T-2542-80
Serge Beaumier (Requérant)
c.
La Commission nationale des libérations condi-
tionnelles (Intimée)
et
Le Service canadien des pénitenciers et la Reine
(Mis-en-cause)
Division de première instance, le juge Dubé—
Montréal, 25 juin; Ottawa, 16 juillet 1980.
Brefs de prérogative — Mandamus — Libération condition-
nelle — Première décision de la Commission nationale des
libérations conditionnelles d'accorder au requérant une libéra-
tion conditionnelle de jour — Décision ultérieure de la Com
mission de ne plus accorder ladite libération, le requérant
ayant été impliqué dans un trafic de drogues — Il échet
d'examiner si la Commission peut réviser ses décisions —
Dans l'affirmative, il échet d'examiner si elle devait accorder
au requérant la possibilité de faire valoir ses arguments — Il
échet d'examiner si la deuxième décision de la Commission
équivaut d une révocation — Loi sur la libération condition-
nelle de détenus, S.R.C. 1970, c. P-2, modifiée par S.C.
1976-77, c. 53, art. 6, 8(1 )a), 9(1)1), 11 et 16 — Règlement sur
la libération conditionnelle de détenus, DORS/78-428, art. 14
et 22, modifié par DORS/78-524 — Loi d'interprétation,
S.R.C. 1970, c. I-23, art. 26(3).
Le requérant prie le Tribunal d'émettre un bref de manda-
mus ordonnant à la Commission nationale des libérations con-
ditionnelles de prendre toutes les dispositions nécessaires pour
donner effet à la libération conditionnelle de jour d'abord
dûment accordée au requérant le 1°" mai 1979 mais que subsé-
quemment, le 17 septembre 1979, elle lui refusait à la suite
d'informations l'identifiant «comme une des âmes dirigeantes»
d'un trafic clandestin de drogues. Le requérant soumet que
cette deuxième décision est illégale parce que, premièrement, la
Commission n'a pas le pouvoir de réviser ses propres décisions;
deuxièmement, si elle détient un tel pouvoir, elle se devait de lui
accorder la possibilité de faire valoir ses arguments; et troisiè-
mement, cela équivaut à une révocation et le Règlement appli
cable prévoit que la Commission doit réexaminer sa seconde
décision avant de la révoquer.
Arrêt: la requête est rejetée. L'article 6 de la Loi sur la
libération conditionnelle de détenus indique très clairement que
la Commission nationale des libérations conditionnelles est
exclusivement compétente et a entière discrétion pour agir en
tout temps, soit pour rendre les décisions qu'elle doit prononcer,
ou rendre celles qui s'imposent à la suite d'un changement de
circonstances. La Loi sur la libération conditionnelle de déte-
nus prévoit une audition et une procédure dans certains cas,
mais l'exclut dans d'autres. Le législateur a donc ici limité et
précisé le principe du «duty to act fairly» (devoir d'agir équita-
blement). Le législateur a imposé à la Commission l'obligation
d'entendre une première fois la demande d'un détenu après la
date d'éligibilité de ce dernier à une libération conditionnelle
totale ou de jour; elle peut à partir de ce moment accorder ou
refuser en tout temps une libération conditionnelle. Elle n'est
pas dans le cas présent tenue de réentendre le détenu et de
passer par la procédure de révocation qui ne s'applique qu'aux
cas où celui-ci a été retourné en détention à la suite de
l'arrestation prévue à l'article 16 de la Loi. Le fait de refuser
une libération avant qu'elle ne débute ne peut être interprété
comme une révocation au sens de la Loi. Lorsque c'est une
libération conditionnelle de jour qui est refusée, la Commission
n'est pas tenue de réexaminer une première décision en vertu
des articles 9(1)1) et 11 de la Loi.
Arrêts mentionnés: Howarth c. La commission nationale
des libérations conditionnelles [1976] 1 R.C.S. 453;
Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of
Commissioners of Police [1979] 1 R.C.S. 311.
REQUÊTE.
AVOCATS:
C. Lanctôt pour le requérant.
D. Marecki pour la mise-en cause la Reine.
PROCUREURS:
C. Lanctôt, La Prairie, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour la
mise-en cause la Reine.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran-
çais par
LE JUGE DUBÊ: Le requérant prie le Tribunal
d'émettre un bref de mandamus ordonnant à la
Commission nationale des libérations conditionnel-
les («C.N.L.C.u) de prendre toutes les dispositions
nécessaires pour donner effet à la libération condi-
tionnelle de jour dûment accordée au requérant le
lei mai 1979.
A cette date la C.N.L.C. décidait d'accorder au
requérant ladite libération conditionnelle de jour
devant prendre effet le 14 septembre suivant. A la
suite, soit le 17 septembre 1979, alors que le
requérant était toujours incarcéré la C.N.L.C.
changeait d'avis et décidait de ne plus accorder
ladite libération.
Le requérant soumet que cette deuxième déci-
sion est illégale, premièrement parce que la
C.N.L.C. n'a pas le pouvoir de réviser ses propres
décisions; deuxièmement, si elle détient un tel pou-
voir, elle se devait d'accorder au requérant la
possibilité de faire valoir ses arguments; et troisiè-
mement, si la C.N.L.C. peut réviser ses propres
décisions sans entendre le requérant le fait de
refuser une libération déjà accordée équivaut à une
révocation et le Règlement applicable à la
C.N.L.C. prévoit qu'elle doit réexaminer sa
seconde décision avant de la révoquer.
Il est admis que nonobstant le fait que la
C.N.L.C. n'avait pas émis le certificat de libéra-
tion prévu à l'article 12 de la Loi [Loi sur la
libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970,
c. P-2, modifiée par S.C. 1976-77, c. 53], la libéra-
tion conditionnelle de jour avait tout de même été
octroyée le ler mai 1979.
Tel qu'il appert dans une lettre de la C.N.L.C.
au requérant, cette deuxième décision a été prise
«à la suite de son mauvais comportement lors de
sorties sur le projet foresterie à La Macaza». Le
requérant ne faisait pas partie dudit projet et nie
avoir été impliqué dans un trafic de drogue en
marge de ce projet.
Selon l'affidavit du chef d'unités résidentielles
au Service canadien des pénitenciers affecté à
l'Institution La Macaza, des fouilles de l'autobus
servant à ce projet spécial effectuées à la suite
d'une délation émanant d'un informateur ont
révélé le 7 août 1979 la présence de marijuana et
de valiums camouflés à l'avant de l'autobus. Un
informateur a identifié le requérant «comme une
des âmes dirigeantes de ce négoce clandestin».
Compte tenu des attributions de la C.N.L.C.
énoncées à l'article 6 de la Loi, cette dernière
considère que dans la poursuite de ses objectifs,
nommément la réintégration sociale des détenus et
la protection du public, elle a le pouvoir explicite
de réviser ses propres décisions lorsque des change-
ments interviennent. L'article 6 se lit comme suit:
6. Sous réserve de la présente loi, de la Loi sur les péniten-
ciers et de la Loi sur les prisons et les maisons de correction, la
Commission est exclusivement compétente et a entière discré-
tion pour accorder ou refuser d'accorder une libération condi-
tionnelle ou une absence temporaire sans escorte en vertu de la
Loi sur les pénitenciers et pour révoquer une libération condi-
tionnelle ou mettre fin à une libération conditionnelle de jour.
Le savant procureur du requérant souligne que
la question soulevée devant cette Cour porte uni-
quement sur l'interprétation que doivent recevoir
les mots «la Commission est exclusivement compé-
tente et a entière discrétion pour accorder ou
refuser d'accorder une libération conditionnelle»
[c'est moi qui souligne]. Il soutient que suite à une
demande de libération conditionnelle la C.N.L.C.
peut accorder ou refuser d'accorder la libération,
mais qu'elle ne peut exercer successivement ces
deux compétences comme elle prétend le faire dans
le cas présent: la C.N.L.C. avait la compétence
d'accorder la libération le ler mai 1979 mais était
dépourvue de toute compétence pour la refuser
ultérieurement le 17 septembre 1979.
Toujours selon le procureur, la C.N.L.C. est
compétente et a entière discrétion pour révoquer
une libération et pour mettre fin à une libération
conditionnelle de jour. Mais cette dernière compé-
tence de mettre fin s'applique uniquement lorsque
l'objet pour laquelle la libération conditionnelle de
jour a été accordée a pris fin et que ladite libéra-
tion est devenue irréalisable. Par contre, la révoca-
tion s'applique dans tous les cas où la conduite du
libéré conditionnel est en cause et justifie son
incarcération ou la poursuite, de son incarcération.
Je ne peux accepter cet argument. L'article 6 de
la Loi indique très clairement que la C.N.L.C. est
exclusivement compétente et a entière discrétion
pour agir en tout temps, soit pour rendre les
décisions qu'elle doit prononcer, ou rendre celles
qui s'imposent à la suite d'un changement de
circonstances. La Loi d'interprétation, S.R.C.
1970, c. I-23, stipule au paragraphe 26(3) que
lorsqu'un «pouvoir est conféré ou un devoir imposé,
le pouvoir peut être exercé et le devoir doit être
accompli à l'occasion selon que les circonstances
l'exigent». Maxwell on the Interpretation of Stat
utes, édition 1962, écrit ceci à la page 350:
[TRADUCTION] Lorsqu'une loi donne compétence, elle con-
fère aussi, implicitement, le pouvoir d'accomplir tous les actes
et de prendre les moyens qui sont essentiels à l'exercice de la
compétence conférée. Cui jurisdictio data est, ea quoque con-
cessa esse videntur, sine quibus jurisdictio explicari non
potuit.
Du moment où un détenu devient éligible à une
libération conditionnelle, la C.N.L.C. peut la lui
accorder en tout temps et peut la lui refuser en
tout temps, à condition que sa décision ne soit pas
purement arbitraire. Le fait de refuser une libéra-
tion avant qu'elle ne débute ne peut être interprété
comme une révocation au sens de la Loi.
Il ne fait aucun doute depuis la décision de
Howarth c. La commission nationale des libéra-
tions conditionnelles [1976] 1 R.C.S. 453, que les
décisions de la C.N.L.C. sont des décisions de
nature administrative non soumises à un processus
judiciaire ou quasi judiciaire. Cependant, le «duty
to act fairly» [devoir d'agir équitablement] est un
principe fondamental accordant un minimum de
protection aux individus vis-à-vis les décisions
administratives prises de façon arbitraire (vide
Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board
of Commissioners of Police [1979] 1 R.C.S. 311).
La Loi sur la libération conditionnelle de déte-
nus prévoit une audition et une procédure dans
certains cas, mais l'exclut dans d'autres. Le légis-
lateur a donc ici limité et précisé le principe
précité. Le législateur a imposé à la C.N.L.C.
l'obligation d'entendre le détenu dans le cas où il
présente une première demande, tel que prévu à
l'alinéa 8(1)a) de la Loi et à l'article 14 du
Règlement [Règlement sur la libération condi-
tionnelle de détenus, DORS/78-428]. Il est spéci-
fiquement prévu à l'article 11 ainsi qu'aux articles
16 et suivants de la Loi qu'une seconde audition de
l'affaire n'est pas imposée à la C.N.L.C.
On se souvient que l'allégation fondamentale du
requérant est que le refus de sa libération déjà
accordée équivaut à une révocation et qu'il aurait
donc fallu que la C.N.L.C. accorde au requérant
la procédure prévue à l'article 22 du Règlement,
soit un réexamen de la décision. Il faut retenir
cependant que le requérant n'avait pas été de fait
libéré ou arrêté. Par conséquent, son cas n'est pas
l'un de ceux visés par l'article 16 de la Loi. Les
deux articles se lisent comme suit:
16. (1) Un membre de la Commission ou la personne que le
président désigne à cette fin, en cas de violation des modalités
d'une libération conditionnelle ou lorsqu'il est convaincu qu'il
est souhaitable sinon nécessaire d'agir ainsi pour empêcher une
telle violation ou pour protéger la société, peut, par mandat
écrit signé de sa main,
a) suspendre toute libération conditionnelle aux obligations
de laquelle le détenu est encore assujetti;
b) autoriser l'arrestation d'un détenu en liberté condition-
nelle; et
c) renvoyer un détenu en détention jusqu'à ce que la suspen
sion soit annulée ou sa liberté conditionnelle révoquée.
(2) La Commission ou la personne que le président désigne,
peut, par mandat écrit, ordonner le transfèrement d'un détenu
renvoyé en détention en vertu de l'alinéa (1)c), en attendant
l'annulation de sa suspension ou la révocation de sa libération
conditionnelle.
(3) La personne qui a signé le mandat visé au paragraphe
(1), ou toute personne que le président désigne à cette fin, doit,
dès que le détenu en liberté conditionnelle qui y est mentionné
est renvoyé en détention, réexaminer son cas, et, dans les
quatorze jours qui suivent, si la Commission ne décide pas d'un
délai plus court, annuler la suspension ou renvoyer l'affaire
devant la Commission.
(4) La Commission doit, lorsque lui est renvoyé le cas d'un
détenu à liberté conditionnelle dont la libération conditionnelle
a été suspendue, examiner le cas et faire effectuer toutes les
enquêtes y relatives qu'elle estime nécessaires et immédiate-
ment après que ces enquêtes et cet examen sont terminés, elle
doit soit annuler la suspension, soit révoquer la libération
conditionnelle.
(5) Un détenu qui est sous garde en vertu du présent article
est censé purger sa sentence.
22. (1) Lorsque la Commission décide
a) de refuser la libération conditionnelle totale à un détenu
sous juridiction fédérale,
b) de révoquer la libération conditionnelle accordée à un
détenu sous juridiction fédérale, ou
c) de révoquer la libération sous surveillance obligatoire d'un
détenu sous juridiction fédérale,
ce dernier peut demander à la Commisson de réexaminer la
décision.
(2) Lorsque la demande visée au paragraphe (1) est reçue
dans les trente jours suivant la date à laquelle la Commission a
informé le détenu de sa décision, la Commission doit, et en tout
autre cas peut, faire réexaminer la décision.
(3) Un réexamen, en vertu du présent article, doit
a) être fait par des membres de la Commission qui n'ont pas
participé à la décision faisant l'objet du réexamen; et
b) consister à revoir les documents dont la Commission s'est
servie pour rendre la décision faisant l'objet du réexamen
ainsi qu'à étudier tout autre renseignement pertinent qu'elle
ne connaissait pas au moment où elle a rendu sa décision.
J'en conclus que la C.N.L.C. est tenue d'enten-
dre une première fois la demande d'un détenu
après la date d'éligibilité de ce dernier à une
libération conditionnelle totale ou de jour et qu'elle
peut à partir de ce moment accorder ou refuser en
tout temps une libération conditionnelle. Elle n'est
pas dans le cas présent tenue de réentendre le
détenu et de passer par la procédure de révocation
qui ne s'applique qu'aux cas où le détenu a été
retourné en détention à la suite de l'arrestation
prévue à l'article 16 de la Loi. Lorsqu'il s'agit de
libération conditionnelle de jour refusée, la
C.N.L.C. n'est pas tenue de réexaminer une pre-
mière décision en vertu des articles 9(1)1) et 11 de
la Loi. Les deux articles se lisent ainsi:
9. (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement,
1) indiquer en quelles circonstances la Commission est obli
gée de réexaminer sa décision soit de refuser d'accorder,
hormis les cas de libération conditionnelle de jour, une
libération conditionnelle, soit de la révoquer ou de révoquer
un assujettissement à la surveillance obligatoire;
11. Sous réserve des règlements que peut établir à ce sujet le
gouverneur en conseil, la Commission n'est pas obligée, lors-
qu'elle étudie la possibilité d'accorder ou de révoquer une
libération conditionnelle, de donner au détenu l'occasion de se
faire entendre personnellement ou par l'intermédiaire d'une
autre personne.
La C.N.L.C. n'est pas tenue non plus de réexa-
miner sa première décision en vertu de l'article 22
du Règlement puisque ce dernier ne vise pas la
libération conditionnelle de jour.
Il n'y a donc pas lieu d'émettre un mandamus
pour ordonner à la C.N.L.C. de donner effet à la
libération conditionnelle de jour accordée le P r
mai 1979 et la requête est rejetée. Il a été convenu
que la présente requête ainsi que celles de Denis
Tremblay et de Michel Piché seraient entendues
en même temps et que la même décision de prin-
cipe s'appliquerait mutatis mutandis aux trois cas.
ORDONNANCE
La requête est rejetée, mais dans les circons-
tances sans frais.
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