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A-553-79
E.W. Bickle Ltd. (Requérante)
c.
Le ministre du Revenu national (Intimé)
Cour d'appel, les juges Pratte, Heald et Urie— Vancouver, 9 et 11 décembre 1980.
Examen judiciaire Taxe de vente fédérale Exemptions Journaux Demande de contrôle et de réforme d'une décision du Ministre selon laquelle certaines publications ne sont pas des «journaux» et donc ne sont pas visées par l'exemption prévue à l'art. 3 de la Partie III de l'annexe III de
la Loi sur la taxe d'accise Il échet d'examiner si la Cour
peut contrôler la décision de l'intimé Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 28 Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970, c. E-13, art. 27, 29(1), annexe III, Partie I11, art. 3.
L'espèce est une demande, selon l'article 28, de contrôle et de réforme d'une décision de l'intimé selon laquelle certaines publications ne sont pas des journaux aux fins de l'exemption de la taxe de vente fédérale prévue à l'article 3 de la Partie III de l'annexe Ill de la Loi sur la taxe d'accise. Cette décision fut rendue après qu'un arrêt de notre juridiction eut été prononcé sur une demande précédente selon l'article 28 à ce sujet. Dans son arrêt, la Cour renvoyait l'affaire à l'intimé qui statua, notamment, que deux des publications litigieuses n'étaient pas des journaux et en conséquence étaient assujetties à la taxe de vente fédérale. Il échet d'examiner si la Cour peut contrôler la décision de l'intimé.
Arrêt: la demande est rejetée. Le dernier paragraphe de la Partie III de l'annexe Ill de la Loi sur la taxe d'accise requiert du ministre du Revenu national, essentiellement, qu'il se fasse une opinion. Les faits doivent être établis pour lui permettre d'y arriver. Il ne fait aucun doute que le dossier comportait des preuves que les publications en cause n'étaient pas des journaux au sens de l'exemption prévue par la Loi. Cela étant, et étant clair aussi qu'il a pris en compte le droit applicable à l'espèce, la Cour n'a pas à intervenir dans la décision que la Loi demandait de rendre. Si la Cour devait lui renvoyer l'affaire et l'obliger à statuer que les publications sont bien des journaux, elle substituerait son opinion à la sienne. Ce que la Cour ne peut faire.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
M. Shepard pour la requérante. W. Hohmann pour l'intimé.
PROCUREURS:
Russell & DuMoulin, Vancouver, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: L'espèce est une demande, selon l'article 28, de contrôle et de réforme d'une déci- sion de l'intimé rendue selon la Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970, c. E-13 (ci-après appelée «la Loi»), dans laquelle il jugeait que deux publica tions, The Century 21 Gold Post et Real Estate Victoria, n'étaient pas des «journaux» aux fins de l'exemption de la taxe de vente fédérale prévue à l'article 3 de la Partie III de l'annexe III de la Loi.
Cette affaire a déjà fait l'objet d'une demande antérieure, fondée sur l'article 28, de la part de la même requérante. Il en résulta un arrêt de notre juridiction renvoyant l'affaire au Ministre pour qu'il statue en appliquant cette fois la loi aux faits démontrés dans les pièces soumises. Les motifs de l'arrêt montrent que l'intimé en rendant la décision alors contrôlée avait constaté que les deux publica tions qui font l'objet de la présente demande étaient imposables pour les raisons suivantes:
[TRADUCTION] Nous avons examiné l'hebdomadaire «Real Estate Victoria» .... Comme il est composé d'annonces dans une proportion supérieure à 95 p. 100, il a été décidé qu'il s'agissait également d'une publication imposable.
Le «Century 21 Gold Post», publié irrégulièrement ne contient que des annonces. En conséquence, il s'agit d'une publication imposable ....
Il est admis que ces alinéas décrivent adéquate- ment le contenu des deux publications en cause.
La décision ministérielle entreprise dans cette demande jugeait aussi que deux autres publica tions de la requérante ne pouvaient bénéficier de l'exemption de la Loi. Dans la décision, le Ministre fait les constatations suivantes au sujet des quatre publications:
[TRADUCTION] J'ai examiné ces publications et trouvé qu'elles sont avant tout des prospectus publicitaires. Les publications de ce genre ne jouissent pas du régime d'exemption accordé aux journaux, et je ne puis que confirmer les décisions antérieures les assujettissant à la taxe de vente.
J'ai pris note de votre référence à l'arrêt «Le Roi c. Montreal Stock Exchange and Exchange Printing Co.»; et je dois vous informer qu'au cours des années, d'autres personnes l'ont com- muniqué à notre Ministère. Après en avoir parlé à notre conseiller juridique, nous sommes d'avis qu'il ne s'agit pas d'un précédent, et qu'il n'interdit pas au ministre du Revenu natio nal d'exercer le pouvoir discrétionnaire à lui conféré par la Loi sur la taxe d'accise.
Le fondement de la décision du Ministre tant en cette instance qu'en la précédente se retrouve à l'article 27 de la Loi, lequel impose une taxe de vente sur les marchandises produites, fabriquées ou importées au Canada, et à l'article 29(1) qui exempte de cette taxe les objets énumérés à l'an- nexe III de la Loi. Comme il a été dit auparavant, l'article 3 de la Partie III de l'annexe III men- tionne, notamment, les «journaux». Le voici:
3. Annuaires d'écoles et collèges; magazines et journaux littéraires non reliés, régulièrement publiés à des intervalles définis, au moins quatre fois par année; journaux; musique en feuilles; matières devant servir exclusivement à leur fabrication.
La Partie III comporte la disposition finale suivante:
Il appartient au Ministre seul de juger si quelque imprimé entre dans l'une quelconque des catégories énumérées aux articles 1, 3, 5, et 8 de la présente Partie.
Parmi les motifs de l'arrêt de la Cour, rendu par le juge en chef Jackett, le 27 mars 1979', on retrouve les paragraphes suivants:
En résumé, si j'ai bien compris, les «journaux» sont exemptés depuis fort longtemps de la taxe de vente en vertu de la Loi sur la taxe d'accise et tout récemment, il appartenait au Ministre seul de «juger» si une publication particulière tombait dans le champ d'application de l'exemption. Cependant si je comprends bien la loi, le Ministre n'a pas le pouvoir, discrétionnaire ou autre, de modifier la portée de ladite exemption. En rendant sa décision sur l'application éventuelle de celle-ci, le Ministre doit, selon moi, examiner les faits et appliquer à la lettre la disposi tion prévoyant l'exemption. En l'espèce, le mot important, «journal», a fait l'objet d'un jugement de la Cour suprême du Canada. Le Ministre a écarté ce jugement en invoquant le pouvoir discrétionnaire à lui conféré par la loi, et qu'il considère sans doute comme lui permettant de modifier la portée de l'exemption, qui serait autre si le point de vue de la Cour suprême était adopté. Je suis d'avis que ce faisant, le Ministre a commis une erreur de droit. Je ne vois rien dans la loi qui lui permette de faire autre chose que «juger» si la disposition de l'article en question de la Partie III s'applique aux faits qui lui sont soumis.
En outre, on ne peut dire, à mon avis, que la décision rendue par le Ministre aurait été la même s'il avait tenu compte du sens ordinaire du mot «journal» plutôt que d'appliquer, comme il semble l'avoir fait, la définition arbitraire déjà communiquée à la requérante par son Ministère. Même si je reconnais que les avis peuvent être différents, lorsque je lis les publications faisant l'objet de la décision contestée en tenant compte du jugement rendu par la Cour suprême dans l'affaire Montreal Stock Exchange, je constate qu'il est possible de conclure qu'elles constituent des «journaux», même si elles contiennent exclusivement ou quasi exclusivement des annonces. Comme je les conçois, elles ne sont pas de simples «prospectus publicitai- res», l'on ferait de la réclame pour celui qui les distribue.
[1979] 2 C.F. 448, aux pp. 455 et 456. .
Elles contiennent au contraire des renseignements, «des nouvel- les. de ce qui est disponible dans des secteurs commerciaux particuliers, même si ces renseignements sont communiqués par voie d'annonces communiquées par les tiers qui ont des choses à vendre. [C'est moi qui souligne.]
La référence faite à l'arrêt de la Cour suprême Stock Exchange vise l'arrêt Le Roi c. Montreal Stock Exchange 2 . Il s'agit aussi d'une affaire que cite l'extrait de la décision du Ministre lors de la première demande selon l'article 28, précitée.
Voici les portions importantes des motifs de l'arrêt en cette espèce [aux pages 615 617]:
[TRADUCTION] Pendant plusieurs années la Bourse de Mont- réal et plus tard l'Exchange Printing Company a imprimé vers midi, chaque jour ladite Bourse tenait séance, un feuillet sur lequel figuraient les opérations boursières qui y avaient été effectuées le matin. Un rapport semblable figuraient ces opérations boursières pour le reste de la journée était aussi imprimé. Les opérations boursières du marché hors-cote de Montréal étaient publiées de la même façon. Chaque semaine on imprimait «deux analyses comparées», l'une portant sur les opérations admises à la cote, l'autre ayant trait aux opérations hors-cote.
Ces rapports contenaient de temps à autre des avis de dividendes, d'assemblées annuelles et de perte de certificats; ils établissaient la liaison avec les compagnies dont les actions étaient cotées à la Bourse. Les publications hebdomadaires, en sus des résumés relatifs aux activités commerciales de la semaine contenaient un tableau comparatif des activités com- merciales de la semaine en question et de celles qui avaient eu lieu dans la semaine correspondante de l'année précédente.
Les membres de la Bourse étaient les principaux utilisateurs de ces rapports pour lesquels ils versaient une cotisation en fonction d'une échelle mobile. Cependant, des exemplaires des rapports étaient échangés avec d'autres institutions semblables situées au Canada et aux États-Unis. Quelques exemplaires étaient vendus à des profanes et selon le témoignage du secré- taire-trésorier intérimaire de la Bourse, le public pouvait s'abonner à ces rapports.
Le terme «journaux» n'est pas défini dans la Loi et bien qu'on nous ait cité plusieurs définitions des législations fédérale et provinciales, le langage tenu par l'actuel juge en chef, lorsqu'il prononça l'arrêt de la Cour dans Milne-Bingham Printing Co. Limited c. Le Roi ([19301 R.C.S. 282, à la p. 283), est particulièrement approprié.
On peut considérer l'usage fait du terme dans d'autres lois, si elles se révèlent comparables, pari materia, mais il est fallacieux de supposer que parce que des lois sont compara- bles, pari materia, la définition de l'une peut, telle quelle, être transposée dans l'autre. * * *
En l'espèce, le mot en discussion n'est défini dans aucun texte de loi portant sur la même matière, et on ne peut que lui attribuer son sens général. Le Webster's New International Dictionary fournit une définition du mot «journal» qui est
2 [l935] R.C.S. 614.
exprimée en termes correspondants dans d'autres dictionnaires faisant autorité. La voici:
une publication imprimée à intervalles réguliers * * * consa- crée à la communication de nouvelles * * * et d'autres affai- res d'intérêt public.
Les rapports en question réunissent ces éléments; le simple fait qu'une publication particulière s'adresse uniquement à une partie du public ne limite pas l'expression en question aux publications religieuses ou amicales. Les rapports en question contiennent non seulement un relevé des opérations du marché coté et hors-cote de la Bourse, mais aussi des renseignements pour ceux qui sont intéressés à ces opérations; les autres articles paraissant de temps à autre consistaient à fournir «des nouvel- les, de nouveaux renseignements et aussi à communiquer des événements récents» (voir le Concise Oxford Dictionary pour la définition du mot «nouvelles»).
Étant d'avis que les publications constituent des journaux aux fins de la Loi spéciale des revenus de guerre, les intimés se sont placés dans le cadre d'une disposition d'exemption fiscale. Dominion Press Limited c. Minister of Customs and Excise ([1928] A.C. 340).
L'affaire ayant été renvoyée à l'intimé, celui-ci, saisi à nouveau, comme il lui était demandé, a rendu une nouvelle décision au sujet des quatre publications; en voici l'extrait qui nous importe:
[TRADUCTION] J'ai réexaminé ces publications à la lumière de l'arrêt qu'a rendu la Cour d'appel fédérale dans «E.W. Bickle et le ministre du Revenu national» et j'en suis venu à la conclusion que les publications «Rapid Auto Mart Magazine» et «Buy Sell & Trade„ sont des journaux aux fins de la Loi sur la taxe d'accise.
Appliquant les mêmes critères au »The Century 21 Gold Post» et au »Real Estate Victoria», j'ai conclu que ces publications ne sont pas des journaux et en conséquence sont assujetties à la taxe de vente fédérale. [C'est moi qui souligne.]
C'est cet extrait de la décision, dans le second paragraphe précité, qui fait l'objet de l'actuelle demande selon l'article 28.
L'avocat de la requérante fait valoir que l'intimé n'est pas en droit de décider que les deux publica tions en cause ne sont pas des journaux parce que, à son avis, il y aurait chose jugée vu l'arrêt de la Cour lors de la précédente demande selon l'article 28. Je ne saurais partager cet avis. Il est parfaite- ment clair que la Cour s'est bornée, dans sa déci- sion précédente, à constater que le Ministre n'était pas autorisé à juger, comme il l'avait fait, «... qu'il [l'arrêt Montreal Stock Exchange] ne s'agit pas d'un précédent, et qu'il n'interdit pas au minis- tre du Revenu national d'exercer le pouvoir discré- tionnaire à lui conféré par la Loi sur la taxe d'accise.» Le juge en chef a bien dit: «.. . je
constate qu'il est possible de conclure qu'elles constituent des `journaux' ...» mais ce n'est pas une constatation qui lie le Ministre. A mon avis, elle sert uniquement à lui montrer qu'à la lumière de l'arrêt Montreal Stock Exchange, il aurait pu en arriver à penser que les publications étaient bien des journaux. C'était à lui de rendre cette décision, non à la Cour, et la Cour n'a pas décidé. La question de savoir si oui ou non les publications qui font l'objet de cette demande sont des journaux n'est donc pas chose jugée.
La Cour a soulevé d'office la question de sa compétence en matière de demande de contrôle d'une décision du Ministre en l'espèce, mais les avocats des deux parties sont convenus qu'étant donné qu'il a été jugé dans la première affaire Bickle qu'une telle décision est contrôlable, cet aspect de l'affaire n'est pas en cause en l'instance. A cause de cela, je présume, pour les fins de cette demande, que la décision ministérielle contrôlée peut l'être selon l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
L'avocat de la requérante fait ensuite valoir qu'en vertu de l'arrêt Montreal Stock Exchange, précité, c'est à tort que le Ministre n'a pas jugé que les publications qui font l'objet de la demande sont des journaux; ils remplissent les critères que cette espèce lui imposait d'appliquer pour juger de leur statut fiscal aux fins de l'exemption prévue à l'annexe III de la Loi.
Pour répondre brièvement à cet argument, il me semble qu'il découle de l'extrait de la décision ministérielle citée ci-dessus que, conformément aux directives de la Cour, le Ministre a réexaminé sa décision à la lumière des motifs de l'arrêt en cette affaire. Ces motifs lui demandaient de rendre une décision en gardant à l'esprit ce qu'avait dit la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Montreal Stock Exchange sur le sens du terme «journal». Non seulement sa décision montre-t-elle claire- ment que c'est ce qu'il a fait mais, plus important peut-être, elle montre aussi que, ce faisant, il a réformé sa décision précédente relativement à deux des publications de la requérante, en statuant qu'il s'agissait de journaux au sens de l'exemption prévue par la Loi. Il a donc exécuté ses fonctions consistant à constater les faits et à les comparer aux termes de l'exemption. C'est ce que requiert de lui le dernier paragraphe de la Partie III de l'annexe III de la Loi.
Essentiellement ce qu'il doit se faire, c'est une opinion. Les faits doivent être établis pour lui permettre d'y arriver. Il ne fait aucun doute que le dossier comportait des preuves qui l'autorisaient à conclure que les publications en cause présente- ment n'étaient pas des journaux au sens de l'exemption prévue par la Loi. Cela étant, et étant clair aussi qu'il a pris en compte le droit applicable à l'espèce, nous n'avons pas à intervenir dans la décision que la Loi lui demande de rendre. Si nous devions avaliser les arguments de l'avocat de la requérante, il nous faudrait lui renvoyer l'affaire et l'obliger à statuer que les publications sont bien des journaux. En fait, ce serait substituer notre opinion à la sienne; ce que nous ne pouvons faire 3 .
En conséquence, je rejetterais la demande selon
l'article 28.
* * *
LE JUGE PRATTE: Je suis d'accord.
* * *
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
3 Comparer avec Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. The Bell Telephone Co. of Canada [1939] R.C.S. 308; Memorial Garden Association (Canada) Ltd. c. Colwood Cemetery Co. [1958] R.C.S. 353 et L'Association des consommateurs du Canada c. La Commission d'énergie hydro- électrique de l'Ontario [1974] 1 C.F. 453, la p. 457.
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