T-3772-80
Hassan Ismail, Ahamed Saeed, Abdul Gadir,
Ibrahim Manik, Mohamed Rasheed, Mohamed
Waheed, Ahamed Rasheed, Abdulla Ibrahim,
Abdulla Aboubakuru, Mohamed Manik, Hassan
Ahamed, Hassan Abdulla, Mohamed Ali et Ali
Moosa (Demandeurs)
c.
Les propriétaires du navire Golden Med, toutes
les personnes ayant un droit sur ce navire et le
navire Golden Med (Défendeurs)
Division de première instance, le juge suppléant
Dubinsky—Halifax, 8 et 9 août 1980.
Pratique — Les demandeurs demandent à la Cour, sur le
fondement de la Règle 477, d'ordonner qu'une commission
rogatoire recueille leurs dépositions et celles du capitaine du
navire, de l'officier radio et du représentant des propriétaires
— La requête demande également la production de tous les
documents pertinents se trouvant à bord du navire — Le retour
des demandeurs à Halifax causerait de graves inconvénients et
des dépenses excessives — Le point à trancher est de savoir si
la Règle 477 habilite la Cour à donner, à la demande des
demandeurs, commission rogatoire pour recueillir leurs
propres dépositions — Requête accueillie.
Arrêt examiné: Lemay c. Le ministre du Revenu national
[ 1939] R.C.É. 248.
REQUÊTE.
AVOCATS:
W. Wylie Spicer pour les demandeurs.
J. A. Laurin pour les défendeurs.
PROCUREURS:
McInnes, Cooper & Robertson, Halifax, pour
les demandeurs.
McMaster Meighen, Montréal, pour les
défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE SUPPLÉANT DUBINSKY: M. J. A.
Laurin, avocat des défendeurs, a eu la gentillesse
de ne pas se prévaloir des conditions imposées par
la Règle 321 des Règles de la Cour fédérale pour
ce qui est de l'avis de requête signifié en l'espèce et
a informé la Cour qu'il était prêt à débattre la
question malgré le très bref délai de signification.
Il a en fait répondu à la requête.
Dans son mémoire soumis à l'appui de la
requête, M. W. Wylie Spicer, avocat des deman-
deurs, a souligné que ces derniers habitaient tous
Male, en république des Maldives, état formé d'un
archipel dans l'océan Indien. Ils parlent le divehi,
dialecte très peu connu. En raison de leur travail,
ils doivent voyager beaucoup par le monde. Leur
avocat a ajouté que, pour se rendre par avion de
chez eux à Halifax, chacun des demandeurs de-
vrait payer à, peu près $1,500 pour un aller simple.
Étant donné la nature de leur emploi et étant
donné ces frais de déplacement élevés, dit-il, les
faire revenir à Halifax pour qu'ils fassent leur
déposition à l'avenir causerait de graves inconvé-
nients et des dépenses excessives. En effet, il doute
qu'ils puissent jamais revenir en ces lieux. Ils s'y
trouvent tous en ce moment et ne peuvent pas
partir tant que le navire Golden Med est encore
saisi. Il a été porté à mon attention que le navire
avait été saisi à l'introduction de l'action des
demandeurs.
L'avocat des demandeurs doit faire face à un
autre problème important, savoir que vu leur dia-
lecte très inusité, il faut trouver un interprète pour
les demandeurs, à l'exception de deux d'entre eux.
Même tard dans la nuit du vendredi 8 août 1980,
on n'a pu trouver un interprète dans ce dialecte.
M. Spicer informa la Cour qu'il était prêt à procé-
der immédiatement avec les deux demandeurs qui
parlaient anglais. Il demanda aussi à la Cour de
donner commission rogatoire pour recueillir les
dépositions du capitaine du navire, de l'officier
radio et du représentant des propriétaires, un cer
tain M. Cordoza, qui parlent anglais tous les trois.
D'après l'avis de requête, M. Spicer demande éga-
lement la production de tous les documents se
trouvant à bord du Golden Med et qui se rappor-
tent de près ou de loin aux points litigieux.
Bien que M. Laurin se fût dit disposé à produire
certains documents à l'avocat des demandeurs, il
s'oppose vigoureusement à une délivrance de com
mission rogatoire pour recueillir les dépositions des
demandeurs. Il conteste que les propriétaires du
navire Golden Med doivent quoi que ce soit aux
demandeurs et soutient que ses clients ont payé à
ces derniers tout ce qu'ils leur devaient en salaires.
Il annonce aussi qu'une demande reconvention-
nelle serait introduite contre les demandeurs du
fait que ces derniers ne s'étaient pas acquittés
proprement de leur travail et, de ce fait, auraient
causé un préjudice aux propriétaires du navire.
M. Laurin a cité une certaine jurisprudence
pour soutenir que la Règle 477 n'habilite pas la
Cour à donner, à la demande des demandeurs,
commission rogatoire pour recueillir leurs propres
dépositions. Vu le peu de temps dont je disposais
après l'audition d'hier soir et la rédaction de ma
décision cet après-midi, je n'ai pas pu consulter
suffisamment de jurisprudence, sur laquelle j'au-
rais pu me guider pour statuer sur l'affaire en
instance, à part la jurisprudence citée par M.
Laurin.
Je dois reconnaître que j'ai été très favorable-
ment impressionné par les motifs prononcés par le
juge Angers dans Lemay c. M.R.N. [19391 R.C.É.
248, décision citée par cet avocat. Dans cet arrêt,
Sa Seigneurie traitait de l'article 64 de la Loi sur
la cour de l'Echiguier (S.R.C. 1927, c. 34), qui est
presque identique à la Règle 477 sur laquelle est
fondée la requête en l'espèce. Cet article 64 porte:
64. Si une partie à des procédures instituées ou qui doivent
l'être devant la cour de l'Échiquier, désire y faire prendre la
déposition d'une personne, qu'elle soit partie ou non, et qu'elle
soit domiciliée au Canada ou hors du Canada, et si la cour ou
un juge est d'opinion que, vu l'absence, l'âge ou l'infirmité de
cette personne, ou vu l'éloignement de son domicile de l'endroit
où a lieu le procès, ou vu les frais qu'occasionnent la prise de sa
déposition d'une autre manière, ou pour toute autre raison, il
serait convenable d'en agir ainsi, la cour ou un juge peut, à la
demande de cette partie, ordonner l'interrogatoire de cette
personne sous serment, sur questionnaire ou autrement, devant
le registraire de la cour ou devant un commissaire chargé de
recevoir les affidavit à la cour, ou devant toute autre personne
ou toutes autres personnes nommées dans cet ordre, ou peut
ordonner l'émission d'une commission rogatoire sous le sceau de
la cour pour faire cet interrogatoire.
En rejetant la requête—laquelle s'appuyait, soit
dit en passant, sur un affidavit de M. Louis S.
Saint-Laurent, c.r., l'avocat de la demanderesse,
qui devait devenir par la suite Premier ministre du
Canada—le juge Angers s'est prononcé en ces
termes aux pages 251 et 252:
[TRADUCTION] Bien qu'il ne soit peut-être pas aussi explicite
sur ce point que l'article 380 du Code de procédure civile,
l'article 64 de la Loi sur la Cour de l'Échiquier ne fait, à mon
avis, que prévoir l'interrogatoire de la partie adverse par com
mission rogatoire ou commission rogatoire internationale, selon
le cas, et non de la partie qui dépose pour son propre compte.
Abstraction faite des mots qui n'ont aucun rapport avec l'es-
pèce, le passage applicable de cet article est le suivant: «Si une
partie à des procédures ... devant la cour de l'Echiquier, désire
y faire prendre la déposition d'une personne, qu'elle soit partie
ou non, ... et si la cour ou un juge est d'opinion que ... il serait
convenable d'en agir ainsi, la cour ou un juge peut, à la
demande de cette partie, ordonner l'interrogatoire de cette
personne sous serment, sur questionnaire ou autrement ...» Je
ne vois pas comment les mots «d'une personne, qu'elle soit
partie ou non» pourraient s'appliquer à la partie requérante. A
mon avis, si le législateur avait voulu compter parmi les person-
nes susceptibles d'être interrogées par commission rogatoire la
partie même qui a sollicité cette procédure, il l'aurait dit en
termes explicites. Vu le libellé du passage applicable, je suis
persuadé que le législateur n'envisageait pas l'interrogatoire par
commission rogatoire de la partie qui témoigne pour son propre
compte.
J'avoue qu'à la lumière de la décision Lemay, je
me suis longuement interrogé sur la question de
savoir si j'ai compétence pour statuer sur cette
requête. Après mûre réflexion et après consulta
tion d'autres décisions qui, à mon avis, se rappro-
chent de l'espèce, je suis arrivé à la conclusion que,
sauf le respect que je dois au savant juge qui l'a
prononcée, je ne suis pas lié par la décision Lemay.
Je suis requis en l'espèce d'exercer mes pouvoirs
discrétionnaires. Je sais parfaitement que ces pou-
voirs doivent s'exercer conformément aux principes
judiciaires et aux règles de droit. Et c'est pleine-
ment conscient de ce fait que j'arrive à une autre
conclusion, savoir l'accueil de la requête.
En conséquence, je donne commission rogatoire
à M. R. C. Howell, administrateur régional de la
Cour fédérale à Halifax (Nouvelle-Ecosse) et
ordonne que tous les demandeurs comparaîtront
devant lui à Halifax pour déposer sous serment.
J'ordonne que le capitaine du navire Golden Med,
son officier radio et le représentant des propriétai-
res dudit navire, un certain M. Cordoza, comparaî-
tront également devant ledit délégué pour déposer
sous serment.
Eu égard aux difficultés qui s'attachent à l'inter-
prétation des dépositions des demandeurs, il y a
lieu pour le délégué de recueillir ces dépositions
durant la période allant du lundi 11 août 1980 au
vendredi 15 août 1980 inclusivement, dernier délai.
Il appartiendra au délégué de fixer les heures
d'audition, après consultation des avocats des
parties.
Pour ce qui est de la demande de production de
documents, il appert que ces dernières années les
tribunaux ont adopté une attitude très libérale
pour permettre aux parties de se faire communi-
quer pleinement les prétentions adverses et de bien
saisir les points litigieux. Les autorités judiciaires
n'ont cessé de réaffirmer le principe que «les
Règles de procédure ont pour fonction de servir la
Cour et non l'inverse, et il appartient à cette
dernière de leur donner l'interprétation la plus
propre à lui permettre de départager les parties en
toute justice».
Je suis enclin à interpréter de façon libérale une
Règle telle que la Règle 455(2) des Règles et
ordonnances générales de la Cour fédérale du
Canada, à moins qu'on ne s'en prévale pour désa-
vantager une partie. Je veux dire par là que la
Cour ne devrait pas permettre qu'une partie en
abuse au détriment de l'autre.
C'est dans cet état d'esprit que j'ai étudié minu-
tieusement les alinéas i), ii), iii) et iv) du paragra-
phe c) de l'avis de requête. Je suis convaincu qu'ils
ne contiennent aucune demande abusive. J'or-
donne donc que tous les documents se trouvant à
bord du navire Golden Med et qui se rapportent
aux points litigieux seront communiqués à l'avocat
des demandeurs, notamment:
i) tous les états de salaires et d'avantages concernant les
demandeurs;
ii) copies de tous les contrats de travail des demandeurs,
notamment copies de tous les engagements signés par les
demandeurs à Male, aux îles Maldives, en janvier ou en
février 1980;
iii) toute note de crédit concernant les demandeurs ou leurs
personnes à charge;
iv) tout relevé de sommes d'argent dues, payables ou payées
en exécution de toute note de crédit ou autrement, aux
personnes à charge des demandeurs, à domicile ou, sur leur
instruction, aux banques, aux mandataires de l'équipage ou
autrement, pour le compte des demandeurs ou celui de leurs
personnes à charge.
Je suis persuadé de la nécessité, en l'espèce, d'un
interprète capable de comprendre et d'interpréter
le dialecte divehi que parlent les demandeurs. Par
conséquent, si ces derniers ont gain de cause, les
dépenses engagées pour retenir les services d'un tel
interprète seront taxées à titre de dépens ordinai-
res. D'autre part, eu égard à l'inquiétude de M.
Laurin quant au préjudice que subiraient les pro-
priétaires au cas où le navire ne pourrait quitter le
port du fait de mon ordonnance, malgré la consti
tution d'un cautionnement suffisant pour obtenir
la mainlevée de la saisie, j'ordonne ce qui suit.
Dans l'hypothèse où les défendeurs auraient gain
de cause, j'ordonne que tout préjudice subi par les
propriétaires à raison du départ tardif du navire à
la suite de mon ordonnance, sera taxé à titre de
dépens ordinaires. Il va sans dire que cette requête
appelle des dépens ordinaires.
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