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T-4507-77
Marc Beauregard, juge puîné de la Cour supé- rieure du district de Montréal, province de Québec (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Addy Ottawa, 16 juin et 25 novembre 1981.
Compétence Après la nomination du demandeur à la fonction de juge de la Cour supérieure du Québec, la Loi sur les juges fut modifiée, prévoyant désormais la participation des intéressés aux prestations de retraite alors qu'auparavant elles étaient sans participation des intéressés Il échet de déterminer si l'art. 29.1 de la Loi sur les juges est ultra vires Il échet de déterminer si les mots «avant le 17 février 1975» â l'art. 29.1 sont inopérants dans la mesure ils s'applique- raient au demandeur parce qu'ils contreviendraient à l'al. 1b) de la Déclaration canadienne des droits L'art. 29.1(2) est ultra vires Le moyen du demandeur fondé sur la Déclara- tion canadienne des droits ne peut être retenu Loi sur les juges, S.R.C. 1970, c. J-1, modifiée, art. 9, 20, 23, 25, 29.1 Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5J, art. 99, 100 Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, c. 44 [S.R.C. 1970, Appendice III], art. 1 b) Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23, art. 28.
Le 24 juillet 1975, le demandeur a accepté sa nomination à la fonction de juge puîné de la Cour supérieure de la province de Québec. Environ cinq mois plus tard, la Loi de 1975 modifiant le droit statutaire (Pensions de retraite) fut adoptée. Elle ajoutait à la Loi sur les juges l'article 29.1 qui prévoyait la participation des intéressés non seulement aux pensions des veuves et des enfants de juges mais également aux pensions de retraite et prestations supplémentaires des juges eux-mêmes. Auparavant, ces prestations étaient sans participation des inté- ressés. Le traitement auquel le demandeur avait droit à la date de sa nomination et pendant quelque cinq mois par la suite a donc subi une réduction de sept pour cent. La première ques tion est de savoir si le Parlement pouvait diminuer, réduire ou baisser le traitement et les autres avantages du demandeur qui étaient devenus fixes à compter de la date de sa nomination. La deuxième question est de savoir si les mots «avant le 17 février 1975» sont inopérants dans la mesure ils s'appliqueraient au demandeur parce qu'ils contreviennent à l'alinéa 1 b) de la Déclaration canadienne des droits. Le demandeur prétend que cette loi •est discriminatoire parce qu'elle dénie au demandeur son droit à l'égalité devant la loi. De par sa rétroactivité, cette loi ne s'applique pas universellement puisqu'elle oblige une minorité des juges à contribuer à leur régime de pension à un taux de sept pour cent, alors que la majorité contribue à un taux de un et demi pour cent.
Arrêt: le demandeur a droit à un jugement déclaratoire portant que le paragraphe (2) de l'article 29.1 de la Loi sur les juges est, pour ce qui concerne le demandeur, ultra vires du Parlement du Canada. A moins que les juges des cours supé- rieures ne jouissent d'un statut spécial en vertu du principe de
la séparation des pouvoirs entre le judiciaire, l'exécutif et le législatif ou en vertu de quelque autre empêchement constitu- tionnel d'ordre légal à l'exercice de cette suprématie parlemen- taire, le Parlement possède le pouvoir illimité de diminuer de façon efficace et légale tous traitements et autres avantages attribués aux juges, comme pour tout autre employé de la Couronne. L'article 99 de l'Acte de l'Amérique du Nord bri- tannique, 1867 prévoyait que les juges «pourront être démis de leurs fonctions par le gouverneur général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des Communes.» L'article 100 prévoit que les salaires «seront fixés et payés par le parlement du Canada.» La modification de l'A.A.N.B. en 1960 prévoyait pour la première fois que les juges étaient tenus de prendre leur retraite à 75 ans. Avant d'obtenir cette modification de l'A.A.N.B., le gouvernement fédéral a obtenu le consentement de toutes les provinces à cause de leur compétence en matière d'administration de la justice. Ce n'est que le 20 décembre 1975 que les juges des cours supérieures furent tenus de contribuer à leur pension qui était payable leur vie durant. En Angleterre, au moment de la Confédération, la garantie des traitements des juges était constitutionnellement protégée en droit depuis The Act of Settlement (1700). Avec l'adoption de l'A.A.N.B., les juges des cours suprêmes des provinces ont acquis le même statut que celui des juges anglais de l'époque. Ce statut de la magistrature était assorti des mêmes droits, pouvoirs et privilèges, y compris, par une loi le prévoyant expressément, le droit à ce que leur traitement soit «fixé et établi» par le Parlement, ce qui comprend le droit de recevoir ce traitement pendant la durée de leurs fonctions. En vertu de la Constitution, la nomination et le paiement des juges des cours supérieures provinciales et le droit criminel qu'ils appliquaient relevaient de la compétence fédérale, alors que l'administration de la justice, la création de tribunaux de justice et les règles de fond que ces juges appliquaient en matière de propriété et de droit civil relevaient de la compétence provinciale. Il semble donc clair qu'il existe une exigence de droit constitutionnel découlant de la nature fédérale de notre Constitution et qui veut que les droits des juges nommés par le fédéral, tels qu'ils existaient au moment de la Confédération, ne puissent être abrogés, diminués ou modifiés sans un amendement de la Constitution. Il existe un besoin absolu dans une société libre d'un pouvoir judiciaire complètement indépendant dont chaque membre n'est responsable, dans l'exécution de ses fonctions judiciaires, devant personne si ce n'est la loi, sa propre cons cience, les tribunaux et, en cas de mauvaise conduite, devant le Parlement et la Couronne au moyen d'une procédure de mise en accusation sur adresse conjointe des deux Chambres à Sa Majesté. Le Parlement, sans au moins le consentement du juge intéressé, ne peut constitutionnellement, en droit, réduire, par toute loi portant directement sur des réductions ou des déduc- tions de traitements des juges, la rémunération à laquelle ce juge avait droit au moment de sa nomination. J'arrive à cette conclusion non seulement à cause du partage des pouvoirs entre les provinces et le fédéral mais parce qu'elle découle d'un principe intrinsèque et fondamental de droit constitutionnel dont nous avons hérité avec le système parlementaire britanni- que. Il ne peut être fait droit à la demande du demandeur en vertu de l'alinéa lb) de la Déclaration canadienne des droits parce que l'expression «égalité devant la loi» ne vise pas et n'a jamais été conçue pour viser des questions de salaire égal pour un travail égal. Le concept d'«égalité devant la loi» que l'on trouve dans la Déclaration canadienne des droits a été inter-
prété comme signifiant qu'aucune classe privilégiée n'est exempte de l'application du droit commun du pays. Il n'existe aucun fondement juridique à la prétention du demandeur selon laquelle la loi devrait être annulée parce que, même en faisant abstraction de la Déclaration canadienne des droits, elle est discriminatoire. Les nombreuses lois canadiennes concernant le traitement des juges établissent diverses catégories de traite- ment pour des juges de rang égal, sans que la moindre objection n'ait été soulevée au motif que la loi ait été discriminatoire.
Arrêts mentionnés: Curr c. La Reine [1972] R.C.S. 889; Le Procureur général du Canada c. Lavell [1974] R.C.S. 1349; R. c. Burnshine [1975] 1 R.C.S. 693; MacKay c. La Reine [1980] 2 R.C.S. 370; Prata c. Le Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration [1976] 1 R.C.S. 376; Toronto Corporation c. York Corporation [1938] A.C. (C.P.) 415.
ACTION. AVOCATS:
David Scott, c.r. pour le demandeur.
Paul 011ivier, c.r. et D. M. Low pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Scott & Aylen, Ottawa, pour le demandeur. Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE ADDY: Les faits ne sont pas contestés: aucun témoin n'a été cité et l'affaire a été jugée à partir d'admissions faites dans les actes de procé- dure, d'un exposé conjoint des faits et de certaines pièces qui furent déposées sur consentement.
Le 24 juillet 1975, le demandeur a accepté sa nomination à la fonction de juge puîné de la Cour supérieure de la province de Québec. A la date de sa nomination, la Loi sur les juges' prévoyait pour tous les juges puînés de la Cour supérieure de cette province, les traitements, rémunérations et avanta- ges suivants:
' S.R.C. 1970, c. J-1 (modifiée par S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 16); S.C. 1970-71-72, c. 55; S.C. 1973-74, c. 17; S.C. 1974- 75-76, c. 48; Loi sur les prestations de retraite supplémentai- res, S.R.C. 1970 (ler Supp.), c. 43, telle que modifiée par c. 30 (2' Supp.) et par S.C. 1973-74, c. 36, citée sous le nom de Loi de 1973 modifiant le droit statutaire (prestations de retraite supplémentaires), S.C. 1973-74, c. 36; Loi portant revision de la mention Cour du banc de la reine de la province de Québec, S.C. 1974-75-76, c. 19; Loi de 1975 modifiant le droit statu- taire (Pensions de retraite), S.C. 1974-75-76, c. 81.
1. Des traitements globaux de $53,000 (articles 9 et 20 de la Loi sur les juges, tels que modi- fiés)—traitement de base de $50,000, traitement supplémentaire de $3,000 pour les services extrajudiciaires que les juges peuvent être appe- lés à accomplir et en dédommagement des frais accessoires.
2. Pensions de retraite sans participation des intéressés (article 23 de la Loi sur les juges, tel que modifié).
3. Des pensions sans participation des intéressés pour les veuves et enfants de juges (article 25 de la Loi sur les juges, tel que modifié).
4. Prestations de retraite supplémentaires sans participation des intéressés (Loi sur les presta- tions de retraite supplémentaires, telle que modifiée).
Environ cinq mois après la nomination du demandeur, c'est-à-dire le 20 décembre 1975, la Loi de 1975 modifiant le droit statutaire (Pen- sions de retraite) 2 fut adoptée. L'article 100 de cette Loi modifiait la Loi sur les juges en y ajoutant l'article 29.1. Cette loi prévoyait la parti cipation des intéressés non seulement aux pensions des veuves et des enfants de juges mais également aux pensions de retraite et prestations supplémen- taires des juges eux-mêmes, dans le cas de juges nommés après le 16 février 1975. Elle diminuait donc d'autant le traitement et les avantages du demandeur.
Les parties importantes de l'article 100 susmen- tionné sont conçues en ces termes:
100. Ladite loi est en outre modifiée par l'insertion, après l'article 29, des articles suivants:
29.1 (1) Les juges nommés avant le 17 février 1975 à une cour supérieure ou de comté versent au Fonds du revenu consolidé une contribution égale à un et demi pour cent de leur traitement, faite sous forme de retenue.
(2) Les juges nommés après le 16 février 1975 à une cour supérieure ou de comté versent, sous forme de retenue,
a) au Fonds du revenu consolidé une contribution égale à six pour cent de leur traitement; et
b) au Compte de prestations de retraite supplémentaires, établi dans les Comptes du Canada conformément à la Loi sur les prestations de retraite supplémentaires, une contri bution égale
2 S.C. 1974-75-76, c. 81.
(i) à un demi de un pour cent de leur traitement, avant 1977, et
(ii) à un pour cent de leur traitement, à compter de 1977.
Jusqu'à la promulgation de cette loi et à comp- ter de sa nomination, le demandeur avait le droit de recevoir, sans déductions, les traitements et avantages déjà mentionnés ci-dessus aux paragra- phes 1 à 4. Elle a eu pour effet d'obliger le demandeur à verser désormais six pour cent de son traitement à titre de cotisation à sa propre pension de retraite et aux pensions de son conjoint survi- vant et de ses enfants ainsi qu'un demi de un pour cent avant le ler janvier 1977 et de un pour cent par la suite au titre de l'indexation des pensions de retraite conformément à la Loi sur les prestations de retraite supplémentaires. Le traitement auquel il avait droit à la date de sa nomination et pendant quelque cinq mois par la suite a donc subi une réduction de sept pour cent.
Il est intéressant de noter ici qu'en vertu du paragraphe 29.1(1), la contribution de un et demi pour cent qui doit être retenue sur le traitement de juges nommés avant le 17 février 1975 doit être versée au Fonds du revenu consolidé sans mention du Compte de prestations de retraite supplémen- taires ni de la Loi sur les prestations de retraite supplémentaires comme dans le cas de la contribu tion de un pour cent mentionnée au sous-alinéa (2)b)(ii) de l'article 29.1 pour les juges nommés après cette date. On pourrait donc conclure que la contribution de un et demi pour cent prévue au paragraphe 29.1(1) ne se rapporte pas aux presta- tions de retraite supplémentaires auxquelles les juges ont droit parce que, dans sa forme originale et telle que modifiée par la suite, la Loi sur les prestations de retraite supplémentaires prévoit expressément qu'aucune de ces prestations paya- bles aux juges sur le Fonds du revenu consolidé ne doit être imputée au Compte de prestations de retraite supplémentaires 3 .
Ce un et demi pour cent est prélevé à titre de contribution pour subvenir au coût de pensions améliorées pour les conjoints survivants et les
3 Voir S.R.C. 1970 (1°" Supp.), c. 43, par. 8(2), tel que modifié par S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 30, art. 1 et par S.C. 1973-74, c. 36, art. 4 citée sous le titre de Loi de 1973 modifiant le droit statutaire (prestations de retraite supplé- mentaires).
enfants et non pour la pension des juges eux- mêmes. Cela semble toutefois indifférent à la solu tion du litige.
L'exposé conjoint des faits établit qu'à la date de sa nomination le 24 juillet 1975, bien que le projet de loi qui fut ultérieurement adopté et pro- mulgué le 20 décembre 1975 ait alors été devant le Parlement, le demandeur ignorait complètement son existence et n'en avait pas été avisé. Si nul n'est censé ignorer la loi, il n'existe pas de pré- somption semblable dans le cas de projets de loi qui ne sont pas encore adoptés. Nul n'est lié par leur contenu. Si l'on tient compte des modifica tions importantes et de l'émasculation progressive de certains projets de loi au cours des débats au Parlement, les projets de loi qui sont finalement adoptés ressemblent souvent très peu, tant sur le plan du fond que de la forme, au projet original. Il serait tout à fait injuste que quiconque, sauf peut- être un membre du Parlement, soit, par présomp- tion, tenu de connaître les travaux du Parlement.
Bien que des considérations d'equity ne soient pas pertinentes pour trancher les questions qui me sont soumises, dans le cas du demandeur au moins, il est surprenant de noter que, comme il a été nommé à l'âge de 38 ans, il semble qu'il aura contribué beaucoup plus que ce qui serait néces- saire pour payer lui-même sa propre pension de retraite et les prestations supplémentaires, en pré- sumant qu'il occupe son poste jusqu'à la retraite à l'âge de 65 ans. En 1976, les déductions de son traitement ont été de $3,445 et, pour l'année en cours, elles atteindront quelque $5,175. Sur une période de 27 ans, ses contributions atteindraient un total de beaucoup supérieur à $125,000, en présumant qu'il n'y aurait pas de majoration de son traitement. Des contributions annuelles de $5,000, calculées annuellement à un taux d'intérêt composé de 15% auraient créé, au moment de la retraite, un fonds d'environ $600,000 en dollars de 1981. Si cette somme était placée à un taux d'in- térêt de 15%, elle produirait annuellement un revenu de $90,000, beaucoup plus que son traite- ment actuel et environ deux fois la somme requise pour lui verser la pension actuellement prévue, égale aux deux tiers de son traitement, sans aucu- nement entamer le capital.
Évidemment, ceci ne tient nullement compte de la protection de revenu advenant son décès dont lui, sa femme et ses enfants jouissent entre-temps, ni de son droit à une pleine pension en cas de retraite anticipée pour cause de maladie. On pour- rait peut-être aussi considérer le taux d'intérêt de 15% trop élevé pour l'employer comme facteur. De toute façon, pour ce qui concerne le demandeur, une somme très considérable est en jeu dans la présente action.
A la suite de l'audition de l'action, l'avocat du demandeur a demandé une ordonnance lui permet- tant de modifier les conclusions de la déclaration. A la suite d'une ordonnance subséquemment rendue sur consentement le 22 juillet 1981, le demandeur demande maintenant ce qui suit:
[TRADUCTION] a) Un jugement déclarant les mots «avant le 17 février 1975» à l'article 29.1 et la totalité de l'article 29.1(2) de la Loi sur les juges telle qu'édictée par l'article 100 du c. 81, 1974-75-76
i) ultra vires du Parlement du Canada, ou, subsidiaire- ment:
ii) ultra vires du Parlement du Canada pour ce qui con- cerne le demandeur;
ou, subsidiairement,
b) Un jugement déclarant que les mots «avant le 17 février
1975» l'article 29.1 et la totalité de l'article 29.1(2) de la Loi sur les juges, telle qu'édictée par l'article 100 du c. 81, 1974-75-76 sont inopérants pour ce qui concerne le demandeur;
Avant de procéder à l'examen de ces questions, il m'incombe de déclarer l'intérêt que j'ai dans l'issue du litige. Lorsque, comme en l'espèce, un juge ayant un intérêt personnel dans l'issue du litige est néanmoins obligé d'instruire l'affaire parce qu'aucun autre juge désintéressé et ayant la compétence voulue n'est disponible, la tâche de- vient deux fois plus lourde. A cause de son intérêt personnel dans l'issue du litige, le juge, pour redoubler de prudence et par souci réel que justice soit faite en toute impartialité, est obligé de se prémunir contre le danger de pencher indûment en faveur du point de vue opposé à cet intérêt ainsi que contre le danger d'être inconsciemment in- fluencé par celui-ci. C'est un numéro d'équili- briste qui demande des acrobaties de jugement et d'introspection morale, talent que bien peu de personnes possèdent et qu'encore moins sont appe- lées à exercer. Enfin, aussi consciencieusement que la tâche soit accomplie, il reste toujours la possibi-
lité réelle qu'aux yeux du citoyen ordinaire, cela semblera être rien de moins que de l'inceste judiciaire.
Ma nomination remonte à plusieurs années avant le 17 février 1975 et, selon la législation actuelle, je ne suis pas tenu de payer le 6% imposé aux juges nommés après cette date. Il pourrait donc sembler que je n'ai actuellement aucun inté- rêt direct dans la solution des questions précises soulevées dans la déclaration. Il est devenu bien évident dès le début de l'audition toutefois que, parce que le demandeur avait soulevé la question du pouvoir constitutionnel du Parlement de pré- lever des déductions sur le traitement d'un juge dans un but particulier concernant les juges, j'ai au moins un intérêt personnel virtuel dans cette affaire, à la contribution de 1 1 / 2 % que je dois verser.
En 1931, en Angleterre, à cause de la crise économique qui y sévissait alors et qui équivalait à une crise nationale, la National Economy Act, 1931, 21 & 22 Geo. 5, c. 48, fut adoptée. Elle prévoyait que le traitement de toute [TRADUC- TION] «personne au service de Sa Majesté«, y compris celui des juges, était réduit de 20%. Les juges d'Angleterre envoyèrent un mémoire confi- dentiel au Premier ministre de l'époque exprimant leur opinion quant au droit du Parlement de réduire le traitement des juges. (Le mémoire, document très intéressant, devint un document public lorsqu'il fut déposé à la Chambre des Lords deux ans plus tard. Je l'examinerai in extenso plus tard dans ces motifs.) Si on adopta cette méthode pour signaler le problème constitutionnel, c'est surtout parce que Sir William Holdsworth était alors d'avis qu'il n'était pas possible de déterminer par les voies judiciaires normales si la loi s'appli- quait à la magistrature parce que, selon lui, aucun juge ne pouvait trancher le litige à cause de son intérêt dans l'affaire.
La contribution de 1 1 / 2 % que moi-même et tous les autres juges de cours supérieures nommés avant le 17 février 1975 devons verser est, tel que déjà mentionné, apparemment pour la protection addi- tionnelle assurée au conjoint et aux enfants à charge en cas de décès du juge. Le Parlement n'a évidemment jamais été constitutionnellement tenu d'assurer une protection aux personnes à la charge de juges et il a donc le droit d'exiger une contribu-
tion à de tels avantages lorsqu'ils sont accordés. Cela semblerait à première vue me permettre de trancher les questions soulevées par le demandeur sans possibilité d'intérêt personnel de ma part. Il semblerait effectivement qu'il n'y aurait aucun problème d'intérêt si moi-même et tous les autres juges de cours supérieures dans ma position avions le droit de choisir d'accepter ou de refuser cette protection supplémentaire et, par conséquent, de permettre la déduction ou de refuser de l'autoriser. Toutefois, cette contribution est obligatoire et la question plus vaste du droit du Parlement de déclarer toute somme déductible du traitement d'un juge titulaire a été soulevée et débattue au procès et j'ai donc, d'un point de vue strictement légal, un intérêt dans l'issue de l'affaire. D'un point de vue pratique et personnel toutefois, je tiens à déclarer que bien qu'aucun de mes enfants ne soit admissible à cause de leur âge, si j'avais eu le choix, j'aurais très certainement choisi de payer la contribution de 1 1 / 2 % pour avoir la protection additionnelle pour mon épouse. Il y a aussi le fait que les juges dans ma position ont eu droit pendant une période de cinq mois à ces avantages sans déductions et que la contribution de 11% impose une réduction de rémunération.
Depuis la déclaration de Sir William Holds- worth que j'ai mentionnée ci-dessus, il semble qu'on ait accepté que, lorsqu'il se pose une impor- tante question de droit dans laquelle tous les juges ont un intérêt personnel, elle peut être tranchée par un juge sur la base de la nécessité, le raisonne- ment étant que, dans pareil cas, on présume que justice est mieux servie en faisant trancher la question par quelqu'un qui a un intérêt personnel dans l'issue de l'affaire qu'en laissant la question en suspens. (Pour ce qui concerne la compétence ex necessitate, voir Re The Constitutional Ques tions Act. Re The Income Tax Act, 1932 4 confir- mée sous le nom de Judges c. Le procureur général de la Saskatchewan 5 . Il y a également la vieille décision Dimes c. The Proprietors of the Grand Junction Canal 6 ).
Cela dit, je dois maintenant ajouter qu'il est fort probable que je n'aie aucun intérêt identifiable sur le plan du droit dans l'issue de cette affaire parce
° [1936] 4 D.L.R. 134.
5 [1937] 2 D.L.R. 209 (C.P.).
6 (1852) 3 H.L.C. 759; 10 E.R. 301.
que l'existence, le rôle et la compétence des juges de la Cour fédérale du Canada, de même que ceux de la Cour suprême du Canada, sont régis entière- ment par des lois fédérales et que ces juges n'ont pas le même statut constitutionnel que les juges des cours supérieures des provinces, qui exercent la compétence attribuable à un tribunal de droit commun dans les diverses provinces et qui, sur le plan constitutionnel, sont les vrais successeurs des premiers juges des Central Courts d'Angleterre nommés par le Roi.
Il est néanmoins important de noter que pour garantir et préserver le respect à notre système judiciaire ainsi que l'observation et l'application efficace de nos lois qui en découlent, les législa- teurs devraient scrupuleusement éviter à tout prix l'adoption de lois relatives à la magistrature qui pourraient toucher même de loin à son indépen- dance en présentant, ne fût-ce que la possibilité d'une contestation judiciaire dont l'issue lui serait favorable. Depuis The Act of Settlement (1700), les législateurs d'Angleterre ainsi que ceux du Commonwealth ont, de façon générale, jusqu'à tout récemment du moins, appliqué scrupuleuse- ment ce principe. Depuis quelques années toute- fois, certains législateurs et membres du gouverne- ment par ailleurs responsables semblent considérer les juges comme une catégorie de hauts fonction- naires. Ces personnes ignorent ou méconnaissent nos racines et notre histoire qui démontrent claire- ment que, dans le passé, les législateurs ont cher- ché avec soin à préserver et à considérer comme sacro-saint le principe constitutionnel de la sépara- tion des pouvoirs. Toute relâche dans l'adhésion stricte à ce principe met en péril non seulement le statut et le rôle de la magistrature mais, ce qui est plus important, l'essence même de notre système parlementaire et la préservation de toutes nos libertés fondamentales.
Autrefois, le législateur canadien semblait être beaucoup plus conscient du problème constitution- nel: lorsque par exemple, il a été décidé en 1919 d'assujettir les juges à une loi de l'impôt sur le revenu d'application générale, la loi prévoyait que l'exemption générale d'impôt dont bénéficiaient auparavant les juges cesserait de s'appliquer à tout juge qui accepterait ou aurait accepté en 1919 une augmentation de traitement. Ceux qui avaient été nommés avant l'adoption de cette loi ont eu le
choix d'accepter l'augmentation et de payer l'im- pôt ou de la refuser et de continuer à bénéficier de l'exemption. Il semble donc évident que même dans le cas d'une loi d'impôt d'application géné- rale, on a pris bien soin de préserver la rémunéra- tion que recevaient les juges qui siégeaient alors, non seulement à compter de leur nomination mais à compter de l'entrée en vigueur de la loi fiscale.
Aujourd'hui toutefois, il semble exister non seu- lement un manque de compréhension du statut de la magistrature dans notre système de gouverne- ment mais aussi de son rôle fondamental. On trouve des exemples typiques de cette conception complètement fausse et constitutionnellement dan- gereuse du rôle de la magistrature dans une loi existante et dans un projet de loi dont j'ai connais- sance l'on s'attend à ce que les juges des cours supérieures fassent, dans le cadre de l'exercice de leurs fonctions judiciaires, des recommandations à un ministre de la Couronne à qui il est loisible de suivre ou de rejeter ces recommandations.
Les citoyens ne peuvent se sentir en sécurité que lorsqu'ils peuvent avoir recours à la protection d'une magistrature tout à fait indépendante, dont les membres n'ont de compte à rendre et ne sont subordonnés à personne, n'étant responsables que vis-à-vis de la loi et de leur propre conscience.
Pour ce qui concerne l'effet du paragraphe 29.1(1), que j'ai déjà cité, le demandeur prétend qu'il est ultra vires du Parlement parce que le Parlement n'a pas le pouvoir en vertu de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5], ni en vertu du droit constitutionnel non écrit d'exiger des contributions pour les pensions de juges, pensions dont ils bénéficiaient le 20 décem- bre 1975, date à laquelle la Loi attaquée fut promulguée. Il prétend également, à titre subsi- diaire, que le Parlement ne pouvait diminuer, réduire ou baisser le traitement et les autres avan- tages du demandeur qui étaient devenus fixes à compter de la date de sa nomination. Enfin, il prétend que les mots «avant le 17 février 1975„ sont inopérants dans la mesure ils s'applique- raient à lui parce qu'ils contreviennent à l'alinéa l b) de la Déclaration canadienne des droits' au
7 S.C. 1960, c. 44 [S.R.C. 1970, Appendice III].
motif que cette loi a pour effet d'obliger une minorité des juges à contribuer à leur régime de pension et à celui des personnes à leur charge à un taux de sept pour cent, alors que la majorité contribue à un taux de un et demi pour cent; il prétend également que, de par sa rétroactivité, la loi ne s'applique pas universellement aux juges de cours supérieures et est donc discriminatoire parce qu'elle dénie au demandeur son droit à l'égalité devant la loi.
En commençant par le dernier de ces allégués, j'examinerai d'abord si l'alinéa l b) de la Déclara- tion canadienne des droits est d'aucun secours au demandeur. Cette Déclaration reconnaît la liberté fondamentale suivante: «le droit de l'individu à l'égalité devant la loi et à la protection de la loi». Aux fins de déterminer s'il peut être fait droit à la réclamation du demandeur en vertu de cet article de la Déclaration canadienne des droits, je pré- sume évidemment (mais uniquement à cette fin) que le Parlement a tout à fait le droit de modifier comme il l'entend la rémunération des juges des cours supérieures comme pour un employé de la Couronne fédérale.
Dans le cadre de son argumentation pour démontrer que les mots «avant le 17 février 1975» au paragraphe 29.1(1) et «après le 16 février 1975» au paragraphe 29.1(2) sont contraires aux princi- pes de l'égalité devant la loi, le demandeur s'est fondé sur les arrêts suivants qu'il a cités: La Reine c. Drybones 8 ; Curr c. La Reine 9 ; Le Procureur général du Canada c. Lavell 10 ; La Reine c. Burnshine"; Israta c. Le Ministre de la Main- d'oeuvre et de l'Immigration 12 ; Bliss c. Le procu- reur général du Canada 13 ; et MacKay c. La Reine 14 .
A l'exception de l'affaire Bliss qui porte unique- ment sur le droit de recevoir des prestations d'assu- rance-chômage et il a été jugé que la Déclara- tion canadienne des droits ne s'appliquait pas, tous ces arrêts portent sur la perte ou la dénégation de divers droits fondamentaux très importants ou sur
8 [1970] R.C.S. 282.
9 [1972] R.C.S. 889. 'o [1974] R.C.S. 1349. " [1975] 1 R.C.S. 693.
12 [1976] 1 R.C.S. 376.
13 [1979] 1 R.C.S. 183.
14 [1980] 2 R.C.S. 370.
la responsabilité pénale ou quasi pénale et n'ont rien à voir avec le simple quantum de rémunéra- tion pour services rendus.
Le concept d'«égalité devant la loi» que l'on trouve dans la Déclaration canadienne des droits a, depuis son adoption, été interprété dans le sens l'entendait Dicey, c'est-à-dire qu'aucune classe privilégiée n'est exempte de l'application du droit commun du pays. Voici ce que dit le juge Ritchie dans Curr c. La Reine, précité, à la page 916:
... je préfère fonder ma conclusion sur le fait que, à mon avis, le sens des termes de la Déclaration des droits est le sens qu'ils avaient au Canada au moment de l'adoption de la Déclaration
Dans l'arrêt Lavell précité, le même juge parle de l'égalité devant la loi en ces termes aux pages 1365 et 1366 du recueil:
Selon moi, le sens à donner au libellé de la Déclaration des droits est celui qu'il avait au Canada à l'époque de l'adoption de la Déclaration, et il s'ensuit que l'expression «égalité devant la loi» doit s'interpréter à la lumière de la loi en vigueur au Canada à ce moment-là.
Lorsqu'on considère le sens qu'il faut attacher aux mots «égalité devant la loi» figurant à l'al. b) de l'art. 1 de la Déclaration, je crois important de signaler qu'à mon sens ces termes ne sont pas efficaces pour invoquer le concept égalitaire illustré par le 14» Amendement de la Constitution des États- Unis tel qu'interprété par les tribunaux de ce pays-là. (Voir Smythe c. La Reine ([1971] R.C.S. 680), Juge en chef Fau- teux, pp. 683 et 686). Je crois plutôt que, compte tenu des termes employés dans le second alinéa du préambule de la Déclaration des droits, l'expression «égalité devant la loi» se trouvant à l'art. 1 doit se lire dans son contexte, comme une partie du «règne du droit» auquel les termes de cet alinéa accordent une autorité prépondérante.
A cet égard, je me réfère à Stephens Commentaries on the Laws of England, 2P éd. 1950, il est dit dans le volume III, à la p. 337:
[TRADUCTION] Ainsi le grand spécialiste en droit constitu- tionnel, Dicey, qui écrivait en 1885, était si profondément impressionné par l'absence de gouvernements arbitraires, tant à l'époque que dans le passé, qu'il a créé l'expression «the rule of law» (le règne du droit) pour parler du régime sous lequel vivait l'Anglais; et il a tenté de la préciser dans les termes suivants, qui ont exercé une profonde influence sur toute la pensée et la conduite subséquente.
«Que le «règne du droit» qui constitue un principe fonda- mental de la constitution a trois sens, ou peut être envisagé sous trois points de vue différents ...»
Le second sens proposé par Dicey est celui qui nous occupe ici et il l'a couché dans les termes suivants:
[TRADUCTION] Un autre sens est celui d'égalité devant la loi ou d'assujettissement égal de toutes les classes au droit commun du pays appliqué par les tribunaux ordinaires; le
«règne du droit», dans ce sens, exclut l'idée d'une exemption de fonctionnaires ou d'autres personnes du devoir d'obéis- sance à la loi auquel sont assujettis les autres citoyens, ou de la compétence des tribunaux ordinaires.
«L'égalité devant la loi», dans ce sens, est souvent invoquée pour démontrer que la même loi s'applique aussi bien aux plus hauts fonctionnaires du gouvernement qu'à tout autre citoyen ordinaire, et à cet égard le professeur F. R. Scott, dans les cours donnés dans le cadre des Plaunt Memorial Lectures sur les libertés civiles et le fédéralisme canadien, en 1959, eut l'occasion de dire en parlant de l'affaire Roncarelli c. Duplessis ([1959] R.C.S. 121),
[TRADUCTION] C'est toujours un triomphe pour la loi de montrer qu'elle est appliquée à tous également, sans crainte ni favoritisme. C'est ce que nous entendons quand nous disons que tous sont égaux devant la loi.
Le juge Martland s'est dit d'accord avec ce passage qu'il a cité dans les motifs du jugement majoritaire de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Burnshine précité (voir les pages 704 et 705 du recueil susmentionné). Même l'article 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne 15 qui a été adoptée depuis (promulguée le 14 juillet 1977), et que l'avocat du demandeur a cité pour tenter d'établir un parallèle entre cette loi et la Déclaration canadienne des droits, n'interdit que les distinctions illicites qui sont fondées sur «la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, la situation de famille ou l'état de personne graciée et, en matière d'emploi, sur un handicap physique.» Il semble évident qu'en l'espèce, il n'existe aucune distinction illicite fondée sur un des motifs susmentionnés.
L'avocat du demandeur a insisté particulière- ment sur les paroles suivantes du juge McIntyre dans l'arrêt MacKay, précité, que l'on trouve à la page 406 du recueil cité:
La question à résoudre dans chaque cas est celle de savoir si l'inégalité qui peut être créée par la loi vis-à-vis d'une catégorie particulière—ici les militaires—est arbitraire, fantaisiste ou superflue, ou si elle a un fondement rationnel et acceptable en tant que dérogation nécessaire au principe général de l'applica- tion universelle de la loi pour faire face à des conditions particulières et atteindre un objectif social nécessaire et souhaitable.
Selon moi, ces paroles ne corroborent pas la proposition mise de l'avant pour le compte du demandeur. Comme le dit le juge Martland dans les motifs du jugement qu'il prononçait au nom de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Prata, précité, à la page 382 du recueil cité:
15 S.C. 1976-77, c. 33.
Cette Cour a décidé que l'al. b) du par. (1) de la Déclaration canadienne des droits n'exige pas que toutes les lois fédérales doivent s'appliquer de la même manière à tous les individus. Une loi qui vise une catégorie particulière de personnes est valide si elle est adoptée en cherchant l'accomplissement d'un objectif fédéral régulier (R. v. Burnshine ((1974), 44 D.L.R. (3d) 584)).
Puisque je conclus qu'il ne peut être fait droit à la demande du demandeur en vertu de l'alinéa lb) de la Déclaration canadienne des droits parce que l'expression «égalité devant la loi» employée dans cette loi ne vise pas et n'a jamais été conçue pour viser des questions de salaire égal pour un travail égal, je n'examinerai pas la réponse soumise pour le compte de la défenderesse selon laquelle même si on concluait à l'existence d'une «inégalité», elle survient dans le cadre de mesures prises pour atteindre un objectif fédéral valable et que, en outre, le demandeur n'a pas réussi à prouver que l'exigence de verser des contributions est arbi- traire, déraisonnable ou inutile.
Je ne vois aucun fondement juridique à la pré- tention du demandeur selon laquelle la loi devrait être annulée parce que, même en faisant abstrac tion de la Déclaration canadienne des droits, elle est discriminatoire. Outre les mêmes raisons pour lesquelles la Déclaration canadienne des droits n'est pas applicable en l'espèce, les nombreuses lois canadiennes citées par la défenderesse concernant le traitement des juges, adoptées depuis 1846 jus- qu'en 1932, (voir la note 16 ci-dessous) établissent clairement diverses catégories de traitement pour des juges de rang égal, sans que la moindre objec tion ait été soulevée, même indirectement, au motif que la loi ait été discriminatoire. Il est important de noter également toutefois que, dans cette législation, lorsqu'il était nécessaire de proté- ger la rémunération versée aux titulaires, les diver- ses lois comprenaient des clauses protégeant les droits acquis et que, dans un ou deux cas cette précaution n'avait pas été prise à l'époque de l'adoption de la loi, une loi modificatrice a subsé- quemment été adoptée pour corriger la situation 16 . (Voir par exemple: S.C. 1927, c. 33 qui réduisait
16 (1) Acte pour octroyer une Liste Civile à Sa Majesté, S.C. 1846, 9 Vict., c. 114.
(2) Acte modifiant l'acte pour octroyer une Liste Civile à Sa Majesté, S.C. 1851, 14 & 15 Vict., c. 173.
(3) Acte pour réduire les salaires de certains officiers de justice dans les cas y mentionnés, etc., S.C. 1851, 14 & 15 Vict., c. 174.
(Suite à la page suivante)
la pension de retraite de certains juges à deux tiers de leur traitement fut modifié par S.C. 1930, c. 27 qui rétablissait pour ces juges la pension à plein traitement.)
J'aborde maintenant le second argument du demandeur selon lequel le Parlement ne peut dimi- nuer, réduire ou baisser le traitement et autres avantages du demandeur qui sont devenus fixes à la date de sa nomination.
Pour ce qui concerne la suprématie absolue de notre Parlement lorsqu'il s'agit de légiférer dans les sphères de compétence qui lui sont attribuées par notre Constitution, à moins que les juges des cours supérieures ne jouissent d'un statut spécial en vertu du principe de la séparation des pouvoirs entre le judiciaire, l'exécutif et le législatif ou en vertu de quelque autre empêchement constitution- nel d'ordre légal à l'exercice de cette suprématie parlementaire, il semble évident que le Parlement possède le pouvoir illimité de diminuer de façon efficace et légale tous traitements et autres avanta- ges attribués aux juges, comme pour tout autre employé ordinaire de la Couronne. Le droit d'im- poser les déductions en cause serait donc actuelle- ment inattaquable sur le plan constitutionnel sous
(Suite de la page précédente)
(4) Acte concernant le gouverneur, la liste civile, et les salaires de certains officiers publics, S.R.C. 1859, 22 Vict., c. 10.
(5) Acte concernant la Cour supérieure, S.R.B.C. 1860, c. 78.
(6) Acte à l'effet de fixer les traitements des juges, etc. (de certaines provinces), S.C. 1882, 45 Vict., c. 11.
(7) Acte des cours Suprême et de l'Échiquier, S.R.C. 1886, 49 Vict., c. 135.
(8) Acte concernant les juges des cours provinciales, S.R.C. 1886, 49 Vict., c. 138.
(9) Loi des juges, S.R.C. 1906, c. 138.
(10) Loi portant modification de la Loi des juges, S.C. 1919, 9-10 Geo. V, c. 59.
(11) Loi modifiant la Loi des juges, S.C. 1920, 10-11 Geo. V, c. 56.
(12) Loi modifiant la Loi des juges, S.C. 1927, 17 Geo. V, c. 33.
(13) Loi des juges, S.R.C. 1927, c. 105.
(14) Loi modifiant la Loi des juges, S.C. 1930, 20-21 Geo. V, c. 27.
(15) Loi de 1946 sur les juges, S.C. 1946, 10 Geo. VI, c. 56.
(16) Loi modifiant la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu, S.C. 1932, 22-23 Geo. V, c. 44.
réserve toutefois, à cause de la répartition des pouvoirs entre le fédéral et les provinces, du droit de celles-ci à ce que les juges soient nommés et rémunérés par le gouvernement fédéral.
Il se peut très bien que l'issue du litige dépende de la réponse à la question suivante: existe-t-il vraiment dans notre système parlementaire une séparation légale des pouvoirs ou, nonobstant le rôle séparé et distinct que la magistrature a tradi- tionnellement été appelée à exercer, le Parlement canadien, avec le consentement du gouverneur général, au nom de Sa Majesté, possède-t-il néan- moins en droit et de plein droit un pouvoir absolu sur la magistrature? Si la réponse à cette dernière question était négative et si le Parlement ne pou- vait légalement exercer un pouvoir absolu sur la magistrature, quelles seraient alors ses limites? Autrement dit, la question pourrait se poser comme suit: dans quelle mesure existe-t-il réelle- ment en droit une séparation entre le pouvoir judiciaire et les pouvoirs législatif et exécutif? On ne trouvera les réponses qu'après avoir étudié l'his- torique de l'évolution du pouvoir judiciaire en Angleterre et examiné également l'effet, s'il en est, que notre ancien statut de colonie, qui a ultime- ment cédé la place à notre actuel statut de pays indépendant, avec répartition des pouvoirs entre les gouvernements provinciaux et fédéral, a pu avoir sur le statut, les droits et les pouvoirs du judiciaire et dans quelle mesure le Parlement peut les modifier ou les contrôler.
S'il est vrai que l'Angleterre ne possède aucune constitution écrite, cela ne veux pas dire qu'elle n'a pas de constitution à l'exception de certaines dispo sitions précises de la Grande Charte, The Act of Settlement (1700) 17 et la loi de 1760 intitulée An Act for rendering more effectual the Provisions in [The Act of Settlement] relating to the Commis sions and Salaries of Judges 18 et certaines autres lois qui dans les faits furent les premières à établir une certaine division des pouvoirs entre le Roi et le Parlement, c'est-à-dire entre les pouvoirs exécutif et législatif. Le système judiciaire a été introduit et consacré par The Act of Settlement (1700) et la loi de 1760 qui étaient essentiellement des traités constitutionnels ou des instruments constitution
1 7 12 & 13 Will. 3, c. 2.
18 A.D. 1760, 1 Geo. III, c. 23.
nels impératifs entre le Roi et le Parlement. Comme le titre même de la loi l'indique, il s'agit du règlement du partage des pouvoirs entre eux. A cet époque, ces deux pouvoirs, pour employer un euphémisme, étaient souvent en désaccord quant à ce qu'on devait faire et, ce qui est plus important, quant à savoir qui avait le droit de le faire. Ces deux lois constitutionnelles prévoyaient un moyen très pratique d'assurer que ni le Roi ni le Parle- ment ne serait capable d'atteindre ses objectifs ou ambitions politiques respectifs en exerçant un con- trôle sur les décisions de la magistrature. Le Roi ne pouvait plus faire peser sur le juge la menace de le priver immédiatement de la charge qu'il occupait par le bon plaisir du Souverain, ni le Parlement pouvait-il atteindre ses fins par la menace également péremptoire et presque aussi efficace d'une interruption de traitement. La situa tion créée par ces lois constituait le principal moyen d'assurer constitutionnellement un équilibre politique des pouvoirs et constituait un premier pas important dans l'établissement de quelque chose de semblable à ce que nos voisins américains appellent un système de freins et contrepoids.
En 1956, La Revue du Barreau canadien 19 a publié en deux parties un article savant et très bien documenté du professeur W. R. Lederman, auto- rité en matière constitutionnelle. Les avocats des deux parties ont cité longuement cet article très lu. Pour ma part, j'ai l'intention de le citer abondam- ment et je tiens à déclarer dès maintenant que nonobstant certaines remarques récentes de la Cour suprême du Canada, dont je parlerai plus loin, sur les opinions du professeur Lederman quant à savoir si la convention ou la coutume peuvent être sources de droit constitutionnel, je suis d'accord avec les passages de l'article du professeur Lederman que je citerai. Pour ce qui concerne la question de la constitution non écrite d'Angleterre et, plus précisément, du rôle particu- lier du pouvoir judiciaire dans la constitution anglaise, le professeur Lederman dit ce qui suit dans l'introduction de l'article susmentionné (voir les pages 769 et 770):
[TRADUCTION] C'est un principe de droit largement reconnu que l'alpha et l'omega de la constitution anglaise est le principe de la suprématie du Parlement—qu'il n'y a rien qu'un parle- ment ne puisse faire par une loi rédigée de la façon appropriée.
19 «The Independence of the Judiciary» dans La Revue du Barreau canadien, Volume 34, pages 769 à 809 et 1139 à 1179.
Cela résulterait, selon plusieurs autorités, du règlement révolu- tionnaire auquel on est arrivé en 1688 et au cours des quelques années qui suivirent. Il existe pourtant des raisons tant histori- ques que théoriques de douter que la suprématie illimitée du Parlement en ce sens ait été établie à cette époque ou à aucun autre moment. L'histoire révèle plutôt que d'autres principes ont également pris une très grande importance sur le plan constitutionnel à la fin du XVII» siècle, et ces autres princi- pes—alors réaffirmés ou établis—ne pouvaient que limiter, dans une certaine mesure du moins, la suprématie d'un parlement.
Nous avons le témoignage récent de A. L. Goodhart selon lequel les Anglais ne sont pas aussi démunis de constitution qu'ils le prétendent. Il donne quatre principes qu'il prétend également fondamentaux à titre de principes primordiaux ou principaux de la constitution anglaise. Ils s'énoncent briève- ment comme suit: (1) »Nul n'est au-dessus de la loi» (ce qui signifie notamment que toute personne investie de fonctions publiques, la Reine, les juges ainsi que les membres du Parle- ment doivent se référer à la loi pour la définition de leurs positions et pouvoirs respectifs). (2) «Ceux qui gouvernent la Grande-Bretagne le font à titre de représentants et peuvent être remplacés .... L'élection libre des membres de la Chambre des communes est un principe fondamental du droit constitutionnel anglais.» (3) Chacun jouit de la liberté de parole, de pensée et de réunion. (4) Il existe un pouvoir judiciaire indépendant. «Le quatrième et dernier principe, qui est une partie fondamentale de la constitution anglaise, est l'indépendance du judiciaire. Il serait inconcevable que le Parlement considère aujourd'hui qu'il est libre d'abolir ce principe qui a été reconnu comme consti- tuant la pierre angulaire de la liberté depuis l'Act of Settlement en 1701. On a reconnu qu'il allait de soi que si le judiciaire était soumis au pouvoir législatif ou au pouvoir exécutif, alors l'administration de la loi pourrait ne plus avoir l'impartialité qui est essentielle pour que justice triomphe.» Sir William Holdsworth a exprimé une opinion très semblable sur le statut
du judiciaire. Il dit ( His Majesty's Judges (1932), 173 Law Times 336, aux pp. 336 377):
Les juges occupent une charge à laquelle est jointe la fonc- tion de préserver la suprématie de la loi. C'est parce que ses membres occupent une charge à laquelle est confiée la garde de ce principe constitutionnel fondamental que le judiciaire forme une des trois grandes divisions entre lesquelles est réparti le pouvoir de l'État. Le judiciaire a des pouvoirs distincts et autonomes, tout comme le Roi et le Parlement; et, dans l'exercice de ces pouvoirs, ses membres ne sont pas plus dans la position de subordonnés que le Roi ou le Parlement dans l'exercice des leurs .... il n'est pas du tout pertinent de dire que la législation moderne confère souvent à la même personne ou au même organisme tout à la fois des pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires. La séparation des pouvoirs dans la Constitution britannique n'a jamais été complète. Mais certains des pouvoirs de la constitution étaient et sont encore tellement distincts que leurs détenteurs ont des pou- voirs autonomes, c'est-à-dire des pouvoirs qu'ils peuvent exer- cer indépendamment, sous réserve uniquement des lois ou du droit. Les juges ont des pouvoirs de ce genre parce que, comme on leur confie la sauvegarde de la suprématie de la loi, ils sont et ont toujours été considérés comme une partie distincte et indépendante de la constitution. Il est vrai que
cette conception de la loi a été contestée par les Stuarts, mais la Grande rébellion et la Révolution l'ont confirmée. [C'est moi qui souligne.]
Il convient maintenant d'examiner les commen- taires de la Cour suprême du Canada sur l'article du professeur Lederman que je viens de citer et dont je parlerai plus loin. J'ai attendu, avant de prononcer les présents motifs, l'issue de trois ren- vois portés devant la Cour suprême par les provin ces du Manitoba, de Québec et de Terre-Neuve sur le projet de rapatriement de la Constitution [(1981) 39 N.R. 1] (ci-après appelé [TRADUC- TION] «appels sur le rapatriement»), étant donné qu'il ressortait des arguments soumis aux cours d'appel provinciales que la question de savoir si une convention constitutionnelle pouvait se cristal- liser en règle de droit serait soulevée. Dans ses motifs historiques rendus publics le 28 septembre de cette année, la majorité de la Cour suprême du Canada a statué que cela n'était pas possible et a commenté l'opinion contraire du professeur Leder- man dans les termes suivants [aux pages 71 et 80] :
On fait erreur en tentant d'assimiler l'évolution d'une con vention et celle de la common law.
Un point de vue contraire sur lequel s'appuient les provinces appelantes est celui du professeur W.R. Lederman dans deux articles qu'il a publiés, l'un intitulé Process of Constitutional Amendment in Canada (1967), 12 McGill L.J. 371, et le deuxième «Constitutional Amendment and Canadian Unity», [1978] Law Soc. U.C. Lectures, 17. L'opinion du professeur Lederman, un spécialiste renommé, mérite plus qu'un examen superficiel. Il reconnaît lui-même qu'il y a des opinions contrai- res, dont celle d'un spécialiste tout aussi distingué, le professeur F.R. Scott: voir Scott, Essays on the Constitution (1977), aux pp. 144, 169, 204-205, 245, 370-371, 402. On trouve également l'opinion contraire du professeur Hogg, déjà citée.
Le professeur Lederman s'appuie notamment sur une série de décisions déjà examinées, dont les motifs de sir Lyman Duff dans l'affaire des Conventions de travail. Il explique le saut de la convention à la loi comme s'il y avait une common law du droit constitutionnel qui tirerait son origine de la pratique politique. Ce n'est tout bonnement pas le cas. Ce qui est désirable comme limite politique ne se traduit pas en une limite juridique sans qu'il existe une loi ou un texte constitutionnel impératif.
A première vue, on pourrait être tenté de penser que la Cour adoptait le point de vue quelque peu surprenant qu'il n'existe pas, hors les textes ou les lois impératifs, de common law du droit constitu- tionnel ou un principe de droit constitutionnel
pouvant être sanctionné par les tribunaux.
Toutefois, en suivant le conseil de la Cour la page 79] dans ces mêmes motifs selon lequel «un choix d'extraits de motifs n'a aucune force indé- pendante à moins de tenir compte des points en litige et du contexte de ces extraits», on conclut aisément que la Cour ne visait pas l'existence d'une common law de la Constitution dans un sens général mais plutôt la question beaucoup plus précise de savoir si une convention ou un arrange ment de nature politique qui n'est pas compris dans un texte ou dans une loi impératifs, qui a été suivi par deux paliers de gouvernement, chacun étant suprême dans sa propre sphère de compé- tence, pouvait tôt ou tard se cristalliser en un principe de droit constitutionnel pouvant être reconnu et sanctionné par les tribunaux. Ceci devient très clair à la lecture des motifs de la majorité de cette même Cour (composée de deux juges qui s'étaient dissociés des conclusions men- tionnées ci-dessus et de quatre autres juges qui y avaient souscrit) laquelle, en statuant sur une autre question soumise à la Cour, a déclaré de façon très catégorique qu'une common law de la Constitution ou un droit constitutionnel non écrit existait. Dans leurs motifs sous la rubrique «La nature des conventions constitutionnelles», on trouve le passage suivant [aux pages 224 et 225]:
Une autre partie de la constitution du Canada est formée de règles de common law. Ce sont des règles que les tribunaux ont élaborées au cours des siècles dans l'exécution de leurs fonc- tions judiciaires. Une part importante de ces règles a trait à la prérogative de la Couronne. Les articles 9 et 15 de l'A.A.N.B. prévoient:
9. A la Reine continueront d'être et sont par le présent attribués le gouvernement et le pouvoir exécutifs du Canada.
15. A la Reine continuera d'être et est par le présent attribué le commandement en chef des milices de terre et de mer et de toutes les forces militaires et navales en Canada.
Par ailleurs, l'Acte ne s'étend pas beaucoup sur les éléments du «gouvernement et pouvoir exécutifs» et l'on doit recourir à la common law pour les découvrir, mis à part l'autorité déléguée à l'exécutif par la loi.
En common law, l'autorité de la Couronne comprend notam- ment la prérogative de grâce ou de clémence (Reference as to the effect of the exercise of the royal prerogative of mercy upon deportation proceedings, [1933] R.C.S. 269.) et le pou- voir de constituer en compagnie par charte de façon à conférer une capacité générale analogue à celle d'une personne physique (Bonanza Creek Gold Mining Company Limited v. Rex,
[1916] 1 A.C. 566.). La prérogative royale met la Couronne dans une situation privilégiée en tant que créancière (Liquida- tors of the Maritime Bank of Canada v. Receiver-General of New-Brunswick, [1892] A.C. 437.), en ce qui concerne l'héri- tage de terres à défaut d'héritiers (Attorney General of Ontario v. Mercer (1882-83), 8 App. Cas. 767.) ou relativement à la propriété de métaux précieux (Attorney General of British Columbia v. Attorney General of Canada (1889), 14 A.C. 295.) et bona vacantia (Rex v. Attorney General of British Columbia, [1924] A.C. 213.). C'est également aux termes de la prérogative et de la common law que la Couronne nomme et accrédite des ambassadeurs, déclare la guerre, conclut des traités et c'est au nom de la Reine que l'on délivre des passeports.
On désigne du terme générique de droit constitutionnel les parties de la Constitution du Canada qui sont formées de règles législatives et de règles de common law.
NOTE: On pourrait maintenant ajouter le droit du Parlement de procéder par voie de résolution pour obtenir une modification de l'A.A.N.B. et aussi la légalité d'une demande unilatérale du Canada de modification de cet Acte.
D'autres exemples de règles de droit non écrites de notre Constitution ont également été cités par la majorité, tel le droit du gouverneur général ou d'un lieutenant-gouverneur de refuser de donner la sanction à un projet de loi ainsi que le fait que le gouvernement est en poste de par le bon plaisir de la Couronne.
Les trois juges dissidents sont également entière- ment d'accord sur l'existence d'une common law
de la Constitution ou d'un droit constitutionnel non écrit lorsqu'ils déclarent à la page 7 de leurs motifs dissidents [voir pages 286 et 287]:
La Constitution du Canada, comme le souligne la majorité, n'est écrite qu'en partie, c'est-à-dire consacrée par des textes législatifs qui ont force de loi et qui comprennent outre l'Acte de l'Amérique du Nord Britannique (ci-après appelé l'A.A.N.B.), les autres textes de lois énumérés dans les motifs de la majorité. Une autre partie de la Constitution, et d'ailleurs des plus importantes, est formée de la coutume et de l'usage, qui ont adopté en grande partie les pratiques du Parlement du Royaume-Uni en les adaptant à la nature fédérale de ce pays. Avec le temps, ceux-ci ont évolué pour former avec les lois mentionnées ci-dessus et certaines règles de common law une constitution pour le Canada. Cette Constitution repose donc sur des lois et des règles de common law qui disent le droit et ont force de loi, et des coutumes, usages et conventions élaborés en sciences politiques qui, sans avoir force de loi en ce sens qu'il existe un mécanisme juridique d'application ou une sanction légale de leur violation, forment un élément vital de la Consti tution sans lequel elle serait incomplète et incapable d'atteindre son but.
Comme le souligne la majorité, il existe une différence fondamentale entre les règles de droit (c'est-à-dire celles tirées
de la loi et de la common law) de la Constitution et les règles conventionnelles: alors qu'une violation des règles de droit, qu'elles soient de nature législative ou de common law, a des conséquences juridiques puisque les tribunaux la réprimeront, aucune sanction de ce genre n'existe pour la violation ou le non-respect des règles conventionnelles.
Il semble donc évident que tous les membres de la Cour suprême du Canada sont d'avis que des droits, des pouvoirs, des privilèges de même que des principes constitutionnels pouvant être recon- nus et sanctionnés légalement peuvent exister et existent de fait, même s'ils ne sont pas consacrés par une loi ou un texte législatif qui fait partie de notre Constitution. Toutefois, comme nous le ver- rons plus tard, la raison déterminante de ma déci- sion n'est pas fondée principalement sur un tel principe mais plutôt sur des textes législatifs qui constituent un arrangement entre le Roi et le Parlement et sur la nature des pouvoirs et de la compétence du Canada et des provinces selon l'A.A.N.B.
Un bref historique des conditions et des métho- des de nomination des juges des cours supérieures est révélateur. A l'exception du baron en chef et des autres barons de l'Échiquier et à l'exception d'une très brève période précédant immédiatement l'avènement des rois de la dynastie Stuart, les juges en Angleterre étaient inévitablement nommés pendant le bon plaisir du Roi. C'est après la Révolution, c'est-à-dire au cours de la période du Commonwealth (1649-1660) que la pratique de la Cour de l'Échiquier d'alors de nommer les juges à titre inamovible (quamdiu se bene gesserint) fut adoptée. La pratique antérieure de soumettre toute nomination au bon plaisir du Roi fut réintroduite toutefois avec l'avènement de Charles II et a été continuée durant le règne de James II. La plupart sinon tous les anciens juges furent révoqués et plusieurs des nouveaux juges furent subséquem- ment révoqués sommairement pour avoir rendu des décisions avec lesquelles le Souverain n'était pas d'accord. William III, à son tour, révoqua les juges en poste au moment de son avènement et choisit tous les juges parmi les avocats inscrits au barreau, en opposition avec la pratique courante des Stuarts de nommer les favoris de la Cour. Tous les juges nommés par William III étaient nommés à vie et à titre inamovible.
Ce n'est toutefois qu'après avoir donné la sanc tion royale à The Act of Settlement (1700) que le
Roi devint légalement obligé de nommer les juges à titre inamovible. Le Parlement insistait naturel- lement sur cela pour empêcher le Roi de contrôler le judiciaire et de neutraliser dans les faits les pouvoirs du Parlement. L'article 3, alinéa 7 de The Act of Settlement prévoit ce qui suit la page 782 de l'article du professeur Lederman):
[TRADUCTION] ... «la nomination des juges est à titre inamovi- ble et leur traitement est déterminé et établi; mais ils peuvent être révoqués sur adresse des deux chambres du parlement».
Cette disposition n'est entrée en vigueur qu'à l'avè- nement de George I en 1714.
Comme le fait remarquer le professeur Leder- man, les juges visés dans The Act of Settlement étaient les juges des Central Courts de common law. Jusqu'au 19 e siècle, les seuls juges de la Chancellerie étaient le lord Chancelier et le Maître des rôles. Ce dernier, de même que les vice-chan- celiers et les autres juges de la Chancellerie, au fur et à mesure de la création de leurs charges, furent également nommés à titre inamovible. Toutefois, en raison de son double rôle de membre de l'exécu- tif et de membre du judiciaire, le lord Chancelier a, jusqu'à ce jour, toujours été nommé pendant le bon plaisir du Roi. Il demeure le seul membre du judiciaire en Angleterre avec un mandat de ce genre.
The Act of Settlement est véritablement le fon- dement de l'indépendance du judiciaire et du prin- cipe constitutionnel de la séparation des pouvoirs. Le Roi pouvait désormais nommer les juges, mais ne pouvait plus les contrôler après leur nomination. Quant au Parlement, il était obligé de fournir les traitements et avait le droit de révoquer un juge uniquement pour inconduite, sur adresse des deux Chambres du Parlement au Roi; c'est l'interpréta- tion qu'on a donnée des mots «quamdiu se bene gesserint.» Voir Harcourt c. Fox 20 . Certaines auto- rités en Angleterre prétendent qu'un juge pouvait et peut encore être révoqué sans avoir recours à une adresse conjointe des deux Chambres du Par- lement, sur condamnation par un jury d'une infraction criminelle. Ce point de vue est toutefois controversé. Il y a également la possibilité pour le Parlement d'abolir la fonction. La validité consti- tutionnelle d'une telle loi dépendrait probablement
20 (1692-93) 89 E.R. 680, 720 et 750.
toutefois de la question d'ordre pratique de savoir si cette charge judiciaire particulière ne répondait réellement plus à aucun besoin.
Voici ce que dit le professeur Lederman à la page 790 sur The Act of Settlement:
[TRADUCTION] De toute façon, le septième alinéa du troi- sième article de l'Act of Settlement traitait du paiement de même que de la nature de la charge des juges et prévoyait que leur traitement devait être «déterminé et établi». Il ne semble pas qu'on ait jusqu'alors utilisé des pressions pécuniaires de retenue ou de réduction de traitement pour contrôler les juges, bien que, comme nous l'avons vu, des traitements inadéquats comptent parmi les causes des scandales judiciaires de la fin du treizième siècle. Il y eut des moments le trésor royal accusait beaucoup de retard dans le paiement des traitements judiciai- res, bien que ce n'ait pas été dans le but d'exercer une pression sur les juges mais il semble que ceux qui ont conçu le règlement constitutionnel à la fin du dix-septième siècle aient envisagé cette possibilité et aient tenté d'empêcher que la situation ne se présente. Il est possible qu'ils aient eu cette possibilité à l'esprit parce que le Parlement lui-même, depuis longtemps et avec succès, avait utilisé contre le roi son pouvoir de contrôle sur les finances. Il est bon de rappeler que le projet de loi auquel William III opposa son véto en 1692 avait pour objet de «déterminer et établir» les traitements des juges en en faisant une charge permanente grevant les revenus héréditaires de la royauté.
Au cours du dix-huitième siècle, le Parlement prévit dans des textes de loi le paiement des traitements des juges. En outre, la position moderne en Angleterre semble être qu'à moins que le Parlement ne fournisse ou ne promette de fournir un traite- ment, il n'existe aucune charge judiciaire à combler à laquelle le souverain puisse nommer quelqu'un. [C'est moi qui souligne.]
Le professeur Lederman déclare ce qui suit rela- tivement à la loi de 1760 aux pages 791 et 792:
[TRADUCTION] Le préambule est rédigé en partie comme suit: Attendu qu'il a plu à votre gracieuse Majesté de déclarer aux deux chambres du parlement que vous considérez l'indépen- dance et l'intégrité des juges comme essentielles à l'adminis- tration impartiale de la justice, comme une des meilleures garanties des droits et libertés de vos dévoués sujets et comme contribuant le plus à l'honneur de votre couronne; en conséquence, votre Majesté a recommandé au parlement de prévoir que les juges continueront à exercer leurs fonctions durant bonne conduite, nonobstant le décès de votre Majesté ou d'un de ses héritiers et successeurs; et votre Majesté a également exprimé le souhait à ses fidèles communes que vous puissiez assurer le traitement des juges pendant la durée de leur charge; et attendu qu'en retour de cette bonté pater- nelle et compte tenu de votre très grande sollicitude pour la religion, les lois et les libertés de votre peuple, nous avons pris cette importante mesure en considération et avons résolu de permettre à votre Majesté de prendre cette mesure sage, juste et généreuse:
L'article un de cette loi (sur la continuation des commissions des juges malgré le décès du souverain) a déjà été cité. L'article
deux réitère simplement le pouvoir royal de révoquer un juge sur adresse conjointe du Parlement demandant la révocation. L'article trois est ainsi rédigé:
Et il est statué par ladite autorité que le traitement qui est attribué aux juges en exercice ou à l'un d'entre eux par loi du parlement ainsi que le traitement qui a été ou qui sera attribué par sa Majesté, ses héritiers et successeurs à tout juge seront désormais et pour toujours payés et payables à chacun de ces juges tant et aussi longtemps que demeurera en vigueur leur patente ou commission respective.
L'article quatre venait renforcer l'article trois en prévoyant que, dans la mesure les juges dépendaient pour leur traite- ment de ce que leur avait attribué George III, ces traitements devaient demeurer une charge sur les impôts et revenus affectés à la liste civile royale des successeurs de George III après sa mort. La suite de l'histoire du mode de paiement des juges à même les fonds publics est complexe, mais la tendance est constante et le résultat clair. Le fonds consolidé fut créé par une loi en 1787 et certains des paiements dus aux juges furent imputés sur celui-ci. Le procédé de l'imputation statutaire sur le fonds consolidé de toutes les sommes payables au titre de traitement aux juges était essentiellement terminé en 1799 mais ne fut complété dans tous les détails qu'en 1875. Nous avons déjà mentionné que le résultat de cette évolution fut d'empê- cher toute discussion courante ou frivole sur la conduite des juges par le Parlement dans le cadre des débats sur les finances. (Voir The Parliamentary Debates (fifth series) Vol. 90 (1933-34) The House of Lords, lord Rankeillour, à la p. 63 et vicomte Sankey, L.C., aux pages 77 à 80.)
Lord Herschell dit ce qui suit au nom du Conseil privé dans ([1892] A.C., à la p. 393) au sujet de l'importance de la loi de 1760:
Vos Seigneuries pensent que la loi (1 Geo. 3, c. 23) rendrait difficile de prétendre que la Couronne pourrait après cette date nommer d'autres juges pour lesquels le Parlement n'a pas sanctionné le paiement de leur traitement. Ceci, parce que le traitement des juges leur était alors assuré, de par l'autorité du Parlement, pour la durée de leur commission et, après le décès du Souverain, était imputé au revenu accordé par le Parlement pour le gouvernement civil du royaume. Il ressort du préambule de cette loi que, pour assurer leur indépendance, on a vouloir que tous les juges soient dans cette position, et le Parlement n'a certainement pu avoir l'intention de permettre au Souverain d'augmenter sans la sanction du Parlement les charges qui devraient être impo sées sur les revenus du royaume après le décès du Souverain.
Il semble donc qu'on puisse tirer deux conclusions importantes sur la position anglaise: (i) le Parlement doit avoir prévu des fonds pour le paiement d'un salaire pour que soit créée une charge judiciaire à laquelle le souverain peut nommer un juge, et (ii) une fois le juge nommé, ce dernier a droit à son traitement pendant la durée de sa commission, c'est-à-dire à vie, durant bonne conduite. Tant dans l'Act of Settlement que dans la loi de 1760, qui avait pour but de rendre cette première loi plus efficace, l'inamovibilité allait de pair avec une prescrip tion prévoyant que le traitement des juges devait leur être versé pendant la durée de leur commission. Sir William Blackstone n'avait aucun doute que tels étaient l'intention, l'objet et l'effet de ces deux lois et, pour ce qui concerne la loi de 1760, il est
une autorité contemporaine de son adoption. Dans ses Com mentaries, publiés en 1765, il dit (Blackstone, ouvrage précité, note 21, Livre I, aux pp. 267 et 268):
Et maintenant, grâce aux nobles améliorations de cette loi [l'Act of Settlement], dans la loi 1 Geo. III, c. 23, adoptée sur la sincère recommandation du roi lui-même, les juges continueront d'occuper leur charge à titre inamovible, ... et leur plein traitement leur est absolument garanti pendant la durée de leur commission .... [C'est moi qui souligne.]
En 1799, pour augmenter le traitement des juges et surtout pour prévoir une rente viagère en cas de démission volontaire ou d'incapacité perma- nente, le Parlement adopta une autre loi, 39 Geo. III, c. 110, dont l'article 7 est ainsi conçu:
[TRADUCTION] VII. Et qu'il soit statué qu'il sera et pourra être légal à sa Majesté, ses Héritiers ou Successeurs, par lettres patentes émises sous le grand sceau de la Grande-Bretagne, de donner ou d'accorder à toute personne qui exercera ou pourra avoir exercé la fonction de juge en chef de la Cour du banc du Roi et qui se sera démise de ses fonctions, une rente ou somme annuelle n'excédant pas trois mille livres; et à toute personne qui exercera ou aura exercé la fonction de Maître des rôles, juge en chef de la Cour des plaids communs, ou baron en chef de la Cour de l'Échiquier, et qui se sera démise de ses fonctions, une rente ou somme annuelle n'excédant pas deux mille cinq cents livres; et à toute personne qui exercera ou aura exercé la charge de juge puîné des cours du banc du Roi ou des plaids communs, ou celle de baron de la coiffe de la Cour de l'Échi- quier et qui se sera démise de ses fonctions, une rente ou somme annuelle n'excédant pas deux mille livres; lesdites rentes devant être versées aux personnes auxquelles elles auront été accordées conformément à ce qui précède à compter de leur démission de leurs fonctions pour la durée de leur vie; et toute rente ou somme semblable sera payable à même le Fonds consolidé, et imputé et imputable à celui-ci et, en respectant l'ordre de paiement, après le paiement ou la mise de côté d'une somme suffisante pour payer lesdites rentes attribuées ci-dessus et de toute somme dont le paiement a été prescrit à même ledit Fonds par une ou des lois antérieures du Parlement, mais avant tout autre paiement, tel que mentionné ci-dessus; et ces rentes seront payées et payables trimestriellement, franches et quittes de toute taxe et déduction, les quatre jours de paiement ordinai- res dans l'année susmentionnée, chaque année, en parties égales, le premier paiement devant être fait le premier jour de paiement après la démission de la personne à laquelle une telle rente ou somme annuelle sera accordée: étant entendu toutefois qu'aucune telle rente ou somme annuelle, accordée à une personne ayant exercé la charge de juge en chef, Maître des rôles, baron en chef, juge, ou baron de la coiffe desdites cours ne sera valide à moins qu'ils n'aient exercé une ou plusieurs desdites charges pendant quinze ans ou qu'ils ne soient frappés d'une infirmité permanente, les empêchant d'exercer leurs fonc- tions, dont mention expresse sera faite dans l'octroi.
Un juge pouvait donc demeurer en poste durant toute sa vie mais, s'il décidait de se démettre de ses fonctions, il avait droit à une indemnité annuelle fixe durant toute sa vie, à condition d'avoir exercé ses fonctions pendant quinze ans.
Jusque vers 1843, les juges au Canada furent nommés durant le bon plaisir du Roi. On avait auparavant fait, sans succès, des tentatives, des représentations et des recommandations pour que la fonction ne soit plus amovible. Toutefois, West- minster s'était montré réticent à renoncer à son contrôle du judiciaire dans les colonies. Compte tenu de la pauvreté des moyens de communication à l'époque et de la façon dont les lois étaient administrées dans certaines colonies, une telle poli- tique était compréhensible. Jusqu'à cette époque, dans certains cas, des juges étaient nommés à titre inamovible en ce qui concerne les législatures ou assemblées locales, mais seulement durant le bon plaisir du Roi en ce qui concerne la mère patrie. Ni la durée des fonctions ni la garantie du traite- ment des juges des colonies n'étaient inscrites dans la Constitution.
Il faut noter ici toutefois que les juges aux Canada et ailleurs en Amérique du Nord britanni- que, à l'opposé des juges du Royaume-Uni de l'époque, n'étaient pas obligés de restreindre leurs activités à leurs fonctions judiciaires. La plupart d'entre eux occupaient des postes clés lucratifs dans le gouvernement des colonies, et étaient par exemple membres actifs des assemblées législatives et des conseils législatifs ou exécutifs et occupaient d'autres postes de l'administration publique.
En 1831, le vicomte Goodrich, secrétaire aux Colonies, écrivit à Aylmer, le gouverneur du Canada, l'avisant qu'il plairait au Roi qu'une loi soit adoptée par le Conseil législatif et l'Assemblée législative du Bas-Canada déclarant que les juges des cours suprêmes seraient inamovibles, à condi tion que [TRADUCTION] «soit prévu un traitement permanent adéquat pour les juges.» Cette mesure était également assujettie à la condition qu'aucun juge ne serait désormais nommé au Conseil exécu- tif ou législatif de la province et qu'il n'y voterait
pas, à l'exception du juge en chef du Québec qui demeurerait membre du Conseil législatif pour participer à la rédaction des lois. Le projet de loi fut adopté par la Législature mais le Conseil légis- latif ne l'a pas sanctionné. Ce n'est qu'en 1843, à la suite d'une recommandation faite par lord Durham en 1839, que la Législature canadienne adopta une loi qui prévoyait la nomination des juges des cours supérieures à titre inamovible. Le professeur Lederman cite à cet égard l'historien Edward Kylie à la page 1151:
[TRADUCTION] En 1843, une loi de la législature canadienne déclarait qu'il `convenait de rendre indépendants de la Cou- ronne les juges de la Cour du banc du Roi dans la partie de cette province qui constituait auparavant la province du Bas- Canada'. Ces juges devaient désormais occuper leur charge durant bonne conduite, non durant le bon plaisir de sa Majesté, et ne pouvaient être révoqués que sur adresse conjointe du conseil législatif et de l'assemblée législative. En 1849, le même principe fut appliqué à la Cour du banc de la Reine et à la Cour supérieure nouvellement constituée au Bas-Canada ainsi qu'à la Cour des plaids communs et à la Cour de la Chancellerie au Haut-Canada .... Entre-temps, on achevait de donner effet à l'interdiction pour les juges de faire partie des corps exécutif et législatif. Il n'était permis à aucun juge d'une cour constituée au Bas-Canada de siéger ou de voter au conseil exécutif ni au conseil législatif ou à l'assemblée législative .... Les juges des ... cours du Haut-Canada furent également limités à l'exercice de leurs fonctions particulières.
En 1849, l'article VI de la loi 12 Vict. (Province du Canada) c. 63, qui s'inspirait indubitablement de la loi britannique de 1799 dont j'ai déjà parlé, reconnaissait aux juges le privilège de prendre leur retraite s'ils le voulaient après quinze ans de ser vice ou s'ils étaient affligés d'une infirmité perma- nente. Ils avaient alors droit, durant leur retraite, à une rente viagère égale aux deux tiers de leur traitement annuel.
L'année précédente, en 1848, les juges de la Nouvelle-Ecosse devinrent inamovibles, sécurité dont ils jouiraient désormais en même temps que la garantie de traitement, tel que prévu dans l'Act of Settlement et la loi de 1760, toutes deux d'An- gleterre. Ils ne pouvaient depuis lors être révoqués de leurs fonctions que pour mauvaise conduite ou pour incapacité, sur adresse conjointe du Conseil législatif et de l'Assemblée législative. Ils jouis- saient également d'un droit additionnel en ce sens que toute décision concernant leur révocation ne prendrait effet qu'après approbation du Conseil privé. Ils avaient, avant 1848, été empêchés de
participer désormais aux pouvoirs exécutif ou législatif du gouvernement ou d'y jouer quelque rôle que ce soit.
Il est donc clair que près de vingt ans avant la Confédération, les juges canadiens étaient nommés à titre inamovible et étaient assurés d'un plein traitement à vie ou d'une pension s'ils tombaient malades ou si, après quinze ans de service, ils désiraient volontairement prendre leur retraite. Ce relâchement de l'autorité du Royaume-Uni sur les colonies qu'il lui restait en Amérique du Nord était sans aucun doute attribuable dans une large mesure à la leçon tirée de ses politiques antérieu- res, qui avaient mené à la Révolution américaine.
Ce qui nous amène à l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867. Aux fins de l'examen de l'aspect constitutionnel et du contexte historique, il est important d'examiner l'A.A.N.B. tel qu'il exis- tait avant 1960, par opposition à l'état de la Cons titution après cette date. L'article 99 de 1'A.A.N.B. fut modifié à cette époque par l'article 1 de 9 Eliz. II, c. 2 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 36] appelé l'A.A.N.B., 1960. Jusqu'à cette époque, les juges étaient nommés à vie et pouvaient exercer leurs fonctions à vie. Par cette modification, les juges étaient tenus de prendre leur retraite à 75 ans. A tous les autres égards, l'article 99 tel qu'il existait au moment de la Confédération, n'a jamais été modifié. A l'origine, il était conçu dans les termes suivants:
99. Les juges des cours supérieures resteront en charge durant bonne conduite, mais ils pourront être démis de leurs fonctions par le gouverneur général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des Communes.
Il est actuellement rédigé en ces termes:
99. (1) Sous réserve du paragraphe (2) du présent article, les juges des cours supérieures resteront en fonction durant bonne conduite, mais ils pourront être révoqués par le gouverneur général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des Communes.
(2) Un juge d'une cour supérieure, nommé avant ou après l'entrée en vigueur du présent article, cessera d'occuper sa charge lorsqu'il aura atteint l'âge de soixante-quinze ans, ou à l'entrée en vigueur du présent article si, à cette époque, il a déjà atteint ledit âge.
L'article 100 n'a jamais été modifié. Il se lit comme suit:
100. Les salaires, allocations et pensions des juges des cours supérieures, de district et de comté (sauf les cours de vérifica- tion dans la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick) et des cours de l'Amirauté, lorsque les juges de ces dernières sont
alors salariés, seront fixés et payés par le parlement du Canada.
J'ai à l'occasion entendu des juges de cours supérieures parmi les plus anciens, nommés avant le 29 décembre 1960, mettre en doute la constitu- tionnalité de la modification de l'article 99 dans la mesure elle s'appliquait à eux. Ils se conten- taient toutefois de se plaindre et de critiquer sans jamais, à ma connaissance, attaquer cette loi en justice.
Pour ce qui a trait à l'importance de ces deux articles et de l'article 96, voici ce qu'en dit lord Atkin dans Toronto Corporation c. York Corporation 21 , aux pages 425 et 426:
[TRADUCTION] La première question touche un domaine d'importance capitale pour le peuple canadien. Alors que le pouvoir législatif relatif à la création, au maintien et à l'organi- sation de tribunaux de justice pour la province, y compris la procédure en matières civiles dans ces tribunaux, est confié à la province, l'indépendance des juges est protégée par les disposi tions prévoyant que les juges des cours supérieures, de district et de comté sont nommés par le gouverneur général (art. 96 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867), que les juges des cours supérieures seront inamovibles (art. 99), et que les salaires, allocations et pensions des juges des cours supérieures, de district et de comté seront fixés et payés par le parlement du Canada (art, 100). Ce sont trois piliers principaux du temple de la justice, et il ne faut pas les détruire. [C'est moi qui souligne.]
Sur ce même sujet, le professeur Lederman dit ce qui suit à la page 1158 du même article:
[TRADUCTION] Les dispositions judiciaires de la loi constitutive de la fédération (1867, (30-31 Vict., c. 3)), établissent claire- ment que les provinces constituantes et le nouvel État devaient continuer de se conformer au modèle du pouvoir judiciaire anglais. A cet égard, comme à d'autres, il devait y avoir «une Constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni».
Et à la page 1160:
[TRADUCTION] En vertu de l'article 96, la nomination des juges des cours supérieures des provinces demeure une prérogative royale devant désormais être exercée par le gouverneur général sous le contrôle du cabinet fédéral. Aussi, les articles 97 et 98 prévoient que ces juges doivent être des avocats membres du barreau de leur province respective. L'article 99 reprend mani- festement assez fidèlement les fameuses dispositions relatives à l'inamovibilité et à la révocation sur adresse conjointe du Parlement que l'on trouve dans l'Act of Settlement. Enfin, l'article 100 exige que les salaires des juges des cours supérieu- res soient «fixés et payés par le parlement du Canada». L'Act of Settlement prévoyait que les salaires devaient être «déterminés et établis», mais il semble évident que les termes «fixés et payés» devaient avoir la même signification. Il convient donc de con
2) [1938] A.C. (C.P.) 415.
clure que la situation des juges des cours supérieures des provinces était assimilée, pour ce qui concerne la nomination, la durée de la charge, la révocation et la garantie du traitement, à celle des juges des cours supérieures d'Angleterre au lendemain de l'Act of Settlement. [C'est moi qui souligne.]
Après la Confédération et jusqu'à l'amendement constitutionnel de 1960, la Loi sur les juges a été modifiée comme suit:
1. Acte à l'effet de modifier l'Acte des cours Suprême et de l'Echiquier, etc., S.C. 1887, 50-51 Vict., c. 16, articles 4 et 6:
A cette époque, les juges de la Cour suprême du Canada et de la Cour de l'Échiquier étaient nommés à titre inamovible: en vertu de cet Acte, ils pouvaient prendre leur retraite après 15 années de service ou plus tôt pour cause d'infirmité.
2. Acte modifiant la loi concernant les pensions des juges des cours provinciales, S.C. 1895, 58-59 Vict., c. 39, article 1:
La pension accordée aux juges ayant exercé leurs fonctions pendant quinze ans ou plus ou qui sont frappés d'une incapacité ou d'une infir- mité permanente peut être accordée sur démis- sion; pension viagère égale aux deux tiers du traitement.
Note: Il n'est pas expressément imposé à l'exé- cutif de décider si cela est dans le meilleur intérêt de la justice.
3. Acte modifiant l'Acte des cours Suprême et de l'Echiquier, l'Acte de la cour de l'Echiquier et l'Acte concernant les juges des cours provin- ciales, S.C. 1903, 3 Ed. VII, c. 29, article 1:
Cette modification prévoyait une autre possibi- lité de retraite pour les juges: les juges de la Cour suprême du Canada ou de la Cour de l'Échiquier ou de toute cour supérieure pou- vaient prendre leur retraite avec traitement inté- gral à l'âge de 75 ans, après 20 ans de service ou à l'âge de 70 ans, après 25 ans de service, ou, peu importe leur âge, après 30 ans de service.
4. La Loi des juges, S.R.C. 1906, c. 138, article 20:
Augmentation de la pension de retraite la ren- dant égale au traitement intégral si la retraite est prise à l'âge de 75 ans et que le bénéficiaire a occupé sa charge pendant 20 ans ou plus ou à l'âge de 70 ans s'il a occupé sa charge pendant 25 ans ou à l'âge de 65 ans s'il a occupé sa charge pendant 30 ans.
5. Loi portant modification de la Loi des juges, S.C. 1919, 9-10 Geo. V, c. 59, article 11:
Cette modification prévoit qu'aucune pension n'est versée à un juge cessant d'exercer ses fonctions après 15 années de service à moins que le gouverneur en conseil ne soit d'avis que cette démission est dans l'intérêt public. Voir l'article 11. Il est à remarquer que cette nouvelle disposi tion ne s'applique pas à la retraite après 30 ans de service ni à celle après 20 ans ou 25 ans de service lorsque le juge est âgé de 75 ans ou de 70 ans. L'article 11 ne s'applique pas aux juges des cours de comté qui sont obligés de prendre leur retraite à cause de leur âge. Cette loi suggère qu'avant 1919, le gouverneur en conseil n'avait pas le pouvoir discrétionnaire de refuser une pension à un juge qui démissionnait après 15 années de service. Il se peut fort bien que l'arti- cle 11 du chapitre 59 ait été inconstitutionnel parce que contraire à l'article 100 de l'A.A.N.B. et qu'il portait atteinte aux droits dont les juges bénéficiaient, au Canada, depuis 1849 et, en Angleterre, depuis 1799. De toute façon, à compter de 1919, le gouverneur en conseil n'avait pas encore le pouvoir discrétionnaire de refuser une pension de retraite à un juge qui démissionnait après 20 ans de service et qui était âgé de 75 ans ou après 25 ans de service et qui était âgé de 70 ans ni à un juge qui démission- nait après 30 ans de service.
6. Loi modifiant la Loi des juges, S.C. 1927, 17 Geo. V, c. 33, article 2:
Cette année-là, les juges de la Cour suprême du Canada et de la Cour de l'Échiquier ont été obligés de prendre leur retraite à l'âge de 75 ans. L'article 2 de cette Loi prévoyait des pensions aux juges qui devaient prendre leur retraite et évidemment, aucun article de la Loi des juges ne prévoyait que le gouverneur en conseil avait le pouvoir discrétionnaire d'accorder ou de refu- ser une pension à ces juges.
7. La Loi des juges, S.R.C. 1927, c. 105, articles 23 et 24:
Les articles 23 et 24 de cette Loi confirmaient la situation courante à l'époque relativement aux pensions de retraite:
(i) l'article 23 portait sur le cas de la retraite volontaire après 15 ans de service, peu importe l'âge du juge. La retraite volontaire
était assujettie à l'opinion du gouverneur en conseil quant à savoir si elle était dans l'inté- rêt public: voir le paragraphe 3 de l'article 23. La pension était égale aux 2 / 3 du traitement du juge;
(ii) l'article 24 traitait de la retraite après 30 ans de service peu importe l'âge et après 25 ans et 20 ans de service si le juge était âgé de 70 ou de 75 ans respectivement: aucun pou- voir discrétionnaire n'était attribué au gouver- neur en conseil;
(iii) le paragraphe 2 de l'article 24 portait sur le cas des juges de la Cour suprême du Canada et de la Cour de l'Échiquier qui étaient obligés de prendre leur retraite à 75 ans: aucun pouvoir discrétionnaire n'était accordé au gouverneur en conseil.
. Loi modifiant la Loi des juges, S.C. 1930, 0-21 Geo. V, c. 27, article 1:
ette modification précisait que les dispositions u chapitre 33 de 17 Geo. V adopté en 1927 ne appliquaient pas rétroactivement et que les figes de la Cour suprême du Canada ou de la 'our de l'Échiquier nommés avant le 31 mars 927 et qui avaient été obligés de prendre leur ;traite à 75 ans devaient recevoir une pension e retraite égale à leur traitement même s'ils 'avaient pas exercé leurs fonctions pendant 10 ris. Il est évident que le paiement du traitement itégral à ces juges ne dépendait pas de la iscrétion du gouverneur en conseil.
. Loi modifiant la Loi des juges (Pensions), .C. 1944, 8 Geo. VI, c. 45, article 1:
'ette Loi prévoyait que le juge avait le droit de hoisir de continuer à recevoir les prestations de ension de retraite qu'il recevait alors conformé- lent aux lois existantes ou d'accepter le nou- mu plan d'une pension réduite pour le juge ccompagnée d'une rente viagère pour sa mme, payable à elle tant avant qu'après le écès du juge.
O. La Loi de 1946 sur les juges, S.C. 1946, 10 eo. VI, c. 56, article 23:
'ette Loi abrogeait le droit des juges des cours ipérieures de recevoir leur traitement intégral leur retraite après 30 ans de service peu nporte leur âge ou après 25 ans ou 20 ans de rvice s'ils étaient âgés de 70 ans ou de 75 ans. outefois la Loi préservait le droit pour le juge
de cesser d'occuper sa charge à tout âge après 15 ans de service pourvu que le gouverneur en conseil soit d'avis que cette démission était dans l'intérêt public. Voir l'article 28. Mais l'article 23 qui prévoyait la retraite des juges de la Cour suprême du Canada ou de la Cour de l'Échi- quier à l'âge de 75 ans et le paiement de pen sions aux juges n'était pas assujetti à l'opinion du gouverneur en conseil. Les dispositions de l'article 28 ne s'appliquaient pas à l'article 23.
Il y a une ou deux autres modifications qui ne sont pas pertinentes en l'espèce.
Donc, avant 1960, année l'A.A.N.B. fut modifié, les juges devaient recevoir leur traitement intégral leur vie durant. Depuis 1849 toutefois, ils avaient, comme les juges d'Angleterre depuis 1799, le privilège de prendre leur retraite après quinze ans de service et de recevoir leur vie durant une pension sans cotisation égale aux deux tiers de leur traitement annuel, pourvu toutefois que le gouverneur général en conseil fût d'avis que cette retraite était dans l'intérêt public. Ils avaient éga- lement le droit de prendre leur retraite et de recevoir la pension s'ils devenaient incapables d'exercer leurs fonctions en raison d'incapacité mentale ou physique. Comme je l'ai déjà dit, j'ai certains doutes quant à la constitutionnalité de ce pouvoir discrétionnaire accordé au gouverneur général en conseil surtout parce que la fonction judiciaire d'un juge d'une cour supérieure provin- ciale relève des deux paliers de pouvoir et ne peut être modifiée substantiellement sans amendement constitutionnel. De toute façon, le pouvoir discré- tionnaire du gouverneur général ne s'étend qu'à la question de savoir si la retraite projetée est dans l'intérêt public. Lorsque la réponse à cette question est affirmative, le juge a encore, comme il l'a toujours eu, le droit absolu de recevoir une pension sa vie durant. En d'autres termes, il n'existe aucun pouvoir discrétionnaire quant à savoir si une indemnité annuelle devrait être versée après qu'il a été décidé que la retraite est dans l'intérêt public.
La modification de l'A.A.N.B. en 1960 prévoit pour la première fois la retraite obligatoire à l'âge de 75 ans et les articles 23 à 25 de la Loi sur les juges furent modifiés en conséquence par S.C. 1960, c. 46 qui prévoit ce qui suit:
(i) Retraite volontaire après 15 ans de service peu importe l'âge si le gouverneur en conseil
est d'avis que cette retraite contribue à la meilleure administration de la justice ou est dans l'intérêt national;
(ii) Retraite à l'âge de 75 ans après 10 ans de service, aucun pouvoir discrétionnaire n'étant conféré à cet égard au gouverneur en conseil;
(iii) Retraite volontaire à l'âge de 70 ans après 15 ans de service, aucun pouvoir discré- tionnaire n'étant conféré à cet égard au gou- verneur en conseil;
(iv) Retraite pour motif d'infirmité perma- nente, aucun pouvoir discrétionnaire n'étant conféré à cet égard au gouverneur en conseil.
Avant d'obtenir cette modification de l'A.A.N.B., le gouvernement fédéral a pris la pré- caution d'obtenir le consentement de toutes les provinces à cause de leur compétence en matière d'administration de la justice. D'après le livre blanc Favreau, on était d'avis que cette question (retraite d'office) intéressait directement les pro vinces. Une autre modification, édictée par S.C. 1970-71-72, c. 55, donnait aux juges le droit de prendre leur retraite après 15 ans de service à condition d'être âgés d'au moins 65 ans.
Ce n'est que le 20 décembre 1975 que les juges des cours supérieures furent tenus de contribuer à leur pension qui était payable leur vie durant. A cause de l'obligation légale constitutionnelle du Parlement de payer un juge sa vie durant en vertu de The Act of Settlement et de la loi de 1760 mais aussi, ce qui est plus important, parce que les pouvoirs du Parlement du Canada, au contraire de ce qui a cours au Royaume-Uni, sont assujettis à la compétence des provinces sur l'administration de la justice, tel que prévu dans les articles de l'A.A.N.B. que j'ai déjà mentionnés, il se pose la question de savoir si le Parlement a le droit d'exi- ger des juges qu'ils contribuent à leur propre pen sion sans amendement constitutionnel ou consente- ment des provinces. Cette question précise n'a toutefois pas à être tranchée pour arriver à une décision en l'espèce.
La défenderesse prétend que le demandeur n'a jamais en droit eu droit aux pensions prévues aux articles 23 et 25 de la Loi sur les juges ni aux prestations de retraite supplémentaires prévues dans la Loi sur les prestations de retraite supplé- mentaires parce que les articles 23 et 25 de la Loi sur les juges prévoient que «le gouverneur en
conseil peut accorder ...» et que, comme le mot «peut» implique une discrétion, aucun juge nommé par le fédéral n'a un droit légal aux pensions prévues par cette Loi et par la Loi sur les presta- tions de retraite supplémentaires. Cet argument est évidemment fondé sur l'article 28 de la Loi d'interprétation 22 qui prévoit que le terme «peut» dans un texte législatif exprime une faculté.
L'argument du demandeur en réponse à cela est fondé sur la règle maintenant bien connue selon laquelle nonobstant le fait que les mots d'une loi n'expriment qu'une faculté et ne font que conférer un pouvoir, il se peut néanmoins qu'il existe, con- curremment avec ce pouvoir, un devoir légal pour la personne auquel il est conféré de l'exercer (voir Julius c. Lord Bishop of Oxford 23 ; R. c. Adamson 24 ; R. c. Cambridge 25 ; R. c. Finnis 26 ; R. c. Boteler 27 ; R. c. Evans 28 ; et Thyssen Mining Construction of Canada Ltd. c. La Reine 29 ). On a soumis de nombreux arguments juridiques à la Cour et on a cité un grand nombre d'arrêts et d'auteurs pour déterminer quel principe l'emporte- rait dans le cas de chacune des diverses disposi tions de ces articles. Compte tenu toutefois du fait que ma décision en l'espèce découle d'un argument d'ordre plus général du demandeur qui s'applique particulièrement en l'espèce, et que j'examinerai maintenant, je ne crois pas qu'il soit approprié de décider laquelle de ces dispositions, le cas échéant, confère un droit légal ferme.
L'argument d'ordre général qui s'applique parti- culièrement au cas du demandeur porte qu'en vertu de la Constitution, le Parlement ne pouvait, le 20 décembre 1975, diminuer, réduire ou baisser le traitement fixé et établi ni les autres avantages du demandeur auxquels il avait droit à compter de sa nomination le 24 juillet 1975.
Je n'ai aucun doute que les émoluments ou avantages additionnels, tels le droit à la pension
22 S.R.C. 1970, c. I-23.
23 [1874-80] All E.R. (Rep.) 43; (1880) 5 App. Cas. 214, aux pp. 225 et 241.
24 [1875] 1 Q.B.D. 201.
25 (1839) 8 Dowl. 89.
26 (1859) 28 L.J. 263; M.C. 201.
27 (1864) 33 L.J. 129; M.C. 101.
26 (1890) 54 J.P. 471.
29 [1975] C.F. 81, la p. 88.
pour le juge lui-même, la protection qui lui est donnée contre l'inflation ou celle donnée aux per- sonnes à sa charge en cas de décès, faisaient réellement partie du traitement ou de l'indemnité auquel le demandeur avait droit à compter du moment de sa nomination, de la même façon que si un traitement réel avait été versé au lieu de ces avantages. Il est très clair aussi qu'il avait à cette époque plein droit à son traitement sans aucune déduction si ce n'est celles applicables à tous les citoyens conformément aux lois d'ordre général telles les lois de l'impôt sur le revenu et sur la pension de vieillesse.
J'ai déjà cité l'article 3 de la loi de 1760 qui complétait The Act of Seulement mais je le cite de nouveau par souci de commodité:
[TRADUCTION] III. Et il est statué par ladite autorité que le traitement qui est attribué aux juges en exercice ou à l'un d'entre eux par loi du parlement ainsi que le traitement qui a été ou qui sera attribué par sa Majesté, ses héritiers et succes- seurs à tout juge seront désormais et pour toujours payés et payables à chacun de ces juges tant et aussi longtemps que demeurera en vigueur leur patente ou commission respective. [C'est moi qui souligne.]
En raison de la réticence naturelle des juges d'aller en justice quand leur traitement ou autres droits sont affectés, il existe très peu de jurispru dence en la matière. Depuis The Act of Settle ment, plusieurs auteurs, autorités en matière cons- titutionnelle et hommes d'État renommés ont toutefois traité de ce sujet précis. Un exemple de la réticence du judiciaire de porter devant les tribu- naux des questions qui l'intéressent s'est présenté en Angleterre au moment de l'adoption de la National Economy Act en 1931. J'ai déjà parlé de cette question et du fait que les juges y ont fait face en envoyant un mémoire sur la question au Premier ministre. Les parties importantes du texte sont reproduites dans l'article du professeur Leder- man (ibid., aux pages 793 et 794):
[TRADUCTION] Le gouvernement ordonna que le traitement des juges, ainsi que celui de bien d'autres, soit réduit d'un cinquième, mais la constitutionnalité de cette mesure fut mise en doute par un bon nombre de personnes. Sir William Holds- worth prétendit que les juges n'étaient pas «au service de Sa Majesté» au sens de la National Economy Act. Seuls des fonctionnaires auxquels il pourrait être dit au nom de la Couronne comment exercer leurs fonctions (a-t-il dit) pour- raient être considérés comme «employés» ou «au service de» Sa Majesté. (Holdsworth, The Constitutional Position of Judges (1932), 48 L.Q. Rev. 25.) Comme nous l'avons déjà vu, le
pouvoir royal de donner des directives aux juges dans ce sens était en voie de disparition en 1328.
Le professeur E. C. S. Wade s'inscrivit en faux contre Holdsworth, (E. C. S. Wade, His Majesty's Judges (1932), 173 Law Times, aux pp. 246 et 267. On trouve la réponse de Holdsworth dans ce même volume à la page 336) faisant valoir que les juges pouvaient être considérés à bon droit comme «au service de Sa Majesté» et qu'il découlait de l'interprétation de la loi que les mots en cause devaient comprendre les juges. Les porte-parole du gouvernement adoptèrent la même position et les coupures furent effectuées. Mais le fait le plus important fut que les juges eux-mêmes envoyèrent un mémoire confidentiel à ce sujet au Premier ministre le 4 décembre 1931, mémoire qui devint public lorsqu'il fut versé au dossier de la Chambre des Lords le 24 juillet 1933 par le lord Chancelier à la demande du juge en chef et du Maître des rôles. (Reproduit à compter de la p. 103 de (1933), 176 Law Times. La citation ne comprend pas la totalité de ce mémoire.) Il ressort clairement de ce document unique que les juges eux-mêmes étaient tout à fait d'accord avec Sir William Holdsworth:
Les juges de la Cour souveraine de justice de Sa Majesté croient qu'il est de leur devoir de soumettre certaines consi- dérations relativement aux récentes réductions du traitement payable aux juges qui semblent avoir été oubliées.
Nous sommes d'avis qu'il ne fait aucun doute que les juges ne sont pas dans la même position que celle des fonctionnai- res. Ils sont nommés à des dignités d'importance exception- nelle. Ils occupent une place vitale dans la constitution de ce pays. Ils agissent à titre d'arbitres à la fois entre la Couronne et l'exécutif et entre l'exécutif et le sujet. Ils doivent exercer les fonctions les plus importantes et les plus lourdes de conséquences. Il a depuis plus de deux siècles été considéré essentiel que leur sécurité matérielle et leur indépendance devraient rester à l'abri de toute atteinte.
L'Act of Settlement le prévoyait expressément dans les termes suivants: `Qu'après que ladite limitation entrera en vigueur comme il a déjà été dit, les commissions des juges seront faites quamdiu se bene gesserint, et leur traitement déterminé et établi; mais ils pourront être révoqués sur adresse des deux Chambres du Parlement' .... En outre, l'art. 12 de la loi 2 et 3 Will. 4, c. 116, exemptait les juges d'impôt.
Quelqu'un a dit il y a très longtemps qu'il ne peut y avoir de véritable liberté dans un pays les juges ne sont pas complètement indépendants du gouvernement; et le bien- fondé de cette remarque n'a jamais été mis en doute. L'art. III de la Constitution des États-Unis d'Amérique est ainsi rédigé: `Le pouvoir judiciaire des États-Unis est attribué à une Cour suprême et aux tribunaux inférieurs que le Congrès pourra ordonner et établir. Les juges de la Cour suprême et des tribunaux inférieurs occuperont leur charge à titre ina- movible et recevront aux époques déterminées, en contrepar- tie de leurs services, une rémunération qui ne pourra être diminuée tant qu'ils exerceront leur fonction'.
A cet égard, notre pays a donné un exemple au monde entier et nous croyons que le respect qu'a le peuple pour un juge anglais est en partie attribuable à sa position unique, un sentiment qui ne survivra qu'avec difficulté si son traitement peut être réduit comme s'il était un employé ordinaire de la Couronne qui touche un traitement.
C'est parce que ce point de vue est généralement partagé que d'une part les traitements des juges de la Haute Cour n'ont jamais fait l'objet d'un vote à la Chambre des commu nes mais ont été imputés sur le Fonds consolidé et que, d'autre part, les juges occupent leur poste, comme il a été dit ci-dessus, à titre inamovible et ne peuvent être révoqués que sur adresse des deux Chambres du Parlement à la Couronne.
Si les traitements des juges peuvent être réduits presque sub silentio par les méthodes employées récemment, l'indé- pendance de la magistrature subit une sérieuse atteinte. Il n'est pas sage d'exposer les juges de la Haute Cour à la suggestion, quelque malveillante et mal fondée qu'elle puisse être, que si leurs décisions sont favorables à la Couronne dans des affaires portant sur le revenu et dans d'autres cas, leurs traitements pourront être augmentés et, que si elles sont défavorables, ils pourront être diminués.
Nous devons exprimer notre profond regret qu'il n'a pas été donné aux juges la possibilité d'offrir sur une base volontaire une réduction de leur traitement pour une période appropriée; mais nous sommes conscients du fait que le gouvernement faisait face à une difficulté grave et que le temps de réflexion était très court .... [C'est moi qui souligne.]
La loi fut retirée dans la mesure elle touchait aux juges. Il est intéressant de noter ici que cet avis, cette protestation adressée au Premier minis- tre par la magistrature du Royaume-Uni a été présentée au point le plus bas de la grande dépres- sion quand le chômage avait atteint des niveaux inconnus jusqu'alors, que les prix s'étaient effon- drés et que les salaires de ceux qui avaient encore la chance d'avoir un emploi dans les secteurs privé ou public avaient été réduits de façon substantielle. Il ne semblait y avoir aucun doute quant à l'oppor- tunité politique de cette loi. Les objections soule- vées par les juges étaient fondées uniquement sur des motifs d'ordre constitutionnel.
La grande majorité des juristes et des autorités en droit constitutionnel d'hier et d'aujourd'hui sont d'avis qu'une fois le juge nommé, son salaire est inviolable tant qu'il exerce ses fonctions.
On trouve le passage suivant dans Commentar ies on the Laws of England 30 de Blackstone à «Of the Rights of Persons», aux pages 267 et 268:
[TRADUCTION] Et, afin de préserver et la dignité et l'indépen- dance des juges des cours supérieures, il est statué par la loi 13 W. III, c. 2 qu'ils seront nommés (non pas, comme jusqu'alors, durante bene placito, mais) quamdiu bene se gesserint, et leurs traitements déterminés et établis; mais qu'on pourra les révo- quer sur adresse des deux chambres du Parlement. Et mainte- nant, grâce aux améliorations apportées à cette loi par la loi I Geo. III, c. 23, adoptée sur la sincère recommandation du roi,
(15' édition) Livre I, Chapitre 7.
les juges exerceront leurs fonctions durant bonne conduite, nonobstant toute passation de la couronne, (qui jusqu'alors était considérée comme libérant immédiatement leur poste) et leur traitement intégral leur est absolument garanti pendant la durée de leur commission; ayant plu à sa majesté de déclarer qu'ail considérait l'indépendance et l'intégrité des juges comme essentielles à l'administration impartiale de la justice, comme une des meilleures garanties des droits et libertés de ses sujets, et comme contribuant le plus à l'honneur de la couronne.»
Dans la publication Judges on Trial, A Study of the Appointment and Accountability of the Eng- lish Judiciary 31 , Shimon Shetreet déclare aux pages 35 et 36 qu'il semble que le traitement des juges ait été réduit plusieurs fois au 19e siècle mais ajoute dans une note en bas de page qu'il semble que le gouvernement de l'époque ait obtenu le consentement des juges intéressés. Plus loin, com- mentant le projet de réduire par voie administra tive le traitement des juges en Angleterre durant la dépression en vertu de la National Economy Act, 1931, il ajoute à la même page de cet ouvrage:
[TRADUCTION] Les juges protestèrent avec vigueur contre la réduction. Dans une rencontre avec le Premier ministre et dans un mémoire collectif adressé au lord Chancelier, qui fut subsé- quemment lu devant la Chambre des Lords, ils firent valoir que l'indépendance du pouvoir judiciaire serait affectée si leur traitement était réduit de cette façon. Enfin, le gouvernement fit marche arrière et la réduction du traitement des juges fut annulée.
Le jugement définitif sur la réduction du traitement des juges est contesté. Le professeur Heuston pense qu'il ne fait `presque aucun doute que dans la controverse des années 30, les juges avaient la position la plus solide sur le plan du droit'. Cet avis trouve un appui dans la pratique parlementaire d'éviter toute réduction de traitement ou modification des conditions de la charge des juges existants sans d'abord obtenir leur consente- ment. Mais le point de vue opposé, que ni l'inamovibilité des juges ni l'indépendance du pouvoir judiciaire ne furent affectées par des mesures déflationnistes d'application universelle, a éga- lement du mérite.
Sur la question de savoir si le traitement des juges a jamais été réduit en Angleterre, le professeur Lederman doute que l'indemnité annuelle globale ait jamais été réduite. Il déclare (ibid., à la p. 795):
[TRADUCTION] Les changements que mentionne Holdsworth dans son History semblent tous être des augmentations, (voir Holdsworth, Vol. I, pp. 252 à 254 et 262) bien qu'il soit difficile de déterminer avec certitude quel fut l'effet net lorsque le mode de paiement, soit des charges sur des taxes spéciales et sur les revenus royaux, était lentement remplacé par des charges sur le fonds consolidé, et lorsqu'on était en train d'éliminer progressi-
3' (1976) édité par Gordon J. Borne, University of Birmingham.
vement le patronage et les honoraires comme sources de revenu des juges.
Afin de réduire le traitement des juges de 10% pendant la dépression, comme on l'a fait pour tous les fonctionnaires de la Fonction publique par une loi directe et pour éviter la difficulté constitution- nelle attribuable au statut spécial du judiciaire, le gouvernement canadien a fait adopter par le Parle- ment la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu 32 qui autorisait l'imposition d'une taxe spéciale de 10% applicable seulement aux juges. La défende- resse a souligné ce fait pour tenter de démontrer que le Parlement avait le droit de réduire le traite- ment des juges. Cette loi n'a jamais été contestée par les juges pour la raison évidente que tous les employés du secteur public subissaient une réduc- tion de revenu de 10% et que les employés du secteur privé subissaient encore davantage les effets de la dépression. Il me semble clair qu'indé- pendamment de la position constitutionnelle des juges, si on avait contesté cette loi, elle aurait été déclarée nulle et non avenue en tant que loi d'im- pôt parce qu'établissant clairement une discrimi nation illicite contre les juges en tant que catégorie distincte du reste de la population.
Le professeur Lederman dit ce qui suit concer- nant cette loi (ibid., aux pages 1163 (au bas de la page), 1164 et 1165):
[TRADUCTION] Pour ce qui concerne la garantie du traite- ment, il est intéressant de noter qu'un gouvernement fédéral se soit récemment conformé à la version blackstonienne de la signification de dispositions relatives à la garantie du traite- ment comme celles de l'article 100 de l'A.A.N.B. mais pas relativement à une prétendue incapacité du juge. En 1932, le problème de l'inclusion des juges dans une loi portant réduction des salaires dans la Fonction publique s'est posé à la Chambre des communes du Canada. Comme nous l'avons vu dans la partie II du présent article, la même question faisait l'objet d'une controverse en Angleterre en 1931 et 1932. Le gouverne- ment canadien proposa une réduction statutaire de 10 pour cent des salaires dans la Fonction publique mais en exemptant spécifiquement les juges. Le Premier ministre Bennett dit à cet égard (Débats, Chambre des communes, Dominion du Canada, Session 1932, Vol. I, p. 562):
Les juges ne sont pas visés par cette mesure. Des juristes prétendent, et un article dans le dernier numéro de Law Quarterly Review étudie la question de façon approfondie, que cela porterait atteinte aux droits statutaires des juges de diminuer ainsi leur traitement. Il existe toutefois d'autres moyens de régler cette question et le gouvernement n'a pas encore décidé quelle mesure il entendait prendre à cet égard.
32 S.C. 1932, c. 44.
Il ne fait aucun doute que l'article mentionné était celui de Sir William Holdsworth que j'ai expliqué et approuvé dans la partie II du présent article. Lorsque, à son tour, le ministre de la Justice, Hugh Guthrie, fut pressé d'expliquer l'exemption accordée aux juges, il déclara clairement qu'il partageait l'opi- nion de Holdsworth relativement à l'importance du judiciaire et de la garantie de leur traitement. Mais la pression était forte d'étendre la réduction aux juges et enfin, le cabinet céda. On adopta donc une Loi de l'impôt sur le revenu spéciale assujettis- sant les traitements des juges à un impôt additionnel de 10 pour cent pendant une année. Le ministre de la Justice affirma que cette mesure était justifiée par une décision du Conseil privé sur le pouvoir d'imposition du Parlement fédéral. Il faisait sans doute allusion à Caron c. Le Roi en 1924, ([1924] A.C. 999) mais, lecture faite, cette affaire ne fonde pas la validité d'une taxe discriminatoire de ce genre, mais seulement celle d'une taxe non discriminatoire. Aussi, comme nous l'avons vu à la partie II du présent article, le Comité judiciaire réitéra en 1937 le principe de la non-discrimination relativement aux juges en concluant à la légitimité d'appliquer aux juges une loi d'impôt sur le revenu provinciale d'application générale. Il semble que la loi fiscale spéciale de 1932, à titre de loi fiscale, était ultra vires du Parlement fédéral. Un impôt de 10 pour cent sur le revenu, d'application générale, sur tous les salaires de la Fonc- tion publique, y compris les traitements des juges, aurait pu validement atteindre l'objectif visé.
Enfin, à cet égard, alors que Holdsworth plaidait la cause de la garantie des traitements des juges en Angleterre en se fondant en partie sur l'interprétation des lois, cet argument est encore plus probant au Canada. Les mots «fixés et payés» sont spécifiquement enchâssés au sens constitutionnel à l'article 100 de l'A.A.N.B. et confèrent donc aux juges des cours supérieures une garantie de traitement à laquelle une loi fédérale ordinaire ne peut porter atteinte. [C'est moi qui souligne.]
Le même auteur a déclaré plus récemment dans The Canadian Judiciary 33 , à la page 5:
[TRADUCTION] En d'autres termes, je dis que l'inamovibilité et le traitement garanti pour les juges au Canada, en tant qu'éléments fondamentaux du droit et de la tradition constitu- tionnels, ne découlent pas uniquement des seuls termes des articles 99 et 100 de l'A.A.N.B. Je vous rappelle les mots de Goodhart et Holdsworth. Ils disent clairement que la prise de mesures essentielles pour assurer l'indépendance du judiciaire de façon générale est depuis longtemps enracinée comme prin- cipe original dans le droit coutumier fondamental de la consti tution. En Angleterre même, les dispositions expresses relatives à la sécurité du judiciaire se trouvent dans des lois ordinaires— mais, comme Goodhart et Holdsworth insistent pour le dire, ces lois ordinaires, y compris l'Act of Settlement même, illustrent le principe constitutionnel non écrit encore plus fondamental dont j'ai parlé. Le même argument pourrait et devrait être repris relativement au statut des juges canadiens.
Dans The Structure of Canadian Government 34 , après avoir fait l'historique du développement du
33 (Édité par Allen M. Linden) Osgoode Hall Law School, York University, Toronto 1976.
34 Macmillan of Canada, Toronto.
pouvoir judiciaire comme troisième pouvoir dans notre système de gouvernement, J. R. Mallory, au chapitre 8 de son livre, approuve dans les termes suivants les opinions de Blackstone et du profes- seur Lederman relativement aux traitements des juges (voir les pages 291 et 292):
[TRADUCTION] L'inamovibilité du juge est toujours allée de pair avec le droit de toucher l'intégralité de son traitement. Le professeur Lederman cite l'opinion de Blackstone que «le traite- ment intégral» des juges «leur est absolument garanti pour la durée de leur commission» et est d'avis que les dispositions de l'article 100 de l'A.A.N.B. qui exige que le Parlement fixe et fournisse les traitements signifient la même chose que les dispositions anglaises correspondantes, qui ont pour effet de protéger les juges contre toute diminution de leur traitement pendant la durée de leur commission. Ce qui ne veut pas dire que les juges ne soient pas assujettis à l'impôt sur le revenu ou à tout autre impôt qui s'applique également à toute la population. Toutefois lorsqu'il imposa une réduction de 10 pour cent à la Fonction publique en 1932, le gouvernement du Canada n'esti- mait pas avoir le droit d'imposer une réduction semblable aux juges. Il imposa plutôt une loi spéciale d'impôt prévoyant un impôt spécial d'une année sur le traitement des juges. Bien que cette loi n'ait pas été contestée à l'époque, il semblerait douteux qu'un tel impôt discriminatoire ait été plus justifié que la réduction projetée de traitement.
Dans The Government of Canada 35 , R. Mac- Gregor Dawson déclare à la page 396:
[TRADUCTION] En somme, une sphère spéciale doit être attri- buée au judiciaire, clairement distincte de celles du législatif et de l'exécutif. Pour effectuer cette séparation, on doit donner aux juges des privilèges qui ne sont pas reconnus aux autres branches du gouvernement; et on doit les protéger contre les influences politiques, économiques et autres qui pourraient nuire à leur désintéressement et à leur impartialité, conditions indispensables pour qu'ils puissent exercer leurs fonctions de façon appropriée. Ce sont ces facteurs inhabituels qui créent la condition appelée l'«indépendance» du judiciaire. [C'est moi qui souligne.]
Il ajoute à la page 402 du même ouvrage:
[TRADUCTION] Le traitement est un autre facteur qui contri- bue à l'indépendance du juge. La première condition est qu'il soit certain et qu'il ne soit pas à la merci des changements d'opinions du Parlement. Les traitements des juges au Canada sont donc fixés par des lois et n'apparaissent pas aux crédits votés annuellement par le Parlement et il leur est donné une sécurité spéciale en en faisant une charge grevant le Fonds du revenu consolidé. Lorsque les salaires des employés de la Fonc- tion publique furent réduits durant la dépression, ceux du judiciaire ne le furent pas, bien qu'une taxe spéciale sur le revenu de 10 pour cent fut imposée sur le traitement des juges, pour garder le principe—sinon le revenu—intact. [C'est moi qui souligne.]
Bien que les Constitutions sud-africaine et amé- ricaine prévoient expressément que la rémunéra-
35 Cinquième édition, University of Toronto Press.
Lion payable aux juges ne peut être réduite pen dant la durée de leur fonction et que la nôtre ne le fasse pas, cela ne signifie pas que notre Constitu tion ne soit pas soumise à ce principe. Au con- traire, ces dispositions expresses ne sont que la codification d'un principe reconnu qui existe depuis The Act of Settlement ou, si tel n'est pas le cas, du moins depuis la loi de 1760. Il faut établir une distinction entre la garantie du traitement des juges à titre de question de droit constitutionnel fondamentale et une simple convention entre gou- vernements, comme il a été décidé par le Comité judiciaire du Conseil privé dans Madzimbamuto c. Lardner- Burke 36
Je ne suis pas d'accord avec l'argument de l'avo- cat de la défenderesse selon lequel le traitement et les avantages de juges titulaires ont généralement été maintenus simplement en application d'une politique. Au contraire, je conclus qu'il s'agissait d'une question de droit constitutionnel qui a sou- vent causé des problèmes et de l'embarras aux législateurs. Ceux-ci ont tenté de contourner la difficulté par des moyens détournés à une ou deux occasions par des lois telle la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu de 1932. Enfin, la préserva- tion des salaires de titulaires n'était pas seulement un principe appliqué généralement mais aussi appliqué de façon constante, à une ou deux excep tions près lorsque, à cause d'une situation sociale ou économique qui existait à l'époque et de l'em- barras qu'entraînerait le fait de juger sa propre cause, les juges ont choisi de ne pas contester la législation devant leurs propres tribunaux. Il semble que dans ces cas, s'ils avaient choisi d'ester en justice, l'indemnité aurait sans aucun doute été rétablie.
Un autre argument veut que le maintien du traitement accordé aux juges à la date de leur nomination dépende tout au plus d'une convention constitutionnelle et non d'un principe de droit constitutionnel pouvant être reconnu ou sanc- tionné. Dans les récents appels sur le rapatriement de la constitution que j'ai mentionnés, en exami- nant la question de savoir si une convention consti- tutionnelle existait relativement à l'exigence du consentement des provinces aux modifications de l'A.A.N.B., tant la majorité que la minorité dissi- dente de la Cour suprême du Canada ont approuvé
36 [1969] I A.C. 645.
la définition donnée par le juge en chef du Mani- toba, le juge Freedman, dans le renvoi du Mani- toba sur cette question, soit la page 230]:
[TRADUCTION] Ainsi il existe un consensus général qu'une convention se situe quelque part entre un usage ou une coutume d'une part et une loi constitutionnelle de l'autre. Il y a un consensus général que si l'on cherchait à fixer cette position avec plus de précision, on placerait la convention plus près de la loi que de l'usage ou de la coutume. Il existe également un consensus général qu'«une convention est une règle que ceux à qui elle s'applique considèrent comme obligatoire». Hogg, «Constitutional Law of Canada» (1977), P. 9. Selon la prépon- dérance des autorités sinon le consensus général, la sanction de la violation d'une convention est politique et non juridique.
Je ne peux envisager qu'au Canada, la question de l'inamovibilité des juges et de la garantie de leur traitement n'est qu'une «règle que ceux à qui elle s'applique considèrent comme obligatoire»: cette question est beaucoup plus fondamentale et essentielle que cela. Comme nous l'avons déjà dit, en Angleterre, au moment de la Confédération, la garantie des traitements des juges était constitu- tionnellement protégée en droit depuis The Act of Settlement. (Ce qui ne veut pas dire, puisque c'est un État unitaire, que la Constitution n'aurait pu être modifiée par le Parlement avec le consente- ment du Roi.) Avec l'adoption de l'A.A.N.B., les juges des cours suprêmes des provinces ont acquis le même statut que celui des juges anglais de l'époque. Ce statut de la magistrature était assorti des mêmes droits, pouvoirs et privilèges, y compris, par une loi le prévoyant expressément, le droit à ce que leur traitement soit «fixé et établi» par le Parlement, ce qui comprend le droit de recevoir ce traitement pendant la durée de leurs fonctions. En vertu de la Constitution, la nomination et le paie- ment des juges des cours supérieures provinciales et le droit criminel qu'ils appliquaient relevaient de la compétence fédérale, alors que l'administration de la justice, la création de tribunaux de justice et les règles de fond que ces juges appliquaient en matière de propriété et de droit civil relevaient de la compétence provinciale. Il semble donc clair qu'il existe une exigence de droit constitutionnel découlant de la nature fédérale de notre Constitu tion et qui veut que les droits des juges nommés par le fédéral, tels qu'ils existaient au moment de la Confédération, ne puissent être abrogés, dimi- nués ou modifiés sans un amendement de la Cons titution. A défaut d'un amendement de la Consti tution, même le consentement exprès des provinces
ne serait pas suffisant parce qu'une obligation ou un pouvoir constitutionnel ne peut être légalement modifié ou abandonné dans un État fédéral sur simple consentement.
Il serait peut-être bon de répéter qu'en l'espèce, il ne s'agit pas simplement de la réduction de la rémunération d'un juge titulaire à un niveau infé- rieur à celui qu'il recevait immédiatement avant l'adoption de la loi, mais d'une réduction à un niveau inférieur à celui auquel il avait droit et qu'il recevait de fait depuis sa nomination. En outre, la présente espèce n'est pas visée par des décisions telles Judges c. Le procureur général de la Sas- katchewan, précitée ou Re The Constitutional Questions Act. Re The Income Tax Act, 1932, précitée, qui établissent que les membres de la magistrature ne sont pas, de par leur statut consti- tutionnel, exempts en droit des dispositions des lois d'impôt générales applicables à tous les citoyens du pays.
Bien qu'il n'ait manifestement aucune validité du point de vue du droit constitutionnel, il est intéressant de noter la teneur et l'esprit du qua-
trième article de la «Declaration of San Juan de Puerto Rico» 37 sur l'intégrité et l'indépendance du pouvoir judiciaire qui a été faite à la suite de la première conférence judiciaire des Amériques tenue à Puerto Rico en 1965:
[TRADUCTION] Quatrièmement:
L'autonomie matérielle du pouvoir judiciaire, fondée sur des ressources lui permettant de remplir sa mission importante, devrait être constitutionnellement reconnue. Les juges devraient recevoir une rémunération adéquate afin de les libé- rer des pressions de l'insécurité économique. Cette rémunéra- tion ne devrait pas être modifiée à leur désavantage.
Bien que les nécessités politiques ou sociales ne soient pas des facteurs dont je doive tenir compte pour trancher la question juridique qui m'est sou- mise, j'ai, pour souligner l'importance de la ques tion, cité plusieurs passages d'éminents juristes et auteurs qui affirment, au cours des deux cents dernières années, le besoin absolu dans une société libre d'un pouvoir judiciaire complètement indé- pendant dont chaque membre n'est responsable, dans l'exécution de ses fonctions judiciaires, devant personne si ce n'est la loi, sa propre cons
37 Handbook for Judges, édité par Glen R. Winters, The American Judicature Society, 1975.
cience, les tribunaux et, en cas de mauvaise con- duite, devant le Parlement et la Couronne au moyen d'une procédure de mise en accusation sur adresse conjointe des deux Chambres à Sa Majesté. Pour ce qui a trait à l'importance de cette exigence dans le contexte du Canada d'aujour- d'hui, on ne peut trouver meilleure référence que le rapport fait par l'honorable Jules Deschênes, juge en chef de la Cour supérieure du Québec, à la suite d'un examen exhaustif et savant sur L'administra- tion judiciaire autonome des Tribunaux. L'étude a été commanditée par le Conseil canadien de la magistrature en collaboration avec la Conférence canadienne des juges et l'Institut canadien d'admi- nistration de la justice. Le rapport a été publié par le Conseil canadien de la magistrature il y a quelques jours. Il contient 198 recommandations pour une meilleure administration de la justice au Canada. Le juge en chef fonde toutes ses recom- mandations sur le besoin absolu d'assurer et de préserver un pouvoir judiciaire complètement indé- pendant. A cet égard le juge en chef déclare à la page 12:
Pourtant l'indépendance du pouvoir judiciaire à l'égard des pouvoirs législatif et exécutif constitue l'un des piliers de notre système politique; de pair avec le principe de la primauté de la règle de droit, on ne saurait en exagérer l'importance. On vient d'ailleurs encore de le proclamer. (Draft Principles on The Independence of the Judiciary prepared by a Committee of Experts, meeting at Siracusa, Sicily, on 25-29 May 1981.)
Pour les motifs énoncés ci-dessus, je conclus que le Parlement, sans au moins le consentement du juge intéressé, ne peut constitutionnellement, en droit, réduire, par toute loi portant directement sur des réductions ou des déductions de traitements des juges, la rémunération à laquelle ce juge avait droit au moment de sa nomination. J'arrive à cette conclusion non seulement à cause du partage des pouvoirs entre les provinces et le fédéral mais parce qu'elle découle d'un principe intrinsèque et fondamental de droit constitutionnel dont nous avons hérité avec le système parlementaire britannique.
Bien que cette rémunération puisse indubitable- ment être réduite de facto, elle ne peut l'être de jure sans modifier notre Constitution et sans chan- ger fondamentalement le système parlementaire sous lequel nous agissons.
I therefore find that the plaintiff is entitled to a Je conclus donc que le demandeur a droit à un
declaration that subsection (2) of section 29.1 of jugement déclaratoire portant que le paragraphe
the Judges Act as amended by section 100 of the (2) de l'article 29.1 de la Loi sur les juges, tel que
Statute Law (Superannuation) Amendment Act, modifié par l'article 100 de la Loi de 1975 modi-
1975, supra, is, in so far as the plaintiff is con- a fiant le droit statutaire (Pensions de retraite) pré-
cerned, ultra vires the Parliament of Canada. He citée est, pour ce qui concerne le demandeur, ultra
is also entitled to his costs of this action. vires du Parlement du Canada. Il a également
droit aux frais de l'action.
Since I have effectively disposed of this case onPuisque j'ai tranché le présent litige en fonction the basis of the fact that the plaintiff was appoint- 6 de la nomination du demandeur (le 24 juillet
ed (the 24th of July, 1975) before the impugned 1975) avant la promulgation de la loi attaquée (le
legislation was proclaimed (the 20th of December, 20 décembre 1975), mais après la date rétroactive
1975) but subsequent to the retroactive date when de son entrée en vigueur (le 16 février 1975), je ne
it purported to become effective (the 16th of Feb-,me prononcerai pas sur le premier argument pré-
ruary, 1975), I will refrain from dealing with the senté au nom du demandeur selon lequel le para -
first argument advanced on behalf of the plaintiff graphe 29.1(1) est ultra vires parce qu'en vertu de
to the effect that subsection 29.1(1) is ultra vires l'A.A.N.B. de même qu'en vertu du droit coutu-
because by reason of the B.N.A. Act as well as the mier de la Constitution, le Parlement n'a pas le
customary law of the Constitution, Parliament is d droit d'exiger des contributions pour les pensions
not entitled to require contribution for the annui- des juges dont ces derniers bénéficiaient le 20
ties of judges which the latter enjoyed on the 20th décembre 1975, date à laquelle la Loi attaquée a
of December, 1975, when the Act complained of été promulguée. Pour ce qui a trait à l'autre
was proclaimed. Regarding the other argument argument selon lequel toutes les dispositions atta-
that all the provisions complained of are inopera- e quées sont inopérantes pour ce qui concerne le
tive, in so far as the plaintiff is concerned, I fail to demandeur, je ne vois pas comment, si le Parle -
see how, if Parliament possesses the jurisdiction ment possède la compétence et le pouvoir de
and power to reduce the plaintiffs salary, the law réduire le traitement du demandeur, la loi pourrait
could possibly be considered as inoperative in its être considérée comme inopérante en ce qu'elle
application to that salary. f s'applique à ce traitement.
Finally, I wish to state that, in rendering this Enfin, je tiens à déclarer, en rendant la présente
decision, I am not unaware of the fact that, should décision, que je n'ignore pas que, si aucun juge
none among the other justices whose commissions dont la nomination est antérieure au 16 février
date previous to the 16th of February, 1975, chal- 1975 ne conteste l'obligation de contribuer 11% de
lenge the obligation to contribute 11% from their g son traitement ou si cette contestation est rejetée,
salaries or should the challenge fail at law, then, alors les juges les plus anciens recevront évidem-
the more senior judges obviously will be receiving ment 1 1 / 2 % de moins que le demandeur. Compte
1 1 / 2 % less than the plaintiff. Having regard to my tenu de ma conclusion sur la discrimination en
findings as to discrimination generally and the h général et sur la Déclaration canadienne des droits
Canadian Bill of Rights in particular, it would en particulier, il semblerait qu'ils n'auraient aucun
appear that, on the grounds of discrimination they recours fondé sur la discrimination. Ils pourraient
would have no redress. They might, however, find toutefois trouver une consolation dans les paroles
some solace in the Gospel by St. Matthew pertain- de l'Évangile de St -Matthieu relativement aux tra-
ing to the workers in the vineyard (Matt. 20, ; vailleurs de la vigne (Matth. 20, 1-16). 1-16).
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