A-777-77
La Reine (Appelante) (Demanderesse)
c.
Gilbert A. Smith (Intimé) (Défendeur)
Cour d'appel, les juges Urie et Le Dain et le juge
suppléant Kelly—Fredericton, 7 et 8 novembre
1979; Ottawa, 24 juin 1980.
Indiens — Dénonciation par la Couronne — Terres de
réserve — Appel d'une décision de la Division de première
instance rejetant une action intentée par la Reine pour que lui
soit reconnu le droit de possession d'une terre cédée située
dans une réserve indienne, terre jamais vendue, au motif que
l'intimé a acquis la propriété de l'immeuble en vertu d'une
possession acquisitive non interrompue d'au moins soixante
ans — Il échet de déterminer, si, indépendamment de la
question de la possession acquisitive, l'appelante a le droit à la
possession — Il échet de déterminer si le droit de possession
revendiqué par l'appelante peut être éteint par possession
acquisitive — Il échet de déterminer s'il y a effectivement eu
possession acquisitive non interrompue pendant au moins
soixante ans — Il est fait droit à l'appel — Loi sur les Indiens,
S.R.C. 1970, c. I-6, art. 2, 31, 53(1), 88 — Acte de l'Amérique
du Nord britannique, 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.) /S.R.C.
1970, Appendice II, n° 51, art. 91(24) — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 38(2).
Appel d'un jugement de la Division de première instance
rejetant une action intentée par la Reine pour que lui soit
reconnu le droit de possession d'une terre cédée située dans une
réserve indienne, terre qui n'a jamais été vendue ou autrement
aliénée, au motif que l'intimé a acquis la propriété de l'immeu-
ble en vertu d'une possession acquisitive non interrompue d'au
moins soixante ans. L'immeuble faisait partie d'une région mise
de côté par la province pour en faire une réserve indienne. Les
Indiens le louèrent à Travis à compter de 1838. En 1841, il
présenta sans succès à la Couronne une demande de concession
relativement à l'immeuble. En 1867, la compétence relative-
ment aux réserves indiennes du Nouveau-Brunswick fut donnée
au gouvernement du Dominion par l'article 91(24) de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique, 1867. L'immeuble fut cédé
au gouvernement du Dominion en 1895. Vers 1898, l'immeuble
fut occupé par le petit-fils de Travis qui, en 1901, fit faire un
arpentage pour servir de fondement à une concession. Cet
arpentage excluait l'immeuble. Il ressort de la preuve qu'en
1904 ou 1905, l'immeuble était occupé par Mutch, mais il n'y a
rien qui suggère un quelconque lien ou une continuité entre
l'occupation du petit-fils de Travis et l'occupation subséquente
de Mutch. Jusqu'en 1960, Mutch ou les membres de sa famille
y avaient leur résidence et y faisaient de la culture et de la
coupe des arbres. Mutch écrivit au ministère des Affaires
indiennes en 1919 pour obtenir la concession de l'immeuble,
mais elle ne lui fut pas octroyée. L'intimé acheta l'immeuble de
Mutch sans faire faire d'examen des titres et sans avoir con-
naissance d'aucune revendication indienne relativement à l'im-
meuble. Il y construisit un chalet et y vendit du gravier extrait
de la carrière de gravier qui s'y trouve. En 1958, les gouverne-
ments fédéral et provincial conclurent une convention transfé-
rant au gouvernement fédéral tous les droits de la province dans
les terres de réserve. La présente procédure fut introduite en
1973. Dans la dénonciation, il est allégué que l'immeuble fait
partie de la réserve indienne Red Bank, qu'il est dévolu à Sa
Majesté sous réserve seulement des conditions de la cession de
l'immeuble faite en 1895, que jamais l'immeuble ne fut vendu à
la suite de cette cession et qu'il est une «terre cédée» au sens de
la Loi sur les Indiens, que Sa Majesté a le droit de possession
de cet immeuble, et que la bande fait valoir que l'intimé, un
non-Indien, prétend avoir acquis le droit de possession de
l'immeuble en vertu d'une possession acquisitive mais qu'il n'a
aucun droit à la possession. La dénonciation conclut en deman-
dant un jugement déclaratoire portant que l'appelante a droit à
la libre possession de l'immeuble. L'intimé déclare que si
l'immeuble faisait partie de la réserve, il fut dévolu à la
Couronne du chef de la province, libre de tout intérêt indien,
par suite de la cession de 1895 et que la propriété de l'immeu-
ble lui est acquise en vertu d'une possession acquisitive non
interrompue. L'intimé nie que l'immeuble soit une «terre
cédée». Subsidiairement, l'intimé réclame une indemnité pour
les améliorations faites par lui sur cet immeuble. Il s'agit de
déterminer si, indépendamment de la question de la possession
acquisitive, l'appelante a le droit à la possession de l'immeuble,
si le droit de possession revendiqué par l'appelante peut être
éteint par possession acquisitive et s'il y a effectivement eu
possession acquisitive non interrompue de l'immeuble pendant
au moins soixante ans.
Arrêt: il est fait droit à l'appel et l'appelante a droit à la libre
possession de l'immeuble moyennant paiement d'une indemnité
pour les améliorations. Le recours de l'appelante ne peut se
fonder sur l'article 31, d'une part parce que l'immeuble ne fait
pas partie de la réserve au sens de la Loi, et d'autre part parce
que la bande n'a pas le droit à l'occupation ou à la possession de
cet immeuble. Il ressort de la preuve que l'immeuble faisait
partie de la réserve qui, au moment de la Confédération, est
passée sous la compétence du gouvernement fédéral à titre de
terre réservée aux Indiens au sens de l'article 91(24) de
l'A.A.N.B. Le gouvernement fédéral était d'avis, lorsqu'il
demanda la cession de 1895, que les lots non cédés des deux
côtés de la rivière faisaient toujours partie de la réserve. Après
la cession de 1895 les Indiens ne pouvaient plus revendiquer le
droit d'occuper l'immeuble. A compter de cette date, leur
intérêt dans l'immeuble était dans sa vente et dans l'affectation
du produit à leur profit. La définition de «terres cédées» s'appli-
que à l'immeuble. Lorsque la Loi sur les Indiens emploie le mot
«réserve» seul, comme dans l'article 31, on ne veut pas viser à la
fois les terres cédées et la partie non cédée d'une réserve. Le
titre de l'immeuble ne fut pas touché par la convention de 1958.
Par conséquent, une action revendiquant la possession de l'im-
meuble par la Couronne du chef du Canada ne peut être fondée
sur le titre de l'immeuble. Peu importe si les terres cédées
demeurent partie de la réserve au sens de la Loi sur les Indiens,
elles demeurent, jusqu'à leur aliénation finale, des terres réser-
vées aux Indiens au sens de l'article 91(24) de l'A.A.N.B. et, en
tant que telles, continuent de relever de la compétence législa-
tive fédérale. A cause de la responsabilité continue du gouver-
nement fédéral pour le contrôle et l'administration de ces terres
jusqu'à leur aliénation finale conformément aux termes d'une
cession, les terres cédées doivent continuer de relever des
compétences législative et administrative fédérales. Ce sont des
terres qui sont possédées pour le bénéfice des Indiens bien qu'ils
aient convenu d'accepter le produit de la vente en contrepartie
du renoncement à leur droit d'occupation. La Couronne du chef
du Canada a, accessoirement à son pouvoir de contrôle et
d'administration, le droit d'intenter une action pour recouvrer
la possession de terres cédées. Puisque ces terres demeurent des
terres réservées aux Indiens au sens de l'article 91(24) de
l'A.A.N.B. et qu'elles continuent d'être détenues par la Cou-
ronne pour le bénéfice des Indiens à cause de leur intérêt
pécuniaire dans celles-ci, l'application de la loi provinciale sur
la prescription de façon à ce qu'un non-Indien puisse acquérir
par prescription la propriété de ces terres détruirait le régime
spécial prévu pour ces terres dans la Loi sur les Indiens et irait
à l'encontre des conditions de la fiducie auxquelles elles
auraient été cédées. De toute façon, la preuve n'établit pas une
possession acquisitive non interrompue d'au moins soixante ans.
Il y a un intervalle entre l'occupation des Travis et l'occupation
de Mutch. La preuve relative à l'occupation réunie d'Ebenezer
Travis et de son petit-fils de 1838 1901 n'établit pas claire-
ment quand elle est devenue une occupation ou possession
acquisitive. Aucun des documents mentionnés n'établissant
l'étendue de l'occupation de Travis et de son petit-fils, il n'est
pas clair qu'il y ait eu possession réelle. Les activités de Mutch
et de sa famille sur l'immeuble constituent une occupation du
genre requis pour la possession acquisitive mais la lettre qu'il
écrivit en 1919 pour demander la concession de l'immeuble
pose un problème. La lettre constitue une reconnaissance par
Mutch du titre de la Couronne. L'appelante a donc droit à la
possession de l'immeuble. Il s'agit d'un cas où la Couronne, par
suite de sa longue période d'inaction, particulièrement à comp-
ter de 1919, alors qu'elle savait que l'immeuble était occupé par
des non-Indiens, doit être considérée comme étant demeurée
passive et comme ayant acquiescé aux améliorations faites par
l'intimé et son prédécesseur en occupation. Aussi, l'intimé se
croyait propriétaire de l'immeuble au moment où il a fait les
améliorations. Il serait inadmissible de permettre à la Couronne
de recouvrer la libre possession de l'immeuble sans être tenue
de verser une indemnité pour les améliorations. Le montant de
l'indemnité est l'augmentation de la valeur de l'immeuble due
aux améliorations durables.
Arrêts mentionnés: Doe dem. Burk c. Cormier (1890) 30
N.B.R. 142; Warman c. Francis (1959-60) 43 M.P.R. 197;
R. c. Isaac (1976) 13 N.S.R. (2e) 460; St. Catherine's
Milling and Lumber Co. c. La Reine (1889) 14 App. Cas.
46, (1887) 13 R.C.S. 577; Le procureur général du Domi
nion du Canada c. Le procureur général de l'Ontario
[1897] A.C. 199; Ontario Mining Co., Ltd. c. Seybold
(1900) 31 O.R. 386, [1903] A.C. 73; Dominion du
Canada c. La province de l'Ontario [1910] A.C. 637; Le
procureur général de la province de Québec c. Le procu-
reur général du Dominion du Canada [1921] 1 A.C. 401;
R. c. Devereux [1965] R.C.S. 567; Les parents naturels c.
Le Superintendent of Child Welfare [1976] 2 R.C.S. 751;
Sherren c. Pearson (1888) 14 R.C.S. 581; Hamilton c. Le
Roi (1917) 54 R.C.S. 331; Ramsden c. Dyson (1886) L.R.
1 H.L. 129; Montreuil c. The Ontario Asphalt Co. (1922)
63 R.C.S. 401; McBride c. McNeil (1913) 27 O.L.R. 455.
Arrêt suivi: R. c. Lady McMaster [1926] R.C.E. 68.
Arrêts appliqués: Easterbrook c. Le Roi [1931] R.C.S.
210, confirmant [1929] R.C.E. 28; Corporation of Surrey
c. Peace Arch Enterprises Ltd. (1970) 74 W.W.R. 380;
Cardinal c. Le Procureur général de l'Alberta [1974]
R.C.S. 695; Construction Montcalm Inc. c. La Commis-
sion du salaire minimum [1979] 1 R.C.S. 754; Four B
Manufacturing Ltd. c. Les Travailleurs unis du vêtement
d'Amérique [1980] 1 R.C.S. 1031; Attorney -General ta
His Highness the Prince of Wales c. Collom [1916] 2 K.B.
193. Distinction faite avec l'arrêt: St. Ann's Island Shoot
ing and Fishing Club Ltd. c. Le Roi [1950] R.C.E. 185,
[1950] R.C.S. 211. Arrêt examiné: Le procureur général
du Canada c. Giroux (1916) 53 R.C.S. 172. Arrêts
approuvés: Mowat, le procureur général du Dominion du
Canada & Casgrain, le procureur général de la province
de Québec (1897) 6 C.B.R. 12; Fahey c. Roberts arrêt non
publié de la D.B.R. (C.S.N.-B.).
ACTION.
AVOCATS:
E. Neil McKelvey, c.r. et Robert R. Anderson
pour l'appelante (demanderesse).
Horace R. Trites, c.r., William J. McNichol
et James E. Anderson pour l'intimé (défen-
deur).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelante (demanderesse).
Anderson, MacLean, Chase, McNichol &
Blair, Moncton, pour l'intimé (défendeur).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Il s'agit d'un appel formé
contre un jugement de la Division de première
instance [[1978] 1 C.F. 653] rejetant une action
intentée par Sa Majesté la Reine pour que lui soit
reconnu le droit de possession d'une terre cédée
située dans une réserve indienne, terre qui n'a
jamais été vendue ou autrement aliénée, au motif
que l'intimé a acquis la propriété de la terre en
vertu d'une possession acquisitive non interrompue
d'au moins soixante ans.
Conclusions des parties
L'action a été introduite par la production d'une
dénonciation par le sous-procureur général du
Canada au nom de Sa Majesté la Reine par suite
d'une allégation faite par la bande d'Indiens Red
Bank sous le régime de l'article 31 de la Loi sur les
Indiens, S.R.C. 1970, c. I-6 dont voici le libellé:
31. (1) Sans préjudice de l'article 30, lorsqu'un Indien ou
une bande prétend que des personnes autres que des Indiens
a) occupent ou possèdent illégalement, ou ont occupé ou
possédé illégalement, une réserve ou une partie de réserve,
b) réclament ou ont réclamé sous forme d'opposition le droit
d'occuper ou de posséder une réserve ou une partie de
réserve, ou
c) pénètrent ou ont pénétré, sans droit ni autorisation, dans
une réserve ou une partie de réserve,
le procureur général du Canada peut produire à la Cour
fédérale du Canada une dénonciation réclamant, au nom de
l'Indien ou de la bande, le soulagement ou le redressement
désiré.
(2) Une dénonciation produite sous le régime du paragraphe
(1) est réputée, à toutes fins de la Loi sur la Cour fédérale, une
procédure engagée par la Couronne, au sens de ladite loi.
(3) Rien au présent article ne doit s'interpréter comme
atténuant, diminuant ou atteignant d'autre façon un droit ou
recours qui, sans le présent article, serait accessible à Sa
Majesté, ou à un Indien ou une bande.
Dans l'allégation faite le 15 février 1973, la
bande déclare que l'intimé, qui n'est pas Indien,
prétend avoir acquis, en vertu d'une possession
acquisitive, le droit de possession des terres et
bâtiments faisant partie du lot 6 situé dans la
«partie cédée» de la réserve indienne Red Bank
numéro 7, comté de Northumberland, province du
Nouveau-Brunswick, et demande [TRADUCTION]
«au procureur général du Canada de produire à la
Cour fédérale du Canada une dénonciation récla-
mant au nom de la bande d'Indiens Red Bank la
possession de ces terres et bâtiments».
Les terres et bâtiments (ci-après appelés «l'im-
meuble») sont décrits comme suit dans l'allégation
et dans la dénonciation:
[TRADUCTION] Dans la province du Nouveau-Brunswick, dans
le comté de Northumberland, dans la partie cédée de la réserve
indienne Red Bank n° 7, la partie du lot 6 dont la description
suit:
Commençant à un point situé à l'intersection de la ligne de
division entre le lot 5A (lettre patente n° 18726) et le lot 6 avec
la rive nord de la rivière Little Southwest Miramichi. Ce point
se trouvant à une distance de quatre cent huit (408) pieds selon
une orientation astronomique reportée sur le méridien passant
par la borne-signal IR 1 tel qu'indiqué dans le plan n° 52894 du
Registre d'arpentage des terres du Canada de cent soixante-
deux degrés, cinquante-quatre minutes, dix-huit secondes (162°
54' 18"), d'un poteau A.T.C. régulier marqué L5, L6, 191,
1964, posé sur ladite ligne de division par W.D. McLellan,
N.B.L.S. en 1964.
De là, le long de ladite ligne de division en suivant une
orientation astronomique de trois cent quarante-deux degrés,
cinquante-quatre minutes, dix-huit secondes (342° 54' 18")
jusqu'à un point distant de quatre cent huit (408) pieds où se
trouve ledit poteau A.T.C.
De là, en continuant le long de ladite ligne de division en
suivant une orientation de trois cent quarante-deux degrés,
cinquante-quatre minutes, dix-huit secondes (342° 54' 18")
jusqu'à un point distant de mille quatre cent quatre-vingt-dix-
sept pieds et vingt-neuf centièmes (1,497.29') où se trouve un
ancien poteau de fer A.T.C. marqué de la lettre R à la limite
sud du grand chemin entre Littleton et Halcomb.
De là, le long de ladite limite en suivant une orientation de cent
onze degrés, quatre minutes, zéro seconde (111° 04' 00") sur
une distance de cent soixante-six pieds et vingt-six centièmes
(166.26'), jusqu'à un ancien poteau de fer A.T.C. marqué de la
lettre R.
De là en continuant le long de ladite limite, en suivant, vers la
gauche, une courbe ayant un rayon de cinq cent cinquante-qua-
tre pieds et soixante-sept centièmes (554.67') sur une distance
de quatre cent neuf pieds et trente-quatre centièmes (409.34')
jusqu'à un poteau A.T.C. «69» portant le numéro 23.
De là, en continuant le long de ladite limite en suivant une
orientation de soixante-huit degrés, quarante-sept minutes, zéro
seconde (68° 47' 00") sur une distance de sept pieds et vingt-
deux centièmes (7.22') jusqu'à un poteau A.T.C. «69» portant le
numéro 40.
De là, en suivant une orientation de cent soixante-trois degrés,
dix-neuf minutes, huit secondes (163° 19' 08") sur une distance
de cent soixante-cinq pieds et cinquante-deux centièmes
(165.52') jusqu'à un poteau A.T.C. «69» portant le numéro 41.
De là, en suivant une orientation de soixante-huit degrés,
quarante-sept minutes, zéro seconde (68° 47' 00") sur une
distance de cent trente-deux pieds et zéro centième (132.00')
jusqu'à un poteau A.T.C. «69» portant le numéro 39.
De là, en suivant une orientation de cent soixante-trois degrés,
dix-neuf minutes, huit secondes (163° 19' 08") sur une distance
de deux cent soixante et un pieds et dix centièmes (261.10')
jusqu'à un poteau A.T.C. «69» portant le numéro 35.
De là, en suivant une orientation de cent cinquante-neuf degrés,
quarante-deux minutes, trente-deux secondes (159° 42' 32")
sur une distance de sept cent vingt-quatre pieds et cinquante-
neuf centièmes (724.59') jusqu'à un poteau A.T.C. «69» portant
le numéro 33.
De là, en suivant une orientation de cent soixante-deux degrés,
seize minutes, trente secondes (162° 16' 30") sur une distance
de quatre cent soixante-dix-sept pieds et vingt-deux centièmes
(477.22') jusqu'à un poteau A.T.C. «69» portant le numéro 31.
De là, en suivant une orientation de cent soixante-deux degrés,
seize minutes, trente secondes (162° 16' 30") sur une distance
de onze (11) pieds jusqu'à la rive nord de la rivière Little
Southwest Miramichi.
De là, en direction sud-ouest le long de la rive nord de la rivière
Little Southwest Miramichi jusqu'au point de départ.
Tel qu'indiqué dans le plan n° 57932 du Registre d'arpentage
des terres du Canada.
Dans la dénonciation, il est allégué que l'immeu-
ble fait partie de la réserve indienne Red Bank
numéro 7, qu'il est dévolu à Sa Majesté sous
réserve seulement des conditions de la cession de
l'immeuble faite en 1895, que l'immeuble n'a
jamais été vendu à la suite de cette cession et qu'il
est une «terre cédée» au sens de la Loi sur les
Indiens; que Sa Majesté a le droit de possession de
cet immeuble, que la bande a fait l'allégation
mentionnée ci-dessus, et que l'intimé, un non-
Indien, prétend avoir acquis le droit de possession
de l'immeuble en vertu d'une possession acquisitive
mais qu'il n'a aucun droit à la possession. Les
conclusions de la dénonciation sont ainsi libellées:
[TRADUCTION] a) un jugement déclaratoire portant que Sa
Majesté la Reine a le droit de possession de ces terres et
bâtiments;
b) libre possession de ces terres et bâtiments au nom de la
bande d'Indiens Red Bank ou subsidiairement, libre posses
sion de ces terres et bâtiments;
Dans sa défense, qui fut modifiée avec permis
sion en septembre 1976 et de nouveau avec permis
sion au cours de l'instruction en mai 1977, l'intimé
déclare que si l'immeuble faisait partie de la
réserve indienne Red Bank, ce qui n'est pas admis
mais plutôt nié, il fut, par suite de la cession de
1895, dévolu à la Couronne du chef de la province
du Nouveau-Brunswick, libre de tout intérêt
indien, et que l'intimé a acquis la propriété de
l'immeuble en vertu d'une [TRADUCTION] «posses-
sion acquisitive publique, notoire et non interrom-
pue» de cet immeuble par lui-même et ses auteurs,
tant avant qu'après la cession. L'intimé nie que
l'immeuble soit une «terre cédée» au sens de la Loi
sur les Indiens.
Dans sa réplique, l'appelante déclare qu'avant la
cession, le droit de propriété de Sa Majesté la
Reine n'était [TRADUCTION] «sujet qu'au droit
personnel et d'usufruit de la bande d'Indiens Red
Bank et qu'après cette cession et son acceptation,
le droit de propriété de Sa Majesté la Reine était
et continue d'être sujet uniquement aux conditions
de ladite cession», et l'appelante nie que l'immeu-
ble fût, avant ou après la cession, en la possession
publique, non interrompue, acquisitive et notoire
de l'intimé ou de ses prétendus auteurs.
Outre sa défense fondée sur la possession acqui
sitive, l'intimé réclame, à titre subsidiaire, une
indemnité pour les améliorations faites par lui sur
cet immeuble.
Les questions en litige
A part la question de l'indemnité, les questions
soulevées par l'appel peuvent se résumer comme
suit:
1. Indépendamment de la question de la posses
sion acquisitive, l'appelante a-t-elle le droit à la
possession de l'immeuble?
2. En principe, le droit de possession revendiqué
par l'appelante peut-il être éteint par possession
acquisitive?
3. Y a-t-il effectivement eu possession acquisi
tive non interrompue de l'immeuble pendant au
moins soixante ans?
Les faits
Il ressort de la preuve que l'immeuble, d'une
superficie de vingt-cinq acres et sur lequel l'intimé
a fait des améliorations, faisait partie d'une région,
des deux côtés de la rivière Little Southwest Mira-
michi dans le comté de Northumberland, reconnue
par le gouvernement du Nouveau-Brunswick au
début des années 1800 comme ayant été mise de
côté pour en faire une réserve à l'usage de la tribu
des Indiens Micmacs, connue sous le nom de la
tribu Julien ou «Julian», d'après le nom de leurs
chefs. La région, divisée par la rivière, couvrait dix
mille acres ou cinq milles carrés; c'est pourquoi les
gens de l'endroit l'appelaient «Five Mile Block».
La date et le fondement précis de l'établisse-
ment de la réserve sur la rivière Little Southwest
Miramichi ne sont pas sûrs, mais elle fut sans
aucun doute reconnue comme étant une réserve
avant le début, qu'on prétend fixer vers 1838, de
l'occupation de l'immeuble par des non-Indiens,
occupation sur laquelle l'intimé fonde en partie sa
défense.
La Couronne ne s'appuie pas, pour ce qui con-
cerne l'établissement de la réserve, sur la Procla
mation royale du 7 octobre 1763 (S.R.C. 1970,
Appendice II, n° 1). Il y a controverse sur la
question de savoir si la Proclamation, pour ce qui
concerne les droits des Indiens, s'applique au terri-
toire qui fut séparé de la Nouvelle-Ecosse pour
devenir la province du Nouveau-Brunswick en
1784. Voir Doe dem. Burk c. Cormier (1890) 30
N.B.R. 142, la page 148, où le juge en chef Sir
John C. Allen se dit d'avis qu'elle ne s'applique
pas; Warman c. Francis (1959-60) 43 M.P.R. 197,
aux pages 205 et 211, où le juge Anglin déclare
qu'elle s'applique; La Forest, Natural Resources
and Public Property under the Canadian Consti
tution, c. 7, «Property in Indian Lands», aux pages
111, 125 et 126, qui dit ne pas être d'accord avec
ce point de vue; et R. c. Isaac (1976) 13 N.S.R.
(2e) 460, aux pages 478 et 497, où le juge en chef
de la Nouvelle-Ecosse MacKeigan et le juge d'ap-
pel Cooper de la Cour d'appel de la Nouvelle-
Ecosse déclarent tous deux que la Proclamation
s'applique à la Nouvelle-Écosse. En l'espèce, le
savant juge de première instance exprime un avis
contraire. J'entends étudier cette question plus
tard, dans la mesure où il semble nécessaire de le
faire pour statuer sur le présent appel.
D'après les dossiers du gouvernement du Nou-
veau-Brunswick datant du début du 19e siècle,
comme nous le verrons, le 13 août 1783 serait la
date à laquelle fut établie une réserve de quelque
dix mille acres, des deux côtés de la rivière Little
Southwest Miramichi. La preuve ne permet pas
d'établir exactement ce qui fut fait en 1783 bien
que le professeur W. D. Hamilton, reconnu par le
juge de première instance comme un expert sur
l'histoire de la région de la Little Southwest Mira-
michi et de ses habitants, ait déclaré dans son
témoignage, apparemment au sujet de l'année
1783, qu'il y avait une [TRADUCTION] «liste d'oc-
cupation» sans arpentage ni détermination des
limites. Il est possible que ce soit la réserve que
mentionne le juge Anglin dans l'arrêt Warman c.
Francis, précité, à la page 202, où il dit, relative-
ment à la situation à l'époque de la création de la
province du Nouveau-Brunswick en 1784: [TRA-
DUCTION] ((A cette époque, une seule réserve avait
été établie pour les Micmacs sur l'embranchement
nord-ouest de la rivière Miramichi par l'octroi, en
1783, d'un `permis d'occupation' par le gouverneur
de la Nouvelle-Écosse, M. Parr.» A noter que dans
sa correspondance relative à l'immeuble en 1973,
le ministère des Affaires indiennes et du Nord
canadien mentionne que la réserve fut créée vers la
fin du 18e siècle.
Quoi qu'il en soit, le 27 septembre 1804, Dugald
Campbell, arpenteur-géomètre adjoint, certifiait
(pièce Pa-2) avoir effectué pour [TRADUCTION]
«Francis Julien et les Indiens de la rivière Little
Southwest» l'arpentage d'une [TRADUCTION]
«région commençant à l'embouchure de ladite
rivière et s'étendant en amont sur une distance de
cinq milles». Le plan accompagnant le rapport
d'arpentage (pièce Pa-1) porte l'inscription sui-
vante: [TRADUCTION] «Terres réclamées par la
tribu d'Indiens dont Francis Julien est le chef». Au
bas du certificat de l'arpenteur-géomètre adjoint
figure la déclaration suivante faite par George
Sproule, arpenteur général, le 10 septembre 1805:
[TRADUCTION] «Nul ne pourra empiéter sur la
région décrite ci-dessus ni présenter de demande
qui s'y rapporte avant que l'attribution proposée de
terres aux Indiens ne soit faite et confirmée en
conseil.» Par une déclaration inscrite le 13 juillet
1806 sur le même document, Francis Julien
exprime le vœu qu'à sa mort, la région soit trans-
mise à ses deux fils, Mitchell et Barnaby. Ceci
peut représenter un point de vue que le professeur
Hamilton dit avoir existé de 1783 jusqu'au début
des années 1840, quant à savoir si le droit d'occu-
pation avait été octroyé à la famille Julien ou à
l'ensemble des Indiens de Little Southwest.
Le 28 février 1807, l'arpentage fait par Dugald
Campbell fut soumis au Conseil exécutif et
approuvé (pièce Pa-3) et le 24 septembre 1808, le
Conseil exécutif (pièce Pa-4) approuva le rapport
de l'arpenteur général relativement aux terres
indiennes sur la rivière Miramichi et ordonna
qu'un permis d'occupation soit délivré aux Indiens,
conformément au rapport, pour la région se trou-
vant sur la rivière Little Southwest. Cet acte du
gouvernement du Nouveau-Brunswick peut n'avoir
été qu'une confirmation, fondée sur l'arpentage de
Campbell, d'une revendication tirant son origine
d'une forme quelconque de reconnaissance faite en
l'année 1783, mais cet acte semble être celui par
lequel la réserve, avec des limites précises, fut
officiellement créée.
Le 24 janvier 1838, l'assemblée législative du
Nouveau-Brunswick adopta la résolution suivante
(pièce Pa-5): [TRADUCTION] «Que soit fournie à la
présente assemblée la documentation pour qu'elle
ait les renseignements pertinents relatifs à toutes
les régions réservées à l'usage des Indiens dans la
province, l'endroit où ces réserves se trouvent, la
date de leur création, leur nature et les tribus
d'Indiens pour lesquelles elles furent respective-
ment créées.» Par suite de cette résolution, un
[TRADUCTION] «Inventaire des réserves indiennes
au Nouveau-Brunswick» daté du 31 janvier 1838
(pièce Pa-6) qui avait été préparé par le commis-
saire des terres de la Couronne et arpenteur géné-
ral fut déposé devant l'assemblée et joint en
annexe aux Journals of the House of Assembly
pour la période du 28 décembre 1837 au 9 mars
1838. L'inventaire décrit notamment les réserves
suivantes du comté de Northumberland: [TRADUC-
TION] «10,000 acres de chaque côté de la rivière
Little South West, au confluent de celle-ci et de la
rivière North West Miramichi, le 13 août 1783;
3,033 acres du côté nord de la North West
Miramichi, commençant à l'opposite du point le
plus bas de Beobcar's point et remontant la rivière;
le 10 janvier 1789; pour John Julian et la tribu
d'Indiens Miramichi.» A la fin de l'inventaire se
trouve la note suivante: [TRADUCTION] «Nature
des réserves—A occuper et posséder jusqu'à
révocation.»
Il semblerait que quelques années après avoir
reçu le permis d'occupation pour la région sur la
rivière Little Southwest, la famille Julien ait
conclu divers contrats pour tirer des revenus de la
terre. Le 10 août 1820 (pièce D-39), Francis
Julien et d'autres louèrent pour le fourrage vert
[TRADUCTION] «les terres attribuées aux Indiens
sur la rivière Little South West» à Richard
McLaughlin pour une période de six ans, moyen-
nant un loyer annuel de £50. Les Julien prétendi-
rent également vendre ou louer des lots de la
grandeur d'une exploitation rurale de chaque côté
de la rivière à des colons non indiens. Ce qu'on a
plus tard appelé le lot 5 sur la rive nord de la
rivière (et dans lequel l'immeuble en litige se
trouvait jusqu'à ce que la limite des lots 5 et 6 soit
modifiée vers 1904) fut occupé par un dénommé
Ebenezer Travis, avec le consentement des Indiens,
à compter de 1838 ou à peu près.
Travis paya un loyer aux Indiens pendant quel-
que temps, mais le 25 octobre 1841, il présenta à
la Couronne une demande de concession relative-
ment au terrain qu'il occupait. La requête (pièce
D-20) est ainsi rédigée:
[TRADUCTION] A Son Excellence le lieutenant colonel Sir
William McBean George Colebrook, lieutenant gouverneur de
la province du Nouveau-Brunswick
Dans la requête d'Ebenezer Travis de Northesk dans le
comté de Northumberland, fermier, il est très humblement
déclaré:
Que votre requérant est un sujet britannique natif de la
province du Nouveau-Brunswick qui réside sur une partie de la
réserve indienne se trouvant sur la rive nord de la rivière Little
South West entre des terres louées par la bande d'Indiens à
John McAllister et Robert Emerson et s'étendant à l'arrière
jusqu'à la limite de ladite réserve indienne et contenant environ
deux cents acres.
Que votre requérant s'est installé sur lesdites terres sans bail
mais avec le consentement exprès desdits Indiens, qu'il a payé
un loyer annuel de 40 shillings argent à la tribu Julien et qu'il y
a érigé une maison et une petite grange et défriché environ
quatre acres de ladite terre.
Que votre requérant est un homme très pauvre, qu'il a une
femme et six enfants et qu'il travaille très fort pour les suppor
ter et en même temps pour améliorer ladite terre ainsi obtenue
desdits Indiens et qu'il désire ardemment obtenir la confirma
tion de son titre de propriété relativement à ladite terre.
Votre requérant prierait humblement son Excellence de pren-
dre son cas en considération et d'ordonner qu'une concession lui
soit octroyée ou d'autoriser votre requérant à faire sur ces lieux
ce que son Excellence jugera juste et bon et aux conditions que
votre requérant pourra être en mesure de remplir.
Et votre requérant ne cessera de prier.
Ebenezer Travis
En 1841, Moses H. Perley, commissaire des
affaires indiennes fit plusieurs rapports sur les
conditions des Indiens au Nouveau-Brunswick,
dont certains extraits furent publiés en annexe
(pièce D-21) au Journal of the Legislative Assem
bly en 1842. Aux pages xcviii â xcix de l'annexe,
on trouve les passages suivants:
[TRADUCTION] Le 30, nous remontâmes la rivière North
West Miramichi jusqu'à Red Bank, à l'embouchure de la
rivière Little South West. Quelques familles sont établies à Red
Bank, d'autres, dans la réserve sur la rive opposée: 50 âmes en
tout.
Barnaby Julien réside à Red Bank où il possède maison et
grange passables. Il succéda à son frère André Julien au titre de
chef de la nation Micmac et obtint une commission en bonne et
due forme, portant la signature de Son Excellence Sir Archi-
bald Campbell ainsi que le contreseing du secrétaire provincial,
daté du 20 septembre 1836, le nommant chef des Indiens
Micmacs de Miramichi et de ses écarts et leur enjoignant
d'obéir à leur chef. En vertu de cette commission, Barnaby
Julien s'appropria le droit de vendre et de louer la plus grande
partie de la réserve de 10,000 acres sur la Little South West et,
dois-je avouer à regret, d'après les meilleurs renseignements
que j'ai pu obtenir, il a depuis reçu presque 2,000 livres en
argent et en biens de diverses personnes en considération d'ac-
tes et de baux et pour rentes. Ces loyers pour l'année représen-
tent une somme très importante; pourtant je le trouve tellement
gêné par ses affaires pécuniaires, qu'il n'ose pas venir à New-
castle, sauf le dimanche, par crainte d'être arrêté par le shérif.
Les membres de sa famille sont les seuls à avoir bénéficié de
l'argent qu'il a recueilli, aucun des autres Indiens n'en recevant
la plus petite partie. En conséquence de cette mauvaise gestion,
les Micmacs destituèrent solennellement Barnaby Julien de sa
charge de grand chef à leur dernière assemblée annuelle à
Burnt Church Point le jour de la Sainte-Anne (le 26 juillet) et
déclarèrent qu'il n'avait plus aucune autorité en tant que chef.
Nicholas Julien, qui venait au second rang après son frère
Barnaby, devint le principal chef des Micmacs mais il exerçait
cette fonction depuis si peu de temps lors de ma visite qu'il
n'avait encore fait aucun changement dans la gestion des
affaires.
A la page cxi de l'annexe, il est dit, relativement
à la [TRADUCTION] «Réserve sur la rivière Little
South West Miramichi», que le rapport déclare
être une étendue de quelque 10,000 acres divisée
par la Little South West:
[TRADUCTION] C'est la région dont Barnaby Julien dispose à
sa guise depuis plusieurs années, vendant et louant la quasi-
totalité de celle-ci, et gaspillant l'argent, tel qu'il est dit dans la
première partie du présent rapport. Il y a un grand nombre de
personnes dans cette réserve, des locataires qui paient leur loyer
régulièrement, qui ont fait d'importantes améliorations qui ont
accru la valeur de leur terre. Elles ont en général jugé que si
leur titre de propriété n'était pas absolu, il leur donnait néan-
moins contre le gouvernement une bonne réclamation en accord
avec les principes de l'équité, et que toutes les améliorations
qu'elles pourraient faire leur seraient acquises. Elles se situent
en général bien au-delà des colons sans titre de la dernière
région mentionnée, tant par leur caractère que par leur situa
tion. Il était très étrange de comparer ces personnes, qui
croyaient avoir un bon titre, avec celles qui n'avaient pas
l'ombre d'un droit et de remarquer la différence entre le colon
sans titre, désordonné, et le colon honnête et travailleur. L'air
et le comportement extérieur de ces derniers, le niveau supé-
rieur de confort dans leur maison, et l'apparence respectable de
leur famille étaient des preuves évidentes des avantages d'une
vie en conformité avec les lois et de la grande supériorité
morale et sociale de ceux qui vivaient ainsi sur ceux qui vivaient
en marge de la légalité.
Un rapport de l'arpenteur général sur les réser-
ves indiennes (pièce D-21) daté du 29 juin 1841 et
reproduit à la page cxxvi de l'annexe contenant le
rapport Perley décrit la réserve sur la rivière Little
Southwest Miramichi en ces termes: [TRADUC-
TION] «10,000 acres de chaque côté de la rivière
Little South West, au confluent de celle-ci et de la
rivière North West Miramichi-13 août 1783.»
Sous le titre [TRADUCTION] «Relevé du nombre de
personnes qui se sont établies et habitent dans des
parties des réserves indiennes dans la province du
Nouveau-Brunswick, 1841», le rapport indique le
nombre 49 pour la [TRADUCTION] «Réserve Little
South West». Un [TRADUCTION] «Inventaire des
terres indiennes réservées dans la province du
Nouveau-Brunswick» (pièce Pa-8), daté du 19
avril 1842 et joint en annexe aux Journals of the
House of Assembly pour la période du 31 janvier
1843 au 11 avril 1843 indique une réserve dans le
comté de Northumberland d'une superficie de
10,000 acres de [TRADUCTION] «chaque côté de la
rivière Little South West Miramichi, à son
embouchure».
En 1844, l'assemblée législative adopta une
loi-7 Vict., c. 47—«An Act to regulate the man-
agement and disposa! of the Indian Reserves in
this Province». La raison pour laquelle cette Loi
fut adoptée est énoncée dans son préambule dont
voici le libellé: [TRADUCTION] «Attendu que la
grande superficie des étendues de terres de valeur
réservées à l'usage des Indiens dans diverses par
ties de cette province tend à retarder considérable-
ment la colonisation du pays, alors que de grandes
parties de ces terres ne produisent, dans leur état
d'abandon actuel, aucun bénéfice pour le peuple
auquel leur usage était réservé: Et attendu qu'il est
souhaitable que ces terres soient mises en état de
les rendre non seulement productives pour les
Indiens mais également aptes à favoriser la coloni
sation du pays ...». La Loi prévoyait l'arpentage
des réserves et la vente ou la location de parties de
celles-ci, pour la colonisation ainsi que la nomina
tion de commissaires dans chaque comté où se
trouvaient des réserves [TRADUCTION] «pour s'oc-
cuper des réserves dans leur comté respectif et
pour surveiller l'arpentage et présider à la vente de
celles-ci, ou de parties de celles-ci, si le lieutenant-
gouverneur en ordonnait la vente en vertu des
dispositions de la présente Loi, et en outre pour
protéger de façon générale les intérêts des Indiens
des comtés où se trouvent des réserves, et pour
empêcher qu'on empiète sur celles-ci.» La Loi de
1844 fut remplacée par le chapitre 85 des Revised
Statutes of New Brunswick de 1854 intitulé «Of
Indian Reserves» et dont l'objet était essentielle-
ment le même.
Il semble que ce soit par suite de la Loi de 1844
qu'en 1845 et en 1847, David Sadler, arpenteur-
géomètre adjoint, procéda à l'arpentage de la
partie de la réserve se trouvant sur la rive nord de
la rivière Little Southwest Miramichi. Le plan et
le rapport de l'arpentage sont cotés pièce Pa-9.
Une autre version du plan est cotée pièce Pa-10.
Le plan indique 21 lots sur la rive nord de la
rivière. Le lot 5 est décrit comme étant «inoccupé»,
35 chaînes de largeur et d'une superficie de 323
acres. Dans le rapport intitulé [TRADUCTION]
«Plan et arpentage d'une partie de l'étendue de
terre réservée pour la tribu d'Indiens Julian située
sur la rive nord de la Little South West, un bras de
l'embranchement nord-ouest de la rivière Mirami-
chi», on trouve la description suivante du lot 5:
[TRADUCTION] Le lot numéro 5 est inoccupé, le sol de la partie
avant de cette terre est de très pauvre qualité et dans l'ensemble
impropre à la culture—de ces 323 acres environ 3 sont exploi
tés, occupés par Ebinezer Travis qui y a construit un chalet
dans ,lequel il demeure.
Dans les années qui suivirent l'arpentage de
Sadler, il semble que des mesures aient été prises
pour que les colons achètent les lots qu'ils occu-
paient dans les réserves. Le professeur Hamilton a
témoigné que la terre fut [TRADUCTION] «mise
aux enchères à Newcastle en 1849». Le dossier
semble indiquer que certains lots furent vendus
mais que des lettres patentes ne furent pas émises:
on attendait le parfait paiement du prix. Une lettre
du secrétaire du ministère des Affaires indiennes
datée du 16 septembre 1898 (pièce Pa-19) con-
firme que plusieurs des lots dans la réserve sur la
rive nord et sur la rive sud de la rivière Little
Southwest Miramichi avaient fait l'objet de l'oc-
troi de [TRADUCTION] «lettres patentes» par le
gouvernement du Nouveau-Brunswick dans les
années 1850 et 1860. Le lot 5 sur la rive nord de la
rivière ne fut jamais concédé à Ebenezer Travis.
Ce n'est qu'en 1901 ou peu de temps après qu'une
partie du lot 5 original fut concédée à son petit-
fils, Ebenezer A. Travis, mais l'immeuble ne fut
pas inclus dans cette concession.
Dans les résultats des recensements au Nou-
veau-Brunswick en 1851, 1861 et 1871 (pièce
D-27), il existe des données relativement à Ebene-
zer Travis durant cette période. Le recensement de
1851 indique qu'il résidait dans la région mais
n'indique pas la terre qu'il occupait. L'annexe
agriculture jointe au recensement de 1861 sous le
titre [TRADUCTION] «Acres de terre possédée ou
occupée», indique qu'Ebenezer Travis avait 8 acres
de terre exploitée et 300 acres de terre non exploi-
tée. L'annexe n° 3 du recensement de 1871, sous le
titre [TRADUCTION] «Total global d'acres de terre
possédée», indique un total de 325 acres pour
Ebenezer Travis.
En 1867, la compétence relativement aux réser-
ves indiennes au Nouveau-Brunswick fut donnée
au gouvernement du Dominion par l'article 91(24)
de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique,
1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970,
Appendice II, n° 5] qui attribuait au Parlement la
compétence législative relativement aux «Indiens et
[aux] terres réservées pour les Indiens». En 1868,
le Parlement adopta la première loi sur les Indiens,
31 Vict., c. 42, intitulée «Acte pourvoyant à l'orga-
nisation du Département du Secrétaire d'Etat du
Canada, ainsi qu'à l'administration des Terres des
Sauvages et de l'Ordonnance». Elle attribuait au
Secrétaire d'État, en sa qualité de Surintendant-
Général des affaires des Sauvages, le contrôle et
l'administration des terres réservées à l'usage des
Indiens. L'article 32 de cette loi abrogeait la loi du
Nouveau-Brunswick relative aux réserves indien-
nes (L.R.N.-B. 1854, c. 85) et prévoyait le trans-
fert de la compétence sur les terres et deniers
possédés au nom des Indiens du Nouveau-Bruns-
wick. En voici le libellé:
32. Le quatre-vingt-cinquième chapitre des Statuts Revisés
du Nouveau-Brunswick concernant les réserves des Sauvages,
est par le présent révoqué; et les commissaires nommés en vertu
du même chapitre, devront immédiatement remettre tous les
deniers entre leurs mains, et provenant de la vente ou location
des terres des Sauvages, ou autrement perçus sous l'autorité du
même chapitre, au Receveur-Général du Canada, qui les por-
tera au crédit des Sauvages du Nouveau-Brunswick; et tous les
deniers provenant de cette source et actuellement entre les
mains du Trésorier du Nouveau-Brunswick, devront être remis
au Receveur-Général du Canada et portés au crédit des dits
Sauvages; et toutes les terres et propriétés des Sauvages, admi-
nistrées par les commissaires ci-haut mentionnés, ou par toute
autre personne quelconque, pour l'usage des Sauvages, seront à
l'avenir transférées à la Couronne et placées sous le contrôle du
Secrétaire d'Etat.
En réponse à une lettre datée du 26 octobre
1867 où le Secrétaire d'État demandait certains
renseignements relativement aux terres indiennes
du Nouveau-Brunswick, notamment la partie des
terres dans les réserves qui avait été concédée ou
vendue et les sommes dues sur les prix de vente, le
bureau des terres de la Couronne de la province,
dans une lettre datée du 2 décembre 1867 (pièce
Pa-11), déclarait qu'il fournissait un [TRADUC-
TION] «Inventaire de toutes les terres non concé-
dées qui sont possédées pour les Indiens, et un
inventaire indiquant quels lots ont été vendus mais
non encore concédés». L'inventaire comprenait une
liste de [TRADUCTION] «terres indiennes au Nou-
veau-Brunswick» datée du 12 novembre 1867, qui
indiquait que la réserve sur les deux rives de la
rivière Little Southwest Miramichi comprenait
alors 8,124 acres. Au bas de la liste, qui indique un
total de 58,594 acres pour toutes les réserves, il est
écrit [TRADUCTION] «3,235 1 / 2 acres du total pré-
cité ont été vendues à des colons `blancs' mais
n'ont pas encore été concédées (voir l'inventaire
ci-inclus)». Une liste semblable de réserves datée
du 19 mai 1870 (pièce Pa-12) indique que la
réserve compte le même nombre d'acres de chaque
côté de la Little Southwest.
En 1895, il y eut deux cessions portant censé-
ment sur des lots se trouvant dans les réserves Big
Hole, Indian Point et Red Bank, l'une, le 10 avril
1895 (pièce Pa-15) et l'autre le 6 juin 1895 (pièce
Pa-14). Leur teneur est pratiquement identique, à
l'exception des signataires. On peut également les
trouver dans Indian Treaties and Surrenders, vol.
III, n°s 366A et 366B, aux pages 156 160. Les
affidavits attestant la conformité avec les formali-
tés requises pour une cession par l'article 39 de
l'Acte des Sauvages, S.R.C. 1886, c. 43, indi-
quent—et cela était même reconnu aux fins de
l'appel—que la cession du 6 juin 1895 était celle
aux termes de laquelle les lots de la réserve Red
Bank furent cédés. La cession comprenait le lot 5
sur la rive nord de la rivière Little Southwest
Miramichi dans lequel, les témoins experts en
conviennent, l'immeuble se trouvait alors. La ces
sion relative aux lots de la réserve Red Bank est
libellée comme suit:
[TRADUCTION] FAISONS ASSAVOIR PAR CES PRÉSENTES
QUE NOUS, soussignés chef et dirigeants des Indiens propriétai-
res des réserves Big Hole, Indian Point et Red Bank, résidant
dans nos réserves ci-dessus mentionnées dans le comté de
Northumberland dans la province du Nouveau-Brunswick et
Dominion du Canada, pour et au nom de tout le peuple de
nosdites bandes en conseil assemblés, par les présentes cédons,
transférons, abandonnons, renonçons et transmettons à Notre
Souveraine, la Reine, ses héritiers et successeurs, à tout jamais,
TOUS ET CHACUN, une certaine région ou étendue de terre,
avec bâtiments, sise dans la paroisse de North Esk dans le
comté de Northumberland et dans la province du Nouveau-
Brunswick comprenant, après mesure
, plus ou moins, et étant composé des lots
numéros trois, six, sept, quatorze, seize, dix-huit, vingt, vingt-
deux et vingt-trois sur la rive sud de la rivière Little South
West Miramichi et des lots un, deux, trois, cinq, six, sept et
dix-sept sur la rive nord de la rivière Little South West
Miramichi, tous ces lots se trouvant dans la réserve indienne
Red Bank (ainsi appelée) ....
POUR QUE Sa Majesté la Reine, ses héritiers et successeurs
possèdent et détiennent lesdites terres en fiducie pour les vendre
à la personne ou aux personnes et aux conditions que le
gouvernement du Dominion du Canada jugera les plus favora-
bles pour notre bien-être et celui de notre peuple.
ET à la condition que la totalité du produit de leur vente,
après déduction du pourcentage usuel pour frais de gestion, soit
déposée à notre compte et l'intérêt versé à nous-même et à nos
descendants, comme il semblera juste au ministère des Affaires
indiennes.
ET NOUS lesdits chef et dirigeants desdites bandes d'Indiens,
au nom de notre peuple et en notre nom, ratifions et confirmons
et promettons de ratifier et de confirmer tout ce que ledit
gouvernement pourra faire ou pourra faire faire légitimement
relativement à la vente desdites terres et à la disposition desdits
montants d'argent.
La cession fut acceptée par le gouverneur en
conseil le 25 juillet 1895. Une comparaison du
numéro des lots figurant dans la cession avec ceux
qui, d'après la lettre du 16 septembre 1898 (pièce
Pa-19), avaient fait l'objet de l'octroi de lettres
patentes par le gouvernement du Nouveau-Bruns-
wick avant la Confédération démontre qu'on avait
l'intention de céder les lots non concédés le long de
la rivière dans la réserve Red Bank. Le rapport du
comité du Conseil privé qui recommandait l'accep-
tation des cessions (pièce Pa-15) déclare que les
lots cédés étaient [TRADUCTION] «occupés par des
colons sans titre, la cession ayant pour but de
permettre au ministère des Affaires indiennes de
vendre les lots aux parties qui les occupent».
En 1898, W. D. Carter, un représentant du
ministère des Affaires indiennes agissant sur les
directives dudit ministère, fit une enquête sur la
question des [TRADUCTION] «colons sans titre de
la réserve indienne Red Bank» et il ressort de son
rapport au Secrétaire de ce ministère, daté du 15
juillet 1898 (pièces Pa-17 et Pa-18), que des lots
sur les deux rives de la rivière Little Southwest
Miramichi étaient occupés par des non-Indiens. Le
rapport contient la déclaration suivante relative-
ment au lot 5 sur la rive nord de la rivière:
[TRADUCTION] Lot n° 5. Occupé par Stephen Johnson (absent)
et Ebenezar Travis. M°" Travis m'affirme qu'ils ont eu leur
propriété de Jared Tozer qui l'avait eue des Indiens il y a
soixante ans. Ils prétendent qu'elle leur appartient de droit.
Ledit Ebenezer Travis, mentionné dans cette
déclaration, serait Ebenezer A. Travis, le petit-fils
d'Ebenezer Travis qui le premier eut la possession
de ce lot vers 1838 et dont il tient la possession.
Il semble qu'à cette époque le ministère des
Affaires indiennes faisait pression pour que les
«colons sans titre» achetassent la terre qu'ils habi-
taient. La lettre du Secrétaire, datée du 16 septem-
bre 1898, adressée à W. D. Carter (pièce Pa-19)
contient la déclaration suivante:
[TRADUCTION] Pour ce qui concerne le prix qu'on devrait
demander aux colons sans titre pour les terres qu'ils habitent
dans cette réserve, qu'il me soit permis de vous apprendre que
par suite d'une forte pétition de ces colons et de votre rapport
relativement au prix à demander, le ministère a consenti à
réduire le prix à 80 cents l'acre et je vous prierais de bien
vouloir en aviser ces colons sans titre et de leur demander de
faire un versement, dès cet automne, d'au moins un cinquième
du prix d'achat.
Une lettre datée du 5 juillet 1901 (pièce Pa-20)
que le Secrétaire du ministère adressait au sous-
ministre de la Justice contient le passage suivant:
[TRADUCTION] On me demande d'inclure un exposé des faits
concernant les colons sans titre de la réserve indienne Red
Bank, comté de Northumberland (N.-B.), et d'exiger que des
mesures soient prises pour les forcer à payer les terres.
En 1901, William E. Fish, arpenteur-géomètre
adjoint, effectua l'arpentage du lot 5 pour Ebene-
zer A. Travis, pour servir de fondement à une
concession en sa faveur. Le [TRADUCTION] «Plan
du lopin de terre arpenté pour Ebeneazer Travis
dans la réserve indienne de Little South West
Miramichi» daté du 28 novembre 1901 (pièce
Pa-21) qui fut préparé par lui montre un lot de
140 acres, d'une largeur de 15 chaînes, délimité
pour Travis, et un lopin adjacent, à l'est, dans
laquelle l'immeuble se trouvait, portant l'inscrip-
tion [TRADUCTION] «Terre indienne inoccupée».
En 1904, Fish effectua l'arpentage des lots des
deux côtés, nord et sud, de la rivière à la suite
duquel il y eut une rectification des limites des lots
5 et 6 du côté nord pour former trois lots qui
devinrent les lots 5, 5A et 6. Les nouvelles limites
figurent sur le [TRADUCTION] «Plan d'arpentage
des terres revendiquées par des colons sans titre
dans la réserve indienne de Little South West
Miramichi» daté du 13 avril 1904 (pièce Pa-24).
Sur ce plan, les lots se trouvant entre les lots 4 et 8
du côté nord de la rivière ne sont pas numérotés.
Les numéros sont marqués sur le [TRADUCTION]
«Plan de la réserve indienne Red Bank» daté du 4
mars 1905 (pièce Pa-26), qui semble fondé sur
l'arpentage de Fish. Sur ces deux plans, il est
indiqué que le nouveau lot 5, d'une largeur de 10
chaînes, est occupé par Stephen Johnston et que le
nouveau lot 5A, d'une largeur de 15 chaînes et
d'une superficie de 144 acres, est occupé par Ebe-
nezer Travis et que le nouveau lot 6 est «inoccupé».
Le résultat de l'arpentage de Fish de 1904 se
résume comme suit: les 10 premières chaînes de la
partie ouest de l'ancien lot 5 qui, d'après le plan
Sadler de 1845-1847, avait une largeur de 35
chaînes, est devenu le nouveau lot 5 occupé par
Stephen Johnston; les 15 chaînes du milieu de
l'ancien lot 5 sont devenues le nouveau lot 5A,
d'une superficie de 144 acres, qui fut concédé à
Ebenezer A. Travis; et les 10 dernières chaînes de
la partie est de l'ancien lot 5 qui, sur le plan de
1901 (pièce Pa-21) portait l'inscription «Terre
indienne inoccupée», devint la partie ouest du nou-
veau lot 6. C'est ainsi que l'immeuble, qui avait
d'abord fait partie du lot 5, est devenu partie du
lot 6.
Il faut maintenant examiner l'occupation du lot
6 par la famille Mutch. Dans le rapport Carter de
1898 (pièce Pa-17), il est indiqué que l'ancien lot 6
du côté nord de la rivière est «revendiqué» par
James Mutch. Il y est également inscrit comme
occupant des lots 7 et 8 du côté sud, où on dit qu'il
a vécu. En 1904 ou 1905, Isaac Mutch, son petit-
fils, déménagea une vieille école sur la moitié ouest
du nouveau lot 6, du côté nord de la route princi-
pale entre Red Bank et Halcombe; c'était pour en
faire sa maison. Le fils d'Isaac et d'autres person-
nes qui l'avaient connu pendant plusieurs années
ont présumé qu'il avait reçu la propriété qu'il
occupait de son père, Edmund, qui était censé
l'avoir reçue de James. Selon la tradition locale,
James obtint la propriété qu'il occupait dans l'an-
cien lot 6 d'un dénommé «Moses». Il est clair
toutefois qu'en 1898, James ne pouvait avoir
occupé la bande de 10 chaînes, puisqu'elle faisait
toujours partie de l'ancien lot 5 et que ce n'est
qu'en 1901 qu'elle fut exclue par le plan Fish de la
terre qui devait être concédée à Ebenezer A.
Travis. C'est là la propriété qui fut occupée par
Isaac Mutch à compter de 1904 ou de 1905. La
moitié est du nouveau lot 6 fut plus tard occupée
par son frère William Mutch. La moitié est aurait
fait partie de l'ancien lot 6 d'après le plan Sadler
de 1847 et probablement de la terre revendiquée
par James Mutch selon le rapport Carter. Le
professeur Hamilton exprima l'opinion que la pro-
priété d'Isaac Mutch avait été créée par l'arpen-
tage de Fish de 1901. C'est sans doute vrai d'une
certaine façon mais la preuve est muette pour ce
qui concerne l'occupation de cette terre entre
1901, lorsqu'elle fut exclue, par l'arpentage de
Fish, de la terre devant être concédée à Travis, et
1904 ou 1905, lorsque Isaac Mutch y est démé-
nagé. Il n'y a rien qui suggère un quelconque lien
ou une continuité entre l'occupation de cette terre
par Ebenezer A. Travis et l'occupation subsé-
quente d'Isaac Mutch.
Il y eut de nombreux témoignages sur la nature
de l'occupation par Isaac Mutch de la moitié ouest
du nouveau lot 6 et particulièrement de l'immeu-
ble, soit la partie de la moitié ouest du lot 6 se
trouvant entre la grande route et la rivière. Parmi
les témoins il y avait son fils, Weldon, le fils de son
frère William, Vaughan, et plusieurs doyens de la
localité qui ont connu Isaac Mutch pendant pres-
que toute la période où il a occupé le lot 6. Il
ressort de la preuve qu'Isaac Mutch était un fer-
mier et un marchand de bois. Il faisait un peu de
culture et de coupe d'arbres sur la terre qu'il
occupait au nord de la grande route. La partie de
la terre se trouvant entre la grande route et la
rivière était en grande partie boisée mais il y avait
un «interval» ou clairière, que l'on appelait parfois
un pré, près de la rivière et juste au-dessus de
l'emplacement actuel du chalet de l'intimé. Une
route, que l'on dit avoir été pratiquée par Mutch,
traversait la terre depuis la grande route jusqu'à la
rivière et donnait accès à Hay Island qui se trouve
à l'opposé de l'immeuble. Mutch faisait de la
culture dans cette île ainsi que dans l'«interval» ou
clairière. Ces deux endroits étaient clôturés. Sa
famille et lui coupaient, sur l'immeuble, des arbres
qu'il vendait pour la pulpe de bois ou sous forme
de bûches; il se faisait aussi du bois de chauffage
pour son propre usage. Ses fils coupaient égale-
ment des arbres de Noël. A une certaine époque, la
route qui traversait l'immeuble était utilisée pour
mener des chevaux jusqu'à la rivière où des
radeaux étaient halés jusqu'à Red Bank. Dans les
années 1940, Mutch et sa famille exploitèrent une
petite scierie du côté nord de la grande route dans
le cadre de leurs activités de coupe de bois. Il
ressort de la preuve qu'Isaac Mutch a payé des
taxes pour la partie du lot 6 qu'il occupait.
Le 24 février 1919, Isaac Mutch écrivit la lettre
suivante (pièce Pa-27) au ministère des Affaires
indiennes:
[TRADUCTION]
Messieurs,
Je vis sur une parcelle de terre indienne située entre le côté
nord de la rivière Lyttle South West, le côté est du lot n° 6,
mesurant 42 perches de largeur, bornée à l'ouest par une terre
réclamée par Ebenezar Traviss
Et j'aimerais en obtenir la concession.
Veuillez agréer, Messieurs, l'expression de mes sentiments
distingués.
Isaac N. Mutch
C.P. Lyttleton south Esk
Comté de Northumberland (N.-B.)
J'aimerais l'obtenir le plus tôt possible, s'il vous plaît.
Une note de service datée du 14 mars 1919
(pièce Pa-28) de H. J. Bury, inspecteur forestier, à
un certain M. Orr du ministère des Affaires
indiennes relativement à [TRADUCTION] «la
demande ci-jointe présentée par Isaac Mutch pour
acheter la moitié est du lot n° 6 du côté nord de la
rivière Little South West Miramichi dans la
réserve Redbank», recommandait que l'on offre à
Mutch la possibilité d'acheter cette terre au prix
de $2 l'acre et concluait en ces termes: [TRADUC-
TION] «J'estime que cette demande est une des
conséquences de l'enquête récente sur l'empiéte-
ment de blancs sur la réserve et que ces colons se
rendent maintenant compte qu'ils doivent restrein-
dre leurs activités de coupe de bois à leurs propres
terres.»
On demanda à Mutch de fournir une description
des limites de la terre pour laquelle il demandait
une concession et un arpentage fut fait et un plan
préparé par William E. Fish. Le plan (pièce
Pa-33) est daté du 6 juin 1919 et s'intitule comme
suit:
[TRADUCTION] R.I. N° 7 (Partie de Red Bank)
Réserve indienne de la rivière Little South
West Miramichi (N.-B.)
Rapport d'arpentage de 107.64 acres dans ladite réserve
Fait pour Isaiah N. Mutch
Dans sa lettre au ministère, Isaac Mutch avait
mentionné le «côté est» du lot 6 mais il ressort
clairement du plan Fish que ce qui était visé et ce
qui fut arpenté pour lui, c'est le côté ouest du lot 6,
borné à l'ouest par le lot arpenté pour Ebenezer A.
Travis en 1901 et du côté est par l'autre moitié du
lot 6 occupé par William Mutch.
Isaac Mutch exprima l'opinion (pièces Pa-31 et
Pa-32), fondée, semble-t-il, sur quelque chose que
lui avait dit Bury, que $2 l'acre était un prix trop
élevé et que $1.50 l'acre serait un prix raisonnable.
De toute façon, il n'obtint jamais la concession
pour la terre.
Mutch vécut dans la maison qu'il avait cons-
truite sur le lot 6 jusque vers le début des années
1920. Par la suite, jusqu'en 1960, il vécut dans une
propriété appelée Summers' Farm qu'il avait ache-
tée dans les environs. Pendant cette période, la
maison du lot 6 fut occupée par des membres de sa
famille mais il continua à se servir de sa propriété,
y compris l'immeuble, pour la culture et la coupe
de bois.
Isaac Mutch et sa femme ont transféré la pro-
priété de l'immeuble à l'intimé en trois lopins, par
des actes de vente datés du 26 septembre 1952, du
8 septembre 1958 et du 16 juillet 1959. L'intimé a
versé à Mutch un total de $1,600 pour l'immeuble.
Lors de l'achat, il n'était au courant d'aucune
revendication indienne relativement à l'immeuble,
mais il ne fit pas faire d'examen des titres. En
1953, il construisit sur l'immeuble un chalet de
plus de $8,000. Il comprend un bâtiment principal
relié à une cuisine par un passage couvert. L'in-
timé y passait la belle saison avec sa famille et le
louait parfois à d'autres. Pendant plusieurs années,
l'intimé a vendu du gravier extrait de la carrière de
gravier qui se trouve sur l'immeuble. Il n'est pas
improbable que la vente de gravier ait pu provo-
quer la prise des procédures par l'appelante.
Le 25 mars 1958, les gouvernements du Canada
et du Nouveau-Brunswick ont conclu une conven
tion relativement aux réserves indiennes de la pro
vince, convention qui fut ratifiée et confirmée par
des lois fédérale et provinciale: L.N.-B. 1958, c. 4
et S.C. 1959, c. 47. Son objet est énoncé dans le
préambule dont voici le libellé:
CONSIDÉRANT que, depuis l'adoption de l'Acte de l'Améri-
que du Nord britannique (1867), certaines terres dans la
province du Nouveau-Brunswick, mises à part pour les Indiens,
ont été cédées à la Couronne par les Indiens qui y avaient droit;
CONSIDÉRANT que des lettres patentes, censées transférer
lesdites terres à diverses personnes, ont été, de temps à autre,
délivrées sous le Grand Sceau du Canada;
ET CONSIDÉRANT que deux décisions du Comité judiciaire
du Conseil privé, relatives à des terres indiennes dans les
provinces d'Ontario et de Québec, amènent à conclure que
lesdites terres n'auraient pu être transférées légalement que
sous l'autorité du Nouveau-Brunswick, en conséquence de quoi
les cessionnaires desdites terres détiennent des titres défectueux
et subissent des privations et inconvénients en l'espèce;
A CES CAUSES, LA PRÉSENTE CONVENTION FAIT FOI QUE
les parties aux présentes, en vue de régler tous les problèmes en
cours relatifs aux réserves indiennes dans la province du Nou-
veau-Brunswick, et de permettre au Canada de prendre à
l'avenir des mesures efficaces à l'égard des terres faisant partie
desdites réserves, sont convenues, sauf approbation du Parle-
ment du Canada et de la Législature de la province du Nou-
veau-Brunswick, de ce qui suit:
Les paragraphes 2, 3 et 6 de la convention sont
ainsi rédigés:
2. Toutes les concessions de terres visées par lettres patentes
sont par les présentes confirmées, sauf dans la mesure où ces
concessions sont censées transférer des minéraux aux cession-
naires. Lesdits minéraux sont par les présentes reconnus comme
étant la propriété de la province.
3. Le Nouveau-Brunswick transfère par les présentes au
Canada tous les droits et intérêts de la province dans les terres
de réserve, sauf celles qui se trouvent sous les routes publiques,
et les minéraux.
6. (1) Le Canada doit aussitôt notifier au Nouveau-Brunswick
toute cession, et le Nouveau-Brunswick peut, dans les trente
jours de la réception d'un tel avis, choisir d'acheter les terres
cédées à un prix dont on devra convenir.
(2) Si le Nouveau-Brunswick n'exerce pas son choix dans
ledit délai de trente jours, le Canada peut disposer des terres
cédées sans se référer davantage au Nouveau-Brunswick.
(3) Quand une cession est faite à la condition que les terres
cédées soient vendues à une personne nommée ou désignée,
selon un certain prix ou moyennant une certaine cause ou
considération, le Nouveau-Brunswick doit exercer son choix
sous réserve dudit prix ou de ladite cause ou considération.
(4) Sous réserve de l'alinéa (3) du présent paragraphe, si le
Canada et le Nouveau-Brunswick sont incapables, dans les
trente jours de la date où l'on a opté pour un achat, de
s'entendre sur le prix que doit payer le Nouveau-Brunswick
pour des terres cédées, la question doit être soumise à des
arbitres de la manière suivante:
a) le Canada et le Nouveau-Brunswick désigneront chacun
un arbitre, et les deux arbitres ainsi nommés en dési-
gneront un troisième;
b) la décision des arbitres sur le prix que doit payer le
Nouveau-Brunswick pour les terres cédées sera définitive
et péremptoire; et
c) les frais d'arbitrage seront supportés, à parts égales, par
le Canada et le Nouveau-Brunswick.
Le paragraphe 1 de la convention définit comme
suit les termes «terres de réserve», «terres visées par
lettres patentes» et «cession»:
1. ...
b) l'expression «terres de réserve» désigne les réserves, dans la
province, dont fait mention l'appendice de la présente
convention;
c) l'expression «terres visées par lettres patentes» désigne les
étendues de terre dans la province à l'égard desquelles le
Canada a accepté, de la part des Indiens fondés à en faire
usage et à les occuper, des cessions de leurs droits et intérêts
y afférents, et au sujet desquelles des concessions furent
faites au moyen de lettres patentes délivrées sous le Grand
Sceau du Canada;
f) «cession» signifie la cession en vue de la vente de terres de
réserve ou d'une partie de semblables terres, en conformité
de la Loi sur les Indiens, mais ne comprend pas une cession
des droits et intérêts afférents à ces terres pour des objets
autres que la vente;
La liste des réserves dans l'Appendice de la
convention inclut la réserve indienne Red Bank n°
4 et la réserve indienne de Red Bank n° 7, dont les
emplacements respectifs sont décrits en ces termes:
Dans la paroisse de Southesk, à environ un mille à l'ouest du
village de Red-Bank, et au sud de la rivière Little Southwest
Miramichi près du confluent de cette dernière et de la rivière
Northwest Miramichi.
Dans la paroisse de Southesk avec une petite partie dans le
coin nord-est de la paroisse de Northesk. Au nord de la rivière
Little Southwest Miramichi, en face de la réserve indienne n° 4
de Red-Bank.
En 1963 et 1964, W. D. McLelland, arpenteur-
géomètre du ministère fédéral des Mines et Res-
sources effectua un arpentage et prépara un plan
(pièce Pa-41) intitulé: [TRADUCTION] «Carnet du
nouvel arpentage des limites artificielles d'une
partie de la réserve indienne n° 7 de Red Bank et
des lots 6 et 7 (cédés), comté de Northumberland,
Nouveau-Brunswick». En février 1973, il prépara
une description (pièce Pa-38) et un plan (pièce
Pa-43) du lot 6-1 où il le décrit comme étant une
partie du lot 6 (cédé), réserve indienne n° 7 de Red
Bank. Ces documents furent présentés comme une
description et un plan de l'immeuble et ils furent
apparemment préparés aux fins des procédures
engagées par l'appelante. M. McLelland a témoi-
gné relativement à la situation de l'immeuble sur
les divers plans préparés au cours des ans. Il
confirma que l'immeuble se trouvait dans le coin
sud-est de l'ancien lot 5 figurant sur le plan Sadler
de 1847 et dans le coin sud-ouest du nouveau lot 6
figurant sur les plans Fish de 1904 et de 1919.
L'intimé déclara dans son témoignage que per-
sonne ne lui avait mentionné que l'immeuble était
une terre indienne lorsqu'il construisit son chalet
en 1953. Il semble qu'il apprit que d'autres pour-
raient avoir des droits dans l'immeuble lorsque
McLelland effectua son arpentage en 1964, mais il
n'en a plus entendu parler. En 1971, la bande Red
Bank s'opposa à l'exploitation de la carrière de
gravier et menaça d'obtenir une injonction. L'in-
timé consentit à fermer la carrière dès qu'il aurait
rempli les commandes courantes et à placer dans
un compte en fiducie le produit de la vente du
gravier jusqu'à ce que soit réglée la revendication
des Indiens. A une rencontre avec l'intimé vers
cette époque, des représentants du gouvernement
fédéral lui proposèrent de prendre à bail l'immeu-
ble que le gouvernement lui louerait, mais il
refusa. Le 15 février 1973, la bande d'Indiens Red
Bank allégua que l'intimé revendiquait sous forme
d'opposition le droit à la possession de l'immeuble
et demanda au procureur général du Canada de
produire une dénonciation à la Cour fédérale pour
réclamer la possession de l'immeuble au nom de la
bande. Le 23 février 1973, l'intimé fut sommé au
nom de la Couronne de leur rendre la libre posses
sion de l'immeuble. L'intimé refusa. La procédure
de l'appelante fut introduite le 11 mai 1973.
Le jugement de la Division de première instance
La Division de première instance rejeta l'action
au motif que le titre de la Couronne relativement à
l'immeuble, de même que les droits et les intérêts
des Indiens dans celui-ci, avaient été éteints par
une possession acquisitive continue de plus de
soixante ans et que l'intimé avait donc le droit à la
possession de l'immeuble. Les conclusions du
savant juge de première instance relativement à la
question de la possession acquisitive se trouvent
dans les passages suivants [aux pages 670 et 671]
de ses motifs:
En bref, après la création de la province du Nouveau-Bruns-
wick en 1784, la province a accordé aux Indiens en 1808 un
permis d'occupation, qu'ils ont négligé d'exercer sur le lopin de
terre longeant la rivière Little Southwest Miramichi. De 1830
jusqu'à la cession de 1895, les Indiens ont perdu leur droit
d'occupation en raison de la possession acquisitive. La cession
de 1895 ne pouvait évidemment pas transférer à la Couronne
du chef du Canada ce que les cédants avaient déjà perdu et la
possession acquisitive au cours de cette période jouait contre la
Couronne du chef de la province, la personne alors en titre,
jusqu'à la convention de 1958. Cette convention ne pouvait pas
porter préjudice à une possession acquisitive déjà établie. La loi
fédérale interdisant la prescription, la Loi sur les concessions
de terres publiques, ne pouvait bien sûr s'appliquer à la terre en
question avant la convention de 1958 et, à ce moment-là, la
possession acquisitive avait été établie et les droits des proprié-
taires antérieurs étaient éteints.
Sur cette lisière de terrain longeant la rivière Little South
west Miramichi se trouve l'agglomération non indienne actuelle
de Lyttleton où se situe le lopin de terre que possédait Ebenezer
Travis en 1838. En 1898, James Mutch occupait manifestement
le lot 6 de ce lopin. Son petit-fils Isaac a construit sur ce lot en
1904 et, en 1952, 1958 et 1959, en a vendu au défendeur les
parties qui composent la propriété maintenant réclamée dans la
présente dénonciation.
Pendant toute cette période, de 1838 à la date de cette
dénonciation en 1973, soit pendant 135 ans, la possession
acquisitive n'a été effectivement interrompue par aucune des
parties ayant droit de le faire, soit la province du Nouveau-
Brunswick de 1838 à 1958, le gouvernement du Canada de
1958 à 1973 et la bande Red Bank pour ce qui touche leur
propre droit d'occupation pendant la période.
Je conclus donc que le défendeur et ses prédécesseurs ont
établi la possession acquisitive sur la propriété en question à
l'encontre de tous et je rejette l'action de la demanderesse avec
dépens.
Moyens d'appels
L'attaque de ce jugement par l'appelante se
fonde sur deux moyens: a) la loi provinciale rela
tive à la prescription ne peut valablement s'appli-
quer de façon à éteindre le droit de possession
revendiqué par l'appelante; et b) de toute façon, la
preuve ne justifie pas une conclusion qu'il y eut
possession acquisitive non interrompue d'au moins
soixante ans.
Le droit de possession de l'appelante
Il est tout d'abord nécessaire d'examiner la
nature et le fondement du droit de possession
revendiqué par l'appelante. J'ai trouvé cette ques
tion très difficile à cause des circonstances particu-
lières de l'espèce, des allégations et conclusions de
la dénonciation, des dispositions de la Loi sur les
Indiens relatives aux terres se trouvant dans des
réserves et aux terres cédées, et à cause des déci-
sions judiciaires sur la nature de l'intérêt des
Indiens et sur les droits des gouvernements fédéral
et provinciaux relatifs à ces terres. Un examen de
cette question initiale est essentiel pour deux rai-
sons: a) elle a un rapport évident avec la question
de savoir si la loi provinciale sur la prescription
d'actions en recouvrement de terres s'appliquait,
durant la période importante, au droit de posses
sion revendiqué par l'appelante; et b) elle a un
rapport évident avec la prétention de l'intimé por-
tant que, indépendamment de la question de l'ap-
plication de la loi provinciale durant la période
importante, l'action de l'appelante devrait être
rejetée parce qu'elle ne peut démontrer un droit
supérieur de possession. Elle comporte en particu-
lier un examen de l'effet de la cession de 1895 et
de la convention de 1958 sur les divers droits et
intérêts dans la terre.
Il semble opportun de commencer en mention-
nant certains principes généraux concernant la
nature des divers droits et intérêts dans les terres
se trouvant dans des réserves indiennes, principes
consacrés par les tribunaux, notamment dans les
décisions du Conseil privé dans les affaires suivan-
tes: St. Catherine's Milling and Lumber Company
c. La Reine (1889) 14 App. Cas. 46; Le procureur
général du Dominion du Canada c. Le procureur
général de l'Ontario [ 1897] A.C. 199; Ontario
Mining Company, Limited c. Seybold [ 1903] A.C.
73; Dominion du Canada c. La province de l'On-
tario [1910] A.C. 637; Le procureur général de la
province de Québec c. Le procureur général du
Dominion du Canada (l'affaire Star Chrome)
[1921] 1 A.C. 401. Le titre juridique des terres se
trouvant dans une réserve indienne appartient à la
Couronne, la propriété réelle de ces terres, en
l'absence d'un accord semblable à celui qui fut
conclu en l'espèce en 1958, appartient à la pro
vince où les terres se trouvent, en vertu de l'article
109 de 1'A.A.N.B. Le titre de la Couronne est
assujetti au droit ou intérêt indien (parfois appelé
«titre indien») qu'on a défini comme étant un droit
personnel et usufructuaire. Lorsque le titre indien
est éteint, la propriété réelle de la terre retourne à
la province à défaut d'un accord qui aurait trans-
féré cette propriété au Canada. La compétence
législative exclusive sur «les Indiens et les terres
réservées pour les Indiens» attribuée au fédéral par
l'article 91(24) de 1'A.A.N.B. ne confère pas au
gouvernement du Canada un droit de propriété
dans la réserve ni le pouvoir de s'approprier le
droit de propriété provincial dans les terres se
trouvant dans une réserve; elle comporte toutefois
implicitement un pouvoir de contrôle et d'adminis-
tration des réserves. Le maintien de la compétence
du gouvernement fédéral sur les terres cédées, dont
le titre continue d'appartenir à la Couronne, est
une question quelque peu incertaine, qui requerra
plus ample examen en prenant en considération les
faits de l'espèce; mais il ressort des décisions du
Conseil privé dans les affaires St. Catherine's
Milling et Star Chrome, précitées, que le gouver-
nement fédéral ne pourrait, sans l'intervention des
autorités provinciales, faire en sorte que la Cou-
ronne transfère un titre valable à une terre cédée.
Il s'agit là évidemment des décisions et de la
difficulté d'ordre pratique mentionnées dans le
préambule de la convention fédérale-provinciale de
1958.
Il s'agit donc de déterminer, à la lumière des
divers droits, intérêts et liens, la nature et le
fondement du droit de possession revendiqué par
l'appelante. Il est présumé que l'action de l'appe-
lante est fondée, du moins en partie, sur l'article
31 de la Loi sur les Indiens, cité au commence
ment des présents motifs. C'est une déduction qui
s'impose, compte tenu du fait que les procédures
furent engagées à la demande de la bande par suite
d'une allégation présentée comme étant faite sous
le régime de l'article 31, que la dénonciation se
rapporte à l'allégation de la bande et que dans les
conclusions, on revendique la libre possession au
nom de la bande. Dans son mémoire, l'avocat de
l'appelante dit que la dénonciation fut produite à
la Cour fédérale en vertu de l'article 31 et, à
l'audition, en réponse à une question du tribunal, il
réaffirma que l'action était fondée sur l'article 31.
Toutefois les allégations et les conclusions de la
dénonciation ne sont pas, selon moi, sans ambi-
guïté quant à savoir dans quelle mesure l'action
doit être considérée comme étant entièrement
fondée sur l'article 31. La dénonciation allègue
que l'immeuble appartient à Sa Majesté et que Sa
Majesté a le droit à la possession de celui-ci. Elle
n'allègue pas que la bande a le droit à la posses
sion. Elle conclut en demandant un jugement
déclaratoire portant que Sa Majesté a le droit de
possession et, bien qu'elle revendique la libre pos
session au nom de la bande, subsidiairement, elle
revendique la libre possession purement et simple-
ment. A la lecture de ces allégations et conclu
sions, en tenant compte de la cession de 1895 et de
la convention de 1958, il se pose sérieusement la
question de savoir si en plus de la revendication de
possession- au nom de la bande, il n'y a pas une
revendication de possession par Sa Majesté en son
propre nom.
Dans la mesure où l'action doit être considérée
comme étant fondée sur l'article 31, il est néces-
saire d'examiner les conditions essentielles ainsi
que la nature d'une telle action. L'article prévoit
que lorsqu'un Indien ou une bande allègue qu'un
non-Indien fait un empiétement, du genre men-
tionné dans l'article, sur une réserve ou une partie
de réserve, le procureur général du Canada peut,
au moyen d'une dénonciation produite à la Cour
fédérale, réclamer un redressement au nom de
l'Indien ou de la bande. L'article 31 prévoit un
droit d'action à la demande d'un Indien ou de la
bande. Il s'agit d'une action pour faire valoir les
droits de l'Indien ou de la bande. La nature de
l'intérêt protégé par ce recours spécial était énon-
cée de façon plus explicite dans les dispositions
correspondantes de l'article 39 de la Loi sur les
Indiens, S.R.C. 1927, c. 98 (prévu à l'origine dans
l'article 37A de la Loi des sauvages, S.R.C. 1906,
c. 81, par S.C. 1910, c. 28, art. 1 et modifié par
S.C. 1911, c. 14, art. 4). Voici le libellé de cet
article 39:
39. Si quelque personne retient la possession de terres réser-
vées ou prétendues réservées pour les Indiens, ou de terres dont
les Indiens ou un Indien ou une bande ou tribu d'Indiens
réclame la possession ou un droit de possession, ou si quelqu'un
occupe ou revendique l'une de ces terres, ou qu'il y ait violation
du droit de propriété, la possession peut en être recouvrée pour
les Indiens, ou pour quelque Indien ou bande ou tribu d'Indiens,
ou les revendications des parties adverses peuvent être jugées et
déterminées, ou les dommages être recouvrés, au moyen d'une
instance formée par Sa Majesté au nom des Indiens, ou de
l'Indien ou de la bande ou tribu d'Indiens qui y ont droit ou qui
en revendiquent la possession ou le droit de possession, ou qui
sont fondés, dans la déclaration, la réparation ou les dommages
qu'ils réclament.
2. La cour compétente pour connaître de cette action et
statuer sur l'espèce est la cour de l'Echiquier du Canada.
3. Cette instance peut être formée par voie de dénonciation
faite par le procureur général du Canada d'après les instruc
tions du surintendant général des affaires indiennes.
4. Rien dans le présent article ne doit atténuer, restreindre ni
en aucune façon affecter un recours existant ou un mode de
procédure prévu pour les espèces, ou l'une d'entre elles, aux-
quelles s'applique le présent article.
La nature du recours prévu par l'article 31 fut
étudiée par la Cour suprême du Canada dans
l'affaire La Reine c. Devereux [1965] R.C.S. 567.
Une action pour recouvrer possession d'une terre
se trouvant dans une réserve fut intentée au nom
d'une bande qui avait fait l'allégation nécessaire
conformément à l'article. Dans [1965] 1 R.C.É.
602, la Cour de l'Échiquier du Canada rejeta
l'action au motif que la bande n'avait pas le droit à
la possession de la terre en cause parce que la
possession en avait été allouée, en conformité avec
les dispositions de la Loi sur les Indiens, à un
Indien en particulier. Appliquant les principes
généraux régissant l'action en recouvrement de la
possession de terres, le juge Thurlow (tel était
alors son titre) déclara que la question était de
savoir [aux pages 604 et 605] [TRADUCTION] «si
la bande d'Indiens Six nations, au nom de laquelle
l'action était intentée, avait le droit à la possession
revendiquée en son nom». Dans sa conclusion il dit
[à la page 611]:
[TRADUCTION] On a également prétendu que l'art. 31(1)
confère à la bande un droit statutaire au redressement demandé
dans une action intentée par le procureur général par suite de la
demande faite par celle-ci sous le régime de cet article. D'après
moi cependant, ce paragraphe ne confère aucun droit matériel
nouveau mais prévoit simplement une procédure pour la sauve-
garde des droits existants d'un Indien en particulier ou d'une
bande. En l'espèce, l'action tend à la sauvegarde d'un droit de
possession revendiqué par la bande. D'après les faits, toutefois,
il n'a pas été démontré que la bande ait pareil droit dans les
terres en cause.
Ce jugement fut infirmé par la Cour suprême du
Canada. Dans ses motifs dissidents, le juge Cart-
wright (tel était alors son titre) se dit d'accord
avec le juge Thurlow. Il dit à la page 574: [TRA-
DUCTION] «A noter que la possession n'est pas
revendiquée par Sa Majesté en son nom mais au
nom de la bande. Ceci est conforme aux disposi
tions de l'art. 31 de la Loi sur les Indiens ...»; et,
après avoir cité l'article, il dit: [TRADUCTION] «Je
ne trouve aucune ambiguïté dans cet article. Il
prévoit, comme plusieurs autres dispositions de la
Loi, que le droit à la possession d'un lopin de terre
dans une réserve peut appartenir à la bande ou à
un Indien en particulier. La revendication de la
possession peut être faite soit au nom de la bande
si elle a droit à la possession ou au nom de l'Indien
en particulier si c'est lui qui y a droit.» Le juge
Judson, prononçant les motifs du jugement de la
majorité, dit aux pages 571 et 572:
[TRADUCTION] En rejetant l'action, la Cour de l'Échiquier
décida en fait que, pour ce qui concerne des terres attribuées à
un Indien en particulier, une action ne pouvait être intentée en
vertu de l'art. 31 qu'à la demande de l'Indien titulaire d'un
billet de location et non à la demande de la bande. J'estime
cette décision erronée. Je ne crois pas que l'art. 31 exige qu'une
action en vue d'expulser un non-Indien de la réserve ne soit
intentée, relativement aux terres attribuées à un Indien en
particulier, qu'au nom de cet Indien. Les dispositions de cet
article me semblent claires. L'action peut être intentée par la
Couronne au nom de l'Indien ou de la bande, selon celui des
deux qui allègue la possession illégale ou la pénétration dans la
réserve sans droit ni autorisation.
Le jugement dont il est fait appel comporte une importante
modification des dispositions de l'art. 31(1). Au lieu de «lors-
qu'un Indien ou une bande» allègue la possession illégale par un
non-Indien, le texte devrait être compris comme suit: «Lors-
qu'un Indien, relativement à des terres attribuées â lui, ou une
bande, relativement à des terres non attribuées», allègue posses
sion illégale. Je suis d'avis que cette interprétation est erronée
et que l'accepter saperait toute l'application de la Loi en
permettant à un Indien de conclure avec un non-Indien un
accord non autorisé et, en refusant ensuite de porter une plainte
individuelle, de permettre au non-Indien d'y demeurer
indéfiniment.
L'objet de la Loi sur les Indiens est de conserver intactes
pour des bandes d'Indiens les réserves mises de côté pour elles
sans tenir compte du désir d'un Indien en particulier d'aliéner
pour son propre bénéfice une partie quelconque de la réserve
pour laquelle il peut détenir un billet de location. C'est ce que
prévoit l'art. 28(1) de la Loi. Si le recours prévu par l'art. 31
était limité, pour ce qui concerne les terres possédées par le
titulaire d'un billet de location, à des actions intentées à la
demande de ce titulaire, des accords, nuls en vertu de l'art.
28(1), conclus entre le titulaire d'un billet de location et un
non-Indien pour l'aliénation de terres de réserve, produiraient
leurs effets et l'objet de la Loi serait contrecarré.
Dans l'affaire Devereux, l'action visait à la
reprise de possession de terres non cédées se trou-
vaut dans une réserve. L'intimé fait valoir en
l'espèce que si l'immeuble était une terre réservée
aux Indiens au sens de l'article 91(24) de
l'A.A.N.B. au moment de la Confédération, ce qui
n'est pas admis, il cessa, par suite de la cession de
1895, de faire partie de la réserve au sens de la Loi
sur les Indiens, et le droit de la bande à l'occupa-
tion ou à la possession de l'immeuble fut, dans la
mesure où il pouvait toujours exister, éteint par la
cession. Il est maintenant nécessaire d'examiner
ces prétentions en ce qu'elles se rapportent au droit
d'action conféré par l'article 31.
La preuve m'a convaincu que l'immeuble faisait
partie de la réserve qui, au moment de la Confédé-
ration, est passée sous la compétence du gouverne-
ment fédéral à titre de terre réservée aux Indiens
au sens de l'article 91(24) de l'A.A.N.B. Il fut
identifié par le témoignage d'experts comme étant
le lot 5 sur la rive nord de la rivière qui, dans le
plan Sadler, faisait partie de la réserve. Même si
les Indiens n'avaient pas exercé ou même revendi-
qué leur droit d'occuper l'immeuble pendant plu-
sieurs années, leur droit d'occupation n'avait pas
été éteint. Leur consentement à l'occupation
d'Ebenezer Travis ne pouvait avoir cet effet. En
présumant que la Proclamation royale de 1763
s'appliquait au territoire du Nouveau-Brunswick,
ce qui d'après moi semble être la conclusion
appuyée par les décisions judiciaires que j'ai men-
tionnées plus haut dans ces motifs, un tel accord
serait nul en vertu des dispositions suivantes de la
Proclamation (S.R.C. 1970, Appendice II, n° 1,
aux pages 127 et 128):
Nous défendons aussi strictement par la présente à tous Nos
sujets, sous peine de s'attirer Notre déplaisir, d'acheter ou
posséder aucune terre ci-dessus réservée, ou d'y former aucun
établissement, sans avoir au préalable obtenu Notre permission
spéciale et une licence à ce sujet.
Et Nous enjoignons et ordonnons strictement à tous ceux qui
en connaissance de cause ou par inadvertance, se sont établis
sur des terres situées dans les limites des contrées décrites
ci-dessus ou sur toute autre terre qui n'ayant pas été cédée ou
achetée par Nous se trouve également réservée pour lesdits
sauvages, de quitter immédiatement leurs établissements.
C'est en se fondant sur ces dispositions que la
Cour de l'Échiquier du Canada décida dans l'af-
faire Le Roi c. Lady McMaster [1926] R.C.É. 68,
qu'un contrat de location de terres de réserve
conclu par des Indiens en 1817 était nul et que la
Couronne du chef du Canada avait le droit de
recouvrer possession de ces terres. Dans l'affaire
Easterbrook c. Le Roi [1931] R.C.S. 210, confir-
mant [1929] R.C.É. 28, il fut décidé, en se fondant
sur les mêmes dispositions de la Proclamation,
qu'un contrat de location conclu par la même tribu
en 1821 était nul et que la Couronne fédérale avait
le droit de recouvrer possession des terres en cause.
Il est vrai que la question de l'application de la
Proclamation est difficile, mais j'estime que ses
dispositions, même si certains passages ne sont pas
sans ambiguïté, sont dans l'ensemble assez larges
pour inclure le territoire qui devint le Nouveau-
Brunswick. La Proclamation réservait à l'usage
des Indiens «toutes les terres et tous les territoires
non compris dans les limites de Nos trois gouver-
nements ni dans les limites du territoire concédé à
la Compagnie de la baie d'Hudson, ainsi que
toutes les terres et tous les territoires situés à
l'ouest des sources des rivières qui de l'ouest et du
nord-ouest vont se jeter dans la mer.» Dans l'af-
faire St. Catharine's Milling, le juge Strong était
d'avis ((1887) 13 R.C.S. 577, à la page 628) que
les mots [TRADUCTION] «toutes les terres et tous
les territoires» employés dans ces dispositions doi-
vent, étant donné les termes du préambule de la
Proclamation, viser le territoire «cédé et assuré»
par le Traité de Paris. Même si cette interprétation
restrictive des mots «toutes les terres et tous les
territoires» était applicable, deux observations doi-
vent être faites relativement à la Nouvelle-Écosse:
premièrement, bien que la Nouvelle-Écosse ait été
une colonie britannique, la France, aux termes de
l'article IV du Traité de Paris (Shortt & Doughty,
Documents relating to the Constitutional History
of Canada, Partie I, p. 115) renonçait expressé-
ment à tout droit qu'elle pouvait avoir à la Nou-
velle-Écosse, ce qui semble l'inclure dans le terri-
toire «assuré» à la Grande-Bretagne par ledit
traité. Le Cap-Breton, la partie de la Nouvelle-
Écosse dont il était question dans l'affaire Isaac
précitée, fut cédé par le Traité; par conséquent,
l'opinion exprimée dans cette affaire pour ce qui
concerne l'application de la Proclamation à la
Nouvelle-Écosse était, pour ce qui concerne le
Cap-Breton, solidement fondée sur les termes de la
Proclamation même si on adopte l'interprétation
restrictive des mots «toutes les terres et tous les
territoires». La deuxième observation pour ce qui
concerne la Nouvelle-Écosse est qu'une partie du
territoire qui fut cédé par le Traité fut placée à
l'extérieur des frontières du nouveau gouverne-
ment de Québec et jointe à la Nouvelle-Écosse
(Shortt & Doughty, op. cit., pages 127 et suivantes
et 149). J'ai l'impression que c'est là le territoire
qui devint plus tard le Nouveau-Brunswick. En
outre, plusieurs des dispositions de la Proclamation
mentionnent, en termes très généraux, les colonies
britanniques en Amérique du Nord et le territoire
sous souveraineté britannique, de même que les
Indiens sous protection britannique. Dans l'affaire
St. Catherine's Milling, précitée, lord Watson dit
[à la page 54] que la Proclamation établit les
droits de [TRADUCTION] «toutes les tribus indien-
nes vivant alors sous la souveraineté et la protec
tion de la Couronne britannique». Ces autres dis
positions visant la protection des droits des Indiens
reflètent ce que devait vouloir accomplir la décla-
ration de réserve dans la Proclamation. Elles con-
tiennent des expressions comme: «Nos autres colo
nies ou de Nos autres plantations en Amérique»,
«la sécurité de Nos colonies» (et non «desdites
colonies»), «nations ou tribus sauvages qui sont en
relations avec Nous et qui vivent sous Notre pro
tection», «la possession entière et paisible ... de
Nos possessions et territoires qui ont été ni concé-
dées ni achetées et ont été réservées pour ces tribus
ou quelques-unes d'entre elles comme territoires de
chasse», «celles qui ont été ni cédées ni achetées
par Nous, tel que susmentionné, et ont été réser-
vées pour les tribus sauvages susdites ou quelques-
unes d'entre elles». De ces dispositions, je conclus
que la Proclamation voulait reconnaître les droits
des Indiens dans tous- les territoires sous souverai-
neté britannique en Amérique du Nord qui
n'avaient été ni cédés ni achetés par la Couronne,
sous réserve des exceptions spécifiées, soit le terri-
toire inclus dans les limites des nouveaux gouver-
nements de Québec, de la Floride Orientale et de
la Floride Occidentale, et le territoire concédé à la
Compagnie de la baie d'Hudson. En plus de tout le
territoire spécifié comme étant sujet aux droits
indiens à l'est, il y avait «toutes les terres et tous
les territoires situés à l'ouest des sources des riviè-
res qui de l'ouest et du nord-ouest vont se jeter
dans la mer», plus précisément désignés comme
suit dans un passage précédent du texte: «les terres
situées au-delà de la tête ou source de toutes les
rivières qui vont de l'ouest et du nord-ouest se jeter
dans l'océan Atlantique».
De toute façon, comme on le faisait remarquer
dans les affaires Lady McMaster et Easterbrook,
les dispositions de la première loi fédérale sur les
Indiens, adoptée en 1868 (31 Vict., c. 42), essen-
tiellement de même portée que celles de la Procla
mation que j'ai citées, étaient en fait de nature
déclaratoire. L'article 17 de la loi de 1868 pré-
voyait que «tous les baux, contrats et conventions
passés ou apparemment passés (purporting to be
made) par des Sauvages ou personnes mariées à
des Sauvages, en vertu desquels il serait permis à
d'autres qu'à des Sauvages de résider sur ces
terres, seront absolument nuls et de nul effet.»
L'article 6 de la Loi prévoyait que «ces terres ne
pourront être vendues, aliénées ou affermées avant
d'avoir été cédées à la couronne pour les objets
prévus au présent acte», et l'article 10, que «Rien
de contenu dans le présent acte n'aura l'effet de
ratifier une cession qui, d'ailleurs, aurait été nulle
et de nul effet si le présent acte n'eût pas été passé;
et nulle cession des terres en question ne sera
valide si elle est consentie en faveur de quelque
partie autre que la couronne.»
Le droit des Indiens d'occuper l'immeuble, qui
était un droit d'occupation pendant le bon plaisir
de la Couronne, aurait sans aucun doute avoir pu
être éteint par la Couronne, mais je ne trouve rien
dans les lois adoptées par le gouvernement du
Nouveau-Brunswick avant la Confédération qui
aurait cet effet. Une concession aurait indubitable-
ment eu cet effet, comme c'est le cas relativement
à plusieurs des lots sur les rives nord et sud de la
rivière, mais la simple adoption de la politique que
reflète la loi de 1844 et selon laquelle les terres de
la réserve devraient être vendues à des colons
n'éteindrait pas de ce fait le droit d'occupation des
Indiens dans les cas où, comme c'est le cas pour
l'immeuble, il n'y a pas eu de vente ni d'octroi de
lettres patentes. Il n'y a rien dans les documents
contemporains qui suggère que toutes les terres de
la réserve qui n'avaient pas été concédées, y com-
pris l'ancien lot 5 sur la rive nord de la rivière, ne
soient pas passées sous la compétence du gouverne-
ment du Dominion au moment de la Confédération
en vertu de l'article 91(24) de l'A.A.N.B. à titre de
terres réservées aux Indiens et en vertu de l'article
6 de la loi de 1868 qui prévoyait: «Toutes les terres
réservées pour les Sauvages, ou pour toute nation,
tribu ou peuplade de Sauvages, ou possédées en
leur nom (held in trust) pour leur bénéfice, seront
censées être réservées et possédées pour les mêmes
fins qu'avant la passation du présent acte, tout en
restant assujéties à ses dispositions....» La corres-
pondance entre le Secrétaire d'État et le bureau
des terres de la Couronne de la province en 1867
témoigne d'une revendication de la compétence
fédérale relativement à toutes les terres de la
réserve non cédées. Le dossier n'indique pas pour-
quoi l'étendue originale de 10,000 acres fut réduite
à 8,124 acres, mais il est raisonnable de présumer
que c'est à cause des concessions faites de chaque
côté de la rivière. De toute façon le gouvernement
fédéral était manifestement d'avis, lorsqu'il
demanda la cession de 1895, que les lots non cédés
des deux côtés de la rivière faisaient toujours
partie de la réserve. A noter que lorsqu'il est fait
mention de la réserve sur la rivière Little South
west Miramichi dans la cession, il est question
d'une réserve—«La réserve indienne Red Bank
(ainsi appelée)».
L'effet de la cession de 1895
Il est maintenant nécessaire d'examiner l'effet
de cette cession sur les intérêts des Indiens et sur le
statut de l'immeuble en tant que terre réservée aux
Indiens.
La cession devint nécessaire à cause des disposi
tions de l'article 38 de l'Acte des Sauvages, S.R.C.
1886, c. 43 (sa portée est la même que celle de
l'article 6 de la loi de 1868) qui prévoit que: «Nulle
réserve ou partie de réserve ne pourra être vendue,
aliénée ou affermée avant d'avoir été cédée ou
abandonnée à Sa Majesté pour les objets prévus au
présent acte ....» Tel qu'indiqué dans le rapport
recommandant l'acceptation de la cession, le but
était de permettre la vente des lots cédés aux
«colons sans titre» qui les occupaient. La cession
fut faite sous le régime de l'article 39 de la Loi qui
prévoyait les modalités de l'expression de la
volonté de la bande. Le respect de ces modalités
n'est pas en cause. La question est de savoir quel
est l'effet d'une cession de ce genre sur le titre
indien à l'immeuble et sur le statut de l'immeuble
sous le régime de la Loi sur les Indiens.
Le juge de première instance décida que la
cession de 1895 était conditionnelle et que, par
conséquent, elle n'aurait pas éteint le titre indien à
l'immeuble même si, tel qu'il ressort de l'extrait de
ses motifs de jugement précités, il était d'avis que
le titre indien avait déjà été éteint par possession
acquisitive. Il résume ainsi l'argument de l'intimé
sur l'effet de la cession [à la page 657]: «Le
défendeur allègue que l'arrêt St. Catherine's s'ap-
plique en l'espèce et est une autorité du plus haut
ordre pour dire qu'au moment de la cession des
terres par la bande Red Bank en 1895, la propriété
réelle et le titre du bien en question ont été dévolus
à la Couronne du chef de la province du Nouveau-
Brunswick, libre de tout intérêt ou obligation des
Indiens. Le défendeur prétend donc que la Reine
du chef du Canada n'a pas qualité pour agir dans
cette action.» Après un examen de la jurisprudence
applicable, il conclut en ces termes [à la page
660]: «A mon avis la cession de 1895 n'était pas
une cession définitive, finale consentie par la bande
Red Bank à la Couronne, mais simplement une
cession conditionnelle qui ne devenait absolue
qu'après la vente et le dépôt de l'argent au crédit
de la bande.»
La conclusion du juge de première instance sur
ce point se fonde essentiellement sur les motifs du
juge Rand et du juge Estey, prononcés par le juge
Rand, dans l'affaire St. Ann's Island Shooting and
Fishing Club Limited c. Le Roi [1950] R.C.S. 211
et sur les motifs du jugement de la Cour d'appel de
la Colombie-Britannique, prononcés par le juge
d'appel Maclean, dans l'affaire Corporation of
Surrey c. Peace Arch Enterprises Ltd. (1970) 74
W.W.R. 380. Dans ces deux affaires, il s'agissait
d'une cession de terre dans une réserve indienne à
des fins de location plutôt que de vente. Dans
l'affaire St. Ann's, la question était de savoir si un
contrat de location conclu par le surintendant
général des affaires des Sauvages était nul à défaut
de l'approbation du gouverneur en conseil requise
par l'article 51 de la Loi des sauvages, S.R.C.
1906, c. 81. Au niveau de la Cour de l'Échiquier
[1950] R.C.É. 185, le juge Cameron s'était dit
d'avis que la cession était absolue. Sur cette ques
tion, le juge Rand dit à la page 219:
[TRADUCTION] Je ne puis être d'accord que la cession était
totale et définitive. On voulait faire une cession qui permette
une location valide à des fiduciaires «aux termes et conditions»
que pourrait approuver le surintendant général. Il s'agissait
tout au plus d'une cession pour permettre que leur soit consenti
un bail conforme à ce que pouvaient consentir et proroger,
quoique sous réserve de l'approbation du surintendant général,
ceux qui avaient le pouvoir de ce faire. Ce n'était pas un
engagement définitif et irrévocable à louer la terre pour le
bénéfice des Indiens, encore moins à la louer au Club à
perpétuité, ou selon le jugement du surintendant général. Pour
le conseil, le surintendant général agissait au nom du gouverne-
ment dont il était le représentant. A l'expiration du bail du
Club, les Indiens recouvraient leurs privilèges originaux.
Qu'il puisse y avoir une cession partielle des «droits person-
nels, de la nature d'un usufruit» dont jouissent les Indiens est
confirmée par l'arrêt St. Catherine's Milling Company Limited
c. La Reine ((1888) 14 App. Cas. 46), où était retenu le
privilège de chasse et de pêche; et compte tenu de la nature de
l'intérêt des Indiens et de l'objet de la législation, je ne vois
certainement aucune distinction en principe entre la cession
d'une partie d'un ensemble de droits à perpétuité et une cession
de tout un ensemble de droits pour un temps limité.
Mais je suis d'accord que l'art. 51 exige l'approbation du
gouverneur en conseil pour la location valide de terres
indiennes.
Dans l'arrêt Peace Arch, des terres de réserve
étaient cédées en 1963 par la bande à la Couronne
«en fiducie» à des fins de location, et ces terres
furent effectivement louées à Peace Arch Enter
prises Ltd. Il s'agissait de déterminer si les règle-
ments municipaux sur le zonage et la construction
de même que les règlements provinciaux sur la
santé s'appliquaient aux terres louées. Le juge de
première instance décida que par suite de la ces
sion et de la location, les terres avaient cessé de
faire partie de la «réserve» au sens de l'article 2 de
la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, c. 149, et, par
conséquent, avaient également cessé d'être des
«terres réservées pour les Indiens» au sens de l'arti-
cle 91(24) de l'A.A.N.B. Il conclut donc que les
règlements municipaux et les règlements provin-
ciaux sur la santé s'appliquaient aux terres. Lors
de l'appel porté devant la Cour d'appel de la
Colombie-Britannique, le juge d'appel Maclean, se
fondant en partie sur ce que dit le juge Rand dans
l'arrêt St. Ann's et sur l'article 38(2) de la Loi sur
les Indiens, qui prévoit que: «Une cession peut être
absolue ou restreinte, conditionnelle ou sans condi
tion», décida que la cession était restreinte ou
conditionnelle, qu'elle n'éteignait pas le titre indien
et qu'elle n'avait pas pour effet de faire que les
terres cessaient d'être des terres réservées aux
Indiens au sens de l'article 91(24) de l'A.A.N.B. Il
statua que puisque les règlements municipaux sur
le zonage et les règlements provinciaux sur la santé
restreindraient l'usage des terres réservées aux
Indiens, ils ne pouvaient valablement s'appliquer à
de telles terres.
En définissant les effets de la cession, le juge
d'appel Maclean insista sur les mots «en fiducie»
ainsi que sur l'objet particulier de la cession. Il dit
aux pages 384 et 385:
[TRADUCTION] A mon avis la cession en l'espèce, une cession
à Sa Majesté «en fiducie pour les louer à la personne ou aux
personnes et aux conditions que le gouvernement du Canada
jugera les plus favorables pour notre bien-être et celui de notre
peuple» tombe dans la catégorie des cessions restreintes ou
conditionnelles.
En vertu de cette forme de cession, «en fiducie» et pour un
objet particulier, soit «les louer», il me semble qu'on ne peut
dire que l'intérêt de la tribu dans ces terres s'est éteint. En toute
déférence, je suis d'avis que le savant juge de première instance
a commis une erreur en concluant que la cession était «sans
condition».
Après avoir cité l'extrait des motifs du jugement
du juge Rand dans l'arrêt St. Ann's, extrait déjà
cité ci-dessus, il ajoute, à la page 385:
[TRADUCTION] A mon avis la «cession» en vertu de la Loi sur
les Indiens n'est pas une cession au sens où l'entendrait un
notaire. On interdit en effet aux Indiens de louer ou de céder
les terres de la réserve indienne, et, le cas échéant, seul un
fonctionnaire du gouvernement peut le faire: voir l'art. 58(3) de
la Loi sur les Indiens. Par là, on vise manifestement la protec
tion des Indiens. De plus, il faut remarquer que la cession est en
faveur de Sa Majesté «en fiducie». Cela signifie manifestement
en fiducie pour les Indiens. Le titre que Sa Majesté la Reine
reçoit en vertu de cette entente est vide.
Se disant d'avis que la terre demeurait une terre
réservée aux Indiens au sens de l'article 91(24) de
l'A.A.N.B., il dit à la page 386:
[TRADUCTION] Cette terre fut réservée aux Indiens en 1887, et
les Indiens conservent toujours un droit de réversion dans
celle-ci.
On trouve le passage suivant à la page 387:
[TRADUCTION] Il se pourrait fort bien (mais ii n'est pas
nécessaire que j'en décide) que si les Indiens ont effectué une
cession absolue en vertu de la Loi sur les Indiens et que cette
cession ait été suivie d'un transfert par le gouvernement du
Canada à un acheteur, la terre cesserait d'être une réserve en
vertu de la Loi sur les Indiens et cesserait également d'être
«une terre réservée aux Indiens» en vertu de l'art. 91(24) de
l'A.A.N.B., 1867, mais ce n'est pas le cas ici.
S'il est vrai que cette question me laisse plutôt
perplexe, je doute fort que la conclusion dans
l'arrêt Peace Arch sur l'effet de la cession sur le
titre indien soit applicable à une cession en fiducie
à des fins de vente plutôt que de location. L'objet
même d'une telle cession est de permettre un
transfert de la propriété de la terre, libre de la
charge du titre indien. Alors qu'il est possible de
parler d'un droit de réversion dans le cas d'une
cession à des fins de location, puisqu'à l'expiration
du bail le droit d'occupation des Indiens renaîtra,
j'estime qu'on ne peut dire la même chose d'une
cession à des fins de vente. Après la cession de
1895, je ne vois pas comment les Indiens auraient
pu, à quelque moment que ce soit, revendiquer le
droit d'occuper l'immeuble. A compter de cette
date, leur intérêt dans l'immeuble était dans sa
vente et dans l'affectation du produit à leur profit.
C'était un intérêt financier. La cession de 1895
semble avoir été la forme de cession à des fins de
vente généralement employée dans les années 1880
et 1890: voir Indian Treaties and Surrenders, vol.
II, pages 96, 122, 170, 229, 258, 264; vol. III,
pages 31, 163, 175, 180, 209, 227, 250 et 303 pour
des exemples de cession «en fiducie» à des fins de
vente et d'affectation du produit au profit de la
bande. Si cette forme de cession n'avait pas pour
effet d'éteindre le titre indien, alors je suis incapa
ble d'en concevoir une qui aurait cet effet. L'élé-
ment essentiel qui ressort des décisions du Conseil
privé dans les arrêts St. Catherine's Milling et
Star Chrome c'est que la cession avait pour effet
d'éteindre le titre indien avant tout autre aliéna-
tion de la propriété. Ce n'était pas l'aliénation
subséquente, dont la validité était en cause, qui
éteignait l'intérêt des Indiens.
Dans l'arrêt St. Catherine's Milling, la cession
fut effectuée par traité moyennant une certaine
contrepartie pécuniaire et des engagements de la
Couronne, y compris un engagement de mettre de
côté certaines réserves et une entente portant que
les Indiens continueraient d'avoir le droit de chasse
et de pêche dans les terres cédées, à certaines
conditions. C'est la réserve du privilège de chasse
et de pêche qui a apparemment amené le juge
Rand dans l'arrêt St. Ann's à considérer la cession
comme une cession partielle mais, sauf cette
réserve, il ne faisait aucun doute que le Conseil
privé avait décidé que la propriété réelle de la terre
avait été dévolue à la province. Comme le dit lord
Watson à la page 55: [TRADUCTION] «la Couronne
a toujours eu un droit fondamental et suprême,
sous-jacent au titre indien, et qui est devenu un
plenum dominium dès que le titre indien a été cédé
ou autrement éteint.» La question était de savoir si
le gouvernement du Dominion avait le droit de
s'approprier la propriété réelle des arbres se trou-
vant sur la terre cédée, et le lord Watson dit à la
page 60: [TRADUCTION] «Le traité ne laisse aux
Indiens absolument aucun droit sur les arbres qui
poussent sur les terres auxquelles ils ont renoncé,
dont la propriété est maintenant complètement
dévolue à la Couronne, tout revenu provenant de la
vente d'une partie des arbres qui se trouvent à
l'intérieur des limites de la province de l'Ontario
étant la propriété de cette province. Le fait que le
gouvernement du Dominion possède toujours le
pouvoir exclusif de régir le privilège de chasse et
de pêche des Indiens ne peut conférer au Dominion
le pouvoir de disposer, par l'émission de permis ou
autrement, de la propriété réelle des arbres qui est
maintenant dévolue à l'Ontario.»
Dans l'arrêt Star Chrome, il y avait une cession
[TRADUCTION] «Dans le but de vendre les terres
en question pour le profit de notre dite bande, le
produit de cette vente devant être employé pour
l'achat d'une terre à un endroit plus propice, ou
l'argent autrement, placé pour notre profit». Voir
Indian Treaties and Surrenders, vol. II, page 108.
Le juge Duff qui prononça les motifs du jugement
du Conseil privé, dit à la page 406: [TRADUCTION]
«D'autre part, si l'on accepte la thèse soumise par
la province relativement à la nature du titre indien,
il s'ensuit, d'après le principe établi par la décision
de ce Conseil dans St. Catherine's Milling and
Lumber Co. c. La Reine ... qu'avec la cession de
l'intérêt indien en 1882, le titre des terres visées
par la cession était dévolu à la Couronne du chef
de la province libre de la charge de cet intérêt.»
Étant donné que la prétention provinciale fondée
sur l'arrêt St. Catherine's Milling fut retenue, le
gouvernement du Dominion ne pouvait transférer
un titre valide à la terre cédée. La cession de 1882
ne contenait pas les mots «en fiducie», mais je ne
peux concevoir, étant donné son but déclaré, qui
était essentiellement le même que celui de la ces
sion de 1895, que cela puisse faire une différence.
Dans l'arrêt Seybold (précité) qui décida que
l'article 91(24) de l'A.A.N.B. ne conférait pas au
gouvernement du Dominion le pouvoir de s'appro-
prier des terres provinciales aux fins d'une réserve,
lord Davey dit à la page 79 que dans l'arrêt St.
Catherine's Milling, il avait été décidé: [TRADUC-
TION] «qu'avant cette cession, la province de l'On-
tario avait un droit de propriété sur cette terre, en
vertu des dispositions de l'art. 109 d e l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique, 1867, sous
réserve de la charge du droit d'usufruit des
Indiens, et qu'avec l'extinction de ce droit par la
cession, la province acquérait le plein droit de
propriété sur la terre, assujetti uniquement aux
privilèges restreints de chasse et de pêche qui
étaient réservés aux Indiens dans le traité.» Une
partie de la réserve indienne 38B qui avait été mise
de côté par le gouvernement du Dominion en
application des dispositions du traité avait subsé-
quemment été cédée par les Indiens à la Couronne
en fiducie à des fins de vente et pour que le produit
soit affecté au profit des Indiens. Dans la Haute
Cour de l'Ontario, (1900) 31 O.R. 386, le chance-
lier Boyd avait exprimé l'opinion que cette cession
avait, de nouveau, éteint le titre indien relatif à la
terre. Il dit aux pages 395 et 396: [TRADUCTION]
«En l'espèce, la terre visée par le traité fut réservée
par le Dominion à même le territoire cédé: c'est-à-
dire, le titre indien étant éteint au profit de la
province, le Dominion se réserva le droit de pren-
dre les terres provinciales pour établir pour les
Indiens une réserve visée par le traité. Admettons
que cela pouvait se faire; pourtant lorsque la ces
sion subséquente d'une partie de cette réserve fut
effectuée par le traité en 1886, l'effet fut encore
une fois de libérer la partie en litige des privilèges
spéciaux prévus par le traité relativement à la terre
et de laisser le droit de propriété exclusif et actuel
à la Couronne du chef de la province de l'Ontario.
Telle est la situation pour ce qui concerne le titre
des terres.» Au Conseil privé, lord Davey dit à la
page 84, relativement à cette opinion: [TRADUC-
TION] «Compte tenu de l'opinion exprimée sur les
droits des deux gouvernements, il n'est pas néces-
saire que Leurs Seigneuries discutent de l'effet de
la seconde cession en 1886. Toutefois, Leurs Sei-
gneuries ne s'opposent pas à l'opinion exprimée par
le chancelier de l'Ontario sur cette question.»
Dans l'arrêt Le procureur général du Canada c.
Giroux (1916) 53 R.C.S. 172, la question était de
savoir si une terre dans une réserve qui avait été
cédée pouvait valablement être vendue à un
Indien. La Cour suprême du Canada jugea que
oui. La cession avait été faite à la Couronne en
fiducie pour que la terre soit vendue et que le
produit soit affecté au produit de la bande. Le juge
Duff, le juge Anglin souscrivant à ses motifs, dit à
la page 197: [TRADUCTION] «La cession de ce
droit de propriété en fiducie en conformité des
termes de l'acte de 1868 ne peut, sans aller com-
plètement à l'encontre de son objet, être déclarée
avoir pour effet de détruire le droit de propriété
réelle des Indiens.» Mais cette conclusion était
fondée sur l'opinion voulant que sous le régime des
lois relatives aux réserves indiennes applicables
dans le Bas-Canada avant la Confédération, l'inté-
rêt des Indiens dans la réserve consistait en un
droit à la propriété réelle. Le juge Duff établit une
distinction entre cet intérêt et le droit conféré par
la Proclamation royale de 1763 qui avait été défini
dans l'arrêt St. Catherine's Milling comme un
droit personnel, de la nature d'un usufruit, dépen-
dant du bon plaisir de la Couronne. Cette opinion
sur la nature de l'intérêt indien créé par la législa-
tion antérieure à la Confédération au Bas-Canada
semble avoir été rejetée par le Conseil privé dans
l'affaire Star Chrome. Pour ce qui concerne la
nature du droit créé par la législation antérieure à
la Confédération, le Conseil privé dit: [TRADUC-
TION] «Leurs Seigneuries jugent bien fondée la
prétention de la province en ce sens que le droit
reconnu par la loi est un droit d'usufruit seulement
et un droit personnel en ce sens qu'il est de par sa
nature même inaliénable à moins d'être cédé à la
Couronne.» A mon humble avis, il découle mani-
festement de la décision dans l'arrêt Star Chrome
que ce que dit le juge Duff dans l'arrêt Giroux
relativement à la nature de l'intérêt des Indiens et
relativement à l'effet de la cession sur cet intérêt
ne doit pas être considéré comme exprimant le
droit.
Étant donné la conclusion dans l'arrêt Star
Chrome, je ne vois pas comment il est possible de
prétendre que la cession de 1895 n'a pas eu pour
effet d'éteindre le droit d'occupation ou de posses
sion des Indiens relativement à l'immeuble. S'il est
vrai qu'en appel, l'appelante adopta, évidemment,
l'avis du juge de première instance sur cette ques
tion, on se rappellera qu'en réplique à la défense,
la position prise était qu'avant la cession, le titre
de la Couronne n'était assujetti qu'au droit person
nel, de la nature de l'usufruit, de la bande d'In-
diens de Red Bank «et qu'après une telle cession et
son acceptation, le titre de Sa Majesté la Reine
était et continue d'être assujetti uniquement aux
conditions de ladite cession ...». Finalement, j'en
conclus que dans la mesure où l'action de l'appe-
lante entend faire valoir le droit de la bande à la
possession de l'immeuble, elle est sans fondement.
Par suite de l'application de l'article 31 de la Loi
sur les Indiens, j'estime qu'il n'est pas du tout clair
si l'immeuble demeure partie de la réserve au sens
de la Loi, ou en d'autres termes, si le mot «réserve»
à l'article 31 comprend des «terres cédées» au sens
de la Loi. La pertinence de cette question vient de
ce que l'article 31 vise un empiétement sur la
«réserve» et, par conséquent, le recouvrement de la
possession de terres dans une réserve.
Depuis 1876, la législation fédérale sur les
Indiens a établi une distinction entre la «réserve»,
telle que définie par la loi, et des terres cédées dans
une réserve, autrefois appelées «terres des Sauva-
ges» et maintenant appelées «terres cédées». Les
définitions de «réserve» et de «terres des Sauvages»,
dans l'Acte des Sauvages, 1876, S.C. 1876, c. 18,
article 3(6) et (8) sont ainsi rédigées:
3....
6. L'expression «réserve» signifie toute étendue ou toutes
étendues de terres mises à part, par traité ou autrement, pour
l'usage ou le bénéfice d'une bande particulière de Sauvages, ou
qui lui est concédée, dont le titre légal reste à la Couronne,
mais qui ne lui sont pas transportées, et comprend tous les
arbres, les bois, le sol, la pierre, les minéraux, les métaux ou
autres choses de valeur qui s'y trouvent, soit à la surface, soit à
l'intérieur;
8. L'expression «terres des Sauvages» signifie toute réserve ou
partie de réserve qui a été transportée par cession à la
Couronne;
Telles étaient les définitions de «réserve» et de
«terres des Sauvages» dans l'Acte relatif aux Sau-
vages, 1880 (43 Vict., c. 28, article 2(6) et (8)).
Dans l'Acte des Sauvages, S.R.C. 1886, c. 43, en
vigueur lors de la cession de 1895, l'exclusion
expresse de terres cédées fut retranchée de la
définition de «réserve» à l'article 2(k.) dont voici le
libellé:
2....
(k.) L'expression «réserve» signifie toute étendue de terre
mise à part, par traité ou autrement, pour l'usage ou le profit
d'une bande particulière de sauvages, ou concédée à cette
bande et dont le titre légal est attribué à la Couronne, mais qui
fait encore partie de la réserve, et elle comprend les arbres, le
bois, la terre, la pierre, les minéraux, les métaux ou autres
choses de valeur qui se trouvent à la surface ou à l'intérieur du
sol;
L'exclusion expresse de terres cédées fut réinsérée
dans la définition de «réserve» dans la Loi des
sauvages, S.R.C. 1906, c. 81, article 2(i) dont
voici le libellé:
2....
(i) «réserve» signifie toute étendue de terre mise à part, par
traité ou autrement, pour l'usage ou le profit d'une bande
particulière de sauvages, ou concédé à cette bande, et dont le
titre légal est attribué à la Couronne, mais qui fait encore
partie de la réserve, et comprend les arbres, le bois, la terre, la
pierre, les minéraux, les métaux, ou autres choses de valeur qui
se trouvent à la surface ou à l'intérieur du sol;
Telle était la définition de «réserve» dans la Loi des
Indiens, S.R.C. 1927, c. 98, article 2j), qui est
demeurée en vigueur jusqu'à ce que l'actuelle Loi
sur les Indiens soit adoptée en 1951.
L'opinion exprimée expressément ou implicite-
ment, dans l'arrêt Giroux précité, aux pages 176,
199 et 201, selon laquelle la terre cédée avait cessé
de faire partie de la réserve était fondée sur la
définition de «réserve» dans la loi de 1876. Dans
l'arrêt St. Ann's, aux pages 212 et 215, il y a une
opinion semblable fondée sur la définition de
«réserve» dans la Loi de 1906.
Les définitions de «réserve» et «terres cédées» à
l'article 2 de la Loi actuelle sont ainsi libellées:
2. (1) ...
«réserve» signifie une parcelle de terrain dont le titre juridique
est attribué à Sa Majesté et qu'Elle a mise de côté à l'usage
et au profit d'une bande;
«terres cédées» signifie une réserve ou partie d'une réserve, ou
tout intérêt y afférent, dont le titre juridique demeure attri-
bué à Sa Majesté P que la bande à l'usage et au profit de
laquelle il avait été mis de côté a abandonné ou cédé.
Il ne fait aucun doute que la définition de «terres
cédées» s'applique à l'immeuble. A noter que la
définition de «réserve» n'exclut pas expressément
les terres cédées comme elle le faisait jusqu'en
1951. Ceci pourrait sembler suffire pour trancher
la question. En outre, la définition de réserve
pourrait être interprétée comme signifiant que, si
la terre a dans le passé été mise de côté à l'usage et
au profit d'une bande et que le titre juridique
demeure attribué à Sa Majesté, elle demeure
partie de la réserve au sens de la Loi. Les «terres
cédées» définies comme étant «une réserve ou
partie d'une réserve ... dont le titre juridique
demeure attribué à Sa Majesté ...» ne seraient en
somme qu'une partie particulière d'une réserve
selon la définition de la Loi. Cette interprétation
est toutefois exclue d'après moi par les autres
dispositions de la Loi qui indiquent que lorsque la
Loi emploie le mot «réserve» seul, comme dans
l'article 31, on ne veut pas viser à la fois les terres
cédées et la partie non cédée d'une réserve. Je tire
cette conclusion des dispositions de la Loi où les
mots «terres cédées» sont employés en plus des
mots «réserve» ou «terres de réserve». Voir par
exemple l'article 2(2)—«L'expression `bande', en
ce qui concerne une réserve ou des terres cédées,
signifie la bande à l'usage et au profit de laquelle
la réserve ou les terres cédées ont été mises de
côté»; l'article 4(2)b)---«à une réserve ou à des
terres cédées, ou à une partie y afférente»; l'article
57a)—«autorisant le Ministre à accorder des
permis de couper du bois sur des terres cédées ou,
avec le consentement du conseil de la bande, sur
des terres de réserve»; l'article 59a)—«réduire ou
ajuster le montant payable à Sa Majesté en ce qui
concerne la vente, location ou autre aliénation de
terres cédées ou la location ou autre aliénation de
terres situées dans une réserve ...»; l'article
64b)—«... cours d'eau dans des réserves ou sur
des terres cédées»; l'article 64i)—«... la gestion de
terres situées sur une'réserve, de terres cédées et de
tout bien appartenant à la bande»; l'article 87a)—
«l'intérêt d'un Indien ou d'une bande dans une
réserve ou des terres cédées....» La gestion des
réserves d'une part et la gestion des terres cédées
d'autre part font l'objet de dispositions distinctes
dans la Loi: voir les articles 18 et 53. L'article 21,
sous la rubrique «Possession de terres dans des
réserves», prévoit: «Il doit être tenu au ministère un
registre, connu sous le nom de Registre des terres
de réserve, où sont inscrits les détails concernant
les certificats de possession et certificats d'occupa-
tion et les autres opérations relatives aux terres
situées dans une réserve.» L'article 55(1), sous la
rubrique «Administration des réserves et des terres
cédées» prévoit: «Il est tenu au ministère un regis-
tre, appelé Registre des terres cédées, dans lequel
sont inscrits tous les détails relatifs à la location ou
autre aliénation de terres cédées par le Ministre,
ou à tout transfert qui en est fait.» Compte tenu de
cet emploi des termes «réserves» et «terres cédées»
dans la Loi, j'estime qu'on ne peut que conclure
que lorsque la Loi emploie le terme «réserves» à
l'article 31, elle n'inclut pas les terres cédées.
Par conséquent, le recours de l'appelante ne peut
se fonder sur l'article 31, d'une part parce que
l'immeuble ne fait pas partie de la réserve au sens
de la Loi, et d'autre part parce que la bande n'a
pas le droit à l'occupation ou à la possession de cet
immeuble. Il reste à déterminer si, indépendam-
ment de cet article, un recours est ouvert à l'appe-
lante. L'article 31 n'a pas pour objet de limiter les
recours de la Couronne relativement aux terres
régies par la Loi, comme en fait foi le paragraphe
(3) de cet article qui prévoit: «Rien au présent
article ne doit s'interpréter comme atténuant,
diminuant ou atteignant d'autre façon un droit ou
recours qui, sans le présent article, serait accessible
à Sa Majesté, ou à un Indien ou une bande.»
La dénonciation allègue que l'immeuble est
dévolu à Sa Majesté. J'interprète ceci non pas
comme une indication que l'action est fondée sur
ce que l'immeuble appartiendrait à la Couronne du
chef du Canada, mais comme une indication que
l'immeuble remplit une des conditions essentielles
des définitions de «réserve» et «terres cédées» dans
la Loi—que son titre juridique demeure attribué à
Sa Majesté. Mais dans la mesure où l'action pour-
rait être fondée sur le titre de l'immeuble, il fau-
drait qu'elle soit fondée sur l'effet de la convention
de 1958 entre le Nouveau-Brunswick et le Canada.
Il faut maintenant examiner l'effet de cette con
vention, pour ce qui concerne l'immeuble.
L'effet de la convention de 1958
La convention a un rapport non seulement avec
le fondement de l'action de l'appelante mais égale-
ment avec la question de savoir si la propriété de
l'immeuble pouvait être acquise par possession
acquisitive après 1958. Si la convention a transféré
les droits et intérêts de la province dans l'immeu-
ble au Canada, il serait une «terre publique» au
sens de l'article 2 de la Loi sur les concessions de
terres publiques, S.R.C. 1970, c. P-29 et serait
assujetti à l'article 5 de la Loi qui prévoit:
5. Nul n'acquiert par prescription un droit, titre ou intérêt
dans des terres publiques.
Les dispositions importantes de la convention
ont été citées plus haut dans ces motifs. La ques
tion est de savoir si on voulait, dans le
paragraphe 3, transférer tous les droits et intérêts
de la province dans les terres de réserve qui avaient
été cédées à des fins de vente mais n'avaient jamais
été vendues ou autrement aliénées. Le paragraphe
transfère les droits et intérêts de la province dans
les «terres de réserve», qui sont définies comme suit
dans la convention: «les réserves, dans la province,
dont fait mention l'appendice de la présente con
vention». L'Appendice, comme il a déjà été dit plus
haut, mentionne la réserve indienne Red Bank n°
4, dont l'emplacement est décrit comme suit: «au
sud de la rivière Little Southwest Miramichi», et la
réserve indienne Red Bank n° 7, dont l'emplace-
ment est décrit en ces termes: «Au nord de la
rivière Little Southwest Miramichi». L'intimé fait
remarquer que ces descriptions indiquent que les
deux réserves ne sont pas bornées par la rivière et
ne sont pas contiguës. Il fait également remarquer
que ces descriptions sont généralement conformes
à l'emplacement des réserves d'après les cartes
gouvernementales de l'époque, telle la pièce D-1.
Ce que M. McLelland a admis dans son témoi-
gnage. L'intimé fait ressortir le contraste entre les
descriptions de l'emplacement des deux réserves
Red Bank et les descriptions de l'emplacement
d'autres réserves dans l'Appendice où il est indiqué
qu'une de leurs limites est la rivière: n° 3—Rivière
Eel; n° 10—St-Basile; n° 15—Richibucto; n° 16—
Buctouche; n° 2—Eel Ground; n° 8—Big-Hole-
Tract; n° 9—Tabusintac; n° 14—Burnt-Church; et
n° 12—Renous. En se fondant sur ces éléments,
l'intimé prétend que la réserve indienne Red Bank
numéro 7, visée par la déclaration de transfert de
droits et intérêts de la province, ne comprenait pas
les lots qui s'étendent jusqu'à la rivière, et en
particulier le lot 6, qui comprend l'immeuble. J'es-
time que cet argument est assez fort.
Il est manifeste qu'à un moment donné, la
réserve originale, qui était divisée par la rivière et
que la cession de 1895 désignait comme une seule
réserve—«La réserve indienne Red Bank (ainsi
appelée)»—devint deux réserves distinctes et sépa-
rées: la réserve indienne Red Bank numéro 4 et la
réserve indienne Red Bank numéro 7. Les terres se
trouvant entre les deux, les lots qui avaient été
occupés par des colons des deux côtés de la rivière,
avaient fait l'objet de concessions ou étaient des
terres cédées qui n'avaient pas été vendues. La
limite sud de ce qu'on a plus tard appelé la réserve
indienne Red Bank numéro 7 était la limite nord
des lots se trouvant du côté nord de la rivière,
connue des résidents de l'endroit sous le nom [TRA-
DUCTION] «lignes indiennes» ou «bases». La terre
cédée qui n'avait pas été vendue est devenue, entre
1895 et 1951, «terre indienne» au sens de la défini-
tion et après, «terre cédée» au sens de la définition
dans la Loi sur les Indiens. Même si elle faisait
partie de ce qui avait à l'origine été mis de côté à
titre de réserve, et par conséquent, à certaines fins,
toujours considérée comme faisant partie de la
réserve (comme dans le rapport Carter de 1898 et
dans les plans d'arpentage de Fish de 1901, 1904
et 1919), elle ne faisait plus partie d'une «réserve»
au sens de la Loi.
L'objet de la convention de 1958 était double:
confirmer la propriété de terres cédées qui avaient
été concédées par des lettres patentes fédérales
dans le passé; et permettre au gouvernement fédé-
ral de transférer à l'avenir les terres cédées avec
titres incontestables. La convention visait égale-
ment à résoudre le problème pratique qu'avaient
créé les décisions du Conseil privé dans St. Cathe-
rine's Milling et Star Chrome. Selon les termes de
la convention, les parties l'ont conclue «en vue de
régler tous les problèmes en cours relatifs aux
réserves indiennes dans la province du Nouveau-
Brunswick, et de permettre au Canada de prendre
à l'avenir des mesures efficaces à l'égard des terres
faisant partie desdites réserves....» C'est cet objet
reconnu qui a mené le savant juge de première
instance à conclure qu'on avait l'intention de
transférer les droits et intérêts provinciaux dans les
terres cédées qui n'avaient pas été vendues.
D'un point de vue pratique, cette position a
évidemment beaucoup de poids. Par contre, la
convention prévoit expressément au paragraphe 6
l'aliénation de terres cédées. Il est clair qu'on vise
là les terres cédées après la signature de la conven
tion puisque la province doit avoir le droit d'ache-
ter ces terres. Les terres cédées que la province
pourrait choisir d'acheter sont nécessairement des
terres dans lesquelles les droits et intérêts provin-
ciaux ont été transférés par la convention. Étant
donné ces dispositions spéciales et limitées relatives
à l'aliénation de terres cédées à des fins de vente,
je ne peux inférer des termes de la convention dans
son ensemble une intention de prévoir l'aliénation
des terres qui avaient été cédées à des fins de vente
mais qui n'avaient pas été vendues avant la signa
ture de la convention. D'après moi, on peut raison-
nablement conclure des termes de la convention et
de la description des réserves Red Bank, ainsi que
des circonstances de l'espèce, que les gouverne-
ments n'avaient pas l'intention de prévoir dans la
convention l'aliénation des lots donnant sur la
rivière qui furent cédés en 1895 mais qui n'avaient
pas encore été concédés à l'époque de la signature
de la convention. L'aliénation future de ceux-ci, le
cas échéant, était laissée, en fait, à un accord ou à
une collaboration spéciale entre les deux gouverne-
ments. Effectivement, rien ne permet de conclure
des circonstances de l'espèce qu'à l'époque de la
convention en 1958, les deux gouvernements se
préoccupaient de l'aliénation de terres qui avaient
été cédées en 1895 mais jamais vendues. J'estime
donc que le titre de l'immeuble ne fut pas touché
par la convention de 1958. Par conséquent, une
action revendiquant la possession de l'immeuble
par la Couronne du chef du Canada ne peut être
fondée sur le titre de l'immeuble.
Il reste à déterminer si la Couronne du chef du
Canada peut intenter une action revendiquant la
possession de terres cédées en se fondant sur la
compétence et la responsabilité continues du gou-
vernement fédéral relativement à ces terres en
vertu de la Loi sur les Indiens. D'après moi, la
réponse à cette question doit être affirmative. Je
suis d'accord avec la conclusion de la Cour d'appel
de la Colombie-Britannique dans l'affaire Peace
Arch que, peu importe si les terres cédées demeu-
rent partie de la réserve au sens de la Loi sur les
Indiens, - elles demeurent, jusqu'à leur aliénation
finale, des terres réservées aux Indiens au sens de
l'article 91(24) de l'A.A.N.B., et en tant que telles,
continuent de relever de la compétence législative
fédérale. La catégorie terres cédées est une catégo-
rie créée par le Parlement dans l'exercice de sa
compétence législative exclusive relativement aux
terres réservées aux Indiens. A cause de la respon-
sabilité continue du gouvernement fédéral pour le
contrôle et l'administration de ces terres jusqu'à
leur aliénation finale conformément aux termes
d'une cession, les terres cédées doivent continuer
de relever des compétences législative et adminis
trative fédérales. Ce sont des terres qui sont tou-
jours possédées pour le bénéfice des Indiens bien
qu'ils aient convenu d'accepter le produit de la
vente en contrepartie du renoncement à leur droit
d'occupation. Le contrôle et l'administration conti-
nus du fédéral relativement aux terres cédées ont,
depuis 1876, été reflétés dans les dispositions de la
législation sur les Indiens. L'article 41 de l'Acte
des Sauvages, S.R.C. 1886, c. 43, qui s'appliquait
à la cession de 1895, est ainsi libellé:
41. Toutes les terres des sauvages qui sont des réserves ou des
parties de réserves cédées ou qui seront cédées à Sa Majesté,
seront réputées possédées aux mêmes fins qu'avant la sanction
du présent acte, et seront administrées, affermées et vendues
selon que le Gouverneur en conseil le prescrira, sauf les condi
tions de la cession et les dispositions du présent acte.
L'article 53(1) de la Loi sur les Indiens actuelle-
ment en vigueur prévoit ce qui suit:
53. (1) Le Ministre ou une personne nommée par lui à cette
fin peut administrer, vendre, louer au autrement aliéner les
terres cédées en conformité de la présente loi et des conditions
de la cession.
Je ne crois pas que l'on puisse mettre en doute la
constitutionnalité de l'article 53, du moins pour ce
qui concerne le contrôle et l'administration conti-
nus du gouvernement fédéral. Les dispositions cor-
respondantes de l'article 51 de la Loi des sauvages,
S.R.C. 1906, c. 81, furent appliquées par la Cour
suprême du Canada dans l'affaire St. Ann's, préci-
tée. La question se pose évidemment quant à la
validité du prétendu pouvoir de vendre lorsqu'il n'y
a pas eu un transfert au Canada de l'intérêt prc ,
vincial dans la terre. Parlant de l'arrêt St. Cathe-
rine's Milling, lord Davey dit, dans Ontario
Mining Company, Limited c. Seybold, précité, à la
page 79: [TRADUCTION] «Leurs Seigneuries sont
d'avis qu'il convient d'ajouter que le droit d'aliéner
la terre peut seulement être exercé par la Cou-
ronne sur l'avis des ministres du Dominion ou de la
province, selon le cas, à laquelle l'usage bénéfi-
ciaire de la terre ou son produit a été attribué, et
par un instrument marqué du sceau du Dominion
ou de la province.» Mais cette question ne porte
pas atteinte à l'existence et à la validité du pouvoir
continu de contrôle et d'administration des terres
qui ont été cédées à des fins de vente, mais qui
n'ont pas encore été vendues, et de l'affectation du
produit au bénéfice de la bande.
Il existe des précédents à l'appui de la conclu
sion selon laquelle la Couronne du chef du Canada
a, accessoirement à son pouvoir de contrôle et
d'administration, le droit d'intenter une action
pour recouvrer la possession de terres cédées. Ce
principe a été posé dans des décisions concernant
des terres dans des réserves au sens de la Loi sur
les Indiens mais, selon moi, il faut logiquement
qu'il soit également applicable à des terres cédées
au sens de la Loi, puisque ce sont essentiellement
le même pouvoir et la même responsabilité fédé-
rale qui sont concernés.
Le principe général selon lequel la Couronne du
chef du Canada a le droit de poursuivre relative-
ment à des terres dans des réserves bien que la
Couronne du chef d'une province en soit proprié-
taire fut énoncé par la Cour d'appel du Québec
dans Mowat, le procureur général du Dominion
du Canada & Casgrain, le procureur général de la
province du Québec (1897) 6 C.B.R. 12. Dans
cette affaire, il était question d'une action intentée
par le procureur général du Canada pour recouvre-
ment d'arriérés de loyer seigneurial dus relative-
ment à des terres réservées aux Indiens. Le procu-
reur général du Québec est intervenu pour faire
valoir que le loyer ne pouvait être réclamé que par
la province. Le juge Wurtele, qui prononça les
motifs du jugement de la Cour d'appel, dit à la
page 24: [TRADUCTION] «le pouvoir et le droit de
légiférer relativement aux Indiens (Sauvages) et
aux terres réservées aux Indiens confient au gou-
vernement du Dominion l'administration et le con-
trôle des affaires ainsi que des terres et des pro-
priétés des Indiens», et il dit à la page 26:
[TRADUCTION] La question à trancher ne concerne pas la
propriété de ces rentes seigneuriales constituées mais consiste
plutôt à déterminer à qui il appartient de poursuivre en recou-
vrement des arriérés, de les recouvrer et de les percevoir?
L'Acte d'Union confiait au gouvernement du Dominion l'admi-
nistration des affaires et des propriétés des Indiens au Canada
et, en vertu de l'Acte des Sauvages, le contrôle et l'administra-
tion de leurs terres et de leurs propriétés sont confiés au
département des Affaires des sauvages, sous la direction du
Surintendant-général des affaires des Sauvages, qui est auto-
risé, comme l'était le commissaire des terres des Sauvages
avant la Confédération, à percevoir et recevoir les rentes ou
loyers et toutes autres formes de revenus afférents aux terres et
aux propriétés attribuées aux Indiens et à les appliquer à leur
usage. Le gouvernement auquel est confié ce contrôle et cette
administration doit nécessairement, à titre accessoire, avoir le
droit d'intenter des poursuites lorsque les affaires de la fiducie
le requièrent.
Dans l'arrêt Le Roi c. Lady McMaster, précité, le
juge Maclean dit à la page 75:
[TRADUCTION] Le pouvoir de la Couronne d'administrer les
terres indiennes et de légiférer relativement à celles-ci implique
sûrement le droit d'intenter une action pour recouvrer ou
protéger tout intérêt des Indiens dans ces terres. La Loi des
Sauvages, S.R.C. 1906, c. 81, art. 4, prévoit que le ministre de
l'Intérieur est le surintendant général des affaires des sauvages
et qu'il a le contrôle et l'administration des terres et des
propriétés des Indiens au Canada. La loi correspondante en
vigueur à l'époque où la défenderesse est entrée en possession
de Thompson's Island contenait des dispositions semblables.
L'action en recouvrement de la possession des terres en ques
tion, que l'on croit être en la possession non fondée des défende-
resses, est accessoire au contrôle et à l'administration de ces
terres et ne doit pas, je crois, être confondue avec une réclama-
tion de la Couronne revendiquant, soit du chef du Dominion
soit du chef d'une province, la propriété de ces terres. Mowatt,
le procureur général c. Casgrain, le procureur général ... .
Pour conclure donc, je suis d'avis que le droit à
la possession de l'immeuble que revendique de son
propre chef la Couronne du chef du Canada est
fondé sur le pouvoir de contrôle et d'administra-
tion de l'immeuble, pouvoir qui appartient au gou-
vernement du Canada en vertu de la compétence
législative conférée par l'article 91(24) de
l'A.A.N.B. et des dispositions de la Loi sur les
Indiens. Il faut maintenant examiner si le droit à
la possession peut valablement être touché par une
loi provinciale relative à la prescription d'actions
en recouvrement de biens-fonds.
Application de la loi provinciale sur la prescription
L'intimé invoque les dispositions de la loi du
Nouveau-Brunswick relative à la prescription d'ac-
tions en recouvrement de biens-fonds par la Cou-
ronne, soit les articles 1 et 26 du chapitre 139 des
Revised Statutes of New Brunswick de 1854 inti-
tulé «Of the Limitation of Actions in Real Prop
erty» qui sont ainsi libellés:
[TRADUCTION] 1. Aucune demande de biens-fonds ou de
loyers ne peut être faite ni aucune action intentée par Sa
Majesté après une possession acquisitive non interrompue de
soixante ans.
26. L'expiration du délai que le présent chapitre accorde à
toute personne pour prendre possession d'un biens-fonds ou
pour intenter une action ou une poursuite provoque l'extinction
du droit et du titre de propriété de cette personne sur ce
biens-fonds pour le recouvrement duquel on aurait pu avoir
recours, pendant cette période, à la prise de possession, à
l'action ou à la poursuite.
La numérotation de ces articles fut changée à un
moment donné mais les dispositions sont demeu-
rées inchangées au cours de toute la période en
question et on peut retracer leur évolution dans les
refontes successives des lois du Nouveau-Bruns-
wick: L.R.N.-B. 1877, c. 84, art. 1 et 26;
L.R.N.-B. 1903, c. 139, art. 1 et 26; L.R.N.-B.
1927, c. 145, art. 1 et 26; L.R.N.-B. 1952, c. 133,
art. 30 et 60; L.R.N.-B. 1973, c. L-8, art. 30 et 60.
Avant 1854, une Loi de 1836 (6 William IV, c. 43)
établissait un délai de prescription de vingt ans
pour l'action en recouvrement de biens-fonds mais
elle ne s'appliquait pas aux actions engagées par la
Couronne. L'avocat de l'appelante a prétendu que
la Nullum Tempus Act de 1769 (9 Geo. III, c.
16), qui prévoyait un délai de prescription de
soixante ans relativement aux actions engagées par
la Couronne pour le recouvrement de biens-fonds,
n'était pas en vigueur au Nouveau-Brunswick.
D'après la date que les cours du Nouveau-Bruns-
wick ont considérée comme date de l'entrée en
vigueur des lois anglaises dans la province, c'est-à-
dire 1660, il semblerait bien que ce soit le cas. Voir
Scott c. Scott (1970) 2 N.B.R. (2 e ) 849. Pour ce
qui concerne la controverse qui a existé relative-
ment à la date exacte d'entrée en vigueur au
Nouveau-Brunswick, voir Bell, «A Note on the
Reception of English Statutes in New Brunswick»
(1979) 28 U.N.B.L.J. 195. Je remarque que dans
Emmerson c. Maddison [1906] A.C. 569, Sir
Alfred Wills, prononçant les motifs du jugement
du Conseil privé, parle de la «Nullum Tempus
Act» comme étant la loi sur la prescription applica
ble au Nouveau-Brunswick, mais il semblerait que
ce n'ait été là qu'une allusion à la nature de la loi.
Il ne fait aucun doute, comme cet arrêt l'indique,
que la loi antérieure relative au recouvrement de
biens-fonds par la Couronne, 21 Jac. 1, c. 14, fût
en vigueur dans la province, mais cette loi n'est pas
en cause dans la présente affaire.
Je devrais également faire remarquer qu'aucune
mention n'est faite dans la plaidoirie de l'article
38(2) de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970
(2e Supp.), c. 10, qui prévoit que sauf disposition
contraire de toute autre Loi, les règles de droit
relatives à la prescription des actions en vigueur
entre sujets dans une province s'appliquent à toute
procédure engagée par la Couronne. En somme,
l'intimé prétend que l'application de la législation
provinciale a enlevé le fondement de l'action de
l'appelante longtemps avant que l'article 38 de la
Loi sur la Cour fédérale ne prenne effet le ler juin
1971.
L'intimé prétend qu'il est propriétaire de l'im-
meuble en vertu d'une possession acquisitive non
interrompue d'au moins soixante ans par lui-même
et par ses prédécesseurs en titre. Ceci revient à
prétendre que le droit de propriété de la Couronne
du chef de la province a été éteint par une posses
sion acquisitive et, de ce fait, le titre indien et le
droit de possession de la Couronne du chef du
Canada qui sont fondés sur le statut de l'immeuble
comme terre de réserve ou terre cédée relevant de
la compétence fédérale. Si le titre de la Couronne
fut éteint, alors l'immeuble a nécessairement cessé
d'être une «terre de réserve» ou une «terre
indienne» ou «terre cédée» assujettie à la Loi sur
les Indiens. La question est donc de savoir si cela
pourrait valablement résulter de l'application de la
loi provinciale sur la prescription.
La question de savoir jusqu'à quel point les lois
provinciales d'application générale peuvent s'appli-
quer à l'intérieur de réserves indiennes a fait l'ob-
jet d'observations par la Cour suprême du Canada
au cours des dernières années, même si le droit à la
possession de terres dans une réserve n'était pas en
cause. Dans l'arrêt Cardinal c. Le Procureur géné-
ral de l'Alberta [1974] R.C.S. 695, le juge Mart -
land, prononçant les motifs du jugement majori-
taire de la Cour, dit à la page 703:
Une législature provinciale ne saurait légiférer relativement
aux Indiens ou relativement aux réserves indiennes, ce qui est
loin de dire que le par. (24) de l'art. 91 de l'Acte de l'Amérique
du Nord britannique, 1867, avait pour effet de créer des
enclaves dans une province à l'intérieur des limites desquelles la
législation provinciale ne pourrait pas s'appliquer. A mon avis,
le critère concernant l'application de la législation provinciale
dans une réserve est le même que celui qui concerne son
application dans la province, c'est-à-dire, que la législation doit
s'inscrire dans le cadre des pouvoirs énumérés à l'art. 92 et non
porter sur des sujets exclusivement assignés au Parlement du
Canada en vertu de l'art. 91. Deux de ces sujets sont les Indiens
et les réserves indiennes, mais si une législation provinciale dans
les limites de l'art. 92 n'est pas interprétée comme étant une
législation relative à ces catégories de sujets (ou tout autre sujet
visé par l'art. 91), elle est applicable partout dans la province, y
compris les réserves indiennes, même si elle peut toucher les
Indiens et les réserves indiennes. Le point que j'avance est que
le par. (24) de l'art. 91 énumère des catégories de sujets à
l'égard desquelles le Parlement fédéral a le pouvoir exclusif de
légiférer, mais il ne vise pas à définir des secteurs d'une
province dans lesquels le pouvoir d'une province de légiférer,
qui serait autrement de sa compétence, doit être exclu.
En faisant la revue de la jurisprudence relative à
l'application de lois provinciales à des activités à
l'intérieur d'une réserve, le juge Martland cite la
décision de la Cour d'appel de la Colombie-Britan-
nique dans l'affaire Peace Arch, précitée. Il dit aux
pages 704 et 705:
Dans l'affaire Corporation of Surrey v. Peace Arch Enter
prises Ltd. ((1970), 74 W.W.R. 380), la situation était diffé-
rente. Il s'agissait de terres situées dans une réserve indienne
qui avaient été «cédées» en fidéicommis à la Couronne fédérale
à des fins de louage. La question était de savoir si les terres
étaient sujettes, dans leur utilisation par les locataires, qui
étaient des non-Indiens, à certains règlements municipaux et
aux règlements établis en vertu de la loi dite Provincial Health
Act. La Cour a conclu que les terres en question étaient
toujours «des terres réservées aux Indiens» et, puisqu'il en était
ainsi, seul le Parlement fédéral pouvait légiférer quant à l'usage
auquel elles pouvaient être destinées. L'arrêt Morley n'a pas été
mentionné dans le jugement et je présume qu'il en a été ainsi
parce que les affaires n'étaient pas considérées comme compa-
rables. Dès lors qu'on avait décidé que les terres restaient des
terres réservées aux Indiens, la législation provinciale concer-
nant leur usage n'était pas applicable.
Le juge Laskin (tel était alors son titre) dit dans la
même affaire à la page 715:
Indépendamment du pouvoir exclusif dont le Parlement du
Canada est investi pour faire des lois relatives aux Indiens, le
pouvoir exclusif qu'il possède également en ce qui concerne les
réserves indiennes place de telles étendues de terre, bien qu'elles
soient physiquement comprises dans les limites intérieures
d'une province, en dehors de la compétence provinciale lorsqu'il
s'agit de réglementer leur usage ou de contrôler les ressources
qui s'y trouvent. Cela n'est pas dû à un droit de propriété
quelconque dont le Parlement du Canada ou la Couronne du
chef du Canada se trouvent investis, mais au fait que, quel que
soit le droit en cause, c'est seulement le Parlement qui peut
faire des lois concernant les réserves une fois que celles-ci ont
été reconnues ou réservées comme telles.
Dans l'affaire Les parents naturels c. Le Super
intendent of Child Welfare [1976] 2 R.C.S. 751,
le juge en chef Laskin, en parlant du genre de cas
où la compétence législative exclusive du fédéral
relative à un sujet en particulier exclura l'applica-
tion de lois provinciales d'application générale, dit
aux pages 759 et 760:
Personne n'a contesté devant cette Cour le principe général
depuis longtemps acquis, énoncé dans Union Colliery Co. of
British Columbia Ltd. v. Bryden ([1899] A.C. 580), la p.
588, selon lequel [TRADUCTION] «le fait que le Parlement du
Dominion s'abstient de légiférer dans la plénitude de ses pou-
voirs ne saurait avoir pour effet de transférer à une législature
provinciale la compétence législative conférée au Dominion par
l'art. 91 de l'Acte de 1867». Par conséquent, on ne peut
prétendre qu'une loi provinciale peut embrasser des matières
relevant exclusivement de la juridiction fédérale simplement
parce que cette loi est d'application générale, c'est-à-dire que sa
portée n'est pas expressément restreinte aux matières de juri-
diction provinciale. Ainsi, par exemple, cette Cour a décidé
qu'une loi provinciale portant sur le privilège foncier des cons-
tructeurs est inapplicable à un pipe-line interprovincial: Camp-
bell-Bennett Ltd. c. Comstock Midwestern Ltd. ([1954] R.C.S.
207). De même, on a jugé inapplicable aux employés d'une
entreprise interprovinciale de communications une loi provin-
ciale du salaire minimum: voir Commission du salaire mini
mum c. Bell Canada ([1966] R.C.S. 767), et, dans la même
veine, aux employés d'un maître de poste local: voir Renvoi
relatif au Saskatchewan Minimum Wage Act ([1948] R.C.S.
248). S'il en est ainsi, c'est parce qu'interpréter une loi provin-
ciale de façon qu'elle embrasse de telles activités équivaut à la
faire empiéter sur un domaine de juridiction exclusivement
fédérale. D'autre part, une loi provinciale portant sur les heures
de travail a été déclarée applicable aux employés d'un hôtel qui
appartenait à une compagnie' ferroviaire et était exploité par
elle, mais ne faisait pas partie de son réseau de transport: voir
La Compagnie de chemin de fer canadien du Pacifique c. Le
procureur général de la Colombie-Britannique ([1950] A.C.
122).
Dans la même affaire, le juge Martland expose
une opinion semblable aux pages 774 et 775:
On a statué dans certains arrêts que des lois provinciales de
portée générale ne s'appliquaient pas à une compagnie ou une
institution assujettie au contrôle exclusif du Parlement fédéral.
Dans Campbell-Bennett Limited c. Comstock Midwestern
Limited ([1954] R.C.S. 207), il a été décidé qu'une compagnie
constituée en vertu d'une loi fédérale dont l'objet était le
transport du pétrole par des pipe-lines interprovinciaux ou
internationaux, par conséquent un ouvrage ou entreprise rele
vant de la compétence exclusive du Parlement, n'était pas
assujettie à un privilège de constructeur enregistré en vertu
d'une loi provinciale, parce que celle-ci aurait permis la vente
d'une partie de l'entreprise, ce qui aurait eu pour effet d'empê-
cher la réalisation de l'objet visé par sa constitution en
corporation.
Dans l'arrêt Commission du salaire minimum c. Bell
Canada ([1966] R.C.S. 767), l'on a statué que la réglementa-
tion des relations du travail des employés d'une compagnie
déclarée entreprise à l'avantage général du Canada, n'était pas
touchée par une loi provinciale relative au salaire minimum. On
a de même déclaré dans l'arrêt Reference Saskatchewan Mini
mum Wage Act ([1948] R.C.S. 248), que les dispositions de la
loi provinciale sur le salaire minimum ne pouvaient pas s'appli-
quer à un employé qui faisait partie du service postal.
Dans McKay c. Sa Majesté la Reine ([1965] R.C.S. 798) il
a été décidé qu'un règlement municipal de zonage relatif à
l'érection d'enseignes sur les propriétés résidentielles ne pouvait
empêcher d'ériger une enseigne en faveur d'un candidat à une
élection fédérale.
Chacun de ces arrêts se rapportait à une loi particulière qui
avait pour effet d'imposer des restrictions à une entreprise ou à
une activité qui relève exclusivement de la compétence fédérale.
L'Adoption Act n'est pas une loi du même genre. Elle n'impose
aucune restriction aux droits des Indiens.
Dans des décisions subséquentes, la Cour a
insisté sur le fait que les réserves indiennes ne sont
pas des enclaves fédérales où l'application des lois
provinciales est totalement exclue. Dans l'arrêt
Construction Montcalm Inc. c. La Commission du
salaire minimum [1979] 1 R.C.S. 754, le juge
Beetz, prononçant les motifs du jugement majori-
taire, dit aux pages 777 et 778:
L'énumération, à l'art. 91 de la Constitution, des pouvoirs
exclusifs du fédéral, y compris le pouvoir de faire des lois
relativement à la dette et à la propriété publiques, a pour effet
de limiter la compétence ratione materiae de la province et non
sa compétence territoriale. Les dispositions contestées n'ont
trait ni à la propriété fédérale ni à aucune autre matière
fédérale, mais aux droits civils et, à mon avis, elles régissent les
droits civils de Montcalm et de ses employés sur la propriété
fédérale. Les terrains de la Couronne fédérale ne sont pas des
enclaves extra-territoriales à l'intérieur des limites de la pro
vince, pas plus que les réserves indiennes. Ce qu'a dit le juge
Martland au nom de la majorité de cette Cour dans Cardinal c.
Procureur général de l'Alberta ([1974] R.C.S. 695), au sujet
des réserves indiennes s'applique également aux terrains de la
Couronne fédérale (à la p. 703):
A mon avis, le critère concernant l'application de la législa-
tion provinciale dans une réserve est le même que celui qui
concerne son application dans la province, c'est-à-dire, que la
législation doit s'inscrire dans le cadre des pouvoirs énumérés
à l'art. 92 et non porter sur des sujets exclusivement assignés
au Parlement du Canada en vertu de l'art. 91. Deux de ces
sujets sont les Indiens et les réserves indiennes, mais si une
législation provinciale dans les limites de l'art. 92 n'est pas
interprétée comme étant une législation relative à ces catégo-
ries de sujets (ou tout autre sujet visé par l'art. 91), elle est
applicable partout dans la province, y compris les réserves
indiennes, même si elle peut toucher les Indiens et les réser-
ves indiennes. Le point que j'avance est que le par. (24) de
l'art. 91 énumère des catégories de sujets à l'égard desquelles
le Parlement fédéral a le pouvoir exclusif de légiférer, mais il
ne vise pas à définir des secteurs d'une province dans lesquels
le pouvoir d'une province de légiférer, qui serait autrement
de sa compétence, doit être exclu.
Dans l'arrêt Four B Manufacturing Limited c.
Les Travailleurs unis du vêtement d'Amérique
[ 1980] 1 R.C.S. 1031, le juge Beetz, prononçant
les motifs du jugement majoritaire de la Cour, dit
aux pages 1049 et 1050:
L'avocat de l'appelante a également fait valoir que les droits
civils en question ne sont pas uniquement les droits civils des
Indiens, mais les droits civils indiens exercés sur une réserve. Le
sens de cette prétention, si je comprends bien, est que le
caractère exclusif de la compétence fédérale est d'une certaine
façon renforcé parce qu'il découle de deux chefs connexes de
compétence fédérale et non d'un seul, la compétence fédérale
sur les Indiens et sur les terres réservées aux Indiens.
À mon avis, cette prétention cherche à faire renaître, dans
une version modifiée, la théorie de l'enclave des réserves: les lois
provinciales ne s'appliqueraient pas aux Indiens sur les réserves
bien qu'elles puissent s'appliquer à d'autres. Cette Cour a rejeté
la théorie de l'enclave dans l'arrêt Cardinal c. Procureur
général de l'Alberta ([1974] R.C.S. 695) et je ne vois aucune
raison de la faire renaître même dans une forme limitée. Le
paragraphe 91.24 de l'Acte de l'Amérique du Nord britanni-
que, 1867 attribue au Parlement compétence sur deux matières
distinctes, les Indiens et les terres réservées aux Indiens, non
pas les Indiens sur les terres réservées aux Indiens. Le pouvoir
du Parlement de faire des lois relatives aux Indiens est le
même, que les Indiens soient sur une réserve ou à l'extérieur
d'une réserve. Il n'a pas plus de force parce qu'il vise des
Indiens sur une réserve qu'il n'est amoindri parce qu'il vise des
Indiens à l'extérieur d'une réserve. (Voir Kenneth Lysyk, «The
Unique Constitutional Position of the Canadian Indian» (1967),
45 R. du B. Can. 513, à la page 515.)
Aucun de ces arrêts ne porte sur le droit à la
possession d'une partie d'une réserve ou de terres
cédées au sens de la Loi sur les Indiens: ils ne
règlent donc pas la question en litige. La conclu
sion que je tire, en toute déférence, des observa
tions que j'ai citées c'est que les lois provinciales
d'application générale s'appliquent aux «terres
réservées pour les Indiens» au sens de l'article
91(24) de l'A.A.N.B. sauf dans les cas où leur
application aurait un effet semblable à celui dont il
est question dans les arrêts, tel Campbell-Bennett,
mentionnés par le juge en chef Laskin et le juge
Martland dans l'affaire Les parents naturels ou
dans les cas où ils seraient incompatibles avec une
loi fédérale valide.
Avant d'examiner comment ces principes s'ap-
pliquent à la question en litige en l'espèce, il faut
citer l'article 88 de la Loi sur les Indiens qui rend
applicables aux Indiens les lois provinciales:
88. Sous réserve des dispositions de quelque traité et de
quelque autre loi du Parlement du Canada, toutes lois d'appli-
cation générale et en vigueur, à l'occasion, dans une province
sont applicables aux Indiens qui s'y trouvent et à leur égard,
sauf dans la mesure où lesdites lois sont incompatibles avec la
présente loi ou quelque arrêté, ordonnance, règle, règlement ou
statut administratif établi sous son régime, et sauf dans la
mesure où ces lois contiennent des dispositions sur toute ques
tion prévue par la présente loi ou y ressortissant.
On a déjà fait remarquer que dans ses termes
mêmes cette disposition s'applique aux Indiens et
non aux terres réservées aux Indiens: voir par
exemple, le juge Laskin (tel était alors son titre)
dans l'arrêt Cardinal, précité, à la page 727;
Lysyk, op. cit., à la page 518; R. c. Isaac, précité.
Puisque la question en litige en l'espèce est le droit
à la possession d'une terre régie par la Loi sur les
Indiens, elle se rapporte aux terres réservées aux
Indiens au sens de l'article 91(24) de l'A.A.N.B.
plutôt qu'aux Indiens en tant que tels et il n'est
donc pas besoin de tenir compte de l'article 88.
Le droit à la possession de terres qui font partie
d'une réserve ou de terres cédées au sens de la Loi
sur les Indiens relève selon moi de la compétence
exclusive du fédéral de légiférer relativement aux
terres réservées aux Indiens aux termes de l'article
91(24) de l'A.A.N.B. C'est l'essence même de ce
pouvoir. Le prétendu titre indien ou droit d'occu-
pation est en réalité un droit de possession. Ceci
est reconnu par les dispositions de la Loi sur les
Indiens (actuellement les articles 20 et suivants
sous la rubrique: «Possession de terres dans des
réserves») qui prévoient la façon dont la «posses-
sion» de terres dans une réserve peut être accordée
à un Indien en particulier ainsi que les circons-
tances dans lesquelles le droit à la possession d'une
terre peut retourner à la bande. Le droit de la
Couronne du chef du Canada de revendiquer la
possession d'une terre qui fait partie d'une réserve
et de terres cédées au sens de la Loi sur les Indiens
existe, à titre d'accessoire du pouvoir de contrôle et
d'administration attribué au gouvernement fédéral
relativement à ces terres, pour la protection des
intérêts des Indiens dans ses terres. Tant que la
terre relève des compétences législative et adminis
trative du fédéral, c'est la Couronne du chef du
Canada qui doit veiller à la protection de ces
intérêts, qu'il s'agisse du droit d'occupation ou de
la possession même, ou des «deniers des Indiens»
(voir l'article 62 de la Loi) qui doivent être accep
tés en contrepartie d'une cession. Il semblerait
même que tant que la terre relève des compétences
législative et administrative du fédéral, la Cou-
ronne du chef de la province à laquelle est dévolu
le titre juridique sous-jacent de la terre n'aurait
pas le droit d'en revendiquer la possession. Par
conséquent, je suis d'avis que la loi provinciale
relative à la prescription d'actions en recouvrement
de biens-fonds ne pourrait, compte tenu de la
Constitution, s'appliquer pour donner à l'intimé ou
à ses prédécesseurs en occupation un droit de
possession opposable au droit d'occupation des
Indiens ou au droit de la Couronne fédérale de
revendiquer la possession pour la protection des
intérêts des Indiens.
Ce dont il s'agit vraiment c'est l'existence de
terres en tant que partie d'une réserve ou de terres
cédées au sens de la Loi sur les Indiens. Si la
législation provinciale relative à la prescription
d'actions pouvait s'appliquer pour éteindre le titre
indien ou le droit de la Couronne fédérale de
recouvrer la possession de la terre pour la protec
tion des intérêts des Indiens, cela pourrait avoir
pour effet d'entraîner le démembrement de la
réserve, effet semblable à ce qui, dans l'arrêt
Campbell-Bennett, fut jugé au-delà de la compé-
tence législative provinciale. Cela aurait pour effet
de détruire ou d'éliminer une partie de la matière
même relevant de la compétence fédérale. Si la
législation provinciale d'application générale ne
peut, compte tenu de la Constitution, s'appliquer
pour restreindre l'usage de terres réservées aux
Indiens au sens de l'article 91(24) de l'A.A.N.B.,
comme il a été décidé dans l'arrêt Peace Arch
(conclusion qui semble avoir été approuvée impli-
citement par la Cour suprême du Canada dans
l'arrêt Cardinal), alors, à plus forte raison cela
doit-il être vrai de la législation qui a pour effet
d'éteindre le droit à la possession de ces terres.
Un tel effet serait également contraire à l'objet
de la législation qui existe depuis la toute première
loi fédérale pour la protection des intérêts des
Indiens. Cet objet comprend trois éléments essen-
tiels: la disposition qui prévoit que le droit de
l'Indien à l'occupation ou à la possession ne peut
valablement être cédé ou perdu que par cession à
la Couronne en conformité avec les modalités pres-
crites par la Loi sur les Indiens; la disposition qui
prévoit que tout accord conclu par les Indiens pour
permettre l'occupation de terres indiennes par des
non-Indiens est nulle; et la défense faite aux non-
Indiens d'occuper des terres indiennes sans autori-
sation ou d'empiéter sur celles-ci, avec recours
spéciaux pour faire cesser les contraventions. Ces
dispositions varient quelque peu dans leur forme
ou dans leur formulation dans les différentes ver
sions de la Loi sur les Indiens mais elles demeu-
rent en substance un élément central de la Loi.
Elles prévoient un régime spécial pour la protec
tion des intérêts des Indiens contre l'effet du droit
commun des obligations et des choses. Il n'est pas
permis aux Indiens de céder leurs droits dans une
réserve par les moyens juridiques ordinaires
ouverts aux autres individus. Le juge Judson a
souligné cette caractéristique de la Loi dans l'arrêt
Devereux précité lorsqu'il dit [à la page 572]:
[TRADUCTION] «L'objet de la Loi sur les Indiens
est de conserver intactes pour des bandes d'Indiens
les réserves mises de côté pour elles sans tenir
compte du désir d'un Indien en particulier d'alié-
ner pour son propre bénéfice une partie quelcon-
que de la réserve pour laquelle il peut détenir un
billet de location.»
Dans Fahey c. Roberts, jugement non publié de
la Division du Banc du Roi de la Cour suprême du
Nouveau-Brunswick daté du P r décembre 1916, le
juge en chef McKeown statua que ces dispositions
dans la loi de 1868 (31 Vict., c. 42), plus particu-
lièrement les articles 6 et 17, empêchaient la loi
provinciale sur la prescription d'actions d'opérer de
façon à permettre à un non-Indien d'acquérir le
titre d'une terre dans une réserve par possession
acquisitive. Les articles 6 et 17 sont ainsi rédigés:
6. Toutes les terres réservées pour les Sauvages, ou pour
toute nation, tribu ou peuplade de Sauvages, ou possédées en
leur nom (held in trust) pour leur bénéfice, seront censées être
réservées et possédées pour les mêmes fins qu'avant la passation
du présent acte, tout en restant assujéties à ses dispositions; et
ces terres ne pourront être vendues, aliénées ou affermées avant
d'avoir été cédées à la couronne pour les objets prévus au
présent acte.
17. Nulle personne autre que les Sauvages et ceux qui sont
mariés à des Sauvages, ne s'établira ni ne résidera sur les terres
ou chemins, ou réserves de chemins traversant les terres appar-
tenant à toute nation, tribu ou peuplade de Sauvages, ou
occupées par elle, ni ne les occupera; et toutes les hypothèques
exécutées ou consenties par des Sauvages ou personnes mariées
à des Sauvages, ainsi que tous les baux, contrats et conventions
passés ou apparemment passés (purporting to be made) par des
Sauvages ou personnes mariées à des Sauvages, en vertu des-
quels il serait permis à d'autres qu'à des Sauvages de résider
sur ces terres, seront absolument nuls et de nul effet.
Le juge en chef McKeown statua que l'acquisi-
tion d'un droit de possession en vertu de la loi
provinciale sur la prescription serait contraire à
l'interdiction pour un non-Indien d'occuper sans
autorisation une terre dans une réserve. Il dit en
outre: [TRADUCTION] «les dispositions des lois du
Nouveau-Brunswick sur la prescription ne s'appli-
quent pas à la Couronne agissant par l'intermé-
diaire du gouvernement du Dominion pour ce qui
concerne l'administration de ces terres indiennes»
et que: [TRADUCTION] «les Indiens eux-mêmes
étant frappés de certaines incapacités et ne pou-
vant transmettre ni même céder la terre si ce n'est
en conformité avec les dispositions de la loi,
aucune possession acquisitive ne peut leur être
opposable.»
Ces observations s'appliquent également selon
moi à une terre dans une réserve qui a été cédée à
la Couronne en fiducie à des fins de vente et pour
que le produit soit affecté aux bénéfices de la
bande, mais qui n'a pas été vendue. Puisque ces
terres demeurent des terres réservées aux Indiens
au sens de l'article 91(24) de l'A.A.N.B. et qu'elles
continuent d'être détenues par la Couronne pour le
bénéfice des Indiens à cause de leur intérêt pécu-
niaire dans celles-ci, l'application de la loi provin-
ciale sur la prescription de façon à ce qu'un non-
Indien puisse acquérir par prescription la propriété
de ces terres détruirait le régime spécial prévu
pour ces terres dans la Loi sur les Indiens et irait à
l'encontre des conditions de la fiducie auxquelles
elles auraient été cédées.
Y a-t-il effectivement eu possession acquisitive non
interrompue de soixante ans
La conclusion qui précède suffit à décider l'ap-
pel, mais même en admettant que la loi provinciale
sur la prescription pourrait valablement s'appli-
quer pour éteindre le droit de l'appelante à la
possession de l'immeuble, je suis d'avis que de
toute façon la preuve n'établit pas une possession
acquisitive non interrompue d'au moins soixante
ans.
Il y a premièrement, tel qu'indiqué ci-dessus
dans l'énoncé des faits, un intervalle ou une discon-
tinuité entre la prétendue occupation de l'immeu-
ble par Ebenezer Travis et son petit-fils Ebenezer
A. Travis, et l'occupation de l'immeuble par Isaac
Mutch et l'intimé. Par conséquent, l'occupation de
Travis ne peut être ajoutée ou jointe à celle de
Mutch pour établir la période de soixante ans.
Voir Robinson c. Osborne (1913) 27 O.L.R. 248.
L'occupation réunie de Travis et de son petit-fils a
duré de 1838 à 1901, époque à laquelle, il est
permis de conclure, le petit-fils a cessé d'occuper
l'immeuble puisqu'il a été exclu par l'arpentage de
Fish en 1901 de la propriété qui devait lui être
concédée. De toute façon, la preuve ne révèle
aucun lien entre l'occupation de l'immeuble par
Ebenezer A. Travis et son occupation par Isaac
Mutch à compter de 1904 ou 1905. Pour les
raisons déjà mentionnées plus haut, il n'est pas
logique non plus de conclure que l'occupation de
l'immeuble par Isaac Mutch était la continuation
de l'occupation de l'ancien lot 6 commencée par
son grand-père James. D'après moi, le juge de
première instance a fait erreur en présumant qu'il
y avait une continuité dans l'occupation de l'im-
meuble en raison du fait que dans le rapport
Carter de 1898, il était indiqué que James Mutch
revendiquait l'ancien lot 6. Il semble avoir oublié
ou mal compris le lien entre les anciens lots 5 et 6
et les nouveaux lots 5A et 6, pour ce qui concerne
l'emplacement de l'immeuble. La conclusion du
juge de première instance selon laquelle l'occupa-
tion de l'immeuble par Travis et son successeur a
été continuée sans interruption par la famille
Mutch n'est pas corroborée par la preuve. Il n'exis-
te aucune preuve de l'existence d'un lien entre
l'occupation par Ebenezer A. Travis de la bande
de dix chaînes qui, à l'origine, se trouvait du côté
est de l'ancien lot 5 mais qui est devenue partie du
côté ouest du nouveau lot 6 d'une part et l'occupa-
tion de l'ancien lot 6 par la famille Mutch d'autre
part. Il n'existe aucune preuve que la famille
Mutch ait occupé la bande de dix chaînes entre
1901 et 1904 ou 1905. Les plans d'arpentage de
1904 et 1905 (pièces Pa-24 et Pa-26) indiquent
même que le nouveau lot 6 n'était pas occupé. Il
ressort des témoignages que James Mutch et son
fils Edmund ne vivaient pas sur l'ancien lot 6 mais
de l'autre côté de la rivière. D'après les mêmes
témoignages, Isaac ne faisait pas remonter son
occupation à Travis mais plutôt à son père
Edmund et à son grand-père James. L'intervalle
entre l'occupation de Travis et celle de Mutch fut
admis par l'avocat de l'intimé à l'audition de l'ap-
pel. Il a admis que l'allégation de possession acqui
sitive devait se fonder sur deux périodes d'occupa-
tion distinctes.
La preuve relative à l'occupation réunie d'Ebe-
nezer Travis et de son petit-fils de 1838 1901
n'établit pas qu'il s'agissait d'une possession acqui
sitive non interrompue d'au moins soixante ans.
Les éléments de preuve n'établissent pas claire-
ment quand elle est devenue une occupation ou
possession jouant contre la Couronne ainsi que
contre le droit d'occupation indien. Elle commença
vers 1838 en vertu d'un genre de bail ou de
permission consenti par les Indiens, en contrepartie
duquel Travis paya un loyer pendant quelques
années. Une telle occupation ne pouvait manifeste-
ment pas être acquisitive. La pétition faite par
Travis en 1841 pour obtenir la concession de la
terre qu'il occupait était une reconnaissance à la
fois du droit d'occupation des Indiens et du titre de
la Couronne. Bien que Travis ait déclaré qu'il
voulait obtenir «la confirmation de son titre de
propriété relativement à ladite terre», il ne pouvait
évidemment pas à cette époque prétendre avoir
acquis la propriété de l'immeuble par prescription.
La pétition est incompatible avec la conclusion
qu'il était à l'époque en possession de la terre à
titre de propriétaire ou qu'il prescrivait contre la
Couronne. Il ressort des résultats des recensements
de 1851, 1861 et 1871 que Travis a continué de
résider, et d'occuper une terre, dans la paroisse de
Northesk, mais ils n'établissent pas la nature de
son droit dans la terre qu'il occupait. Le fait que
dans le résultat de 1871, le nombre d'acres qu'il
occupait soit inscrit sous la rubrique générale:
«Total global d'acres de terre possédée» ne suffit
pas d'après moi à établir que son occupation lui
permettait de prescrire contre la Couronne. Ce
n'est que dans le rapport Carter de 1898 que les
dossiers indiquent que le petit-fils de Travis reven-
diquait la propriété de l'ancien lot 5 en vertu d'une
possession acquisitive. La preuve n'établit donc pas
clairement une période non interrompue de
soixante ans au cours de laquelle l'occupation par
Travis et son petit-fils était susceptible de leur
permettre de prescrire contre la Couronne.
J'estime en outre que la preuve ne démontre pas
qu'il y ait eu possession réelle de l'immeuble par
Travis et son petit-fils, par opposition à d'autres
parties de l'ancien lot 5. Il en ressort que Travis
occupait une partie du lot 5, mais elle ne permet
pas de déterminer l'étendue de cette occupation.
Plus particulièrement, elle n'établit pas que Travis
ait occupé la partie sud-est du lot qui se trouve
entre la route et la rivière. Aucun des documents
dans lesquels il est fait mention de l'occupation par
Travis—la pétition de 1841 en vue d'obtenir une
concession, le rapport d'arpentage de Sadler de
1845 et de 1847, les résultats des recensements de
1851, 1861 et 1871, le rapport Carter de 1898 et
l'arpentage de Fish en 1901—n'indique l'étendue
de l'occupation de l'ancien lot 5 par Travis et son
petit-fils. Tant dans son affidavit que dans son
témoignage oral, le professeur Hamilton déclare
que l'immeuble faisait partie du lot occupé par
Travis depuis 1838 ou à peu près, mais comme son
opinion est fondée sur les documents mentionnés,
son témoignage ne permet pas davantage de déter-
miner l'étendue de la terre effectivement occupée
par Travis et plus particulièrement, s'il y avait
occupation physique réelle par lui de toute la terre
à l'égard de laquelle il allègue possession acquisi
tive. En se reportant au rapport d'arpentage de
Sadler, dans lequel il est dit que Travis occupait
dans l'ancien lot 5 trois acres de terre exploitée, le
professeur Hamilton a déclaré qu'il ne pouvait
déterminer l'emplacement de la maison de Travis
sur le lot.
Pour ces motifs, je suis d'avis que la preuve
n'établit pas une possession acquisitive non inter-
rompue d'au moins soixante ans de l'immeuble par
Ebenezer Travis et son petit-fils, Ebenezer A.
Travis, qui pourrait éteindre le titre de la
Couronne.
La preuve est plus claire quant à la nature et
l'étendue de l'occupation de l'immeuble par Isaac
Mutch. L'appelante prétend que l'activité de
Mutch sur l'immeuble consistait simplement en
des actes isolés d'empiétement qui ne pouvaient
fonder une possession acquisitive en vertu de
laquelle un titre pourrait être acquis. Elle cite Doe
d. Des Barres c. White, 1 Kerr N.B. 595, et
Sherren c. Pearson (1888) 14 R.C.S. 581, où on a
étudié la nature de l'occupation requise pour cons-
tituer une possession acquisitive de terres sauvages.
Dans l'arrêt Sherren, où la décision Doe d. Des
Barres fut approuvée, le juge en chef Ritchie dit à
la page 586:
[TRADUCTION] Le simple fait d'aller sur une terre sauvage de
temps à autre en l'absence du propriétaire et d'y couper des
billots ou du bois pour en faire des perches ne sont pas des actes
qui, en soi, priveraient le propriétaire de sa possession. De tels
actes ne constituent qu'une intrusion illicite sur la terre du
véritable propriétaire, quel qu'il soit, que n'importe quel autre
intrus pourrait commettre. ... Le fait de pénétrer sur une terre
et d'y couper un chargement de perches ou beaucoup de bois
n'étant en soi que simple acte d'intrusion illicite, il ne peut être
étendu au-delà des limites de l'acte même, et la simple posses
sion de fait ne peut être étendue par le jeu de présomptions
au-delà des limites de l'occupation réelle. En d'autres termes,
un contrevenant ne peut revendiquer rien relativement à sa
possession par le jeu de présomptions.
Selon moi, les activités d'Isaac Mutch et de sa
famille sur l'immeuble, soit l'agriculture et l'ex-
ploitation forestière, ou la coupe de bois, activités
décrites ci-dessus dans les présents motifs, étaient
plus que de simples actes d'intrusion illicite et
constituaient une occupation du genre requis pour
la possession acquisitive. Je suis d'accord avec la
conclusion suivante du juge de première instance
sur ce point [à la page 667]: «Les actes accomplis
par Mutch avant la vente de .la propriété en ques
tion au défendeur me paraissent être le type d'ac-
tes qu'accomplirait normalement et convenable-
ment un marchand de bois fermier à cette époque
sur la rivière Miramichi.» L'appelante n'admet pas
que Mutch ait été un marchand de bois mais je ne
vois pas comment on peut nier, étant donné la
preuve, qu'il ait effectué des opérations de draye,
qu'il ait coupé et vendu des billots et du bois pour
la pulpe de bois et qu'à un moment donné il ait eu
une scierie. La preuve n'est pas trop claire quant à
l'étendue et à la régularité de la coupe de bois mais
il semblerait qu'on en ait fait beaucoup au cours
des années. Il semble que le juge de première
instance ait accepté le témoignage de Weldon
Mutch quant à l'étendue des activités de coupe et
d'agriculture sur l'immeuble, et je ne vois aucun
motif pour ne pas être d'accord avec cette
conclusion.
Le problème le plus sérieux qui se pose relative-
ment à l'occupation de Mutch provient de la lettre
qu'il a écrite au ministère des Affaires indiennes le
24 février 1919. Il s'agit de déterminer si la lettre
constituait une reconnaissance du titre de la Cou-
ronne sur l'immeuble qui interrompait la posses
sion acquisitive en vertu de l'article 14 de 1'Act
Respecting Limitation of Actions in respect to
Real Property, L.R.N.-B. 1903, c. 139, qui est
ainsi libellé:
[TRADUCTION] 14. Lorsqu'une reconnaissance écrite du titre
de propriété d'une personne ayant droit à tout biens-fonds lui a
été donnée, à elle-même ou à son représentant et signée par la
personne qui se trouve en possession du biens-fonds ou en reçoit
les profits, la possession ou la perception des profits par la
personne qui a donné cette reconnaissance est alors réputée,
conformément au sens du présent chapitre, avoir été celle
exercée ou effectuée par la personne à laquelle, ou au représen-
tant de laquelle, cette reconnaissance a été donnée à la date de
sa remise, et le droit de cette dernière personne ou de tout
ayant droit de cette dernière de prendre possession du biens-
fonds et d'intenter une action en recouvrement de ce biens-
fonds est réputé avoir initialement pris naissance exactement à
la date à laquelle la reconnaissance, ou la dernière de ces
reconnaissances, s'il en a plusieurs, a été donnée.
Dans la lettre qui a été citée ci-dessus, Mutch
dit qu'il «[vivait] sur une parcelle de terre indienne
située entre le côté nord de la rivière Lyttle South
West, le côté est du lot n° 6, mesurant 42 perches
de largeur, bornée à l'ouest par une terre réclamée
par Ebenezar Traviss» et qu'il «[aimerait] en obte-
nir la concession.» L'avocat de l'intimée insiste sur
le fait que la lettre mentionne le «côté est» du lot 6,
alors que l'immeuble était situé du côté ouest,
mais, comme je l'ai indiqué plus tôt, il ressort du
plan daté du 6 juin 1919 préparé pour Mutch par
l'arpenteur Fish que c'est la moitié ouest du lot 6
qu'on voulait arpenter et qui fut effectivement
arpentée pour lui pour servir de fondement à la
concession qu'il voulait obtenir. C'était la partie du
lot 6 qui était occupée par Isaac Mutch. Elle était
bornée à l'ouest par le lot qui avait été arpenté
pour Ebenezer A. Travis en 1901 et à l'est par
l'autre moitié du lot 6 qui était occupée par Wil-
liam, le frère d'Isaac.
Le juge de première instance a décidé que la
lettre n'interdisait pas la défense fondée sur la
possession acquisitive. Il semble avoir réglé cette
question, du moins dans une certaine mesure, en
présumant qu'un titre avait déjà été acquis par
possession acquisitive lorsque la lettre fut écrite et
que, par la lettre, il voulait simplement obtenir une
concession pour confirmer ce titre. Sur cette ques
tion, il dit [à la page 6691:
En l'espèce, la Couronne ayant attendu plus de 50 ans après
la prétendue reconnaissance pour intenter cette action peut
difficilement établir maintenant ce que la lettre de 1919 signi-
fiait. En gardant à l'esprit que la terre en question est située
dans une agglomération non indienne, la description «terre
indienne» utilisée par le colon signifiait probablement une terre
située à l'extérieur de la réserve indienne, terre sur laquelle il
vivait et pour laquelle il désirait «obtenir» une concession de la
Couronne, un document officiel confirmant son propre titre. La
preuve montre qu'il n'a pas payé pour ce titre, donc on peut
présumer qu'il n'attachait pas beaucoup de valeur à ce
document.
Je ne peux accepter que la lettre de Mutch est une reconnais
sance suffisante pour éteindre la possession acquisitive déjà
accumulée à l'époque, soit quelque 15 ans par Isaac Mutch sur
ce lopin de terre précis et au moins un demi-siècle par ses
prédécesseurs sur toute la région, y compris le lot. 6. De plus la
lettre n'était pas adressée à la province, la personne alors en
titre, mais à un ministère fédéral.
En toute déférence, j'estime qu'on ne peut consi-
dérer la lettre autrement que comme une recon
naissance par Mutch du titre de la Couronne sur la
terre qu'il occupait. Il ne fait aucun doute que si la
propriété de l'immeuble avait été acquise par pres
cription par suite de l'occupation par Ebenezer
Travis et son petit-fils, une reconnaissance de titre
postérieure n'aurait pu redonner effet au titre de la
Couronne, comme il a été décidé dans l'arrêt
Hamilton c. Le Roi (1917) 54 R.C.S. 331, cité par
le juge de première instance. Mais, pour les motifs
que j'ai déjà mentionnés on ne peut conclure que la
propriété en a été acquise par prescription par
suite de l'occupation de Travis et de son petit-fils,
ni que leur occupation peut être jointe à celle de
Mutch. Comme je l'ai déjà fait remarquer, rien
dans la preuve ne suggère qu'Isaac Mutch ait
prétendu à quelque moment que ce soit être le
successeur d'Ebenezer A. Travis dans l'occupation
de l'immeuble. Rien dans la lettre de 1919 ni dans
les circonstances de l'époque n'indique que Mutch
ait revendiqué la propriété de l'immeuble fondée
sur la prescription et n'ait demandé une concession
que pour confirmer ce titre. Bien que la preuve
n'indique pas clairement ce qui l'a poussé à écrire
la lettre, dans son mémoire, H. J. Bury, inspecteur
forestier, déclare que d'après lui la «demande est
une des conséquences de l'enquête récente sur
l'empiétement de blancs sur la réserve». On peut
raisonnablement conclure de ces documents que si
Mutch n'a pas obtenu la concession qu'il désirait
c'est à cause d'une différence d'opinion sur le prix
à payer pour la terre et non parce qu'il n'attachait
aucune importance à la concession. Le témoignage
de son fils Weldon tend à confirmer l'impression
qu'à l'époque où il écrivit la lettre, il ne croyait pas
avoir le titre de l'immeuble. Voici ce témoignage:
[TRADUCTION] Q. Cette lettre est datée du 24 février 1919.
Avez-vous déjà vu cette lettre auparavant?
R. Non.
Q. Votre père ne vous en a jamais parlé?
R. Il a mentionné que lui et M. Irving avaient discuté du
terrain.
Q. Quel genre de discussion?
R. Bien, marchandage pour le terrain.
Q. En d'autres termes, vous saviez qu'on se posait des ques
tions quant au titre de la terre?
Q. En d'autres mots, vous étiez conscient qu'il y avait des
problèmes quant au titre?
R. Il faut qu'il y ait un titre.
Q. Ce n'est pas ce que je vous ai demandé. Savez-vous, avec
certitude, s'il y a eu des problèmes relativement au titre
des terres?
R. Oh! certainement, oui.
Q. Et vous le savez depuis assez longtemps; n'est-ce pas?
R. Bien, je sais que nous n'avions pas un acte notarié.
LE JUGE: Ne venez-vous pas tout juste d'affirmer que vous
aviez l'impression que votre père avait obtenu la terre de votre
grand-père?
LE TÉMOIN: Oui.
LE JUGE: Si tel était le cas, pourquoi se poserait-il un problème
relativement aux terres indiennes?
LE TÉMOIN: Bien, j'entendais des histoires qui circulaient de
temps à autre et je sais qu'ils n'avaient pas de titre.
La lettre est adressée au ministère des Affaires
indiennes, qui était chargé du contrôle et de l'ad-
ministration de l'immeuble et qui agissait au nom
de la Couronne en détenant l'immeuble en tant
que partie des terres indiennes assujetties aux con
ditions de la cession de 1895. Tant que les terres
indiennes relevaient de la compétence fédérale,
c'étaient les autorités fédérales qui avaient le droit
de prendre possession de l'immeuble ou d'intenter
une action pour en recouvrer la possession. Pour ce
motif, je suis d'avis que la lettre constituait une
reconnaissance de titre faite à un agent de la
personne ayant droit à l'immeuble au sens de
l'article 14 de la loi provinciale sur la prescription.
Étant donné que la possession acquisitive d'Isaac
Mutch a été interrompue en 1919, l'intimé ne peut
alléguer une position acquisitive non interrompue
de l'immeuble d'une durée d'au moins soixante ans
avant la prise des procédures par l'appelante de
1973.
L'appelante a donc droit à la possession de
l'immeuble. Il faut maintenant examiner la
demande d'indemnité faite par l'appelante pour les
améliorations de l'immeuble.
La demande d'indemnité
La question du droit à une indemnité est soule-
vée à l'alinéa 11 de la défense où il est déclaré que
l'intimé a apporté des améliorations à l'immeuble
et que l'appelante bénéficierait d'un «enrichisse-
ment injuste» s'il lui était donné libre possession de
l'immeuble. En réplique, l'appelante déclare que si
l'intimé a apporté des améliorations à l'immeuble,
il l'a fait à ses propres risques et qu'il savait ou
aurait dû savoir que le titre de l'immeuble était en
tout temps dévolu à Sa Majesté la Reine. A l'ali-
néa 14 de sa défense, l'intimé réclame la valeur
marchande de l'ensemble de la propriété et, subsi-
diairement, la valeur des améliorations. En pre-
mière instance, des éléments de preuve ont été
présentés relativement à la valeur marchande de la
propriété et, dans ses motifs de jugement, le juge
de première instance est arrivé aux conclusions
suivantes quant à la valeur [à la page 671]:
Les deux parties ont fait témoigner des experts pour établir
la valeur marchande de la propriété en question. Dans l'éven-
tualité où mes conclusions sur la question deviendraient utiles
dans des procédures ultérieures, voici mes conclusions sur la
valeur marchande de la propriété de Gilbert A. Smith: terre et
améliorations de l'emplacement $12,000; constructions
$16,000; carrière de gravier $8,000. Total $36,000.
Bien que cette conclusion ne fasse pas partie du
jugement proprement dit, elle fait l'objet d'un
contre-appel par l'intimé qui demande que la
valeur de la propriété soit augmentée à $62,600,
soit la valeur à laquelle conclut le témoin expert de
l'intimé.
La question est de savoir si, en l'espèce, l'appe-
lante devrait être tenue, pour obtenir libre posses
sion de l'immeuble, d'indemniser l'intimé pour les
améliorations qu'il a apportées à l'immeuble, et
dans l'affirmative, comment la valeur de ces amé-
liorations doit être déterminée.
La législation du Nouveau-Brunswick ne con-
tient aucune disposition relativement à l'indemnité
pour améliorations apportées à des biens-fonds par
suite d'une erreur de titre, comme dans l'article
38(1) de The Conveyancing and Law of Property
Act de l'Ontario, S.R.O. 1970, c. 85 dont voici le
libellé:
[TRADUCTION] 38. (1) Lorsqu'une personne apporte à un
biens-fonds des améliorations durables en croyant qu'il lui
appartient, elle-même et ses ayants droit ont droit à un privi-
lège sur celui-ci jusqu'à concurrence de l'augmentation de la
valeur du biens-fonds due aux améliorations, ou ont le droit de
garder le biens-fonds ou peuvent être tenus de le garder si la
Cour est d'avis ou exige que cela soit fait, selon ce qui est plus
équitable compte tenu de toutes les circonstances de l'espèce, en
versant une indemnité pour le biens-fonds, s'il est gardé, selon
que la Cour l'ordonne.
Il existe cependant un principe général d'équité
appelé fin de non-recevoir par acquiescement, qui
régit la question des améliorations apportées au
biens-fonds d'un autre, qui est énoncé comme suit
dans Halsbury's Laws of England, 4e éd., vol. 16,
par. 1475, page 997:
[TRADUCTION] De même, lorsqu'une personne qui croit par
erreur avoir un intérêt dans un biens-fonds et, ignorante de son
manque de titre, y dépense des sommes notamment en y
construisant des édifices ou en y faisant d'autres améliorations,
et que le véritable propriétaire, étant au courant de l'erreur et
des dépenses, ne soulève aucune objection, l'equity protégera la
personne qui fait ces dépenses en confirmant le titre présumé de
cette personne ou en exigeant qu'il soit indemnisé pour ses
déboursés ou en grevant le biens-fonds d'une charge ou d'un
privilège en sa faveur. Ces redressements d'equity peuvent être
obtenus contre la Couronne.
Cet énoncé de principe est fondé en partie sur
l'affaire Ramsden c. Dyson (1866) L.R. 1 H.L.
129, où le lord chancelier Cranworth dit, aux
pages 140 et 141:
[TRADUCTION] Si un étranger commence à construire sur
mon terrain en présumant qu'il lui appartient et que, m'étant
aperçu de son erreur, je ne fais rien pour le lui dire et le laisse
persévérer dans son erreur, une Cour d'equity ne me permettra
pas plus tard de faire valoir mon droit de propriété dans le
terrain sur lequel il a dépensé des sommes en présumant que le
terrain était le sien. Elle considère que lorsque je me suis
aperçu de son erreur, il m'incombait de prendre l'initiative et de
déclarer mon titre contraire; et que ce serait malhonnête de ma
part de demeurer sciemment passif dans ce cas afin de profiter
subséquemment de l'erreur que j'aurais pu prévenir.
Mais il faut remarquer que pour se prévaloir de ces règles
d'equity, deux choses sont requises: premièrement, que la per-
sonne qui fait les dépenses croie construire sur son propre
terrain; et, deuxièmement, que le véritable propriétaire à l'épo-
que des dépenses sache que le terrain lui appartient et non à la
personne qui dépense des sommes en croyant qu'il est le pro-
priétaire. Car si un étranger construit sur mon terrain sachant
qu'il m'appartient, aucun principe d'equity ne m'interdirait de
revendiquer la propriété du terrain et de bénéficier de toutes les
dépenses faites pour l'améliorer. Il n'y aurait rien dans ma
conduite, active ou passive, qui ferait que ce serait inéquitable
de revendiquer mes droits.
Le même principe est exprimé en ces termes par
lord Wensleydale à la page 168:
Si un étranger construit sur mon terrain en présumant qu'il
lui appartient et que moi, sachant qu'il m'appartient, je n'inter-
viens pas mais le laisse continuer, l'equity considère cela mal-
honnête de ma part de demeurer passif et de n'intervenir que
plus tard pour m'approprier le profit.
L'application de ce principe à une action inten-
tée par la Couronne pour recouvrer la possession
de terres dans une réserve indienne a été examinée
dans l'affaire Easterbrook, précitée. Il y fut décidé
que puisque le défendeur et son prédécesseur
avaient occupé la terre en vertu d'un bail qu'ils
avaient obtenu des Indiens, ils ne pouvaient avoir
cru que la terre leur appartenait, et il fut en outre
décidé que la Couronne ne leur avait donné aucun
motif, par des actes ou des déclarations, pour
justifier chez eux une telle croyance. Le juge
Audette de la Cour de l'Échiquier jugea que la
doctrine de l'acquiescement ne s'appliquait pas à
la Couronne mais ce point de vue ne semble pas
avoir été adopté par la Cour suprême du Canada.
Tel qu'indiqué dans l'extrait tiré de Halsbury cité
ci-dessus, il fut décidé dans l'affaire Attorney -
General to His Highness the Prince of Wales c.
Collom [1916] 2 K.B. 193, que la doctrine
d'equity de fin de non-recevoir par acquiescement
s'applique à la Couronne. Selon moi, la Cour
suprême ne prend pas une position contraire sur
cette question dans l'arrêt Easterbrook. Ce serait
plutôt le contraire qui ressort des motifs du juge
Newcombe, qui dit, à la page 219: [TRADUCTION]
«Je suis d'accord avec le savant juge que le défen-
deur n'a pas du tout réussi à prouver quelque acte
ou déclaration, dont la Couronne est responsable,
qui l'ait trompé et induit à croire qu'il avait un
titre qu'il pourrait revendiquer contre celui de la
Couronne.» Et le juge Newcombe examine plus
loin la question de savoir si des déclarations
auraient été faites au prédécesseur en titre du
défendeur par la Couronne ou en son nom. Je
conclus des motifs du juge Newcombe que la
doctrine d'equity de fin de non-recevoir par
acquiescement fut considérée comme étant appli
cable dans les cas appropriés à une demande d'in-
demnité pour la valeur des améliorations apportées
à une terre dans une réserve indienne.
L'avocat de l'appelante prétend que cette doc
trine n'est pas applicable à un cas où le demandeur
ne demande pas un redressement en equity mais
fait valoir ses droits, et il cite à l'appui de cette
prétention la décision de la Cour suprême du
Canada dans Montreuil c. The Ontario Asphalt
Company (1922) 63 R.C.S. 401. Dans les motifs
de cette affaire et plus particulièrement dans les
motifs du jugement majoritaire rédigés par le juge
Anglin, aux pages 433 436, une distinction est
établie entre le cas où celui qui apporte les amélio-
rations se fie à une attitude «passive», ou à ce qui
équivaut à un acquiescement par le propriétaire, et
le cas où il ne le fait pas. Dans ce dernier cas, à
part la loi, la défense d'equity ne peut être soulevée
que si le propriétaire lui-même invoque l'equity.
En espèce, l'intimé se croyait propriétaire de
l'immeuble au moment où il a apporté les amélio-
rations. Dans le premier titre, daté du 26 septem-
bre 1952, qu'il obtint d'Isaac Mutch, il est déclaré
dans le préambule que: [TRADUCTION] «Les
cédants ont été en possession publique et non
contestée des terres et bâtiments décrits dans les
présentes pendant plus de vingt (20) ans», soit la
période ordinairement requise pour l'acquisition
d'un droit de propriété par prescription. Comme il
l'a déclaré dans son témoignage, l'intimé n'avait
connaissance d'aucune revendication de l'immeu-
ble par les Indiens ou en leur nom. L'intimé n'a
pas fait faire l'examen des titres de l'immeuble
mais, bien que cela aurait sans aucun doute été
plus prudent, le défaut de ce faire ne peut à mon
avis justifier le rejet de sa demande en equity pour
les améliorations. Dans l'arrêt Montreuil, précité,
à la page 429, le juge Anglin dit:
[TRADUCTION] Et le fait qu'ils aient certainement été impru-
dents en faisant de telles dépenses sans faire faire une vérifica-
tion appropriée du titre de leur locateur ne les empêche pas de
demander un tel redressement. Pourvu que l'erreur ait été de
bonne foi, le fait qu'elle ait pu être imputable en partie à
l'imprudence ne prive pas les défendeurs du droit de demander
ce redressement.
J'estime qu'il s'agit en l'espèce d'un cas où il
doit être décidé que la Couronne, par suite de sa
longue période d'inaction, particulièrement à
compter de 1919, alors qu'elle savait que l'immeu-
ble était occupé par des non-Indiens, est demeurée
passive et a acquiescé aux améliorations apportées
par l'intimé et son prédécesseur en occupation. La
Couronne, représentée et conseillée par le gouver-
nement provincial ou par le gouvernement fédéral,
avait connaissance de l'occupation de l'immeuble
par des non-Indiens à compter de 1838 mais n'a
jamais pris de mesure pour régulariser la situation
d'une façon ou d'une autre. Etant donné la con-
duite de la Couronne, il serait inadmissible de lui
permettre de recouvrer la libre possession de l'im-
meuble sans être tenue de verser une indemnité
pour les améliorations. S'il y avait le moindre
doute au sujet de l'application du principe d'equity
de fin de non-recevoir par acquiescement en l'es-
pèce, je serais prêt à fonder le droit de l'intimé à
une indemnité pour ses améliorations sur le prin-
cipe général d'enrichissement sans cause ou de
restitution.
Le montant de l'indemnité dans un cas comme
celui-ci est l'augmentation de la valeur de l'im-
meuble due aux améliorations durables. Voir
Montreuil, précité, aux pages 433 et 434; McBride
c. McNeil (1913) 27 O.L.R. 455, la page 457.
Tel que mentionné ci-dessus, les éléments de
preuve présentés visaient à permettre de détermi-
ner la valeur marchande de l'ensemble de la pro-
priété et la division de première instance est arri
vée à une conclusion sur cette valeur. En l'espèce,
il n'est pas possible à cette Cour de déterminer le
montant de l'augmentation de valeur de l'immeu-
ble due aux améliorations.
J'accueillerais l'appel, déclarerais que l'appe-
lante a droit à la libre possession de l'immeuble
lorsqu'elle aura payé à l'intimé le montant de
l'augmentation de la valeur de l'immeuble due aux
améliorations apportées par l'intimé et ses prédé-
cesseurs en occupation et renverrais la question à
la Division de première instance pour déterminer
ce montant, avec le pouvoir d'ordonner un renvoi à
un arbitre à cette fin si elle le jugeait approprié, à
moins que dans l'intervalle les parties ne puissent
convenir de cette somme. A cause des circons-
tances très spéciales de l'espèce, il n'y aura pas
d'adjudication des frais en cette Cour ni en Divi
sion de première instance.
* * *
LE JUGE URIE: Je souscris à ces motifs.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT KELLY: Je souscris à ces
motifs.
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