T-4507-77
Marc Beauregard, juge puîné de la Cour supé-
rieure du district de Montréal, province de
Québec (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Addy
Ottawa, 16 juin et 25 novembre 1981.
Compétence — Après la nomination du demandeur à la
fonction de juge de la Cour supérieure du Québec, la Loi sur
les juges fut modifiée, prévoyant désormais la participation
des intéressés aux prestations de retraite alors qu'auparavant
elles étaient sans participation des intéressés — Il échet de
déterminer si l'art. 29.1 de la Loi sur les juges est ultra vires
— Il échet de déterminer si les mots «avant le 17 février 1975»
â l'art. 29.1 sont inopérants dans la mesure où ils s'applique-
raient au demandeur parce qu'ils contreviendraient à l'al. 1b)
de la Déclaration canadienne des droits — L'art. 29.1(2) est
ultra vires — Le moyen du demandeur fondé sur la Déclara-
tion canadienne des droits ne peut être retenu — Loi sur les
juges, S.R.C. 1970, c. J-1, modifiée, art. 9, 20, 23, 25, 29.1
Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, 30 & 31 Vict.,
c. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5J, art. 99, 100 —
Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, c. 44 [S.R.C.
1970, Appendice III], art. 1 b) — Loi d'interprétation, S.R.C.
1970, c. I-23, art. 28.
Le 24 juillet 1975, le demandeur a accepté sa nomination à
la fonction de juge puîné de la Cour supérieure de la province
de Québec. Environ cinq mois plus tard, la Loi de 1975
modifiant le droit statutaire (Pensions de retraite) fut adoptée.
Elle ajoutait à la Loi sur les juges l'article 29.1 qui prévoyait la
participation des intéressés non seulement aux pensions des
veuves et des enfants de juges mais également aux pensions de
retraite et prestations supplémentaires des juges eux-mêmes.
Auparavant, ces prestations étaient sans participation des inté-
ressés. Le traitement auquel le demandeur avait droit à la date
de sa nomination et pendant quelque cinq mois par la suite a
donc subi une réduction de sept pour cent. La première ques
tion est de savoir si le Parlement pouvait diminuer, réduire ou
baisser le traitement et les autres avantages du demandeur qui
étaient devenus fixes à compter de la date de sa nomination. La
deuxième question est de savoir si les mots «avant le 17 février
1975» sont inopérants dans la mesure où ils s'appliqueraient au
demandeur parce qu'ils contreviennent à l'alinéa 1 b) de la
Déclaration canadienne des droits. Le demandeur prétend que
cette loi •est discriminatoire parce qu'elle dénie au demandeur
son droit à l'égalité devant la loi. De par sa rétroactivité, cette
loi ne s'applique pas universellement puisqu'elle oblige une
minorité des juges à contribuer à leur régime de pension à un
taux de sept pour cent, alors que la majorité contribue à un
taux de un et demi pour cent.
Arrêt: le demandeur a droit à un jugement déclaratoire
portant que le paragraphe (2) de l'article 29.1 de la Loi sur les
juges est, pour ce qui concerne le demandeur, ultra vires du
Parlement du Canada. A moins que les juges des cours supé-
rieures ne jouissent d'un statut spécial en vertu du principe de
la séparation des pouvoirs entre le judiciaire, l'exécutif et le
législatif ou en vertu de quelque autre empêchement constitu-
tionnel d'ordre légal à l'exercice de cette suprématie parlemen-
taire, le Parlement possède le pouvoir illimité de diminuer de
façon efficace et légale tous traitements et autres avantages
attribués aux juges, comme pour tout autre employé de la
Couronne. L'article 99 de l'Acte de l'Amérique du Nord bri-
tannique, 1867 prévoyait que les juges «pourront être démis de
leurs fonctions par le gouverneur général sur une adresse du
Sénat et de la Chambre des Communes.» L'article 100 prévoit
que les salaires «seront fixés et payés par le parlement du
Canada.» La modification de l'A.A.N.B. en 1960 prévoyait pour
la première fois que les juges étaient tenus de prendre leur
retraite à 75 ans. Avant d'obtenir cette modification de
l'A.A.N.B., le gouvernement fédéral a obtenu le consentement
de toutes les provinces à cause de leur compétence en matière
d'administration de la justice. Ce n'est que le 20 décembre
1975 que les juges des cours supérieures furent tenus de
contribuer à leur pension qui était payable leur vie durant. En
Angleterre, au moment de la Confédération, la garantie des
traitements des juges était constitutionnellement protégée en
droit depuis The Act of Settlement (1700). Avec l'adoption de
l'A.A.N.B., les juges des cours suprêmes des provinces ont
acquis le même statut que celui des juges anglais de l'époque.
Ce statut de la magistrature était assorti des mêmes droits,
pouvoirs et privilèges, y compris, par une loi le prévoyant
expressément, le droit à ce que leur traitement soit «fixé et
établi» par le Parlement, ce qui comprend le droit de recevoir ce
traitement pendant la durée de leurs fonctions. En vertu de la
Constitution, la nomination et le paiement des juges des cours
supérieures provinciales et le droit criminel qu'ils appliquaient
relevaient de la compétence fédérale, alors que l'administration
de la justice, la création de tribunaux de justice et les règles de
fond que ces juges appliquaient en matière de propriété et de
droit civil relevaient de la compétence provinciale. Il semble
donc clair qu'il existe une exigence de droit constitutionnel
découlant de la nature fédérale de notre Constitution et qui
veut que les droits des juges nommés par le fédéral, tels qu'ils
existaient au moment de la Confédération, ne puissent être
abrogés, diminués ou modifiés sans un amendement de la
Constitution. Il existe un besoin absolu dans une société libre
d'un pouvoir judiciaire complètement indépendant dont chaque
membre n'est responsable, dans l'exécution de ses fonctions
judiciaires, devant personne si ce n'est la loi, sa propre cons
cience, les tribunaux et, en cas de mauvaise conduite, devant le
Parlement et la Couronne au moyen d'une procédure de mise
en accusation sur adresse conjointe des deux Chambres à Sa
Majesté. Le Parlement, sans au moins le consentement du juge
intéressé, ne peut constitutionnellement, en droit, réduire, par
toute loi portant directement sur des réductions ou des déduc-
tions de traitements des juges, la rémunération à laquelle ce
juge avait droit au moment de sa nomination. J'arrive à cette
conclusion non seulement à cause du partage des pouvoirs entre
les provinces et le fédéral mais parce qu'elle découle d'un
principe intrinsèque et fondamental de droit constitutionnel
dont nous avons hérité avec le système parlementaire britanni-
que. Il ne peut être fait droit à la demande du demandeur en
vertu de l'alinéa lb) de la Déclaration canadienne des droits
parce que l'expression «égalité devant la loi» ne vise pas et n'a
jamais été conçue pour viser des questions de salaire égal pour
un travail égal. Le concept d'«égalité devant la loi» que l'on
trouve dans la Déclaration canadienne des droits a été inter-
prété comme signifiant qu'aucune classe privilégiée n'est
exempte de l'application du droit commun du pays. Il n'existe
aucun fondement juridique à la prétention du demandeur selon
laquelle la loi devrait être annulée parce que, même en faisant
abstraction de la Déclaration canadienne des droits, elle est
discriminatoire. Les nombreuses lois canadiennes concernant le
traitement des juges établissent diverses catégories de traite-
ment pour des juges de rang égal, sans que la moindre objection
n'ait été soulevée au motif que la loi ait été discriminatoire.
Arrêts mentionnés: Curr c. La Reine [1972] R.C.S. 889;
Le Procureur général du Canada c. Lavell [1974] R.C.S.
1349; R. c. Burnshine [1975] 1 R.C.S. 693; MacKay c. La
Reine [1980] 2 R.C.S. 370; Prata c. Le Ministre de la
Main-d'oeuvre et de l'Immigration [1976] 1 R.C.S. 376;
Toronto Corporation c. York Corporation [1938] A.C.
(C.P.) 415.
ACTION.
AVOCATS:
David Scott, c.r. pour le demandeur.
Paul 011ivier, c.r. et D. M. Low pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Scott & Aylen, Ottawa, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE ADDY: Les faits ne sont pas contestés:
aucun témoin n'a été cité et l'affaire a été jugée à
partir d'admissions faites dans les actes de procé-
dure, d'un exposé conjoint des faits et de certaines
pièces qui furent déposées sur consentement.
Le 24 juillet 1975, le demandeur a accepté sa
nomination à la fonction de juge puîné de la Cour
supérieure de la province de Québec. A la date de
sa nomination, la Loi sur les juges' prévoyait pour
tous les juges puînés de la Cour supérieure de cette
province, les traitements, rémunérations et avanta-
ges suivants:
' S.R.C. 1970, c. J-1 (modifiée par S.R.C. 1970 (2' Supp.), c.
16); S.C. 1970-71-72, c. 55; S.C. 1973-74, c. 17; S.C. 1974-
75-76, c. 48; Loi sur les prestations de retraite supplémentai-
res, S.R.C. 1970 (ler Supp.), c. 43, telle que modifiée par c. 30
(2' Supp.) et par S.C. 1973-74, c. 36, citée sous le nom de Loi
de 1973 modifiant le droit statutaire (prestations de retraite
supplémentaires), S.C. 1973-74, c. 36; Loi portant revision de
la mention Cour du banc de la reine de la province de Québec,
S.C. 1974-75-76, c. 19; Loi de 1975 modifiant le droit statu-
taire (Pensions de retraite), S.C. 1974-75-76, c. 81.
1. Des traitements globaux de $53,000 (articles
9 et 20 de la Loi sur les juges, tels que modi-
fiés)—traitement de base de $50,000, traitement
supplémentaire de $3,000 pour les services
extrajudiciaires que les juges peuvent être appe-
lés à accomplir et en dédommagement des frais
accessoires.
2. Pensions de retraite sans participation des
intéressés (article 23 de la Loi sur les juges, tel
que modifié).
3. Des pensions sans participation des intéressés
pour les veuves et enfants de juges (article 25 de
la Loi sur les juges, tel que modifié).
4. Prestations de retraite supplémentaires sans
participation des intéressés (Loi sur les presta-
tions de retraite supplémentaires, telle que
modifiée).
Environ cinq mois après la nomination du
demandeur, c'est-à-dire le 20 décembre 1975, la
Loi de 1975 modifiant le droit statutaire (Pen-
sions de retraite) 2 fut adoptée. L'article 100 de
cette Loi modifiait la Loi sur les juges en y
ajoutant l'article 29.1. Cette loi prévoyait la parti
cipation des intéressés non seulement aux pensions
des veuves et des enfants de juges mais également
aux pensions de retraite et prestations supplémen-
taires des juges eux-mêmes, dans le cas de juges
nommés après le 16 février 1975. Elle diminuait
donc d'autant le traitement et les avantages du
demandeur.
Les parties importantes de l'article 100 susmen-
tionné sont conçues en ces termes:
100. Ladite loi est en outre modifiée par l'insertion, après
l'article 29, des articles suivants:
29.1 (1) Les juges nommés avant le 17 février 1975 à une
cour supérieure ou de comté versent au Fonds du revenu
consolidé une contribution égale à un et demi pour cent de
leur traitement, faite sous forme de retenue.
(2) Les juges nommés après le 16 février 1975 à une cour
supérieure ou de comté versent, sous forme de retenue,
a) au Fonds du revenu consolidé une contribution égale à
six pour cent de leur traitement; et
b) au Compte de prestations de retraite supplémentaires,
établi dans les Comptes du Canada conformément à la Loi
sur les prestations de retraite supplémentaires, une contri
bution égale
2 S.C. 1974-75-76, c. 81.
(i) à un demi de un pour cent de leur traitement, avant
1977, et
(ii) à un pour cent de leur traitement, à compter de
1977.
Jusqu'à la promulgation de cette loi et à comp-
ter de sa nomination, le demandeur avait le droit
de recevoir, sans déductions, les traitements et
avantages déjà mentionnés ci-dessus aux paragra-
phes 1 à 4. Elle a eu pour effet d'obliger le
demandeur à verser désormais six pour cent de son
traitement à titre de cotisation à sa propre pension
de retraite et aux pensions de son conjoint survi-
vant et de ses enfants ainsi qu'un demi de un pour
cent avant le ler janvier 1977 et de un pour cent
par la suite au titre de l'indexation des pensions de
retraite conformément à la Loi sur les prestations
de retraite supplémentaires. Le traitement auquel
il avait droit à la date de sa nomination et pendant
quelque cinq mois par la suite a donc subi une
réduction de sept pour cent.
Il est intéressant de noter ici qu'en vertu du
paragraphe 29.1(1), la contribution de un et demi
pour cent qui doit être retenue sur le traitement de
juges nommés avant le 17 février 1975 doit être
versée au Fonds du revenu consolidé sans mention
du Compte de prestations de retraite supplémen-
taires ni de la Loi sur les prestations de retraite
supplémentaires comme dans le cas de la contribu
tion de un pour cent mentionnée au sous-alinéa
(2)b)(ii) de l'article 29.1 pour les juges nommés
après cette date. On pourrait donc conclure que la
contribution de un et demi pour cent prévue au
paragraphe 29.1(1) ne se rapporte pas aux presta-
tions de retraite supplémentaires auxquelles les
juges ont droit parce que, dans sa forme originale
et telle que modifiée par la suite, la Loi sur les
prestations de retraite supplémentaires prévoit
expressément qu'aucune de ces prestations paya-
bles aux juges sur le Fonds du revenu consolidé ne
doit être imputée au Compte de prestations de
retraite supplémentaires 3 .
Ce un et demi pour cent est prélevé à titre de
contribution pour subvenir au coût de pensions
améliorées pour les conjoints survivants et les
3 Voir S.R.C. 1970 (1°" Supp.), c. 43, par. 8(2), tel que
modifié par S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 30, art. 1 et par S.C.
1973-74, c. 36, art. 4 citée sous le titre de Loi de 1973
modifiant le droit statutaire (prestations de retraite supplé-
mentaires).
enfants et non pour la pension des juges eux-
mêmes. Cela semble toutefois indifférent à la solu
tion du litige.
L'exposé conjoint des faits établit qu'à la date
de sa nomination le 24 juillet 1975, bien que le
projet de loi qui fut ultérieurement adopté et pro-
mulgué le 20 décembre 1975 ait alors été devant le
Parlement, le demandeur ignorait complètement
son existence et n'en avait pas été avisé. Si nul
n'est censé ignorer la loi, il n'existe pas de pré-
somption semblable dans le cas de projets de loi
qui ne sont pas encore adoptés. Nul n'est lié par
leur contenu. Si l'on tient compte des modifica
tions importantes et de l'émasculation progressive
de certains projets de loi au cours des débats au
Parlement, les projets de loi qui sont finalement
adoptés ressemblent souvent très peu, tant sur le
plan du fond que de la forme, au projet original. Il
serait tout à fait injuste que quiconque, sauf peut-
être un membre du Parlement, soit, par présomp-
tion, tenu de connaître les travaux du Parlement.
Bien que des considérations d'equity ne soient
pas pertinentes pour trancher les questions qui me
sont soumises, dans le cas du demandeur au moins,
il est surprenant de noter que, comme il a été
nommé à l'âge de 38 ans, il semble qu'il aura
contribué beaucoup plus que ce qui serait néces-
saire pour payer lui-même sa propre pension de
retraite et les prestations supplémentaires, en pré-
sumant qu'il occupe son poste jusqu'à la retraite à
l'âge de 65 ans. En 1976, les déductions de son
traitement ont été de $3,445 et, pour l'année en
cours, elles atteindront quelque $5,175. Sur une
période de 27 ans, ses contributions atteindraient
un total de beaucoup supérieur à $125,000, en
présumant qu'il n'y aurait pas de majoration de
son traitement. Des contributions annuelles de
$5,000, calculées annuellement à un taux d'intérêt
composé de 15% auraient créé, au moment de la
retraite, un fonds d'environ $600,000 en dollars de
1981. Si cette somme était placée à un taux d'in-
térêt de 15%, elle produirait annuellement un
revenu de $90,000, beaucoup plus que son traite-
ment actuel et environ deux fois la somme requise
pour lui verser la pension actuellement prévue,
égale aux deux tiers de son traitement, sans aucu-
nement entamer le capital.
Évidemment, ceci ne tient nullement compte de
la protection de revenu advenant son décès dont
lui, sa femme et ses enfants jouissent entre-temps,
ni de son droit à une pleine pension en cas de
retraite anticipée pour cause de maladie. On pour-
rait peut-être aussi considérer le taux d'intérêt de
15% trop élevé pour l'employer comme facteur. De
toute façon, pour ce qui concerne le demandeur,
une somme très considérable est en jeu dans la
présente action.
A la suite de l'audition de l'action, l'avocat du
demandeur a demandé une ordonnance lui permet-
tant de modifier les conclusions de la déclaration.
A la suite d'une ordonnance subséquemment
rendue sur consentement le 22 juillet 1981, le
demandeur demande maintenant ce qui suit:
[TRADUCTION] a) Un jugement déclarant les mots «avant le
17 février 1975» à l'article 29.1 et la totalité de l'article
29.1(2) de la Loi sur les juges telle qu'édictée par l'article
100 du c. 81, 1974-75-76
i) ultra vires du Parlement du Canada, ou, subsidiaire-
ment:
ii) ultra vires du Parlement du Canada pour ce qui con-
cerne le demandeur;
ou, subsidiairement,
b) Un jugement déclarant que les mots «avant le 17 février
1975» l'article 29.1 et la totalité de l'article 29.1(2) de la
Loi sur les juges, telle qu'édictée par l'article 100 du c. 81,
1974-75-76 sont inopérants pour ce qui concerne le
demandeur;
Avant de procéder à l'examen de ces questions,
il m'incombe de déclarer l'intérêt que j'ai dans
l'issue du litige. Lorsque, comme en l'espèce, un
juge ayant un intérêt personnel dans l'issue du
litige est néanmoins obligé d'instruire l'affaire
parce qu'aucun autre juge désintéressé et ayant la
compétence voulue n'est disponible, la tâche de-
vient deux fois plus lourde. A cause de son intérêt
personnel dans l'issue du litige, le juge, pour
redoubler de prudence et par souci réel que justice
soit faite en toute impartialité, est obligé de se
prémunir contre le danger de pencher indûment en
faveur du point de vue opposé à cet intérêt ainsi
que contre le danger d'être inconsciemment in-
fluencé par celui-ci. C'est là un numéro d'équili-
briste qui demande des acrobaties de jugement et
d'introspection morale, talent que bien peu de
personnes possèdent et qu'encore moins sont appe-
lées à exercer. Enfin, aussi consciencieusement que
la tâche soit accomplie, il reste toujours la possibi-
lité réelle qu'aux yeux du citoyen ordinaire, cela
semblera être rien de moins que de l'inceste
judiciaire.
Ma nomination remonte à plusieurs années
avant le 17 février 1975 et, selon la législation
actuelle, je ne suis pas tenu de payer le 6% imposé
aux juges nommés après cette date. Il pourrait
donc sembler que je n'ai actuellement aucun inté-
rêt direct dans la solution des questions précises
soulevées dans la déclaration. Il est devenu bien
évident dès le début de l'audition toutefois que,
parce que le demandeur avait soulevé la question
du pouvoir constitutionnel du Parlement de pré-
lever des déductions sur le traitement d'un juge
dans un but particulier concernant les juges, j'ai au
moins un intérêt personnel virtuel dans cette
affaire, dû à la contribution de 1 1 / 2 % que je dois
verser.
En 1931, en Angleterre, à cause de la crise
économique qui y sévissait alors et qui équivalait à
une crise nationale, la National Economy Act,
1931, 21 & 22 Geo. 5, c. 48, fut adoptée. Elle
prévoyait que le traitement de toute [TRADUC-
TION] «personne au service de Sa Majesté«, y
compris celui des juges, était réduit de 20%. Les
juges d'Angleterre envoyèrent un mémoire confi-
dentiel au Premier ministre de l'époque exprimant
leur opinion quant au droit du Parlement de
réduire le traitement des juges. (Le mémoire,
document très intéressant, devint un document
public lorsqu'il fut déposé à la Chambre des Lords
deux ans plus tard. Je l'examinerai in extenso plus
tard dans ces motifs.) Si on adopta cette méthode
pour signaler le problème constitutionnel, c'est
surtout parce que Sir William Holdsworth était
alors d'avis qu'il n'était pas possible de déterminer
par les voies judiciaires normales si la loi s'appli-
quait à la magistrature parce que, selon lui, aucun
juge ne pouvait trancher le litige à cause de son
intérêt dans l'affaire.
La contribution de 1 1 / 2 % que moi-même et tous
les autres juges de cours supérieures nommés avant
le 17 février 1975 devons verser est, tel que déjà
mentionné, apparemment pour la protection addi-
tionnelle assurée au conjoint et aux enfants à
charge en cas de décès du juge. Le Parlement n'a
évidemment jamais été constitutionnellement tenu
d'assurer une protection aux personnes à la charge
de juges et il a donc le droit d'exiger une contribu-
tion à de tels avantages lorsqu'ils sont accordés.
Cela semblerait à première vue me permettre de
trancher les questions soulevées par le demandeur
sans possibilité d'intérêt personnel de ma part. Il
semblerait effectivement qu'il n'y aurait aucun
problème d'intérêt si moi-même et tous les autres
juges de cours supérieures dans ma position avions
le droit de choisir d'accepter ou de refuser cette
protection supplémentaire et, par conséquent, de
permettre la déduction ou de refuser de l'autoriser.
Toutefois, cette contribution est obligatoire et la
question plus vaste du droit du Parlement de
déclarer toute somme déductible du traitement
d'un juge titulaire a été soulevée et débattue au
procès et j'ai donc, d'un point de vue strictement
légal, un intérêt dans l'issue de l'affaire. D'un
point de vue pratique et personnel toutefois, je
tiens à déclarer que bien qu'aucun de mes enfants
ne soit admissible à cause de leur âge, si j'avais eu
le choix, j'aurais très certainement choisi de payer
la contribution de 1 1 / 2 % pour avoir la protection
additionnelle pour mon épouse. Il y a aussi le fait
que les juges dans ma position ont eu droit pendant
une période de cinq mois à ces avantages sans
déductions et que la contribution de 11% impose
une réduction de rémunération.
Depuis la déclaration de Sir William Holds-
worth que j'ai mentionnée ci-dessus, il semble
qu'on ait accepté que, lorsqu'il se pose une impor-
tante question de droit dans laquelle tous les juges
ont un intérêt personnel, elle peut être tranchée
par un juge sur la base de la nécessité, le raisonne-
ment étant que, dans pareil cas, on présume que
justice est mieux servie en faisant trancher la
question par quelqu'un qui a un intérêt personnel
dans l'issue de l'affaire qu'en laissant la question
en suspens. (Pour ce qui concerne la compétence
ex necessitate, voir Re The Constitutional Ques
tions Act. Re The Income Tax Act, 1932 4 confir-
mée sous le nom de Judges c. Le procureur général
de la Saskatchewan 5 . Il y a également la vieille
décision Dimes c. The Proprietors of the Grand
Junction Canal 6 ).
Cela dit, je dois maintenant ajouter qu'il est fort
probable que je n'aie aucun intérêt identifiable sur
le plan du droit dans l'issue de cette affaire parce
° [1936] 4 D.L.R. 134.
5 [1937] 2 D.L.R. 209 (C.P.).
6 (1852) 3 H.L.C. 759; 10 E.R. 301.
que l'existence, le rôle et la compétence des juges
de la Cour fédérale du Canada, de même que ceux
de la Cour suprême du Canada, sont régis entière-
ment par des lois fédérales et que ces juges n'ont
pas le même statut constitutionnel que les juges
des cours supérieures des provinces, qui exercent la
compétence attribuable à un tribunal de droit
commun dans les diverses provinces et qui, sur le
plan constitutionnel, sont les vrais successeurs des
premiers juges des Central Courts d'Angleterre
nommés par le Roi.
Il est néanmoins important de noter que pour
garantir et préserver le respect dû à notre système
judiciaire ainsi que l'observation et l'application
efficace de nos lois qui en découlent, les législa-
teurs devraient scrupuleusement éviter à tout prix
l'adoption de lois relatives à la magistrature qui
pourraient toucher même de loin à son indépen-
dance en présentant, ne fût-ce que la possibilité
d'une contestation judiciaire dont l'issue lui serait
favorable. Depuis The Act of Settlement (1700),
les législateurs d'Angleterre ainsi que ceux du
Commonwealth ont, de façon générale, jusqu'à
tout récemment du moins, appliqué scrupuleuse-
ment ce principe. Depuis quelques années toute-
fois, certains législateurs et membres du gouverne-
ment par ailleurs responsables semblent considérer
les juges comme une catégorie de hauts fonction-
naires. Ces personnes ignorent ou méconnaissent
nos racines et notre histoire qui démontrent claire-
ment que, dans le passé, les législateurs ont cher-
ché avec soin à préserver et à considérer comme
sacro-saint le principe constitutionnel de la sépara-
tion des pouvoirs. Toute relâche dans l'adhésion
stricte à ce principe met en péril non seulement le
statut et le rôle de la magistrature mais, ce qui est
plus important, l'essence même de notre système
parlementaire et la préservation de toutes nos
libertés fondamentales.
Autrefois, le législateur canadien semblait être
beaucoup plus conscient du problème constitution-
nel: lorsque par exemple, il a été décidé en 1919
d'assujettir les juges à une loi de l'impôt sur le
revenu d'application générale, la loi prévoyait que
l'exemption générale d'impôt dont bénéficiaient
auparavant les juges cesserait de s'appliquer à tout
juge qui accepterait ou aurait accepté en 1919 une
augmentation de traitement. Ceux qui avaient été
nommés avant l'adoption de cette loi ont eu le
choix d'accepter l'augmentation et de payer l'im-
pôt ou de la refuser et de continuer à bénéficier de
l'exemption. Il semble donc évident que même
dans le cas d'une loi d'impôt d'application géné-
rale, on a pris bien soin de préserver la rémunéra-
tion que recevaient les juges qui siégeaient alors,
non seulement à compter de leur nomination mais
à compter de l'entrée en vigueur de la loi fiscale.
Aujourd'hui toutefois, il semble exister non seu-
lement un manque de compréhension du statut de
la magistrature dans notre système de gouverne-
ment mais aussi de son rôle fondamental. On
trouve des exemples typiques de cette conception
complètement fausse et constitutionnellement dan-
gereuse du rôle de la magistrature dans une loi
existante et dans un projet de loi dont j'ai connais-
sance où l'on s'attend à ce que les juges des cours
supérieures fassent, dans le cadre de l'exercice de
leurs fonctions judiciaires, des recommandations à
un ministre de la Couronne à qui il est loisible de
suivre ou de rejeter ces recommandations.
Les citoyens ne peuvent se sentir en sécurité que
lorsqu'ils peuvent avoir recours à la protection
d'une magistrature tout à fait indépendante, dont
les membres n'ont de compte à rendre et ne sont
subordonnés à personne, n'étant responsables que
vis-à-vis de la loi et de leur propre conscience.
Pour ce qui concerne l'effet du paragraphe
29.1(1), que j'ai déjà cité, le demandeur prétend
qu'il est ultra vires du Parlement parce que le
Parlement n'a pas le pouvoir en vertu de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique, 1867, 30 & 31
Vict., c. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n°
5], ni en vertu du droit constitutionnel non écrit
d'exiger des contributions pour les pensions de
juges, pensions dont ils bénéficiaient le 20 décem-
bre 1975, date à laquelle la Loi attaquée fut
promulguée. Il prétend également, à titre subsi-
diaire, que le Parlement ne pouvait diminuer,
réduire ou baisser le traitement et les autres avan-
tages du demandeur qui étaient devenus fixes à
compter de la date de sa nomination. Enfin, il
prétend que les mots «avant le 17 février 1975„
sont inopérants dans la mesure où ils s'applique-
raient à lui parce qu'ils contreviennent à l'alinéa
l b) de la Déclaration canadienne des droits' au
7 S.C. 1960, c. 44 [S.R.C. 1970, Appendice III].
motif que cette loi a pour effet d'obliger une
minorité des juges à contribuer à leur régime de
pension et à celui des personnes à leur charge à un
taux de sept pour cent, alors que la majorité
contribue à un taux de un et demi pour cent; il
prétend également que, de par sa rétroactivité, la
loi ne s'applique pas universellement aux juges de
cours supérieures et est donc discriminatoire parce
qu'elle dénie au demandeur son droit à l'égalité
devant la loi.
En commençant par le dernier de ces allégués,
j'examinerai d'abord si l'alinéa l b) de la Déclara-
tion canadienne des droits est d'aucun secours au
demandeur. Cette Déclaration reconnaît la liberté
fondamentale suivante: «le droit de l'individu à
l'égalité devant la loi et à la protection de la loi».
Aux fins de déterminer s'il peut être fait droit à la
réclamation du demandeur en vertu de cet article
de la Déclaration canadienne des droits, je pré-
sume évidemment (mais uniquement à cette fin)
que le Parlement a tout à fait le droit de modifier
comme il l'entend la rémunération des juges des
cours supérieures comme pour un employé de la
Couronne fédérale.
Dans le cadre de son argumentation pour
démontrer que les mots «avant le 17 février 1975»
au paragraphe 29.1(1) et «après le 16 février 1975»
au paragraphe 29.1(2) sont contraires aux princi-
pes de l'égalité devant la loi, le demandeur s'est
fondé sur les arrêts suivants qu'il a cités: La Reine
c. Drybones 8 ; Curr c. La Reine 9 ; Le Procureur
général du Canada c. Lavell 10 ; La Reine c.
Burnshine"; Israta c. Le Ministre de la Main-
d'oeuvre et de l'Immigration 12 ; Bliss c. Le procu-
reur général du Canada 13 ; et MacKay c. La
Reine 14 .
A l'exception de l'affaire Bliss qui porte unique-
ment sur le droit de recevoir des prestations d'assu-
rance-chômage et où il a été jugé que la Déclara-
tion canadienne des droits ne s'appliquait pas, tous
ces arrêts portent sur la perte ou la dénégation de
divers droits fondamentaux très importants ou sur
8 [1970] R.C.S. 282.
9 [1972] R.C.S. 889.
'o [1974] R.C.S. 1349.
" [1975] 1 R.C.S. 693.
12 [1976] 1 R.C.S. 376.
13 [1979] 1 R.C.S. 183.
14 [1980] 2 R.C.S. 370.
la responsabilité pénale ou quasi pénale et n'ont
rien à voir avec le simple quantum de rémunéra-
tion pour services rendus.
Le concept d'«égalité devant la loi» que l'on
trouve dans la Déclaration canadienne des droits
a, depuis son adoption, été interprété dans le sens
où l'entendait Dicey, c'est-à-dire qu'aucune classe
privilégiée n'est exempte de l'application du droit
commun du pays. Voici ce que dit le juge Ritchie
dans Curr c. La Reine, précité, à la page 916:
... je préfère fonder ma conclusion sur le fait que, à mon avis,
le sens des termes de la Déclaration des droits est le sens qu'ils
avaient au Canada au moment de l'adoption de la Déclaration
Dans l'arrêt Lavell précité, le même juge parle
de l'égalité devant la loi en ces termes aux pages
1365 et 1366 du recueil:
Selon moi, le sens à donner au libellé de la Déclaration des
droits est celui qu'il avait au Canada à l'époque de l'adoption
de la Déclaration, et il s'ensuit que l'expression «égalité devant
la loi» doit s'interpréter à la lumière de la loi en vigueur au
Canada à ce moment-là.
Lorsqu'on considère le sens qu'il faut attacher aux mots
«égalité devant la loi» figurant à l'al. b) de l'art. 1 de la
Déclaration, je crois important de signaler qu'à mon sens ces
termes ne sont pas efficaces pour invoquer le concept égalitaire
illustré par le 14» Amendement de la Constitution des États-
Unis tel qu'interprété par les tribunaux de ce pays-là. (Voir
Smythe c. La Reine ([1971] R.C.S. 680), Juge en chef Fau-
teux, pp. 683 et 686). Je crois plutôt que, compte tenu des
termes employés dans le second alinéa du préambule de la
Déclaration des droits, l'expression «égalité devant la loi» se
trouvant à l'art. 1 doit se lire dans son contexte, comme une
partie du «règne du droit» auquel les termes de cet alinéa
accordent une autorité prépondérante.
A cet égard, je me réfère à Stephens Commentaries on the
Laws of England, 2P éd. 1950, où il est dit dans le volume III,
à la p. 337:
[TRADUCTION] Ainsi le grand spécialiste en droit constitu-
tionnel, Dicey, qui écrivait en 1885, était si profondément
impressionné par l'absence de gouvernements arbitraires,
tant à l'époque que dans le passé, qu'il a créé l'expression
«the rule of law» (le règne du droit) pour parler du régime
sous lequel vivait l'Anglais; et il a tenté de la préciser dans les
termes suivants, qui ont exercé une profonde influence sur
toute la pensée et la conduite subséquente.
«Que le «règne du droit» qui constitue un principe fonda-
mental de la constitution a trois sens, ou peut être envisagé
sous trois points de vue différents ...»
Le second sens proposé par Dicey est celui qui nous occupe ici
et il l'a couché dans les termes suivants:
[TRADUCTION] Un autre sens est celui d'égalité devant la loi
ou d'assujettissement égal de toutes les classes au droit
commun du pays appliqué par les tribunaux ordinaires; le
«règne du droit», dans ce sens, exclut l'idée d'une exemption
de fonctionnaires ou d'autres personnes du devoir d'obéis-
sance à la loi auquel sont assujettis les autres citoyens, ou de
la compétence des tribunaux ordinaires.
«L'égalité devant la loi», dans ce sens, est souvent invoquée
pour démontrer que la même loi s'applique aussi bien aux plus
hauts fonctionnaires du gouvernement qu'à tout autre citoyen
ordinaire, et à cet égard le professeur F. R. Scott, dans les
cours donnés dans le cadre des Plaunt Memorial Lectures sur
les libertés civiles et le fédéralisme canadien, en 1959, eut
l'occasion de dire en parlant de l'affaire Roncarelli c. Duplessis
([1959] R.C.S. 121),
[TRADUCTION] C'est toujours un triomphe pour la loi de
montrer qu'elle est appliquée à tous également, sans crainte
ni favoritisme. C'est ce que nous entendons quand nous
disons que tous sont égaux devant la loi.
Le juge Martland s'est dit d'accord avec ce
passage qu'il a cité dans les motifs du jugement
majoritaire de la Cour suprême du Canada dans
l'arrêt Burnshine précité (voir les pages 704 et 705
du recueil susmentionné). Même l'article 3 de la
Loi canadienne sur les droits de la personne 15 qui
a été adoptée depuis (promulguée le 14 juillet
1977), et que l'avocat du demandeur a cité pour
tenter d'établir un parallèle entre cette loi et la
Déclaration canadienne des droits, n'interdit que
les distinctions illicites qui sont fondées sur «la
race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la
religion, l'âge, le sexe, la situation de famille ou
l'état de personne graciée et, en matière d'emploi,
sur un handicap physique.» Il semble évident qu'en
l'espèce, il n'existe aucune distinction illicite
fondée sur un des motifs susmentionnés.
L'avocat du demandeur a insisté particulière-
ment sur les paroles suivantes du juge McIntyre
dans l'arrêt MacKay, précité, que l'on trouve à la
page 406 du recueil cité:
La question à résoudre dans chaque cas est celle de savoir si
l'inégalité qui peut être créée par la loi vis-à-vis d'une catégorie
particulière—ici les militaires—est arbitraire, fantaisiste ou
superflue, ou si elle a un fondement rationnel et acceptable en
tant que dérogation nécessaire au principe général de l'applica-
tion universelle de la loi pour faire face à des conditions
particulières et atteindre un objectif social nécessaire et
souhaitable.
Selon moi, ces paroles ne corroborent pas la
proposition mise de l'avant pour le compte du
demandeur. Comme le dit le juge Martland dans
les motifs du jugement qu'il prononçait au nom de
la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Prata,
précité, à la page 382 du recueil cité:
15 S.C. 1976-77, c. 33.
Cette Cour a décidé que l'al. b) du par. (1) de la Déclaration
canadienne des droits n'exige pas que toutes les lois fédérales
doivent s'appliquer de la même manière à tous les individus.
Une loi qui vise une catégorie particulière de personnes est
valide si elle est adoptée en cherchant l'accomplissement d'un
objectif fédéral régulier (R. v. Burnshine ((1974), 44 D.L.R.
(3d) 584)).
Puisque je conclus qu'il ne peut être fait droit à
la demande du demandeur en vertu de l'alinéa lb)
de la Déclaration canadienne des droits parce que
l'expression «égalité devant la loi» employée dans
cette loi ne vise pas et n'a jamais été conçue pour
viser des questions de salaire égal pour un travail
égal, je n'examinerai pas la réponse soumise pour
le compte de la défenderesse selon laquelle même
si on concluait à l'existence d'une «inégalité», elle
survient dans le cadre de mesures prises pour
atteindre un objectif fédéral valable et que, en
outre, le demandeur n'a pas réussi à prouver que
l'exigence de verser des contributions est arbi-
traire, déraisonnable ou inutile.
Je ne vois aucun fondement juridique à la pré-
tention du demandeur selon laquelle la loi devrait
être annulée parce que, même en faisant abstrac
tion de la Déclaration canadienne des droits, elle
est discriminatoire. Outre les mêmes raisons pour
lesquelles la Déclaration canadienne des droits
n'est pas applicable en l'espèce, les nombreuses lois
canadiennes citées par la défenderesse concernant
le traitement des juges, adoptées depuis 1846 jus-
qu'en 1932, (voir la note 16 ci-dessous) établissent
clairement diverses catégories de traitement pour
des juges de rang égal, sans que la moindre objec
tion ait été soulevée, même indirectement, au
motif que la loi ait été discriminatoire. Il est
important de noter également toutefois que, dans
cette législation, lorsqu'il était nécessaire de proté-
ger la rémunération versée aux titulaires, les diver-
ses lois comprenaient des clauses protégeant les
droits acquis et que, dans un ou deux cas où cette
précaution n'avait pas été prise à l'époque de
l'adoption de la loi, une loi modificatrice a subsé-
quemment été adoptée pour corriger la situation 16 .
(Voir par exemple: S.C. 1927, c. 33 qui réduisait
16 (1) Acte pour octroyer une Liste Civile à Sa Majesté,
S.C. 1846, 9 Vict., c. 114.
(2) Acte modifiant l'acte pour octroyer une Liste Civile à
Sa Majesté, S.C. 1851, 14 & 15 Vict., c. 173.
(3) Acte pour réduire les salaires de certains officiers de
justice dans les cas y mentionnés, etc., S.C. 1851, 14 & 15
Vict., c. 174.
(Suite à la page suivante)
la pension de retraite de certains juges à deux tiers
de leur traitement fut modifié par S.C. 1930, c. 27
qui rétablissait pour ces juges la pension à plein
traitement.)
J'aborde maintenant le second argument du
demandeur selon lequel le Parlement ne peut dimi-
nuer, réduire ou baisser le traitement et autres
avantages du demandeur qui sont devenus fixes à
la date de sa nomination.
Pour ce qui concerne la suprématie absolue de
notre Parlement lorsqu'il s'agit de légiférer dans
les sphères de compétence qui lui sont attribuées
par notre Constitution, à moins que les juges des
cours supérieures ne jouissent d'un statut spécial
en vertu du principe de la séparation des pouvoirs
entre le judiciaire, l'exécutif et le législatif ou en
vertu de quelque autre empêchement constitution-
nel d'ordre légal à l'exercice de cette suprématie
parlementaire, il semble évident que le Parlement
possède le pouvoir illimité de diminuer de façon
efficace et légale tous traitements et autres avanta-
ges attribués aux juges, comme pour tout autre
employé ordinaire de la Couronne. Le droit d'im-
poser les déductions en cause serait donc actuelle-
ment inattaquable sur le plan constitutionnel sous
(Suite de la page précédente)
(4) Acte concernant le gouverneur, la liste civile, et les
salaires de certains officiers publics, S.R.C. 1859, 22
Vict., c. 10.
(5) Acte concernant la Cour supérieure, S.R.B.C. 1860,
c. 78.
(6) Acte à l'effet de fixer les traitements des juges, etc.
(de certaines provinces), S.C. 1882, 45 Vict., c. 11.
(7) Acte des cours Suprême et de l'Échiquier, S.R.C.
1886, 49 Vict., c. 135.
(8) Acte concernant les juges des cours provinciales,
S.R.C. 1886, 49 Vict., c. 138.
(9) Loi des juges, S.R.C. 1906, c. 138.
(10) Loi portant modification de la Loi des juges, S.C.
1919, 9-10 Geo. V, c. 59.
(11) Loi modifiant la Loi des juges, S.C. 1920, 10-11
Geo. V, c. 56.
(12) Loi modifiant la Loi des juges, S.C. 1927, 17 Geo.
V, c. 33.
(13) Loi des juges, S.R.C. 1927, c. 105.
(14) Loi modifiant la Loi des juges, S.C. 1930, 20-21
Geo. V, c. 27.
(15) Loi de 1946 sur les juges, S.C. 1946, 10 Geo. VI,
c. 56.
(16) Loi modifiant la Loi de l'impôt de guerre sur le
revenu, S.C. 1932, 22-23 Geo. V, c. 44.
réserve toutefois, à cause de la répartition des
pouvoirs entre le fédéral et les provinces, du droit
de celles-ci à ce que les juges soient nommés et
rémunérés par le gouvernement fédéral.
Il se peut très bien que l'issue du litige dépende
de la réponse à la question suivante: existe-t-il
vraiment dans notre système parlementaire une
séparation légale des pouvoirs ou, nonobstant le
rôle séparé et distinct que la magistrature a tradi-
tionnellement été appelée à exercer, le Parlement
canadien, avec le consentement du gouverneur
général, au nom de Sa Majesté, possède-t-il néan-
moins en droit et de plein droit un pouvoir absolu
sur la magistrature? Si la réponse à cette dernière
question était négative et si le Parlement ne pou-
vait légalement exercer un pouvoir absolu sur la
magistrature, quelles seraient alors ses limites?
Autrement dit, la question pourrait se poser
comme suit: dans quelle mesure existe-t-il réelle-
ment en droit une séparation entre le pouvoir
judiciaire et les pouvoirs législatif et exécutif? On
ne trouvera les réponses qu'après avoir étudié l'his-
torique de l'évolution du pouvoir judiciaire en
Angleterre et examiné également l'effet, s'il en est,
que notre ancien statut de colonie, qui a ultime-
ment cédé la place à notre actuel statut de pays
indépendant, avec répartition des pouvoirs entre
les gouvernements provinciaux et fédéral, a pu
avoir sur le statut, les droits et les pouvoirs du
judiciaire et dans quelle mesure le Parlement peut
les modifier ou les contrôler.
S'il est vrai que l'Angleterre ne possède aucune
constitution écrite, cela ne veux pas dire qu'elle n'a
pas de constitution à l'exception de certaines dispo
sitions précises de la Grande Charte, The Act of
Settlement (1700) 17 et la loi de 1760 intitulée An
Act for rendering more effectual the Provisions in
[The Act of Settlement] relating to the Commis
sions and Salaries of Judges 18 et certaines autres
lois qui dans les faits furent les premières à établir
une certaine division des pouvoirs entre le Roi et le
Parlement, c'est-à-dire entre les pouvoirs exécutif
et législatif. Le système judiciaire a été introduit et
consacré par The Act of Settlement (1700) et la loi
de 1760 qui étaient essentiellement des traités
constitutionnels ou des instruments constitution
1 7 12 & 13 Will. 3, c. 2.
18 A.D. 1760, 1 Geo. III, c. 23.
nels impératifs entre le Roi et le Parlement.
Comme le titre même de la loi l'indique, il s'agit
du règlement du partage des pouvoirs entre eux. A
cet époque, ces deux pouvoirs, pour employer un
euphémisme, étaient souvent en désaccord quant à
ce qu'on devait faire et, ce qui est plus important,
quant à savoir qui avait le droit de le faire. Ces
deux lois constitutionnelles prévoyaient un moyen
très pratique d'assurer que ni le Roi ni le Parle-
ment ne serait capable d'atteindre ses objectifs ou
ambitions politiques respectifs en exerçant un con-
trôle sur les décisions de la magistrature. Le Roi
ne pouvait plus faire peser sur le juge la menace de
le priver immédiatement de la charge qu'il
occupait par le bon plaisir du Souverain, ni le
Parlement pouvait-il atteindre ses fins par la
menace également péremptoire et presque aussi
efficace d'une interruption de traitement. La situa
tion créée par ces lois constituait le principal
moyen d'assurer constitutionnellement un équilibre
politique des pouvoirs et constituait un premier pas
important dans l'établissement de quelque chose
de semblable à ce que nos voisins américains
appellent un système de freins et contrepoids.
En 1956, La Revue du Barreau canadien 19 a
publié en deux parties un article savant et très bien
documenté du professeur W. R. Lederman, auto-
rité en matière constitutionnelle. Les avocats des
deux parties ont cité longuement cet article très lu.
Pour ma part, j'ai l'intention de le citer abondam-
ment et je tiens à déclarer dès maintenant que
nonobstant certaines remarques récentes de la
Cour suprême du Canada, dont je parlerai plus
loin, sur les opinions du professeur Lederman
quant à savoir si la convention ou la coutume
peuvent être sources de droit constitutionnel, je
suis d'accord avec les passages de l'article du
professeur Lederman que je citerai. Pour ce qui
concerne la question de la constitution non écrite
d'Angleterre et, plus précisément, du rôle particu-
lier du pouvoir judiciaire dans la constitution
anglaise, le professeur Lederman dit ce qui suit
dans l'introduction de l'article susmentionné (voir
les pages 769 et 770):
[TRADUCTION] C'est un principe de droit largement reconnu
que l'alpha et l'omega de la constitution anglaise est le principe
de la suprématie du Parlement—qu'il n'y a rien qu'un parle-
ment ne puisse faire par une loi rédigée de la façon appropriée.
19 «The Independence of the Judiciary» dans La Revue du
Barreau canadien, Volume 34, pages 769 à 809 et 1139 à 1179.
Cela résulterait, selon plusieurs autorités, du règlement révolu-
tionnaire auquel on est arrivé en 1688 et au cours des quelques
années qui suivirent. Il existe pourtant des raisons tant histori-
ques que théoriques de douter que la suprématie illimitée du
Parlement en ce sens ait été établie à cette époque ou à aucun
autre moment. L'histoire révèle plutôt que d'autres principes
ont également pris une très grande importance sur le plan
constitutionnel à la fin du XVII» siècle, et ces autres princi-
pes—alors réaffirmés ou établis—ne pouvaient que limiter,
dans une certaine mesure du moins, la suprématie d'un
parlement.
Nous avons le témoignage récent de A. L. Goodhart selon
lequel les Anglais ne sont pas aussi démunis de constitution
qu'ils le prétendent. Il donne quatre principes qu'il prétend
également fondamentaux à titre de principes primordiaux ou
principaux de la constitution anglaise. Ils s'énoncent briève-
ment comme suit: (1) »Nul n'est au-dessus de la loi» (ce qui
signifie notamment que toute personne investie de fonctions
publiques, la Reine, les juges ainsi que les membres du Parle-
ment doivent se référer à la loi pour la définition de leurs
positions et pouvoirs respectifs). (2) «Ceux qui gouvernent la
Grande-Bretagne le font à titre de représentants et peuvent être
remplacés .... L'élection libre des membres de la Chambre des
communes est un principe fondamental du droit constitutionnel
anglais.» (3) Chacun jouit de la liberté de parole, de pensée et
de réunion. (4) Il existe un pouvoir judiciaire indépendant. «Le
quatrième et dernier principe, qui est une partie fondamentale
de la constitution anglaise, est l'indépendance du judiciaire. Il
serait inconcevable que le Parlement considère aujourd'hui qu'il
est libre d'abolir ce principe qui a été reconnu comme consti-
tuant la pierre angulaire de la liberté depuis l'Act of Settlement
en 1701. On a reconnu qu'il allait de soi que si le judiciaire
était soumis au pouvoir législatif ou au pouvoir exécutif, alors
l'administration de la loi pourrait ne plus avoir l'impartialité
qui est essentielle pour que justice triomphe.» Sir William
Holdsworth a exprimé une opinion très semblable sur le statut
du judiciaire. Il dit ( His Majesty's Judges (1932), 173 Law
Times 336, aux pp. 336 377):
Les juges occupent une charge à laquelle est jointe la fonc-
tion de préserver la suprématie de la loi. C'est parce que ses
membres occupent une charge à laquelle est confiée la garde
de ce principe constitutionnel fondamental que le judiciaire
forme une des trois grandes divisions entre lesquelles est
réparti le pouvoir de l'État. Le judiciaire a des pouvoirs
distincts et autonomes, tout comme le Roi et le Parlement; et,
dans l'exercice de ces pouvoirs, ses membres ne sont pas plus
dans la position de subordonnés que le Roi ou le Parlement
dans l'exercice des leurs .... il n'est pas du tout pertinent de
dire que la législation moderne confère souvent à la même
personne ou au même organisme tout à la fois des pouvoirs
exécutifs, législatifs et judiciaires. La séparation des pouvoirs
dans la Constitution britannique n'a jamais été complète.
Mais certains des pouvoirs de la constitution étaient et sont
encore tellement distincts que leurs détenteurs ont des pou-
voirs autonomes, c'est-à-dire des pouvoirs qu'ils peuvent exer-
cer indépendamment, sous réserve uniquement des lois ou du
droit. Les juges ont des pouvoirs de ce genre parce que,
comme on leur confie la sauvegarde de la suprématie de la
loi, ils sont et ont toujours été considérés comme une partie
distincte et indépendante de la constitution. Il est vrai que
cette conception de la loi a été contestée par les Stuarts, mais
la Grande rébellion et la Révolution l'ont confirmée. [C'est
moi qui souligne.]
Il convient maintenant d'examiner les commen-
taires de la Cour suprême du Canada sur l'article
du professeur Lederman que je viens de citer et
dont je parlerai plus loin. J'ai attendu, avant de
prononcer les présents motifs, l'issue de trois ren-
vois portés devant la Cour suprême par les provin
ces du Manitoba, de Québec et de Terre-Neuve
sur le projet de rapatriement de la Constitution
[(1981) 39 N.R. 1] (ci-après appelé [TRADUC-
TION] «appels sur le rapatriement»), étant donné
qu'il ressortait des arguments soumis aux cours
d'appel provinciales que la question de savoir si
une convention constitutionnelle pouvait se cristal-
liser en règle de droit serait soulevée. Dans ses
motifs historiques rendus publics le 28 septembre
de cette année, la majorité de la Cour suprême du
Canada a statué que cela n'était pas possible et a
commenté l'opinion contraire du professeur Leder-
man dans les termes suivants [aux pages 71 et 80] :
On fait erreur en tentant d'assimiler l'évolution d'une con
vention et celle de la common law.
Un point de vue contraire sur lequel s'appuient les provinces
appelantes est celui du professeur W.R. Lederman dans deux
articles qu'il a publiés, l'un intitulé Process of Constitutional
Amendment in Canada (1967), 12 McGill L.J. 371, et le
deuxième «Constitutional Amendment and Canadian Unity»,
[1978] Law Soc. U.C. Lectures, 17. L'opinion du professeur
Lederman, un spécialiste renommé, mérite plus qu'un examen
superficiel. Il reconnaît lui-même qu'il y a des opinions contrai-
res, dont celle d'un spécialiste tout aussi distingué, le professeur
F.R. Scott: voir Scott, Essays on the Constitution (1977), aux
pp. 144, 169, 204-205, 245, 370-371, 402. On trouve également
l'opinion contraire du professeur Hogg, déjà citée.
Le professeur Lederman s'appuie notamment sur une série de
décisions déjà examinées, dont les motifs de sir Lyman Duff
dans l'affaire des Conventions de travail. Il explique le saut de
la convention à la loi comme s'il y avait une common law du
droit constitutionnel qui tirerait son origine de la pratique
politique. Ce n'est tout bonnement pas le cas. Ce qui est
désirable comme limite politique ne se traduit pas en une limite
juridique sans qu'il existe une loi ou un texte constitutionnel
impératif.
A première vue, on pourrait être tenté de penser
que la Cour adoptait le point de vue quelque peu
surprenant qu'il n'existe pas, hors les textes ou les
lois impératifs, de common law du droit constitu-
tionnel ou un principe de droit constitutionnel
pouvant être sanctionné par les tribunaux.
Toutefois, en suivant le conseil de la Cour [à la
page 79] dans ces mêmes motifs selon lequel «un
choix d'extraits de motifs n'a aucune force indé-
pendante à moins de tenir compte des points en
litige et du contexte de ces extraits», on conclut
aisément que la Cour ne visait pas l'existence
d'une common law de la Constitution dans un sens
général mais plutôt la question beaucoup plus
précise de savoir si une convention ou un arrange
ment de nature politique qui n'est pas compris
dans un texte ou dans une loi impératifs, qui a été
suivi par deux paliers de gouvernement, chacun
étant suprême dans sa propre sphère de compé-
tence, pouvait tôt ou tard se cristalliser en un
principe de droit constitutionnel pouvant être
reconnu et sanctionné par les tribunaux. Ceci
devient très clair à la lecture des motifs de la
majorité de cette même Cour (composée de deux
juges qui s'étaient dissociés des conclusions men-
tionnées ci-dessus et de quatre autres juges qui y
avaient souscrit) laquelle, en statuant sur une
autre question soumise à la Cour, a déclaré de
façon très catégorique qu'une common law de la
Constitution ou un droit constitutionnel non écrit
existait. Dans leurs motifs sous la rubrique «La
nature des conventions constitutionnelles», on
trouve le passage suivant [aux pages 224 et 225]:
Une autre partie de la constitution du Canada est formée de
règles de common law. Ce sont des règles que les tribunaux ont
élaborées au cours des siècles dans l'exécution de leurs fonc-
tions judiciaires. Une part importante de ces règles a trait à la
prérogative de la Couronne. Les articles 9 et 15 de l'A.A.N.B.
prévoient:
9. A la Reine continueront d'être et sont par le présent
attribués le gouvernement et le pouvoir exécutifs du Canada.
15. A la Reine continuera d'être et est par le présent
attribué le commandement en chef des milices de terre et de
mer et de toutes les forces militaires et navales en Canada.
Par ailleurs, l'Acte ne s'étend pas beaucoup sur les éléments
du «gouvernement et pouvoir exécutifs» et l'on doit recourir à la
common law pour les découvrir, mis à part l'autorité déléguée à
l'exécutif par la loi.
En common law, l'autorité de la Couronne comprend notam-
ment la prérogative de grâce ou de clémence (Reference as to
the effect of the exercise of the royal prerogative of mercy
upon deportation proceedings, [1933] R.C.S. 269.) et le pou-
voir de constituer en compagnie par charte de façon à conférer
une capacité générale analogue à celle d'une personne physique
(Bonanza Creek Gold Mining Company Limited v. Rex,
[1916] 1 A.C. 566.). La prérogative royale met la Couronne
dans une situation privilégiée en tant que créancière (Liquida-
tors of the Maritime Bank of Canada v. Receiver-General of
New-Brunswick, [1892] A.C. 437.), en ce qui concerne l'héri-
tage de terres à défaut d'héritiers (Attorney General of Ontario
v. Mercer (1882-83), 8 App. Cas. 767.) ou relativement à la
propriété de métaux précieux (Attorney General of British
Columbia v. Attorney General of Canada (1889), 14 A.C.
295.) et bona vacantia (Rex v. Attorney General of British
Columbia, [1924] A.C. 213.). C'est également aux termes de la
prérogative et de la common law que la Couronne nomme et
accrédite des ambassadeurs, déclare la guerre, conclut des
traités et c'est au nom de la Reine que l'on délivre des
passeports.
On désigne du terme générique de droit constitutionnel les
parties de la Constitution du Canada qui sont formées de règles
législatives et de règles de common law.
NOTE: On pourrait maintenant ajouter le droit du
Parlement de procéder par voie de résolution pour
obtenir une modification de l'A.A.N.B. et aussi la
légalité d'une demande unilatérale du Canada de
modification de cet Acte.
D'autres exemples de règles de droit non écrites
de notre Constitution ont également été cités par
la majorité, tel le droit du gouverneur général ou
d'un lieutenant-gouverneur de refuser de donner la
sanction à un projet de loi ainsi que le fait que le
gouvernement est en poste de par le bon plaisir de
la Couronne.
Les trois juges dissidents sont également entière-
ment d'accord sur l'existence d'une common law
de la Constitution ou d'un droit constitutionnel
non écrit lorsqu'ils déclarent à la page 7 de leurs
motifs dissidents [voir pages 286 et 287]:
La Constitution du Canada, comme le souligne la majorité,
n'est écrite qu'en partie, c'est-à-dire consacrée par des textes
législatifs qui ont force de loi et qui comprennent outre l'Acte
de l'Amérique du Nord Britannique (ci-après appelé
l'A.A.N.B.), les autres textes de lois énumérés dans les motifs
de la majorité. Une autre partie de la Constitution, et d'ailleurs
des plus importantes, est formée de la coutume et de l'usage,
qui ont adopté en grande partie les pratiques du Parlement du
Royaume-Uni en les adaptant à la nature fédérale de ce pays.
Avec le temps, ceux-ci ont évolué pour former avec les lois
mentionnées ci-dessus et certaines règles de common law une
constitution pour le Canada. Cette Constitution repose donc sur
des lois et des règles de common law qui disent le droit et ont
force de loi, et des coutumes, usages et conventions élaborés en
sciences politiques qui, sans avoir force de loi en ce sens qu'il
existe un mécanisme juridique d'application ou une sanction
légale de leur violation, forment un élément vital de la Consti
tution sans lequel elle serait incomplète et incapable d'atteindre
son but.
Comme le souligne la majorité, il existe une différence
fondamentale entre les règles de droit (c'est-à-dire celles tirées
de la loi et de la common law) de la Constitution et les règles
conventionnelles: alors qu'une violation des règles de droit,
qu'elles soient de nature législative ou de common law, a des
conséquences juridiques puisque les tribunaux la réprimeront,
aucune sanction de ce genre n'existe pour la violation ou le
non-respect des règles conventionnelles.
Il semble donc évident que tous les membres de
la Cour suprême du Canada sont d'avis que des
droits, des pouvoirs, des privilèges de même que
des principes constitutionnels pouvant être recon-
nus et sanctionnés légalement peuvent exister et
existent de fait, même s'ils ne sont pas consacrés
par une loi ou un texte législatif qui fait partie de
notre Constitution. Toutefois, comme nous le ver-
rons plus tard, la raison déterminante de ma déci-
sion n'est pas fondée principalement sur un tel
principe mais plutôt sur des textes législatifs qui
constituent un arrangement entre le Roi et le
Parlement et sur la nature des pouvoirs et de la
compétence du Canada et des provinces selon
l'A.A.N.B.
Un bref historique des conditions et des métho-
des de nomination des juges des cours supérieures
est révélateur. A l'exception du baron en chef et
des autres barons de l'Échiquier et à l'exception
d'une très brève période précédant immédiatement
l'avènement des rois de la dynastie Stuart, les
juges en Angleterre étaient inévitablement
nommés pendant le bon plaisir du Roi. C'est après
la Révolution, c'est-à-dire au cours de la période
du Commonwealth (1649-1660) que la pratique de
la Cour de l'Échiquier d'alors de nommer les juges
à titre inamovible (quamdiu se bene gesserint) fut
adoptée. La pratique antérieure de soumettre toute
nomination au bon plaisir du Roi fut réintroduite
toutefois avec l'avènement de Charles II et a été
continuée durant le règne de James II. La plupart
sinon tous les anciens juges furent révoqués et
plusieurs des nouveaux juges furent subséquem-
ment révoqués sommairement pour avoir rendu des
décisions avec lesquelles le Souverain n'était pas
d'accord. William III, à son tour, révoqua les juges
en poste au moment de son avènement et choisit
tous les juges parmi les avocats inscrits au barreau,
en opposition avec la pratique courante des Stuarts
de nommer les favoris de la Cour. Tous les juges
nommés par William III étaient nommés à vie et à
titre inamovible.
Ce n'est toutefois qu'après avoir donné la sanc
tion royale à The Act of Settlement (1700) que le
Roi devint légalement obligé de nommer les juges
à titre inamovible. Le Parlement insistait naturel-
lement sur cela pour empêcher le Roi de contrôler
le judiciaire et de neutraliser dans les faits les
pouvoirs du Parlement. L'article 3, alinéa 7 de The
Act of Settlement prévoit ce qui suit (à la page
782 de l'article du professeur Lederman):
[TRADUCTION] ... «la nomination des juges est à titre inamovi-
ble et leur traitement est déterminé et établi; mais ils peuvent
être révoqués sur adresse des deux chambres du parlement».
Cette disposition n'est entrée en vigueur qu'à l'avè-
nement de George I en 1714.
Comme le fait remarquer le professeur Leder-
man, les juges visés dans The Act of Settlement
étaient les juges des Central Courts de common
law. Jusqu'au 19 e siècle, les seuls juges de la
Chancellerie étaient le lord Chancelier et le Maître
des rôles. Ce dernier, de même que les vice-chan-
celiers et les autres juges de la Chancellerie, au fur
et à mesure de la création de leurs charges, furent
également nommés à titre inamovible. Toutefois,
en raison de son double rôle de membre de l'exécu-
tif et de membre du judiciaire, le lord Chancelier
a, jusqu'à ce jour, toujours été nommé pendant le
bon plaisir du Roi. Il demeure le seul membre du
judiciaire en Angleterre avec un mandat de ce
genre.
The Act of Settlement est véritablement le fon-
dement de l'indépendance du judiciaire et du prin-
cipe constitutionnel de la séparation des pouvoirs.
Le Roi pouvait désormais nommer les juges, mais
ne pouvait plus les contrôler après leur nomination.
Quant au Parlement, il était obligé de fournir les
traitements et avait le droit de révoquer un juge
uniquement pour inconduite, sur adresse des deux
Chambres du Parlement au Roi; c'est l'interpréta-
tion qu'on a donnée des mots «quamdiu se bene
gesserint.» Voir Harcourt c. Fox 20 . Certaines auto-
rités en Angleterre prétendent qu'un juge pouvait
et peut encore être révoqué sans avoir recours à
une adresse conjointe des deux Chambres du Par-
lement, sur condamnation par un jury d'une
infraction criminelle. Ce point de vue est toutefois
controversé. Il y a également la possibilité pour le
Parlement d'abolir la fonction. La validité consti-
tutionnelle d'une telle loi dépendrait probablement
20 (1692-93) 89 E.R. 680, 720 et 750.
toutefois de la question d'ordre pratique de savoir
si cette charge judiciaire particulière ne répondait
réellement plus à aucun besoin.
Voici ce que dit le professeur Lederman à la
page 790 sur The Act of Settlement:
[TRADUCTION] De toute façon, le septième alinéa du troi-
sième article de l'Act of Settlement traitait du paiement de
même que de la nature de la charge des juges et prévoyait que
leur traitement devait être «déterminé et établi». Il ne semble
pas qu'on ait jusqu'alors utilisé des pressions pécuniaires de
retenue ou de réduction de traitement pour contrôler les juges,
bien que, comme nous l'avons vu, des traitements inadéquats
comptent parmi les causes des scandales judiciaires de la fin du
treizième siècle. Il y eut des moments où le trésor royal accusait
beaucoup de retard dans le paiement des traitements judiciai-
res, bien que ce n'ait pas été dans le but d'exercer une pression
sur les juges mais il semble que ceux qui ont conçu le règlement
constitutionnel à la fin du dix-septième siècle aient envisagé
cette possibilité et aient tenté d'empêcher que la situation ne se
présente. Il est possible qu'ils aient eu cette possibilité à l'esprit
parce que le Parlement lui-même, depuis longtemps et avec
succès, avait utilisé contre le roi son pouvoir de contrôle sur les
finances. Il est bon de rappeler que le projet de loi auquel
William III opposa son véto en 1692 avait pour objet de
«déterminer et établir» les traitements des juges en en faisant
une charge permanente grevant les revenus héréditaires de la
royauté.
Au cours du dix-huitième siècle, le Parlement prévit dans des
textes de loi le paiement des traitements des juges. En outre, la
position moderne en Angleterre semble être qu'à moins que le
Parlement ne fournisse ou ne promette de fournir un traite-
ment, il n'existe aucune charge judiciaire à combler à laquelle
le souverain puisse nommer quelqu'un. [C'est moi qui
souligne.]
Le professeur Lederman déclare ce qui suit rela-
tivement à la loi de 1760 aux pages 791 et 792:
[TRADUCTION] Le préambule est rédigé en partie comme suit:
Attendu qu'il a plu à votre gracieuse Majesté de déclarer aux
deux chambres du parlement que vous considérez l'indépen-
dance et l'intégrité des juges comme essentielles à l'adminis-
tration impartiale de la justice, comme une des meilleures
garanties des droits et libertés de vos dévoués sujets et
comme contribuant le plus à l'honneur de votre couronne; en
conséquence, votre Majesté a recommandé au parlement de
prévoir que les juges continueront à exercer leurs fonctions
durant bonne conduite, nonobstant le décès de votre Majesté
ou d'un de ses héritiers et successeurs; et votre Majesté a
également exprimé le souhait à ses fidèles communes que
vous puissiez assurer le traitement des juges pendant la durée
de leur charge; et attendu qu'en retour de cette bonté pater-
nelle et compte tenu de votre très grande sollicitude pour la
religion, les lois et les libertés de votre peuple, nous avons pris
cette importante mesure en considération et avons résolu de
permettre à votre Majesté de prendre cette mesure sage,
juste et généreuse:
L'article un de cette loi (sur la continuation des commissions
des juges malgré le décès du souverain) a déjà été cité. L'article
deux réitère simplement le pouvoir royal de révoquer un juge
sur adresse conjointe du Parlement demandant la révocation.
L'article trois est ainsi rédigé:
Et il est statué par ladite autorité que le traitement qui est
attribué aux juges en exercice ou à l'un d'entre eux par loi du
parlement ainsi que le traitement qui a été ou qui sera
attribué par sa Majesté, ses héritiers et successeurs à tout
juge seront désormais et pour toujours payés et payables à
chacun de ces juges tant et aussi longtemps que demeurera
en vigueur leur patente ou commission respective.
L'article quatre venait renforcer l'article trois en prévoyant
que, dans la mesure où les juges dépendaient pour leur traite-
ment de ce que leur avait attribué George III, ces traitements
devaient demeurer une charge sur les impôts et revenus affectés
à la liste civile royale des successeurs de George III après sa
mort. La suite de l'histoire du mode de paiement des juges à
même les fonds publics est complexe, mais la tendance est
constante et le résultat clair. Le fonds consolidé fut créé par
une loi en 1787 et certains des paiements dus aux juges furent
imputés sur celui-ci. Le procédé de l'imputation statutaire sur
le fonds consolidé de toutes les sommes payables au titre de
traitement aux juges était essentiellement terminé en 1799 mais
ne fut complété dans tous les détails qu'en 1875. Nous avons
déjà mentionné que le résultat de cette évolution fut d'empê-
cher toute discussion courante ou frivole sur la conduite des
juges par le Parlement dans le cadre des débats sur les finances.
(Voir The Parliamentary Debates (fifth series) Vol. 90
(1933-34) The House of Lords, lord Rankeillour, à la p. 63 et
vicomte Sankey, L.C., aux pages 77 à 80.)
Lord Herschell dit ce qui suit au nom du Conseil privé dans
([1892] A.C., à la p. 393) au sujet de l'importance de la loi de
1760:
Vos Seigneuries pensent que la loi (1 Geo. 3, c. 23) rendrait
difficile de prétendre que la Couronne pourrait après cette
date nommer d'autres juges pour lesquels le Parlement n'a
pas sanctionné le paiement de leur traitement. Ceci, parce
que le traitement des juges leur était alors assuré, de par
l'autorité du Parlement, pour la durée de leur commission et,
après le décès du Souverain, était imputé au revenu accordé
par le Parlement pour le gouvernement civil du royaume. Il
ressort du préambule de cette loi que, pour assurer leur
indépendance, on a dû vouloir que tous les juges soient dans
cette position, et le Parlement n'a certainement pu avoir
l'intention de permettre au Souverain d'augmenter sans la
sanction du Parlement les charges qui devraient être impo
sées sur les revenus du royaume après le décès du Souverain.
Il semble donc qu'on puisse tirer deux conclusions importantes
sur la position anglaise: (i) le Parlement doit avoir prévu des
fonds pour le paiement d'un salaire pour que soit créée une
charge judiciaire à laquelle le souverain peut nommer un juge,
et (ii) une fois le juge nommé, ce dernier a droit à son
traitement pendant la durée de sa commission, c'est-à-dire à
vie, durant bonne conduite. Tant dans l'Act of Settlement que
dans la loi de 1760, qui avait pour but de rendre cette première
loi plus efficace, l'inamovibilité allait de pair avec une prescrip
tion prévoyant que le traitement des juges devait leur être versé
pendant la durée de leur commission. Sir William Blackstone
n'avait aucun doute que tels étaient l'intention, l'objet et l'effet
de ces deux lois et, pour ce qui concerne la loi de 1760, il est
une autorité contemporaine de son adoption. Dans ses Com
mentaries, publiés en 1765, il dit (Blackstone, ouvrage précité,
note 21, Livre I, aux pp. 267 et 268):
Et maintenant, grâce aux nobles améliorations de cette loi
[l'Act of Settlement], dans la loi 1 Geo. III, c. 23, adoptée
sur la sincère recommandation du roi lui-même, les juges
continueront d'occuper leur charge à titre inamovible, ... et
leur plein traitement leur est absolument garanti pendant la
durée de leur commission .... [C'est moi qui souligne.]
En 1799, pour augmenter le traitement des
juges et surtout pour prévoir une rente viagère en
cas de démission volontaire ou d'incapacité perma-
nente, le Parlement adopta une autre loi, 39 Geo.
III, c. 110, dont l'article 7 est ainsi conçu:
[TRADUCTION] VII. Et qu'il soit statué qu'il sera et pourra
être légal à sa Majesté, ses Héritiers ou Successeurs, par lettres
patentes émises sous le grand sceau de la Grande-Bretagne, de
donner ou d'accorder à toute personne qui exercera ou pourra
avoir exercé la fonction de juge en chef de la Cour du banc du
Roi et qui se sera démise de ses fonctions, une rente ou somme
annuelle n'excédant pas trois mille livres; et à toute personne
qui exercera ou aura exercé la fonction de Maître des rôles,
juge en chef de la Cour des plaids communs, ou baron en chef
de la Cour de l'Échiquier, et qui se sera démise de ses fonctions,
une rente ou somme annuelle n'excédant pas deux mille cinq
cents livres; et à toute personne qui exercera ou aura exercé la
charge de juge puîné des cours du banc du Roi ou des plaids
communs, ou celle de baron de la coiffe de la Cour de l'Échi-
quier et qui se sera démise de ses fonctions, une rente ou somme
annuelle n'excédant pas deux mille livres; lesdites rentes devant
être versées aux personnes auxquelles elles auront été accordées
conformément à ce qui précède à compter de leur démission de
leurs fonctions pour la durée de leur vie; et toute rente ou
somme semblable sera payable à même le Fonds consolidé, et
imputé et imputable à celui-ci et, en respectant l'ordre de
paiement, après le paiement ou la mise de côté d'une somme
suffisante pour payer lesdites rentes attribuées ci-dessus et de
toute somme dont le paiement a été prescrit à même ledit
Fonds par une ou des lois antérieures du Parlement, mais avant
tout autre paiement, tel que mentionné ci-dessus; et ces rentes
seront payées et payables trimestriellement, franches et quittes
de toute taxe et déduction, les quatre jours de paiement ordinai-
res dans l'année susmentionnée, chaque année, en parties
égales, le premier paiement devant être fait le premier jour de
paiement après la démission de la personne à laquelle une telle
rente ou somme annuelle sera accordée: étant entendu toutefois
qu'aucune telle rente ou somme annuelle, accordée à une
personne ayant exercé la charge de juge en chef, Maître des
rôles, baron en chef, juge, ou baron de la coiffe desdites cours
ne sera valide à moins qu'ils n'aient exercé une ou plusieurs
desdites charges pendant quinze ans ou qu'ils ne soient frappés
d'une infirmité permanente, les empêchant d'exercer leurs fonc-
tions, dont mention expresse sera faite dans l'octroi.
Un juge pouvait donc demeurer en poste durant
toute sa vie mais, s'il décidait de se démettre de ses
fonctions, il avait droit à une indemnité annuelle
fixe durant toute sa vie, à condition d'avoir exercé
ses fonctions pendant quinze ans.
Jusque vers 1843, les juges au Canada furent
nommés durant le bon plaisir du Roi. On avait
auparavant fait, sans succès, des tentatives, des
représentations et des recommandations pour que
la fonction ne soit plus amovible. Toutefois, West-
minster s'était montré réticent à renoncer à son
contrôle du judiciaire dans les colonies. Compte
tenu de la pauvreté des moyens de communication
à l'époque et de la façon dont les lois étaient
administrées dans certaines colonies, une telle poli-
tique était compréhensible. Jusqu'à cette époque,
dans certains cas, des juges étaient nommés à titre
inamovible en ce qui concerne les législatures ou
assemblées locales, mais seulement durant le bon
plaisir du Roi en ce qui concerne la mère patrie.
Ni la durée des fonctions ni la garantie du traite-
ment des juges des colonies n'étaient inscrites dans
la Constitution.
Il faut noter ici toutefois que les juges aux
Canada et ailleurs en Amérique du Nord britanni-
que, à l'opposé des juges du Royaume-Uni de
l'époque, n'étaient pas obligés de restreindre leurs
activités à leurs fonctions judiciaires. La plupart
d'entre eux occupaient des postes clés lucratifs
dans le gouvernement des colonies, et étaient par
exemple membres actifs des assemblées législatives
et des conseils législatifs ou exécutifs et occupaient
d'autres postes de l'administration publique.
En 1831, le vicomte Goodrich, secrétaire aux
Colonies, écrivit à Aylmer, le gouverneur du
Canada, l'avisant qu'il plairait au Roi qu'une loi
soit adoptée par le Conseil législatif et l'Assemblée
législative du Bas-Canada déclarant que les juges
des cours suprêmes seraient inamovibles, à condi
tion que [TRADUCTION] «soit prévu un traitement
permanent adéquat pour les juges.» Cette mesure
était également assujettie à la condition qu'aucun
juge ne serait désormais nommé au Conseil exécu-
tif ou législatif de la province et qu'il n'y voterait
pas, à l'exception du juge en chef du Québec qui
demeurerait membre du Conseil législatif pour
participer à la rédaction des lois. Le projet de loi
fut adopté par la Législature mais le Conseil légis-
latif ne l'a pas sanctionné. Ce n'est qu'en 1843, à
la suite d'une recommandation faite par lord
Durham en 1839, que la Législature canadienne
adopta une loi qui prévoyait la nomination des
juges des cours supérieures à titre inamovible. Le
professeur Lederman cite à cet égard l'historien
Edward Kylie à la page 1151:
[TRADUCTION] En 1843, une loi de la législature canadienne
déclarait qu'il `convenait de rendre indépendants de la Cou-
ronne les juges de la Cour du banc du Roi dans la partie de
cette province qui constituait auparavant la province du Bas-
Canada'. Ces juges devaient désormais occuper leur charge
durant bonne conduite, non durant le bon plaisir de sa Majesté,
et ne pouvaient être révoqués que sur adresse conjointe du
conseil législatif et de l'assemblée législative. En 1849, le même
principe fut appliqué à la Cour du banc de la Reine et à la Cour
supérieure nouvellement constituée au Bas-Canada ainsi qu'à la
Cour des plaids communs et à la Cour de la Chancellerie au
Haut-Canada .... Entre-temps, on achevait de donner effet à
l'interdiction pour les juges de faire partie des corps exécutif et
législatif. Il n'était permis à aucun juge d'une cour constituée
au Bas-Canada de siéger ou de voter au conseil exécutif ni au
conseil législatif ou à l'assemblée législative .... Les juges des
... cours du Haut-Canada furent également limités à l'exercice
de leurs fonctions particulières.
En 1849, l'article VI de la loi 12 Vict. (Province
du Canada) c. 63, qui s'inspirait indubitablement
de la loi britannique de 1799 dont j'ai déjà parlé,
reconnaissait aux juges le privilège de prendre leur
retraite s'ils le voulaient après quinze ans de ser
vice ou s'ils étaient affligés d'une infirmité perma-
nente. Ils avaient alors droit, durant leur retraite, à
une rente viagère égale aux deux tiers de leur
traitement annuel.
L'année précédente, en 1848, les juges de la
Nouvelle-Ecosse devinrent inamovibles, sécurité
dont ils jouiraient désormais en même temps que
la garantie de traitement, tel que prévu dans l'Act
of Settlement et la loi de 1760, toutes deux d'An-
gleterre. Ils ne pouvaient depuis lors être révoqués
de leurs fonctions que pour mauvaise conduite ou
pour incapacité, sur adresse conjointe du Conseil
législatif et de l'Assemblée législative. Ils jouis-
saient également d'un droit additionnel en ce sens
que toute décision concernant leur révocation ne
prendrait effet qu'après approbation du Conseil
privé. Ils avaient, avant 1848, été empêchés de
participer désormais aux pouvoirs exécutif ou
législatif du gouvernement ou d'y jouer quelque
rôle que ce soit.
Il est donc clair que près de vingt ans avant la
Confédération, les juges canadiens étaient nommés
à titre inamovible et étaient assurés d'un plein
traitement à vie ou d'une pension s'ils tombaient
malades ou si, après quinze ans de service, ils
désiraient volontairement prendre leur retraite. Ce
relâchement de l'autorité du Royaume-Uni sur les
colonies qu'il lui restait en Amérique du Nord
était sans aucun doute attribuable dans une large
mesure à la leçon tirée de ses politiques antérieu-
res, qui avaient mené à la Révolution américaine.
Ce qui nous amène à l'Acte de l'Amérique du
Nord britannique, 1867. Aux fins de l'examen de
l'aspect constitutionnel et du contexte historique, il
est important d'examiner l'A.A.N.B. tel qu'il exis-
tait avant 1960, par opposition à l'état de la Cons
titution après cette date. L'article 99 de 1'A.A.N.B.
fut modifié à cette époque par l'article 1 de 9 Eliz.
II, c. 2 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 36]
appelé l'A.A.N.B., 1960. Jusqu'à cette époque, les
juges étaient nommés à vie et pouvaient exercer
leurs fonctions à vie. Par cette modification, les
juges étaient tenus de prendre leur retraite à 75
ans. A tous les autres égards, l'article 99 tel qu'il
existait au moment de la Confédération, n'a jamais
été modifié. A l'origine, il était conçu dans les
termes suivants:
99. Les juges des cours supérieures resteront en charge
durant bonne conduite, mais ils pourront être démis de leurs
fonctions par le gouverneur général sur une adresse du Sénat et
de la Chambre des Communes.
Il est actuellement rédigé en ces termes:
99. (1) Sous réserve du paragraphe (2) du présent article, les
juges des cours supérieures resteront en fonction durant bonne
conduite, mais ils pourront être révoqués par le gouverneur
général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des
Communes.
(2) Un juge d'une cour supérieure, nommé avant ou après
l'entrée en vigueur du présent article, cessera d'occuper sa
charge lorsqu'il aura atteint l'âge de soixante-quinze ans, ou à
l'entrée en vigueur du présent article si, à cette époque, il a déjà
atteint ledit âge.
L'article 100 n'a jamais été modifié. Il se lit
comme suit:
100. Les salaires, allocations et pensions des juges des cours
supérieures, de district et de comté (sauf les cours de vérifica-
tion dans la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick) et des
cours de l'Amirauté, lorsque les juges de ces dernières sont
alors salariés, seront fixés et payés par le parlement du Canada.
J'ai à l'occasion entendu des juges de cours
supérieures parmi les plus anciens, nommés avant
le 29 décembre 1960, mettre en doute la constitu-
tionnalité de la modification de l'article 99 dans la
mesure où elle s'appliquait à eux. Ils se conten-
taient toutefois de se plaindre et de critiquer sans
jamais, à ma connaissance, attaquer cette loi en
justice.
Pour ce qui a trait à l'importance de ces deux
articles et de l'article 96, voici ce qu'en dit lord
Atkin dans Toronto Corporation c. York
Corporation 21 , aux pages 425 et 426:
[TRADUCTION] La première question touche un domaine
d'importance capitale pour le peuple canadien. Alors que le
pouvoir législatif relatif à la création, au maintien et à l'organi-
sation de tribunaux de justice pour la province, y compris la
procédure en matières civiles dans ces tribunaux, est confié à la
province, l'indépendance des juges est protégée par les disposi
tions prévoyant que les juges des cours supérieures, de district
et de comté sont nommés par le gouverneur général (art. 96 de
l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867), que les juges
des cours supérieures seront inamovibles (art. 99), et que les
salaires, allocations et pensions des juges des cours supérieures,
de district et de comté seront fixés et payés par le parlement du
Canada (art, 100). Ce sont là trois piliers principaux du temple
de la justice, et il ne faut pas les détruire. [C'est moi qui
souligne.]
Sur ce même sujet, le professeur Lederman dit
ce qui suit à la page 1158 du même article:
[TRADUCTION] Les dispositions judiciaires de la loi constitutive
de la fédération (1867, (30-31 Vict., c. 3)), établissent claire-
ment que les provinces constituantes et le nouvel État devaient
continuer de se conformer au modèle du pouvoir judiciaire
anglais. A cet égard, comme à d'autres, il devait y avoir «une
Constitution reposant sur les mêmes principes que celle du
Royaume-Uni».
Et à la page 1160:
[TRADUCTION] En vertu de l'article 96, la nomination des juges
des cours supérieures des provinces demeure une prérogative
royale devant désormais être exercée par le gouverneur général
sous le contrôle du cabinet fédéral. Aussi, les articles 97 et 98
prévoient que ces juges doivent être des avocats membres du
barreau de leur province respective. L'article 99 reprend mani-
festement assez fidèlement les fameuses dispositions relatives à
l'inamovibilité et à la révocation sur adresse conjointe du
Parlement que l'on trouve dans l'Act of Settlement. Enfin,
l'article 100 exige que les salaires des juges des cours supérieu-
res soient «fixés et payés par le parlement du Canada». L'Act of
Settlement prévoyait que les salaires devaient être «déterminés
et établis», mais il semble évident que les termes «fixés et payés»
devaient avoir la même signification. Il convient donc de con
2) [1938] A.C. (C.P.) 415.
clure que la situation des juges des cours supérieures des
provinces était assimilée, pour ce qui concerne la nomination, la
durée de la charge, la révocation et la garantie du traitement, à
celle des juges des cours supérieures d'Angleterre au lendemain
de l'Act of Settlement. [C'est moi qui souligne.]
Après la Confédération et jusqu'à l'amendement
constitutionnel de 1960, la Loi sur les juges a été
modifiée comme suit:
1. Acte à l'effet de modifier l'Acte des cours
Suprême et de l'Echiquier, etc., S.C. 1887,
50-51 Vict., c. 16, articles 4 et 6:
A cette époque, les juges de la Cour suprême du
Canada et de la Cour de l'Échiquier étaient
nommés à titre inamovible: en vertu de cet Acte,
ils pouvaient prendre leur retraite après 15
années de service ou plus tôt pour cause
d'infirmité.
2. Acte modifiant la loi concernant les pensions
des juges des cours provinciales, S.C. 1895,
58-59 Vict., c. 39, article 1:
La pension accordée aux juges ayant exercé
leurs fonctions pendant quinze ans ou plus ou
qui sont frappés d'une incapacité ou d'une infir-
mité permanente peut être accordée sur démis-
sion; pension viagère égale aux deux tiers du
traitement.
Note: Il n'est pas expressément imposé à l'exé-
cutif de décider si cela est dans le meilleur
intérêt de la justice.
3. Acte modifiant l'Acte des cours Suprême et
de l'Echiquier, l'Acte de la cour de l'Echiquier
et l'Acte concernant les juges des cours provin-
ciales, S.C. 1903, 3 Ed. VII, c. 29, article 1:
Cette modification prévoyait une autre possibi-
lité de retraite pour les juges: les juges de la
Cour suprême du Canada ou de la Cour de
l'Échiquier ou de toute cour supérieure pou-
vaient prendre leur retraite avec traitement inté-
gral à l'âge de 75 ans, après 20 ans de service ou
à l'âge de 70 ans, après 25 ans de service, ou,
peu importe leur âge, après 30 ans de service.
4. La Loi des juges, S.R.C. 1906, c. 138, article
20:
Augmentation de la pension de retraite la ren-
dant égale au traitement intégral si la retraite
est prise à l'âge de 75 ans et que le bénéficiaire a
occupé sa charge pendant 20 ans ou plus ou à
l'âge de 70 ans s'il a occupé sa charge pendant
25 ans ou à l'âge de 65 ans s'il a occupé sa
charge pendant 30 ans.
5. Loi portant modification de la Loi des juges,
S.C. 1919, 9-10 Geo. V, c. 59, article 11:
Cette modification prévoit qu'aucune pension
n'est versée à un juge cessant d'exercer ses
fonctions après 15 années de service à moins que
le gouverneur en conseil ne soit d'avis que cette
démission est dans l'intérêt public. Voir l'article
11. Il est à remarquer que cette nouvelle disposi
tion ne s'applique pas à la retraite après 30 ans
de service ni à celle après 20 ans ou 25 ans de
service lorsque le juge est âgé de 75 ans ou de 70
ans. L'article 11 ne s'applique pas aux juges des
cours de comté qui sont obligés de prendre leur
retraite à cause de leur âge. Cette loi suggère
qu'avant 1919, le gouverneur en conseil n'avait
pas le pouvoir discrétionnaire de refuser une
pension à un juge qui démissionnait après 15
années de service. Il se peut fort bien que l'arti-
cle 11 du chapitre 59 ait été inconstitutionnel
parce que contraire à l'article 100 de l'A.A.N.B.
et qu'il portait atteinte aux droits dont les juges
bénéficiaient, au Canada, depuis 1849 et, en
Angleterre, depuis 1799. De toute façon, à
compter de 1919, le gouverneur en conseil
n'avait pas encore le pouvoir discrétionnaire de
refuser une pension de retraite à un juge qui
démissionnait après 20 ans de service et qui était
âgé de 75 ans ou après 25 ans de service et qui
était âgé de 70 ans ni à un juge qui démission-
nait après 30 ans de service.
6. Loi modifiant la Loi des juges, S.C. 1927, 17
Geo. V, c. 33, article 2:
Cette année-là, les juges de la Cour suprême du
Canada et de la Cour de l'Échiquier ont été
obligés de prendre leur retraite à l'âge de 75 ans.
L'article 2 de cette Loi prévoyait des pensions
aux juges qui devaient prendre leur retraite et
évidemment, aucun article de la Loi des juges
ne prévoyait que le gouverneur en conseil avait
le pouvoir discrétionnaire d'accorder ou de refu-
ser une pension à ces juges.
7. La Loi des juges, S.R.C. 1927, c. 105, articles
23 et 24:
Les articles 23 et 24 de cette Loi confirmaient la
situation courante à l'époque relativement aux
pensions de retraite:
(i) l'article 23 portait sur le cas de la retraite
volontaire après 15 ans de service, peu
importe l'âge du juge. La retraite volontaire
était assujettie à l'opinion du gouverneur en
conseil quant à savoir si elle était dans l'inté-
rêt public: voir le paragraphe 3 de l'article 23.
La pension était égale aux 2 / 3 du traitement du
juge;
(ii) l'article 24 traitait de la retraite après 30
ans de service peu importe l'âge et après 25
ans et 20 ans de service si le juge était âgé de
70 ou de 75 ans respectivement: aucun pou-
voir discrétionnaire n'était attribué au gouver-
neur en conseil;
(iii) le paragraphe 2 de l'article 24 portait sur
le cas des juges de la Cour suprême du
Canada et de la Cour de l'Échiquier qui
étaient obligés de prendre leur retraite à 75
ans: aucun pouvoir discrétionnaire n'était
accordé au gouverneur en conseil.
. Loi modifiant la Loi des juges, S.C. 1930,
0-21 Geo. V, c. 27, article 1:
ette modification précisait que les dispositions
u chapitre 33 de 17 Geo. V adopté en 1927 ne
appliquaient pas rétroactivement et que les
figes de la Cour suprême du Canada ou de la
'our de l'Échiquier nommés avant le 31 mars
927 et qui avaient été obligés de prendre leur
;traite à 75 ans devaient recevoir une pension
e retraite égale à leur traitement même s'ils
'avaient pas exercé leurs fonctions pendant 10
ris. Il est évident que le paiement du traitement
itégral à ces juges ne dépendait pas de la
iscrétion du gouverneur en conseil.
. Loi modifiant la Loi des juges (Pensions),
.C. 1944, 8 Geo. VI, c. 45, article 1:
'ette Loi prévoyait que le juge avait le droit de
hoisir de continuer à recevoir les prestations de
ension de retraite qu'il recevait alors conformé-
lent aux lois existantes ou d'accepter le nou-
mu plan d'une pension réduite pour le juge
ccompagnée d'une rente viagère pour sa
mme, payable à elle tant avant qu'après le
écès du juge.
O. La Loi de 1946 sur les juges, S.C. 1946, 10
eo. VI, c. 56, article 23:
'ette Loi abrogeait le droit des juges des cours
ipérieures de recevoir leur traitement intégral
leur retraite après 30 ans de service peu
nporte leur âge ou après 25 ans ou 20 ans de
rvice s'ils étaient âgés de 70 ans ou de 75 ans.
outefois la Loi préservait le droit pour le juge
de cesser d'occuper sa charge à tout âge après
15 ans de service pourvu que le gouverneur en
conseil soit d'avis que cette démission était dans
l'intérêt public. Voir l'article 28. Mais l'article
23 qui prévoyait la retraite des juges de la Cour
suprême du Canada ou de la Cour de l'Échi-
quier à l'âge de 75 ans et le paiement de pen
sions aux juges n'était pas assujetti à l'opinion
du gouverneur en conseil. Les dispositions de
l'article 28 ne s'appliquaient pas à l'article 23.
Il y a une ou deux autres modifications qui ne sont
pas pertinentes en l'espèce.
Donc, avant 1960, année où l'A.A.N.B. fut
modifié, les juges devaient recevoir leur traitement
intégral leur vie durant. Depuis 1849 toutefois, ils
avaient, comme les juges d'Angleterre depuis
1799, le privilège de prendre leur retraite après
quinze ans de service et de recevoir leur vie durant
une pension sans cotisation égale aux deux tiers de
leur traitement annuel, pourvu toutefois que le
gouverneur général en conseil fût d'avis que cette
retraite était dans l'intérêt public. Ils avaient éga-
lement le droit de prendre leur retraite et de
recevoir la pension s'ils devenaient incapables
d'exercer leurs fonctions en raison d'incapacité
mentale ou physique. Comme je l'ai déjà dit, j'ai
certains doutes quant à la constitutionnalité de ce
pouvoir discrétionnaire accordé au gouverneur
général en conseil surtout parce que la fonction
judiciaire d'un juge d'une cour supérieure provin-
ciale relève des deux paliers de pouvoir et ne peut
être modifiée substantiellement sans amendement
constitutionnel. De toute façon, le pouvoir discré-
tionnaire du gouverneur général ne s'étend qu'à la
question de savoir si la retraite projetée est dans
l'intérêt public. Lorsque la réponse à cette question
est affirmative, le juge a encore, comme il l'a
toujours eu, le droit absolu de recevoir une pension
sa vie durant. En d'autres termes, il n'existe aucun
pouvoir discrétionnaire quant à savoir si une
indemnité annuelle devrait être versée après qu'il a
été décidé que la retraite est dans l'intérêt public.
La modification de l'A.A.N.B. en 1960 prévoit
pour la première fois la retraite obligatoire à l'âge
de 75 ans et les articles 23 à 25 de la Loi sur les
juges furent modifiés en conséquence par S.C.
1960, c. 46 qui prévoit ce qui suit:
(i) Retraite volontaire après 15 ans de service
peu importe l'âge si le gouverneur en conseil
est d'avis que cette retraite contribue à la
meilleure administration de la justice ou est
dans l'intérêt national;
(ii) Retraite à l'âge de 75 ans après 10 ans de
service, aucun pouvoir discrétionnaire n'étant
conféré à cet égard au gouverneur en conseil;
(iii) Retraite volontaire à l'âge de 70 ans
après 15 ans de service, aucun pouvoir discré-
tionnaire n'étant conféré à cet égard au gou-
verneur en conseil;
(iv) Retraite pour motif d'infirmité perma-
nente, aucun pouvoir discrétionnaire n'étant
conféré à cet égard au gouverneur en conseil.
Avant d'obtenir cette modification de
l'A.A.N.B., le gouvernement fédéral a pris la pré-
caution d'obtenir le consentement de toutes les
provinces à cause de leur compétence en matière
d'administration de la justice. D'après le livre
blanc Favreau, on était d'avis que cette question
(retraite d'office) intéressait directement les pro
vinces. Une autre modification, édictée par S.C.
1970-71-72, c. 55, donnait aux juges le droit de
prendre leur retraite après 15 ans de service à
condition d'être âgés d'au moins 65 ans.
Ce n'est que le 20 décembre 1975 que les juges
des cours supérieures furent tenus de contribuer à
leur pension qui était payable leur vie durant. A
cause de l'obligation légale constitutionnelle du
Parlement de payer un juge sa vie durant en vertu
de The Act of Settlement et de la loi de 1760 mais
aussi, ce qui est plus important, parce que les
pouvoirs du Parlement du Canada, au contraire de
ce qui a cours au Royaume-Uni, sont assujettis à
la compétence des provinces sur l'administration
de la justice, tel que prévu dans les articles de
l'A.A.N.B. que j'ai déjà mentionnés, il se pose la
question de savoir si le Parlement a le droit d'exi-
ger des juges qu'ils contribuent à leur propre pen
sion sans amendement constitutionnel ou consente-
ment des provinces. Cette question précise n'a
toutefois pas à être tranchée pour arriver à une
décision en l'espèce.
La défenderesse prétend que le demandeur n'a
jamais en droit eu droit aux pensions prévues aux
articles 23 et 25 de la Loi sur les juges ni aux
prestations de retraite supplémentaires prévues
dans la Loi sur les prestations de retraite supplé-
mentaires parce que les articles 23 et 25 de la Loi
sur les juges prévoient que «le gouverneur en
conseil peut accorder ...» et que, comme le mot
«peut» implique une discrétion, aucun juge nommé
par le fédéral n'a un droit légal aux pensions
prévues par cette Loi et par la Loi sur les presta-
tions de retraite supplémentaires. Cet argument
est évidemment fondé sur l'article 28 de la Loi
d'interprétation 22 qui prévoit que le terme «peut»
dans un texte législatif exprime une faculté.
L'argument du demandeur en réponse à cela est
fondé sur la règle maintenant bien connue selon
laquelle nonobstant le fait que les mots d'une loi
n'expriment qu'une faculté et ne font que conférer
un pouvoir, il se peut néanmoins qu'il existe, con-
curremment avec ce pouvoir, un devoir légal pour
la personne auquel il est conféré de l'exercer (voir
Julius c. Lord Bishop of Oxford 23 ; R. c.
Adamson 24 ; R. c. Cambridge 25 ; R. c. Finnis 26 ; R.
c. Boteler 27 ; R. c. Evans 28 ; et Thyssen Mining
Construction of Canada Ltd. c. La Reine 29 ). On a
soumis de nombreux arguments juridiques à la
Cour et on a cité un grand nombre d'arrêts et
d'auteurs pour déterminer quel principe l'emporte-
rait dans le cas de chacune des diverses disposi
tions de ces articles. Compte tenu toutefois du fait
que ma décision en l'espèce découle d'un argument
d'ordre plus général du demandeur qui s'applique
particulièrement en l'espèce, et que j'examinerai
maintenant, je ne crois pas qu'il soit approprié de
décider laquelle de ces dispositions, le cas échéant,
confère un droit légal ferme.
L'argument d'ordre général qui s'applique parti-
culièrement au cas du demandeur porte qu'en
vertu de la Constitution, le Parlement ne pouvait,
le 20 décembre 1975, diminuer, réduire ou baisser
le traitement fixé et établi ni les autres avantages
du demandeur auxquels il avait droit à compter de
sa nomination le 24 juillet 1975.
Je n'ai aucun doute que les émoluments ou
avantages additionnels, tels le droit à la pension
22 S.R.C. 1970, c. I-23.
23 [1874-80] All E.R. (Rep.) 43; (1880) 5 App. Cas. 214, aux
pp. 225 et 241.
24 [1875] 1 Q.B.D. 201.
25 (1839) 8 Dowl. 89.
26 (1859) 28 L.J. 263; M.C. 201.
27 (1864) 33 L.J. 129; M.C. 101.
26 (1890) 54 J.P. 471.
29 [1975] C.F. 81, la p. 88.
pour le juge lui-même, la protection qui lui est
donnée contre l'inflation ou celle donnée aux per-
sonnes à sa charge en cas de décès, faisaient
réellement partie du traitement ou de l'indemnité
auquel le demandeur avait droit à compter du
moment de sa nomination, de la même façon que si
un traitement réel avait été versé au lieu de ces
avantages. Il est très clair aussi qu'il avait à cette
époque plein droit à son traitement sans aucune
déduction si ce n'est celles applicables à tous les
citoyens conformément aux lois d'ordre général
telles les lois de l'impôt sur le revenu et sur la
pension de vieillesse.
J'ai déjà cité l'article 3 de la loi de 1760 qui
complétait The Act of Seulement mais je le cite de
nouveau par souci de commodité:
[TRADUCTION] III. Et il est statué par ladite autorité que le
traitement qui est attribué aux juges en exercice ou à l'un
d'entre eux par loi du parlement ainsi que le traitement qui a
été ou qui sera attribué par sa Majesté, ses héritiers et succes-
seurs à tout juge seront désormais et pour toujours payés et
payables à chacun de ces juges tant et aussi longtemps que
demeurera en vigueur leur patente ou commission respective.
[C'est moi qui souligne.]
En raison de la réticence naturelle des juges
d'aller en justice quand leur traitement ou autres
droits sont affectés, il existe très peu de jurispru
dence en la matière. Depuis The Act of Settle
ment, plusieurs auteurs, autorités en matière cons-
titutionnelle et hommes d'État renommés ont
toutefois traité de ce sujet précis. Un exemple de la
réticence du judiciaire de porter devant les tribu-
naux des questions qui l'intéressent s'est présenté
en Angleterre au moment de l'adoption de la
National Economy Act en 1931. J'ai déjà parlé de
cette question et du fait que les juges y ont fait
face en envoyant un mémoire sur la question au
Premier ministre. Les parties importantes du texte
sont reproduites dans l'article du professeur Leder-
man (ibid., aux pages 793 et 794):
[TRADUCTION] Le gouvernement ordonna que le traitement
des juges, ainsi que celui de bien d'autres, soit réduit d'un
cinquième, mais la constitutionnalité de cette mesure fut mise
en doute par un bon nombre de personnes. Sir William Holds-
worth prétendit que les juges n'étaient pas «au service de Sa
Majesté» au sens de la National Economy Act. Seuls des
fonctionnaires auxquels il pourrait être dit au nom de la
Couronne comment exercer leurs fonctions (a-t-il dit) pour-
raient être considérés comme «employés» ou «au service de» Sa
Majesté. (Holdsworth, The Constitutional Position of Judges
(1932), 48 L.Q. Rev. 25.) Comme nous l'avons déjà vu, le
pouvoir royal de donner des directives aux juges dans ce sens
était en voie de disparition en 1328.
Le professeur E. C. S. Wade s'inscrivit en faux contre
Holdsworth, (E. C. S. Wade, His Majesty's Judges (1932), 173
Law Times, aux pp. 246 et 267. On trouve la réponse de
Holdsworth dans ce même volume à la page 336) faisant valoir
que les juges pouvaient être considérés à bon droit comme «au
service de Sa Majesté» et qu'il découlait de l'interprétation de
la loi que les mots en cause devaient comprendre les juges. Les
porte-parole du gouvernement adoptèrent la même position et
les coupures furent effectuées. Mais le fait le plus important fut
que les juges eux-mêmes envoyèrent un mémoire confidentiel à
ce sujet au Premier ministre le 4 décembre 1931, mémoire qui
devint public lorsqu'il fut versé au dossier de la Chambre des
Lords le 24 juillet 1933 par le lord Chancelier à la demande du
juge en chef et du Maître des rôles. (Reproduit à compter de la
p. 103 de (1933), 176 Law Times. La citation ne comprend pas
la totalité de ce mémoire.) Il ressort clairement de ce document
unique que les juges eux-mêmes étaient tout à fait d'accord
avec Sir William Holdsworth:
Les juges de la Cour souveraine de justice de Sa Majesté
croient qu'il est de leur devoir de soumettre certaines consi-
dérations relativement aux récentes réductions du traitement
payable aux juges qui semblent avoir été oubliées.
Nous sommes d'avis qu'il ne fait aucun doute que les juges
ne sont pas dans la même position que celle des fonctionnai-
res. Ils sont nommés à des dignités d'importance exception-
nelle. Ils occupent une place vitale dans la constitution de ce
pays. Ils agissent à titre d'arbitres à la fois entre la Couronne
et l'exécutif et entre l'exécutif et le sujet. Ils doivent exercer
les fonctions les plus importantes et les plus lourdes de
conséquences. Il a depuis plus de deux siècles été considéré
essentiel que leur sécurité matérielle et leur indépendance
devraient rester à l'abri de toute atteinte.
L'Act of Settlement le prévoyait expressément dans les
termes suivants: `Qu'après que ladite limitation entrera en
vigueur comme il a déjà été dit, les commissions des juges
seront faites quamdiu se bene gesserint, et leur traitement
déterminé et établi; mais ils pourront être révoqués sur
adresse des deux Chambres du Parlement' .... En outre,
l'art. 12 de la loi 2 et 3 Will. 4, c. 116, exemptait les juges
d'impôt.
Quelqu'un a dit il y a très longtemps qu'il ne peut y avoir
de véritable liberté dans un pays où les juges ne sont pas
complètement indépendants du gouvernement; et le bien-
fondé de cette remarque n'a jamais été mis en doute. L'art.
III de la Constitution des États-Unis d'Amérique est ainsi
rédigé: `Le pouvoir judiciaire des États-Unis est attribué à
une Cour suprême et aux tribunaux inférieurs que le Congrès
pourra ordonner et établir. Les juges de la Cour suprême et
des tribunaux inférieurs occuperont leur charge à titre ina-
movible et recevront aux époques déterminées, en contrepar-
tie de leurs services, une rémunération qui ne pourra être
diminuée tant qu'ils exerceront leur fonction'.
A cet égard, notre pays a donné un exemple au monde
entier et nous croyons que le respect qu'a le peuple pour un
juge anglais est en partie attribuable à sa position unique, un
sentiment qui ne survivra qu'avec difficulté si son traitement
peut être réduit comme s'il était un employé ordinaire de la
Couronne qui touche un traitement.
C'est parce que ce point de vue est généralement partagé
que d'une part les traitements des juges de la Haute Cour
n'ont jamais fait l'objet d'un vote à la Chambre des commu
nes mais ont été imputés sur le Fonds consolidé et que,
d'autre part, les juges occupent leur poste, comme il a été dit
ci-dessus, à titre inamovible et ne peuvent être révoqués que
sur adresse des deux Chambres du Parlement à la Couronne.
Si les traitements des juges peuvent être réduits presque
sub silentio par les méthodes employées récemment, l'indé-
pendance de la magistrature subit une sérieuse atteinte. Il
n'est pas sage d'exposer les juges de la Haute Cour à la
suggestion, quelque malveillante et mal fondée qu'elle puisse
être, que si leurs décisions sont favorables à la Couronne
dans des affaires portant sur le revenu et dans d'autres cas,
leurs traitements pourront être augmentés et, que si elles sont
défavorables, ils pourront être diminués.
Nous devons exprimer notre profond regret qu'il n'a pas
été donné aux juges la possibilité d'offrir sur une base
volontaire une réduction de leur traitement pour une période
appropriée; mais nous sommes conscients du fait que le
gouvernement faisait face à une difficulté grave et que le
temps de réflexion était très court .... [C'est moi qui
souligne.]
La loi fut retirée dans la mesure où elle touchait
aux juges. Il est intéressant de noter ici que cet
avis, cette protestation adressée au Premier minis-
tre par la magistrature du Royaume-Uni a été
présentée au point le plus bas de la grande dépres-
sion quand le chômage avait atteint des niveaux
inconnus jusqu'alors, que les prix s'étaient effon-
drés et que les salaires de ceux qui avaient encore
la chance d'avoir un emploi dans les secteurs privé
ou public avaient été réduits de façon substantielle.
Il ne semblait y avoir aucun doute quant à l'oppor-
tunité politique de cette loi. Les objections soule-
vées par les juges étaient fondées uniquement sur
des motifs d'ordre constitutionnel.
La grande majorité des juristes et des autorités
en droit constitutionnel d'hier et d'aujourd'hui sont
d'avis qu'une fois le juge nommé, son salaire est
inviolable tant qu'il exerce ses fonctions.
On trouve le passage suivant dans Commentar
ies on the Laws of England 30 de Blackstone à «Of
the Rights of Persons», aux pages 267 et 268:
[TRADUCTION] Et, afin de préserver et la dignité et l'indépen-
dance des juges des cours supérieures, il est statué par la loi 13
W. III, c. 2 qu'ils seront nommés (non pas, comme jusqu'alors,
durante bene placito, mais) quamdiu bene se gesserint, et leurs
traitements déterminés et établis; mais qu'on pourra les révo-
quer sur adresse des deux chambres du Parlement. Et mainte-
nant, grâce aux améliorations apportées à cette loi par la loi I
Geo. III, c. 23, adoptée sur la sincère recommandation du roi,
3° (15' édition) Livre I, Chapitre 7.
les juges exerceront leurs fonctions durant bonne conduite,
nonobstant toute passation de la couronne, (qui jusqu'alors
était considérée comme libérant immédiatement leur poste) et
leur traitement intégral leur est absolument garanti pendant la
durée de leur commission; ayant plu à sa majesté de déclarer
qu'ail considérait l'indépendance et l'intégrité des juges comme
essentielles à l'administration impartiale de la justice, comme
une des meilleures garanties des droits et libertés de ses sujets,
et comme contribuant le plus à l'honneur de la couronne.»
Dans la publication Judges on Trial, A Study of
the Appointment and Accountability of the Eng-
lish Judiciary 31 , Shimon Shetreet déclare aux
pages 35 et 36 qu'il semble que le traitement des
juges ait été réduit plusieurs fois au 19e siècle mais
ajoute dans une note en bas de page qu'il semble
que le gouvernement de l'époque ait obtenu le
consentement des juges intéressés. Plus loin, com-
mentant le projet de réduire par voie administra
tive le traitement des juges en Angleterre durant la
dépression en vertu de la National Economy Act,
1931, il ajoute à la même page de cet ouvrage:
[TRADUCTION] Les juges protestèrent avec vigueur contre la
réduction. Dans une rencontre avec le Premier ministre et dans
un mémoire collectif adressé au lord Chancelier, qui fut subsé-
quemment lu devant la Chambre des Lords, ils firent valoir que
l'indépendance du pouvoir judiciaire serait affectée si leur
traitement était réduit de cette façon. Enfin, le gouvernement
fit marche arrière et la réduction du traitement des juges fut
annulée.
Le jugement définitif sur la réduction du traitement des
juges est contesté. Le professeur Heuston pense qu'il ne fait
`presque aucun doute que dans la controverse des années 30, les
juges avaient la position la plus solide sur le plan du droit'. Cet
avis trouve un appui dans la pratique parlementaire d'éviter
toute réduction de traitement ou modification des conditions de
la charge des juges existants sans d'abord obtenir leur consente-
ment. Mais le point de vue opposé, que ni l'inamovibilité des
juges ni l'indépendance du pouvoir judiciaire ne furent affectées
par des mesures déflationnistes d'application universelle, a éga-
lement du mérite.
Sur la question de savoir si le traitement des juges
a jamais été réduit en Angleterre, le professeur
Lederman doute que l'indemnité annuelle globale
ait jamais été réduite. Il déclare (ibid., à la p.
795):
[TRADUCTION] Les changements que mentionne Holdsworth
dans son History semblent tous être des augmentations, (voir
Holdsworth, Vol. I, pp. 252 à 254 et 262) bien qu'il soit difficile
de déterminer avec certitude quel fut l'effet net lorsque le mode
de paiement, soit des charges sur des taxes spéciales et sur les
revenus royaux, était lentement remplacé par des charges sur le
fonds consolidé, et lorsqu'on était en train d'éliminer progressi-
3' (1976) édité par Gordon J. Borne, University of
Birmingham.
vement le patronage et les honoraires comme sources de revenu
des juges.
Afin de réduire le traitement des juges de 10%
pendant la dépression, comme on l'a fait pour tous
les fonctionnaires de la Fonction publique par une
loi directe et pour éviter la difficulté constitution-
nelle attribuable au statut spécial du judiciaire, le
gouvernement canadien a fait adopter par le Parle-
ment la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu 32
qui autorisait l'imposition d'une taxe spéciale de
10% applicable seulement aux juges. La défende-
resse a souligné ce fait pour tenter de démontrer
que le Parlement avait le droit de réduire le traite-
ment des juges. Cette loi n'a jamais été contestée
par les juges pour la raison évidente que tous les
employés du secteur public subissaient une réduc-
tion de revenu de 10% et que les employés du
secteur privé subissaient encore davantage les
effets de la dépression. Il me semble clair qu'indé-
pendamment de la position constitutionnelle des
juges, si on avait contesté cette loi, elle aurait été
déclarée nulle et non avenue en tant que loi d'im-
pôt parce qu'établissant clairement une discrimi
nation illicite contre les juges en tant que catégorie
distincte du reste de la population.
Le professeur Lederman dit ce qui suit concer-
nant cette loi (ibid., aux pages 1163 (au bas de la
page), 1164 et 1165):
[TRADUCTION] Pour ce qui concerne la garantie du traite-
ment, il est intéressant de noter qu'un gouvernement fédéral se
soit récemment conformé à la version blackstonienne de la
signification de dispositions relatives à la garantie du traite-
ment comme celles de l'article 100 de l'A.A.N.B. mais pas
relativement à une prétendue incapacité du juge. En 1932, le
problème de l'inclusion des juges dans une loi portant réduction
des salaires dans la Fonction publique s'est posé à la Chambre
des communes du Canada. Comme nous l'avons vu dans la
partie II du présent article, la même question faisait l'objet
d'une controverse en Angleterre en 1931 et 1932. Le gouverne-
ment canadien proposa une réduction statutaire de 10 pour cent
des salaires dans la Fonction publique mais en exemptant
spécifiquement les juges. Le Premier ministre Bennett dit à cet
égard (Débats, Chambre des communes, Dominion du Canada,
Session 1932, Vol. I, p. 562):
Les juges ne sont pas visés par cette mesure. Des juristes
prétendent, et un article dans le dernier numéro de Law
Quarterly Review étudie la question de façon approfondie,
que cela porterait atteinte aux droits statutaires des juges de
diminuer ainsi leur traitement. Il existe toutefois d'autres
moyens de régler cette question et le gouvernement n'a pas
encore décidé quelle mesure il entendait prendre à cet égard.
32 S.C. 1932, c. 44.
Il ne fait aucun doute que l'article mentionné était celui de Sir
William Holdsworth que j'ai expliqué et approuvé dans la
partie II du présent article. Lorsque, à son tour, le ministre de
la Justice, Hugh Guthrie, fut pressé d'expliquer l'exemption
accordée aux juges, il déclara clairement qu'il partageait l'opi-
nion de Holdsworth relativement à l'importance du judiciaire et
de la garantie de leur traitement. Mais la pression était forte
d'étendre la réduction aux juges et enfin, le cabinet céda. On
adopta donc une Loi de l'impôt sur le revenu spéciale assujettis-
sant les traitements des juges à un impôt additionnel de 10 pour
cent pendant une année. Le ministre de la Justice affirma que
cette mesure était justifiée par une décision du Conseil privé sur
le pouvoir d'imposition du Parlement fédéral. Il faisait sans
doute allusion à Caron c. Le Roi en 1924, ([1924] A.C. 999)
mais, lecture faite, cette affaire ne fonde pas la validité d'une
taxe discriminatoire de ce genre, mais seulement celle d'une
taxe non discriminatoire. Aussi, comme nous l'avons vu à la
partie II du présent article, le Comité judiciaire réitéra en 1937
le principe de la non-discrimination relativement aux juges en
concluant à la légitimité d'appliquer aux juges une loi d'impôt
sur le revenu provinciale d'application générale. Il semble que
la loi fiscale spéciale de 1932, à titre de loi fiscale, était ultra
vires du Parlement fédéral. Un impôt de 10 pour cent sur le
revenu, d'application générale, sur tous les salaires de la Fonc-
tion publique, y compris les traitements des juges, aurait pu
validement atteindre l'objectif visé.
Enfin, à cet égard, alors que Holdsworth plaidait la cause de
la garantie des traitements des juges en Angleterre en se
fondant en partie sur l'interprétation des lois, cet argument est
encore plus probant au Canada. Les mots «fixés et payés» sont
spécifiquement enchâssés au sens constitutionnel à l'article 100
de l'A.A.N.B. et confèrent donc aux juges des cours supérieures
une garantie de traitement à laquelle une loi fédérale ordinaire
ne peut porter atteinte. [C'est moi qui souligne.]
Le même auteur a déclaré plus récemment dans
The Canadian Judiciary 33 , à la page 5:
[TRADUCTION] En d'autres termes, je dis que l'inamovibilité
et le traitement garanti pour les juges au Canada, en tant
qu'éléments fondamentaux du droit et de la tradition constitu-
tionnels, ne découlent pas uniquement des seuls termes des
articles 99 et 100 de l'A.A.N.B. Je vous rappelle les mots de
Goodhart et Holdsworth. Ils disent clairement que la prise de
mesures essentielles pour assurer l'indépendance du judiciaire
de façon générale est depuis longtemps enracinée comme prin-
cipe original dans le droit coutumier fondamental de la consti
tution. En Angleterre même, les dispositions expresses relatives
à la sécurité du judiciaire se trouvent dans des lois ordinaires—
mais, comme Goodhart et Holdsworth insistent pour le dire, ces
lois ordinaires, y compris l'Act of Settlement même, illustrent
le principe constitutionnel non écrit encore plus fondamental
dont j'ai parlé. Le même argument pourrait et devrait être
repris relativement au statut des juges canadiens.
Dans The Structure of Canadian Government 34 ,
après avoir fait l'historique du développement du
33 (Édité par Allen M. Linden) Osgoode Hall Law School,
York University, Toronto 1976.
34 Macmillan of Canada, Toronto.
pouvoir judiciaire comme troisième pouvoir dans
notre système de gouvernement, J. R. Mallory, au
chapitre 8 de son livre, approuve dans les termes
suivants les opinions de Blackstone et du profes-
seur Lederman relativement aux traitements des
juges (voir les pages 291 et 292):
[TRADUCTION] L'inamovibilité du juge est toujours allée de
pair avec le droit de toucher l'intégralité de son traitement. Le
professeur Lederman cite l'opinion de Blackstone que «le traite-
ment intégral» des juges «leur est absolument garanti pour la
durée de leur commission» et est d'avis que les dispositions de
l'article 100 de l'A.A.N.B. qui exige que le Parlement fixe et
fournisse les traitements signifient la même chose que les
dispositions anglaises correspondantes, qui ont pour effet de
protéger les juges contre toute diminution de leur traitement
pendant la durée de leur commission. Ce qui ne veut pas dire
que les juges ne soient pas assujettis à l'impôt sur le revenu ou à
tout autre impôt qui s'applique également à toute la population.
Toutefois lorsqu'il imposa une réduction de 10 pour cent à la
Fonction publique en 1932, le gouvernement du Canada n'esti-
mait pas avoir le droit d'imposer une réduction semblable aux
juges. Il imposa plutôt une loi spéciale d'impôt prévoyant un
impôt spécial d'une année sur le traitement des juges. Bien que
cette loi n'ait pas été contestée à l'époque, il semblerait douteux
qu'un tel impôt discriminatoire ait été plus justifié que la
réduction projetée de traitement.
Dans The Government of Canada 35 , R. Mac-
Gregor Dawson déclare à la page 396:
[TRADUCTION] En somme, une sphère spéciale doit être attri-
buée au judiciaire, clairement distincte de celles du législatif et
de l'exécutif. Pour effectuer cette séparation, on doit donner
aux juges des privilèges qui ne sont pas reconnus aux autres
branches du gouvernement; et on doit les protéger contre les
influences politiques, économiques et autres qui pourraient
nuire à leur désintéressement et à leur impartialité, conditions
indispensables pour qu'ils puissent exercer leurs fonctions de
façon appropriée. Ce sont ces facteurs inhabituels qui créent la
condition appelée l'«indépendance» du judiciaire. [C'est moi qui
souligne.]
Il ajoute à la page 402 du même ouvrage:
[TRADUCTION] Le traitement est un autre facteur qui contri-
bue à l'indépendance du juge. La première condition est qu'il
soit certain et qu'il ne soit pas à la merci des changements
d'opinions du Parlement. Les traitements des juges au Canada
sont donc fixés par des lois et n'apparaissent pas aux crédits
votés annuellement par le Parlement et il leur est donné une
sécurité spéciale en en faisant une charge grevant le Fonds du
revenu consolidé. Lorsque les salaires des employés de la Fonc-
tion publique furent réduits durant la dépression, ceux du
judiciaire ne le furent pas, bien qu'une taxe spéciale sur le
revenu de 10 pour cent fut imposée sur le traitement des juges,
pour garder le principe—sinon le revenu—intact. [C'est moi
qui souligne.]
Bien que les Constitutions sud-africaine et amé-
ricaine prévoient expressément que la rémunéra-
35 Cinquième édition, University of Toronto Press.
Lion payable aux juges ne peut être réduite pen
dant la durée de leur fonction et que la nôtre ne le
fasse pas, cela ne signifie pas que notre Constitu
tion ne soit pas soumise à ce principe. Au con-
traire, ces dispositions expresses ne sont que la
codification d'un principe reconnu qui existe
depuis The Act of Settlement ou, si tel n'est pas le
cas, du moins depuis la loi de 1760. Il faut établir
une distinction entre la garantie du traitement des
juges à titre de question de droit constitutionnel
fondamentale et une simple convention entre gou-
vernements, comme il a été décidé par le Comité
judiciaire du Conseil privé dans Madzimbamuto c.
Lardner- Burke 36
Je ne suis pas d'accord avec l'argument de l'avo-
cat de la défenderesse selon lequel le traitement et
les avantages de juges titulaires ont généralement
été maintenus simplement en application d'une
politique. Au contraire, je conclus qu'il s'agissait
d'une question de droit constitutionnel qui a sou-
vent causé des problèmes et de l'embarras aux
législateurs. Ceux-ci ont tenté de contourner la
difficulté par des moyens détournés à une ou deux
occasions par des lois telle la Loi de l'impôt de
guerre sur le revenu de 1932. Enfin, la préserva-
tion des salaires de titulaires n'était pas seulement
un principe appliqué généralement mais aussi
appliqué de façon constante, à une ou deux excep
tions près lorsque, à cause d'une situation sociale
ou économique qui existait à l'époque et de l'em-
barras qu'entraînerait le fait de juger sa propre
cause, les juges ont choisi de ne pas contester la
législation devant leurs propres tribunaux. Il
semble que dans ces cas, s'ils avaient choisi d'ester
en justice, l'indemnité aurait sans aucun doute été
rétablie.
Un autre argument veut que le maintien du
traitement accordé aux juges à la date de leur
nomination dépende tout au plus d'une convention
constitutionnelle et non d'un principe de droit
constitutionnel pouvant être reconnu ou sanc-
tionné. Dans les récents appels sur le rapatriement
de la constitution que j'ai mentionnés, en exami-
nant la question de savoir si une convention consti-
tutionnelle existait relativement à l'exigence du
consentement des provinces aux modifications de
l'A.A.N.B., tant la majorité que la minorité dissi-
dente de la Cour suprême du Canada ont approuvé
36 [1969] I A.C. 645.
la définition donnée par le juge en chef du Mani-
toba, le juge Freedman, dans le renvoi du Mani-
toba sur cette question, soit [à la page 230]:
[TRADUCTION] Ainsi il existe un consensus général qu'une
convention se situe quelque part entre un usage ou une coutume
d'une part et une loi constitutionnelle de l'autre. Il y a un
consensus général que si l'on cherchait à fixer cette position
avec plus de précision, on placerait la convention plus près de la
loi que de l'usage ou de la coutume. Il existe également un
consensus général qu'«une convention est une règle que ceux à
qui elle s'applique considèrent comme obligatoire». Hogg,
«Constitutional Law of Canada» (1977), P. 9. Selon la prépon-
dérance des autorités sinon le consensus général, la sanction de
la violation d'une convention est politique et non juridique.
Je ne peux envisager qu'au Canada, la question
de l'inamovibilité des juges et de la garantie de
leur traitement n'est qu'une «règle que ceux à qui
elle s'applique considèrent comme obligatoire»:
cette question est beaucoup plus fondamentale et
essentielle que cela. Comme nous l'avons déjà dit,
en Angleterre, au moment de la Confédération, la
garantie des traitements des juges était constitu-
tionnellement protégée en droit depuis The Act of
Settlement. (Ce qui ne veut pas dire, puisque c'est
un État unitaire, que la Constitution n'aurait pu
être modifiée par le Parlement avec le consente-
ment du Roi.) Avec l'adoption de l'A.A.N.B., les
juges des cours suprêmes des provinces ont acquis
le même statut que celui des juges anglais de
l'époque. Ce statut de la magistrature était assorti
des mêmes droits, pouvoirs et privilèges, y compris,
par une loi le prévoyant expressément, le droit à ce
que leur traitement soit «fixé et établi» par le
Parlement, ce qui comprend le droit de recevoir ce
traitement pendant la durée de leurs fonctions. En
vertu de la Constitution, la nomination et le paie-
ment des juges des cours supérieures provinciales
et le droit criminel qu'ils appliquaient relevaient de
la compétence fédérale, alors que l'administration
de la justice, la création de tribunaux de justice et
les règles de fond que ces juges appliquaient en
matière de propriété et de droit civil relevaient de
la compétence provinciale. Il semble donc clair
qu'il existe une exigence de droit constitutionnel
découlant de la nature fédérale de notre Constitu
tion et qui veut que les droits des juges nommés
par le fédéral, tels qu'ils existaient au moment de
la Confédération, ne puissent être abrogés, dimi-
nués ou modifiés sans un amendement de la Cons
titution. A défaut d'un amendement de la Consti
tution, même le consentement exprès des provinces
ne serait pas suffisant parce qu'une obligation ou
un pouvoir constitutionnel ne peut être légalement
modifié ou abandonné dans un État fédéral sur
simple consentement.
Il serait peut-être bon de répéter qu'en l'espèce,
il ne s'agit pas simplement de la réduction de la
rémunération d'un juge titulaire à un niveau infé-
rieur à celui qu'il recevait immédiatement avant
l'adoption de la loi, mais d'une réduction à un
niveau inférieur à celui auquel il avait droit et qu'il
recevait de fait depuis sa nomination. En outre, la
présente espèce n'est pas visée par des décisions
telles Judges c. Le procureur général de la Sas-
katchewan, précitée ou Re The Constitutional
Questions Act. Re The Income Tax Act, 1932,
précitée, qui établissent que les membres de la
magistrature ne sont pas, de par leur statut consti-
tutionnel, exempts en droit des dispositions des lois
d'impôt générales applicables à tous les citoyens
du pays.
Bien qu'il n'ait manifestement aucune validité
du point de vue du droit constitutionnel, il est
intéressant de noter la teneur et l'esprit du qua-
trième article de la «Declaration of San Juan de
Puerto Rico» 37 sur l'intégrité et l'indépendance du
pouvoir judiciaire qui a été faite à la suite de la
première conférence judiciaire des Amériques
tenue à Puerto Rico en 1965:
[TRADUCTION] Quatrièmement:
L'autonomie matérielle du pouvoir judiciaire, fondée sur des
ressources lui permettant de remplir sa mission importante,
devrait être constitutionnellement reconnue. Les juges
devraient recevoir une rémunération adéquate afin de les libé-
rer des pressions de l'insécurité économique. Cette rémunéra-
tion ne devrait pas être modifiée à leur désavantage.
Bien que les nécessités politiques ou sociales ne
soient pas des facteurs dont je doive tenir compte
pour trancher la question juridique qui m'est sou-
mise, j'ai, pour souligner l'importance de la ques
tion, cité plusieurs passages d'éminents juristes et
auteurs qui affirment, au cours des deux cents
dernières années, le besoin absolu dans une société
libre d'un pouvoir judiciaire complètement indé-
pendant dont chaque membre n'est responsable,
dans l'exécution de ses fonctions judiciaires,
devant personne si ce n'est la loi, sa propre cons
37 Handbook for Judges, édité par Glen R. Winters, The
American Judicature Society, 1975.
cience, les tribunaux et, en cas de mauvaise con-
duite, devant le Parlement et la Couronne au
moyen d'une procédure de mise en accusation sur
adresse conjointe des deux Chambres à Sa
Majesté. Pour ce qui a trait à l'importance de cette
exigence dans le contexte du Canada d'aujour-
d'hui, on ne peut trouver meilleure référence que le
rapport fait par l'honorable Jules Deschênes, juge
en chef de la Cour supérieure du Québec, à la suite
d'un examen exhaustif et savant sur L'administra-
tion judiciaire autonome des Tribunaux. L'étude
a été commanditée par le Conseil canadien de la
magistrature en collaboration avec la Conférence
canadienne des juges et l'Institut canadien d'admi-
nistration de la justice. Le rapport a été publié par
le Conseil canadien de la magistrature il y a
quelques jours. Il contient 198 recommandations
pour une meilleure administration de la justice au
Canada. Le juge en chef fonde toutes ses recom-
mandations sur le besoin absolu d'assurer et de
préserver un pouvoir judiciaire complètement indé-
pendant. A cet égard le juge en chef déclare à la
page 12:
Pourtant l'indépendance du pouvoir judiciaire à l'égard des
pouvoirs législatif et exécutif constitue l'un des piliers de notre
système politique; de pair avec le principe de la primauté de la
règle de droit, on ne saurait en exagérer l'importance. On vient
d'ailleurs encore de le proclamer. (Draft Principles on The
Independence of the Judiciary prepared by a Committee of
Experts, meeting at Siracusa, Sicily, on 25-29 May 1981.)
Pour les motifs énoncés ci-dessus, je conclus que
le Parlement, sans au moins le consentement du
juge intéressé, ne peut constitutionnellement, en
droit, réduire, par toute loi portant directement sur
des réductions ou des déductions de traitements
des juges, la rémunération à laquelle ce juge avait
droit au moment de sa nomination. J'arrive à cette
conclusion non seulement à cause du partage des
pouvoirs entre les provinces et le fédéral mais
parce qu'elle découle d'un principe intrinsèque et
fondamental de droit constitutionnel dont nous
avons hérité avec le système parlementaire
britannique.
Bien que cette rémunération puisse indubitable-
ment être réduite de facto, elle ne peut l'être de
jure sans modifier notre Constitution et sans chan-
ger fondamentalement le système parlementaire
sous lequel nous agissons.
I therefore find that the plaintiff is entitled to a Je conclus donc que le demandeur a droit à un
declaration that subsection (2) of section 29.1 of jugement déclaratoire portant que le paragraphe
the Judges Act as amended by section 100 of the (2) de l'article 29.1 de la Loi sur les juges, tel que
Statute Law (Superannuation) Amendment Act, modifié par l'article 100 de la Loi de 1975 modi-
1975, supra, is, in so far as the plaintiff is con- a fiant le droit statutaire (Pensions de retraite) pré-
cerned, ultra vires the Parliament of Canada. He citée est, pour ce qui concerne le demandeur, ultra
is also entitled to his costs of this action. vires du Parlement du Canada. Il a également
droit aux frais de l'action.
Since I have effectively disposed of this case onPuisque j'ai tranché le présent litige en fonction
the basis of the fact that the plaintiff was appoint- 6 de la nomination du demandeur (le 24 juillet
ed (the 24th of July, 1975) before the impugned 1975) avant la promulgation de la loi attaquée (le
legislation was proclaimed (the 20th of December, 20 décembre 1975), mais après la date rétroactive
1975) but subsequent to the retroactive date when de son entrée en vigueur (le 16 février 1975), je ne
it purported to become effective (the 16th of Feb-,me prononcerai pas sur le premier argument pré-
ruary, 1975), I will refrain from dealing with the senté au nom du demandeur selon lequel le para -
first argument advanced on behalf of the plaintiff graphe 29.1(1) est ultra vires parce qu'en vertu de
to the effect that subsection 29.1(1) is ultra vires l'A.A.N.B. de même qu'en vertu du droit coutu-
because by reason of the B.N.A. Act as well as the mier de la Constitution, le Parlement n'a pas le
customary law of the Constitution, Parliament is d droit d'exiger des contributions pour les pensions
not entitled to require contribution for the annui- des juges dont ces derniers bénéficiaient le 20
ties of judges which the latter enjoyed on the 20th décembre 1975, date à laquelle la Loi attaquée a
of December, 1975, when the Act complained of été promulguée. Pour ce qui a trait à l'autre
was proclaimed. Regarding the other argument argument selon lequel toutes les dispositions atta-
that all the provisions complained of are inopera- e quées sont inopérantes pour ce qui concerne le
tive, in so far as the plaintiff is concerned, I fail to demandeur, je ne vois pas comment, si le Parle -
see how, if Parliament possesses the jurisdiction ment possède la compétence et le pouvoir de
and power to reduce the plaintiffs salary, the law réduire le traitement du demandeur, la loi pourrait
could possibly be considered as inoperative in its être considérée comme inopérante en ce qu'elle
application to that salary. f s'applique à ce traitement.
Finally, I wish to state that, in rendering this Enfin, je tiens à déclarer, en rendant la présente
decision, I am not unaware of the fact that, should décision, que je n'ignore pas que, si aucun juge
none among the other justices whose commissions dont la nomination est antérieure au 16 février
date previous to the 16th of February, 1975, chal- 1975 ne conteste l'obligation de contribuer 11% de
lenge the obligation to contribute 11% from their g son traitement ou si cette contestation est rejetée,
salaries or should the challenge fail at law, then, alors les juges les plus anciens recevront évidem-
the more senior judges obviously will be receiving ment 1 1 / 2 % de moins que le demandeur. Compte
1 1 / 2 % less than the plaintiff. Having regard to my tenu de ma conclusion sur la discrimination en
findings as to discrimination generally and the h général et sur la Déclaration canadienne des droits
Canadian Bill of Rights in particular, it would en particulier, il semblerait qu'ils n'auraient aucun
appear that, on the grounds of discrimination they recours fondé sur la discrimination. Ils pourraient
would have no redress. They might, however, find toutefois trouver une consolation dans les paroles
some solace in the Gospel by St. Matthew pertain- de l'Évangile de St -Matthieu relativement aux tra-
ing to the workers in the vineyard (Matt. 20, ; vailleurs de la vigne (Matth. 20, 1-16).
1-16).
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.