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T-521-80
Kuhlman Corporation (Demanderesse) c.
P. J. Wallbank Manufacturing Co. Limited (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Cattanach— Ottawa, 1°r et 10 avril 1980.
Pratique Requête en radiation des plaidoiries La défenderesse demande la radiation de certains passages de la déclaration relatifs à l'allégation de contrefaçon des brevets de la demanderesse ayant trait au procédé et à l'outillage utilisés pour fabriquer des assemblages de ressorts, pour le motif qu'il n'existe aucune allégation reposant sur des faits importants d'où l'on puisse déduire que les brevets ont été contrefaits La demanderesse demande que soit rendue une ordonnance prescrivant l'inspection du procédé et des machines que la défenderesse utilise pour la fabrication Se fondant sur le fait que l'assemblage des ressorts de la défenderesse est iden- tique au sien, la demanderesse soutient que la défenderesse a contrefait ses brevets afférents au procédé de fabrication et à l'outillage Il s'agissait de déterminer si la forte probabilité que la défenderesse ait contrefait des brevets peut justifier l'introduction de procédures et si les détails de la contrefaçon sont suffisamment exposés La requête de la demanderesse a été accueillie et celle de la défenderesse rejetée.
Distinction faite avec l'arrêt: Champion Packaging Corp. c. Triumph Packaging Corp. [1977] 1 C.F. 191. Arrêts mentionnés: The Germ Milling Company (Limited) c. Robinson (1884) R.P.C. 217; Dow Chemical Co. c. Kayson Plastics & Chemicals Ltd. [1967] 1 R.C.É. 71; Edler c. Victoria Press Mfg. Co. (1910) 27 R.P.C. 114.
REQUÊTES. AVOCATS:
G. A. Macklin et B. Morgan pour la
demanderesse.
W. C. Kent pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour la demanderesse.
Burke-Robertson, Chadwick & Ritchie, Ottawa, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: La défenderesse de- mande la radiation des paragraphes 3, 4, 5, 6, 7, 9, 11, 12, 13, 14 et 16, ainsi que des alinéas a) et b) de la demande de redressement, contenus dans la déclaration.
La demanderesse est propriétaire de trois bre- vets d'invention dont l'un, le brevet 1,009,599, a trait aux assemblages de ressorts utilisés dans la fabrication de transmissions automatiques pour automobiles, le deuxième, le brevet 1,012,339, au procédé de fabrication desdits assemblages, et
le troisième, le brevet 1,009,443, l'outillage qui sert à les fabriquer.
La défenderesse demande la radiation des para- graphes de la déclaration relatifs aux brevets nos 1,012,339 et 1,009,443 pour le motif qu'il n'existe aucune allégation reposant sur des faits importants d'où l'on puisse déduire que lesdits brevets ont été contrefaits.
Voici le paragraphe 12 de la déclaration:
[TRADUCTION] Les détails des revendications afférentes aux brevets canadiens susmentionnés et aux éléments correspon- dants des assemblages de ressorts, des machines et du procédé de fabrication de la défenderesse, dans la mesure la deman- deresse les connaît, sont énoncés dans l'annexe «A» ci-jointe et sont par les présentes incorporés à cette déclaration. N'ayant pas inspecté l'usine de la défenderesse, la demanderesse n'est pas en mesure de fournir des détails complets sur les machines et le procédé que la défenderesse utilise pour fabriquer lesdits assemblages de ressort.
Quant aux détails afférents au brevet 1,012,- 339 (procédé de fabrication), on y trouve, sur le côté gauche de la page 1 de l'annexe «A», une description des diverses étapes du procédé de fabri cation utilisé par la demanderesse et, sur le côté droit, une description donnée dans les termes sui- vants du [TRADUCTION] «Procédé utilisé par la défenderesse»:
[TRADUCTION] Voir la description de l'assemblage de ressorts de la défenderesse fournie pour le brevet canadien 1,009,599. (le produit et voir les pages 18 et 19 de l'annexe «A».) L'exa- men de cet assemblage révèle que la défenderesse aurait utilisé le procédé de fabrication décrit dans les revendications 1 à 13 du brevet 1,012,339.
La même formule sert aussi pour le brevet 1,012,339 (outillage). On la retrouve ainsi libellée à la page 6 de l'annexe «A» sous la rubrique [TRADUCTION] «Machine de la défenderesse»:
[TRADUCTION] Voir la description de l'assemblage de ressorts de la défenderesse fournie pour le brevet canadien 1,009,599. L'examen de cet assemblage révèle que la défenderesse aurait
utilisé l'outillage décrit dans les revendications 14 27 du brevet 1,012,339.
Avant que la défenderesse ne dépose un avis de requête demandant la radiation de la déclaration
du 27 mars 1980, la demanderesse en a déposé un, le 5 février 1980, en vue d'obtenir une ordonnance prescrivant l'inspection du procédé et des machines que la défenderesse utilise pour fabriquer ses assemblages de ressorts; de plus, dans l'intervalle, l'avocat de la défenderesse a eu l'occasion de con- tre-interroger l'auteur de l'affidavit déposé à l'ap- pui de cette requête.
Au paragraphe 12 de la déclaration, la deman- deresse reconnaît franchement qu'elle est incapa ble, sans procéder d'abord à une inspection, de fournir des détails complets sur le procédé de fabrication et l'outillage de la défenderesse, mais que les détails dont elle a connaissance figurent à l'annexe.
Les assemblages de ressorts de la défenderesse et ceux de la demanderesse, que j'ai vus et ai été à même de comparer, sont identiques. Cela est évi- dent, même pour moi, sans qu'il y ait besoin d'une expertise ou d'un témoignage d'expert.
En se fondant sur l'examen de l'assemblage de ressorts de la défenderesse, la demanderesse déclare dans l'annexe «A» précitée que la défende- resse «aurait» utilisé le procédé de fabrication visé par son brevet 1,012,339 et l'outillage visé par son autre brevet.
L'emploi du mot «aurait» est malheureux car, dans Champion Packaging Corp. c. Triumph Packaging Corp.', il a amené le juge Heald à dire la page 192):
.. , parce qu'elle emploie le mot «aurait» ... [cette plaidoirie] n'est donc pas «un exposé précis des faits essentiels» comme l'exige la Règle 408(1).
La Cour a donc ordonné, dans cette affaire-là, la radiation d'un paragraphe non pertinent de la déclaration ces mots figuraient, et il s'ensuit qu'une allégation non pertinente ne peut donner lieu à un interrogatoire préalable portant sur ce qu'elle prétend révéler.
En l'espèce, les rares détails fournis sont pertinents.
Si la demanderesse n'avait aucun motif lui per- mettant d'affirmer dans sa déclaration que la défenderesse a commis certains actes qui consti tuent une contrefaçon de ses brevets, elle n'aurait alors aucun fondement pour introduire des procé- dures en contrefaçon.
' [1977] I C.F. 191.
Toutefois, la question change du tout au tout lorsque, au moment d'introduire l'action, la demanderesse affirme que la défenderesse a commis certains actes, mais qu'elle n'est pas en mesure de dire de quelle manière, car seule la personne qui a commis ces actes le sait réellement.
A mon avis, telle est la situation en l'espèce. En fait, la demanderesse nous dit ceci: «Je crois que la défenderesse a contrefait mes brevets afférents au procédé de fabrication et à l'outillage». Si elle n'avait aucun motif de le croire, il n'y aurait alors qu'un simple soupçon qui ne saurait constituer une cause d'action. Or, tel n'est pas le cas car elle appuie cette conviction sur un examen de l'assem- blage de ressorts fabriqué par la défenderesse.
Comme je l'ai déjà dit, j'ai vu les assemblages de la demanderesse et ceux de la défenderesse. Ils sont identiques.
Avant la requête en radiation présentée par la défenderesse, la demanderesse a déposé une demande d'inspection appuyée par un affidavit de Donald O. Dulude (son président) et l'un des inventeurs des trois brevets en cause. Il y déclare sous serment qu'il a personnellement inspecté plu- sieurs assemblages de ressorts fabriqués par la défenderesse et qu'on ne peut virtuellement pas les distinguer des produits de sa propre compagnie. Suite à cette inspection, il jure qu'il est hautement probable que la défenderesse ait non seulement copié l'assemblage de ressorts, mais aussi le pro- cédé de fabrication et l'outillage (qui font l'objet de brevets) dont la demanderesse se sert pour fabriquer ses assemblages.
La défenderesse a procédé à un contre-interro- gatoire sur cet affidavit.
En gros, ce contre-interrogatoire confirme les allégations du témoin déposant, à savoir qu'il est hautement probable que la défenderesse utilise le procédé et l'outillage de la demanderesse pour fabriquer son assemblage de ressorts. Le témoin ne peut pas «l'affirmer» en termes absolus, mais il dit «hautement probable», ce qui indique beaucoup plus qu'une simple possibilité.
En fait, il ressort, à mon avis, des rares détails fournis et de la preuve subséquemment produite, ainsi que de la nature même de l'assemblage, qu'il est hautement probable que la défenderesse le
fabrique selon le procédé et l'outillage de la demanderesse et qu'il est hautement improbable qu'il puisse en être autrement.
Ce sont des faits qui justifient l'introduction de procédures et ils sont correctement exposés dans la déclaration.
Au paragraphe 12, la demanderesse reconnaît que les détails relatifs à la contrefaçon sont rares et invoque la nécessité de l'inspection qu'elle a demandée avant que la défenderesse ne présente sa requête en radiation.
Ayant conclu que la demanderesse allègue en fait, dans ses plaidoiries et sa preuve, qu'il est hautement improbable que la défenderesse ait pu fabriquer son assemblage autrement, il s'ensuit que les faits en l'espèce sont analogues à ceux relatés en ces termes par le juge Kay dans l'affaire The Germ Milling Company (Limited) c. Robinson 2 à la page 219:
[TRADUCTION] S'il avait dit «La nature de la farine qu'ils produisent est telle qu'elle n'a pas pu être fabriquée par un autre procédé» et avait réussi à en convaincre la Cour, la situation aurait alors été presque analogue à celle qui prévalait dans l'affaire bien connue lord Eldon a accordé une inspection.
Dans l'affaire Dow Chemical Co. c. Kayson Plastics & Chemicals Ltd.', le président Jackett
(tel était alors son titre) a déclaré ce qui suit à la page 75:
[TRADUCTION] Il y a aussi des cas la connaissance du demandeur est suffisante pour autoriser l'ouverture de poursui- tes, mais il convient d'octroyer à ce dernier une ordonnance d'inspection du bien en cause en vertu de la Règle 148A [maintenant la Règle 471 de la Cour fédérale] avant de lui demander d'exposer ses détails des violations. A comparer avec l'arrêt Edler c. Victoria Press Manufacturing Company [(1910) 27 R.P.C. 114].
Dans l'affaire Edler c. Victoria Press Manufac turing Company [(1910) 27 R.P.C. 114], le juge Warrington a dit ce qui suit aux pages 116 et 117:
[TRADUCTION] Le demandeur a des raisons de croire (et ce n'est certainement pas de sa part une simple manière d'obtenir des renseignements), et je suis convaincu qu'il est de bonne foi, que cette machine contrefait le brevet dont il est titulaire. En déposant sa déclaration, le demandeur doit déposer aussi non pas simplement une déclaration générale qu'il y a contrefaçon, mais les détails des prétendues violations et déclarer celles-ci résident. L'information que le demandeur possède est tout à fait insuffisante pour lui permettre de fournir ces détails. Il ne peut
2 (1884) R.P.C. 217.
3 [1967] 1 R.C.É. 71.
y parvenir qu'en procédant à une inspection visuelle de la chose elle-même. A mon avis, il s'agit d'un cas je dois ordonner l'inspection de cette machine, même si la déclaration n'a pas été signifiée.
J'estime qu'en l'espèce, la demanderesse a établi un commencement de preuve de contrefaçon, mais pas encore une preuve absolue. L'inspection est donc le seul moyen dont elle disposé pour s'assurer s'il y a réellement contrefaçon.
Je n'oublie pas que l'inspection n'est pas un droit, que la Cour a le pouvoir discrétionnaire de l'accorder en vue du juste règlement d'une cause et, qu'une fois accordée, cette inspection doit se limiter à l'objet des procédures en contrefaçon, c'est-à-dire, en l'espèce, au procédé et à l'outillage que la défenderesse utilise pour fabriquer ses assemblages de ressorts.
Pour ces motifs, je rejette la requête déposée par la défenderesse en vue d'obtenir la radiation de la déclaration de la demanderesse et j'accueille celle déposée par la demanderesse en vue d'obtenir une ordonnance prescrivant une inspection.
Les frais de la requête de la défenderesse seront supportés par la demanderesse, quelle que soit l'issue de la cause principale.
Quant aux frais de la requête de la demande- resse, ils suivront l'issue de la cause principale.
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