T-1866-80
Satnam Samra (Requérant)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, la
Commission de l'emploi et de l'immigration du
Canada et la Direction de l'arbitrage de la Com
mission de l'emploi et de l'immigration du Canada
(Intimés)
Division de première instance, le juge Walsh—
Vancouver, 14 et 17 avril 1980.
Brefs de prérogative — Demande de bref de prohibition —
Le requérant avait déposé une demande d'établissement au
Canada parrainée par sa soeur adoptive — La demande a été
rejetée sans que l'agent d'immigration eût examiné l'acte
d'adoption, qui avait apparemment été égaré par les services
d'immigration — La Commission d'appel de l'immigration a
rejeté l'appel subséquent sans que l'acte d'adoption n'ait été
retrouvé au motif que cet acte n'existait pas — L'acte d'adop-
tion ayant été retrouvé, la Commission a accueilli la requête
tendant à la réouverture de l'appel relatif au parrainage, mais
l'audition n'aura pas lieu avant la tenue d'une enquête pour le
motif que le requérant aurait dépassé sa durée autorisée de
séjour au Canada, enquête suite à laquelle une ordonnance
d'expulsion pourrait être rendue — Il y avait à trancher si un
bref de prohibition était le recours approprié — Demande
rejetée — Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52,
art. 27(2)e).
Distinction faite avec les arrêts: Kalicharan c. Le ministre
de la Main-d'œuvre et de l'Immigration [1976] 2 C.F.
123; Pratap c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration
[1979] I C.F. 797. Arrêts examinés: Laneau c. Rivard
[1978] 2 C.F. 319; Martineau c. Le Comité de discipline
des détenus de l'Institution de Matsqui [1978] 1 R.C.S.
118. Arrêts mentionnés: In re la Loi sur l'immigration et
in re Patrick Vincent McCarthy [1979] I C.F. 128; Doug-
las c. Le ministre de la Main-d'œuvre et de l'Immigration
[1972] C.F. 1050; George c. Le ministre de la Main-
d'oeuvre et de l'Immigration (non publié, T-123-77). Arrêt
appliqué: Le ministre de la Main-d'œuvre et de l'Immi-
gration c. Tsakiris [1977] 2 C.F. 236.
DEMANDE.
AVOCATS:
G. Goldstein pour le requérant.
G. Carruthers pour les intimés.
PROCUREURS:
Evans, Cantillon & Goldstein, Vancouver,
pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE WALSH: Il ressort de l'avis de requête
ci-inclus, étayé par les affidavits du requérant et
de P. Ray Cantillon, l'avocat qui a représenté ce
dernier devant la Commission d'appel de l'immi-
gration, que les faits revêtent un caractère peu
commun. Le requérant, fils naturel de Karnail
Singh Samra et de Parkash Kaur Dhesi, est né en
Inde le 10 février 1958 et, en janvier 1965, l'âge
de 7 ans, il fut, semble-t-il, adopté par sa grand-
mère naturelle Kishan Kaur Dhesi et Bawa Singh
Dhesi (décédé depuis). Il vécut avec eux en Inde;
sa grand-mère naturelle, désignée désormais
comme sa mère adoptive, avait trois filles, l'une
étant sa mère naturelle Parkash Dhesi Samra et
une autre, sa soeur adoptive Surinder Sandhu, qui
émigra au Canada en 1968. Le 12 janvier 1976,
presque à l'âge de 18 ans, le requérant entra au
Canada avec sa mère adoptive et ils résident
depuis lors à Vancouver avec sa soeur adoptive.
Le ou vers le 26 janvier 1976, approximative-
ment 14 jours après son arrivée, sa soeur adoptive
Surinder Sandhu déposa une demande parrainée
de droit d'établissement en sa faveur; cette
demande resta à l'étude pendant un temps excep-
tionnellement long avant d'être finalement rejetée
le 22 février 1978, sans que l'agent d'immigration
eût examiné l'acte d'adoption qui avait été remis
au Centre d'immigration du Canada de Vancouver
le 9 avril 1976, la demande de ce dernier, pour
être soumis à vérification par le Haut Commissa
riat du Canada à New Delhi. Il s'agissait là d'une
formalité appropriée mais, à moins d'explications,
rien ne justifie les délais ultérieurs: il a fallu plus
de deux ans pour que le document, quoique utile et
important, soit remis, en juin 1978, au Centre
d'immigration de Vancouver, quelque cinq mois
après le rejet de la demande. Il a fallu 14 mois
encore pour qu'enfin ce document soit restitué à sa
famille, en septembre 1979.
Immédiatement après le rejet de la demande, sa
soeur adoptive Surinder Sandhu fit appel devant la
Commission d'appel de l'immigration, qui a
entendu l'appel le 24 mai 1979 sans que l'acte
d'adoption eût été retrouvé et produit devant elle
malgré les efforts du requérant et de sa famille.
Le 18 septembre 1979, l'appel fut rejeté au motif,
paraît-il, que l'acte n'existait pas. Lorsqu'en fin de
compte l'acte fut retourné à la famille du requé-
rant vers la fin de septembre 1979, une requête
tendant à la réouverture de l'appel relatif au par-
rainage fut introduite. Le 21 mars 1980, la Com
mission procéda à l'audition de cette requête et, le
25 mars 1980, elle l'accueillit en vue de prendre en
considération l'acte d'adoption. Voilà donc la
Commission finalement saisie de l'affaire et le
requérant assuré d'une audition, sinon en mai, du
moins en juin 1980, lorsque la Commission siégera
à Vancouver.
Fait inexplicable dans les circonstances, un rap
port sur le requérant a été, conformément à l'arti-
cle 27(2)e) de la Loi sur l'immigration de 1976,
S.C. 1976-77, c. 52 établi le 12 février 1980 pour
la raison qu'il avait dépassé sa durée de séjour
autorisée au Canada. Étant en effet, semble-t-il,
entré au Canada en tant que visiteur le 12 janvier
1976, il n'était autorisé à rester au pays que
jusqu'au 7 février 1980. Le 12 mars, l'enquête
commença devant l'arbitre R. G. Smith, fut
reprise le 27 mars, date à laquelle les témoignages
furent recueillis, et puis ajournée au 21 avril 1980.
Au 27 mars, on savait que la Commission d'appel
de l'immigration avait, le 25 mars, autorisé la
réouverture de l'appel portant sur la demande
parrainée de droit d'établissement. Toutefois, en
dépit de cela, ledit arbitre poursuivit l'audition. Si
l'appel devait être accueilli après que, apparem-
ment pour la première fois, l'acte d'adoption aura
été pris en considération, il s'ensuivrait que le
requérant serait réputé faire partie de la famille
depuis le 26 janvier 1976, date à laquelle il est
entré au Canada, et ne serait pas expulsé. En fait,
une expulsion avant l'audition porterait préjudice
au requérant et à sa sœur adoptive dans l'appel de
la demande parrainée de droit d'établissement,
étant donné que le requérant ne pourrait même pas
déposer à l'audition.
Bien qu'on ne puisse affirmer avec certitude
qu'un nouvel ajournement de l'audition fondée sur
l'article 27 et tenue devant l'arbitre ne sera pas
accordé le 21 avril, ou qu'une ordonnance d'expul-
sion sera rendue, il semble très probable qu'il en
soit ainsi. Si ce n'était pas le cas, je ne vois pas
pourquoi, à l'audition de la présente demande de
bref de prohibition, des instructions auraient été
données à l'avocat du Ministre pour qu'il conteste
et ne s'engage pas à ce que l'audition tenue devant
l'arbitre le 21 avril 1980 soit suspendue jusqu'à ce
que la Commission d'appel de l'immigration ait
statué sur l'appel pendant devant elle relativement
à la demande parrainée de droit d'établissement;
un tel engagement aurait rendu inutile la présente
demande. Après avoir autorisé le requérant à
rester depuis janvier 1976, je m'explique mal cette
hâte intempestive à rendre contre lui une ordon-
nance d'expulsion, alors que la question de son
établissement au Canada en tant que parent par-
rainé va être décidée, à une date rapprochée, par la
Commission d'appel. Si les faits ressortissant du
dossier produit devant la Cour sont exacts, tous les
retards intervenus sont dus aux lenteurs de l'Admi-
nistration ou à l'égarement du document très
important qu'est l'acte d'adoption et ne sont en
aucune façon imputables au requérant.
Toutefois, la question importante se pose de
savoir si un bref de prohibition est le recours
approprié ou s'il n'est pas prématuré d'affirmer
que le 21 avril, l'arbitre refusera d'ajourner de
nouveau l'audition et rendra une ordonnance
d'expulsion.
L'avocat du requérant s'appuie entre autres sur
les arrêts Kalicharan c. Le ministre de la Main-
d'oeuvre et de l'Immigration [1976] 2 C.F. 123 et
Pratap c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immi-
gration [ 1979] 1 C.F. 797, où des brefs de prohibi
tion ont été accordés, mais, dans ces deux affaires,
une ordonnance d'expulsion avait déjà été rendue.
Dans l'affaire Laneau c. Rivard [1978] 2 C.F.
319, un bref de prohibition, empêchant la pour-
suite d'une enquête alors qu'une demande d'autori-
sation de rester au Canada avait été soumise au
Ministre en vertu de l'article 8 de l'ancienne Loi, a
été néanmoins accordé au motif que les pouvoirs
conférés au Ministre par l'article 8 deviendraient
inopérants si un enquêteur spécial rendait ulté-
rieurement une ordonnance d'expulsion. Cela res-
semble beaucoup à la présente affaire en ce que
l'article 79(4) de la Loi en vigueur dispose que,
lorsqu'un appel interjeté par un répondant a été
accueilli par la Commission d'appel de l'immigra-
tion, le Ministre «doit»> faire poursuivre l'examen
de la demande par un agent d'immigration ou un
agent des visas, et cette demande «sera» accueillie,
pourvu que les autres exigences de la Loi et du
Règlement soient satisfaites. Finalement, le re-
quérant s'appuie sur l'arrêt de la Cour suprême
dans Martineau c. Le Comité de discipline des
détenus de l'Institution de Matsqui, maintenant
rapporté à [1978] 1 R.C.S. 118, relativement à
l'obligation d'agir équitablement même dans des
décisions qui ne sont pas rendues sur une base
judiciaire ou quasi judiciaire. L'on peut douter de
l'équité de continuer l'enquête prévue à l'article 27
et conduisant à l'expulsion juste au moment où,
après de longs retards causés par le ministère de
l'Immigration lui-même, la Commission d'appel de
l'immigration, enfin en pleine possession de tous
les faits, s'apprête à statuer sur la demande parrai-
née de droit d'établissement présentée par la soeur
adoptive du requérant. Cette demande, si elle est
accueillie, va entraîner l'admission légale de ce
dernier, à moins qu'il n'existe quelque raison,
étrangère au dossier devant la Cour, qui justifie-
rait qu'il ne soit pas admis.
D'autre part, l'avocat des intimés invoque une
jurisprudence convaincante pour établir que le bref
de prohibition n'est pas le recours approprié. Dans
In re la Loi sur l'immigration et in re Patrick
Vincent McCarthy [1979] 1 C.F. 128, le juge
Cattanach a statué à la page 130 qu'une enquête
tenue en vertu de la Loi est de nature administra
tive et non judiciaire ou quasi judiciaire et que, par
conséquent, un bref de prérogative tel que le bref
de prohibition ne saurait être accordé pour empê-
cher l'exercice d'un pouvoir administratif ou dis-
crétionnaire. Dans Le ministre de la Main-d'oeu-
vre et de l'Immigration c. Tsakiris [1977] 2 C.F.
236, la page 238, le juge Pratte, rendant juge-
ment pour la Cour d'appel fédérale, a fait remar-
quer que «Le bref de prohibition permet d'éviter
qu'un tribunal d'instance inférieure n'excède sa
juridiction; il ne doit donc pas être confondu avec
une injonction ou une simple suspension des procé-
dures». Dans cette affaire, il a été décidé qu'une
demande de parrainage ne relève pas l'enquêteur
spécial de son devoir de tenir immédiatement une
enquête lorsqu'elle a été ordonnée.
Dans l'affaire Douglas c. Le ministre de la
Main-d'oeuvre et de l'Immigration [1972] C.F.
1050, il a été décidé que, même si le fait d'être
déclaré coupable d'un acte criminel ne constitue
pas, tant qu'il n'a pas été statué sur un appel, un
motif d'expulsion, l'appel ne justifie pas la déli-
vrance d'un bref de prohibition visant à mettre fin
à une enquête susceptible de conduire à l'expul-
sion. D'après la Cour [à la page 1052], on n'avait
invoqué aucun moyen qui justifierait l'interruption
de l'enquête et «la procédure appropriée est de
présenter à l'enquêteur spécial les arguments que
l'on a avancés ce matin et, le cas échéant, de
procéder par voie d'appel de sa décision». (Sous la
nouvelle Loi, l'appel d'une telle ordonnance n'est
nullement prévu, mais je ne pense pas que cela
suffise à justifier la délivrance d'un bref de prohi
bition visant à empêcher l'arbitre de prendre une
décision.) J'ai fait mention de ce jugement et l'ai
adopté dans l'affaire non rapportée George c. Le
ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration,
n° du greffe T-123-77, en date du 25 janvier 1977,
dans laquelle j'ai déclaré que «les arguments avan-
cés devant moi pour retarder l'expulsion peuvent
néanmoins être présentés, si ce n'est au cours d'une
enquête officielle, du moins en soumettant un
exposé approprié aux autorités compétentes afin
qu'elles exercent leur pouvoir discrétionnaire pour
retarder l'exécution de l'ordonnance d'expulsion.»
Il s'agissait d'une demande d'injonction ou de bref
de prohibition aux fins d'empêcher l'exécution
d'une ordonnance d'expulsion rendue contre la
requérante qui devait être au Canada pour se
défendre des accusations portées contre elle en
vertu du Code criminel, S.R.C. 1970, c. C-34,
dans sa forme modifiée.
Le bref de prohibition faisant l'objet de la pré-
sente demande ne sera donc pas accordé, mais au
cas où l'arbitre voudrait absolument reprendre
l'enquête le 21 avril 1980 en dépit des arguments
convaincants avancés pour justifier sa suspension
jusqu'à ce que la Commission d'appel de l'immi-
gration ait statué sur la demande parrainée de
droit d'établissement, et si, par la suite, une ordon-
nance d'expulsion est rendue, il sera alors loisible
au requérant de prendre toute action qu'il juge
appropriée pour en différer l'exécution.
Dans les circonstances actuelles, la présente
demande doit être rejetée sans dépens.
ORDONNANCE
La demande de bref de prohibition est rejetée
sans dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.