T-877-76
Antoine Guertin Ltée (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Dubé—
Montréal, 9 et 10 décembre 1980; Ottawa, 6 jan-
vier 1981.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions —
Appel de cotisations — II échet d'examiner si la portion des
primes d'assurance sur la vie donnée en garantie d'un prêt est
déductible — II échet d'examiner si les salaires versés à deux
directeurs sont raisonnables compte tenu des preuves adminis-
trées — Il échet d'examiner si le recours à une organisation de
charité, à qui la demanderesse et ses employés ont fait des
dons, constituait un pur simulacre orchestré par la demande-
resse aux fins de réduire artificiellement son revenu — Loi de
l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, art. 11(1)cb)(ii), S.C.
1970-71-72, c. 63, art. 20(1)e)(ii) et 245(1).
La demanderesse forme appel des cotisations pour les années
d'imposition 1970, 1971 et 1972 l'endroit de primes d'assu-
rance sur la vie, de salaires et de dons de charité. (1) Les
primes d'assurance: il avait été décidé qu'une partie des primes
d'une police d'assurance sur la vie—partie qui représentait le
coût d'une police temporaire—donnée en garantie d'un prêt,
n'était pas déductible pour le motif que ces primes achetaient
une assurance permanente et que la demanderesse acquérait un
actif de nature capitale. (2) Les salaires: la demanderesse avait
versé à la mère et à la soeur du président (toutes deux directri-
ces) des salaires; ils furent réduits dans chaque cas parce qu'ils
s'avéraient déraisonnables. (3) Les dons de charité: en 1972, la
Fondation St-Pie, une organisation de charité créée par le
fondateur de la demanderesse, avait reçu de la demanderesse et
de ses employés des dons de charité (dont une partie provenait
des bonis de cette dernière). Il échet d'examiner si l'utilisation
de la Fondation constitue un pur simulacre orchestré par la
demanderesse aux fins de réduire artificiellement son revenu.
Arrêt: l'appel est accueilli. (1) Les primes d'assurance: une
somme égale au montant de la prime pour l'assurance-vie
temporaire (sans valeur de rachat) correspondant à la dette à
être remboursée est déductible en vertu de l'article 20(1)e)(ii)
de la Loi de l'impôt sur le revenu. C'est une dépense engagée
dans l'année à l'occasion d'un emprunt en vue de tirer un
revenu d'une entreprise. (2) Les salaires: la preuve administrée
démontre que les salaires versés à la mère du président n'étaient
pas déraisonnables, contrairement à ceux versés à sa soeur dont
la participation et l'expérience étaient infimes. (3) Les dons de
charité: il ne s'agit pas en l'espèce d'une série d'opérations
fictives. Toutes les transactions entre la demanderesse et la
Fondation ont été inscrites dans les livres des deux entités et
fidèlement rapportées à l'impôt. La Fondation est enregistrée
comme organisation de charité en vertu de l'article 110(1)a) de
la Loi, autorisant la déductibilité des dons. L'objectif principal
de ces opérations n'était pas de réduire artificiellement le
revenu mais plutôt de réaliser à l'intérieur des cadres de la Loi
un idéal, à la fois pratique et généreux. S'il y avait présomption
d'artifice, elle a été surmontée.
Distinction faite avec l'arrêt: Equitable Acceptance Corp.
Ltd. c. Le ministre du Revenu national [1964] R.C.É. 859.
Arrêts examinés: Snook c. London & West Riding Invest
ments, Ltd. [1967] 1 All E.R. 518; Le ministre du Revenu
national c. T. R. Merritt Estate [ 1969] 2 R.C.É. 51.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
Claude Desaulniers pour la demanderesse.
Roger Roy et Daniel Verdon pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Tamaki, Mercier & Robb,
Montréal, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE DUBÉ: La demanderesse, incorporée au
Québec en 1946, exploite un moulin pour la fabri
cation de moulées ainsi que des fermes à St-Pie.
Elle en appelle des cotisations du Ministre pour
les années d'imposition 1970, 1971 et 1972 l'en-
droit de primes d'assurance sur la vie du président,
Jacques A. Guertin, de salaires payés à la mère du
président (madame Antoine Guertin) et à la soeur
du président (madame Andrée Gaudreault), et de
dons de charité versés par la demanderesse et ses
employés à la Fondation St-Pie.
1. Les primes d'assurance
En 1969, la demanderesse a emprunté de la
Banque d'Expansion Industrielle la somme de
$300,000—pour l'achat et la mise en opération de
fermes—en garantie de laquelle somme la Banque
a exigé le transport d'une assurance sur la vie du
président au montant de $200,000 et du gérant,
Emile Cordeau, au montant de $100,000. Le
Ministre a accepté la déduction des primes d'assu-
rance temporaire pour Émile Cordeau, mais a
refusé la déduction des primes de $1,090 sur la vie
du président pour le motif que ces primes ache-
taient une assurance permanente et que la deman-
deresse acquérait ainsi un actif de nature capitale.
Par contre, le comptable de la demanderesse a
expliqué au tribunal que sa cliente n'a comptabi-
lisé aux dépenses que le coût d'une police tempo-
raire et a porté la différence contre son surplus.
Pour une police temporaire de vingt ans au mon-
tant de $200,000 en date du 15 juin 1969 pour
Jacques Guertin, âgé alors de 34 ans, la prime
annuelle se chiffrait à $1,090. L'intention de la
compagnie a été de n'imputer aux dépenses que la
portion de la prime applicable à l'emprunt. La
demanderesse n'a pas imputé la prime annuelle
complète de $4,022 laquelle représente une prime
sur l'assurance-vie avec valeur de rachat. L'année
1973 confirme cette intention: le montant de
$1,090 de prime a été réduit à $1,030.05 vu que
l'emprunt de $200,000 était alors rendu à
$189,000.
A mon avis, cette partie de la prime ($1,090)
doit être considérée comme une dépense engagée
dans l'année à l'occasion d'un emprunt d'argent
utilisé par le contribuable pour gagner un revenu
provenant d'une entreprise, en l'occurrence une
entreprise agricole comprenant un terrain, des
bâtiments, de la machinerie et de l'outillage. Le
transport d'une assurance de $200,000 sur la vie
du président, jusqu'au repaiement de la dette, était
une condition essentielle du prêt.
Une somme égale au montant de la prime pour
l'assurance-vie temporaire (sans valeur de rachat)
correspondant à la dette à être remboursée est
donc déductible en vertu du sous-alinéa
11(1)cb)(ii) de l'ancienne Loi [Loi de l'impôt sur
le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, modifiée] et du
sous-alinéa 20(1)e)(ii) de la nouvelle Loi [S.C.
1970-71-72, c. 63, ci-après appelée la Loi], lequel
sous-alinéa se lit:
20. (1) ...
e) une dépense engagée dans l'année,
(ii) à l'occasion d'un emprunt contracté par le contribuable
et utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un
bien (autre que l'argent utilisé par le contribuable pour
acquérir un bien dont le revenu serait exonéré d'impôt),'
Dans l'affaire Equitable Acceptance Corpora
tion Ltd. c. M.R.N. 2 , mon collègue le juge Catta-
nach a décidé que des primes de police d'assurance
sur la vie du président de la demanderesse
' L'exception entre parenthèses ne s'applique pas ici puisqu'il
n'est pas allégué que le revenu de la ferme achetée par la
demanderesse serait exonéré d'impôt.
2 [19641 R.C.É. 859.
n'étaient pas déductibles, précisément parce qu'il
s'agissait d'assurances permanentes ne se limitant
pas à la durée de l'emprunt mais à toute la vie de
l'assuré, avec valeur de rachat, et que donc ces
polices constituaient un actif durable sur lequel la
compagnie pouvait emprunter à nouveau une fois
le premier emprunt acquitté.
Une telle prime, bien sûr, n'était pas déductible;
mais un montant égal à la prime d'une assurance-
vie temporaire couvrant le montant de l'emprunt
est déductible aussi bien pour le président d'An-
toine Guertin Ltée que pour le gérant, même si
dans le premier cas la compagnie s'est procuré une
assurance permanente—non pas pour échapper à
l'impôt mais pour économiser—et dans le second,
une assurance temporaire.
2. Salaires payés à mesdames Guertin et
Gaudreault
Pour les années d'imposition en question, la
demanderesse déclare avoir versé à mesdames
Guertin et Gaudreault les salaires suivants sur
lesquels elles ont payé l'impôt:
1970
Madame Guertin $17,681.81
Madame Gaudreault $13,346.83
1971
Madame Guertin $12,631.72
Madame Gaudreault $ 8,911.95
1972
Madame Guertin $12,994.68
Madame Gaudreault $ 9,156.95
Le Ministre a réduit à $3,000 par année les
salaires précités alléguant qu'ils s'avèrent dérai-
sonnables compte tenu de l'infime participation de
ces deux directrices de la compagnie, de leur
minime expérience, et de leur absence presque
totale des lieux de l'entreprise.
Selon le témoignage de Jacques Guertin, lequel
n'a pas été contredit, sa mère a participé à la
fondation de l'entreprise aux côtés de son père.
Elle y a elle-même investi des fonds en provenance
de son héritage. Depuis les débuts, elle voyait au
financement et à la gestion de la compagnie. Son
mari, Antoine Guertin, s'occupait plutôt de la
machinerie du moulin et de la technique. C'est
madame Guertin qui rencontrait les fournisseurs,
assistait aux conventions.
Après le départ de son mari, madame Guertin a
continué à s'intéresser au bon fonctionnement de
l'entreprise. A tous les midis, elle rencontrait le
nouveau président, son fils, à la table de la de-
meure familiale située en face du moulin. C'est là
que les problèmes de la journée étaient discutés et
réglés. Elle assistait à toutes les réunions du con-
seil d'administration; elle se rendait au bureau
pour vérifier l'état des affaires. C'est elle qui si-
gnait les chèques en l'absence du président. Alors
que son mari s'était retiré pour cause de sa santé et
avait commencé à prendre des vacances de plus en
plus longues au Grand Bahama et dans le Maine,
l'apport expérimenté de l'épouse gagnait de l'im-
portance. Dans les circonstances, je ne considère
pas les salaires payés à madame Guertin comme
étant déraisonnables et je crois juste qu'ils soient
acceptés par le Ministre.
Par contre, la situation me semble différente en
ce qui a trait aux salaires payés à madame Gau-
dreault. Cette dernière ne vivait même pas à
St-Pie, mais en banlieue de Montréal. Elle assistait
bien aux réunions du conseil d'administration et
rendait certains services quand la compagnie vou-
lait transiger à Montréal, soit auprès des fournis-
seurs, soit pour effectuer quelques courses au nom
de la compagnie. Dans son cas, la preuve démontre
que la participation a été en effet très minime. Son
expérience des affaires de la demanderesse est
également infime. La réduction de son salaire à
$3,000 par année aux fins de l'impôt est donc
raisonnable et doit être confirmée.
3. Dons à la Fondation St-Pie
La Fondation a été incorporée le 23 décembre
1960 selon la Partie III de la Loi des compagnies
de Québec, S.R.Q 1941, c. 276. C'est une organi
sation de charité reconnue par le ministère du
Revenu national portant le numéro d'enregistre-
ment 0133801-03-08. Elle verse tous ses revenus
aux missions étrangères.
Antoine Guertin, le fondateur de la compagnie
demanderesse, était également le créateur de la
Fondation St-Pie. Il appert qu'il était une personne
extrêmement religieuse. Il était l'instigateur du
«Chapelet en famille», une émission d'un poste de
radio de Montréal. Deux de ses filles sont devenues
religieuses cloîtrées. Lui-même a tenté de devenir
prêtre à l'âge de 65 ans, quelques années avant sa
mort. Profondément intéressé aux missions, il s'est
révélé un zélateur généreux, surtout à l'endroit de
la Mission de St-Hyacinthe au Brésil, une commu-
nauté de son diocèse. C'est cette dernière Mission
qui recevait le gros des revenus distribués chaque
année par la Fondation. Au cours de l'année 1972,
la seule année visée par le présent appel en ce qui a
trait aux dons, cette Mission a reçu $5,000 des
$7,336 distribués.
Pour l'année d'imposition en question, la deman-
deresse a remis à la Fondation un chèque de
$12,400 à titre de don de charité. De plus, la
demanderesse, au cours de cette période, a remis à
ses employés des bonis au montant de $111,653.60
et, à même ces bonis, les employés ont versé une
somme totale de $39,155 en don de charité à la
Fondation. Au cours des années, la compagnie
remettait généralement un seul chèque de boni à
chaque employé. Pour l'année 1972, le comptable
St-Onge a pris l'initiative de diviser les bonis en
trois, une partie pour la Fondation, une autre à
titre de prêt à la demanderesse pour être versée à
un fonds de pension au bénéfice des employés, et
une troisième tranche représentant le solde du boni
à être conservée entre les mains des employés.
St-Onge a donc remis trois chèques à chaque
employé pour cette année-là.
Selon la défense, «l'utilisation de la Fondation
St-Pie, alliée à la complicité des employés, consti-
tue une pure simulation orchestrée par la deman-
deresse aux fins de réduire artificiellement son
revenu>. La défense ajoute que les montants de
$39,155 et de $12,400 «constituent des déboursés
relativement à une affaire ou opération, que s'ils
étaient permis, réduiraient indûment ou de façon
factice le revenu de la demanderesse, le tout con-
trairement à l'article 245 (1) de la Loi». L'article se
lit comme suit:
245. (1) Dans le calcul du revenu aux fins de la présente loi,
aucune déduction ne peut être faite à l'égard d'un débours fait
ou d'une dépense faite ou engagée, relativement à une affaire
ou opération qui, si elle était permise, réduirait indûment ou de
façon factice le revenu.
D'après son fils, l'idée d'octroyer des bonis était
venue à Antoine Guertin à la lecture d'un article
du Digest vantant les mérites de cette formule
comme encouragement à la participation des
employés au progrès d'une entreprise. La pratique
de ces bonis continue encore chez la demanderesse.
Selon le président actuel, les résultats sont pro-
bants: il n'y a jamais eu de conflit ouvrier au
moulin et les bénéfices augmentent chaque année.
La liste des bonis est préparée par le conseil
d'administration. Selon le président, les montants
individuels du boni reposent sur trois facteurs:
l'augmentation du coût de la vie, le nombre d'an-
nées de service, et le rendement individuel. La
somme totale à être divisée dépend des profits de
la compagnie. (L'année 1972 avait été excellente.)
A l'époque, Antoine Guertin prenait la liste et
visitait tous les employés. Animé de son ardente
ferveur missionnaire, il réussissait à les convaincre
de donner généreusement. Il n'est pas impossible,
même probable, qu'il leur ait fait miroiter la possi-
bilité de bonis plus ou moins intéressants selon la
générosité des dons. Pour l'année en cause, une
série de chèques d'Antoine Guertin Ltée en date
du 30 novembre 1972 (au terme de l'année fiscale
de la compagnie) au nom des employés a donc été
endossée par ces derniers avec la mention «Dépôt
au capital de la Fondation St-Pie». Ces chèques au
montant global de $39,155 (ainsi que le chèque de
$12,400 de la compagnie) furent remis à cette date
au compte de la Fondation St-Pie et encaissés par
elle le 22 décembre 1972.
Ces fonds au montant total de $51,555 furent
immédiatement prêtés par la Fondation à la
demanderesse qui lui remit un nouveau billet pro-
missoire au même montant portant intérêt au taux
de 7%. Au cours des années précédentes, la Fonda-
tion avait ainsi prêté les dons reçus à la demande-
resse sur billets promissoires. La pratique s'est
continuée d'année en année, au mois de novembre,
alors que le total des dons était prêté à la deman-
deresse sur billet promissoire. En retour, la deman-
deresse paie des intérêts de 7% à la Fondation et ce
sont ces revenus qui sont par après distribués aux
missions.
La Fondation produit régulièrement les rapports
financiers et autres formulaires requis par le
ministère du Revenu national. Tout donateur peut
devenir membre actif de la Fondation sur accepta-
tion du bureau de direction. Les directeurs ne sont
pas des employés de la compagnie, à l'exception
d'Émile Cordeau qui était auparavant gérant de la
demanderesse et maintenant de Jean St-Onge, son
successeur à titre de gérant de la demanderesse et
à titre également de secrétaire de la Fondation. Le
fondateur Antoine Guertin n'était pas demeuré
directeur de la Fondation après son incorporation.
Le capital de la Fondation a atteint les $485,000
en 1977 et il est demeuré stable. Tous ces argents
sont encore prêtés à la demanderesse et les intérêts
de 7% continuent à être distribués aux missions.
Cordeau a quitté la demanderesse en 1972 et la
Fondation en 1973. Son successeur a témoigné
qu'il a suivi la tradition établie par Cordeau, y
compris la pratique des dons et des prêts. Les
réunions de la Fondation ont lieu au bureau de
St-Onge au moulin de la demanderesse et c'est là
que les livres de la Fondation sont tenus.
La Fondation n'a ni local, ni bureau, ni
employé. Ses seules dépenses se limitent au $10
qu'elle paie chaque année au Ministère des institu
tions financières du Québec. Le solde des recettes
(les intérêts du prêt à la demanderesse) est distri-
bué aux missions.
Selon les témoignages de Jacques Guertin, du
comptable agréé et vérificateur de la compagnie
Yvon Boyer, ainsi que de Jean St-Onge, les trois
seuls témoins à l'audition, le système de bonis aux
employés et de dons à la Fondation reflète la
pensée du fondateur des deux entités, lequel
recherchait à la fois la paix industrielle à l'usine et
la réalisation de ses vues spirituelles par le truche-
ment de la Fondation.
D'après son fils, Antoine Guertin aurait voulu,
vers la fin de sa vie, verser tous les revenus de la
compagnie à la Fondation. Jacques Guertin, qui
admet volontiers être beaucoup moins religieux
que son père, s'est bien gardé de succomber à cette
proposition.
Il reste donc à savoir si l'utilisation de la Fonda-
tion constitue un pur simulacre orchestré par la
demanderesse et ses employés aux fins de réduire
artificiellement le revenu, comme le prétend le
Ministre, ou si les bonis sont des dépenses couran-
tes légitimes, engagées dans le cours des affaires
de la compagnie en vue de gagner un revenu, et si
les dons à la Fondation sont des déductions permi-
ses et déductibles.
Malheureusement, les deux témoins qui auraient
le mieux éclairci la situation, en l'occurrence le
fondateur et son épouse, sont tous deux décédés. Il
n'en ressort pas moins des témoignages des trois
témoins de la demanderesse que les buts essentiels
visés par Antoine Guertin ont été atteints: le sys-
tème de bonis assure à la compagnie une main-
d'oeuvre loyale et efficace et la Fondation détient
maintenant un capital constant dont les revenus
annuels alimentent les missions. Cette heureuse
formule procure également à la demanderesse
deux autres résultats bénéfiques. Dans un premier
temps, l'octroi de bonis augmente les dépenses de
la compagnie et conséquemment diminue l'impôt
payable; dans un deuxième temps, la compagnie
jouit d'une source d'emprunt à intérêt très
favorable.
Aucune des transactions précitées n'est voilée, ni
illicite. La Fondation détient des lettres patentes la
constituant en corporation dont les objets sont
d'administrer des fonds et des contributions pour
venir en aide à des institutions de charité. Adve-
nant la dissolution de la corporation, ses actifs nets
doivent être versés à des organisations ayant des
buts similaires. La Fondation est enregistrée
comme organisation de charité en vertu de l'alinéa
110(1)a) de la Loi autorisant la déductibilité des
dons.
A l'exception de Cordeau en 1972 (et mainte-
nant de St-Onge), les directeurs ne sont pas atta-
chés à la compagnie. Les donateurs non plus ne
proviennent pas exclusivement des rangs de la
compagnie: le fondateur avait également sollicité
les cultivateurs de la région ainsi que des fournis-
seurs et autres clients. Rien n'empêche la Fonda-
tion de prêter ses argents ailleurs et elle est libre
d'augmenter ses taux une fois le billet expiré. La
charte d'incorporation prévoit qu'advenant la dis
solution, les actifs ne retournent pas à la compa-
gnie mais bien à d'autres organismes dédiés au
soutien des missionnaires. L'actif de la Fondation
a maintenant atteint un plateau et il n'y a plus de
zélateur pour prélever des dons auprès des
employés ou ailleurs.
Les argents remis aux employés en 1972 titre
de bonis sont entrés dans les livres de la compagnie
comme tels et paraissent aux formules T-4 de ces
employés comme du revenu. Leurs dons de charité
sont également déclarés comme tels. Il appert que
le fondateur discutait avec chaque employé, ainsi
qu'avec le comptable, le montant maximum déduc-
tible que chaque employé pouvait verser à la Fon-
dation. Il n'y a rien, bien sûr, de répréhensible à ce
que des contribuables avertis bénéficient au maxi
mum de la déductibilité de leurs dons.
Si les dons de la compagnie et de ses employés
ont réduit le revenu de la demanderesse, il ne faut
pas en conclure pour autant que ces dépenses sont
irraisonnables et illégitimes. Analysés à la lumière
des objectifs principaux qui ont présidé à l'origine
de la compagnie et de la Fondation, ces dons ne
m'apparaissent pas comme ayant été effectués
dans le but primordial de diminuer le revenu,
même si ce résultat a été obtenu, mais en vue
surtout de réaliser les objectifs déjà cités. Cette
réduction du revenu n'est donc pas nécessairement
irréelle et artificielle 3 .
Dans ce contexte il y a lieu de répéter le passage
souventefois cité de lord Diplock 4 dans Snook c.
London & West Riding Investments, Ltd.:
[TRADUCTION] Quant à la prétention du demandeur que les
opérations entre lui-même, Auto-Finance, Ltd., et les défende-
resses étaient de la «frime» à mon avis, il est nécessaire d'exami-
ner quel concept juridique, s'il en est, met en jeu l'emploi de ce
mot populaire et péjoratif. Je crois que, s'il a un sens en droit, il
signifie des actes faits ou des documents signés par les parties à
la «frime», dans l'intention de faire croire à des tiers ou à la
cour qu'ils créent entre les parties des obligations et droits
légaux différents des obligations et droits légaux réels (s'il en
est) que les parties ont l'intention de créer.
Je ne vois pas qu'il s'agisse en l'espèce d'une
série d'opérations fictives, ou de dissimulations, ou
d'évasions. Il faut toujours retenir que toutes les
transactions entre la demanderesse et la Fondation
ont été inscrites dans les livres des deux entités et
fidèlement rapportées à l'impôt. L'objectif princi
pal de ces opérations, à mon sens, n'était pas de
réduire artificiellement le revenu mais plutôt de
réaliser à l'intérieur des cadres de la Loi l'idéal, à
la fois pratique et généreux, qui animait Antoine
Guertin. Il n'a pas été démontré d'ailleurs que la
demanderesse y gagne en revenu, puisqu'il ne faut
pas oublier que le capital de $485,000 demeure la
propriété de la Fondation: la demanderesse devra
un jour rembourser son emprunt.
Le savant procureur de la défenderesse a soulevé
en outre l'argument que la demanderesse et la
Fondation ne traitant pas à distance, il en résulte
3 Vide Sigma Explorations Ltd. c. La Reine [1975] C.F. 624,
aux pp. 634 et 635.
4 [1967] 1 All E.R. 518, à la p. 528.
une présomption que ces transactions entre les
deux sont artificielles, présomption qu'il apparte-
nait à la demanderesse de démolir 5 . Il se réfère
plus particulièrement au passage d'un jugement de
mon collègue le juge Cattanach dans M.R.N. c. T.
R. Merritt Estate 6 :
[TRADUCTION] Selon moi, le principe fondamental sur lequel
se fonde la présente analyse est le suivant: lorsque les négocia-
tions menées au nom de chacune des deux parties au contrat
sont en fait dirigées par le même «cerveau», on ne peut dire que
les parties traitent à distance. En d'autres termes, lorsque la
preuve révèle que la même personne «dictait» les «conditions de
la transaction» au nom de chacune des deux parties, on ne peut
dire que les parties traitaient à distance.
Encore une fois, même si, au début, la personne
d'Antoine Guertin dominait les deux entités, la
situation n'était plus la même pour la période qui
nous concerne. En 1972, le seul lien existant vrai-
ment entre la compagnie et la Fondation était
Émile Cordeau, lequel n'était pas un actionnaire
de la demanderesse. Il n'y a sûrement pas lieu de
croire que ce dernier dictait les termes d'une
entente entre les deux compagnies. D'ailleurs,
même s'il y avait présomption d'artifice, elle a été
surmontée à ma satisfaction par la preuve, laquelle
établit clairement l'existence réelle de dons chari-
tables acheminés vers un but précis et légitime.
Dans les circonstances, il y a lieu d'accueillir le
pourvoi et d'annuler les nouvelles cotisations
émises par le ministère du Revenu national à
l'endroit de la demanderesse pour les années 1970,
1971 et 1972, à l'exception de la réduction à
$3,000 du salaire versé à dame Andrée Gau-
dreault, laquelle réduction est confirmée. Le tout
avec dépens.
5 Vide Mulder Bros. Sand & Gravel Ltd. c. M.R.N. 67 DTC
475; Spur Oil Ltd. c. La Reine [1981] 1 C.F. 461; Robson
Leather Co. Ltd. c. M.R.N. 77 DTC 5106.
6 [1969] 2 R.C.E. 51, aux pp. 62 et 63.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.