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T-5229-80
Raymond-Viateur Beauvais (Demandeur) c.
La Reine et le conseil de la bande indienne Mohawk de Kanawake (The Mohawk Council of Kanawake) (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Walsh— Montréal, 11 février; Vancouver, 26 février 1981.
Compétence Requête du demandeur pour ajouter le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien au nombre des défendeurs Requête du défendeur en radiation de la déclaration du demandeur au motif de l'incompétence ration personae et ratione materiae de cette Cour Le demandeur a reçu du conseil de la bande indienne Mohawk de Kanawake l'autorisation d'exploiter une carrière sur la réserve Le conseil de bande nouvellement élu ordonne au deman- deur de mettre fin à l'exploitation La Cour supérieure du Québec a rejeté la requête en injonction interlocutoire du demandeur Dans sa déclaration, le demandeur réclame une injonction contre les défendeurs et des dommages-intérêts pour manque à gagner Il échet de déterminer la compétence de la Cour à l'égard du recours en injonction et de la demande en dommages-intérêts Il échet d'examiner si le conseil de la bande indienne Mohawk de Kanawake peut être poursuivi Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, c. I-6, art. 2(1) et 58(4)6) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10, art. 18.
Le demandeur sollicite, en vue de l'injonction qu'il a deman- dée, une ordonnance par laquelle le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien serait ajouté au nombre des défendeurs. Le conseil de la bande indienne Mohawk de Kana- wake, défendeur en l'espèce, sollicite une ordonnance portant radiation de la déclaration du demandeur, au motif de l'incom- pétence ratione materiae et ratione personae de cette Cour. En 1975, le conseil de la bande indienne Mohawk de Kanawake, défendeur en l'espèce, a adopté une résolution autorisant le demandeur à exploiter une carrière sur la réserve. Le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a subséquemment délivré un permis. Le conseil de bande nouvellement élu ordonne en 1980 au demandeur de mettre fin à l'exploitation de la carrière jusqu'à ce qu'il lui accorde un permis. Sur ce, le demandeur dépose devant la Cour supérieure du Québec une requête en injonction interlocutoire, laquelle est rejetée. Dans sa déclaration, le demandeur réclame maintenant des domma- ges-intérêts pour manque à gagner et une injonction contre les défendeurs, en alléguant la menace du Ministre de révoquer son permis s'il demande l'émission d'une injonction. Il échet d'exa- miner si la Cour a compétence à l'égard du recours en injonc- tion et de la demande en dommages-intérêts, et si le conseil de la bande indienne Mohawk de Kanawake peut faire l'objet de poursuites judiciaires.
Arrêt: la Cour accueille la requête du demandeur et rejette la requête du défendeur (le conseil de la bande indienne Mohawk de Kanawake). Bien que le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien ne puisse lui-même faire l'objet d'une action en dommages-intérêts pour tout délit commis dans l'exercice de ses fonctions, il est concevable qu'une injonction pourrait en
l'espèce être rendue contre lui s'il révoquait, comme il a menacé de le faire, le permis en vertu duquel le demandeur peut exploiter la carrière. Le refus de la Cour supérieure du Québec d'accorder une injonction interlocutoire n'empêchera pas cette Cour d'en accorder une si elle a compétence en la matière. Il serait contraire aux principes de justice naturelle de conclure qu'aucun tribunal n'a compétence pour accorder une injonction si, à la lumière des faits, une telle injonction est justifiée et nécessaire. Il n'existe toutefois aucune loi fédérale qui prévoit le droit d'intenter une action en dommages-intérêts devant cette Cour contre le conseil de la bande indienne Mohawk de Kana- wake. Il s'ensuit qu'une telle action doit être instruite par la Cour supérieure. De plus, le fait que cette Cour ait compétence pour connaître d'une action en dommages contre la Reine ne lui confère pas non plus compétence à l'égard du codéfendeur. Que le défendeur, le conseil de la bande indienne Mohawk de Kanawake, ait la capacité d'agir en qualité de défendeur dans des poursuites judiciaires devant cette Cour, voilà qui suscite un certain doute, bien que selon l'opinion dominante, il puisse être poursuivi dans une demande de redressement fondée sur l'arti- cle 18. On peut présumer que le conseil de bande gouverne la conduite des membres de la bande et, s'il est établi que ceux-ci ont agi illégalement en mettant fin à l'exploitation de la carrière, on peut à tout le moins soutenir que la Cour peut à bon droit enjoindre au conseil de bande d'ordonner à ses membres de mettre fin à leurs agissements, sans qu'il soit nécessaire de nommer individuellement les membres de la bande, ni de leur signifier individuellement les procédures. Toutefois, pour ce qui est de l'action en dommages-intérêts, la Cour ne peut pas condamner le conseil de bande aux domma- ges-intérêts, pas plus qu'elle ne peut rendre un jugement contre un conseil municipal ou contre le conseil d'administration d'une société, au lieu d'un jugement contre la municipalité ou contre la société elle-même.
Arrêts mentionnés: Canatonquin c. Gabriel [1980] 2 C.F. 792; McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine [1977] 2 R.C.S. 654; Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Liée [1977] 2 R.C.S. 1054; R. c. Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd. [1980] 1 R.C.S. 695; Union Oil Co. of Canada Ltd. c. La Reine [1974] 2 C.F. 452; Beauvais c. Delisle [1977] 1 C.F. 622; Le Procureur général du Canada c. Lavell [1974] R.C.S. 1349; Gabriel c. Canatonquin [1978] 1 C.F. 124. Distinc tion faite avec l'arrêt: Le «Sparrows Point» c. Greater Vancouver Water District [1951] R.C.S. 396. Arrêt exa- miné: Francis c. Le Conseil canadien des relations du travail [1981] 1 C.F. 225.
REQUÊTES. AVOCATS:
P. Le Page pour le demandeur.
Herbert C. Salmon pour le défendeur le con- seil de la bande indienne Mohawk de Kanawake.
J. C. Ruelland, c.r., pour la défenderesse la Reine.
PROCUREURS:
Viau, Bélanger & Associés, Montréal, pour le demandeur.
Cerini, Salmon, Watson, Souaid & Harris, Montréal, pour le défendeur le conseil de la bande indienne Mohawk de Kanawake. Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse la Reine.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE WALSH: Deux requêtes ont été enten- dues à Montréal:
(1) La requête introduite par le demandeur en vue de modifier l'intitulé de la cause en y ajoutant, comme défendeur, le ministre des Affaires indien- nes et du Nord canadien, afin que le demandeur puisse obtenir l'injonction permanente qu'il a solli- citée dans sa déclaration et l'autorisation de dépo- ser, à ce sujet, une déclaration modifiée.
(2) La requête introduite par le conseil de la bande indienne Mohawk de Kanawake, défendeur en l'es- pèce, en vue d'obtenir la radiation de la déclara- tion du demandeur aux motifs que:
a) La présente Cour n'a pas compétence ratione materiae et ratione personae;
b) Avant que la présente action ne soit engagée, le demandeur a acquiescé à la compétence de la Cour supérieure de la province de Québec pour trancher les points litigieux soulevés dans sa déclaration;
c) Il y a présomption de res judicata relative- ment à la demande de redressement par voie d'in- jonction déposée par le demandeur;
d) Ledit codéfendeur n'a ni la personnalité juri- dique ni la capacité juridique en vertu de laquelle il pourrait ester en justice ou être poursuivi;
e) La déclaration du demandeur, considérée conjointement avec les pièces y mentionnées, ne révèle aucune cause d'action contre ledit codéfen- deur.
La première requête doit être accueillie. Il est reconnu qu'aucune injonction ne peut être rendue contre Sa Majesté la Reine en tant que défende- resse mais qu'en vertu de la Loi sur la responsabi- lité de la Couronne (S.R.C. 1970, c. C-38), la
présente Cour a compétence pour connaître de toute action en dommages-intérêts intentée contre Sa Majesté si l'on est en mesure de prouver les dommages causés. Par contre, bien que le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien ne puisse lui-même faire l'objet d'une action en dom- mages-intérêts pour tout délit commis dans l'exer- cice de ses fonctions, il est concevable qu'une injonction pourrait, en l'espèce, être rendue contre lui s'il révoquait, comme il a menacé de le faire, le permis en vertu duquel le demandeur peut exploi ter sa carrière.
Il convient donc de mettre le Ministre en cause comme codéfendeur. D'ailleurs, l'avocat de la Cou- ronne ne s'y est pas opposé avec trop de véhé- mence. Je sais cependant que l'on fera valoir, quant au fond, l'argument qu'il existe, à cause des droits acquis, une distinction entre l'octroi d'un permis, qui est un acte administratif, et l'annula- tion de ce permis par le Ministre, le cas échéant.
La seconde requête soulève un certain nombre de questions difficiles à trancher. Il est bien établi en droit que lorsque la Cour est saisie d'une requête en radiation, elle est tenue simplement de décider, en tenant pour véridiques tous les faits allégués dans la déclaration, s'il existe une cause d'action; si elle a des doutes à ce sujet ou si elle estime avoir besoin d'autres preuves pour rendre une décision, la Cour devrait alors rejeter la requête et laisser au juge du fond le soin de trancher la question. Mais cela ne signifie pas que la présente requête en radiation doit automatique- ment être rejetée si l'on concluait, en l'espèce, que cette Cour n'est pas compétente, que la présomp- tion de res judicata est applicable ou qu'il y a absence de capacité juridique chez l'une des par ties en cause.
L'avocat du conseil de la bande indienne Mohawk de Kanawake, défendeur en l'espèce, insiste sur le fait que ce dernier ne doit pas être confondu avec la «bande» qui est définie par l'arti- cle 2(1) de la Loi sur les Indiens (S.R.C. 1970, c. I-6) comme suit:
2. (1) Dans la présente loi
«bande» signifie un groupe d'Indiens,
a) à l'usage et au profit communs desquels, des terres, dont le titre juridique est attribué à Sa Majesté, ont été mises de côté avant ou après le 4 septembre 1951,
b) à l'usage et au profit communs desquels, Sa Majesté détient des sommes d'argent, ou
c) que le gouverneur en conseil a déclaré être une bande aux fins de la présente loi;
Dans l'affaire Canatonquin c. Gabriel [1980] 2 C.F. 792, la Cour d'appel a statué que la page 793]:
Nous sommes tous d'avis que le jugement de première ins tance [[1978] 1 C.F. 124] a correctement statué que le conseil d'une bande indienne constitue un «office fédéral» au sens de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 0 Supp.), c. 10, et que, en conséquence, l'article 18 de cette Loi donne à la Division de première instance compétence en la matière.
Cela ne signifie pas cependant que la présente Cour a compétence pour statuer sur l'injonction sollicitée contre ledit défendeur ou pour statuer sur l'action en dommages-intérêts intentée contre lui, à moins qu'il ne soit démontré que le conseil de bande peut être poursuivi comme un particulier.
Un bref résumé des faits s'impose pour la com- préhension du litige. Le 15 septembre 1975, le conseil de la bande Caughnawaga * a autorisé le demandeur (lui aussi un Indien) à exploiter une carrière sur sa terre, dans la réserve, pour une période de [TRADUCTION] «au moins quinze ans». Il devait, en retour, payer pour chaque tonne un certain montant à titre de redevances. Ce montant devait être déterminé [TRADUCTION] «par voie de négociations entre ledit Raymond-Viateur Beau- vais et le conseil de la bande indienne de Caughnawaga».
Le 3 octobre 1975, Monsieur G. A. Poupore, directeur de la Section des terres et de l'effectif des bandes du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, a écrit une lettre à M. Beauvais dans laquelle il lui accorde, suite à la décision prise par le conseil de bande et en application de l'arti- cle 58(4)b) de la Loi sur les Indiens, un permis l'autorisant à exploiter une carrière. Le permis était valide pour une durée de 15 ans à compter de la date de la lettre et prévoyait le paiement de redevances [TRADUCTION] «au prix convenu par tonne, qui doit être renégocié à cette date à chaque année entre vous-même et le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, après consultations avec le conseil de la bande indienne de Caughna- waga». Il fut prévu que le versement de ces rede-
* On semble utiliser indifféremment cette expression et celle de conseil de la bande indienne Mohawk de Kanawake.
vapes s'effectuerait annuellement et qu'il serait rédigé une déclaration écrite quant à la quantité de pierres extraites au cours de l'année. Ces condi tions furent acceptées par M. Beauvais le 7 octo- bre. L'article 58(4)b) de la Loi sur les Indiens, dont il est fait mention dans la lettre, est ainsi rédigé:
58....
(4) Nonobstant toute disposition de la présente loi, le Minis- tre peut, sans cession,
b) avec le consentement du conseil de la bande, disposer du sable, du gravier, de la glaise et des autres substances non métalliques se trouvant sur des terres ou dans le sous-sol d'une réserve, ou lorsque ce consentement ne peut être obtenu sans obstacle ou retard indu, peut délivrer des permis temporaires pour la prise du sable, du gravier, de la glaise et d'autres substances non métalliques sur des terres ou dans le sous-sol d'une réserve, renouvelables avec le consentement du conseil de la bande seulement,
et le produit de ces opérations doit être porté au crédit des fonds de bande ou partagé entre la bande et les Indiens particuliers en possession légitime des terres selon les propor tions que le Ministre peut déterminer.
Le 9 janvier 1976, le chef Ronald Kirby émit, au nom du conseil de la bande indienne Mohawk de Kanawake, une déclaration portant que M. Beau- vais avait été autorisé par le conseil de la bande Caughnawaga à exploiter une carrière pour une période de quinze ans, moyennant le paiement de redevances de 6 cents par tonne pour les trois premières années et de 10 cents par tonne pour les douze années restantes.
Toutefois, après élection d'un nouveau conseil de bande, ce dernier adopta, le 7 juin 1979, la résolu- tion suivante:
[TRADUCTION] Par conséquent, le conseil de la bande indienne Mohawk de Kanawake ordonne, par les présentes, que les opérations d'exploitation de la carrière cessent jusqu'à ce que les droits d'exploitation soient transférés aux Indiens Mohawk de Kanawake.
Que le certificat de possession soit révoqué et que les Indiens Mohawk de Kanawake reprennent possession des terres qui seront ainsi administrées par le conseil de la bande indienne Mohawk de Kanawake.
Que l'usage desdits terrains et de la pierre y extraite soit confié aux Indiens Mohawk de Kanawake.
Que la police Mohawk de Kanawake procède dès aujourd'hui, le 7 juin 1979, la fermeture de ladite carrière.
Les 11 et 12 juin, l'accès à la carrière fut bloqué par la bande indienne.
C'est alors que le demandeur introduisit une requête en injonction et intenta une action en dommages-intérêts devant la Cour supérieure, dis trict de Montréal, contre le conseil de bande et contre chacun de ses membres nommément. Il obtint, le 14 juin 1979, une injonction interlocu- toire valable pour dix jours, qui fut renouvelée à diverses reprises pour des périodes identiques et ce, jusqu'au 4 février 1980, date à laquelle la Cour refusa de la renouveler en raison des nombreux renouvellements antérieurement accordés.
Entre-temps, après avoir obtenu le consentement du conseil de bande et du demandeur, le Ministre nomma Fred Kelly comme commissaire royal d'en- quête. Dans son rapport daté du 14 décembre 1979, Kelly conclut qu'il existait des doutes au sujet de la validité du permis parce que la procé- dure suivie entrait, dans une certaine mesure, en conflit avec la résolution du conseil, laquelle avait prévu que le montant des redevances devait être déterminé entre Beauvais et le conseil de bande, alors que d'après le permis délivré le 3 octobre 1975, ce montant devait être fixé par voie de négociation entre Beauvais et le Ministère, après consultations avec le conseil de bande. D'après Kelly, il serait possible de soutenir que le permis n'est valide qu'à compter de la date à laquelle le montant des redevances a été fixé par voie de négociation.
Quant à la lettre rédigée le 9 janvier 1976 par le chef Kirby et adressée [TRADUCTION] «A qui de droit» (susmentionnée), le rapport souligne que la résolution du conseil de bande, datée du 15 sep- tembre 1975, n'a délégué au chef Kirby aucun pouvoir de négociation quant aux redevances à payer, de sorte que cette lettre est sans effet et ne lie pas le conseil.
Néanmoins, d'après le paragraphe 21 de la déclaration, le rapport dirait également ceci: [TRADUCTION] Nous recommandons qu'il soit permis à R.V. Beauvais de continuer son exploitation.
En dépit de cette recommandation, le conseil de bande donna à M. Beauvais, le 24 mars 1980, l'ordre suivant:
[TRADUCTION] Le conseil de la bande indienne Mohawk de Kanawake vous ordonne de cesser toutes opérations à compter de 7 h le 25 mars 1980, jusqu'à ce que le conseil vous ait délivré un permis en bonne et due forme.
Le permis vous sera délivré aux conditions suivantes: 10% du volume global des ventes ou $2,000.00 par semaine pour les trois (3) premières années, ainsi qu'une augmentation de $1,000.00 par semaine pour chaque période successive de trois (3) ans, plus toutes conditions relatives à l'environnement, à l'exploitation, aux employés, à la paie, etc.
Les gardiens de la paix de la bande indienne Mohawk sont chargés de l'exécution de cet ordre.
(Ces conditions ne s'accordent pas avec le mode de paiement de tant par tonne, dont fait état la lettre du chef Kirby en date du 9 janvier 1976 et qui a par la suite servi à calculer le montant des rede- vances à payer. Il semble que ce mode de paiement n'aurait fait l'objet d'aucune négociation et qu'il n'aurait pas été approuvé par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.)
Le 25 mars 1980, sur ordre du conseil de bande, les gardiens de la paix de la bande fermèrent la carrière.
Il est allégué au paragraphe 28 de la déclaration que le Ministre, par l'entremise de ses fonctionnai- res, aurait ordonné à Beauvais de négocier avec le conseil de bande et de laisser la carrière fermée aussi longtemps que dureraient les négociations. Il est en outre allégué que le sous-ministre J. D. Nicholson aurait informé Beauvais que le Ministre révoquerait unilatéralement son permis s'il essayait d'obtenir une injonction ordonnant la réouverture de la carrière. Cette menace, si elle fut réellement proférée (et aux fins de la présente requête, toutes les allégations doivent être tenues pour vraies), témoignerait d'une conduite tout à fait inacceptable visant à favoriser une partie au détriment de l'autre et à écarter l'intervention des tribunaux.
Aucune entente n'intervint dans les négociations tenues en 1980 et la carrière demeura fermée. Pendant ce temps, une carrière rivale située dans la réserve et exploitée par des non-Indiens, avec qui il ne fut conclu aucun accord quant aux rede- vances, put continuer ses opérations après y avoir été autorisée par le conseil de bande et le Ministre. Selon la déclaration, cet acte discriminatoire aurait augmenté les dommages subis par le demandeur, ce dernier ayant ainsi perdu un con- trat à long terme qui lui aurait rapporté, semble- t-il, un bénéfice de $5,700,000. Un prêt de capital de $1,463,800 consenti au demandeur par la Banque Nationale du Canada et la somme de
$185,000 que le demandeur devait à cette dernière sur sa marge de crédit lui ont été réclamés par la Banque. De plus, le demandeur a des dettes de $919,540 qu'il ne peut payer en raison de la ferme- ture de sa carrière. La totalité des dommages-inté- rêts réclamés s'élève à $7,163,800.
Le 6 mars 1980, le demandeur déposa devant la Cour supérieure une requête en injonction interlo- cutoire, qui fut rejetée. Malheureusement, la Cour supérieure n'a pas motivé sa décision. Toutefois, la requête a été rejetée sans dépens, tous droits et recours ayant été réservés au demandeur. Le con- seil de la bande indienne Mohawk de Kanawake fait valoir devant nous que les allégations conte- nues dans la requête en injonction interlocutoire sont à peu près identiques à celles contenues dans la déclaration déposée en l'espèce, d'où présomp- tion de res judicata par suite de la décision de la Cour supérieure à l'égard de cette requête. Il est clair que l'action intentée devant la Cour supé- rieure n'a pas encore été jugée au fond et que le refus par cette dernière d'accorder une injonction interlocutoire (refus qui découle peut-être des doutes qu'elle a pu avoir sur sa compétence, cette question ayant été, selon l'avocat du défendeur, débattue devant elle) ne peut empêcher la présente Cour d'accorder une injonction si elle a compé- tence en la matière. De plus, l'avocat du défendeur est inconséquent avec lui-même compte tenu qu'il ait fait valoir devant la Cour supérieure qu'elle n'avait pas compétence pour accorder une injonc- tion, et qu'il se prévaut, en l'espèce, du même argument à l'égard de la présente Cour. En effet, ce serait manifestement contraire aux principes de justice naturelle que de conclure qu'aucun tribunal n'a compétence pour accorder une injonction contre ledit conseil de bande si, compte tenu des faits, une telle injonction est justifiée et nécessaire.
Toutefois, l'argument voulant que le demandeur, du fait qu'il se soit librement adressé à la Cour supérieure, ne puisse maintenant exercer son recours devant une autre instance, soulève une question beaucoup plus délicate. Il ne semble exister aucune loi fédérale en vertu de laquelle une action en dommages-intérêts pourrait être intentée devant la présente Cour contre le conseil de la bande indienne Mohawk de Kanawake. Il s'ensuit qu'une telle action ne pourrait être intentée que devant la Cour supérieure (voir McNamara Cons-
truction (Western) Limited c. La Reine [ 1977] 2 R.C.S. 654 et Quebec North Shore Paper Com pany c. Canadien Pacifique Limitée [1977] 2 R.C.S. 1054). De plus, le fait que la présente Cour ait compétence pour connaître d'une action en dommages engagée contre Sa Majesté la Reine ne lui donne nullement compétence sur le codéfen- deur (voir La Reine c. Thomas Fuller Construc tion Co. (1958) Limited [1980] 1 R.C.S. 695). Il y a eu une évolution marquée dans la jurisprudence depuis l'arrêt Le «Sparrows Point» c. Greater Vancouver Water District [1951] R.C.S. 396, la Cour suprême a traité de la compétence de la Cour de l'Echiquier de l'époque sur les demandes déposées à la suite des dommages causés par un navire et de la question de savoir si les actions intentées contre un codéfendeur auraient plutôt être engagées devant les tribunaux de la Colombie- Britannique. Voici en quels termes le juge Kellock s'est exprimé la page 404):
[TRADUCTION] Par contre, toutes les demandes déposées à la suite des dommages causés par un navire devraient être réglées par une seule action afin d'éviter le scandale possible de jugements différents rendus pour une même affaire.
Or, en raison du fait que certaines procédures découlant d'une même cause d'action puissent avoir à être engagées devant deux instances dis- tinctes, à cause des restrictions imposées à leur compétence, seule une partie du redressement pou- vant être obtenue devant chacune d'elles, on ne fait plus obstacle aujourd'hui à une telle regrettable duplication des procédures (voir Union Oil Com pany of Canada Limited c. La Reine [1974] 2 C.F. 452).
Toutefois, il nous faut en outre trancher en l'espèce la délicate question de savoir si le conseil de la bande indienne Mohawk de Kanawake peut en fait être poursuivi. Dans l'affaire Francis c. Le Conseil canadien des relations du travail [1981] 1 C.F. 225, le juge en chef Thurlow a dit ce qui suit la page 228]:
A mon avis, le conseil de la bande indienne de Saint -Regis n'est pas une personne au sens de l'article 118p) [du Code canadien du travail]. Ni le conseil ni la bande n'est une personne morale. Ni l'un ni l'autre n'a la capacité, si ce n'est la capacité de ses membres en tant qu'individus, de devenir ou d'être un employeur.
Quant au juge Heald, il s'est exprimé en ces termes la page 2441:
Il est donc clair que le conseil de la bande n'est pas une personne mais plutôt un groupe de personnes physiques. Je n'ai trouvé aucune disposition de la Loi qui indique qu'on ait voulu conférer au conseil de bande le statut de personne juridique.
Pour sa part, le juge Le Dain, dissident, a tenu les propos suivants la page 248]:
Si le conseil ne peut être considéré comme l'employeur au motif qu'il n'a pas la personnalité morale ou qu'il lui manque le pouvoir explicite de conclure des contrats de louage de service, c'est la même chose pour la bande.
Et plus loin, il poursuit la page 248]:
En fait, il n'est pas clair qui, du strict point de vue des critères juridiques, pourrait être considéré comme l'employeur, compte tenu de la question de la personnalité juridique et du pouvoir de conclure des contrats au nom d'un tiers. Pourtant il existe clairement une situation des personnes ont le statut d'em- ployés. Dans ces circonstances, je crois qu'il devrait être décidé que le Conseil a compétence pour considérer le conseil de la bande comme employeur aux fins du Code.
En l'espèce, l'injonction sollicitée vise les défen- deurs, leurs mandataires, préposés et employés, ainsi que toutes autres personnes agissant sous leur autorité ou avec leur consentement. A ce stade des procédures, il n'est pas nécessaire de décider si une injonction d'une portée si large pourrait être accor- dée. Toutefois, même si l'on admet que le conseil de bande n'est pas une personne morale, il n'en demeure pas moins que c'est le conseil qui a adopté la résolution initiale conférant au deman- deur le droit d'exploiter la carrière, qui a accepté ce dernier, de concert avec le Ministre, comme autre partie contractante, qui a adopté les résolu- tions portant cessation des opérations, qui a tenté d'imposer unilatéralement les conditions de paie- ment des redevances et qui a enjoint aux gardiens de la paix de mettre fin aux opérations du deman- deur. On peut présumer qu'en agissant ainsi, le conseil représentait la bande indienne Mohawk de Kanawake. Or, même si la Cour avait compétence pour entendre l'action en réparation intentée contre le conseil, ce qui n'est pas le cas, elle ne pourrait rendre de jugement le condamnant aux dommages-intérêts, pas plus qu'elle ne saurait rendre de jugement contre un conseil municipal ou un conseil d'administration plutôt que contre la municipalité ou la compagnie elle-même. En matière d'injonction toutefois, il se peut que la situation soit différente. En effet, on peut présu- mer que le conseil de bande .gouverne les membres de la bande et que si la preuve est faite que ces derniers ont illégalement mis fin aux opérations du
demandeur, celui-ci peut tout au moins soutenir que la Cour peut enjoindre au conseil d'ordonner aux membres de la bande de cesser leurs agisse- ments, sans qu'il soit nécessaire pour autant de préciser les noms de tous les membres de la bande ou de leur signifier à personne les pièces pertinen- tes. Mais à cela s'ajoute un autre problème: en effet, aucun membre individuel de la bande ne peut être poursuivi devant la présente Cour, comme l'indique la décision rendue par le juge Dubé, dans l'affaire Beauvais c. Delisle [1977] 1 C.F. 622, il est dit ceci la page 622]:
Le requérant n'a pas démontré que la Division de première instance a compétence pour émettre une injonction contre des membres d'un conseil de bande d'Indiens, l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale prévoyant l'émission de ce recours extraor- dinaire contre «tout office, toute commission ou tout autre tribunal fédéral» et non contre des sujets individuels.
Bien qu'il ait assorti d'autres motifs son rejet de l'injonction sollicitée contre les membres du con- seil, en leur qualité d'individus et de membres, le bien-fondé de cette conclusion ne fait aucun doute.
Dans l'affaire Le Procureur général du Canada c. Lavell [ 1974] R.C.S. 1349, le juge en chef Laskin a exprimé la page 1379), des réserves quant à savoir si un conseil de bande est en fait un tribunal au sens de l'article 2g) de la Loi sur la Cour fédérale ou si les organismes privés sont visés par cette dernière en son article 18; toutefois, il ne lui est pas apparu nécessaire d'en venir, dans cette affaire-là, à une conclusion définitive sur la ques tion de savoir si la compétence de connaître d'une action déclaratoire intentée contre les membres d'un conseil de bande devait échoir à la Cour fédérale.
Dans deux jugements de la Cour supérieure du Québec, l'un rendu le 13 février 1975 par le juge Bisaillon dans l'affaire Clifford Rice c. La Bande iroquoise de Caughnawaga, de greffe C.S.M. 500-05-015993-742, l'autre rendu le 3 octobre 1975 par le juge Aronovitch dans l'affaire Diabo c. Le conseil de la bande indienne Mohawk de Kanawake, de greffe C.S.M. 500-05-013331- 754, il a été jugé que la bande tombait dans la définition à l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale et que seule la Cour fédérale pouvait, en vertu de l'article 18, émettre une injonction ou rendre un jugement déclaratoire. Ni l'un ni l'autre de ces jugements ne semblent avoir tenu compte de l'affaire Lavell (susmentionnée).
C'est dans ce contexte et après examen de ces trois affaires que le juge en chef adjoint Thurlow (tel était alors son titre) a rendu le jugement de la Cour d'appel dans une autre affaire Canatonquin, soit Gabriel c. Canatonquin [1978] 1 C.F. 124. Voici en quels termes il a fait référence à l'affaire Lavell la page 130):
En tout respect pour le doute exprimé et les raisons qui le motivent, mais gardant à l'esprit que la question n'est pas tranchée et que la Cour supérieure de Québec s'est déclarée incompétente, estimant que l'affaire était de la compétence exclusive de la présente cour, je pense que, jusqu'au règlement de la question par un tribunal d'instance supérieure, il faut adopter le point de vue et la règle voulant que le conseil de la bande constitue un «office, une commission ou ... un autre tribunal fédéral» aux termes de cette définition. Il s'ensuit que la présente cour a compétence pour connaître de l'action dans la mesure celle-ci vise à obtenir une déclaration que c'est illégalement que les défendeurs ont été élus et agissent à titre de conseil de bande.
Ces décisions, ainsi que celle rendue le 9 décem- bre 1977 par le juge Decary de la Cour fédérale (par laquelle il a rejeté la requête déposée en vue d'obtenir un bref de prohibition et un jugement déclaratoire annulant le statut administratif, établi par le conseil de bande, en vertu duquel Rice avait été poursuivi), ont été soigneusement examinées par le juge Marc Beauregard dans l'affaire Ter- rance Rice c. Le conseil de la bande indienne Mohawk de Kanawake, jugement rendu le 14 juillet 1978 et portant le de greffe C.S.M. 500-36-000411-790. Dans cet appel en matière criminelle dont il était saisi, le savant juge a conclu qu'il avait compétence pour examiner et annuler, comme il l'a fait, ledit statut administratif parce que le conseil de bande avait outrepassé ses pou- voirs en établissant ce statut.
Dans sa décision rendue le 5 septembre 1980, de greffe 500-10-000303-782, la Cour d'appel du Québec a rejeté l'appel formé contre ce jugement du juge Beauregard. A la page 8 de cette décision le juge Mayrand a commenté en ces termes les remarques faites par le juge en chef Laskin dans l'affaire Lavell:
... mais, avec déférence pot r le simple doute exprimé ci-dessus quant à la portée précise des mots «organisme ... exerçant des pouvoirs conférés par une loi du Parlement du Canada», il me paraît suffisamment clair qu'ils comprennent un organisme public tel que le Conseil de bande appelant.
De plus, le juge Mayrand s'est dit d'accord avec la conclusion émise sur ce point par le juge en chef adjoint Thurlow dans l'affaire Canatonquin et avec les jugements rendus par la Cour supérieure
dans les affaires Diabo et Clifford Rice, mais il a néanmoins conclu que le fait que la Cour fédérale soit investie de cette compétence en vertu de l'article 18 ne peut priver un individu du droit de faire valoir comme moyen de défense à une accu sation portée contre lui, le défaut de validité du statut administratif.
Il est évident que les questions dont fait état la déclaration en l'espèce sont extrêmement com plexes et comportent des points de fait et de droit importants. L'existence même du permis d'exploi- tation de la carrière est mise en doute puisque l'on s'interroge quant à savoir si la contrepartie à payer a jamais été validement établie, d'autant plus qu'une entente sans contrepartie fixe ou détermi- nable est, de ce fait, entachée de nullité. D'autre part, le demandeur a, pendant plusieurs années, exploité la carrière en vertu de ce permis et peut ainsi avoir acquis des droits dont on ne saurait le priver unilatéralement. Il semblerait que seule une partie de la réclamation du demandeur puisse être tranchée par la présente Cour, le reste relevant de la compétence de la Cour supérieure du Québec. On semble mettre en doute que le conseil de la bande indienne Mohawk de Kanawake puisse être poursuivi devant la présente Cour quoique cela ne semble plus maintenant faire de doute lorsqu'il s'agit d'une demande de redressement fondée sur l'article 18.
Le demandeur a subi un préjudice important en raison de ce qui a pu bien être des actes illégitimes de la part du conseil de bande, et si la présente Cour accueillait la requête en radiation présentée par le défendeur, cela pourrait priver le demandeur de tout redressement par voie d'injonction ou de jugement déclaratoire.
Par conséquent, la requête doit être rejetée. Toutefois, vu l'importance des points soulevés par celle-ci, aucuns dépens ne seront adjugés contre le défendeur. Je ne puis m'empêcher de dire qu'il serait souhaitable, d'une part, d'éviter toute aug mentation des dommages en permettant la réou- verture de la carrière pour la saison estivale d'ex- ploitation de 1981, dans l'attente du règlement de la question des redevances, soit par jugement de la Cour, soit par arbitrage ou autrement et, d'autre part, de ne pas fixer les conditions afférentes au paiement des redevances de façon à avantager l'autre carrière en exploitation dans la réserve.
Dans l'affidavit déposé à l'appui de la requête, le chef Andrew T. Delisle déclare que le défendeur a des ressources financières très limitées. Il serait donc dans l'intérêt de la bande indienne de rouvrir la carrière du demandeur en attendant que soit fixé le mode de paiement des redevances, celui-ci ne sachant être déterminé unilatéralement par l'une ou l'autre des parties. La Cour ne peut, dans le cadre de la présente requête, ordonner la réou- verture de la carrière, mais il est souhaitable que le bon sens et le bon vouloir l'emportent, de sorte que la question de la somme à payer pour l'extraction du gravier puisse être réglée sans que l'exploitation de la carrière ne soit interrompue plus longtemps.
ORDONNANCE
La requête du conseil de la bande indienne Mohawk de Kanawake (défendeur), en radiation de la déclaration du demandeur, est rejetée sans dépens.
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