T-3903-77
Mortensen & Lange et International Contract
Carriers Ltd. (Demanderesses)
c.
Neptune International Shipping Ltd. et H. B.
Willis (1974) Inc. (Défenderesses)
Division de première instance, le juge Mahoney—
Montréal, 12 novembre; Ottawa, 17 novembre
1980.
Droit maritime — L'action avait son origine dans une
entreprise en coparticipation portant sur les voyages de navires
affrétés — Confessions de jugement déposées par les défende-
resses — Les sommes revendiquées au principal ainsi que les
dépens ont été réglées par les confessions de jugement — 11
échet d'examiner si les demanderesses ont droit aux intérêts —
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art.
22(2)i).
Arrêt appliqué: Canadian General Electric Co. Ltd. c.
Pickford & Black Ltd. [1972] R.C.S. 52. Distinction faite
avec l'arrêt: Nissan Automobile Co. (Canada) Ltd. c. Le
«Continental Shipper„ [1974] 1 C.F. 88.
ACTION.
AVOCATS:
Trevor H. Bishop pour les demanderesses.
Ian E. Harris pour les défenderesses.
PROCUREURS:
Brisset, Bishop, Davidson & Davis, Montréal,
pour les demanderesses.
Cerini, Salmon, Watson, Souaid & Harris,
Montréal, pour les défenderesses.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Les défenderesses ont
déposé et signifié aux demanderesses, qui les ont
acceptées, des confessions de jugement sur les
sommes revendiquées au principal ainsi que sur les
dépens. Les parties demandent à la Cour de déter-
miner le montant, le cas échéant, des intérêts
payables aux demanderesses. Elles sont convenues
des faits qui doivent servir de base de calcul pour
ces intérêts.
Sous réserve de ce qui suit, l'action des deman-
deresses avait son origine dans une entreprise en
coparticipation portant sur les voyages de certains
navires affrétés. Les demanderesses, d'un côté, et
les défenderesses, de l'autre, se sont engagées à se
partager à parts égales les bénéfices et les pertes
de ces voyages. La défenderesse H. B. Willis
(1974) Inc., ci-après «Willis», n'avait une partici
pation que dans les voyages du navire Pitria Sea.
L'autre défenderesse, Neptune International Ship
ping Ltd., ci-après «Neptune», avait aussi une par
ticipation dans les voyages des navires Uthoern,
Decimus, Imparma Progress, Imbros, Taurus et
Shipmair 4. Le contrat d'entreprise en copartici-
pation portant sur le Pitria Sea avait été résolu
avant l'introduction de l'action. Les autres contrats
étaient en vigueur à cette date, mais ont été résolus
avant la confession de jugement. L'action relative
au contrat portant sur le Pitria Sea fut intentée
le 17 octobre 1977. Les revendications relatives
aux autres accords ont été faites par modification
de la déclaration, déposée le 20 octobre 1980, huit
jours avant la confession de jugement.
Deux des sommes revendiquées, savoir, compte
tenu du taux de change convenu, $692.18 figurant
dans la déclaration initiale et $3,828.03 figurant
dans la déclaration modifiée, ne sont pas imputa-
bles aux contrats d'entreprise en coparticipation.
Ces deux montants ont été repris dans la confes
sion de jugement de Neptune. Les confessions de
jugement portent sur $9,871.15 pour Willis et
$37,581.99 pour Neptune, savoir les soldes que les
défenderesses reconnaissent devoir aux demande-
resses, défalcation faite des sommes revendiquées
reconventionnellement et que les demanderesses
reconnaissent leur devoir. Environ 86 p. 100 de la
somme susmentionnée de $37.581.99,à laquelle
acquiesce Neptune, soit $32,320.51, se rapportent
à l'entreprise en coparticipation relative au Pitria
Sea. Sur les $5,261.48 restants, $4,520.21 ne sont
pas imputables aux entreprises en coparticipation.
Je ne puis m'appuyer sur rien pour ventiler les
sommes reconnues entre principal et dépens.
Comme les parties ne tiennent certainement pas à
une décision au hasard, je présume qu'en conve-
nant d'un jugement portant sur [TRADUCTION] «le
principal et les dépens inclusivement», les parties
ont essentiellement accepté de supporter leurs pro-
pres dépens. Cette présomption est corroborée par
le passage suivant de l'exposé conjoint des faits,
moins nettement que l'on aurait pu souhaiter il est
vrai:
[TRADUCTION] 8. Les sommes revendiquées par les demande-
resses dans leur déclaration modifiée ont été défalquées des
sommes revendiquées reconventionnellement par les défende-
resses et le solde dû aux demanderesses est constitué par les
sommes auxquelles les défenderesses ont acquiescé, sous réserve
de la transaction conclue par les parties le 28 octobre 1980.
L'exception prévue dans la transaction n'a aucun
rapport avec les dépens mais porte sur l'entreprise
en coparticipation Imbros.
Le navire Imbros fut perdu en mer en décembre
1975, cependant qu'il faisait encore l'objet de l'une
de ces entreprises en coparticipation, dont il restait
à résoudre deux questions. Celles-ci ne font pas
l'objet de la confession de jugement de Neptune,
mais sont résolues dans la transaction. Elles n'inté-
ressent le présent litige que dans la mesure où elles
ont été invoquées par Neptune pour demander à la
Cour de rejeter la demande d'intérêts des deman-
deresses. Une réclamation est encore pendante
contre Neptune, pour le recouvrement de 20,475
$EU plus les intérêts et les dépens. Une autre
revendication de 2,235,000 $EU contre Neptune
faisait l'objet d'une action intentée en décembre
1977 et rejetée en juillet 1979. Dans cette action,
Neptune a subi des frais et dépens s'élevant à
11,412.02 $EU et 2,824.92 $CAN qu'elle cherche
maintenant à recouvrer. Toutes ces revendications,
faites par Neptune ou contre elle, découlent de
l'entreprise en coparticipation.
Rien de ce qui précède ne constitue, pour Willis,
un motif valable pour ne pas régler ses comptes
avec les demanderesses. Le seul point important
dont se prévalent Willis et Neptune tient à ce
qu'aucun des contrats d'entreprise en coparticipa-
tion ne prévoit le règlement des comptes entre les
parties. Il faut souligner que chaque entreprise en
coparticipation faisait l'objet d'un contrat séparé
et portait sur un navire distinct.
Le droit aux intérêts avant jugement se fonde
sur le droit maritime, et non sur la common law.
Le magistère canadien en la matière est l'arrêt
Canadian General Electric Company Limited c.
Pickford & Black Limited':
La règle, en Cour d'amirauté, est la même que celle qui
s'applique aux affaires d'amirauté en Angleterre et, à mon avis,
le Juge A. K. MacLean, agissant en tant que Président de la
Cour de l'Échiquier, l'énonce exactement dans The Pacifico v.
Winslow Marine Railway and Shipbuilding Company ([1925]
2 D.L.R. 162 167, [1925] R.C. de l'É. 32) lorsqu'il dit:
[1972] R.C.S. 52, aux pp. 56 et suiv.
[TRADUCTION] Le principe adopté par la Cour d'ami-
rauté, statuant en equity, énoncé par sir Robert Phillimore
dans The Northumbria (1869) 3 A. & E. 5, et tiré du droit
civil, est que le créancier a toujours droit aux intérêts lorsque
le débiteur a différé le paiement, que l'obligation résulte d'un
contrat ou d'un délit. Il semble que le point de vue adopté par
la Cour d'amirauté a été que la personne responsable d'une
dette ou de dommages, ayant retenu la somme à payer au
demandeur, devrait être considérée comme l'ayant reçue
pour le compte de celui à qui le principal est payable. Les
dommages et les intérêts, en vertu du droit civil, sont la perte
qu'une personne a subie ou le gain qu'elle a manqué de
réaliser. Les motifs sont, je crois, nombreux et manifestes de
faire prévaloir, dans des affaires comme celle-ci, un principe
différent de celui qui s'applique aux affaires commerciales
ordinaires.
Je crois que, dans l'exercice de la juridiction d'equity de
cette Cour, étant donné que la Cour d'amirauté a toujours
jugé selon des principes différents et dissemblables de ceux
dont les principes de la common law paraissent tirés, le
demandeur en la présente affaire a droit aux intérêts accor
dés par la cour de première instance, dans son ordonnance
formelle de jugement.
Il est donc bien établi qu'il y a une nette distinction entre la
règle appliquée dans les cours de common law et celle qui l'est
en amirauté quant à ce qui est d'accorder une demande d'inté-
rêts comme partie intégrante des dommages adjugés.
Bien que la plupart des décisions citées en réfuta-
tion des prétentions aux intérêts des demanderes-
ses, touchent à la common law et non au droit
maritime, les défenderesses ne soutiennent pas
expressément que les entreprises en coparticipation
dont s'agit échappent au droit maritime. L'alinéa
22(2)i) de la Loi sur la Cour fédérale 2 s'applique
aux contrats de ce genre et soumet les recours qui
s'y rapportent au droit maritime canadien. En tout
cas, je ne comprends pas, vu les implications juri-
dictionnelles, que les défenderesses aient fait une
confession de jugement devant la Cour au lieu de
faire valoir cet argument de façon explicite, si elles
pensaient sérieusement qu'il est fondé.
Cela dit, il n'est pas établi que la revendication
des sommes de $692.18 et de $3,828.03 soit fondée
sur le droit maritime. La seconde de ces deux
sommes est d'ailleurs incluse dans un solde dont
les intérêts avant jugement ne couraient que pour
huit jours. Aucune autre date n'a été établie qui
puisse servir de point de départ pour ces intérêts.
2 S.R.C. 1970 (2° Supp.), c. 10.
22. (2) ...
i) toute demande née d'une convention relative au trans
port de marchandises à bord d'un navire, à l'utilisation ou
au louage d'un navire soit par charte-partie, soit
autrement;
Selon l'adage, de minimis non curat lex, je n'ac-
corderai les intérêts que pour la somme de
$9,871.15 reconnue par Willis, et pour la somme
de $32,320.51 reconnue par Neptune, à l'égard de
l'entreprise en coparticipation dans le Pitria Sea,
et ce, à compter du jour de l'introduction de
l'action.
Les défenderesses se sont fondées sur l'arrêt
Nissan Automobile Co. (Canada) Ltd. c. Le «Con-
tinental Shipper» 3 pour faire valoir que la Cour
doit décliner compétence pour ce qui est de l'octroi
des intérêts. L'arrêt cité porte ce qui suit [à la
page 89]:
En l'espèce, dans l'exercice de ma discrétion, j'estime qu'au-
cun intérêt ne devrait être accordé à compter de la date de
l'introduction de l'action ni à compter de la date à laquelle les
dépenses faisant l'objet de cette action ont été engagées. La
question en litige dans cette action, m'avait-on signalé, n'avait
jamais été résolue par un tribunal canadien et c'est pourquoi les
défendeurs avaient nié toute responsabilité en se fondant sur ce
qui, selon eux, étaient des motifs raisonnables; mais, en fin de
compte, comme ma décision le montre, ils avaient tort. Je pense
cependant qu'en raison de l'absence de jurisprudence antérieure
à cet égard, ils ne devraient être pénalisés par le paiement
d'intérêts sur les dommages-intérêts accordés par ce jugement.
Dans l'espèce citée, le rejet de la demande d'inté-
rêt était manifestement fondé sur le caractère
entièrement nouveau des points litigieux, et non
sur la conviction de la défenderesse qu'elle avait un
moyen de défense ou une demande reconvention-
nelle valide.
On ne peut nier que, pour Neptune, la réclama-
tion de $2,235,000 $EU, relative à l'entreprise en
coparticipation Imbros, constitue, tant qu'elle est
pendante et du point de vue des tffaires, une bonne
raison de ne pas se séparer de l'argent qu'elle
devait aux demanderesses. Mais bonne raison au
point de vue des affaires ne signifie pas points
litigieux nouveaux. De même, les autres incertitu-
des, à propos de l'Imbros ou de n'importe laquelle
des autres entreprises en coparticipation ne sau-
raient être un motif valable pour refuser de régler
les comptes relatifs à l'entreprise en coparticipa-
tion, dont celui du Pitria Sea. Le fait qu'aucun des
contrats d'entreprise en coparticipation, dont celui
du Pitria Sea en particulier, ne prévoit les modali-
tés de règlement des comptes ne saurait excuser un
retard non justifié de la part de l'une ou l'autre des
parties.
3 [1974] 1 C.F. 88.
En conséquence, je conclus que la Cour doit
exercer ses pouvoirs discrétionnaires pour accorder
aux demanderesses des intérêts sur le montant de
$9,871.15 contre Willis et de $32,320.51 contre
Neptune, à courir du jour de l'introduction de
l'action à celui du dépôt des confessions de
jugement.
En ce qui concerne le taux de ces intérêts, les
parties ont admis qu'entre les deux dates susmen-
tionnées, soit le 17 octobre 1977 et le 28 octobre
1980, le taux des prêts commerciaux variait entre
8.25 p. 100 et 17.50 p. 100 par an. Pour cette
période de 1,106 jours, ce taux restait à son bas
niveau pendant 144 jours, et à son niveau élevé
pendant seulement 15 jours. Il changeait parfois
plusieurs fois par semaine. Le taux d'intérêts
moyen pondéré des prêts commerciaux avoisine
11.77 p. 100 pendant la période dont s'agit. Les
preuves admissibles permettant de calculer les
frais de trésorerie des demanderesses pendant cette
période, ni la loi ni la raison n'autorise à fixer
arbitrairement un taux notablement inférieur.
J'accorderai donc le taux de 11.75 p. 100 par an.
Jugement en date du 28 octobre 1980 sera rendu
conformément aux présents motifs et aux confes
sions de jugement. Il va de soi que le délai d'appel
commence à courir de la date de l'inscription du
jugement au greffe de la Cour.
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