T-2081-80
Rene Joseph Dubeau (Requérant)
c.
La Commission nationale des libérations condi-
tionnelles (Intimée)
Division de première instance, le juge suppléant
Smith—Winnipeg, 5 et 29 mai 1980.
Brefs de prérogative — Certiorari — Requête tendant à
l'annulation de la décision par laquelle l'intimée a révoqué la
libération conditionnelle du requérant, au motif que cette
dernière a soit outrepassé sa compétence, soit agi injustement
en refusant au requérant le droit de se faire représenter par
avocat — Ayant violé une des conditions de sa libération
conditionnelle, le requérant eut un entretien avec son agent de
libération conditionnelle au sujet de la discipline — Le même
jour, le requérant fut accusé de plusieurs actes criminels,
accusations auxquelles il plaida non coupable — Une semaine
plus tard, sa libération conditionnelle fut suspendue pour
violation de la condition concernant l'utilisation du crédit — A
une audition postérieure â la suspension, le requérant fut
interrogé sur les accusations en cours, et on lui refusa le droit
de se faire assister par un avocat — Il y avait â déterminer si
l'ordonnance de révocation de la libération conditionnelle
devait être infirmée — Requête accueillie — Loi sur la
libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, c. P-2,
modifiée, art. 6, 10(1)e), 11, 16(4), 23 — Règlement sur la
libération conditionnelle de détenus, C.R.C. 1978, Vol. XIII, c.
1249, modifié par DORS/78-428, art. 20.
Requête tendant à la délivrance d'un bref de certiorari qui
annulerait la décision par laquelle l'intimée a révoqué la libéra-
tion conditionnelle du requérant, au motif que la Commission a
ou bien outrepassé sa compétence, ou bien agi injustement en
refusant au requérant le droit de se faire assister ou représenter
par avocat. Le requérant a violé une des conditions de sa
libération conditionnelle en contractant des dettes sans l'autori-
sation de son agent de libération conditionnelle. Au cours d'un
entretien portant sur la discipline, il signa un engagement,
intitulé Instruction spéciale, par lequel il s'engageait à deman-
der l'autorisation avant d'obtenir du crédit et reconnaissait que
sa libération conditionnelle pourrait être révoquée pour viola
tion de cette condition. Plus tard le même jour, le requérant fut
accusé de plusieurs actes criminels et plaida non coupable à
toutes les accusations. Une semaine plus tard, sa libération
conditionnelle fut suspendue. Au cours d'une audition posté-
rieure à la suspension, il fut interrogé sur les accusations
criminelles en cours portées contre lui, et sa demande de
participation de son avocat à l'audition fut rejetée. La libéra-
tion conditionnelle du requérant fut révoquée pour violation de
la condition relative à l'utilisation du crédit. Il y avait à
déterminer si la révocation par la Commission de la libération
conditionnelle du requérant devait être infirmée.
Arrêt: la requête est accueillie, et l'ordonnance révoquant la
libération conditionnelle du requérant infirmée. Les pouvoirs
que la loi confère à la Commission relativement à l'octroi et à
la révocation de la libération conditionnelle sont très larges. Vu
ces larges pouvoirs, vu son pouvoir d'appréciation souverain, vu
l'intention du législateur et la nécessité que les questions de ce
genre soient expédiées sans formalités et avec célérité, il n'y a
pas lieu d'infirmer la révocation de la libération conditionnelle
du requérant pour le seul motif que certaines questions lui ont
été posées au sujet de nouvelles accusations criminelles portées
contre lui. La décision de la Commission est, selon l'intention
du législateur, sans appel. Une disposition de ce genre n'empê-
che pas la Cour d'annuler la décision d'une instance inférieure
pour défaut ou excès de pouvoirs. La Cour n'est pas non plus
empêchée d'infirmer la décision d'un organisme administratif si
ce dernier n'a pas agi équitablement envers le requérant. Un
organisme administratif, qui n'agit pas de façon judiciaire ou
quasi judiciaire, doit observer les règles de procédure propres à
lui permettre de s'acquitter de son obligation d'agir équitable-
ment. Ces règles sont d'une portée assez large pour englober la
présence à une audition d'un conseiller juridique dans les cas où
l'équité le commande. Un «intérêt», qui n'est pas un «droit» à
proprement parler, pourra, le cas échéant, être protégé par la
Cour au moyen, par exemple, d'un bref de certiorari. Rester en
liberté constituait certainement un «intérêt» du requérant. Bien
que les cours n'interviennent pas volontiers dans l'exercice de
pouvoirs disciplinaires, que ce soit au sein des forces armées,
des services de police ou d'un pénitencier, il n'y a aucune règle
de droit qui exempte nécessairement l'exercice de ces pouvoirs
disciplinaires d'un examen par certiorari. Il est certain que la
Cour a compétence pour accorder le bref de certiorari. Reste
néanmoins la question de savoir si la Commission a agi avec
équité envers le requérant. Sous réserve de certaines exceptions
bien connues, toute personne qui jouit d'une pleine capacité
juridique a le droit de se donner un mandataire pour quelque
but que ce soit, et elle peut le faire tout aussi bien pour
l'exercice d'un droit prévu par la loi que pour celui d'un droit
quelconque. Le requérant se prévalait d'un droit prévu par la loi
en demandant une audition postérieure à la suspension. Lors-
que les tribunaux sont saisis de questions qui affectent la
réputation d'une personne ou ses moyens d'existence, ou de
toutes questions de grande importance, la justice naturelle
exige que l'intéressé puisse, si tel est son désir, se faire défendre
par un avocat. On peut à tout le moins soutenir que la
Commission n'aurait pas dû interroger le requérant sur les
accusations criminelles. En tout état de cause, le refus d'autori-
ser le requérant à se faire assister par un avocat au cours de
l'audition constituait un traitement injuste à son égard.
Arrêt appliqué: Martineau c. Le Comité de discipline de
l'Institution de Matsqui [1980] 1 R.C.S. 602. Distinction
faite avec l'arrêt: Fraser c. Mudge [1975] 3 All E.R. 78.
Arrêt approuvé: Pett c. Greyhound Racing Association,
Ltd. [1968] 2 All E.R. 545.
REQUÊTE.
AVOCATS:
Arne Peltz pour le requérant.
Brian Meronek pour l'intimée.
PROCUREURS:
Arne Peltz, Winnipeg, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT SMITH: La présente
requête tend à la délivrance d'un bref de certiorari
qui annulerait la décision par laquelle l'intimée a,
le 4 mars 1980, révoqué la libération condition-
nelle du requérant.
Voici les motifs invoqués pour l'obtention du
bref:
[TRADUCTION] 1. Que l'intimée a révoqué la libération condi-
tionnelle sans en avoir le pouvoir, qu'elle a outrepassé sa
compétence et qu'à la lecture du dossier, la révocation est
entachée d'erreurs de droit;
2. Que l'intimée a commis une erreur de droit et outrepassé sa
compétence en tenant compte de considérations inappropriées
savoir, les accusations criminelles en cours et les circonstances
alléguées qui les entourent et en soumettant le requérant à un
interrogatoire sur ce sujet;
3. Que, subsidiairement, l'intimée ne s'est pas acquittée de son
obligation d'agir équitablement en rendant sa décision, plus
particulièrement en refusant au requérant le droit de se faire
représenter par un avocat à une réunion convoquée en vue de la
révocation et où il fut interrogé sur les accusations criminelles
en cours;
4. Que, subsidiairement, l'intimée a commis une erreur de droit,
agi sans en avoir le pouvoir et outrepassé sa compétence en
refusant au requérant le droit de se faire représenter par un
avocat à l'audition tenue au sujet de la révocation, contraire-
ment à l'article 2d) de la Déclaration canadienne des droits.
Les faits sont simples. A la suite de condamna-
tions pour plusieurs actes criminels, le requérant
purgeait au pénitencier de Stony Mountain une
peine totale de trois ans et deux mois d'emprison-
nement, qui se terminait le 4 juin 1981. L'intimée
le libéra sous conditions à compter du 13 novembre
1979. L'une des conditions de sa libération était
d'obtenir, par l'entremise du surveillant de liberté
conditionnelle, une approbation préalable du
représentant de l'intimée avant de contracter des
dettes au moyen d'emprunt ou d'achat à crédit.
Le 23 janvier 1980, au cours d'un entretien avec
son agent de liberté conditionnelle au sujet de la
discipline, on lui fit savoir qu'il avait ouvert des
comptes d'achat à crédit chez des commerçants
locaux, demandé et utilisé du crédit sans autorisa-
tion du service des libérations conditionnelles. Lors
de l'entretien, on lui demanda de signer (ce qu'il a
fait) un document intitulé «Instruction spéciale»
(pièce «A» jointe à son affidavit et versée au
dossier). Ce document est ainsi rédigé:
[TRADUCTION] Je soussigné, Rene Joseph Dubeau, m'engage à
obtenir l'autorisation du Service correctionnel Canada — Ser
vice des libérations conditionnelles avant d'utiliser ou de
demander des cartes de crédit ou des comptes à chèques, ou de
contracter quelque dette. Je comprends qu'une violation de
cette directive pourrait entraîner la suspension de ma libération
conditionnelle.
Plus tard le même jour, le requérant fut arrêté
et accusé de plusieurs actes criminels qu'il aurait
commis le 16 janvier 1980. Le requérant plaida
non coupable à toutes les accusations. L'enquête
préliminaire sur celles-ci fut fixée au 2 juin 1980.
Le 30 janvier 1980, la libération conditionnelle
du requérant fut suspendue. Le 7 février 1980, le
requérant demanda à l'intimée la tenue d'une
audition postérieure à la suspension. L'audition eut
lieu le 4 mars 1980 devant deux membres de la
Commission nationale des libérations conditionnel-
les, en la présence du requérant et de son agent de
liberté conditionnelle. A l'issue de l'audition, la
libération conditionnelle du requérant fut révo-
quée. Les motifs de la révocation, qui furent orale-
ment communiqués au requérant à ce moment-là,
sont ainsi exposés dans une lettre, en date du 18
mars 1980, adressée par l'intimée au requérant
(pièce «C» jointe à l'affidavit du requérant):
[TRADUCTION] A l'examen de votre suspension, la Commis
sion a constaté que dans les trois jours qui ont suivi votre
libération conditionnelle totale, vous avez enfreint les conditions
de votre libération en obtenant un compte de crédit sans
l'autorisation de votre surveillant. Plus tard, vous avez fait
preuve d'irresponsabilité financière en dépassant de plus que du
double votre marge de crédit. La Commission déduit d'un tel
comportement que vous êtes toujours le même, et que vous
libérer reviendrait à provoquer de nouvelles tromperies. La
Commission a, par conséquent, décidé de révoquer votre libéra-
tion conditionnelle.
Selon l'énoncé de l'affidavit du requérant que
l'intimée n'a pas contesté, lors de l'audience tenue
le 4 mars 1980 devant la Commission, celle-ci l'a
interrogé sur les accusations criminelles en cours
portées contre lui. La Commission était en posses
sion de rapports concernant ces accusations et lui a
posé un certain nombre de questions précises l'obli-
geant à déclarer si oui ou non il avait été impliqué
dans ces actes criminels. Après avoir répondu à
une ou deux questions, il dit à la Commission que
les tribunaux de juridiction criminelle étaient saisis
de ces questions et que c'est à eux qu'il appartenait
de les trancher. On lui dit alors que la Commission
devait examiner tous les faits ayant donné lieu à
ces accusations criminelles. Il répondit qu'il dési-
rait téléphoner à son avocat pour lui demander de
participer à l'audition. On lui répondit qu'en géné-
ral, les avocats n'étaient pas autorisés à assister
aux auditions de la Commission de libérations
conditionnelles et que, par conséquent, son avocat
ne pouvait pas y participer. Il répondit encore à
quelques questions, mais refusa de répondre à
toute question relative à une déclaration écrite
qu'il aurait faite à la police.
Il est affirmé dans l'affidavit du requérant que
la Commission a passé rapidement sur la question
des dettes qu'il avait contractées sans en avoir
l'autorisation. Selon lui, elle s'intéressait moins à
cette question qu'aux accusations criminelles.
L'avocat du requérant prétend que, en posant
des questions sur les accusations criminelles, la
Commission a outrepassé sa compétence, puisque
la question de savoir s'il était coupable ou non de
ces infractions n'avait rien à voir avec celle dont
elle était saisie. La libération du requérant avait
été suspendue au motif qu'il en avait enfreint l'une
des conditions. C'est cette suspension qui avait
donné lieu à sa demande d'audition. Selon moi,
rien dans les éléments de preuve n'indique que
l'une quelconque des accusations criminelles se
rattachait directement ou indirectement à la viola
tion de la condition de libération ayant entraîné la
suspension, ni ne prouve qu'après avoir signé
l'«Instruction spéciale» du 23 janvier 1980, le
requérant ait de nouveau violé cette condition de
sa libération.
Il ressort nettement du paragraphe 6 de l'affida-
vit du requérant qu'il considérait l'«Instruction
spéciale» comme un avertissement pour l'avenir,
puisqu'il dit à propos de cette directive: [TRADUC-
TION] «On m'a demandé de signer un engagement
par lequel je m'obligeais à obtenir l'autorisation
des services des libérations conditionnelles avant
tout nouveau recours au crédit.»
Le requérant ne prétend pas et, à la lumière des
faits dont je suis saisi, n'a pas pu prouver que la
Commission, en décidant de révoquer sa libération
conditionnelle, avait effectivement été influencée
par ces accusations criminelles. Pas plus l'avis de
suspension que les motifs de la révocation de la
libération conditionnelle ne font mention de ces
accusations. Par contre, compte tenu des faits
mentionnés dans les quatre paragraphes précé-
dents, il n'est pas déraisonnable de conclure que la
Commission a pu être influencée par ces
accusations.
L'avocat de l'intimée prétend que la question
des présumées infractions criminelles n'était pas
tout à fait sans rapport avec celle dont la Commis
sion était saisie et qu'en pareil cas, celle-ci est en
droit d'examiner toutes ces circonstances. Les cir-
constances examinées doivent avoir quelque rap
port avec la question dont est saisie la Commis
sion. En l'espèce, il s'agissait pour celle-ci de
déterminer si la libération conditionnelle du re-
quérant devrait être révoquée. S'il était établi que,
alors qu'il était en libération sous conditions, le
requérant a commis des actes criminels, ce fait
entrerait certainement en ligne de compte pour
décider de la question de la révocation. En pareil
cas, la Commission aurait raison de prendre con-
naissance des faits établis. Mais en l'espèce, il
s'agissait de certaines accusations criminelles por-
tées contre le requérant et niées par ce dernier. La
mise en accusation ne constitue nullement une
preuve que l'accusé est l'auteur d'une infraction
quelconque. Si le requérant avait avoué à la Com
mission qu'il était l'auteur de l'une quelconque des
infractions dont on l'accusait, la Commission, sous
réserve de la question d'équité qui sera discutée
plus loin dans les présents motifs, aurait été en
droit de tenir compte de cet aveu. Toutefois, bien
que le requérant ait répondu à quelques-unes des
questions posées par la Commission, rien n'indique
qu'il ait avoué avoir commis l'une quelconque de
ces infractions ou qu'il ait dit quelque chose qui
permette de conclure à sa culpabilité. Dans ces
conditions, j'estime que l'existence de ces accusa
tions ne saurait justifier la révocation de la libéra-
tion conditionnelle du requérant. Il s'agit là aussi,
semble-t-il, de l'opinion de la Commission, puis-
que, comme je l'ai indiqué plus haut, il n'est
nullement fait mention de ces accusations dans les
motifs de sa décision de révocation de la libération
conditionnelle. Toutefois, il est toujours possible
que l'existence de ces accusations ait influé sur la
décision de ses membres.
Il convient de souligner que la Commission inti-
mée n'est pas un tribunal judiciaire, mais un orga-
nisme administratif, et que les pouvoirs que lui
confère la loi relativement à l'octroi et à la révoca-
tion de la libération conditionnelle sont très larges.
Les dispositions applicables de la Loi sur la libé-
ration conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, c.
P-2, modifiée, sont ainsi rédigées:
6. Sous réserve de la présente loi, de la Loi sur les péniten-
ciers et de la Loi sur les prisons et les maisons de correction, la
Commission est exclusivement compétente et a entière discré-
tion pour accorder ou refuser d'accorder une libération condi-
tionnelle ou une absence temporaire sans escorte en vertu de la
Loi sur les pénitenciers et pour révoquer une libération condi-
tionnelle ou mettre fin à une libération conditionnelle de jour.
10. (1) La Commission peut
e) à sa discrétion, révoquer la libération conditionnelle de
tout détenu à liberté conditionnelle autre qu'un détenu à
liberté conditionnelle qui a été relevé des obligations de la
libération conditionnelle, ou révoquer la libération condition-
nelle de toute personne qui est sous garde en conformité d'un
mandat délivré en vertu de l'article 16 nonobstant l'expira-
tion de sa condamnation.
L'article 16 prévoit la suspension de la libération
conditionnelle par un membre de la Commission
ou par toute personne que le président désignera.
Cet article prévoit ensuite le renvoi du cas à la
Commission et son paragraphe (4) porte ce qui
suit:
16....
(4) La Commission doit, lorsque lui est renvoyé le cas d'un
détenu à liberté conditionnelle dont la libération conditionnelle
a été suspendue, examiner le cas et faire effectuer toutes les
enquêtes y relatives qu'elle estime nécessaires et immédiate-
ment après que ces enquêtes et cet examen sont terminés, elle
doit soit annuler la suspension, soit révoquer la libération
conditionnelle.
23. Un ordre donné, un mandat décerné ou une décision
rendue en vertu de la présente loi n'est susceptible d'aucun
appel à un tribunal ou une autre autorité, ou d'aucune révision
par un tribunal ou une autre autorité.
11. Sous réserve des règlements que peut établir à ce sujet le
gouverneur en conseil, la Commission n'est pas obligée, lors-
qu'elle étudie la possibilité d'accorder ou de révoquer une
libération conditionnelle, de donner au détenu l'occasion de se
faire entendre personnellement ou par l'intermédiaire d'une
autre personne.
L'article 11 doit toutefois être lu à la lumière de
l'article 20 du Règlement sur la libération condi-
tionnelle de détenus, C.R.C. 1978, Vol. XIII, c.
1249, modifié par DORS/78-428:
20. (1) Lorsque, dans le cas d'un détenu sous juridiction
fédérale,
a) la libération conditionnelle qui lui a été accordée a été
suspendue,
b) le détenu est sous garde, et
c) son cas a été soumis à la Commission conformément au
paragraphe 16(3) de la loi,
celle-ci ne peut révoquer la libération conditionnelle que quinze
jours après avoir été saisie de l'affaire.
(2) Lorsque le cas d'un détenu a été soumis à la Commission
conformément au paragraphe 16(3) de la loi et que le détenu a
fait une demande d'audition en vue de l'examen de son cas
pendant la période visée au paragraphe (1), la Commission doit
a) tenir l'audition dès que possible après avoir reçu la
demande; et
b) informer le détenu de la date de l'audition au moins
quatorze jours avant l'audition.
Il ressort clairement ce qui suit de ces disposi
tions de la Loi et du Règlement:
1. En vertu de l'article 6 de la Loi, la Commis
sion a compétence exclusive pour révoquer la
libération conditionnelle et cette révocation
relève de son entière discrétion.
2. En application du paragraphe 16(4), la Com
mission doit examiner le cas d'un détenu à
liberté conditionnelle dont la libération condi-
tionnelle a été suspendue et faire effectuer
toutes les enquêtes y relatives qu'elle estime
nécessaires, mais elle n'est pas obligée de tenir
une audition ou de procéder à l'interrogatoire de
la personne dont la libération conditionnelle a
été suspendue.
3. La disposition expresse de l'article 11 portant
que, sous réserve des règlements qui pourront
être pris, la Commission n'est pas obligée de
donner au détenu l'occasion de se faire entendre
personnellement ou par l'intermédiaire d'une
autre personne, laisse entendre qu'elle n'est pas
tenue, sauf indication réglementaire contraire,
de tenir une audition.
4. Il en résulte que, dans l'exercice de sa compé-
tence exclusive et de son pouvoir discrétionnaire
au sujet de la révocation des libérations condi-
tionnelles, la Commission a toute latitude pour
décider du parti à prendre.
5. A ce sujet, la seule restriction, qui s'applique
au présent cas, est celle imposée par l'article 20
du Règlement, savoir que, lorsque le cas est
renvoyé à la Commission en application du
paragraphe 16(3) de la Loi, celle-ci doit tenir
une audition. (Signalons aussi l'article 22 du
Règlement, qui prévoit entre autres que, lorsque
la libération conditionnelle d'un détenu a été
révoquée, la Commission peut et doit, si telle est
la demande formulée par le détenu dans les
trente jours de la notification de la décision de la
Commission, faire réexaminer la décision par les
membres de la Commission qui n'y ont parti-
cipé. En l'espèce, le requérant n'a pas demandé
un réexamen et la Commission n'en a pas provo-
qué un.)
L'article 20 du Règlement s'applique directe-
ment aux faits de l'espèce. Il exige qu'une audition
soit tenue, mais ne précise pas la procédure à
suivre. J'estime qu'il était dans l'intention du légis-
lateur que la Commission agisse promptement et
sans formalités en matière de révocation de la
libération conditionnelle, et que l'article 20 du
Règlement ne devrait pas s'interpréter comme
modifiant cette intention et comme exigeant que
l'audition prévue soit tenue avec toutes les garan-
ties d'une audition officielle.
Vu les larges pouvoirs dont la Commission est
investie, vu son pouvoir d'appréciation souverain,
vu l'intention du législateur et je dirais même la
nécessité que les questions de ce genre soient expé-
diées sans formalités et avec célérité, j'en suis
arrivé à la conclusion qu'il n'y a pas lieu d'infirmer
la révocation de la libération conditionnelle du
requérant pour le seul motif que certaines ques
tions lui ont été posées au sujet de nouvelles accu
sations criminelles portées contre lui.
Je tiens à souligner d'autre part que la décision
de la Commission est, selon l'intention du législa-
teur, sans appel. L'article 23 de la Loi est ainsi
conçu:
23. Un ordre donné, un mandat décerné ou une décision
rendue en vertu de la présente loi n'est susceptible d'aucun
appel à un tribunal ou une autre autorité, ou d'aucune révision
par un tribunal ou une autre autorité.
C'est une règle établie qu'une disposition de ce
genre n'empêche pas la Cour d'annuler la décision
d'une instance inférieure ou d'un organisme admi-
nistratif pour défaut ou excès de pouvoirs. La Cour
n'est pas non plus empêchée d'infirmer la décision
d'un organisme administratif si ce dernier n'a pas
agi équitablement envers le requérant. L'orga-
nisme qui, pour un cas donné, n'agit pas de façon
judiciaire ou quasi judiciaire, n'est pas tenu d'ob-
server toutes les règles juridiques qui s'imposent à
un tribunal et n'est pas soumis à toutes les règles
de justice naturelle, mais il lui incombe d'agir avec
équité envers la personne dont elle examine la
condition. Dans la présente requête, l'avocat du
requérant a insisté sur l'exécution de cette obliga
tion d'agir avec équité.
A mon avis, l'arrêt récent de la Cour suprême
du Canada dans l'affaire Martineau c. Le Comité
de discipline de l'Institution de Matsqui [1980] 1
R.C.S. 602, a fait disparaître tout doute qui pou-
vait exister quant à la compétence de la présente
Cour pour statuer sur les demandes de bref de
certiorari formées à l'encontre de décisions d'orga-
nismes administratifs fédéraux. Dans cette affaire,
l'appelant était un détenu de l'institution de Mats-
qui (pénitencier). Il fut condamné à passer quinze
jours dans une cellule d'isolement de l'institution
pour une infraction disciplinaire. Il saisit la Cour
fédérale (Division de première instance) [[1978] 1
C.F. 312] d'une demande de bref de certiorari, et
la Cour d'appel fédérale [[1976] 2 C.F. 198] d'une
demande de contrôle judiciaire en vertu de l'article
28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e
Supp.), c. 10. La demande de bref de certiorari fut
laissée en suspens tandis que la Cour d'appel sta-
tuait sur la demande de contrôle judiciaire. Cel-
le-ci rejeta la demande et sa décision fut confirmée
par la Cour suprême ([1978] 1 R.C.S. 118). Le
rejet était fondé sur ce que la Cour d'appel n'était
pas compétente pour statuer sur les décisions de
nature administrative qui «ne [sont] pas légale-
ment soumise[s] à un processus judiciaire ou quasi
judiciaire» et que l'article 28 écarte de la compé-
tence de la Cour.
La Division de première instance procéda
ensuite à l'examen de la demande de bref de
certiorari. Le juge Mahoney accueillit celle-ci,
mais sa décision fut infirmée par la Cour d'appel
[[1978] 2 C.F. 637] au motif que, bien que la
portée du bref de certiorari se soit étendue, «le bref
lui-même ... ne continue de s'appliquer que lors-
que la décision attaquée est soit de nature judi-
ciaire soit soumise à un processus judiciaire ou
quasi judiciaire.»
La Cour suprême [[1980] 1 R.C.S. 602] infirma
à l'unanimité la décision de la Cour d'appel. Deux
jugements furent rédigés, l'un par le juge Pigeon,
auquel souscrivirent les juges Martland, Ritchie,
Beetz, Estey et Pratte, l'autre par le juge Dickson,
auquel souscrivirent le juge en chef et le juge
McIntyre.
Dans son jugement, le juge Pigeon a, à la page
634, renvoyé à l'arrêt Bates c. Lord Hailsham
([1972] 3 All E.R. 1019) et cité une partie des
propos tenus par le juge Megarry à la page 1024:
[TRADUCTION] ... Admettons que dans le domaine de ce qu'on
appelle le quasi judiciaire, on applique les règles de justice
naturelle et, dans le domaine administratif ou exécutif, l'obliga-
tion générale d'agir équitablement ...
Il a déclaré ensuite que ces mots avaient été
acceptés "comme un principe de common law"
dans les motifs de la majorité de la Cour suprême
dans l'arrêt Nicholson c. Haldimand-Norfolk
Regional Police Commissioners [1979] 1 R.C.S.
311 la p. 324. Cet arrêt a autorisé le contrôle
judiciaire en vertu de The Judicial Review Proce
dure Act, 1971 de l'Ontario, S.O. 1971, c. 48, à
l'encontre de la décision d'un comité de police de
renvoyer un agent qui, du fait qu'il n'avait pas
complété sa période de probation, n'avait pas droit
à une audition quasi judiciaire. Quoique acceptant
que la cessation d'une «relation employeur-
employé n'entraîne pas en elle-même d'obligation
juridique d'observer les principes de justice natu-
relle», la majorité a statué que, dans le cas d'un
titulaire d'une charge publique comme un agent de
police, il existait en common law une obligation
d'agir équitablement, moins exigeante qu'une obli
gation d'agir de façon quasi judiciaire, mais qui
pouvait néanmoins être sanctionnée par le contrôle
judiciaire.
Poussant plus loin l'examen de la question du
contrôle judiciaire des décisions disciplinaires, le
juge Pigeon a invoqué la décision récente de la
Cour d'appel d'Angleterre dans R. c. Board of
Visitors of Hull Prison, Ex p. St. Germain [ 1979]
1 All E.R. 701 et cité le passage suivant [à la page
635] extrait du sommaire:
[TRADUCTION] Les cours sont les ultimes gardiens des droits
et libertés du citoyen quel que soit son statut et quelque
atténués que soient ces droits et libertés en conséquence d'un
processus punitif ou autre, à moins que le Parlement n'ait
décrété autrement par une loi. Il n'y a aucune règle de droit
selon laquelle les cours doivent se déclarer incompétentes sim-
plement parce que les procédures sous examen relèvent de la
discipline interne et ..., la Divisional Court a erré en refusant
de reconnaître sa compétence.
Vers la fin de son jugement [à la page 637], le
juge Pigeon s'est exprimé en ces termes pour ce qui
est des procédures en matière d'infraction à la
discipline:
Il ne faut pas faire intervenir les exigences de la procédure
judiciaire et, en conséquence il ne s'agit pas de décisions qui
peuvent faire l'objet d'un examen par la Cour d'appel fédérale
en vertu de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, un recours
qui est, à mon avis, de la nature d'un droit d'appel. Cependant,
cela ne veut pas dire que la Division de première instance ne
peut sanctionner l'obligation d'agir équitablement au moyen
des recours discrétionnaires mentionnés à l'art. 18 de la Loi sur
la Cour fédérale.
Dans son jugement, le juge Dickson a fait un
examen approfondi de l'extension qu'ont donnée
au bref de certiorari les tribunaux tant anglais que
canadiens, surtout durant les deux ou trois derniè-
res décennies. A propos de la question de la com-
pétence, en l'espèce, ce qui était la seule question
dont la Cour suprême fut saisie, sa conclusion était
identique à celle du juge Pigeon. L'examen des
opinions exprimées dans les maints jugements l'a
conduit plus loin quant à la portée du bref de
certiorari: il a envisagé de l'appliquer à diverses
circonstances autres que celles examinées par le
juge Pigeon dans les arrêts qu'il avait invoqués. A
mon avis, l'arrêt expose clairement les aspects
importants du bref de certiorari qui y sont étudiés.
Il sera bien accueilli par les juges et les avocats.
Le juge Pigeon a abordé une question que le
juge Dickson n'avait pas étudiée directement et qui
est importante pour la décision à rendre en l'es-
pèce, savoir si le refus par les autorités du péniten-
cier (ou, en l'espèce, par la Commission nationale
des libérations conditionnelles) d'autoriser un
avocat à participer à une audition ou à y représen-
ter la personne dont la conduite est examinée est
sujet au contrôle judiciaire par voie de bref de
certiorari. Le requérant prétend qu'il avait le droit
de se faire représenter par un avocat à l'audition
tenue par la Commission. Le refus par la Commis
sion de donner suite à sa demande constitue le
fondement de sa plainte selon laquelle il n'a pas été
équitablement traité. Le juge Pigeon a, à la page
636, renvoyé à l'arrêt Fraser c. Mudge [1975] 3
All E.R. 78; [1975] 1 W.L.R. 1132, rendu par la
Cour d'appel d'Angleterre. Dans cette affaire, un
détenu accusé d'une infraction à la discipline
(voies de fait sur un gardien de prison) avait
demandé une injonction et une déclaration suivant
laquelle il avait droit à l'assistance d'un avocat à
une audition tenue devant le comité de visiteurs.
La Cour d'appel a, à l'unanimité, confirmé le refus
par le tribunal inférieur d'accorder l'injonction. Le
juge Pigeon a cité des passages extraits des juge-
ments rendus par lord Denning, Maître des rôles,
et par lord juge Roskill. Aux pages 1133 et 1134
du recueil W.L.R., lord Denning s'est exprimé en
ces termes:
[TRADUCTION] ... Nous savons tous que lorsqu'un homme est
amené devant son chef pour une violation des règles de disci
pline, que ce soit dans les forces armées ou sur un navire en
mer, la pratique n'a jamais été d'accorder la représentation par
avocat. Il est de première importance que ces affaires soient
réglées rapidement. Si l'on permettait la représentation par
avocat, des délais considérables s'ensuivraient. C'est aussi le cas
des infractions aux règles de discipline carcérale. L'instruction
doit en avoir lieu rapidement. Ceux qui procèdent à l'instruc-
tion doivent, bien sûr, agir équitablement. Ils doivent informer
l'homme de l'accusation et lui donner une possibilité raison-
nable de faire valoir sa défense. Mais cela peut se faire et se fait
sans que l'affaire soit retardée par la représentation par avocat.
Je ne suis pas d'avis que nous devrions modifier la pratique
existante....
Lord juge Roskill a déclaré 'ce qui suit, après
une référence aux Prison Rules 1964 d'Angleterre
(à la page 80 All E.R.):
[TRADUCTION] ... On recherche les grands principes sous-
jacents de ces règles. Il s'agit de maintenir la discipline en
prison au moyen de décisions appropriées, promptes et rapides,
par le directeur ou les visiteurs; et il me paraît que les exigences
de la justice naturelle ne requièrent pas qu'une personne contre
laquelle des procédures disciplinaires ont été intentées ait le
droit absolu d'être représentée par avocat.
Le juge Pigeon poursuit à la page 637:
Il me parait que l'on a adopté, dans ce que je viens de citer,
une vue juste de la situation du détenu qui fait l'objet de
procédures disciplinaires.
Les déclarations qui précèdent font autorité et
établissent qu'en matière de discipline, un détenu
n'a, en général, aucun droit de se faire représenter
par avocat à une audition tenue devant les auto-
rités pénitentiaires. Selon moi, cela ne veut pas
dire qu'il n'est pas de cas où les tribunaux pour-
ront décider, au nom de l'équité, d'autoriser le
détenu à se faire assister par un avocat. De plus,
une commission des libérations conditionnelles
examinant un cas d'infraction à la libération con-
ditionnelle qu'aurait commise un détenu ne se
trouve pas dans la même position que des autorités
pénitentiaires saisies d'un cas de voies de fait
commis par un détenu sur un gardien ou un
employé de prison. Dans le premier cas, la néces-
sité de statuer rapidement n'est pas aussi grande
ou aussi apparente que dans le second.
Le juge Dickson a, sans la commenter, fait état
de la décision de la Cour d'appel d'Angleterre dans
l'affaire Fraser c. Mudge (susmentionnée). Pour
ce qui est de l'application de la règle d'équité,
quelques-uns de ses propos, quoique ne portant pas
directement sur le droit à l'assistance d'un avocat,
semblent aller dans le même sens que ce que j'ai
exprimé dans le paragraphe précédent. Le juge
Dickson, à la page 614, déclare que dans l'arrêt
Martineau (no 1), le juge Pigeon a nié que la
directive établie par le commissaire constituait un
«code de procédure», mais a également rejeté l'ar-
gument que la simple équité dans son sens de
«bonne foi» satisfaisait à l'obligation d'équité de la
part d'un organisme administratif. Il cite les
propos tenus par le juge Pigeon à la page 127 du
recueil de la Cour suprême:
En toute déférence, je ne puis souscrire à l'opinion selon
laquelle la directive n° 213 exige simplement qu'une décision de
nature disciplinaire, comme l'ordonnance contestée, soit rendue
avec équité et justice.
Le juge Dickson en a tiré la conclusion suivante:
Implicitement donc, la majorité dans Martineau (n° 1) a
reconnu un certain contenu procédural à l'obligation du comité
d'agir équitablement—ce qui est plus exigeant que le minimum
absolu de «bonne foi», mais l'est moins qu'une application
stricte de la procédure énoncée dans la directive.
Les mots «un certain contenu procédural» dans
le contexte d'une «obligation ... d'agir équitable-
ment» signifient clairement qu'un organisme admi-
nistratif, qui n'agit pas de façon judiciaire ou quasi
judiciaire, doit observer certaines règles de procé-
dures nécessaires à l'acquittement de son obliga
tion d'agir équitablement. Ces règles sont d'une
portée assez large pour englober la présence d'un
conseiller juridique dans les cas où l'équité le
commande.
Le juge Dickson, à la page 619, cite le passage
suivant du jugement rendu par lord Denning,
Maître des rôles, dans Schmidt c. Secretary of
State for Home Affairs [ 1969] 2 Ch. 149 (une
décision de la Cour d'appel d'Angleterre), à la
page 170:
[TRADUCTION] Les opinions dans Ridge v. Baldwin [[1964
A.C. 40] ... indiquent qu'un organisme - administratif peut,
dans un cas approprié, être obligé de donner à une personne que
touche sa décision la possibilité de faire valoir des arguments.
Tout dépend de son droit ou intérêt éventuels ou, ajouterais-je,
d'un espoir légitime dont il serait inéquitable de la priver sans
entendre ce qu'elle a à dire.
La «possibilité de faire valoir des arguments»
figurant dans ce passage ne fait pas problème en
l'espèce. On doit la déduire de la disposition légale
prévoyant une audition par la Commission des
libérations conditionnelles postérieurement à la
suspension. Quant aux mots «droit ou intérêt», ils
indiquent qu'un «intérêt», qui n'est pas un «droit» à
proprement parler, pourra, le cas échéant, être
protégé par la Cour au moyen, par exemple, d'un
bref de certiorari.
D'autres décisions ou articles savants cités par le
juge Dickson développent cette question et à la
page 622, il conclut:
A mon avis, on peut recourir au certiorari chaque fois qu'un
organisme public a le pouvoir de trancher une question tou-
chant aux droits, intérêts, biens, privilèges ou libertés d'une
personne.
En supposant que la libération conditionnelle
soit un «privilège» et non un «droit», rester en
liberté constituait certainement aussi bien un «inté-
rêt» qu'un «privilège» du requérant.
Le juge Dickson a abordé une autre question de
compétence qui peut être considérée comme ayant
quelque rapport avec la présente requête. Il s'agit
de ce qu'on appelle l'«exception disciplinaire». Il a
cité trois causes dans lesquelles il a été décidé
qu'on ne peut réviser par voie de certiorari les
décisions d'organismes comme les forces armées,
les services de police ou de pompiers, qui ont leur
propre forme de discipline interne et leurs propres
règles. Par analogie, on avait prétendu que les
pouvoirs disciplinaires échappent au contrôle judi-
ciaire et que cela s'étend à la discipline péniten-
tiaire. Le juge Dickson ne fut pas de cet avis. Il a
examiné plusieurs décisions rendues ces vingt-cinq
dernières années par des Mutes cours d'Angle-
terre, de la Nouvelle-Zélande et du Canada. Sa
conclusion se trouve à la page 628:
Il semble clair que bien que les cours n'interviennent pas
volontiers dans l'exercice de pouvoirs disciplinaires, que ce soit
au sein des forces armées, des services de police ou d'un
pénitencier, il n'y a aucune règle de droit qui exempte nécessai-
rement l'exercice de ces pouvoirs disciplinaires d'un examen par
certiorari.
Il s'agit là, à mon avis, d'une exacte interpréta-
tion de la loi.
Je n'ai aucun doute sur la compétence de la
Cour pour accorder le bref de certiorari. Reste
néanmoins la question de savoir si la Commission a
agi avec équité envers le requérant, et particulière-
ment si son refus de permettre à ce dernier de se
faire assister à l'audition par son conseiller juridi-
que équivalait à un traitement injuste qui justifie-
rait la Cour d'exercer son pouvoir discrétionnaire
en accueillant la demande de bref de certiorari.
A ce stade, il convient de se reporter à une autre
décision citée par l'avocat du requérant et sur
laquelle il s'est fortement appuyé. Il s'agit de
l'arrêt Pett c. Greyhound Racing Association, Ltd.
[1968] 2 All E.R. 545, rendu par la Cour d'appel
d'Angleterre. Un entraîneur de lévriers de course
au service d'un club avait été accusé d'avoir dopé
un lévrier ou d'avoir manqué à ses devoirs de sorte
que le lévrier avait été dopé par quelqu'un d'autre.
Normalement il appartenait aux délégués concer
nés de l'Association de course de régler le cas à
une audition, sans que l'accusé se fasse représenter
par un avocat. Le club s'opposa à toute présence
d'un conseiller juridique. Le secrétaire du club
déclara dans son affidavit que la présence d'un
conseiller juridique causerait du retard et des diffi-
cultés qui feraient obstacle à l'intention des délé-
gués de voir leurs réunions se dérouler rapidement
et équitablement. L'avocat de l'Association soutint
devant la Cour d'appel qu'il incombait aux délé-
gués de décider de la procédure à suivre et que la
décision de ces derniers de ne pas entendre d'avo-
cats ne pouvait donner lieu à l'intervention des
tribunaux.
Lord Denning, Maître des rôles, ne fut pas du
même avis. Il déclara à la page 549 qu'il s'agissait
d'une accusation grave. Déclaré coupable, l'entraî-
neur pouvait être suspendu et son permis pouvait
ne pas être renouvelé. L'accusation compromettait
sa réputation et ses moyens d'existence. Lord Den-
ning poursuivit:
[TRADUCTION] Dans cette enquête, j'estime qu'il a non seule-
ment le droit de comparaître en personne, mais aussi celui de se
faire représenter. Même un détenu peut se faire assister d'un
ami.
Selon lui, la règle générale applicable à ces cas
avait été formulée par le juge Stirling dans l'arrêt
Jackson & Co. c. Napper. In re Schmidt's Trade
Mark (1887) 35 Ch. D. 162, la page 172:
[TRADUCTION] ... que, sous réserve de certaines exceptions
bien connues, toute personne qui jouit d'une pleine capacité
juridique a le droit de se donner un mandataire pour quelque
but que ce soit, et qu'elle peut le faire tout aussi bien pour
l'exercice d'un droit prévu par la loi que pour celui d'un droit
quelconque.
J'aimerais souligner qu'en l'espèce, le requérant
se prévalait d'un droit prévu par la loi en deman-
dant une audition postérieure à la suspension.
Voici ce que lord Denning déclara notamment
ensuite:
[TRADUCTION] Du moment qu'on admet qu'une personne a le
droit de comparaître par représentant, je ne vois pas pourquoi
ce représentant ne pourrait pas être un avocat. Il n'est pas
donné à tout le monde de pouvoir se défendre par lui-même ... .
Si justice doit être faite, on doit pouvoir charger quelqu'un de
parler pour soi, et qui est mieux préparé pour cela qu'un avocat,
dont c'est le métier. J'estime donc que lorsque la réputation
d'un homme ou ses moyens d'existence sont en jeu, il a non
seulement le droit de se défendre lui-même, mais aussi le droit
de se faire représenter par un avocat.
Lord Denning mentionna une opinion contraire
exprimée par le juge Maugham dans l'arrêt
Maclean c. Workers Union [1929] All ER. Rep.
468, la page 471 et il déclara:
[TRADUCTION] Je me contenterai de dire qu'il est passé beau-
coup d'eau sous les ponts depuis 1929. L'opinion incidente
considérée (celle du juge Maugham) peut se justifier lorsqu'il
s'agit seulement de cas où les tribunaux statuent sur des
questions de moindre importance et où la présence d'un conseil-
ler juridique peut à bon droit être exclue par les règles ....
Toutefois, cette opinion ne s'applique pas aux cas où les tribu-
naux sont saisis de questions qui affectent la réputation d'une
personne ou ses moyens d'existence, ou de toutes questions de
grande importance. La justice naturelle exige alors que l'inté-
ressé puisse, si tel est son désir, se faire défendre par un avocat.
En l'espèce, la question dont la Commission des
libérations conditionnelles était saisie était certai-
nement une question de grande importance puis-
qu'elle mettait en cause la liberté, quoique condi-
tionnelle, dont jouissait le requérant, et risquait de
priver ce dernier d'une réduction d'une partie de sa
peine. A cet égard, la présente affaire se rapproche
beaucoup de Pett c. Greyhound Racing Associa
tion, Ltd.
Je sais bien que, huit ans plus tard, dans l'arrêt
Fraser c. Mudge (supra), le même juge a exprimé
l'opinion contraire dans un jugement rendu à
l'unanimité par la Cour d'appel relativement aux
questions dont un comité de discipline des détenus
avait été saisi. Toutefois à mon avis, l'espèce pré-
sente se distingue de l'affaire Fraser c. Mudge. La
Commission nationale des libérations conditionnel-
les n'est pas un comité de discipline des détenus.
Elle ne connaît pas des infractions à la discipline.
Tenant compte des condamnations et en vertu de
son pouvoir discrétionnaire, elle accorde, refuse ou
révoque une libération conditionnelle.
Les faits de l'espèce ont été assez complètement
exposés au début de ces motifs. Il convient de
donner ici quelques détails supplémentaires.
Le paragraphe 8 de l'affidavit du requérant
commence par ces deux phrases:
[TRADUCTION] 8. Que lorsque mon agent de liberté condition-
nelle a pris connaissance des accusations criminelles portées
contre moi, sa décision a d'abord été que, en dépit de ma
détention, ma libération conditionnelle ne serait pas suspendue.
Plusieurs jours plus tard, cette décision a été rapportée.
Ces phrases appellent quelques observations. On
ne saurait accorder beaucoup d'importance à ce
qui est dit dans la première phrase, parce qu'en
dépit de l'affirmation qui y est contenue, rien
n'indique d'où l'intéressé tient ce qu'il dit de la
décision de l'agent de liberté conditionnelle. En
outre, rien ne prouve que son agent de liberté
conditionnelle, R. H. Schau, ait eu le pouvoir de
prendre une telle décision. Il n'est dit nulle part
qu'elle a, en vertu de l'article 16 de la Loi sur la
libération conditionnelle de détenus, été désignée
par la Commission nationale des libérations condi-
tionnelles comme une personne qui est investie du
pouvoir de suspendre une libération conditionnelle.
La suspension, qui eut effectivement lieu six jours
après que le requérant eut été accusé de nouvelles
infractions criminelles qu'il aurait commises alors
qu'il était en liberté conditionnelle, ne fut pas
prononcée par R. H. Schau, mais par Sandra J.
Miller, surveillante de section, qui figurait sur
l'avis de suspension (Rapport de violation), pièce
«B» jointe à l'affidavit du requérant, comme per-
sonne ainsi désignée. Toutefois, ces phrases consti
tuent des énoncés de faits, qui ont été faits sous
serment et qui n'ont été contredits ni dans l'affida-
vit de son agent de liberté conditionnelle ni ail-
leurs. A mon avis, il est possible que l'agent de
liberté conditionnelle ait appris les accusations un
jour ou deux après l'arrestation du requérant et
que ces phrases indiquent quelle était son opinion à
l'époque. Cette conclusion concorde avec le fait
que la suspension, bien que prétendument basée
sur la violation d'une condition de la libération, n'a
eu lieu que six jours après l'entretien portant sur la
discipline, et avec le fait que, lors de l'entretien, on
a demandé au requérant de signer l'«Instruction
spéciale», ce qu'il a fait (voir plus haut). Comme je
l'ai indiqué, l'«Instruction spéciale» semble être un
avertissement, et impliquer qu'étant donné les cir-
constances de l'époque, aucune mesure ne serait
prise en vue de la révocation de la libération
conditionnelle. Toute nouvelle violation de la con
dition prescrite dans l'avertissement pourrait
entraîner la révocation de la libération condition-
nelle. Aucune nouvelle violation de ce genre n'a eu
lieu ou n'aurait pu avoir lieu, puisque l'intéressé a
été arrêté le même jour et accusé de nouvelles
infractions criminelles qu'il aurait commises une
semaine avant l'entretien portant sur la discipline.
A la suite de sa suspension du 30 janvier 1980,
le requérant a demandé une audition. Rien n'indi-
que qu'il devait y être discuté d'autre chose que de
la raison invoquée pour la suspension et de la
question de savoir si, compte tenu de l'«Instruction
spéciale», il devait être suspendu en l'absence de
toute nouvelle violation de la condition considérée.
Il n'a nullement été établi qu'on l'ait averti qu'il
serait interrogé sur les nouvelles accusations crimi-
nelles. Celles-ci étaient graves, mais il avait plaidé
non coupable et n'avait pas encore été jugé, encore
moins condamné.
Les questions que la Commission des libérations
conditionnelles a, à l'audition, posées au requérant
n'ont pas été établies. On ne dispose que de l'affi-
davit du requérant, où celui-ci affirme qu'il a été
requis de déclarer s'il avait commis des actes
criminels. Il n'a pas été informé du but des ques
tions à lui posées, ni de ce à quoi pourraient servir
ses réponses. On lui a fait seulement savoir que les
membres de la Commission devaient examiner les
faits ayant donné lieu à ces accusations. Nous
savons qu'il a répondu à quelques questions, mais
nous ignorons quelles étaient ces questions et quel-
les ont été ses réponses.
Compte tenu de ce qui précède et en dépit du
pouvoir discrétionnaire qu'a la Commission de
révoquer ou de ne pas révoquer la libération condi-
tionnelle du requérant, on peut à tout le moins
soutenir que ses membres n'auraient pas dû l'inter-
roger sur les accusations criminelles. En tout état
de cause, j'estime que le refus d'autoriser le re-
quérant à se faire assister par un avocat au cours
de l'audition constitue un traitement injuste à son
égard.
Il ne faut du reste pas oublier que le but premier
du bref de certiorari est de forcer les juridictions
secondaires à tenir leurs auditions d'une façon
juste et équitable. Ce but a été reconnu comme
étant plus important que la protection des droits
des particuliers.
La demande sera par conséquent accueillie, et
l'ordonnance par laquelle l'intimée a, le 4 mars
1980, révoqué la libération conditionnelle du re-
quérant infirmée. Les dépens seront adjugés en
faveur du requérant.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.