (1979) 38 C.P.R. (2') 60.
commerce, si elle l'a effectivement employée,
appuie la conclusion selon laquelle cette marque de
commerce n'était pas employée comme marque de
commerce, ni avant ni après la signification de
l'avis.
Par conséquent, il convient, à mon avis, de
trancher cette affaire comme si l'appelante n'avait
déposé aucun affidavit, car ce qui importé aux
termes du paragraphe 44(3), c'est le contenu de
l'affidavit et non le fait d'en avoir déposé un.
Lorsqu'un propriétaire inscrit dépose un affidavit
qui ne révèle pas les renseignements demandés,
cela équivaut à une «omission de fournir une telle
preuve» au sens dudit paragraphe. Or, . telle est, à
mon avis, la situation en l'espèce.
Le registraire ne pouvait donc pas conclure que,
compte tenu de la preuve produite, la marque de
commerce était effectivement employée au Canada
en liaison avec chacune des marchandises ou
chacun des services que spécifie l'enregistrement.
D'ailleurs, l'avocat de l'appelante n'a pas contesté
que telle était bien la situation; il a plutôt insisté
sur le fait que l'affidavit, tel que libellé, ne permet
pas de conclure, conformément au paragraphe
44(3), que la marque de commerce n'était pas
employée au Canada au sens de ce paragraphe.
Selon moi, il suffit pour repousser cette allégation
de se reporter à la conclusion énoncée précédem-
ment, selon laquelle puisque l'affidavit ne contient
pas les renseignements exigés au paragraphe 44(1)
et dans l'avis du registraire délivré en application
de ce paragraphe, cela équivaut à une «omission de
fournir une telle preuve» au sens du paragraphe
44(3). Par conséquent, je suis d'avis que cette
omission justifie, en l'espèce, la conclusion que la
marque de commerce n'est pas employée au
Canada au sens de ce paragraphe, que l'enregistre-
ment en question est donc susceptible de radiation
et qu'il doit être radié.
Il est en outre allégué que même dans les cas où
l'on conclut que l'enregistrement d'une marque de
commerce est susceptible de radiation, il appar-
tient toujours au registraire, aux termes du para-
graphe 44(3), de décider ou non, à sa discrétion, de
la radiation de l'enregistrement. Je doute que le
registraire puisse légitimement refuser la radiation
d'un enregistrement «susceptible» de radiation en
vertu du paragraphe 44(3), en l'absence de cir-
constances spéciales justifiant un défaut d'emploi
au sens de ce paragraphe. Toutefois, même en
supposant que l'expression «susceptible» utilisée
dans ce paragraphe donne naissance à un pouvoir
discrétionnaire, ce pouvoir, dans les présentes cir-
constances, appartient à la Cour. En effet, le regis-
traire n'a pas eu à exercer ce pouvoir puisque
l'appelante l'a convaincu, même sans preuve à
l'appui, que la marque de commerce était effecti-
vement employée au Canada; par conséquent, la
présente espèce n'en est pas une où la Cour ne
pourrait intervenir que si l'exercice de ce pouvoir
discrétionnaire par le registraire était fondé sur un
principe erroné. Il s'ensuit que ce pouvoir, s'il
existe, pourrait à ce stade-ci être exercé par la
Cour conformément au paragraphe 56(5)' de la
Loi sur les marques de commerce.
A mon avis, rien dans le dossier soumis à l'exa-
men de la Cour ne milite en faveur de l'exercice
d'un tel pouvoir discrétionnaire en vue de conser-
ver l'enregistrement en cause. En effet, rien ne
prouve que la marque était employée au moment
de l'enregistrement, ni même que le propriétaire
inscrit avait l'intention de l'utiliser dans l'avenir
comme marque de commerce.
Afin d'en finir avec cette question, je désire
ouvrir une parenthèse au sujet de l'affidavit déposé
par l'intimée lors de l'appel interjeté devant la
Division de première instance. A mon avis, toute
preuve produite par la partie à la demande de qui
a été donné l'avis prévu au paragraphe 44(1), est
irrecevable aussi bien sur appel interjeté contre la
décision du registraire que devant ce dernier. Sur
ce point, je fais miens les propos tenus par le
président Jackett dans l'affaire Broderick &
Bascom Rope Co. c. Le registraire des marques de
commerce (précitée) [à la page 279]:
[TRADUCTION] La requérante se fonde sur le dictum stipulant
que la Cour peut être «convaincue que la marque de commerce
est employée». Pour moi ces mots, dans leur contexte, se
rapportent uniquement à la Cour, convaincue de la même façon
qu'a pu l'être le registraire au début de l'instance, c'est-à-dire,
par la preuve apportée par le propriétaire inscrit. Le savant
président n'avait pas à traiter de la question de savoir si des
tierces parties pouvaient s'introduire à l'instance et y soumettre
une preuve, et rien, dans ce qu'il a dit, ne laisse supposer qu'il
ait abordé cette éventualité.
La requérante invoque aussi l'art. 55(5) qui prévoit que,
«Lors de l'appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle
' 56. ...
(5) Lors de l'appel, il peut être apporté une preuve en plus de
celle qui a été fournie devant le registraire, et la Cour peut
exercer toute discrétion dont le registraire est investi.
qui a été fournie devant le registraire». Ceci ne peut pas
cependant aller jusqu'à autoriser une preuve sur les questions
qui ne sont pas soumises à la Cour lors de l'appel. Lorsque, par
conséquent, l'unique question consiste à savoir si la preuve du
propriétaire inscrit fait «apparaître» à la Cour qu'il y a un
usager, toute autre preuve sur ce sujet ne présente évidemment
plus d'intérêt.
Par conséquent, je n'ai pas examiné l'affidavit
de l'intimée et, à en juger par l'absence de tout
renvoi à celui-ci dans ses motifs, le savant juge de
première instance semble avoir fait de même sans
doute pour les mêmes raisons.
Je dois également mentionner que, dans sa répli-
que, l'avocat de l'appelante a allégué que si la
Cour venait à juger l'affidavit incomplet, l'affaire
devrait être renvoyée devant le registraire avec une
directive autorisant l'appelante à déposer des élé-
ments de preuve additionnels. Même si l'on pou-
vait donner une directive semblable 8 , il ne serait
pas indiqué, à mon avis, de renvoyer l'affaire
devant le registraire ou devant la Division de pre-
mière instance pour donner une autre chance à
l'appelante, alors que celle-ci a bénéficié d'un délai
de trois mois en première instance devant le regis-
traire et, par la suite, du délai plus que suffisant
que donnent les Règles de la Cour pour déposer
tous les éléments de preuve qu'elle désire, ce
qu'elle n'a pas fait. Je sais que l'on a fait état
devant cette Cour de la pratique du Bureau des
marques de commerce d'accepter les affidavits
libellés dans des termes aussi incomplets que celui
déposé par l'appelante, mais je ne vois pas pour-
quoi l'appelante ou l'avocat qui l'a conseillée pour
la rédaction de cet affidavit et qui connaissait sans
doute toutes les prescriptions de la Loi, ont pré-
sumé que la Cour n'exigerait pas davantage que ce
qui a été déposé. Je ne vois rien dans l'avis exprimé
par le juge Cattanach dans l'affaire John Labatt
Ltd. c. The Cotton Club Bottling Co. (précitée)
qui aurait pu les inciter à adopter une telle démar-
che. De plus, rien dans le dossier soumis à l'exa-
men de la Cour n'indique que l'appelante a d'au-
tres éléments de preuve significatifs à produire.
Voir Re Wolfville Holland Bakery Ltd. (précitée), le prési-
dent Thorson, à la p. 91. [TRADUCTION] «A mon avis, le
registraire avait raison de rejeter la demande de prorogation. Il
aurait pu l'accueillir si le délai de trois mois prévu dans les avis
avait été expiré et s'il n'avait pas déjà rendu sa décision.
Toutefois, sa décision étant rendue, il n'avait plus le pouvoir
d'accueillir la requête. Il ne restait alors à l'appelante qu'un
seul recours: interjeter appel devant cette Cour.»
Par conséquent, je suis d'avis de rejeter l'appel
avec dépens.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE URIE: Je souscris à ces motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.