T-5026-78
Flexi-Coil Ltd. (Demanderesse)
c.
Smith -Roles Ltd. et Clemence Roles, qui exploi-
tent une entreprise sous la raison sociale Blanch-
ard Foundry Co. Ltd. et le nom commercial Blan-
chard (Défenderesses)
Division de première instance, le juge Cattanach—
Ottawa, les 8 et 11 avril 1980.
Compétence — Poursuite en contrefaçon de brevet —
Requête pour obtenir un jugement déclaratoire portant que le
règlement intervenu dans une autre action est illégal et nul —
Les défenderesses désiraient interroger un témoin expert avec
lequel, alors qu'il agissait comme représentant de sa société, la
demanderesse avait précédemment conclu une entente — L'en-
tente stipulait que la compagnie de ce témoin éventuel ne
donnerait aucune aide à une partie contre laquelle une contre-
façon serait éventuellement alléguée par la demanderesse — Il
s'agissait de déterminer si la Cour avait compétence à l'égard
du témoin — Requête rejetée — Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2 ° Supp.), c. 10, art. 20 — Acte de l'Amérique du
Nord britannique, 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.)
1970, Appendice I!, n° 51, art. 101.
Requête des défenderesses en vue d'obtenir un jugement
déclaratoire portant que la convention intervenue entre la
demanderesse et Doepker Industries Ltd. est illégale et nulle.
Avant d'intenter cette action pour contrefaçon, la demande-
resse a intenté une autre action pour contrefaçon du même
brevet contre Doepker Industries Ltd. Avant que l'affaire soit
entendue, une convention est intervenue qui prévoyait que
Doepker Industries Ltd. n'accorderait aucune aide à une partie
contre laquelle une contrefaçon serait éventuellement alléguée
par la demanderesse. Les défenderesses ont demandé à Francis
Doepker, président de Doepker Industries Ltd. et expert dans la
conception, la fabrication et la réparation d'instruments aratoi-
res, de leur fournir des renseignements et de les aider en
l'espèce à assurer la défense, mais ce dernier a estimé que la
convention intervenue lui interdisait de le faire. L'avocat des
défenderesses désire interroger M. Doepker en vue de son
témoignage éventuel avant de le citer à comparaître par un bref
de subpoena. Il s'agit de déterminer si la Cour est compétente à
l'égard de M. Doepker.
Arrêt: la requête est rejetée. Le contrat est intervenu à
propos du règlement d'une action, mais cela ne donnerait
compétence à cette Cour à l'égard de ce contrat que s'il était
accessoire à des procédures introduites devant elle. Dans ce cas,
elle serait obligée de l'interpréter. Ce n'est pas le cas en
l'espèce. Le contrat prévoit qu'il doit être interprété selon les
lois de la Saskatchewan. Pour que la Cour fédérale soit compé-
tente, il faut une «loi du Canada» qui puisse être invoquée à
l'appui des procédures et il faut que ces procédures soient
fondées sur cette loi. Si ladite action était fondée sur la Loi sur
les brevets, il reste que le contrat qui l'a réglée, lui, ne l'est pas.
C'est un simple contrat. Ce contrat n'est donc pas fondé sur une
loi fédérale, mais sur le droit général des contrats. La Cour
fédérale n'est pas compétente pour statuer sur un litige entre
citoyens qui porte sur la validité d'un contrat de ce genre.
Arrêt suivi: McNamara Construction (Western) Ltd. c. La
Reine [1977] 2 R.C.S. 654.
REQUÊTE.
AVOCATS:
Gordon Clarke pour la demanderesse.
J. Guy Potvin pour les défenderesses.
PROCUREURS:
McCarthy & McCarthy, Toronto, pour la
demanderesse.
Scott & Aylen, Ottawa, pour les défenderes-
ses.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: Il s'agit d'une requête
introduite par les défenderesses en vue d'obtenir
les ordonnances suivantes:
1. Un jugement déclaratoire portant que la con
vention intervenue entre la demanderesse en l'es-
pèce et Doepker Industries Ltd., Flintridge Hold
ings Ltd. et Bush Hog Equipment Ltd. et entrée en
vigueur le 23 août 1978 est illégale et nulle pour
les motifs qu'elle est contraire à l'ordre public et
qu'elle constitue un outrage au tribunal.
2. A défaut du jugement demandé au paragraphe
1, un jugement déclaratoire portant que le para-
graphe 5 de la convention est illégal et nul.
3. A défaut des mesures demandées aux paragra-
phes 1 et 2, des instructions enjoignant à la
demanderesse de libérer de leurs obligations Doep-
ker Industries Ltd., Flintridge Holdings Ltd. et
Bush Hog Equipment Ltd. (les parties à la conven
tion intervenue avec Flexi-Coil Ltd., la demande-
resse en l'espèce) et leurs dirigeants, agents,
employés et successeurs.
4. A défaut des mesures demandées aux paragra-
phes 1, 2 et 3 ci-dessus, une ordonnance de justifi
cation sous le régime de la Règle 355(4), enjoi-
gnant à la demanderesse de répondre, en ce qui
concerne la convention, de ses actes et des stipula
tions au sujet desquels il est allégué qu'ils auraient
gêné l'administration de la justice et porté atteinte
à l'autorité et à la dignité de cette Cour; en
somme, l'outrage au tribunal.
5. Enfin, à défaut des mesures demandées aux
paragraphes 1, 2, 3 et 4 ci-dessus, une ordonnance
suspendant la présente instance pour abus de la
procédure de cette Cour.
La demanderesse Flexi-Coil Ltd. est fabricante
et distributrice d'instruments aratoires à Saska-
toon (Saskatchewan). Elle est aussi cessionnaire
d'un brevet d'invention afférent à une barre d'atte-
lage hydraulique qui sert à remorquer transversa-
lement les instruments aratoires pendant les
labours afin de couvrir une largeur maximum et
qui peut être tirée longitudinalement de manière à
présenter une largeur minimum pour passer les
barrières et autres ouvertures étroites.
La demanderesse poursuit les défenderesses en
contrefaçon. En principe, face à une action en
contrefaçon, le moyen de défense est un démenti et
une demande d'invalidation du brevet.
L'article 20 de la Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 10, confère à la présente
Cour une compétence exclusive en première ins
tance dans tous les cas où l'on cherche à faire
invalider un brevet d'invention, et une compétence
concurrente dans les procédures de contrefaçon.
La validité du brevet étant mise en doute, cette
Cour a donc une compétence exclusive.
Avant d'intenter contre les défenderesses l'ac-
tion dont nous sommes saisi, la demanderesse en a
introduit une semblable pour contrefaçon du même
brevet, contre Doepker Industries Ltd. et Flint -
ridge Holdings Ltd. (dossier du greffe T-2751-75).
La défense a admis la contrefaçon, mais nié la
validité des lettres patentes d'invention et présenté
une demande reconventionnelle tendant à obtenir
un jugement déclaratoire à cet effet.
Avant que l'affaire soit entendue, un règlement
est intervenu, qui ne plaisait pas à M. Doepker,
président de la défenderesse Doepker Industries
Ltd.: tout en admettant la contrefaçon dans les
plaidoiries, il ne croyait pas en conscience qu'il eût
eu contrefaçon, mais plutôt que le brevet possédé
par la demanderesse avait adapté un savoir-faire
qu'il avait utilisé pour des instruments aratoires
(ce qui était une application de «vieilles choses»).
Toutefois, il voulait régler l'action et ne plus en
entendre parler. Il ne lui coûtait pas vraiment de
renoncer à cette machine parce qu'elle tenait une
part peu importante dans l'entreprise spécialisée
qu'il exploitait avec ses cinq frères et qu'elle ne
justifiait pas les inconvénients d'un procès. C'est
pour cette raison qu'il a signé le contrat (que j'ai
appelé auparavant une convention). J'ai glané ces
renseignements dans le contre-interrogatoire qu'on
a fait subir à Francis Doepker sur l'affidavit qu'il a
déposé à l'appui de la requête.
Voilà le contrat que, dans leur requête, les
défenderesses cherchent à faire déclarer illégal et
nul. Daté du 26 octobre 1978, il stipule entre
autres qu'il doit être interprété selon les lois de la
province de la Saskatchewan. Les défenderesses
ont consenti à un jugement selon les termes de
l'Appendice «C», qui ne fait pas partie des docu
ments déposés devant moi. Mais le paragraphe
controversé de la convention est le numéro 5, dont
voici le libellé:
[TRADUCTION] 5. Doepker, Flintridge et Bush Hog convien-
nent de ne donner aucune aide, sous quelque forme que ce soit,
à une partie contre laquelle une contrefaçon des lettres patentes
canadiennes no 964,100 serait éventuellement alléguée par
Flexi-Coil, ses successeurs ou ses ayants droit. Flexi-Coil
enverra un avis écrit de chacune de ces allégations à Doepker,
Flintridge et Bush Hog, par courrier recommandé affranchi,
aux adresses mentionnées dans l'Appendice «D».
Lorsque Flexi-Coil a entamé cette action contre
Smith -Roles Ltd. et al., elle en a donné avis con-
formément au paragraphe 5.
Il est manifeste que Francis Doepker, l'aîné des
frères Doepker, est un expert dans la conception, la
fabrication et la réparation des instruments aratoi-
res, domaine où il compte une expérience pratique
de 57 ans. A mon sens, c'est un expert authenti-
que. Naturellement, il serait extrêmement qualifié
pour témoigner sur l'état de la technique
antérieure.
C'est pour cette raison que M. Clemence Roles
lui a demandé de lui fournir des renseignements et
de l'aider en l'espèce à assurer la défense.
M. Doepker a répondu qu'il serait prêt à le faire.
Je présume qu'il n'avait aucune raison de se sentir
bien disposé envers Flexi-Coil et ses dirigeants
parce que, comme il l'a dit, il n'aime pas qu'on lui
«marche sur les pieds», mais c'est un homme
honorable qui respecte les contrats qu'il signe. Il
n'a donc pas accordé à M. Roles l'aide que celui-ci
lui demandait parce qu'il a estimé que la conven
tion qu'il avait signée pour régler l'action intentée
contre la compagnie dont il est président lui inter-
disait de le faire.
Il ne fait aucun doute que M. Doepker est un
témoin compétent et contraignable en l'espèce en
dépit du paragraphe 5 du contrat ou de la conven
tion. S'il est appelé à témoigner, il peut être con-
traint à comparaître par bref de subpoena. S'il
refuse de comparaître ou s'il comparaît et refuse
de répondre aux questions qui lui sont posées, le
paragraphe 5 de la convention ne lui offre aucune
immunité contre l'outrage au tribunal.
Me Potvin, avocat des défenderesses, tient à
interroger M. Doepker en vue de son témoignage
éventuel. Naturellement, il n'est guère enclin à le
faire citer comme témoin sans savoir à l'avance
quel sera son témoignage. Et la seule façon de le
savoir, c'est d'interroger M. Doepker. Quant à M.
Doepker, il pense sans doute que le fait de se
prêter à cet interrogatoire le rendrait complice
d'une partie poursuivie par Flexi-Coil et constitue-
rait donc une violation du paragraphe 5 de la
convention.
L'avocat de la demanderesse consentirait à libé-
rer M. Doepker de toute obligation au titre du
paragraphe 5 de la convention à condition d'assis-
ter à son entretien avec Me Potvin. De toute évi-
dence, celui-ci ne peut pas accepter cette condi
tion. D'où la requête.
Je ne peux pas signifier à un témoin expert qu'il
doit témoigner. C'est à lui de décider. On ne peut
pas non plus l'obliger à parler à une autre personne
s'il ne le veut pas. Ce que je veux dire, c'est que je
n'ai compétence à l'égard d'une personne que lors-
qu'elle a reçu un ordre de la Cour.
Je suis entièrement d'accord avec l'avocat des
défenderesses lorsqu'il déclare qu'un contrat qui
tend (même légèrement) à entraver l'administra-
tion de la justice est illégal et nul et que le fait de
restreindre la liberté de témoigner dont jouit tout
témoin constitue un outrage au tribunal. Toutefois,
la question qui se pose ici est la suivante: jusqu'ici,
M. Doepker est-il un témoin?
La requête demande un jugement déclaratoire
portant que le contrat et plus particulièrement son
paragraphe 5 sont illégaux et nuls.
Ce contrat est intervenu à propos du règlement
d'une action. Il est vrai que cette action relevait de
la compétence de première instance exclusive de la
Cour mais, selon moi, cela ne lui donnerait compé-
tence à l'égard de ce contrat que s'il était acces-
soire à des procédures introduites devant elle. Dans
ce cas, elle serait obligée de l'interpréter.
Or, ce n'est pas le cas en l'espèce. Le contrat
considéré est une convention qui constate le règle-
ment extrajudiciaire d'une action en justice. Il est
intervenu entre des résidents de la Saskatchewan
et a été signé en Saskatchewan par Flexi-Coil et
Doepker Industries (tandis que Flintridge Hold
ings Ltd. et Bush Hog Equipment Ltd. l'ont signé,
à la même date, à Calgary, Alberta). Il prévoit
qu'il doit être interprété selon les lois de la Saskat-
chewan (ce que la Cour ferait si elle était appelée
à se prononcer).
J'estime que la Cour suprême du Canada, dans
l'arrêt McNamara Construction (Western) Lim
ited c. La Reine [1977] 2 R.C.S. 654 a posé en
principe que, pour que la Cour fédérale soit com-
pétente, il faut une «loi du Canada» (au sens de
l'article 101 de l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique, 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.)
[S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5]) qui puisse être
invoquée à l'appui des procédures introduites
devant la Cour et il faut que ces procédures soient
fondées sur cette loi.
Nul doute que la Loi sur les brevets, S.R.C.
1970, c. P-4, rentre dans le cadre du pouvoir
fédéral, mais, dans la présente requête, on ne me
demande pas de juger une action «fondée» sur la
Loi sur les brevets, mais de déterminer la validité
d'un contrat intervenu entre des parties à une
action en justice pour la régler. Si ladite action
était fondée sur la Loi sur les brevets, il reste que
le contrat qui l'a réglée, lui, ne l'est pas. C'est un
simple contrat, même si les parties contractantes
avaient aussi été parties à une action en justice qui
portait sur un brevet d'invention.
Ce contrat n'est donc pas fondé sur une loi
fédérale, mais sur le droit général des contrats.
La Cour fédérale n'est pas compétente pour
statuer sur un litige entre citoyens qui porte sur la
validité d'un contrat de ce genre dont ils sont les
parties contractantes. C'est aux tribunaux de la
Saskatchewan qu'il appartient de décider si le
contrat dont il s'agit ici est invalide parce que
contraire à l'ordre public.
Je suis prêt à dire que si M. Doepker est cité
comme témoin, le paragraphe 5 de la convention
ne l'empêche pas de témoigner et ne lui confère
aucune immunité en cas de refus de sa part, mais,
par contre, je n'irais pas jusqu'à dire que le fait de
discuter de l'invention, en l'espèce, avec un pré-
tendu contrefacteur, dans le contexte d'une éven-
tuelle défense, ne constituerait pas une violation de
la convention. Cela équivaudrait à interpréter le
contrat, qui, pour les raisons que j'ai déjà données,
relève de la seule compétence des tribunaux de la
Saskatchewan. Je n'oublie pas non plus que la
partie au contrat n'est pas M. Doepker, mais la
compagnie dont il est président. Je ne formule
donc aucune opinion à ce sujet parce que, une fois
de plus, pour les raisons que j'ai données, je ne suis
pas compétent pour le faire.
Pour les mêmes raisons, j'estime aussi ne pas
avoir compétence pour rendre les ordonnances
demandées par les requérantes.
La requête est donc rejetée. La demanderesse
aura droit aux dépens, quelle que soit l'issue de
l'action principale.
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