T-5229-80
Raymond-Viateur Beauvais (Demandeur)
c.
La Reine et le conseil de la bande indienne
Mohawk de Kanawake (The Mohawk Council of
Kanawake) (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Walsh—
Montréal, 11 février; Vancouver, 26 février 1981.
Compétence — Requête du demandeur pour ajouter le
ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien au
nombre des défendeurs — Requête du défendeur en radiation
de la déclaration du demandeur au motif de l'incompétence
ration personae et ratione materiae de cette Cour — Le
demandeur a reçu du conseil de la bande indienne Mohawk de
Kanawake l'autorisation d'exploiter une carrière sur la réserve
— Le conseil de bande nouvellement élu ordonne au deman-
deur de mettre fin à l'exploitation — La Cour supérieure du
Québec a rejeté la requête en injonction interlocutoire du
demandeur — Dans sa déclaration, le demandeur réclame une
injonction contre les défendeurs et des dommages-intérêts
pour manque à gagner — Il échet de déterminer la compétence
de la Cour à l'égard du recours en injonction et de la demande
en dommages-intérêts — Il échet d'examiner si le conseil de la
bande indienne Mohawk de Kanawake peut être poursuivi —
Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, c. I-6, art. 2(1) et 58(4)6) —
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10, art. 18.
Le demandeur sollicite, en vue de l'injonction qu'il a deman-
dée, une ordonnance par laquelle le ministre des Affaires
indiennes et du Nord canadien serait ajouté au nombre des
défendeurs. Le conseil de la bande indienne Mohawk de Kana-
wake, défendeur en l'espèce, sollicite une ordonnance portant
radiation de la déclaration du demandeur, au motif de l'incom-
pétence ratione materiae et ratione personae de cette Cour. En
1975, le conseil de la bande indienne Mohawk de Kanawake,
défendeur en l'espèce, a adopté une résolution autorisant le
demandeur à exploiter une carrière sur la réserve. Le ministère
des Affaires indiennes et du Nord canadien a subséquemment
délivré un permis. Le conseil de bande nouvellement élu
ordonne en 1980 au demandeur de mettre fin à l'exploitation de
la carrière jusqu'à ce qu'il lui accorde un permis. Sur ce, le
demandeur dépose devant la Cour supérieure du Québec une
requête en injonction interlocutoire, laquelle est rejetée. Dans
sa déclaration, le demandeur réclame maintenant des domma-
ges-intérêts pour manque à gagner et une injonction contre les
défendeurs, en alléguant la menace du Ministre de révoquer son
permis s'il demande l'émission d'une injonction. Il échet d'exa-
miner si la Cour a compétence à l'égard du recours en injonc-
tion et de la demande en dommages-intérêts, et si le conseil de
la bande indienne Mohawk de Kanawake peut faire l'objet de
poursuites judiciaires.
Arrêt: la Cour accueille la requête du demandeur et rejette la
requête du défendeur (le conseil de la bande indienne Mohawk
de Kanawake). Bien que le ministre des Affaires indiennes et
du Nord canadien ne puisse lui-même faire l'objet d'une action
en dommages-intérêts pour tout délit commis dans l'exercice de
ses fonctions, il est concevable qu'une injonction pourrait en
l'espèce être rendue contre lui s'il révoquait, comme il a menacé
de le faire, le permis en vertu duquel le demandeur peut
exploiter la carrière. Le refus de la Cour supérieure du Québec
d'accorder une injonction interlocutoire n'empêchera pas cette
Cour d'en accorder une si elle a compétence en la matière. Il
serait contraire aux principes de justice naturelle de conclure
qu'aucun tribunal n'a compétence pour accorder une injonction
si, à la lumière des faits, une telle injonction est justifiée et
nécessaire. Il n'existe toutefois aucune loi fédérale qui prévoit le
droit d'intenter une action en dommages-intérêts devant cette
Cour contre le conseil de la bande indienne Mohawk de Kana-
wake. Il s'ensuit qu'une telle action doit être instruite par la
Cour supérieure. De plus, le fait que cette Cour ait compétence
pour connaître d'une action en dommages contre la Reine ne lui
confère pas non plus compétence à l'égard du codéfendeur. Que
le défendeur, le conseil de la bande indienne Mohawk de
Kanawake, ait la capacité d'agir en qualité de défendeur dans
des poursuites judiciaires devant cette Cour, voilà qui suscite un
certain doute, bien que selon l'opinion dominante, il puisse être
poursuivi dans une demande de redressement fondée sur l'arti-
cle 18. On peut présumer que le conseil de bande gouverne la
conduite des membres de la bande et, s'il est établi que ceux-ci
ont agi illégalement en mettant fin à l'exploitation de la
carrière, on peut à tout le moins soutenir que la Cour peut à
bon droit enjoindre au conseil de bande d'ordonner à ses
membres de mettre fin à leurs agissements, sans qu'il soit
nécessaire de nommer individuellement les membres de la
bande, ni de leur signifier individuellement les procédures.
Toutefois, pour ce qui est de l'action en dommages-intérêts, la
Cour ne peut pas condamner le conseil de bande aux domma-
ges-intérêts, pas plus qu'elle ne peut rendre un jugement contre
un conseil municipal ou contre le conseil d'administration d'une
société, au lieu d'un jugement contre la municipalité ou contre
la société elle-même.
Arrêts mentionnés: Canatonquin c. Gabriel [1980] 2 C.F.
792; McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine
[1977] 2 R.C.S. 654; Quebec North Shore Paper Co. c.
Canadien Pacifique Liée [1977] 2 R.C.S. 1054; R. c.
Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd. [1980] 1
R.C.S. 695; Union Oil Co. of Canada Ltd. c. La Reine
[1974] 2 C.F. 452; Beauvais c. Delisle [1977] 1 C.F. 622;
Le Procureur général du Canada c. Lavell [1974] R.C.S.
1349; Gabriel c. Canatonquin [1978] 1 C.F. 124. Distinc
tion faite avec l'arrêt: Le «Sparrows Point» c. Greater
Vancouver Water District [1951] R.C.S. 396. Arrêt exa-
miné: Francis c. Le Conseil canadien des relations du
travail [1981] 1 C.F. 225.
REQUÊTES.
AVOCATS:
P. Le Page pour le demandeur.
Herbert C. Salmon pour le défendeur le con-
seil de la bande indienne Mohawk de
Kanawake.
J. C. Ruelland, c.r., pour la défenderesse la
Reine.
PROCUREURS:
Viau, Bélanger & Associés, Montréal, pour le
demandeur.
Cerini, Salmon, Watson, Souaid & Harris,
Montréal, pour le défendeur le conseil de la
bande indienne Mohawk de Kanawake.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse la Reine.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE WALSH: Deux requêtes ont été enten-
dues à Montréal:
(1) La requête introduite par le demandeur en vue
de modifier l'intitulé de la cause en y ajoutant,
comme défendeur, le ministre des Affaires indien-
nes et du Nord canadien, afin que le demandeur
puisse obtenir l'injonction permanente qu'il a solli-
citée dans sa déclaration et l'autorisation de dépo-
ser, à ce sujet, une déclaration modifiée.
(2) La requête introduite par le conseil de la bande
indienne Mohawk de Kanawake, défendeur en l'es-
pèce, en vue d'obtenir la radiation de la déclara-
tion du demandeur aux motifs que:
a) La présente Cour n'a pas compétence ratione
materiae et ratione personae;
b) Avant que la présente action ne soit engagée,
le demandeur a acquiescé à la compétence de la
Cour supérieure de la province de Québec pour
trancher les points litigieux soulevés dans sa
déclaration;
c) Il y a présomption de res judicata relative-
ment à la demande de redressement par voie d'in-
jonction déposée par le demandeur;
d) Ledit codéfendeur n'a ni la personnalité juri-
dique ni la capacité juridique en vertu de laquelle
il pourrait ester en justice ou être poursuivi;
e) La déclaration du demandeur, considérée
conjointement avec les pièces y mentionnées, ne
révèle aucune cause d'action contre ledit codéfen-
deur.
La première requête doit être accueillie. Il est
reconnu qu'aucune injonction ne peut être rendue
contre Sa Majesté la Reine en tant que défende-
resse mais qu'en vertu de la Loi sur la responsabi-
lité de la Couronne (S.R.C. 1970, c. C-38), la
présente Cour a compétence pour connaître de
toute action en dommages-intérêts intentée contre
Sa Majesté si l'on est en mesure de prouver les
dommages causés. Par contre, bien que le ministre
des Affaires indiennes et du Nord canadien ne
puisse lui-même faire l'objet d'une action en dom-
mages-intérêts pour tout délit commis dans l'exer-
cice de ses fonctions, il est concevable qu'une
injonction pourrait, en l'espèce, être rendue contre
lui s'il révoquait, comme il a menacé de le faire, le
permis en vertu duquel le demandeur peut exploi
ter sa carrière.
Il convient donc de mettre le Ministre en cause
comme codéfendeur. D'ailleurs, l'avocat de la Cou-
ronne ne s'y est pas opposé avec trop de véhé-
mence. Je sais cependant que l'on fera valoir,
quant au fond, l'argument qu'il existe, à cause des
droits acquis, une distinction entre l'octroi d'un
permis, qui est un acte administratif, et l'annula-
tion de ce permis par le Ministre, le cas échéant.
La seconde requête soulève un certain nombre
de questions difficiles à trancher. Il est bien établi
en droit que lorsque la Cour est saisie d'une
requête en radiation, elle est tenue simplement de
décider, en tenant pour véridiques tous les faits
allégués dans la déclaration, s'il existe une cause
d'action; si elle a des doutes à ce sujet ou si elle
estime avoir besoin d'autres preuves pour rendre
une décision, la Cour devrait alors rejeter la
requête et laisser au juge du fond le soin de
trancher la question. Mais cela ne signifie pas que
la présente requête en radiation doit automatique-
ment être rejetée si l'on concluait, en l'espèce, que
cette Cour n'est pas compétente, que la présomp-
tion de res judicata est applicable ou qu'il y a
absence de capacité juridique chez l'une des par
ties en cause.
L'avocat du conseil de la bande indienne
Mohawk de Kanawake, défendeur en l'espèce,
insiste sur le fait que ce dernier ne doit pas être
confondu avec la «bande» qui est définie par l'arti-
cle 2(1) de la Loi sur les Indiens (S.R.C. 1970, c.
I-6) comme suit:
2. (1) Dans la présente loi
«bande» signifie un groupe d'Indiens,
a) à l'usage et au profit communs desquels, des terres, dont le
titre juridique est attribué à Sa Majesté, ont été mises de
côté avant ou après le 4 septembre 1951,
b) à l'usage et au profit communs desquels, Sa Majesté
détient des sommes d'argent, ou
c) que le gouverneur en conseil a déclaré être une bande aux
fins de la présente loi;
Dans l'affaire Canatonquin c. Gabriel [1980] 2
C.F. 792, la Cour d'appel a statué que [à la page
793]:
Nous sommes tous d'avis que le jugement de première ins
tance [[1978] 1 C.F. 124] a correctement statué que le conseil
d'une bande indienne constitue un «office fédéral» au sens de
l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 0
Supp.), c. 10, et que, en conséquence, l'article 18 de cette Loi
donne à la Division de première instance compétence en la
matière.
Cela ne signifie pas cependant que la présente
Cour a compétence pour statuer sur l'injonction
sollicitée contre ledit défendeur ou pour statuer sur
l'action en dommages-intérêts intentée contre lui,
à moins qu'il ne soit démontré que le conseil de
bande peut être poursuivi comme un particulier.
Un bref résumé des faits s'impose pour la com-
préhension du litige. Le 15 septembre 1975, le
conseil de la bande Caughnawaga * a autorisé le
demandeur (lui aussi un Indien) à exploiter une
carrière sur sa terre, dans la réserve, pour une
période de [TRADUCTION] «au moins quinze ans».
Il devait, en retour, payer pour chaque tonne un
certain montant à titre de redevances. Ce montant
devait être déterminé [TRADUCTION] «par voie de
négociations entre ledit Raymond-Viateur Beau-
vais et le conseil de la bande indienne de
Caughnawaga».
Le 3 octobre 1975, Monsieur G. A. Poupore,
directeur de la Section des terres et de l'effectif des
bandes du ministère des Affaires indiennes et du
Nord canadien, a écrit une lettre à M. Beauvais
dans laquelle il lui accorde, suite à la décision prise
par le conseil de bande et en application de l'arti-
cle 58(4)b) de la Loi sur les Indiens, un permis
l'autorisant à exploiter une carrière. Le permis
était valide pour une durée de 15 ans à compter de
la date de la lettre et prévoyait le paiement de
redevances [TRADUCTION] «au prix convenu par
tonne, qui doit être renégocié à cette date à chaque
année entre vous-même et le ministère des Affaires
indiennes et du Nord canadien, après consultations
avec le conseil de la bande indienne de Caughna-
waga». Il fut prévu que le versement de ces rede-
* On semble utiliser indifféremment cette expression et celle
de conseil de la bande indienne Mohawk de Kanawake.
vapes s'effectuerait annuellement et qu'il serait
rédigé une déclaration écrite quant à la quantité de
pierres extraites au cours de l'année. Ces condi
tions furent acceptées par M. Beauvais le 7 octo-
bre. L'article 58(4)b) de la Loi sur les Indiens,
dont il est fait mention dans la lettre, est ainsi
rédigé:
58....
(4) Nonobstant toute disposition de la présente loi, le Minis-
tre peut, sans cession,
b) avec le consentement du conseil de la bande, disposer du
sable, du gravier, de la glaise et des autres substances non
métalliques se trouvant sur des terres ou dans le sous-sol
d'une réserve, ou lorsque ce consentement ne peut être
obtenu sans obstacle ou retard indu, peut délivrer des permis
temporaires pour la prise du sable, du gravier, de la glaise et
d'autres substances non métalliques sur des terres ou dans le
sous-sol d'une réserve, renouvelables avec le consentement du
conseil de la bande seulement,
et le produit de ces opérations doit être porté au crédit des
fonds de bande ou partagé entre la bande et les Indiens
particuliers en possession légitime des terres selon les propor
tions que le Ministre peut déterminer.
Le 9 janvier 1976, le chef Ronald Kirby émit, au
nom du conseil de la bande indienne Mohawk de
Kanawake, une déclaration portant que M. Beau-
vais avait été autorisé par le conseil de la bande
Caughnawaga à exploiter une carrière pour une
période de quinze ans, moyennant le paiement de
redevances de 6 cents par tonne pour les trois
premières années et de 10 cents par tonne pour les
douze années restantes.
Toutefois, après élection d'un nouveau conseil de
bande, ce dernier adopta, le 7 juin 1979, la résolu-
tion suivante:
[TRADUCTION] Par conséquent, le conseil de la bande indienne
Mohawk de Kanawake ordonne, par les présentes, que les
opérations d'exploitation de la carrière cessent jusqu'à ce que
les droits d'exploitation soient transférés aux Indiens Mohawk
de Kanawake.
Que le certificat de possession soit révoqué et que les Indiens
Mohawk de Kanawake reprennent possession des terres qui
seront ainsi administrées par le conseil de la bande indienne
Mohawk de Kanawake.
Que l'usage desdits terrains et de la pierre y extraite soit confié
aux Indiens Mohawk de Kanawake.
Que la police Mohawk de Kanawake procède dès aujourd'hui,
le 7 juin 1979, la fermeture de ladite carrière.
Les 11 et 12 juin, l'accès à la carrière fut bloqué
par la bande indienne.
C'est alors que le demandeur introduisit une
requête en injonction et intenta une action en
dommages-intérêts devant la Cour supérieure, dis
trict de Montréal, contre le conseil de bande et
contre chacun de ses membres nommément. Il
obtint, le 14 juin 1979, une injonction interlocu-
toire valable pour dix jours, qui fut renouvelée à
diverses reprises pour des périodes identiques et ce,
jusqu'au 4 février 1980, date à laquelle la Cour
refusa de la renouveler en raison des nombreux
renouvellements antérieurement accordés.
Entre-temps, après avoir obtenu le consentement
du conseil de bande et du demandeur, le Ministre
nomma Fred Kelly comme commissaire royal d'en-
quête. Dans son rapport daté du 14 décembre
1979, Kelly conclut qu'il existait des doutes au
sujet de la validité du permis parce que la procé-
dure suivie entrait, dans une certaine mesure, en
conflit avec la résolution du conseil, laquelle avait
prévu que le montant des redevances devait être
déterminé entre Beauvais et le conseil de bande,
alors que d'après le permis délivré le 3 octobre
1975, ce montant devait être fixé par voie de
négociation entre Beauvais et le Ministère, après
consultations avec le conseil de bande. D'après
Kelly, il serait possible de soutenir que le permis
n'est valide qu'à compter de la date à laquelle le
montant des redevances a été fixé par voie de
négociation.
Quant à la lettre rédigée le 9 janvier 1976 par le
chef Kirby et adressée [TRADUCTION] «A qui de
droit» (susmentionnée), le rapport souligne que la
résolution du conseil de bande, datée du 15 sep-
tembre 1975, n'a délégué au chef Kirby aucun
pouvoir de négociation quant aux redevances à
payer, de sorte que cette lettre est sans effet et ne
lie pas le conseil.
Néanmoins, d'après le paragraphe 21 de la
déclaration, le rapport dirait également ceci:
[TRADUCTION] Nous recommandons qu'il soit permis à R.V.
Beauvais de continuer son exploitation.
En dépit de cette recommandation, le conseil de
bande donna à M. Beauvais, le 24 mars 1980,
l'ordre suivant:
[TRADUCTION] Le conseil de la bande indienne Mohawk de
Kanawake vous ordonne de cesser toutes opérations à compter
de 7 h le 25 mars 1980, jusqu'à ce que le conseil vous ait délivré
un permis en bonne et due forme.
Le permis vous sera délivré aux conditions suivantes: 10% du
volume global des ventes ou $2,000.00 par semaine pour les
trois (3) premières années, ainsi qu'une augmentation de
$1,000.00 par semaine pour chaque période successive de trois
(3) ans, plus toutes conditions relatives à l'environnement, à
l'exploitation, aux employés, à la paie, etc.
Les gardiens de la paix de la bande indienne Mohawk sont
chargés de l'exécution de cet ordre.
(Ces conditions ne s'accordent pas avec le mode de
paiement de tant par tonne, dont fait état la lettre
du chef Kirby en date du 9 janvier 1976 et qui a
par la suite servi à calculer le montant des rede-
vances à payer. Il semble que ce mode de paiement
n'aurait fait l'objet d'aucune négociation et qu'il
n'aurait pas été approuvé par le ministère des
Affaires indiennes et du Nord canadien.)
Le 25 mars 1980, sur ordre du conseil de bande,
les gardiens de la paix de la bande fermèrent la
carrière.
Il est allégué au paragraphe 28 de la déclaration
que le Ministre, par l'entremise de ses fonctionnai-
res, aurait ordonné à Beauvais de négocier avec le
conseil de bande et de laisser la carrière fermée
aussi longtemps que dureraient les négociations. Il
est en outre allégué que le sous-ministre J. D.
Nicholson aurait informé Beauvais que le Ministre
révoquerait unilatéralement son permis s'il
essayait d'obtenir une injonction ordonnant la
réouverture de la carrière. Cette menace, si elle fut
réellement proférée (et aux fins de la présente
requête, toutes les allégations doivent être tenues
pour vraies), témoignerait d'une conduite tout à
fait inacceptable visant à favoriser une partie au
détriment de l'autre et à écarter l'intervention des
tribunaux.
Aucune entente n'intervint dans les négociations
tenues en 1980 et la carrière demeura fermée.
Pendant ce temps, une carrière rivale située dans
la réserve et exploitée par des non-Indiens, avec
qui il ne fut conclu aucun accord quant aux rede-
vances, put continuer ses opérations après y avoir
été autorisée par le conseil de bande et le Ministre.
Selon la déclaration, cet acte discriminatoire
aurait augmenté les dommages subis par le
demandeur, ce dernier ayant ainsi perdu un con-
trat à long terme qui lui aurait rapporté, semble-
t-il, un bénéfice de $5,700,000. Un prêt de capital
de $1,463,800 consenti au demandeur par la
Banque Nationale du Canada et la somme de
$185,000 que le demandeur devait à cette dernière
sur sa marge de crédit lui ont été réclamés par la
Banque. De plus, le demandeur a des dettes de
$919,540 qu'il ne peut payer en raison de la ferme-
ture de sa carrière. La totalité des dommages-inté-
rêts réclamés s'élève à $7,163,800.
Le 6 mars 1980, le demandeur déposa devant la
Cour supérieure une requête en injonction interlo-
cutoire, qui fut rejetée. Malheureusement, la Cour
supérieure n'a pas motivé sa décision. Toutefois, la
requête a été rejetée sans dépens, tous droits et
recours ayant été réservés au demandeur. Le con-
seil de la bande indienne Mohawk de Kanawake
fait valoir devant nous que les allégations conte-
nues dans la requête en injonction interlocutoire
sont à peu près identiques à celles contenues dans
la déclaration déposée en l'espèce, d'où présomp-
tion de res judicata par suite de la décision de la
Cour supérieure à l'égard de cette requête. Il est
clair que l'action intentée devant la Cour supé-
rieure n'a pas encore été jugée au fond et que le
refus par cette dernière d'accorder une injonction
interlocutoire (refus qui découle peut-être des
doutes qu'elle a pu avoir sur sa compétence, cette
question ayant été, selon l'avocat du défendeur,
débattue devant elle) ne peut empêcher la présente
Cour d'accorder une injonction si elle a compé-
tence en la matière. De plus, l'avocat du défendeur
est inconséquent avec lui-même compte tenu qu'il
ait fait valoir devant la Cour supérieure qu'elle
n'avait pas compétence pour accorder une injonc-
tion, et qu'il se prévaut, en l'espèce, du même
argument à l'égard de la présente Cour. En effet,
ce serait manifestement contraire aux principes de
justice naturelle que de conclure qu'aucun tribunal
n'a compétence pour accorder une injonction
contre ledit conseil de bande si, compte tenu des
faits, une telle injonction est justifiée et nécessaire.
Toutefois, l'argument voulant que le demandeur,
du fait qu'il se soit librement adressé à la Cour
supérieure, ne puisse maintenant exercer son
recours devant une autre instance, soulève une
question beaucoup plus délicate. Il ne semble
exister aucune loi fédérale en vertu de laquelle une
action en dommages-intérêts pourrait être intentée
devant la présente Cour contre le conseil de la
bande indienne Mohawk de Kanawake. Il s'ensuit
qu'une telle action ne pourrait être intentée que
devant la Cour supérieure (voir McNamara Cons-
truction (Western) Limited c. La Reine [ 1977] 2
R.C.S. 654 et Quebec North Shore Paper Com
pany c. Canadien Pacifique Limitée [1977] 2
R.C.S. 1054). De plus, le fait que la présente Cour
ait compétence pour connaître d'une action en
dommages engagée contre Sa Majesté la Reine ne
lui donne nullement compétence sur le codéfen-
deur (voir La Reine c. Thomas Fuller Construc
tion Co. (1958) Limited [1980] 1 R.C.S. 695). Il y
a eu une évolution marquée dans la jurisprudence
depuis l'arrêt Le «Sparrows Point» c. Greater
Vancouver Water District [1951] R.C.S. 396, où
la Cour suprême a traité de la compétence de la
Cour de l'Echiquier de l'époque sur les demandes
déposées à la suite des dommages causés par un
navire et de la question de savoir si les actions
intentées contre un codéfendeur auraient plutôt dû
être engagées devant les tribunaux de la Colombie-
Britannique. Voici en quels termes le juge Kellock
s'est exprimé (à la page 404):
[TRADUCTION] Par contre, toutes les demandes déposées à la
suite des dommages causés par un navire devraient être réglées
par une seule action afin d'éviter le scandale possible de
jugements différents rendus pour une même affaire.
Or, en raison du fait que certaines procédures
découlant d'une même cause d'action puissent
avoir à être engagées devant deux instances dis-
tinctes, à cause des restrictions imposées à leur
compétence, seule une partie du redressement pou-
vant être obtenue devant chacune d'elles, on ne fait
plus obstacle aujourd'hui à une telle regrettable
duplication des procédures (voir Union Oil Com
pany of Canada Limited c. La Reine [1974] 2 C.F.
452).
Toutefois, il nous faut en outre trancher en
l'espèce la délicate question de savoir si le conseil
de la bande indienne Mohawk de Kanawake peut
en fait être poursuivi. Dans l'affaire Francis c. Le
Conseil canadien des relations du travail [1981] 1
C.F. 225, le juge en chef Thurlow a dit ce qui suit
[à la page 228]:
A mon avis, le conseil de la bande indienne de Saint -Regis n'est
pas une personne au sens de l'article 118p) [du Code canadien
du travail]. Ni le conseil ni la bande n'est une personne morale.
Ni l'un ni l'autre n'a la capacité, si ce n'est la capacité de ses
membres en tant qu'individus, de devenir ou d'être un
employeur.
Quant au juge Heald, il s'est exprimé en ces
termes [à la page 2441:
Il est donc clair que le conseil de la bande n'est pas une
personne mais plutôt un groupe de personnes physiques. Je n'ai
trouvé aucune disposition de la Loi qui indique qu'on ait voulu
conférer au conseil de bande le statut de personne juridique.
Pour sa part, le juge Le Dain, dissident, a tenu les
propos suivants [à la page 248]:
Si le conseil ne peut être considéré comme l'employeur au motif
qu'il n'a pas la personnalité morale ou qu'il lui manque le
pouvoir explicite de conclure des contrats de louage de service,
c'est la même chose pour la bande.
Et plus loin, il poursuit [à la page 248]:
En fait, il n'est pas clair qui, du strict point de vue des critères
juridiques, pourrait être considéré comme l'employeur, compte
tenu de la question de la personnalité juridique et du pouvoir de
conclure des contrats au nom d'un tiers. Pourtant il existe
clairement une situation où des personnes ont le statut d'em-
ployés. Dans ces circonstances, je crois qu'il devrait être décidé
que le Conseil a compétence pour considérer le conseil de la
bande comme employeur aux fins du Code.
En l'espèce, l'injonction sollicitée vise les défen-
deurs, leurs mandataires, préposés et employés,
ainsi que toutes autres personnes agissant sous leur
autorité ou avec leur consentement. A ce stade des
procédures, il n'est pas nécessaire de décider si une
injonction d'une portée si large pourrait être accor-
dée. Toutefois, même si l'on admet que le conseil
de bande n'est pas une personne morale, il n'en
demeure pas moins que c'est le conseil qui a
adopté la résolution initiale conférant au deman-
deur le droit d'exploiter la carrière, qui a accepté
ce dernier, de concert avec le Ministre, comme
autre partie contractante, qui a adopté les résolu-
tions portant cessation des opérations, qui a tenté
d'imposer unilatéralement les conditions de paie-
ment des redevances et qui a enjoint aux gardiens
de la paix de mettre fin aux opérations du deman-
deur. On peut présumer qu'en agissant ainsi, le
conseil représentait la bande indienne Mohawk de
Kanawake. Or, même si la Cour avait compétence
pour entendre l'action en réparation intentée
contre le conseil, ce qui n'est pas le cas, elle ne
pourrait rendre de jugement le condamnant aux
dommages-intérêts, pas plus qu'elle ne saurait
rendre de jugement contre un conseil municipal ou
un conseil d'administration plutôt que contre la
municipalité ou la compagnie elle-même. En
matière d'injonction toutefois, il se peut que la
situation soit différente. En effet, on peut présu-
mer que le conseil de bande .gouverne les membres
de la bande et que si la preuve est faite que ces
derniers ont illégalement mis fin aux opérations du
demandeur, celui-ci peut tout au moins soutenir
que la Cour peut enjoindre au conseil d'ordonner
aux membres de la bande de cesser leurs agisse-
ments, sans qu'il soit nécessaire pour autant de
préciser les noms de tous les membres de la bande
ou de leur signifier à personne les pièces pertinen-
tes. Mais à cela s'ajoute un autre problème: en
effet, aucun membre individuel de la bande ne
peut être poursuivi devant la présente Cour,
comme l'indique la décision rendue par le juge
Dubé, dans l'affaire Beauvais c. Delisle [1977] 1
C.F. 622, où il est dit ceci [à la page 622]:
Le requérant n'a pas démontré que la Division de première
instance a compétence pour émettre une injonction contre des
membres d'un conseil de bande d'Indiens, l'article 18 de la Loi
sur la Cour fédérale prévoyant l'émission de ce recours extraor-
dinaire contre «tout office, toute commission ou tout autre
tribunal fédéral» et non contre des sujets individuels.
Bien qu'il ait assorti d'autres motifs son rejet de
l'injonction sollicitée contre les membres du con-
seil, en leur qualité d'individus et de membres, le
bien-fondé de cette conclusion ne fait aucun doute.
Dans l'affaire Le Procureur général du Canada
c. Lavell [ 1974] R.C.S. 1349, le juge en chef
Laskin a exprimé (à la page 1379), des réserves
quant à savoir si un conseil de bande est en fait un
tribunal au sens de l'article 2g) de la Loi sur la
Cour fédérale ou si les organismes privés sont visés
par cette dernière en son article 18; toutefois, il ne
lui est pas apparu nécessaire d'en venir, dans cette
affaire-là, à une conclusion définitive sur la ques
tion de savoir si la compétence de connaître d'une
action déclaratoire intentée contre les membres
d'un conseil de bande devait échoir à la Cour
fédérale.
Dans deux jugements de la Cour supérieure du
Québec, l'un rendu le 13 février 1975 par le juge
Bisaillon dans l'affaire Clifford Rice c. La Bande
iroquoise de Caughnawaga, n° de greffe C.S.M.
500-05-015993-742, l'autre rendu le 3 octobre
1975 par le juge Aronovitch dans l'affaire Diabo c.
Le conseil de la bande indienne Mohawk de
Kanawake, n° de greffe C.S.M. 500-05-013331-
754, il a été jugé que la bande tombait dans la
définition à l'article 2 de la Loi sur la Cour
fédérale et que seule la Cour fédérale pouvait, en
vertu de l'article 18, émettre une injonction ou
rendre un jugement déclaratoire. Ni l'un ni l'autre
de ces jugements ne semblent avoir tenu compte de
l'affaire Lavell (susmentionnée).
C'est dans ce contexte et après examen de ces
trois affaires que le juge en chef adjoint Thurlow
(tel était alors son titre) a rendu le jugement de la
Cour d'appel dans une autre affaire Canatonquin,
soit Gabriel c. Canatonquin [1978] 1 C.F. 124.
Voici en quels termes il a fait référence à l'affaire
Lavell (à la page 130):
En tout respect pour le doute exprimé et les raisons qui le
motivent, mais gardant à l'esprit que la question n'est pas
tranchée et que la Cour supérieure de Québec s'est déclarée
incompétente, estimant que l'affaire était de la compétence
exclusive de la présente cour, je pense que, jusqu'au règlement
de la question par un tribunal d'instance supérieure, il faut
adopter le point de vue et la règle voulant que le conseil de la
bande constitue un «office, une commission ou ... un autre
tribunal fédéral» aux termes de cette définition. Il s'ensuit que
la présente cour a compétence pour connaître de l'action dans
la mesure où celle-ci vise à obtenir une déclaration que c'est
illégalement que les défendeurs ont été élus et agissent à titre
de conseil de bande.
Ces décisions, ainsi que celle rendue le 9 décem-
bre 1977 par le juge Decary de la Cour fédérale
(par laquelle il a rejeté la requête déposée en vue
d'obtenir un bref de prohibition et un jugement
déclaratoire annulant le statut administratif, établi
par le conseil de bande, en vertu duquel Rice avait
été poursuivi), ont été soigneusement examinées
par le juge Marc Beauregard dans l'affaire Ter-
rance Rice c. Le conseil de la bande indienne
Mohawk de Kanawake, jugement rendu le 14
juillet 1978 et portant le n° de greffe C.S.M.
500-36-000411-790. Dans cet appel en matière
criminelle dont il était saisi, le savant juge a conclu
qu'il avait compétence pour examiner et annuler,
comme il l'a fait, ledit statut administratif parce
que le conseil de bande avait outrepassé ses pou-
voirs en établissant ce statut.
Dans sa décision rendue le 5 septembre 1980, n°
de greffe 500-10-000303-782, la Cour d'appel du
Québec a rejeté l'appel formé contre ce jugement
du juge Beauregard. A la page 8 de cette décision
le juge Mayrand a commenté en ces termes les
remarques faites par le juge en chef Laskin dans
l'affaire Lavell:
... mais, avec déférence pot r le simple doute exprimé ci-dessus
quant à la portée précise des mots «organisme ... exerçant des
pouvoirs conférés par une loi du Parlement du Canada», il me
paraît suffisamment clair qu'ils comprennent un organisme
public tel que le Conseil de bande appelant.
De plus, le juge Mayrand s'est dit d'accord avec la
conclusion émise sur ce point par le juge en chef
adjoint Thurlow dans l'affaire Canatonquin et
avec les jugements rendus par la Cour supérieure
dans les affaires Diabo et Clifford Rice, mais il a
néanmoins conclu que le fait que la Cour fédérale
soit investie de cette compétence en vertu de
l'article 18 ne peut priver un individu du droit de
faire valoir comme moyen de défense à une accu
sation portée contre lui, le défaut de validité du
statut administratif.
Il est évident que les questions dont fait état la
déclaration en l'espèce sont extrêmement com
plexes et comportent des points de fait et de droit
importants. L'existence même du permis d'exploi-
tation de la carrière est mise en doute puisque l'on
s'interroge quant à savoir si la contrepartie à payer
a jamais été validement établie, d'autant plus
qu'une entente sans contrepartie fixe ou détermi-
nable est, de ce fait, entachée de nullité. D'autre
part, le demandeur a, pendant plusieurs années,
exploité la carrière en vertu de ce permis et peut
ainsi avoir acquis des droits dont on ne saurait le
priver unilatéralement. Il semblerait que seule une
partie de la réclamation du demandeur puisse être
tranchée par la présente Cour, le reste relevant de
la compétence de la Cour supérieure du Québec.
On semble mettre en doute que le conseil de la
bande indienne Mohawk de Kanawake puisse être
poursuivi devant la présente Cour quoique cela ne
semble plus maintenant faire de doute lorsqu'il
s'agit d'une demande de redressement fondée sur
l'article 18.
Le demandeur a subi un préjudice important en
raison de ce qui a pu bien être des actes illégitimes
de la part du conseil de bande, et si la présente
Cour accueillait la requête en radiation présentée
par le défendeur, cela pourrait priver le demandeur
de tout redressement par voie d'injonction ou de
jugement déclaratoire.
Par conséquent, la requête doit être rejetée.
Toutefois, vu l'importance des points soulevés par
celle-ci, aucuns dépens ne seront adjugés contre le
défendeur. Je ne puis m'empêcher de dire qu'il
serait souhaitable, d'une part, d'éviter toute aug
mentation des dommages en permettant la réou-
verture de la carrière pour la saison estivale d'ex-
ploitation de 1981, dans l'attente du règlement de
la question des redevances, soit par jugement de la
Cour, soit par arbitrage ou autrement et, d'autre
part, de ne pas fixer les conditions afférentes au
paiement des redevances de façon à avantager
l'autre carrière en exploitation dans la réserve.
Dans l'affidavit déposé à l'appui de la requête, le
chef Andrew T. Delisle déclare que le défendeur a
des ressources financières très limitées. Il serait
donc dans l'intérêt de la bande indienne de rouvrir
la carrière du demandeur en attendant que soit
fixé le mode de paiement des redevances, celui-ci
ne sachant être déterminé unilatéralement par
l'une ou l'autre des parties. La Cour ne peut, dans
le cadre de la présente requête, ordonner la réou-
verture de la carrière, mais il est souhaitable que le
bon sens et le bon vouloir l'emportent, de sorte que
la question de la somme à payer pour l'extraction
du gravier puisse être réglée sans que l'exploitation
de la carrière ne soit interrompue plus longtemps.
ORDONNANCE
La requête du conseil de la bande indienne
Mohawk de Kanawake (défendeur), en radiation
de la déclaration du demandeur, est rejetée sans
dépens.
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