T-3587-77
CC Chemicals Limited (Demanderesse)
c.
Sternson Limited (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Cattanach—
Ottawa, 19 juin et ler août 1980.
Pratique — Interrogatoire préalable — Requête pour inter-
dire à la défenderesse de poursuivre l'interrogatoire préalable
d'un inventeur-cédant résidant aux É.-U. — La juridiction
étrangère a accordé à la défenderesse sa requête, présentée ex
parte, pour enjoindre audit inventeur de déposer au préalable
— La demanderesse soutient que la procédure est irrégulière
en l'absence de requête à la Cour fédérale pour directives — Il
échet d'examiner si accorder une ordonnance forçant le cédant
d'un brevet qui n'habite pas le Canada à subir un interroga-
toire préalable que ce soit ou non au Canada est autorisé —
Règles 465(5), (12), (16) et 494(9) de la Cour fédérale — Loi
sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, c. E-10, art. 43.
La demanderesse demandait une ordonnance interdisant à la
défenderesse de poursuivre l'interrogatoire préalable de l'inven-
teur et cédant initial d'un brevet d'invention résidant aux
États-Unis, en dérogation des Règles de la Cour. La défende-
resse, qui a fait appel sans résultat à la Règle 465(5), a voulu
obtenir, et a obtenu, d'une Cour de District des États-Unis, par
requête ex parte, une ordonnance, sans commission rogatoire de
la Cour, enjoignant à l'inventeur de déposer au préalable, sur
interrogatoire oral, conformément aux règles de la juridiction
étrangère. La demanderesse soutient que la défenderesse a agi
fort irrégulièrement ce faisant, au sujet d'une action engagée
devant la Cour, la procédure qu'on envisageait d'engager
n'ayant pas d'abord été arrêtée par une requête à la Cour pour
directives, ce qui serait contraire au droit de notre pays. Il échet
de déterminer si accorder une ordonnance forçant le cédant
d'un brevet qui n'habite pas le Canada à subir un interrogatoire
préalable, que ce soit ou non au Canada, est autorisé.
Arrêt: la requête est accordée. (1) Il est inapproprié de la
part de la défenderesse d'obtenir une ordonnance d'un tribunal
étranger forçant à comparaître le cédant d'une invention habi-
tant dans cette juridiction pour subir un interrogatoire relative-
ment à une action engagée devant la Cour sans avoir au
préalable recours aux voies de droit qu'elle lui ouvre: un
tribunal est maître de sa propre procédure et de la conduite de
l'instance dont il est saisi conformément au droit général
applicable et à ses propres règles. (2) La Règle 465(5) ne
s'applique pas au cas où la personne à interroger se trouve à
l'extérieur du Canada et ne peut faire l'objet d'un subpoena
émanant d'un tribunal canadien (affaire Lido, le juge en chef
Jackett). Une telle ordonnance ne peut être rendue parce que
les propres voies de droit de la Cour ne lui permettent pas de
l'exécuter: les Règles de la Cour ne la prévoient pas. On ne peut
recourir à une commission pour interrogatoire préalable du
cédant d'un brevet à l'extérieur du Canada: on ne peut non plus
utiliser des commissions ou lettres rogatoires pour arriver à
cette fin. L'objet de ces commissions et lettres est l'obtention de
témoignages hors de la juridiction, destinés à servir de preuve
testimoniale dans une action engagée dans la juridiction. On ne
peut douter que ce que la défenderesse voulait ce n'était pas le
témoignage du cédant, mais plutôt des renseignements et un fil
conducteur pour investiguer. La Cour interdira à un justiciable
comparaissant devant elle de poursuivre une instance devant
une juridiction étrangère ayant pour fin la recherche de preuve
ou d'information, relativement à une action dont elle est saisie,
quand une telle instance devant le for étranger n'est pas
permise selon ses Règles. La défenderesse ne peut retirer
«aucun avantage légitime» de cette procédure.
Arrêts appliqués: Lido Industrial Products Ltd. c. Tele-
dyne Industries, Inc. [1979] 1 C.F. 310; Lovell Manufac
turing Co. c. Beatty Bros. Ltd. (1961) 35 C.P.R. 12;
Textron Canada Ltd. c. Rodi & Wienenberger AG [1973]
C.F. 667; Xerox of Canada Ltd. c. IBM Canada Ltd.,
IBM Canada Ltée [1976] 1 C.F. 213; Dennison Manufac
turing Co. of Canada Ltd. c. Dymo of Canada Ltd. (1976)
23 C.P.R. (2e) 155; The Carron Iron Co. Proprietors c.
Maclaren (1854-56) 5 H.L. Cas. 416; Armstrong c. Arm-
strong [1892] P. 98. Arrêt examiné: Re Raychem Corp. c.
Canusa Coating Systems, Inc. [1971] 1 O.R. 192.
REQUÊTE.
AVOCATS:
D. MacOdrum pour la demanderesse.
J. Morrissey pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Hayhurst, Dale & Deeth, Toronto, pour la
demanderesse.
Barrigar & Oyen, Ottawa, pour la défende-
resse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: La demanderesse
demandait, par requête, en date du 16 juin 1980,
laquelle fut instruite le 19 juin 1980, une ordon-
nance interdisant à la défenderesse de poursuivre
l'interrogatoire préalable de Solomon J. Rehmar,
relativement à l'instance en cause, à titre de cédant
d'un brevet d'invention, en dérogation des Règles
de la Cour.
Comme l'interrogatoire devait avoir lieu dans les
trois jours juridiques, j'ai prononcé l'ordonnance
demandée à la clôture de l'instruction de la
requête, m'engageant à en fournir les motifs,
écrits, ultérieurement.
Je m'acquitte maintenant de cet engagement.
La demanderesse est une compagnie constituée
selon la loi ontarienne, avec son siège social à
Thornhill (Ontario). A ce titre elle réside donc au
Canada et y est domiciliée.
La défenderesse est aussi une compagnie cons-
tituée en vertu de la loi ontarienne; elle a son siège
social à Brantford (Ontario) et donc réside et est
domiciliée aussi au Canada.
La demanderesse est propriétaire d'un brevet
d'invention, délivré par le Bureau des brevets du
Canada le 17 octobre 1967 à Solomon J. Rehmar
de Cleveland en Ohio, l'un des États des États-
Unis d'Amérique, pour l'une de ses inventions.
Rehmar, par acte translatif de propriété, daté
du 27 octobre 1969 et enregistré le 21 novembre de
la même année, céda ses droits sur ce brevet à
Intrusion Prepakt Incorporated, une compagnie
constituée selon la loi de l'État de l'Ohio.
Par acte translatif de propriété, daté du 16
septembre 1969, Intrusion Prepakt Incorporated
céda le brevet à la demanderesse.
Dans sa déclaration, en date du 23 septembre
1977, déposée près la Cour à cette date, la deman-
deresse soutient que la défenderesse a contrefait
son brevet et prétend avoir droit au recours
habituel.
La défenderesse a déposé une défense qui en
substance allègue que les revendications ne décri-
vent aucune nouvelle invention, nie la contrefaçon
et prétend que le brevet est invalide. Il s'agit là
d'une défense habituelle à une action en contrefa-
çon. Ces allégations sont détaillées.
Par lettre en date du 15 octobre 1979, les avo-
cats de la défenderesse s'enquirent auprès des avo-
cats de la demanderesse de la date revendiquée
pour l'invention, ce qui amena comme réponse
qu'il s'agissait du 4 avril 1979.
Par lettre datée du 28 septembre 1978, les avo-
cats de la défenderesse notifièrent ceux de la
demanderesse de leur intention d'interroger au
préalable Solomon J. Rehmar en tant qu'inventeur
et dirigeant d'Intrusion Prepakt Incorporated, tous
deux cédants.
Par lettre datée du 30 octobre 1978, en réponse,
les avocats de la demanderesse firent valoir que les
deux cédants résidaient à l'extérieur du Canada,
ne représentaient ni l'une ni l'autre des parties et
que la Règle que la défenderesse se proposait
d'invoquer n'allait pas jusqu'à autoriser l'interro-
gatoire de ces parties à l'extérieur du pays.
La Règle que la défenderesse se proposait de
faire valoir, mentionnée dans une lettre du 15
octobre 1979, était la Règle 465(5).
La demanderesse déclara que son président était
prêt à subir un interrogatoire préalable.
Le 24 avril 1980 la défenderesse fit savoir que
les démarches nécessaires seraient entreprises pour
obtenir l'interrogatoire de Rehmar avant l'instruc-
tion.
La demanderesse fait état que les Règles n'auto-
risent pas l'interrogatoire d'un tiers au litige qui
n'habite pas au Canada, particulièrement un
inventeur à la retraite dont elle n'a plus le contrôle.
M. Rehmar a plus de 87 ans et a fait savoir qu'il
ne se soumettra pas volontairement à un interroga-
toire préalable. Il n'est pas, ni n'a jamais été,
l'employé de la demanderesse et celle-ci n'a aucun
contrôle, quel qu'il soit, sur lui.
Il y a eu apparemment un entretien téléphoni-
que entre les avocats des parties, d'où résulta la
lettre des avocats de la demanderesse du 22 mai
1980, et la réponse qui y fut faite le 4 juin 1980,
lettres que je considère utile de reproduire ici pour
illustrer le litige qui oppose les parties.
Les avocats de la demanderesse écrivirent:
[TRADUCTION] Nous avons pris acte des informations que
vous nous avez communiquées lors de votre coup de téléphone
du 18 mai 1980, soit que vous avez l'intention d'interroger au
préalable M. Rehmar, l'inventeur dont le nom figure sur le
brevet en litige, devant la Cour fédérale qui a en effet compé-
tence en la matière qui fait l'objet du litige entre nos clients
respectifs.
Il semblerait que'vous admettiez que les Règles de la Cour
fédérale, et les décisions qui les ont interprétées, ne vous
autorisent pas à procéder à l'interrogatoire préalable de M.
Rehmar. Il nous semble en outre que vous cherchez à contour-
ner les Règles, et même la Cour fédérale elle-même, en dépit du
fait que cette action soit régie par les Règles de pratique de la
Cour fédérale. Nous craignons que les actions que vous vous
proposez d'entreprendre puissent être considérées comme un
outrage à la Cour fédérale, aussi hésitons-nous à, nous impli-
quer dans celles-ci.
Cette procédure que vous envisagez suscite un certain
nombre de questions qui à notre avis devraient être réglées par
une requête à la Cour fédérale pour obtenir ses directives.
D'abord est-il régulier que M. Rehmar soit interrogé compte
tenu de la pratique de la Cour fédérale? Advenant que M.
Rehmar témoigne devant une commission rogatoire, pouvez-
vous démontrer qu'il a refusé de comparaître à l'instruction de
la présente demande? Si M. Rehmar témoigne devant la com
mission rogatoire à votre requête, comparaît-il comme votre
témoin et serons-nous en droit de le contre-interroger? Si vous
envisagez d'obtenir le témoignage de M. Rehmar devant une
commission rogatoire, celui-ci ne devrait-il pas être lu au cours
de l'instance en son entier ou vous estimez-vous autorisés à ne
nous lire que les passages qui, selon vous, sont pertinents, parce
que favorables à votre cause?
Étant donné que nous sommes d'avis que la procédure que
vous envisagez constitue une tentative manifeste de contourner
les Règles de la Cour fédérale, je vous propose de présenter
votre requête pour directives dans les plus brefs délais. Si vous
ne la présentez pas, nous présenterons la nôtre. Nous ne voyons
aucune raison qui justifie de nous imposer des inconvénients et
des frais pour obtenir la déposition de M. Rehmar alors que les
Règles ne prévoient pas son interrogatoire préalable et qu'en
outre, il n'y a aucune preuve qu'on lui ait demandé, et qu'il ait
refusé, de comparaître à l'audition de l'action.
Les avocats de la défenderesse répliquèrent:
[TRADUCTION] Nous avons reçu, ce 29 mai 1980, votre lettre
du 22 mai 1980.
Si vous désirez demander à la Cour fédérale du Canada des
directives au sujet de notre proposition d'obtenir la déposition
de M. Rehmar, nous ne nous y opposons pas.
A notre avis, l'action que nous projetons d'entreprendre pour
obtenir le témoignage de M. Rehmar n'est en nulle manière
outrageante pour la Cour fédérale du Canada. Au contraire,
nous désirons obtenir le témoignage de M. Rehmar afin d'avoir
une déposition de l'inventeur avant de procéder à l'instruction
de l'action.
Dans votre lettre vous dites: «Nous ne voyons aucune raison
qui justifie de nous imposer des inconvénients et des frais pour
obtenir la déposition de M. Rehmar alors que les Règles ne
prévoient pas son interrogatoire préalable et qu'en outre, il n'y
a aucune preuve qu'on lui ait demandé, et qu'il ait refusé, de
comparaître à l'audition de l'action.» Au contraire, la Règle,
465(5) de la Cour fédérale prévoit l'interrogatoire de M.
Rehmar: «Le cédant d'un brevet d'invention, d'un droit d'au-
teur, d'une marque de commerce, d'un dessin industriel ou de
tout bien, droit ou intérêt peut être interrogé au préalable par
une partie qui est opposée à tout cessionnaire.» (Lorsque le
contexte le permet, la mention faite dans la présente Règle d'un
individu qui doit être interrogé ou d'un individu qui est inter-
rogé comprend un tel concessionnaire). Vous avez toujours
refusé de présenter volontairement M. Rehmar à l'interroga-
toire préalable conformément à la Règle 465(5) et par votre
fait, vous ne nous laissez d'autres choix que de nous adresser à
la juridiction américaine compétente en la matière. Si M.
Rehmar habitait le Canada, il n'y aurait aucune difficulté à
obtenir son témoignage. Au contraire vous vous êtes servis du
fait, une technicalité, que M. Rehmar habite les États-Unis
pour éviter que nous puissions l'interroger au préalable.
Nous allons donc examiner la déposition préalable de M.
Rehmar avant de décider s'il faut, le cas échéant, prendre
d'autres mesures.
Enfin nous vous rappelons que ce n'est pas la première fois
que des justiciables en une instance devant la Cour fédérale du
Canada ont recours à la loi américaine pertinente.
Pour ce qui est du dernier paragraphe, à l'audi-
tion de la requête, j'ai demandé à l'avocat de la
défenderesse de me citer les instances auxquelles il
se référait, quelle requête antérieure avait été faite
à la Cour et si aucune autorisation antérieure
n'avait été ainsi demandée, puis obtenue, pour des
commissions ou lettres rogatoires, y avait-il des
dépositions ainsi obtenues qui aient été déclarées
admissibles lors de l'instruction d'une action
devant la Cour?
Il n'a pu me répondre. Il avait simplement voulu
dire qu'à trois occasions, à sa connaissance, on
avait demandé à des juridictions de tel ou tel État
américain d'obliger un de leurs résidents à compa-
raître et à témoigner, sans qu'aucune intervention
n'ait été faite devant la Cour, mais que la déposi-
tion ainsi obtenue n'avait pas apparemment été
administrée en preuve au cours de l'audition de
l'action dont la Cour avait été saisie.
Cela ne me laisse donc aucun précédent dans
notre juridiction; ce dont je me doutais fort.
J'ai laissé entendre qu'il n'était pas de ma com-
pétence d'intervenir dans ce qu'une juridiction
étrangère pourrait faire selon les lois qu'elle peut
avoir à appliquer et à exécuter. Je n'ai certaine-
ment aucun pouvoir en ce sens. Ma première
réaction a été qu'il vaudrait probablement mieux
laisser au juge du fond le soin de décider de
l'admissibilité du témoignage ainsi obtenu, adve-
nant qu'il soit présenté lors de l'instruction à titre
de preuve, mais l'ordonnance que demande la
demanderesse en tant que requérante en l'instance
a une portée beaucoup plus importante.
La demanderesse a fait valoir que la défende-
resse en voulant obtenir d'un tribunal étranger une
ordonnance forçant l'inventeur à comparaître à un
interrogatoire relatif à une action engagée devant
notre juridiction, agissait fort irrégulièrement lors-
que la procédure qu'on envisageait d'engager en ce
sens n'était pas d'abord arrêtée par une requête
pour directives présentée à notre juridiction.
A vrai dire la logique de cette proposition s'est
imposée à moi, mais non apparemment au procu-
reur de la défenderesse, qui l'a sereinement ignorée
et a présenté unilatéralement une requête à un
juge de la Cour de District des États-Unis pour le
District nord de l'Ohio, sur le fondement du 28
U.S.C. § 1782, pour obtenir une ordonnance enjoi-
gnant le lancement d'une assignation, subpoena
duces tecum au nom de Solomon J. Rehmar, lui
ordonnant de se présenter et [TRADUCTION] «de
déposer au préalable, sa déposition devant être
consignée par Sternson après l'interrogatoire oral,
pour servir dans une instance actuellement pen-
dante devant la Cour fédérale du Canada, Division
de première instance».
La requérante, Sternson, demandait qu'on
ordonne que [TRADUCTION] «le témoignage soit
consigné conformément aux Règles fédérales de
procédure civile». Sans doute s'agit-il de règles
applicables dans cette juridiction étrangère car une
telle expression est inconnue dans la nôtre.
Voici le texte et le titre du paragraphe 1782
(vraisemblablement une loi fédérale):
[TRADUCTION] § 1782. Assistance aux tribunaux étrangers et
internationaux et aux justiciables agissant devant
eux.
a) La cour de district du district de résidence d'un individu,
ou de celui où on le trouve, peut lui ordonner de rendre
témoignage, ou de déposer, ou encore de déposer des pièces ou
autres objets pouvant servir dans une instance devant un tribu
nal étranger ou international. L'ordonnance peut être rendue
sur le fondement d'une commission ou lettre rogatoire interna-
tionale donnée par un tribunal étranger ou international, ou sur
requête de tout intéressé; elle peut enjoindre que le témoignage
ou la déposition soit faite, ou que la pièce ou autre objet soit
déposé devant celui que nomme la cour.
La requête, ex parte, qui n'est pas datée, mais
qui semble avoir été déposée près le tribunal étran-
ger le 10 juin 1980, fut instruite ce jour-là par le
juge de ce tribunal, lequel annota en marge de la
requête: «Requête accueillie. Ainsi en est-il
ordonné. Frank J. Battisti». Je présume qu'il n'y a
pas obligation de rendre une semblable ordonnance
mais qu'elle est discrétionnaire.
La requête fut faite sans notification à la partie
adverse et donc, malheureusement, le distingué
juge a été privé de l'avantage d'entendre les argu
ments qui auraient pu s'opposer à ce qu'elle soit
accordée. En substance on a surtout insisté devant
moi pour dire que rien n'autorise d'accorder une
ordonnance forçant le cédant d'un brevet qui n'ha-
bite pas le Canada à subir un interrogatoire préa-
lable, que ce soit ou non au Canada; ce faire serait
contraire à la loi de notre pays.
Le précédent juge en chef de notre juridiction a
eu l'opportunité de connaître de la question dans
Lido Industrial Products Ltd. c. Teledyne Indus
tries, Inc. [1979] 1 C.F. 310 lorsqu'il prononça
l'arrêt de la Cour d'appel.
La Division de première instance avait rejeté
une requête pour ordonnance, qui aurait enjoint de
présenter le cédant d'un brevet habitant aux États-
Unis pour qu'il soit interrogé au préalable sur le
fondement de la Règle 465(5). Il y eut appel.
Le juge en chef Jackett rejeta l'appel car aucune
jurisprudence n'autorisait l'ordonnance demandée.
Aucune n'avait été citée et il n'en connaissait
aucune.
Ayant ainsi statué, il jugea utile d'expliquer
pourquoi la demande d'ordonnance était non seule-
ment mal conçue mais constituait une tentative
d'exercer un recours que ne permettaient pas les
Règles.
Il déclare aux pages 311 et 312:
Tel que je l'entends, l'interrogatoire préalable est, dans l'ac-
ception générale du terme, un acte de procédure antérieur au
procès par lequel une partie cherche à obtenir des renseigne-
ments ou des aveux de l'autre partie; il s'agit là d'un des rares
éléments de notre procédure qui n'ont pas leur origine dans les
règles de procédure du Royaume-Uni. Cette pratique est deve-
nue courante devant presque toutes les cours supérieures du
Canada mais, dans chaque juridiction, elle participe de la loi
applicable en la matière ainsi que des règles de procédure qui
en sont issues.
La règle applicable était la Règle 465 des
Règles de la Cour fédérale, adoptée en application
de l'article 46 de la Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10.
Le juge en chef expliqua qu'on n'a pas à obtenir
une ordonnance de la Cour pour un interrogatoire
préalable sauf dans des circonstances exceptionnel-
les.
Le cas le plus simple est celui de l'action qu'in-
tente un individu contre un autre alors que l'une
des parties interroge l'autre (Règle 465(1),(2) et
(3)). Alors aucune ordonnance de la Cour n'est
prévue à moins qu'il ne faille nommer un examina-
teur (Règle 465(6)c)).
La sanction applicable à la partie qui fait défaut
de se soumettre à l'interrogatoire préalable ou de
répondre aux questions que demande la Cour est,
lorsqu'il s'agit du défendeur, la radiation de la
défense ou, dans le cas du demandeur, le rejet de
l'action.
Seconde exception: l'interrogatoire préalable de
la Couronne ou d'une personne morale. Advenant
que les parties ne puissent s'entendre au sujet du
fonctionnaire ou du dirigeant à interroger, on
s'adresse alors à la Cour pour qu'elle le désigne
(Règle 465(1)b),c)).
D'après la Règle 465(12), il est possible qu'un
interrogatoire préalable puisse, dans certains cas,
avoir lieu à l'extérieur du Canada, mais seulement
en vertu d'une convention ou de l'autorité d'une
ordonnance judiciaire. C'est là la troisième excep
tion à la règle générale voulant qu'aucune ordon-
nance judiciaire ne soit nécessaire pour obtenir un
interrogatoire préalable.
Voici la Règle 465(5):
Règle 465. .. .
(5) Le cédant d'un brevet d'invention, d'un droit d'auteur,
d'une marque de commerce, d'un dessin industriel ou de tout
bien, droit ou intérêt peut être interrogé au préalable par une
partie qui est opposée à tout cessionnaire. (Lorsque le contexte
le permet, la mention faite dans la présente Règle d'un individu
qui doit être interrogé ou d'un individu qui est interrogé
comprend un tel concessionnaire).
Commentant cette disposition en quelque sorte
inhabituelle, le juge en chef déclara ceci, aux
pages 313 et 314:
La Règle 465 prévoit également (Règle 465(5)) une procé-
dure rangée sous le vocable d'interrogatoire préalable mais qui
ne s'accorde pas avec l'acception commune de cette expression.
Il ne s'agit pas d'un interrogatoire préalable d'une partie par
une autre, mais d'un interrogatoire, antérieur au procès, d'un
témoin potentiel, et la seule personne susceptible d'être interro-
gée est le cédant d'un droit qui fait l'objet du litige, cette
personne étant susceptible d'être interrogée qu'elle soit ou non
un membre de la direction ou un employé de la partie adverse.
La comparution de la personne assujettie à l'interrogatoire
prévu à la Règle 465(5) est assurée par subpoena (Règle
465(9)); dans ces conditions, cette personne n'est pas soumise
au contrôle de la partie adverse et elle ne risque pas de voir sa
défense radiée ou sa demande rejetée pour défaut ou pour refus
de répondre ainsi qu'elle en est requise. (Règle 465(20).) II est
à croire qu'aux termes de la Règle 465(12), la Cour peut
autoriser un tel interrogatoire à l'extérieur du Canada, mais
nulle disposition des Règles n'habilite la Cour à ordonner à une
telle personne de comparaître, que ce soit à l'intérieur ou à
l'extérieur du Canada; un tel pouvoir est exclu si l'on tient
compte du fait que le subpoena s'applique à l'intérieur du
Canada et que la Cour ne peut rendre des ordonnances ou
autres moyens de contrainte exécutoires à l'extérieur de son
ressort territorial (voir McGuire c. McGuire [1953] O.R. 328).
En d'autres termes, dans le contexte de la Règle 465, la portée
de la Règle 465(5) est implicitement restreinte en ce sens
qu'elle ne s'applique pas au cas où la personne à interroger se
trouve à l'extérieur du Canada et ne peut faire l'objet d'un
subpoena émanant d'un tribunal canadien. Ceci n'exclut pas la
possibilité d'un accord international entre le Canada et un
autre pays, dûment ratifié de part et d'autre, qui autorise un
interrogatoire dans ces conditions. Je n'ai connaissance d'aucun
accord de ce genre qui prévoit l'interrogatoire, antérieur au
procès, de témoins potentiels, acte de procédure tout différent
de celui qui vise à obtenir des témoignages dans un pays en vue
d'un procès dans l'autre pays.
Je me suis longuement étendu sur ce sujet pour faire ressortir
qu'à mon avis, l'appelante n'a pas gain de cause non seulement
parce qu'elle a mal formulé sa demande mais encore parce
qu'elle invoque un recours auquel elle n'a nullement droit, aux
termes des Règles. Par la même occasion, j'ai voulu souligner
qu'il semble y avoir une tendance à demander à la Cour des
ordonnances concernant les détails d'organisation d'un interro-
gatoire préalable (personne à interroger, temps, lieu, etc.) et à
surcharger ainsi le rôle de la Cour, dans les cas mêmes où les
Règles ne prévoient rien de tel.
Au cours du débat devant moi, l'avocat de la
défenderesse soutint que si le juge en chef avait eu
connaissance du paragraphe 1782 du United
States Code, il aurait statué dans un autre sens.
Il basait son argument sur le texte d'un extrait
de la citation ci-dessus que voici:
Ceci n'exclut pas la possibilité d'un accord international entre
le Canada et un autre pays, dûment ratifié de part et d'autre,
qui autorise un interrogatoire dans ces conditions. Je n'ai
connaissance d'aucun accord de ce genre qui prévoit l'interro-
gatoire, antérieur au procès, de témoins potentiels, acte de
procédure tout différent de celui qui vise à obtenir des témoi-
gnages dans un pays en vue d'un procès dans l'autre pays.
Lorsque le juge en chef a parlé d'une convention
internationale qu'une loi d'exécution introduirait
dans le droit interne de chaque État contractant, il
voulait dire précisément ce qu'il a dit.
Il ne voulait pas parler d'une législation interne
comme le paragraphe 1782 du United States Code
semble être. Il voulait parler, comme il a dit, de
lois parallèles, mutuellement adoptées par les États
parties à une convention internationale introdui-
sant les stipulations de la convention contractée
dans le droit interne de chaque État. Rien n'indi-
que que le paragraphe 1782 ait été une semblable
loi d'exécution.
En soutenant que c'est le cas, l'avocat doit faire
une analogie entre le droit interne d'un État étran-
ger en soi et le droit que cet État adopte pour
exécuter les obligations contractées comme signa-
taire d'une convention internationale. Aucune sem-
blable analogie n'existe.
L'avocat de la défenderesse n'a pu me référer à
aucune semblable convention, sans doute parce
qu'aucune n'existe. J'ajouterais que j'ai moi-même
recherché une telle convention en vain.
Le juge en chef Jackett a déclaré qu'il y a une
limite implicite à la Règle 465(5), en ce qu'elle ne
peut s'appliquer lorsque celui que l'on veut interro-
ger au préalable est à l'extérieur du Canada.
On ne peut recourir à une commission rogatoire
pour un interrogatoire préalable du cédant d'un
brevet d'invention habitant à l'extérieur du
Canada.
Le juge Cameron dans Lovell Manufacturing
Co. c. Beatty Bros. Ltd. (1961) 35 C.P.R. 12 a dit
[à la page 13]:
[TRADUCTION] A mon avis la Règle 129 n'autorise pas la Cour
à donner une commission pour l'interrogatoire préalable d'un
cédant d'un brevet d'invention (qui, en l'espèce, n'est pas partie
à l'instance) hors du Canada.
Dans Textron Canada Ltd. c. Rodi & Wienen-
berger AG [1973] C.F. 667, le juge Kerr a jugé
que des ordonnances donnant commission d'inter-
roger les cédants d'un brevet résidant en Allema-
gne et au Japon ne pouvaient être rendues sur le
fondement de la Règle 477, c.-à-d. par commission
rogatoire. La Règle 477 des Règles de la Cour
fédérale succède à la Règle 129 des Règles de la
Cour de l'Échiquier dont parle le juge Cameron.
Toutefois il a admis la possibilité d'accorder une
ordonnance pour interrogatoire préalable selon la
Règle 465 (12), analogue à celle envisagée par la
Règle 477, advenant démonstration de l'existence
d'une convention ou d'un traité intervenu entre le
Canada, l'Allemagne et le Japon, en vertu de
laquelle les interrogatoires demandés seraient
tenus ou permis selon la loi de ces pays. Il a donc
suspendu la requête pour un mois afin de permet-
tre aux avocats des parties de s'en enquérir. Appa-
remment l'affaire Textron fut réglée peu après que
le jugement du juge Kerr eut été rendu; en consé-
quence la requête fut abandonnée.
Dans Xerox of Canada Ltd. c. IBM Canada
Ltd., IBM Canada Ltée [1976] 1 C.F. 213, la
défenderesse présenta une requête au juge Heald
pour que soient rendues des ordonnances autori-
sant de donner commission rogatoire pour l'inter-
rogatoire préalable de dix-huit inventeurs et
cédants de brevets résidant dans cinq juridictions
différentes aux États-Unis. La défenderesse invo-
quait les alinéas (5) et (12) de la Règle 465 ainsi
que les remarques du juge Kerr dans l'affaire
Textron (précitée), soit que si on pouvait le con-
vaincre que l'ordonnance serait exécutoire selon le
droit du pays où la commission devrait être exécu-
tée, il accepterait d'être saisi d'une requête à cette
fin.
A l'appui de la requête soumise au juge Heald,
la défenderesse fournissait des dépositions sous
serment d'un juriste compétent de chacune des
juridictions de New York, du Connecticut et de
deux districts en Californie, selon lesquels les tri-
bunaux de ces juridictions donneraient effet aux
lettres rogatoires de la Cour, permettant à la
défenderesse d'obtenir l'interrogatoire préalable
des cédants d'un brevet habitant ces juridictions.
En réplique les demanderesses produisirent les
dépositions, sous serment, de juristes aussi compé-
tents dont les opinions étaient diamétralement
opposées. On était formellement d'avis que les
tribunaux de Californie ne donneraient pas effet à
ces lettres rogatoires puisque les témoignages ainsi
obtenus ne pourraient être administrés comme
preuve en l'instance et ne serviraient qu'à obtenir
de plus amples renseignements. Cela pourrait ne
pas se révéler être le cas.
Les auteurs de ces réfutations étaient clairement
d'avis que les tribunaux du Connecticut et de New
York n'agiraient pas sur la foi de commissions ou
lettres rogatoires de la Cour vu son incapacité
d'offrir la réciproque en vertu du droit de notre
pays. On a déjà jugé que cette incapacité d'offrir
la réciproque existait.
Selon l'article 43 de la Loi sur la preuve au
Canada, S.R.C. 1970, c. E-10, une juridiction
canadienne a le pouvoir discrétionnaire d'ordonner
de comparaître au Canada à une partie ou à un
témoin présent dans son ressort lorsqu'il paraît
qu'une juridiction étrangère compétente désire
obtenir son «témoignage» relativement à une
affaire pendante devant elle.
L'article 60 de The Evidence Act de l'Ontario
est au même effet.
Dans l'affaire Raychem Corp. c. Canusa Coat
ing Systems, Inc. [1971] 1 O.R. 192, le juge
Brooke de la Cour d'appel dit à la page 197:
[TRADUCTION] La loi dans la province est, que l'on procède
selon les dispositions pertinentes de The Evidence Act de
l'Ontario, S.R.O. 1960, c. 125, ou de la Loi sur la preuve au
Canada, S.R.C. 1952, c. 307, que la Cour n'ordonne l'interro-
gatoire d'un témoin que s'il est clair que ce qu'on recherche est
pour les fins de la preuve à administrer au procès. Aucune
ordonnance semblable ne sera rendue si son objet principal est
d'employer une telle procédure pour obtenir de la prevue et des
renseignements comme on le fait lors d'un interrogatoire préa-
lable. Dans l'affaire Radio Corp. of America c. Rauland Corp.
et al. [1956] O.R. 630 la p. 635, 5 D.L.R. (2e) 424 la p.
428, 26 C.P.R. 29, le juge Gale, c'était alors son titre, fit siens
les dires du juge Devlin dans Radio Corp. of America c.
Rauland Corp. et al. [1956] 1 Q.B. 618 la p. 646, disant:
Le témoignage qui de par sa nature sert de preuve au procès
est admissible. Le témoignage, si l'on peut appeler cela un
«témoignage», qui ne consiste qu'en de simples réponses à des
questions au cours de la procédure d'interrogatoire préalable
conçue pour mener à une investigation, n'est pas permis.
Incidemment l'emploi du terme «témoignage» au
paragraphe 1782 du United States Code m'a
amené à me référer à la définition de ce terme
dans le Black's Law Dictionary, 5e édition, cet
ouvrage définissant les termes et aphorismes de la
science juridique américaine et anglaise.
On y définit témoignage au sens propre comme
signifiant:
[TRADUCTION] ... uniquement la preuve qu'apporte un témoin
au cours de l'instruction d'une affaire soit oralement, soit sous
forme de dépositions faites ou non sous serment.
Devant le juge Heald, on s'opposait aux requêtes
pour une double raison.
On faisait d'abord valoir que la Cour n'a jamais
la compétence de donner des commissions rogatoi-
res à un tribunal étranger.
Le juge Heald, étant donné la manière dont il
statua en l'instance, n'élabora pas sur la nature
exacte de ce moyen ni sur les motifs avancés à son
appui. Il est concevable, mais c'est là pure spécula-
tion, que ce soit parce qu'il y a incompétence en
l'absence de convention internationale ou de traité
qu'exécuterait une législation interne des États
contractants qui autoriserait les interrogatoires de
la nature de ceux en cause ou, encore, parce que ni
la Loi sur la Cour fédérale, ni les Règles prises en
application de celle-ci, ne le permettent expressé-
ment.
Le deuxième moyen qu'on a fait valoir était que
«même si la présente Cour a cette compétence, il
s'agit d'un pouvoir discrétionnaire qui ne devrait
pas être exercé dans le but d'ordonner l'interroga-
toire préalable d'un cédant qui n'est pas partie à
l'action». Il s'agit d'un extrait des motifs du juge-
ment du juge Heald, page 217. La citation est
extraite de son contexte; aussi, à la lumière de la
Règle 465(5), je présume qu'on devrait y ajouter:
[TRADUCTION] «habitant hors de la juridiction,
l'interrogatoire devant se faire selon les directives
du tribunal de la juridiction de résidence du
cédant».
Le juge Heald a bien dit cependant que ce
pouvoir discrétionnaire ne devrait pas être exercé,
la Cour fédérale du Canada ne pouvant offrir la
réciproque; il s'ensuivait qu'on ne devait pas
demander à un tribunal étranger de faire ce qu'on
ne pourrait faire pour lui.
Il refusa de donner les commissions rogatoires
demandées, n'étant pas convaincu, d'après la
preuve, contradictoire, du droit en vigueur dans
quatre de ces juridictions, que les tribunaux de
celles-ci leur donneraient effet (aucune preuve por-
tant sur le droit de la cinquième juridiction n'ayant
été administrée) et, en outre, que la défenderesse
subirait un préjudice du fait de son refus de rendre
les ordonnances demandées car celle-ci peut tou-
jours se prévaloir de la procédure normale d'inter-
rogatoire des parties prévue par la Règle 465.
Cette même procédure normale d'interrogatoire
des parties, la défenderesse peut s'en prévaloir en
la présente action, mais elle n'en démord pas et
insiste pour interroger le cédant initial, l'inventeur.
Le juge Kerr, dans l'affaire Textron (précitée),
a clairement laissé entendre qu'à son avis une
ordonnance d'interrogatoire préalable d'un cédant
habitant hors de la juridiction pouvait se faire et
être accordée. Il dit à la page 668:
Cependant, j'estime qu'en l'absence de dispositions précises
sur la manière dont doit se dérouler l'interrogatoire préalable
de cédants de brevet situés hors du Canada, la Règle 465(12)
autorise la Cour à rendre des ordonnances pour interrogatoire
préalable sur le même modèle que les ordonnances prévues par
la Règle 477(1) ou même, mais ceci est moins souhaitable,
d'instituer, avec les modifications qui s'imposent, des commis
sions rogatoires devant procéder aux interrogatoires. Je n'ai pas
à préjuger à ce stade de l'usage qui pourra être fait de
l'interrogatoire si celui-ci a lieu; il se peut fort bien qu'il se
révèle utile même si ce n'est que pour renseigner la demande-
resse. Je n'ai pas non plus à me demander si les cédants se
soumettront à cet interrogatoire et, dans la négative, quels
recours pourrait alors avoir la demanderesse.
Il ajoute, à la page 669:
Je suis disposé à rendre dans les termes appropriés une
ordonnance prévoyant l'interrogatoire préalable des cédants au
Japon et en Allemagne, ou selon ce qui sera jugé approprié,
mais auparavant je voudrais être assuré qu'il existe des chances
raisonnables qu'une telle décision soit applicable selon le droit
de ces pays.
Le juge Kerr s'est fondé pour accepter d'accor-
der une semblable ordonnance, sur la Règle
465(12), que voici:
Règle 465. .. .
(12) Lorsqu'un individu qui doit être interrogé au préalable
est hors du ressort de la Cour, temporairement ou d'une façon
permanente, la Cour pourra ordonner, ou les parties pourront
convenir, que l'interrogatoire préalable soit tenu à un endroit,
et de telle manière, qui sera considérée comme juste et
convenable.
Selon la Règle 465(5) celui qui cède un brevet
peut être interrogé au préalable par toute partie
opposée au cessionnaire.
La défenderesse remplit cette condition.
Solomon J. Rehmar est bien un cédant que la
défenderesse peut interroger. C'est aussi «un indi-
vidu qui doit être interrogé au préalable ... hors
du ressort ... d'une façon permanente».
En vertu de la Règle 465(16), il:
... doit répondre à toute question sur tout fait dont elle a
connaissance et qui peut soit démontrer ou tendre à démontrer
une allégation de fait non admis dans une plaidoirie du cession-
naire ... soit réfuter ou tendre à réfuter une telle allégation de
fait.
L'usage que l'on peut faire à l'instruction de
l'action d'un interrogatoire préalable est énoncé à
la Règle 494(9) qui prévoit notamment:
Règle 494. .. .
(9) Une partie peut, à l'instruction d'une action, utiliser en
preuve contre une autre partie tout passage de l'interrogatoire
préalable qu'elle a fait subir à cette autre partie, mais.....
Vu la disposition expresse de la Règle 494(9), la
question se pose de savoir si, en dépit de la disposi-
tion de la Règle 465(5), selon laquelle le cédant
d'un brevet qui n'est pas une partie à l'instance
peut être interrogé au préalable par une partie qui
s'oppose au cessionnaire et qui, d'après la Règle
465(16), a l'obligation de répondre à toutes les
questions portant sur des allégations faites dans les
actes de procédure, et qui n'ont pas été admises,
les renseignements ainsi obtenus peuvent être
administrés en preuve. Mon collègue le juge
Mahoney a répondu à cette question. Je me référe-
rai à cette décision plus tard.
Le juge Kerr n'a pas décidé de l'usage pouvant
être fait de l'interrogatoire préalable advenant
qu'il l'ait ordonné sauf pour faire la remarque
suivante:
... il se peut fort bien qu'il se révèle utile même si ce n'est que
pour renseigner la demanderesse.
Le juge en chef Jackett dans l'affaire Lido
(précitée) a dit que ce que l'on décrit à la Règle
465(5) comme l'interrogatoire préalable d'un tiers
n'est pas ce qu'on entend habituellement par inter-
rogatoire préalable. Ce serait «un interrogatoire,
antérieur au procès, d'un témoin potentiel», le
cédant d'un droit de propriété industrielle.
Quant à la Règle 465(12), que le juge Kerr était
prêt à invoquer pour ordonner l'examen préalable
dans l'affaire Textron, pourvu que l'ordonnance
puisse être exécutée selon la loi étrangère, le juge
en chef Jackett, examinant la Règle 465(12), dit,
dans l'affaire Lido:
Il est à croire qu'aux termes de la Règle 465(12), la Cour peut
autoriser un tel interrogatoire à l'extérieur du Canada, mais
nulle disposition des Règles n'habilite la Cour à ordonner à une
telle personne de comparaître, que ce soit à l'intérieur ou à
l'extérieur du Canada; un tel pouvoir est exclu si l'on tient
compte du fait que le subpoena s'applique à l'intérieur du
Canada et que la Cour ne peut rendre des ordonnances ou
autres moyens de contrainte exécutoires à l'extérieur de son
ressort territorial.
C'est cela, et de semblables considérations, qui
l'ont amené à dire que la Règle 465(5) «ne s'appli-
que pas au cas où la personne à interroger se
trouve à l'extérieur du Canada et ne peut faire
l'objet d'un subpoena émanant d'un tribunal
canadien».
Comme je perçois sa conclusion, c'est parce que
les propres voies de droit de la Cour ne lui permet-
tent pas d'exécuter l'ordonnance qu'elle ne la rend
pas. Les Règles de la Cour ne prévoient pas que
l'on puisse rendre une telle ordonnance.
Mais le juge en chef Jackett n'a pas écarté la
possibilité qu'il puisse y avoir d'autres moyens
d'arriver à la même fin.
On ne peut recourir à une commission pour
interrogatoire préalable du cédant d'un brevet à
l'extérieur du Canada: voir ce que dit le juge
Cameron dans Lovell Manufacturing Co. c. Beatty
Bros. Ltd. (précité) et le juge Kerr dans l'affaire
Textron.
On ne peut non plus utiliser des commissions ou
lettres rogatoires pour arriver à cette fin. Voir ce
que dit le juge Brooke de la Cour d'appel dans les
affaires Raychem Corp. (précitée), Radio Corp. of
America c. Rauland Corp. [1956] 1 All E.R. 549
et Radio Corp. of America c. The Rauland Corp.
[1956] O.R. 630. La raison en est que l'objet des
commissions et lettres rogatoires est l'obtention de
témoignages hors de la juridiction, destinés à servir
de preuve testimoniale dans une action engagée
dans la juridiction; elles n'ont pas pour fin princi-
pale la recherche de preuve et d'information
comme c'est le cas de l'interrogatoire préalable.
Le juge en chef Jackett était d'avis que cela
pourrait se faire en vertu d'une convention interna-
tionale dûment exécutée.
Le juge Kerr, dans l'affaire Textron, n'ignorait
pas qu'il puisse y avoir des conventions ou traités
internationaux exécutoires qui autorisent la tenue
d'un interrogatoire préalable dans les pays étran-
gers contractants, mais on ne lui avait cité aucun
semblable traité. En l'absence de convention ou
traité de ce genre, il était néanmoins disposé en
raison de la Règle 465(12), à rendre une ordon-
nance analogue à une commission de consignation
de témoignage afin de permettre la tenue d'un
interrogatoire préalable du cédant d'un brevet
habitant à l'extérieur du Canada. Avant de ce
faire il demandait qu'on le satisfasse de ce que la
loi de la juridiction étrangère permettrait de le
faire.
L'avocat de la défenderesse savait très bien, nul
doute, que la Cour de District des États-Unis pour
le District nord de l'Ohio pourrait accéder à une
telle requête, si on se rappelle sa déclaration selon
laquelle cela fut fait au moins à trois reprises
auparavant, à sa connaissance, quoiqu'il n'ait pas
dit où elles eurent lieu.
De toute façon, la Cour de District des États-
Unis pour le District nord de l'Ohio, se fondant sur
le paragraphe 1782 du United States Code, a
obtempéré à la demande, ex parte, soumise sans
commission ni lettres rogatoires, que Solomon J.
Rehmar soit tenu de «déposer au préalable», sa
déposition devant être consignée après l'interroga-
toire oral «pour servir en une instance actuellement
pendante devant la Cour fédérale du Canada,
Division de première instance».
La défenderesse savait donc que la condition
d'obtention de l'ordonnance que le juge Kerr envi-
sageait de rendre dans l'affaire Textron pouvait
être réalisée non seulement au cas où la Cour
rendrait l'ordonnance mais même sans une telle
ordonnance.
Un tribunal est maître de sa propre procédure et
de la conduite de l'instance dont il est saisi confor-
mément au droit général applicable et à ses pro-
pres règles; c'est axiomatique. C'est pour cette
raison que j'ai estimé inapproprié de la part de la
défenderesse d'obtenir l'ordonnance d'un tribunal
étranger forçant à comparaître le cédant d'une
invention habitant dans cette juridiction pour subir
un interrogatoire relativement à une action enga
gée devant la Cour sans avoir au préalable recours
aux voies de droit qu'elle lui ouvrait.
Avoir au préalable recours aux voies de droit de
la Cour, cela la défenderesse ne l'a pas fait.
Au contraire elle l'a ignoré.
Il se peut qu'elle ait jugé qu'une requête pour
directives était vouée à l'échec et contraire à sa
conception de ce que le droit devrait être, mais ce
n'est pas là une raison pour faire dire par ce moyen
ce qu'est le droit en cas de doute.
On ne peut douter par ailleurs que ce que la
défenderesse voulait, et a atteint, ce n'était pas le
témoignage de Solomon J. Rehmar en tant que
témoin pour servir lors de l'instruction de l'action,
auquel cas rien semble-t-il ne se serait opposé à ce
qu'une ordonnance donne une commission ou des
lettres rogatoires. Ce qu'on voulait, et ce qu'on a
obtenu, sans commission ni lettres rogatoires mais
par requête unilatérale, présentée à une juridiction
étrangère, est décrit comme une déposition préala-
ble destinée à servir en l'instance dont la Cour est
saisie.
Si je comprends bien, la déposition orale aux
États-Unis constitue un instrument d'interroga-
toire préalable servant aux mêmes fins que l'inter-
rogatoire préalable proprement dit de notre
juridiction.
De plus l'avocat de la défenderesse a franche-
ment admis qu'il ne voulait pas se présenter au
procès sans d'abord avoir soumis le cédant du
brevet à un interrogatoire préalable. Il ne recher-
chait pas le «témoignage du cédant». Il était donc à
la recherche de renseignements et d'un fil conduc-
teur pour investiguer.
La requête présentée à la Cour de District des
États-Unis alléguait que la fin de la déposition
préalable faite sur interrogatoire oral était de
«servir en une instance actuellement pendante
devant la Cour fédérale du Canada».
Cette affirmation peut avoir été trompeuse et
inexacte. Pour le moins elle est ambiguë.
Le juge Kerr dans l'affaire Textron n'a pas
décidé de l'usage qu'on pourrait faire de l'interro-
gatoire préalable qu'il envisageait d'ordonner si ce
n'est pour dire qu'il pourrait être utile.
La question s'est posée au cours de la plaidoirie
de l'avocat de la défenderesse. J'ai pensé alors
qu'au mieux il pourrait servir au contre-interroga-
toire de M. Rehmar advenant qu'il soit appelé à
témoigner par la demanderesse à l'instruction;
j'entretenais des réserves sur le fait qu'une portion
quelconque de la déposition préalable, consignée
par écrit, puisse servir de preuve à l'instruction sur
le fondement de la Règle 494(9).
Par sa décision dans Dennison Manufacturing
Co. of Canada Ltd. c. Dyino of Canada Ltd.
(1976) 23 C.P.R. (2e) 155, le juge Mahoney a
résolu la question.
Après avoir cité la Règle 494(9), soulignant ce
qui s'applique il dit, à la page 162:
Les admissions reçues au cours d'un interrogatoire préalable
ne sont pas faites volontairement mais elles sont obtenues sous
la contrainte légale. En common law, elles ne sont pas accep-
tées en preuve mais elles peuvent servir seulement à contredire
la partie interrogée durant son témoignage au procès. L'admis-
sibilité de ces admissions en preuve dépend entièrement de la
loi. Le seul précédent en l'espèce est la Règle 494(9). Cette
règle sert de précédent uniquement pour que la partie opposée
utilise en preuve les admissions obtenues de l'autre partie; cela
se limite à l'utilisation desdites admissions uniquement contre
leur auteur. Le cédant n'est pas une partie et même dans le cas
contraire, ses admissions ne pourraient pas, aux termes de la
Règle 494(9), servir de preuve contre une autre partie.
Les réserves que j'avais pu entretenir au sujet
des Règles 465(5) et (16) sont écartées par sa
réponse à une question similaire, posée par l'avocat
de la défenderesse agissant devant lui, que voici:
La question posée par la défenderesse est la suivante: quelle
est l'utilité de l'autorisation, en vertu de la Règle 464(5), d'un
interrogatoire préalable de la portée définie par la Règle
465(16) si les résultats ne sont pas admis en preuve? Dans
l'affaire Graydon c. Graydon (1921), 67 D.L.R. 116, aux pp.
117 et 118, le juge Middleton a résumé les objectifs de l'inter-
rogatoire préalable:
[TRADUCTION] L'objectif fondamental est de permettre à la
partie opposée de connaître la cause dans laquelle elle est
concernée et l'objectif secondaire est de permettre à la partie
qui procède à l'interrogatoire d'obtenir de son adversaire des
admissions qui peuvent dispenser d'une preuve plus formelle
à l'audition.
La tenue d'un tel interrogatoire permet de remplir l'objectif
principal mais ce n'est pas le cas de l'objectif secondaire
puisque la personne interrogée n'est pas l'nadversaire» de la
défenderesse en l'espèce, quelle que soit sa position de fait.
Ce sont ces considérations qui suscitèrent ma
première réaction: laisser au juge du fond le soin
de décider de l'admissibilité de la déposition orale,
en tout ou en partie, à l'instruction.
Mais comme déjà dit, l'ordonnance que
demande la demanderesse par sa requête va beau-
coup plus loin et, à mon avis, il y a d'excellents
motifs et une ample jurisprudence qui justifient
d'accorder le recours.
La requête à la Cour de District des États-Unis
était appuyée d'une déclaration sous serment de
l'avocat de la défenderesse.
Au paragraphe 6, l'auteur jure que les princi-
paux points litigieux de l'action en contrefaçon de
brevet sont: la date de l'invention par le cédant et
la nature de l'invention; (2) les étapes allant de la
conception à la réalisation, lesquels appellent des
explications de la part de la défenderesse. On y
jure aussi que le «témoignage» de l'inventeur est
d'une très grande importance. Le mot témoignage
est employé au sens large. On ne demande pas à
l'inventeur d'agir comme témoin. On veut l'inter-
roger préalablement. C'est ce que le paragraphe de
la déclaration établit.
Après avoir énoncé que M. Rehmar n'est pas
partie au litige et n'habite pas au Canada, le
paragraphe 9 poursuit:
[TRADUCTION] La Cour fédérale du Canada n'a donc aucune
compétence pour obliger, en lançant un subpoena ou quelque
autre forme d'assignation, M. Rehmar à se soumettre à un
interrogatoire préalable ....
C'est tout à fait exact et je souscris à cette
affirmation mais je l'énoncerais autrement, à la
lumière des décisions du juge en chef Jackett dans
l'affaire Lido, du juge Brooke de la Cour d'appel
dans l'affaire Re Raychem Corp. c. Canusa Coat
ing Systems, Inc., et des deux décisions sub
nomine Radio Corp. of America c. Rauland Corp.
largement citées ci-dessus. Il est contraire au droit
que la Cour fédérale du Canada ordonne qu'il ait
lieu.
La Cour interdira à un justiciable comparais-
sant devant elle de poursuivre une instance devant
une juridiction étrangère ayant pour fin la recher-
che de preuve ou d'information, relativement à une
action dont elle est saisie, quand une telle instance
devant le for étranger n'est pas permise selon ses
Règles.
Dans The Carron Iron Co. Proprietors c.
Maclaren (1854-56) 5 H.L. Cas. 416, la Chambre
des Lords statua que si les circonstances étaient
telles qu'il serait du devoir du for de la juridiction
d'interdire à une partie d'engager une instance
devant un autre for de la même juridiction, cela
justifierait aussi la Cour de lui imposer la même
restriction pour une instance devant un for
étranger.
Lord Cranworth dit aux pages 436 et 437:
[TRADUCTION] Le pouvoir de la Cour de Chancellerie d'inter-
dire aux personnes se trouvant dans sa juridiction d'engager
une procédure, ou de la poursuivre, devant les tribunaux étran-
gers, lorsque les circonstances de l'espèce rendent cette interpo
sition nécessaire ou utile, ne fait aucun doute. La Cour exerce
sa compétence personnelle et ne saurait souffrir de quiconque
lui est justiciable un comportement contraire à ses notions
d'équité pour l'unique raison que celui-ci peut se trouver en un
lieu hors de sa juridiction.
Je prends en compte que l'arrêt Carron fut
décidé en 1855, mais il faisait encore jurisprudence
en 1928, lorsque le lord juge Scrutton l'appliqua
dans Ellerman Lines, Limited c. Read [1928] 2
K.B. 144 (C.A.).
Dans l'affaire The Christiansborg (1885) 10
P.D. 141, le navire en cause avait été saisi et une
action engagée contre lui en Hollande. Sur cau-
tionnement, la saisie fut levée. Le navire gagna
l'Angleterre où il y fut saisi à nouveau par la
partie agissant contre lui en Hollande.
On demanda, à Sir James Hannen, main-levée
de la saisie effectuée en Angleterre.
Sir James Hannen déclara à la page 143:
[TRADUCTION] Le principe qui je pense devrait servir à résou-
dre la question est que lorsqu'une action a été engagée devant
une juridiction et qu'il n'a pas été montrée qu'elle ne rendra pas
justice, il est de prime abord abusif d'engager une action devant
une autre juridiction.
En appel le lord juge Baggallay déclara aux
pages 152 et 153:
[TRADUCTION] J'estime qu'il est de jurisprudence constante
que lorsqu'un demandeur agit relativement à la même demande
devant deux juridictions, l'une dans notre pays et l'autre à
l'étranger, les tribunaux de notre pays sont autorisés à réagir de
trois façons: mettre la partie ainsi agissante dans l'alternative,
ou encore lui imposer sans lui en laisser le choix, de surseoir à
toute procédure au pays, ou à l'étranger; il ne s'agit pas
formellement de surseoir à une procédure engagée devant un
tribunal étranger mais bien de lancer une injonction interdisant
au demandeur de poursuivre la procédure engagée devant la
juridiction étrangère, laquelle bien entendu ne peut être
exécutée contre celui-ci s'il s'agit d'un étranger ne se trouvant
pas dans le pays ou ni ayant aucun bien. Cette injonction peut
demeurer inopérante mais elle peut aussi permettre effective-
ment d'arrêter la procédure devant le tribunal étranger.
L'ordonnance que j'ai accordée en l'espèce inter-
disait à la défenderesse de poursuivre l'inter-
rogatoire préalable, qu'il n'est pas permis d'ordon-
ner d'après le droit de notre juridiction, mais qui
l'a été par le tribunal étranger, relativement à une
instance ayant lieu entièrement dans notre
juridiction.
Le lord juge Fry déclara à la page 155 de
l'affaire The Christiansborg (précitée):
[TRADUCTION] ... la saisie de la Cour d'amirauté de notre
pays en cette affaire allait contre la bonne foi.
Dans l'affaire Ellerman Lines, Limited c. Read
(précitée), il fut statué que le fait qu'un sujet
britannique ait effectivement obtenu un jugement
devant une juridiction étrangère n'empêchait pas
le tribunal anglais de lancer une injonction interdi-
sant son exécution lorsqu'il était démontré qu'il
avait été obtenu en contravention à un contrat ou
par dol. En accordant l'injonction le tribunal
anglais ne cherchait pas à s'attribuer compétence à
l'encontre de la juridiction étrangère. Il interdisait
à celui qui demandait l'exécution du jugement de
l'obtenir tant en Angleterre qu'ailleurs. L'injonc-
tion était in personam.
Le juge de première instance avait accordé l'in-
jonction interdisant l'exécution du jugement étran-
ger en Angleterre mais il estimait n'avoir pas le
pouvoir d'interdire son exécution hors de la juridic-
tion du for anglais.
Le lord juge Scrutton n'était pas d'accord. Il
déclara, à la page 151:
[TRADUCTION] Ils [les tribunaux anglais] n'accordent pas bien
sûr d'injonctions interdisant à un tribunal étranger d'agir; ils
n'ont pas ce pouvoir; mais ils peuvent accorder une injonction
interdisant à un sujet britannique qui par dol n'exécute pas son
contrat, et qui est partie à l'instance devant eux, de saisir le
tribunal étranger dans le but de percevoir les fruits de son
inexécution dolosive du contrat. Cela découle d'une jurispru
dence constante.
En l'espèce l'injonction n'est pas dirigée contre
le tribunal étranger mais contre une partie à une
action devant lui.
Voici comment le lord juge Atkin énonce la
chose, à la page 155:
[TRADUCTION] Le principe sur lequel se fonde le tribunal
anglais, lorsqu'il accorde des injonctions, n'est pas qu'il cherche
à assujettir le tribunal étranger à sa compétence ni qu'il
s'arroge une quelconque supériorité qui l'autoriserait à lui
dicter ses actes, ni qu'il cherche à critiquer celui-ci ou sa
procédure; le for anglais est concerné par l'attitude personnelle
de celui qui a obtenu le jugement étranger. Si le tribunal
anglais constate qu'un individu assujetti à sa compétence a
enfreint une convention, ou a agi en contravention de quelque
obligation fiduciaire ou en quelque manière a violé les principes
de l'équité et de la conscience, et qu'il serait inique de sa part
de demander l'exécution d'un jugement obtenu en contraven
tion à de telles obligations, il le lui interdira, non par un édit au
for étranger, mais en disant qu'en conscience le justiciable a
l'obligation de ne pas exécuter le jugement.
Il y a une décision où les faits sont analogues à
ceux de l'espèce: Armstrong c. Armstrong [1892]
P. 98.
Il s'agissait d'une requête en divorce du mari
pour cause d'adultère de sa femme avec le coin-
timé. Le requérant avait obtenu une ordonnance
donnant commission d'interroger des témoins à
Vienne. Le cointimé excipa de la compétence de la
Cour. En attendant que l'on statue sur la requête
excipant de la compétence de la Cour, la commis
sion du requérant l'autorisant à obtenir les déposi-
tions des témoins à Vienne fut suspendue. Entre-
temps les mandataires du requérant à Vienne assi-
gnèrent les témoins devant un tribunal constitué
dans cette ville pour consigner leur témoignage.
Cela fut fait en vertu d'une ordonnance des juri-
dictions viennoises, obtenue sur le fondement de
l'article 179 du Code autrichien, laquelle constitua
un tribunal à cette fin.
La procédure qui eut lieu à Vienne dépassait la
simple consignation de témoignage car les témoins
interrogés sous serment étaient soumis à la con-
trainte de la procédure étrangère. L'instance
n'était pas un accessoire de l'action principale
puisque les dépositions consignées ne pouvaient
servir lors de l'instruction de l'action principale;
elle devenait donc une action séparée et indépen-
dante, inutile et vexatoire, qu'engageait le requé-
rant.
On demandait une injonction qui aurait interdit
au requérant de procéder selon l'ordonnance de la
Cour viennoise relativement au litige ou, subsidiai-
rement, qui obligerait celui-ci à choisir entre la
poursuite de son action en Angleterre ou la pour-
suite de l'instance engagée à Vienne.
La Cour rendit une ordonnance lui interdisant
de poursuivre l'instance engagée devant le tribunal
de Vienne.
En la prononçant, le juge Jeune déclara [aux
pages 100 à 102]:
[TRADUCTION] Est-ce là une procédure que le tribunal devrait
permettre au requérant? Je ne crois pas, pour deux raisons.
Premièrement je pense qu'elle est inutile en ce sens que le
requérant ne peut en obtenir aucun avantage légitime;
deuxièmement je crois qu'elle peut être, ou est, injurieuse pour
la procédure régulière dont la Cour est saisie. Il est reconnu que
les dépositions ainsi consignées ne pourront servir devant le
tribunal. Toute autre considération mise à part, la Loi de 1957,
expressément et exhaustivement, dispose des moyens d'obten-
tion de preuves et son art. 47 prévoit qu'en certains cas on peut
donner une commission pour l'interrogatoire de témoins à
l'étranger de la manière qui y sera indiquée. Mais la Cour a
statué qu'elle n'est pas autorisée à ordonner de donner sembla-
ble commission en l'espèce en l'état où la cause se trouve
actuellement. Ce qui a été fait à Vienne a été présenté comme
accessoire à l'action principale; mais manifestement il ne s'agit
pas d'un accessoire en ce sens que les dépositions consignées
devant la Cour de Vienne peuvent de quelque façon être
administrées en preuve devant la Cour d'ici. L'affaire Peruvian
Guano Co. c. Bockwoldt (23 Ch. D. 225) le montre bien,
semble-t-il: peu importe que la deuxième instance ait été enga
gée devant un tribunal étranger ou devant un tribunal de notre
pays, dans les deux cas la règle est qu'une telle instance ne
devrait pas être permise lorsqu'on ne peut en obtenir qu'un
avantage illusoire. En la présente espèce, je ne crois pas qu'on
puisse en obtenir quelque avantage légitime que ce soit. Ce qui
m'amène au deuxième motif dont j'ai parlé. Le seul avantage
qu'on ait invoqué serait que le requérant pourrait être à même
de faire comparaître devant le tribunal viennois des témoins
dont il ne connaît pas les dépositions et, sous la contrainte du
serment, d'en obtenir la consignation. Il pourra ainsi connaître
tout ce que les témoins peuvent prouver sans être dans l'obliga-
tion d'administrer cette preuve devant la Cour comme ce serait
le cas si c'était en vertu d'une commission qu'il avait pu obtenir
ces dépositions. C'est là, me semble-t-il, entraver le cours
normal de la justice devant notre juridiction. En outre nous
ignorons quel sera le droit applicable aux témoins interrogés; il
pourrait y avoir, et d'après ce qu'a dit M. Ram, je crois qu'il y
aura, contrainte des témoins; ils seront soumis pour ainsi dire à
l'équivalent d'un contre-interrogatoire par l'avocat du requé-
rant et, semble-t-il par la Cour elle-même; on pourrait leur
demander des informations qui sortent du cadre régulier d'un
témoignage. Il me semble que c'est là une façon de considérer
le témoignage que nous ne devrions pas permettre et qui va
beaucoup plus loin que toute procédure d'interrogatoire préa-
lable reconnue par le droit judiciaire de notre pays. Cela
équivaut à interroger les témoins de la partie adverse avant le
procès. On n'arrange pas les choses en disant que l'intimée aura
le droit de comparaître devant ce tribunal; car si elle a ce droit,
elle a aussi celui de choisir de ne pas comparaître. Pour moi la
chose est donc claire: le requérant n'avait pas le droit de faire
ce qu'il fait. Il ne peut en retirer aucun avantage légitime; au
contraire le cours de la justice pourrait en être sérieusement
entravé. Je crois qu'on devrait lui interdire toute autre action de
ce genre; aussi y aurait-il lieu à injonction personnelle lui
interdisant de poursuivre la procédure qu'il a engagée devant le
tribunal viennois.
On pourrait appliquer la plupart des commen-
taires du juge Jeune, tant sur les faits que sur le
droit, aux faits de l'espèce et au droit qui y est
applicable.
En l'espèce la défenderesse, comme le requérant
devant le juge Jeune, ne peut retirer «aucun avan-
tage légitime» de cette procédure. La déposition
obtenue dans l'un comme dans l'autre cas ne peut
servir devant la juridiction saisie et ni l'une ni
l'autre n'aurait rendue l'ordonnance accordée par
le tribunal étranger.
L'avantage dont profite la défenderesse en est
un auquel, vu les faits et le droit applicable en
notre juridiction, elle n'a pas droit. Ce n'est pas un
avantage légitime. La défenderesse en s'appuyant
sur les voies de droit d'une juridiction étrangère
dans une instance qui n'est pas vraiment accessoire
(et qui ne peut l'être sans une ordonnance de la
Cour) à l'action dont la Cour a été régulièrement
saisie et qui donc en constitue une séparée et
distincte, a contourné le droit de notre juridiction,
le droit applicable en cette espèce.
C'est là à mon avis, une façon de faire que la
Cour ne devrait pas permettre à la défenderesse.
Pour ces motifs, j'ai rendu l'ordonnance pronon-
cée à la clôture de l'instruction.
La demanderesse aura droit à ses dépens quelle
que soit l'issue de la cause.
Je ne puis terminer sans ajouter que j'en suis
arrivé à cette conclusion avec tous les égards dus à
la Cour de District des États-Unis pour le District
nord de l'Ohio; ce que les présents motifs devraient
clairement montrer. C'est d'ailleurs ce qui m'a
amené à dire que le distingué juge de ce tribunal
s'est trouvé dans une position désavantageuse en ce
qu'il ne pouvait connaître les arguments s'opposant
à ceux de la requérante.
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