Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-324-80
Kemanord AB (Demanderesse) c.
PPG Industries, Inc. et Oronzio De Nora Impianti Elettrochimici S.p.A. (Défenderesses)
Division de première instance, le juge Cattanach—/ Ottawa, 18 mars et 2 avril 1980.
Pratique Brevets Requête tendant à la radiation d'un affidavit déposé avec la déclaration de la demanderesse et au rejet ou à la suspension des procédures en attendant le dépôt par la demanderesse de l'affidavit requis par la Règle 701(1). L'affidavit déposé par la demanderesse a été souscrit en Suède, en présence d'un notaire public suédois Peut-on admettre comme preuve un affidavit qui n'a pas été établi conformément aux exigences de l'art. 50 de la Loi sur la preuve au Canada? Rejet de la requête Règle 701(1) de la Cour fédérale Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, c. E-10, art. 37, 49, 50 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 53(1),(2) Loi sur la preuve, S.R.O. 1970, c. 151, art. 46(1)e).
La défenderesse introduit une requête tendant à la radiation d'un affidavit déposé par la demanderesse et au rejet des présentes procédures relatives à un conflit de demandes de brevets, ou à la suspension de ces dernières en attendant le dépôt par la demanderesse de l'affidavit requis par la Règle 701(1) des Règles de la Cour fédérale. La demanderesse a déposé une déclaration et une photocopie d'un affidavit souscrit en Suède, en présence d'un notaire public. Suivant l'article 50 de la Loi sur la preuve au Canada, le serment reçu hors du Canada par une personne mentionnée à l'article 49 est aussi valide et efficace que s'il avait été reçu au Canada par une personne autorisée à cet effet en vertu de cette Loi. Un notaire public suédois ne fait pas partie des catégories de personnes énumérées à l'article 49. Il s'agit de déterminer si l'on peut admettre comme preuve un affidavit qui n'a pas été établi conformément aux exigences de l'article 50 de la Loi sur la preuve au Canada.
Arrêt: la requête est rejetée. Le fait que des méthodes sont expressément stipulées emporte exclusion de toute méthode non stipulée. Il y a lieu de se demander si, en mentionnant expressé- ment les catégories de personnes autorisées à recevoir les serments hors du Canada, l'article 50 de la Loi sur la preuve au Canada vise à exclure toute catégorie de personnes qui n'y est pas expressément mentionnée. En vertu de l'article 37, le droit de la preuve en vigueur dans la province dans laquelle se déroule la procédure est applicable «sauf la présente loi». L'arti- cle 50 est le seul article de la Loi sur la preuve au Canada qui pourrait être subordonné à l'article 37. Même si l'affidavit n'est pas admissible par l'effet conjugué des articles 50 et 37 de la Loi sur la preuve au Canada, il est admissible en vertu de l'alinéa 46(1)e) de la Loi sur la preuve de l'Ontario, et, de ce fait, admissible en vertu du paragraphe 53(2) de la Loi sur la Cour fédérale. En vertu du paragraphe 53(2), une preuve qui ne serait pas admissible est admissible dans la mesure elle le serait devant une cour supérieure de l'Ontario «nonobstant le fait qu'elle n'est pas admissible en vertu de l'article 37 de la Loi
sur la preuve au Canada.» La validité du serment sous lequel a été fait l'affidavit fait partie intégrante de son admissibilité.
REQUÊTE. AVOCATS:
J. Harding pour la demanderesse.
G. A. Macklin pour la défenderesse PPG Industries, Inc.
Personne n'a comparu pour le compte de la défenderesse Oronzio De Nora Impianti Elet- trochimici S.p.A.
L. Holland pour le sous-procureur général du Canada.
PROCUREURS:
Smart & Biggar, Ottawa, pour la demande- resse.
Gowling & Henderson, Ottawa, pour la défenderesse PPG Industries, Inc.
Barrigar & Oyen, Ottawa, pour la défende- resse Oronzio De Nora Impianti Elettrochi- mici S.p.A.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: Il s'agit d'une requête de la défenderesse PPG Industries, Inc. tendant à la radiation d'un affidavit de Dag Stromquist et au rejet des présentes procédures ou, subsidiairement, à la suspension de ces dernières en attendant le dépôt par la demanderesse de l'affidavit requis par la Règle 701(1) des Règles de la Cour fédérale.
Cette requête fait suite à un conflit de demandes visé à l'article 45 de la Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, c. P-4. Le commissaire des brevets a rendu sa décision le 23 juillet 1979. Le 23 janvier, la demanderesse a déposé une déclaration en date du même jour. C'était le dernier jour du délai fixé par le commissaire pour intenter l'action, délai dont notification avait été donnée aux parties conformé- ment au paragraphe 45(8).
Le paragraphe (1) de la Règle 701 se lit comme suit:
Règle 701. (1) Lorsque l'une des parties à une procédure prévue par la Loi sur les brevets, en cas de conflit entre des demandes de brevets d'invention, désire engager des procédures devant la Cour la suite d'une décision du commissaire indiquant lequel des requérants est le premier inventeur) pour
que soient déterminés les droits respectifs des requérants, cette partie (ci-après appelée ale demandeur») doit le faire en dépo- sant un statement of claim ou une déclaration dans lequel elle indique quel est, parmi les redressements prévus par la Loi sur les brevets, celui qu'elle demande. Un statement of claim ou une déclaration de ce genre ne peut être déposé qu'avec un affidavit du demandeur ou d'une personne qui a été personnel- lement responsable de la décision d'engager la procédure, affi davit déclarant,
a) que la procédure n'est pas engagée dans le but de retarder l'émission d'un brevet, et
b) soit
(i) qu'il n'y a pas, en ce qui concerne l'objet du conflit, accord ou collusion entre le demandeur et une autre personne ayant un intérêt dans le conflit, ou
(ii) s'il existe un accord ou une collusion de ce genre,
quelle en est la nature et quelles en sont les particularités, et, le cas échéant, l'affidavit doit être accompagné d'une copie du ou des documents contenant un tel accord ou montrant l'existence d'une telle collusion.
Selon le paragraphe (2), il faut signifier au sous-procureur général du Canada la déclaration et l'affidavit qui l'accompagne.
En même temps que la déclaration, on a déposé, le 23 janvier 1980, une photocopie d'un affidavit souscrit par Dag Stromquist à Stockholm, en Suède, le 16 janvier 1980, en présence d'Ingrid Trotze-Lindh, notaire public suédois, sur laquelle celle-ci a apposé son sceau officiel deux fois, une première fois par tampon de caoutchouc et une seconde fois par estampillage d'un cachet lié à une pièce par une ficelle. On ne peut détacher la pièce sans briser le scellé.
La photocopie de l'affidavit porte l'inscription suivante: [TRADUCTION] «Copie de l'affidavit ori ginal joint à la pièce A dans l'enveloppe».
En même temps, soit le 23 janvier 1980, on a déposé un avis de requête tendant à obtenir une ordonnance portant que la Cour garderait confi- dentielle la copie de l'accord intervenu entre la demanderesse et la défenderesse PPG Industries, Inc., jointe à l'affidavit original de Dag Stromquist et déposée dans l'enveloppe avec celui-ci, et que le public ne serait autorisé à en prendre connaissance que sur ordonnance d'un juge de la Cour. Cette requête n'a jamais été présentée pour audition.
Par lettre en date du 17 mars 1980 et remise par porteur le même jour, les avocats de la demande- resse se sont désistés de la requête relative au caractère confidentiel à donner à la pièce jointe à
l'affidavit de Dag Stromquist, et ont fait savoir que l'affidavit original et la pièce y attachée pou- vaient être retirés de l'enveloppe scellée.
Dans une lettre en date du 18 mars 1980 et remise par porteur le même jour, les avocats de la demanderesse ont présenté un nouvel affidavit de Dag Stromquist, identique dans sa rédaction à celui souscrit devant un notaire public, en Suède, le 16 janvier 1980, mais souscrit le 17 mars 1980, devant un notaire public, à Ottawa (Ontario).
J'ai fait des réserves quant au fait qu'un affida vit avait été «déposé» le 23 janvier 1980, compte tenu du fait que l'affidavit était contenu dans une enveloppe scellée et qu'une simple photocopie de l'original avait été produite.
L'original n'a été retiré de l'enveloppe que le 18 mars 1980, lors du retrait susmentionné, par lettre des avocats de la demanderesse en date du 17 mars 1980, de la requête visant à faire garder cette pièce confidentielle. J'ai alors ordonné au registraire de retirer de l'enveloppe cet affidavit et la pièce jointe et de les verser au dossier.
Je n'ai pas à décider si l'on peut considérer comme un «dépôt», au sens de la Règle 701, la production de l'affidavit original sous enveloppe scellée et d'une photocopie de cet affidavit, car la défenderesse conteste la validité de l'affidavit même et non la régularité de son dépôt ni le fait même qu'il ait été «déposé».
Dans les motifs d'une ordonnance qu'il a rendue le 22 février 1980 dans la présente affaire [[1980] 2 C.F. 576], le juge Mahoney s'est ainsi exprimé la page 578]:
Je reviens à la question de l'affidavit déposé avec la déclara- tion. L'obligation imposée tant à la partie demanderesse qu'à la partie défenderesse de déposer un affidavit, la signification au sous-procureur général du Canada ainsi que les dispositions des Règles conçues pour accélérer la procédure en matière de conflit entre demandes de brevet, du moins aux premiers stades, découlent de considérations d'ordre public. Cet intérêt d'ordre public vient du fait que la durée du brevet (17 ans) se calcule à compter de sa délivrance. Il n'est pas inconcevable qu'un demandeur qui a droit à la délivrance d'un brevet soit intéressé à retarder la date de cette dernière, différant ainsi la date d'expiration de son monopole. Comme je l'ai dit à l'audition de la présente demande, ces considérations ne permettent pas à la Cour de faire abstraction de questions sur lesquelles les parties elles-mêmes seraient prêtes à passer. Je me demande sérieuse-
ment si un affidavit déposé en conformité avec la Règle 701(1) mais non conforme aux exigences de l'article 50 de la Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, c. E-10, est recevable en preuve et, dans la négative, s'il constitue un affidavit au sens de cette Règle. C'est une question qui devrait être examinée par le sous-procureur général.
Le juge Mahoney a ordonné qu'une copie de ses motifs soit signifiée au sous-procureur général du Canada. Il s'est demandé si l'on peut admettre comme preuve un affidavit qui n'a pas été établi conformément aux exigences de l'article 50 de la Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, c. E-10. Il a posé la question sans se prononcer sur ce point. Il m'incombe maintenant de rendre une décision là-dessus.
L'article 50 de la Loi sur la preuve au Canada figure dans la Partie III, qui porte le sous-titre «RÉCEPTION DES AFFIDAVITS À L'ÉTRANGER». On peut considérer que ce sous-titre donne la clé de l'interprétation des articles qu'il coiffe, sauf lors- que leur libellé est incompatible avec cette inter- prétation. Les sous-titres de la Loi sur la preuve au Canada peuvent être utilisés à des fins d'inter- prétation parce qu'ils en font partie intégrante.
Voici le texte de l'article 50:
50. Les serments, affidavits, affirmations ou déclarations déférés, recueillis ou reçus hors du Canada par toute personne mentionnée à l'article 49 sont aussi valides et efficaces et possèdent la même vigueur et le même effet, à toutes fins, que s'ils avaient été déférés, recueillis ou reçus au Canada par une personne autorisée à y déférer, recueillir ou recevoir les ser- ments, affidavits, affirmations ou déclarations qui sont valides ou efficaces en vertu de la présente loi.
Voici, en général, les catégories de personnes énumérées à l'article 49 dont il est question à l'article 50: (1) les fonctionnaires de l'un des servi ces diplomatiques ou consulaires de Sa Majesté, lorsqu'ils exercent leurs fonctions dans un pays étranger; (2) les fonctionnaires des services diplo- matiques, consulaires et représentatifs du Canada lorsqu'ils exercent leurs fonctions dans tout pays étranger ou dans toute partie du Commonwealth et territoires sous dépendance autre que le Canada et (3) les délégués commerciaux et les délégués commerciaux adjoints du gouvernement canadien, lorsqu'ils exercent leurs fonctions dans un tel pays ou territoire.
Voici une règle traditionnelle d'interprétation des lois: le fait que des méthodes sont expressé- ment stipulées emporte exclusion de toute méthode
non stipulée. Ce principe est exprimé dans la maxime «Expressurn facit cessare tacituan», qui a été considérée comme un bon serviteur mais un mauvais maître. Du fait de son caractère général, il faut être prudent dans son application. Il ne suffit pas que ce qui est expressément dit et ce qui est sous-entendu soient incompatibles; il doit être clair qu'on n'a pu raisonnablement vouloir leur coexistence.
Compte tenu de ces principes établis, il y a lieu de se demander si, en mentionnant expressément les catégories de personnes autorisées à recevoir les serments hors du Canada, l'article 50 de la Loi sur la preuve au Canada vise à exclure toute catégorie de personnes qui n'y est pas expressément men- tionnée. Aux termes de l'article 50, le serment reçu hors du Canada par une personne mentionnée à l'article 49 est aussi valide et efficace que s'il avait été reçu au Canada par une personne autorisée à cet effet en vertu de ladite Loi. (L'article 13, d'application restreinte, est le seul article de la Loi sur la preuve au Canada qui édicte des disposi tions expresses pour la prestation de serment au Canada.)
L'article 37, portant comme sous-titre «Lois provinciales concernant la preuve», dispose:
37. Dans toutes les procédures qui relèvent de l'autorité législative du Parlement du Canada, les lois sur la preuve qui sont en vigueur dans la province ces procédures sont exer- cées, y compris les lois relatives à la preuve de la signification d'un mandat, d'une sommation, d'une assignation ou d'une autre pièce s'appliquent à ces procédures, sauf la présente loi et les autres lois du Parlement du Canada.
Indiscutablement, le Parlement du Canada a le contrôle législatif des procédures relatives aux bre- vets. En conséquence, en vertu de l'article 37, le droit de la preuve en vigueur dans la province dans laquelle se déroule la procédure (la province de l'Ontario en l'espèce) est applicable, la seule réserve étant celle que formule l'article 37 dans ce membre de phrase: «sauf la présente loi [la Loi sur la preuve au Canada] et les autres lois du Parle- ment du Canada».
En l'espèce, l'article 50 est le seul article de la Loi sur la preuve au Canada qui pourrait être subordonné à l'article 37.
Sans trancher la question, si nous supposons que la réserve «sauf la présente loi» de l'article 37 s'applique à l'article 50, ce qui rendrait inadmis-
Bible au Canada tout affidavit souscrit hors du Canada qui n'a pas été recueilli par l'une des personnes mentionnées à l'article 49, il reste que l'article 53 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, prévoit ce qui suit:
53. (1) La déposition d'un témoin peut, par ordonnance de la Cour et sous réserve de toute règle ou ordonnance applicable en la matière, être prise soit par un commissaire, soit lors d'un interrogatoire, soit par affidavit.
(2) Une preuve qui ne serait pas autrement admissible, est admissible, à la discrétion de la Cour et sous réserve de toute règle applicable en la matière, si, selon le droit en vigueur dans une province, elle est admissible en pareille matière devant une cour supérieure de cette province, nonobstant le fait qu'elle n'est pas admissible en vertu de l'article 37 de la Loi sur la preuve au Canada.
En vertu du paragraphe 53(1), la «déposition» peut être prise sous forme d'affidavit.
En vertu du paragraphe 53(2), une preuve qui ne serait pas admissible (pour les besoins de la discussion, je suppose que l'affidavit de Dag Stromquist ne le serait pas) est admissible dans la mesure elle le serait devant une cour supérieure de l'Ontario (comme l'affidavit de Dag Stromquist le serait par application de l'alinéa 46(1)e) de la Loi sur la preuve de l'Ontario, S.R.O. 1970, c. 151); vient alors le passage crucial du paragraphe 53(2): «nonobstant le fait qu'elle n'est pas admissi ble en vertu de l'article 37 de la Loi sur la preuve au Canada».
La question de savoir si une personne est autori- sée à faire prêter serment relève du droit de la preuve. Elle est réglée par la Loi sur la preuve au Canada et par la Loi sur la preuve de l'Ontario. Il en est de même pour les articles 53 et 54 de la Loi sur la Cour fédérale. L'affidavit qui n'est pas reçu par une personne autorisée à cet effet par l'une ou l'autre des deux lois mentionnées en premier lieu n'est pas un affidavit régulier et il est donc «irrece- vable» en tant que «déposition».
A mon avis, la fin du paragraphe 53(2) de la Loi sur la Cour fédérale constitue une disposition restrictive.
Même si l'affidavit de Dag Stromquist n'est pas admissible par l'effet conjugué des articles 50 et 37 de la Loi sur la preuve au Canada, il est admissi ble en vertu de l'alinéa 46(1)e) de la Loi sur la preuve de l'Ontario, et, de ce fait, admissible en vertu du paragraphe 53(2) de la Loi sur la Cour
fédérale, nonobstant le fait qu'il pourrait ne pas l'être au titre de l'article 37 de la Loi sur la preuve au Canada. A mon avis, la validité du serment sous lequel a été fait l'affidavit fait partie inté- grante de son admissibilité.
Pour ces motifs, la requête de la défenderesse est rejetée, mais il ne sera pas prononcé de dépens contre l'une ou l'autre des parties, compte tenu des circonstances particulières de la requête.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.