A-292-79
Robert James Watson (Requérant)
c.
Les États-Unis d'Amérique (Intimé)
Cour d'appel, les juges Pratte, Heald et Urie—
Vancouver, 9 décembre; Ottawa, 22 décembre
1980.
Examen judiciaire — Extradition — Demande d'examen de
la décision du juge de délivrer un mandat d'incarcération en
vue de l'extradition du requérant aux É.-U. — Les preuves
documentaires ne sont pas recevables en vertu des art. 16 et 17
de la Loi sur l'extradition — La question est de savoir si elles
sont recevables en vertu de l'art. 3 de la Loi et de l'Art. 10(2)
du Traité d'extradition entre le Canada et les États-Unis —
Loi sur l'extradition, S.R.C. 1970, c. E-21, art. 3, 16 et 17 —
Traité d'extradition entre le Canada et les États-Unis, Art.
10(2) — Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. 1-23, art. 10 —
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. /970 (2» Supp.), c. 10, art. 28.
La demande fondée sur l'article 28 sollicite la révision et
l'annulation de la décision par laquelle un juge de l'extradition
a délivré un mandat d'incarcération en vue de l'extradition du
requérant aux États-Unis. Comme il est constant que les preu-
ves documentaires présentées à l'audience n'étaient pas receva-
bles sous le régime des articles 16 et 17 de la Loi sur l'extradi-
tion, la seule question est de savoir si elles 'étaient recevables en
vertu de l'article 3 de la Loi et de l'Article 10(2) du Traité
d'extradition entre le Canada et les États-Unis. Le requérant
prétend que l'article 3 ne peut s'appliquer parce qu'il ne vise
que les conventions d'extradition existant à l'époque de la
promulgation de la loi, et qu'il n'existe aucune incompatibilité
entre les articles 16 et 17 de la Loi et l'Article 10(2) du Traité.
Il prétend également que, en tout état de cause, c'est à tort
qu'on a admis en preuve ces documents, puisqu'ils ne répon-
daient pas aux exigences de l'Article 10(2).
Arrêt: la demande est accueillie. Le premier argument fondé
sur l'emploi du présent («il existe«) dans l'article 3 de la Loi ne
saurait être retenu. Il ne tient pas compte de l'article 10 de la
Loi d'interprétation selon lequel la loi est censée toujours
parler. Le deuxième argument doit aussi être rejeté. On ne peut
affirmer qu'il n'y a pas de conflit, puisque les articles 16 et 17
de la Loi et l'Article 10(2) du Traité prescrivent des conditions
différentes concernant la recevabilité des preuves documentai-
res. Le troisième argument est accueilli. Les certificats accom-
pagnant les trois documents judiciaires (pièce A) ne constituent
pas une légalisation de ces documents par un fonctionnaire du
Département d'État des É.-U. Une personne légalise un docu
ment lorsqu'elle en atteste l'authenticité, ce qui ne semble pas
avoir été fait par un tel fonctionnaire. Les mêmes remarques
s'appliquent à la pièce B.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
D. G. McCrea pour le requérant.
B. T. Sedgwick pour l'intimé.
PROCUREURS:
Rosenbloom, McCrea & Leggatt, Vancouver,
pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: La présente demande, fondée
sur l'article 28, attaque la décision par laquelle le
juge de l'extradition, nommé en vertu de la Loi sur
l'extradition (S.R.C. 1970, c. E-21), a délivré un
mandat d'incarcération en vue de l'extradition du
requérant aux États-Unis d'Amérique.
Le seul grief d'appel du requérant porte sur
l'admission en preuve de certains documents. Il a
fait valoir à l'audience d'extradition que ces docu
ments, n'ayant pas été légalisés conformément aux
articles 16 et 17 de la Loi sur l'extradition',
n'étaient pas recevables. Le juge de l'extradition
n'a pas exprimé d'opinion sur ce moyen. Néan-
moins, il a accueilli ces documents parce qu'à son
avis, ils répondaient aux exigences de l'Article
10(2) du Traité d'extradition entre le Canada et
' Ces deux articles sont ainsi rédigés.
16. Les dépositions ou déclarations reçues dans un État
étranger, sous serment ou sous affirmation, si l'affirmation
est permise par la loi de cet État, et les copies de ces
dépositions ou déclarations, et les certificats ou les pièces
judiciaires étrangers établissant le fait d'une déclaration de
culpabilité, peuvent, s'ils sont régulièrement légalisés, être
reçus en preuve dans toutes procédures en vertu de la pré-
sente Partie.
17. Les pièces mentionnées à l'article 16 sont réputées
dûment légalisées, si elles le sont de la manière prescrite par
la loi alors en vigueur ou,
a) si le mandat est donné comme ayant été signé ou le
certificat comme ayant été attesté, ou les dépositions ou
déclarations, ou leurs copies, comme ayant été certifiées
originales ou conformes, par un juge, un magistrat ou un
fonctionnaire de l'État étranger; et
b) si les documents sont attestés sous le serment ou l'affir-
mation d'un témoin, ou sous le sceau officiel du ministre
de la Justice ou de quelque autre ministre de cet État
étranger, ou d'une colonie, dépendance ou partie consti-
tuante de cet État, duquel sceau le juge prend connais-
sance judiciaire sans plus amples preuves.
les États-Unis d'Amérique 2 et étaient recevables
en vertu de l'article 3 de la Loi sur l'extradition'.
Il est constant que les preuves documentaires
admises par le juge de l'extradition n'étaient pas
recevables sous le régime des articles 16 et 17 de la
Loi. La seule question est alors de savoir si elles
étaient recevables en vertu de l'article 3 de la Loi
et de l'Article 10(2) du Traité.
L'avocat du requérant soutient qu'elles ne
l'étaient pas. Sa prétention repose sur trois
arguments.
Il prétend tout d'abord que l'article 3 de la Loi
ne s'applique pas en l'espèce parce que l'entrée en
vigueur du Traité avec les Etats-Unis est posté-
rieure à celle de la Loi. Il insiste sur le fait que
l'article 3 s'applique « dans le cas de tout Etat
étranger avec lequel il existe une convention d'ex-
tradition . . .». [C'est moi qui souligne.] D'après
lui, l'emploi du présent («il existe») dans cet article
indique qu'il ne se rapporte qu'aux conventions
d'extradition existant à l'époque de la promulga
tion de la loi.
De toute évidence, cet argument ne saurait être
retenu. Il ignore en effet l'article 10 de la Loi
d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23, selon lequel
«la loi est censée toujours parler et, chaque fois
qu'une matière ou chose est exprimée au présent, il
faut l'appliquer aux circonstances au fur et à
mesure qu'elles surgissent ...».
2 L'Article 10(2) du Traité est ainsi conçu:
ARTICLE 10
(2) Les preuves documentaires à l'appui d'une demande
d'extradition, qu'il s'agisse d'originaux ou de copies, doivent
être admises en preuve lors de l'examen de la demande
d'extradition lorsque, dans le cas d'une demande émanant du
Canada, elles sont légalisées par un fonctionnaire du Minis-
tère de la Justice du Canada et certifiées par le principal
agent diplomatique ou consulaire des États-Unis au Canada,
ou que, dans le cas d'une demande émanant des États-Unis,
elles sont légalisées par un fonctionnaire du Département
d'État des Etats-Unis et certifiées par le principal agent
diplomatique ou consulaire du Canada aux États-Unis.
3 Cet article porte ce qui suit:
3. Dans le cas de tout État étranger avec lequel il existe
une convention d'extradition, la présente Partie s'applique
durant l'existence de cette convention; mais nulle disposition
de la présente Partie incompatible avec quelqu'une des condi
tions de la convention n'a d'effet à l'encontre de la conven
tion; et la présente Partie doit se lire et s'interpréter de façon
à faciliter l'exécution de la convention.
Le requérant soutient aussi que l'article 3 ne
s'applique nullement en l'espèce, puisque, à son
avis, il n'existe aucune incompatibilité entre les
articles 16 et 17 de la Loi et l'Article 10(2) du
Traité. Cet argument doit être rejeté. Tant la Loi
(dans ses articles 16 et 17) que le Traité (dans son
Article 10(2)) prescrivent, dans les procédures
d'extradition, les conditions de recevabilité des
preuves documentaires. Comme les conditions
imposées par le Traité et la Loi sont différentes, je
ne vois pas comment on peut affirmer qu'il n'y a
pas contrariété entre le Traité et la Loi.
Le requérant prétend en dernier lieu que, en
tout état de cause, c'est à tort qu'on a admis en
preuve ces documents, puisque ceux-ci ne répon-
daient pas aux exigences de l'Article 10(2) du
Traité. Plus précisément, l'avocat du requérant
soutient que ces documents ne semblent pas avoir
été légalisés par un fonctionnaire du Département
d'État des Etats-Unis. Vers la fin de l'audition,
l'avocat de l'intimé a reconnu la validité de cet
argument et, à mon avis, non sans raison. En
l'espèce, les documents en question sont identifiés
comme pièces A et B. La pièce A est une liasse de
trois documents et de trois certificats. 11 semble
que ces trois documents soient des copies de trois
documents judiciaires provenant de la United
States District Court du district d'Idaho; le pre
mier certificat est signé par un juge de cette Cour
et atteste que ces trois documents sont des copies
conformes des documents judiciaires; le second
certificat, revêtu du sceau du ministère de la Jus
tice des États-Unis, atteste que le juge qui a signé
le premier certificat est effectivement juge de la
United States District Court du district d'Idaho; le
troisième certificat, signé par un fonctionnaire du
Département d'État, atteste simplement que le
deuxième certificat [TRADUCTION] ((porte le sceau
du ministère de la Justice des États-Unis d'Améri-
que et que ce sceau fait pleinement foi.» A mon
avis, ces certificats ne constituent pas une légalisa-
tion, par un fonctionnaire du Département d'État,
des trois documents judiciaires considérés. J'estime
qu'une personne légalise un document lorsqu'elle
en atteste l'authenticité. Or en l'espèce, cette léga-
lisation ne semble pas avoir été faite par un fonc-
tionnaire du Département d'État comme l'exige
l'Article 10(2) du Traité. Les mêmes remarques
s'appliquent au document admis comme pièce B.
Par ces motifs, j'estime qu'il y a lieu d'accueillir
la présente demande, d'annuler la décision atta-
quée et de renvoyer l'affaire au juge de l'extradi-
tion pour qu'il statue à nouveau en se fondant sur
le fait que les pièces A et B ne sont pas, en
application de l'Article 10(2) du Traité, recevables
en preuve.
* * *
LE JUGE HEALD: Je souscris aux motifs
ci-dessus.
* * *
LE JUGE URIE: Je souscris aux motifs ci-dessus.
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