T-2808-80
Bayer Aktiengesellschaft (Requérante)
c.
Le commissaire des brevets (Intimé)
Division de première instance, le juge Mahoney—
Ottawa, 24 septembre et 2 octobre 1980.
Brefs de prérogative — Mandamus — Refus par le commis-
saire des brevets de délivrer un certificat de correction au sujet
d'une erreur d'omission — 11 ne s'agit pas d'une «erreur
d'écriture» au sens de l'art. 8 de la Loi sur les brevets —
Décision relative à l'omission par le secrétaire de corriger la
demande de brevet — Aucune décision quant à la question de
savoir si l'erreur commise dans le brevet initial était une erreur
d'écriture — Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, c. P-4, art. 8,
50(1).
La requérante sollicite un bref de mandamus enjoignant à
l'intimé de délivrer, en application de l'article 8 de la Loi sur
les brevets, un certificat de correction. La correction demandée,
fondée sur l'article 8, porte sur l'omission de l'hydrogène dans
la définition de R" dans la demande de brevet canadienne.
L'intimé a refusé de délivrer ce certificat au motif que l'erreur
d'omission n'était pas, au sens de l'article 8, une «erreur
d'écriture». En rendant sa décision, l'intimé a traité de l'erreur
du secrétaire qui avait omis de corriger la demande canadienne
comme on lui avait ordonné de le faire, et ne semble pas avoir
déterminé si l'erreur initiale qui avait entraîné l'omission de
l'hydrogène était une erreur d'écriture.
Arrêt: la demande sera renvoyée à l'intimé pour qu'il déter-
mine si l'omission de l'hydrogène, et non le défaut de demander
la correction de cette omission, constituait une erreur d'écri-
ture. A supposer qu'une erreur en soit une d'écriture, cela
n'affecte pas sa nature si elle échappe à celui qui est chargé de
vérifier le document où elle figure ou de travailler sur celui-ci.
C'est le fait d'être à l'origine une erreur d'écriture qui importe
(Heberlein and Company A.G.'s Application). Toutefois le bref
de mandamus ne saurait être utilisé pour exiger de l'intimé
qu'il délivre un certificat en vertu de l'article 8 de la Loi sur les
brevets. Conformément à cet article, «les erreurs d'écriture ...
peuvent être corrigées ...». Le terme «peuvent» signifie que cela
est facultatif, et non impératif ou obligatoire. L'intimé est libre
de délivrer ou de ne pas délivrer un certificat de correction
lorsqu'il constate que la correction demandée concerne une
erreur d'écriture. La Cour ne saurait se substituer à lui sur ce
point.
Arrêt mentionné: R. c. Commissioner of Patents; Ex parte
Martin (1953-54) 89 C.L.R. 381. Arrêt appliqué: Heber-
lein and Company A.G.'s Application [1971] F.S.R. 373.
REQUÊTE.
AVOCATS:
J. D. Kokonis, c.r. et J. Bochnovic pour la
requérante.
W. L. Nisbet, c.r. pour l'intimé.
PROCUREURS:
Smart & Biggar, Ottawa, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: La requérante sollicite un
bref de mandamus enjoignant à l'intimé de déli-
vrer, en application de l'article 8 de la Loi sur les
brevets', un certificat de correction. Cet article est
ainsi conçu:
8. Les erreurs d'écriture dans tout document en dépôt au
Bureau des brevets ne seront pas considérées comme invalidant
le document; mais, lorsqu'il s'en découvre, elles peuvent être
corrigées au moyen d'un certificat sous l'autorité du
commissaire.
Les parties essentielles de la décision par
laquelle l'intimé a refusé de délivrer ce certificat
sont ainsi rédigées:
[TRADUCTION] Le fondement de la correction qu'il est
demandé d'apporter en vertu de l'article 8 se rapporte à l'omis-
sion de l'hydrogène dans la définition de R" à la ligne 8, page 2,
de l'exposé de l'invention et à l'avant-dernière ligne de la
première revendication, omission constituant une erreur fla-
grante imputable à une erreur d'écriture. Comme vous l'avez
souligné dans vos lettres, il est évident que chacun des exemples
préparatoires 1 à 13 de l'énoncé englobe des composés dans
lesquels R" est l'hydrogène. En outre, tant la traduction
anglaise confirmée de la demande allemande antérieure que les
copies des brevets anglais et américain correspondants corrobo-
rent votre prétention que l'intention du breveté est de protéger
les composés du genre revendiqué dans lequel le radical R"
représente l'hydrogène. Il n'y a pas donc contestation quant à
l'intention du breveté de protéger cet aspect de son invention.
L'examen des circonstances entourant cette affaire m'a amené
à conclure que l'erreur d'omission alléguée n'était pas de nature
à invalider l'invention revendiquée, mais qu'il s'agissait plutôt
d'une erreur qui a amené le breveté à revendiquer moins qu'il
n'avait droit de revendiquer à titre d'invention nouvelle. Par
conséquent, je partage l'avis exprimé dans la lettre du 29 avril
1977 du Bureau des brevets, selon lequel la correction souhaitée
aurait sans doute pu être faite par la délivrance de nouveaux
brevets en vertu de l'article 50 de la Loi sur les brevets.
Malheureusement, comme vous l'avez souligné dans votre
lettre, le délai prévu pour demander redressement sous le
régime de l'article 50 est expiré depuis longtemps.
D'après votre lettre du 23 novembre 1979, la prétendue erreur
d'omission a eu lieu au cours de la préparation d'un mémoire
descriptif fait sur commande en vue de son dépôt aux États-
Unis et au Canada. Ce fait est corroboré par une comparaison
des copies certifiées conformes de la version originale de la
demande américaine correspondante déposée et de la demande
canadienne n° 725,276 avec le texte anglais de base préparé par
1 S.R.C. 1970, c. P-4.
MM. Carpmaels et Ransford. D'après l'affidavit Stockhausen,
l'omission de l'hydrogène dans la définition de R" que contient
le mémoire descriptif a été décelée par le Dr Gerhard Schrader.
Le D r Heinz Wichmann a par la suite ordonné à son secrétaire
de corriger le mémoire descriptif. Les corrections appropriées
ont été apportées à la demande américaine mais non à la
demande canadienne, cette omission étant, selon l'affidavit
Stockhausen, imputable à une erreur d'écriture du secrétaire du
docteur Wichmann. Je conçois difficilement qu'un secrétaire
puisse être chargé d'apporter des corrections aussi importantes
à des demandes étrangères sans autres formalités et sans que la
question soit examinée sur le plan professionnel par les agents
de brevet principaux ou par le personnel professionnel consulta-
tif, ou par ces deux catégories de personnes.
Une consultation juridique me permet d'affirmer que le type
d'erreur d'écriture mentionné à l'article 8 vise clairement l'er-
reur commise par un secrétaire ou un subordonné dans la
transcription d'un document et ne s'étend pas à la présentation
erronée de documents ou de modifications selon la décision
prise au niveau des dirigeants et du personnel professionnel
consultatif par l'entremise d'un secrétaire. Ainsi, l'expression
«erreur d'écriture» de l'article 8 de la Loi sur les brevets
n'englobe pas les fonctions d'un secrétaire chargé du dépôt et
du traitement des demandes de brevet.
Puisque vous semblez en outre croire qu'il y a chevauchement
entre les articles 8 et 50 de la Loi sur les brevets, j'aimerais
éclaircir ce point. Le critère pour l'obtention d'un redressement
sous le régime de l'article 50 est tout à fait distinct de celui de
l'article 8. Ainsi, contrairement à votre croyance selon laquelle
il existe une similitude entre ces articles, leur esprit et leur but
diffèrent sensiblement. L'article 50 prévoit un redressement à
demander dans le délai imparti pour corriger les descriptions à
la suite d'une erreur commise par inadvertance et par laquelle
on a revendiqué plus ou moins qu'on avait droit de revendiquer,
alors que l'article 8 porte sur la correction, durant la validité
d'un brevet, des erreurs d'écriture manifestes d'une nature non
essentielle. Permettre délibérément de corriger sous le régime
de l'article 8 le type d'erreurs visé à l'article 50 serait contour-
ner d'une façon flagrante les dispositions relatives au redresse-
ment de l'article 50 de la Loi sur les brevets.
Il suffit de reproduire le paragraphe 50(1) que
voici:
50. (1) Lorsqu'un brevet est jugé défectueux ou inopérant à
cause d'une description ou spécification insuffisante, ou parce
que le breveté a revendiqué plus ou moins qu'il n'avait droit de
revendiquer à titre d'invention nouvelle, mais qu'il apparaît en
même temps que l'erreur a été commise par inadvertance,
accident ou méprise, sans intention de frauder ou de tromper, le
commissaire peut, si le breveté abandonne ce brevet dans un
délai de quatre ans à compter de la date du brevet, et après
acquittement d'une taxe supplémentaire prescrite, faire délivrer
au breveté un nouveau brevet, conforme à une description et
spécification rectifiée par le breveté, pour la même invention et
pour la partie restant alors à courir de la période pour laquelle
le brevet original a été accordé.
Bref, le brevet porte sur de nouveaux composés
chimiques et leur production. Le symbole R" était
censé représenter, entre autres, l'hydrogène. Cela
était clair dans la demande de brevet allemande
initiale et dans sa version anglaise certifiée con-
forme. L'hydrogène a été inclus dans la demande
de brevet britannique, qui reposait sur la traduc-
tion certifiée conforme. Il a cependant été omis
dans l'adaptation de la version anglaise certifiée
conforme aux fins des demandes de brevets cana-
dienne et américaine. L'omission a été relevée et la
demande américaine a été corrigée, mais la
demande canadienne ne l'a pas été. Il est en outre
clair que, dans 13 des 15 exemples donnés dans le
brevet canadien, R" représente l'hydrogène.
Il ne fait pas de doute que l'omission de l'hydro-
gène aux deux endroits où la requérante cherche
maintenant à le faire inclure était due à une
erreur. De même, il ne fait aucun doute que les
corrections demandées sont importantes et nulle-
ment négligeables, et que si elles étaient faites,
elles augmenteraient considérablement le mono-
pole de la requérante.
Le litige ne porte pas sur l'erreur du secrétaire,
qui a omis, comme on lui avait ordonné de le faire,
de corriger la demande canadienne. La décision de
l'intimé à l'égard de cette erreur est sans impor
tance. Seule l'erreur initiale qui a entraîné l'omis-
sion de l'hydrogène est susceptible de correction à
titre d'erreur d'écriture. Il ne fait aucun doute
qu'il s'agit d'une erreur. Mais s'agit-il d'une erreur
d'écriture? L'intimé semble avoir décidé que non.
Des définitions pertinentes données par les dic-
tionnaires sont contenues dans le passage suivant
du jugement rendu par le juge Fullagar, de la
Haute Cour d'Australie dans l'affaire La Reine c.
Commissioner of Patents; Ex parte Martini, où
un breveté s'était de bonne foi prétendu l'inventeur
dans sa demande de brevet, plutôt que cessionnaire
de l'inventeur. Le brevet ayant été délivré, il solli-
cita sa correction.
[TRADUCTION] ... l'erreur dans la demande ne saurait, à mon
avis, être qualifiée de «clerical error» («erreur d'écriture»).
Cette expression a, sans doute, un caractère assez large, mais il
me semble impossible de dire qu'elle couvre une erreur de fond
telle que celle de l'espèce. Voici l'un des sens que donne le New
Oxford Dictionary au terme «clerical»: «se rapportant à un
commis ou à un rédacteur: spécialt. dans 'clerical error', une
erreur commise dans la rédaction de quelque chose». L'un des
sens que le dictionnaire Webster attribue au terme «clerical»
est: «se rapportant à un commis ou à un copiste» et voici un
2 (1953-54) 89 C.L.R. 381, la p. 406.
exemple qui y est donné: «erreur d'écriture, erreur commise
dans la reproduction ou la rédaction». Personne ne songerait à
nier qu'une erreur d'écriture peut avoir des conséquences
importantes et même graves, par exemple dans le cas où le
rédacteur ou le dactylographe omet par inadvertance le petit
mot «pas». La caractéristique d'une erreur d'écriture n'est pas
d'être insignifiante ou sans importance, mais d'être intervenue
dans le processus mécanique de rédaction ou de transcription.
Rien ne prouve que cette erreur soit ainsi intervenue en l'es-
pèce, et il est difficile de voir comment elle aurait pu ainsi
intervenir. Cette erreur, commise de bonne foi d'ailleurs, con-
siste en une simple déclaration erronée de fait, et rien d'autre.
J'estime également, quant à moi, qu'une erreur
d'écriture est une erreur qui survient dans le pro-
cessus mécanique de rédaction ou de transcription,
et qui ne se caractérise pas par une évidence
relative ou par la gravité ou l'insignifiance relative
de ses conséquences. Je suis d'accord avec la déci-
sion du Comptroller dans l'affaire Heberlein and
Company A.G.'s Application 3 . Il dit ceci:
[TRADUCTION] ... à supposer qu'une erreur en soit une d'écri-
ture, cela n'affecte pas ultérieurement sa nature si elle échappe
à celui qui est chargé de vérifier le document où elle figure ou
de travailler sur celui-ci. C'est le fait d'être à l'origine une
erreur d'écriture qui importe.
Je ne suis pas certain de comprendre la décision
de l'intimé pour ce qui est de l'article 50. Le brevet
ayant été délivré le 30 novembre 1965, lorsque la
requérante a, au début de 1977, demandé pour la
première fois la correction, le délai prévu pour
déposer une demande de brevet modifié était
depuis longtemps expiré. Bien qu'une erreur d'écri-
ture contenue dans le brevet initial puisse sans
doute aboutir à la délivrance d'un brevet modifié
en vertu de l'article 50, ni ce fait ni le défaut de
demander à temps un nouveau brevet n'empêchent
que cette erreur demeure une erreur d'écriture et
soit toujours susceptible de correction sous le
régime de l'article 8.
L'article 8 prévoit que «les erreurs d'écriture ...
peuvent être corrigées au moyen d'un certificat
sous l'autorité du commissaire.» Le terme «peu-
vent» signifie que cela est facultatif, et non pas
impératif ou obligatoire. Rien dans l'article 8 ne
me permet de conclure que l'intimé est tenu de
délivrer un certificat de correction lorsqu'il cons-
tate que la correction demandée concerne une
erreur d'écriture. Il est libre de le faire ou de ne
pas le faire et la Cour ne saurait se substituer à lui
sur ce point. Le bref de mandamus ne saurait être
3 [1971] F.S.R. 373, la p. 377.
utilisé pour exiger de l'intimé qu'il délivre un
certificat en vertu de l'article 8 de la Loi sur les
brevets.
Cela dit, la requérante sollicite toute autre
ordonnance qu'il pourrait sembler juste de rendre.
Il ne ressort pas du dossier que l'intimé ait déter-
miné si l'omission de l'hydrogène, et non le défaut
de demander la correction de cette omission, cons-
tituait une erreur d'écriture. L'affaire sera donc
renvoyée à l'intimé pour qu'il détermine cette
question. Il décidera alors s'il y a lieu de délivrer
un certificat de correction sur le fondement de
l'article 8. Aucune ordonnance ne sera rendue
quant aux dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.