T-5465-78
87118 Canada Ltd. (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Addy—
Montréal, 5 mai; Ottawa, 16 mai 1980.
Couronne — Contrats — Constitution de société — Action
en dommages-intérêts pour négligence de la part des agents de
la Couronne du fait qu'ils n'ont pas porté à la connaissance de
la demanderesse l'existence d'une société déjà constituée sous
un nom semblable — Un système de recherche automatisé a
été utilisé par la Couronne et l'on a fait valoir que le service
aux clients avait été amélioré — Après la constitution en
société, à la suite d'une plainte d'une autre société, des recher-
ches complémentaires révèlent l'existence de cette autre société
— Il y a lieu d'examiner s'il y a eu contrat entre les parties
Il y a lieu d'examiner si les agents ou préposés de la Couronne
ont fait preuve de négligence — Code civil du Québec, art.
1029 et 1053.
Action en dommages-intérêts contre la Couronne pour négli-
gence de la part des agents de celle-ci. A la suite d'une
demande de constitution en société et d'une demande de rensei-
gnements de la part des avocats de la société à être formée, le
ministère de la Consommation et des Corporations a fait
parvenir à ceux-ci une formule les avisant que le nom Mondial
Ceramic and Marble Ltd. paraissait disponible, pour autant
que les requérants assument toute responsabilité de risque de
confusion avec les noms d'affaires et les marques de commerce
existants. La formule qui avait été expédiée après paiement de
frais de recherche de $10, accompagnée d'un rapport de recher-
ches et d'un avis adressé «A nos clients» signalant qu'on se
servait d'un système automatisé de recherche pour améliorer le
service. Il y a eu délivrance d'un certificat de constitution. Plus
tard, le Ministère a avisé la demanderesse qu'une nouvelle
recherche avait révélé l'existence de Mondeal Ceramics Ltd. et
lui signalait qu'elle devait faire une demande de changement de
nom. L'autre société avait été constituée en vertu de la législa-
tion fédérale par le Ministère, mais son siège social se trouvait à
Montréal. Les avocats de la demanderesse se sont fiés à la
recherche du Ministère, bien qu'une recherche à l'index des
sociétés de la bibliothèque du Barreau de Montréal eût révélé
l'existence de l'autre société. La Loi sur les sociétés commer-
ciales canadiennes ne contient pas de disposition au sujet d'une
procédure de recherche ou de la délivrance de listes de noms
par le Ministère. La preuve a établi qu'une recherche manuelle
aurait dû être faite dans le cas du premier relevé puisque son
envoi avait précédé la mise en opérations d'un système amélioré
de recherche automatisée et que le mot «Mondial» signifie, en
français, «qui intéresse toute la terre» et se prononce sensible-
ment de la même façon que «Mondeal». La question se pose de
savoir s'il y a eu un contrat entre les parties et si les agents de
la défenderesse ont fait preuve de négligence.
Arrêt: l'action est accueillie. Il y a eu perception d'un prix
déterminé pour la prestation d'un service déterminé. Il ne peut
s'agir d'autre chose que la contrepartie d'un service rendu. De
plus, la défenderesse considérait ceux qui avaient recours au
service comme «ses clients» et les appelait ainsi. Même s'il n'y
avait pas eu de contrat, on peut considérer qu'en vertu de
l'article 1053 du Code civil, si quelqu'un se fait connaître ou est
connu comme investi de connaissances, de renseignements ou
de compétences particulières dans un domaine donné et qu'il
offre des conseils ou donne des renseignements à quiconque, il
le sait ou devrait le savoir, y ajoutera vraisemblablement foi, il
est aujourd'hui tenu de par la loi d'exercer une prudence
raisonnable en fournissant ces conseils ou cas renseignements et
un manquement à cette obligation ouvrira droit à une action en
dommages-intérêts pour tout préjudice qui en résulterait direc-
tement même en l'absence de toute contrepartie propre à
donner naissance à un contrat. La clause d'exonération ne
mentionne pas les «noms corporatifs». La clause par laquelle
une partie contractante cherche à se soustraire à une obligation
juridique qui découlerait autrement du contrat doit s'interpré-
ter de façon restrictive contre cette partie. La clause d'exonéra-
tion de responsabilité n'est pas utile à la défenderesse: elle
exonère seulement de la responsabilité à l'égard de la confusion
avec les noms d'affaires et les marques de commerce existants,
mais non pas avec les noms corporatifs existants. Les agents de
la défenderesse ont fait preuve de négligence en ne trouvant pas
et en ne révélant pas, lors de la production du premier relevé, la
similarité entre les noms des deux sociétés, en ne contrôlant pas
la recherche informatisée par une recherche manuelle et en ne
faisant pas examiner les demandes par une personne qui maî-
trise la langue française. Lorsque des appareils et des machines
mécaniques et électroniques remplacent l'homme, ceux qui s'en
servent le font à leurs propres risques et restent soumis aux
critères de qualité qui prévaudraient autrement, à moins que
l'autre partie ne les ait expressément ou implicitement exonérés
de leur responsabilité après avoir été dûment informée de la
nature et de l'étendue de la diminution de qualité du service à
laquelle elle devait s'attendre par comparaison avec le système
manuel. Compte tenu de la note expédiée par la défenderesse
au sujet de l'excellence qu'elle attribuait à son nouveau système
informatisé, on ne peut reprocher à la demanderesse de s'être
fiée à la recherche ni conclure qu'elle a fait preuve de négli-
gence. L'affaire est différente de celles qui statuent que l'appro-
bation d'une dénomination et son attribution à une nouvelle
société au moment de sa constitution, n'engage pas la responsa-
bilité de l'autorité qui la constitue quant aux dommages résul-
tant de la similarité de dénomination avec celle de toute autre
entreprise ou société existante. La présente action est fondée
sur l'obligation contractuelle de fournir, moyennant un prix, le
service précis qu'est une recherche de dénominations.
ACTION.
AVOCATS:
N. Segal pour la demanderesse.
B. Bierbrier pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Lechter & Segal, Montréal, pour la demande-
resse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE ADDY: La demanderesse a institué la
présente action en dommages contre la Couronne
pour négligence de la part des agents de celle-ci.
Ceux-ci auraient en effet omis de porter à la
connaissance de la demanderesse l'existence d'une
société connue sous le nom de «Mondeal Ceramics
Ltd.», qui a été constituée sous le régime de la loi
fédérale en mai 1974.
Le directeur du ministère de la Consommation
et des Corporations a délivré un certificat de con
stitution à la demanderesse sous le nom de Mondi-
al Ceramic and Marble Ltd. Les dommages récla-
més sont pour la perte d'achalandage et les
dépenses de publicité supplémentaires qu'aurait
entraînées la substitution, par le Ministère, au nom
original de la demanderesse de celui qui apparaît
dans l'intitulé, après qu'on eut découvert l'exis-
tence de Mondeal Ceramics Ltd., à la suite de la
plainte portée par cette dernière.
Il y a peu de divergences de vues sur les faits. Le
18 mai 1977, la suite d'une demande de constitu
tion et d'une demande de renseignements de la
part des avocats de la société à être formée, le
Ministère leur faisait parvenir une formule les
avisant de la disponibilité de la dénomination pro
posée. Cette formule (produite comme pièce P-2) a
été expédiée après paiement par les avocats au
Ministère des frais habituels de recherche, soit
$10. Voici partie de la pièce P-2:
[TRADUCTION] Cher Monsieur,
Ces lignes répondent à votre récente demande d'information
concernant la disponibilité du (des) nom(s) ci-après:
[I] MONDIAL CERAMIC & MARBLE LTD.
Le nom corporatif nous semble être disponible en autant que les
requérants assument toute la responsabilité de risque de confu
sion avec tous noms d'affaires et toutes marques de commerce
existants (y compris ceux et celles qui sont cités dans notre
rapport de recherches du ...).
La lettre portait la signature d'un examinateur
du Ministère. Elle contenait la mise en garde
suivante après la signature:
[TRADUCTION] Mise en garde
Toute indication qu'un nom corporatif semble en ce moment
disponible ne doit pas être considérée comme un engagement de
notre part à accorder ledit nom si une demande formelle devait
par la suite nous être présentée. Un tel avis ne sert qu'à établir
la disponibilité probable du nom suggéré pour fins de constitu-
tion en corporation d'une nouvelle compagnie ou d'un change-
ment de nom corporatif. Si des imprimés ou autre usage du
nom sont préalablement faits, les requérants assumeront entiè-
rement ce risque.
Quand un nom est accordé à la condition que les requérants
soient prêts à assumer toute responsabilité pour risque de
confusion avec les noms d'autres compagnies, cette acceptation
de responsabilité comprend l'obligation de changer le nom de la
compagnie en un nom différent advenant le cas où des représen-
tations sont faites établissant qu'il y a confusion, sauf erreurs et
omissions.
Un rapport de recherches était annexé à la lettre
(pièce P-3). Il contenait quelque 37 noms, dont
ceux de sociétés fédérales, de sociétés provinciales,
des marques de commerce, des demandes de mar-
ques de commerce et des marques de commerce
déposées. Était aussi annexé à la lettre un avis de
la Direction des Corporations adresssé «À NOS
CLIENTS», signalant qu'on se servait maintenant
d'un service automatisé de recherche. L'avis expli-
que sommairement les données fournies et se ter-
mine par le paragraphe suivant:
[TRADUCTION] Nous croyons que le service que nous offrons
à nos clients n'en sera qu'amélioré et espérons que ces rapports
de recherches automatisés et intégrés vous aideront dans cette
phase d'obtention d'un nom corporatif.
Nulle part dans le relevé n'apparaît la dénomi-
nation de Mondeal Ceramics Ltd.
Le 18 mai 1977 ou vers cette date, un certificat
de constitution, daté du 27 avril 1977, attestant
que la demanderesse était constituée en société
sous la dénomination de Mondial Ceramic and
Marble Ltd. fut expédié aux avocats de cette
dernière. La demanderesse exploitait à Montréal,
sous ce nom un commerce d'importation, de vente
et de distribution de céramique quand elle reçut,
d'un autre examinateur du Ministère, une nouvelle
lettre datée du 21 mars 1978 (pièce P-5). Cette
missive informait la demanderesse qu'une nouvelle
recherche ayant révélé l'existence de l'autre
société, elle devait faire une demande de change-
ment de dénomination dans les soixante jours. La
lettre était accompagnée de la formule à utiliser
pour cette formalité.
La demanderesse n'ayant pas obtempéré, le
Ministère, par une lettre datée du 30 mai 1978,
l'avisa que sa dénomination était désormais chan
gée en «87118 Canada Ltd.» La lettre du 21 mars
1978 (pièce P-5) était également accompagnée
d'un nouveau rapport de recherches en date du 16
mars 1978, lequel comportait quelque 22 noms
différents (pièce P-6). Mondeal Ceramics Ltd.
apparaissait au relevé immédiatement après la
dénomination de la demanderesse. Le relevé indi-
quait non seulement que Mondeal Ceramics Ltd.
avait été constituée en société au Canada, par le
Ministère lui-même, mais encore que son siège
social se trouvait aussi dans la région de Montréal.
La preuve a démontré que les fondateurs de la
société demanderesse ignoraient lorsqu'ils ont
constitué cette dernière l'existence de Mondeal
Ceramics Ltd. Elle a aussi démontré qu'ils n'ont
pas fait de recherches sur les dénominations socia-
les ou les noms commerciaux, les avocats de la
demanderesse s'étant fiés entièrement à la recher-
che que leur avait fournie le Ministère. Il y a eu
aussi aveu conjoint des parties selon lequel une
recherche au registre, mentionné plus loin, des
compagnies et déclarations de sociétés du district
judiciaire de Montréal n'aurait pas révélé l'exis-
tence de l'autre société, bien qu'une recherche à
l'index des sociétés à la bibliothèque du Barreau de
Montréal l'aurait fait. La Loi des déclarations des
compagnies et sociétés' exige que chaque compa-
gnie, chaque société et chaque individu qui utilise
un nom commercial ou une raison sociale enregis-
tre les détails de ses opérations à la Cour supé-
rieure de chaque district judiciaire où il fait ou se
propose de faire affaires. Elle fait d'autre part
obligation au protonotaire du district judiciaire en
cause d'inscrire les détails au registre des compa-
gnies et sociétés et de tenir ce dernier à la disposi
tion du public, à son bureau.
Les avocats des deux parties ont reconnu que ni
la Loi sur les sociétés commerciales canadiennes 2
ni le Règlement [Règlement sur les sociétés com-
merciales canadiennes, DORS/79-316] ne con-
tiennent de dispositions concernant une procédure
de recherche quelconque ou ne traitent de la déli-
vrance de relevés de noms par le Ministère.
Il a été établi, principalement par le témoignage
d'un informaticien qui avait la direction de la
section des recherches informatisées du Ministère
et qui y travaillait au moment de la mise en place
du système informatique en 1972, que le premier
système, qui a été utilisé jusqu'en août 1977 et qui
S.R.Q. 1977, c. D-1.
2 S.C. 1974-75-76, c. 33, S.C. 1978-79, c. 9.
a fourni la première liste de noms (pièce P-3)
s'appelait A.N.S. (pour Automated Name
Search). En août 1977, ce système fut remplacé
par le N.U.A.N.S. (New Improved Automated
Name Search). C'est ce nouveau système qui,
évidemment, a produit le second relevé de mars
1978 (pièce P-6) et qui, comme nous l'avons déjà
dit, a révélé l'existence de l'autre société.
Il ressort que le système A.N.S. ne considérait
que les noms propres ou les mots forgés et n'ajou-
tait que les trois premières lettres des termes ou
groupes de termes génériques. Ainsi, lors de la
première recherche les mots «Mondial Cer» furent
soumis à l'ordinateur. Le système N.U.A.N.S., par
contre, possède un dictionnaire des termes généri-
ques les plus susceptibles d'être employés fréquem-
ment et les termes génériques ne sont pas tronqués
lorsqu'ils apparaissent dans un nom faisant l'objet
d'une recherche. Lors de la deuxième recherche,
les mots «Mondial Ceramic Marble» furent soumis
à l'ordinateur. Le système et le dictionnaire de
termes sont constamment améliorés et mis à jour.
Il existe aussi un système parallèle, sur fiches,
permettant une recherche manuelle. L'expert
informaticien a témoigné qu'au meilleur de sa
connaissance, depuis le moment de la mise en
service de l'A.N.S. en 1972 jusqu'à un ou deux
mois de son remplacement par le N.U.A.N.S. en
août 1977, les recherches informatisées étaient
toujours doublées d'une contre-recherche ma-
nuelle. Par la suite, la vérification par recherche
manuelle ne fut plus effectuée que dans 70% des
cas, d'après l'estimation du témoin. Il y a lieu de
noter ici, que selon ce témoignage, il y aurait dû y
avoir une recherche manuelle lors de la production
du premier relevé, puisque celui-ci a été expédié
aux avocats de la demanderesse le 18 mai 1977.
Nulle part dans la preuve n'est-il cependant fait
mention d'une telle recherche manuelle.
Il importe de souligner que l'examinateur des
demandes de constitution qui a témoigné pour la
défenderesse a déclaré que, en avril 1977, sur
réception de la demande de renseignements de la
demanderesse, il aurait ordonné de faire une
recherche manuelle de la dénomination s'il avait su
que le terme «Mondial» signifie, en français, «qui
intéresse toute la terre» et que, dans cette langue,
le mot se prononce sensiblement de la même façon
que «Mondeal». Mais étant unilingue, il n'a jamais
soupçonné la portée du terme en français.
La preuve démontre que selon la règle en
vigueur pendant toute la période en cause, soit
pendant toute l'année 1977 et jusqu'en avril 1978,
si tous les noms commerciaux n'avaient pas à être
versés à l'ordinateur, les dénominations de toutes
les sociétés constituées sous le régime de la loi
fédérale devaient par contre l'être. Il a aussi été
établi que, selon toutes probabilités, le nom de
«Mondeal Ceramics Ltd.» se trouvait à l'ordinateur
pendant toute la période concernée. En plus, le
témoin expert de la défenderesse a admis que si le
N.U.A.N.S. avait été en service lors de la produc
tion du premier relevé, «Mondeal Ceramics Ltd.»
serait apparu.
On s'est posé la question, au début, de savoir si
la loi de la province de Québec ou celle de l'Onta-
rio devait s'appliquer. Mais cette question fut vite
résolue lorsqu'on se rendit compte que le Ministère
se trouve dans la ville de Hull et non à Ottawa et
que, en conséquence, le tout s'est passé à l'intérieur
des limites du Québec.
L'article 1024 du Code civil de la province de
Québec est ainsi conçu:
Art. 1024. Les obligations d'un contrat s'étendent non seule-
ment à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les consé-
quences qui en découlent, d'après sa nature et suivant l'équité,
l'usage ou la loi.
L'avocat de la défenderesse a soutenu qu'il n'y
avait pas de contrat entre les parties, et qu'on ne
pouvait donc maintenir la réclamation pour cause
de négligence dans l'exécution d'un contrat ou
exécution fautive de celui-ci. Je n'accepte pas cette
prétention. Il y a eu perception d'un prix déter-
miné pour la prestation d'un service déterminé. Il
ne s'agit ni d'un simple droit prévu par la loi ni
d'une taxe, puisque comme nous l'avons déjà souli-
gné, il n'y a pas de disposition législative ou régle-
mentaire autorisant à exiger une somme de $10. Il
ne peut s'agir d'autre chose que la contrepartie
d'un service rendu. De plus la défenderesse consi-
dérait les personnes qui avaient recours au service
comme «ses clients», les appelait ainsi et vantait
l'excellence de son nouveau service de recherches
informatisé.
Même s'il n'y avait pas eu paiement d'une con-
trepartie ni, par conséquent, de contrat entre les
parties, j'aurais sans doute décidé que, selon une
interprétation juste et moderne de l'article 1053 du
Code civil de la province de Québec, comme dans
les juridictions de common law maintenant, si
quelqu'un se fait connaître ou est connu comme
investi de connaissances, de renseignements ou de
compétences particulières dans un domaine donné
et qu'il offre des conseils ou donne des renseigne-
ments à quiconque, il le sait ou devrait le savoir, y
ajoutera vraisemblablement foi, il est aujourd'hui
tenu de par la loi d'exercer une prudence raisonna-
ble en fournissant ces conseils ou ces renseigne-
ments, et un manquement à cette obligation
ouvrira droit à une action en dommages pour tout
préjudice qui en aurait directement résulté, même
en l'absence de toute contrepartie propre à donner
naissance à un contrat.
L'avocat de la défenderesse invoque également
la clause d'exonération contenue à la lettre (pièce
P-2) que j'ai citée plus haut. L'expression «... en
autant que les requérants assument toute la res-
ponsabilité de risque de confusion avec tous noms
d'affaires et toutes marques de commerce existants
...» n'inclut pas la catégorie des «noms corpora-
tifs» bien que l'expression soit utilisée au début de
cette même phrase, où il est dit que le nom paraît
disponible pour utilisation comme «nom corpora-
tif». C'est une règle élémentaire en droit que la
clause par laquelle une partie contractante cherche
à se soustraire à une obligation juridique qui
découlerait autrement du contrat doit s'interpréter
de façon restrictive contre cette partie. Puisque
l'expression «nom corporatif» a été omise de la
partie clef de la clause d'exonération, il faut con-
clure que l'expression «nom d'affaires» désigne les
personnes ou sociétés faisant affaires sous des
noms autres que leur nom propre et qu'elle exclut
les «noms corporatifs» comme tels. L'utilisation
parallèle de deux expressions différentes, «tous
noms d'affaires» et «nom corporatif», dans la ver
sion française correspondant à la pièce P-2 conduit
inexorablement à la même conclusion. La Loi et le
Règlement ne sont d'aucun secours à cet égard,
puisque ni l'expression «nom d'affaires» ni son
équivalent anglais «business name» n'y sont définis,
bien que l'expression «nom commercial» et son
équivalent anglais «trade name» soient définis à
l'article 12 du Règlement. La clause d'exonération
de responsabilité n'est donc pas utile à la défende-
resse; elle exonère seulement de la responsabilité à
l'égard de la confusion avec les nom d'affaires et
les marques de commerce existants, mais non pas
avec les noms corporatifs existants.
J'estime d'autre part que les agents de la défen-
deresse ont fait preuve de négligence dans l'exécu-
tion du contrat:
1. en ne trouvant pas et en ne révélant pas à la
demanderesse, lors de la production du premier
relevé de recherches, la similarité manifeste
entre «Mondeal Ceramics Ltd.)) et «Mondial
Ceramic and Marble Ltd.», d'autant plus que les
deux sociétés avaient été constituées par la
défenderesse elle-même, à moins de trois ans
d'intervalle, que les sièges sociaux de celles-ci se
trouvaient tous deux dans la région de Montréal
et que, en français, les termes «Mondeal» et
«Mondial» se prononcent de la même façon et
ont le même sens;
2. en ne contrôlant pas la recherche informatisée
par une recherche manuelle, compte tenu du fait
que le mot «Mondial» signifie «qui intéresse
toute la terre». Le témoin expert de la défende-
resse a d'ailleurs admis qu'il aurait procédé à
une recherche manuelle s'il s'était rendu compte
de cela;
3. en ne faisant pas examiner les demandes, du
moins celles qui émanent du Québec, par une
personne qui maîtrise la langue française. En la
présente instance, cela aurait permis de se
rendre immédiatement compte du sens du mot
«Mondial»;
4. en ne faisant pas contrôler, à tout hasard, la
recherche informatisée par une recherche
manuelle. Une recherche manuelle n'aurait pas
manqué de faire ressortir l'évidente similarité
entre les deux termes, indépendamment de leur
sens, surtout qu'ils étaient immédiatement suivis
du mot «ceramic» ou «ceramics»;
5. en ne contrôlant pas par une recherche
manuelle toutes celles faites au moyen du sys-
tème A.N.S., vu qu'un examen même sommaire
des deux dénominations concernées révèle que
ce dernier était totalement inadéquat.
Quand une personne pourrait manifestement
donner un service adéquat, mais que ce service a
été informatisé et quand il est rendu de façon
inadéquate, ce n'est pas une défense, pour la per-
sonne qui a choisi de mettre en place le système
informatisé que de prouver, comme la défenderesse
à l'instance, qu'il s'agissait d'un système aussi
efficace que possible compte tenu de l'état de la
technique à l'époque. Lorsqu'un tel système a été
mis en place, ou du moins lorsqu'on remplace
totalement par celui-ci un système manuel, la per-
sonne qui fournit le service doit, à moins d'avoir
fait pleinement connaître la diminution de la qua-
lité du service visé ou à moins qu'il n'existe quel-
que loi en vigueur limitant la responsabilité ou
exonérant de celle-ci, convaincre le tribunal que le
nouveau système automatisé est aussi efficace que
le système manuel qu'il remplace. On ne peut
changer la norme de qualité de façon unilatérale,
sans plus, par la seule mise en service de machines
remplaçant le travail de l'homme. Lorsque, comme
dans le cas présent, la mise en service d'un système
automatisé diminue manifestement la qualité,
avant que le service ne soit offert, l'autre partie
doit être clairement et précisément informée
qu'elle doit s'attendre à une baisse de qualité et des
domaines où ces baisses de qualité sont suscepti-
bles de se produire. En l'absence d'un tel avis ou de
quelque exonération spéciale, la norme reste le bon
père de famille. Les machines et appareils mécani-
ques et électroniques sont de nos jours si compli-
qués qu'on ne peut s'attendre à ce que le grand
public puisse même soupçonner leurs faiblesses et
leurs lacunes. En conséquence, lorsque ces appa-
reils remplacent l'homme, ceux qui s'en servent le
font à leurs propres risques. Ils restent soumis aux
critères de qualité qui prévaudraient autrement, à
moins que l'autre partie ne les ait expressément ou
implicitement exonérés de leur responsabilité après
avoir été dûment informée de la nature et de
l'étendue de la diminution de qualité du service à
laquelle elle devait s'attendre par comparaison
avec le système manuel.
La défenderesse prétend que les avocats de la
demanderesse, et par conséquent la demanderesse
elle-même ont fait preuve de négligence en n'effec-
tuant pas de recherches supplémentaires et en ne
vérifiant pas si la dénomination concernée était
semblable à celle de toute autre entreprise ou
société. Je l'ai déjà mentionné, l'actionnaire princi-
pal et fondateur de la demanderesse avait été et
était encore dans le commerce de la céramique et
ignorait l'existence de l'autre société. Une recher-
che au registre officiel des compagnies et déclara-
tions de sociétés pour le district de Montréal n'au-
rait pas révélé l'existence de l'autre société, mais
une recherche à l'index de la bibliothèque du
Barreau l'aurait fait. Dans les circonstances de la
présente affaire, considérant la note expédiée par
la défenderesse au sujet de l'excellence qu'elle
attribuait à son nouveau système informatisé
A.N.S. et l'affirmation, dans cette note, que «le
service que nous offrons à nos clients n'en sera
qu'amélioré», je ne puis reprocher à la demande-
resse de s'être fiée à la recherche ni conclure
qu'elle a fait preuve de négligence en se fiant
uniquement au relevé qui lui avait été fourni et en
ne faisant pas une autre recherche par les moyens
classiques. Je ne puis donc conclure que la deman-
deresse a quelque part de responsabilité dans le
dommage subi.
La présente affaire est évidemment d'une toute
autre nature que la série de causes selon lesquelles
l'approbation d'une dénomination et son attribu
tion à une nouvelle société, au moment de sa
constitution, n'engage pas la responsabilité de l'au-
torité qui la constitue quant aux dommages résul-
tant de la similarité de la dénomination avec celle
de toute autre entreprise ou société existantes. La
présente action ne se fonde pas sur l'octroi d'une
charte ou d'un certificat de constitution, mais sur
l'obligation contractuelle de fournir, moyennant un
prix, le service précis qu'est une recherche de
dénominations. L'action aurait pu être entièrement
maintenue même si la demanderesse avait par la
suite décidé de demander sa constitution en société
sous le régime de la loi provinciale plutôt que sous
celui de la loi fédérale.
Pour ce qui est des dommages eux-mêmes, la
demanderesse réclame le remboursement de toutes
les dépenses de publicité engagées depuis le début
de la société jusqu'à ce que la dénomination soit
effectivement changée contre le gré de la deman-
deresse, vers le 30 mai 1978. C'est le 21 mars 1978
ou vers cette date que la demanderesse fut avisée
de l'existence de l'autre société et requise par la
défenderesse de changer de dénomination. Non
seulement ne peut-elle pas réclamer les frais de
publicité engagés sous sa première dénomination
après la réception de cet avis, mais, à compter de
cette réception, elle était légalement tenue de faire
tout en son pouvoir pour réduire les dommages
résultant de l'erreur. La défenderesse ne peut être
tenue responsable de la perte d'achalandage qui
s'est produite après cette date par suite de la
persévérance de la demanderesse à se servir du
nom «Mondial Ceramic and Marble Ltd.»
La somme totale dépensée en publicité depuis le
début de la société jusqu'à la fin de mars 1978 se
chiffre à environ $4,600. Cette somme n'a de toute
évidence pas été perdue en totalité, puisque la
société a réalisé, pendant sa première année d'opé-
ration, $285,250 de ventes. D'autre part, les
dépenses totales de publicité pour la première
année s'établissent à $6,857, par comparaison à la
deuxième année, où elles s'élèvent à $10,424 et où
les ventes ont été de $320,532. La demanderesse
soutient que l'augmentation des frais de publicité
est en partie attribuable au changement de déno-
mination. Elle n'a cependant pas produit de chif-
fres précis ni de faits concrets. Dans ces circon-
stances et considérant que le poids de la preuve
repose sur la demanderesse, j'estime que la somme
de $2,000, plutôt que celle de $9,961 réclamée
constitue une juste compensation des frais addi-
tionnels de publicité supportés et de la perte de
publicité sous l'ancienne dénomination résultant de
la négligence de la défenderesse dans l'exécution
de son contrat.
La perte d'achalandage est, dans le meilleur des
cas, des plus difficiles à déterminer. Il y a eu, en
réalité, une augmentation d'à peu près $37,000 du
montant brut des ventes pendant la deuxième
année, bien que les profits nets aient connu une
diminution importante. La perte d'achalandage,
évidemment, devrait se réfléter surtout dans les
ventes plutôt que dans les profits nets, dont le
calcul est influencé par les postes tels que les frais
d'administration, les sommes affectées aux salai-
res, etc. La demanderesse soutient qu'en tenant
compte de l'inflation, il n'y a pas eu d'augmenta-
tion des ventes brutes pendant la deuxième année.
On n'a pas avancé de preuve tendant à établir que
l'entreprise ait été, la seconde année, mieux ou
moins bien organisée qu'avant au chapitre des
ventes ou de l'administration générale. Il se révèle
doublement difficile, dans de telles circonstances,
de décider à quoi attribuer la perte de recettes et
même la perte d'achalandage. Considérant la
rareté des preuves sur l'exploitation elle-même du
commerce, j'accorde la somme presque symbolique
de $2,000 pour la perte d'achalandage.
La demanderesse aura droit, cela va de soi, aux
dépens.
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