T-3106-72
Swiss Bank Corporation (Demanderesse)
c.
Air Canada, Swissair et Swiss Air Transport Co.
Ltd. (Défenderesses)
Division de première instance, le juge Walsh—
Montréal, 6, 7 et 8 octobre; Ottawa, 22 octobre
1981.
Aéronautique — Réclamation d'un colis expédié mais perdu
— Reconnaissance par la défenderesse Air Canada de sa
responsabilité mais prétendue limitation de celle-ci à $1,000
en vertu de la Convention de Varsovie incorporée dans la Loi
sur les transports aériens — Invocation par la demanderesse
de l'art. 25 de la Convention de Varsovie, modifié, lequel
exclut la limitation de responsabilité prévue à l'art. 22 de la
Convention — Limitation ou non de la responsabilité de la
défenderesse Air Canada — Intérêts, au taux commercial ou
non, courant à compter du jour de la perte, jusqu'au jour du
jugement — Loi sur les transports aériens, S.R.C. 1970, c.
C-14, annexe I, art. 22, 25 et annexe III, art. XI et XIII — Loi
sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.). c. 10, art. 40 —
Règles 5, 406, 456 et 1212 de la Cour fédérale — Code civil du
Québec, art. 1054 — Code de procédure civile du Québec, art.
476.
Cette espèce est une demande d'indemnisation à la suite de la
perte d'un colis contenant des billets de banque canadiens,
totalisant $60,400, remis par la demanderesse à la défenderesse
Swissair pour être transporté par Swissair et Air Canada à
destination de Montréal, le destinataire étant La Banque
Royale du Canada. Il est établi que le colis fut remis à un
responsable d'aire de trafic à Montréal, lequel l'aurait livré au
responsable du casier des marchandises de valeur. Il est aussi
établi que les documents relatifs au colis ont disparu. Air
Canada reconnaît sa responsabilité mais soutient qu'elle est
limitée à $1,000, soit la limite de responsabilité selon la Con
vention de Varsovie pour le transport aérien international,
Convention qu'incorpore et adopte la Loi sur les transports
aériens. La demanderesse fait valoir l'article 25 de la Conven
tion, modifié par la Convention de La Haye, laquelle exclut les
limites de responsabilité prévues à l'article 22 de la Convention
lorsque le dommage résulte d'un acte ou d'une omission du
transporteur ou de ses préposés fait, soit avec l'intention de
provoquer un dommage, soit témérairement et avec conscience
qu'un dommage en résultera probablement, pour autant que, en
ce dernier cas, le préposé ait agi dans l'exercice de ses fonc-
tions. Il échet d'examiner si la défenderesse Air Canada peut
limiter sa responsabilité ou si cela est exclu par l'article 25 de la
Convention de Varsovie, modifié. La demanderesse conclut
aussi à l'intérêt, au taux commercial, courant à compter du jour
de la perte, jusqu'à celui du jugement.
Arrêt: l'action de la demanderesse est accueillie. Pour ce qui
est de la responsabilité directe d'Air Canada, la Cour ne peut
conclure que la perte a résulté d'un acte ou d'une omission de
sa part «fait, soit avec l'intention de provoquer un dommage,
soit témérairement et avec conscience qu'un dommage en résul-
tera probablement». Certes, les mesures de sécurité prises par
Air Canada à l'époque pour assurer la protection des marchan-
dises de valeur étaient loin d'être parfaites; il ne peut cependant
être conclu, d'après la preuve administrée, que c'est l'absence
de ces mesures ou le défaut de les respecter à la lettre qui est
responsable de la perte. Les erreurs d'Air Canada sont la cause
du retard mis à découvrir l'absence du colis et à ouvrir une
enquête pour le retrouver. Elles ne sont pas la cause de sa
disparition. Il était aussi fautif d'employer un individu non
au-dessus des soupçons comme responsable du casier des mar-
chandises de valeur, mais à cette époque, on n'avait pas encore
grand motif de le soupçonner. Au sujet de la responsabilité du
transporteur pour le fait de ses préposés, la Cour a fait sienne
l'interprétation objective, adoptée par la Cour de cassation
française, de l'article 25 de la Convention. S'il s'avérait néces-
saire d'identifier spécifiquement le voleur dans les cas où il a
été conclu que les marchandises ont bien été volées en transit
par un préposé ou quelque mandataire agissant dans l'exécution
de ses fonctions, pour sonder ses intentions, avant de conclure
que ce faisant, il les a volées avec l'intention de causer un
dommage, ou témérairement et avec conscience qu'il en résul-
tera probablement un dommage, l'exclusion de la limitation de
responsabilité ne recevrait que fort rarement application. Il
devient alors spécieux de soutenir, lorsque le vol a eu lieu par
suite de la participation d'un ou de plusieurs individus incon-
nus, agissant dans l'exercice de leurs fonctions, que l'intention
de causer un dommage ou la conscience qu'un dommage en
résultera probablement ne peuvent être prouvées parce qu'il est
impossible d'identifier ceux dont on doit examiner les inten
tions. Tout voleur, tous les voleurs, doivent savoir qu'un dom-
mage résultera probablement de leur geste même si ce n'est pas
là l'intention particulière qu'ils ont lorsqu'ils volent le colis en
cause. Interpréter l'article 25 autrement aurait pour effet de lui
enlever toute signification. En outre, le vol présumé du colis par
un ou des employés d'Air Canada peut être considéré comme
régi par les dispositions de l'article 25 parce qu'il s'est produit
dans l'exercice de leurs fonctions, la possibilité de le faire étant
apparue alors qu'ils travaillaient dans le hangar réservé aux
marchandises, à manipuler des marchandises, dont le colis
précieux en cause. Il n'existe aucun précédent autorisant à
accorder au nom de l'équité la demande d'intérêt avant juge-
ment de la demanderesse. Ce sont les dispositions de la Conven
tion de Varsovie, modifiées par la Convention de La Haye, qui
doivent être appliquées en l'espèce, non les dispositions du droit
fédéral ou provincial, qu'un intérêt de ce genre ait ou non été
accordé selon le droit de la province de Québec où l'action a été
instruite. La Cour ne devrait pas s'écarter de sa pratique
habituelle et accorder l'intérêt au taux commercial plutôt qu'au
taux légal à compter du jugement.
Arrêt appliqué: Bensol Customs Brokers Ltd. c. Air
Canada [1979] 2 C.F. 575. Arrêts approuvés: Lacroix
Baartmans, Callens, Und, Van Tichelen S.A. c. Swiss Air
1974 R.F.D.A. 75; C` Air-France c. Moinot 1976
R.F.D.A. 105; C" Le Languedoc c. Société Hernu-Peron
1976 R.F.D.A. 109; Rustenburg Platinum Mines Ltd. c.
South African Airways [1977] 1 Lloyd's Rep. 564; [1979]
1 Lloyd's Rep. 19 (C.A.). Arrêts examinés: Tondriau c.
Cie Air India 1977 R.F.D.A. 193; Rashap c. American
Airlines Inc. 1955 US& Civ. AvR 593; The Governor and
Company of Gentlemen Adventurers of England c. Vail-
lancourt [1923] R.C.S. 414; Velan-Hattersley Valve Co.
Ltd. c. Johnson [1971] C.A. 190. Arrêt critiqué: Syndicat
d'assurances des Lloyds c. Sté Aérofret 1969 R.F.D.A.
397. Arrêt mentionné: Curley c. Latreille (1920) 60
R.C.S. 131.
ACTION.
AVOCATS:
V. Prager et P. Cullen pour la demanderesse.
Jean Clerk pour la défenderesse Air Canada.
Peter Richardson pour les défenderesses
Swissair et Swiss Air Transport Co. Ltd.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Tamaki, Mercier & Robb,
Montréal, pour la demanderesse.
Boudreau, Giard, Gagnon & Clerk, Montréal,
pour la défenderesse Air Canada.
Doheny, Mackenzie, Grivakes, Gervais &
LeMoyne, Montréal, pour les défenderesses
Swissair et Swiss Air Transport Co. Ltd.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH:
LES FAITS
Cette espèce est une demande d'indemnisation à
la suite de la perte, apparemment par vol, à l'aéro-
port de Dorval, à Montréal, d'un colis contenant
des billets de banque canadiens, totalisant $60,400,
reçus par la défenderesse Swissair de la demande-
resse à Bâle, en Suisse, pour être transportés par
ladite défenderesse Swissair de Bâle via Zurich à
destination de Montréal, le destinataire étant La
Banque Royale du Canada. Swissair a délivré la
lettre de transport aérien pour marchandises de
valeur portant le numéro 085-626-4641-5 et pré-
voyant le transport par la défenderesse Swissair, de
Bâle à Zurich, sur le vol Swissair SR 749 du 4
novembre 1970, et de Zurich à Montréal, sur le vol
Swissair SR 160 du 5 novembre 1970. C'est MAT
Transport Limited qui a conclu les arrangements
pour le transport à titre d'agents de la demande-
resse conformément à leur pratique commune
habituelle. Éventuellement, on constata que le vol
SR 160 de Zurich à Montréal était un vol nolisé
auquel il était interdit de transporter des marchan-
dises, aussi l'agent arrangea-t-il une expédition par
le vol d'Air Canada 879 du 6 novembre 1970. On
n'avisa pas la demanderesse, Swiss Bank Corpora
tion, du changement mais celle-ci ne prétend pas
que s'être adressée à Air Canada plutôt . qu'à
Swissair pour le vol transatlantique ait constitué
une faute.
Le service de sécurité de Swissair a remis le colis
au capitaine Proctor, le capitaine du vol d'Air
Canada, peu avant le départ; celui-ci l'a accepté et
a signé le reçu de marchandises de valeur numéro
95042. Rien ne l'y obligeait; il a accepté volontai-
rement de s'y conformer. Edward Johnson, un
enquêteur au service d'Air Canada à Dorval à
l'époque, aujourd'hui chef du service de sécurité
d'Air Canada, a déclaré dans son témoignage que,
bien que des tentatives aient été faites pour que
l'Association canadienne des pilotes de lignes
aériennes accepte d'assumer la responsabilité des
marchandises de valeur, on n'est jamais parvenu à
un accord; il n'est pas inhabituel cependant pour
les pilotes d'accepter volontairement de petits colis
de valeur qu'ils prennent avec eux dans le cockpit.
En l'espèce, le capitaine Proctor transporta le colis
sous son siège, les parties admettant que celui-ci
faisait environ 12 pouces carrés par approximati-
vement 4 pouces de haut.
Conformément à sa pratique habituelle, Swiss-
air n'a pas déclaré la valeur de ce transport, ce qui
aurait exigé le paiement d'une surtaxe importante
car elle fait de fréquentes expéditions d'argent et
autres sûretés, ayant souscrit sa propre assurance
au cas de pertes. On a expliqué qu'en déclarant la
valeur d'un colis, on n'assure nullement par là une
manutention spéciale ni même qu'il s'agit d'une
marchandise d'une grande valeur puisque le colis
est quand même placé dans la soute de l'avion avec
la cargaison ordinaire. Tout passager, par exemple,
peut faire une déclaration de valeur pour une
partie de ses bagages, ce qui assure qu'en cas de
perte sa réclamation ne sera pas limitée à la
somme réglementaire. Cela équivaut à une forme
d'assurance. Le fait que cela n'ait pas été fait en
l'espèce n'a pas d'importance. Comme objet de
valeur, toutefois, le colis tombait sous le régime de
l'Air Cargo Tariff Worldwide en vigueur à l'épo-
que, lequel exige le paiement d'une surtaxe, ce qui
fut fait, le droit minimum applicable étant versé.
La lettre de transport aérien, une formule Swiss-
air, indique qu'il s'agissait d'une marchandise de
valeur; aucune valeur n'est déclarée.
Le vol d'Air Canada en question, après escale à
Montréal, se poursuivait vers Toronto; or, le capi-
taine Proctor avait aussi reçu un colis semblable à
destination de Toronto; il le livra éventuellement;
aussi n'est-il pas en cause. Le reçu que le capitaine
Proctor signa est appelé un reçu de marchandises
de valeur; plusieurs copies accompagnent la mar-
chandise. Alors qu'il approchait de Montréal, il a
prévenu par radio l'opérateur d'Air Canada de voir
à ce qu'une personne responsable monte à bord
pour prendre livraison de la marchandise. Ce mes
sage fut envoyé quelque 15 minutes avant l'atter-
rissage. A l'arrivée, il remit les colis au responsable
d'aire de trafic, ci-après appelé X, puisqu'il n'a
pas, bien que soupçonné d'être lié à la perte du
colis, été poursuivi, faute de preuve. X signa des
copies des formules de reçu de marchandises de
valeur et, heureusement, le capitaine Proctor les
conserva, ce qui l'exonère de toute responsabilité
pour la perte du colis.
Il faut mentionner que ces colis étaient marqués
comme étant de la marchandise de valeur de sorte
que, même s'ils avaient été placés dans la soute, on
aurait pu facilement les identifier. On a mis en
cause cette pratique qui permet à n'importe quel
manutentionnaire, et même à quiconque se trouve
sur le tarmac ou dans le hangar des marchandises,
et qui connaît le système, de répérer immédiate-
ment les colis de valeur; on a aussi reproché au
capitaine d'avoir communiqué à l'avance par radio
qu'il transportait des colis de valeur, de sorte que
tous ceux qui ont pu entendre cette communica
tion, s'ils avaient quelque intention criminelle, ont
été prévenus. Je ne considère pas que l'un ou
l'autre de ces comportements soit fautif. Comme
l'a dit dans son témoignage M. Johnson, c'était de
deux maux le moindre; cela avertissait les préposés
autorisés à la réception, à l'aéroport, d'être prêts à
recevoir la marchandise et de prendre les mesures
appropriées pour la retrouver rapidement et en
assurer la protection.
Conformément à la pratique habituelle, le ser
vice de sécurité de Swissair envoya un message
urgent au service Fret aérien d'Air Canada, à
Zurich et à Dorval disant que le capitaine empor-
tait des colis, donnant le numéro de la lettre de
transport aérien et leur poids. Air Canada nie
avoir reçu ce message. Un témoin, Jean Bergeron,
cadre aux Télécommunications C.N.C.P. a expli-
qué qu'il s'agissait de ce qu'on désignait comme un
message de routine qui peut avoir passé par
Zurich, Francfort, New York et Toronto avant
d'arriver à Montréal; il était possible qu'il ne soit
jamais parvenu à destination, la copie de la trans
mission du message ne faisant pas preuve de sa
réception. Toutefois, en l'absence de toute indica
tion de panne du matériel d'Air Canada, qui aurait
dû recevoir le message, à cette date, ou de quelque
difficulté de transmission en cours de route, il me
paraît plus vraisemblable qu'il a été reçu et égaré
ou qu'il a disparu comme les autres documents
dont il sera question plus loin. Le témoin Johnson
a affirmé que si le message avait été reçu, l'agent
d'aire de trafic à Montréal l'aurait obtenu pour
notifier le personnel de déchargement. De toute
façon, le message radio du capitaine Proctor, alors
qu'il approchait de Montréal, a fait connaître qu'il
y avait à bord de ce vol de la marchandise de
valeur quoique ce soit-là une publicité moins sus
ceptible de parvenir jusqu'aux manutentionnaires
de la marchandise que si le premier message avait
été reçu et qu'on ait agi en conséquence.
Swissair prépara aussi le manifeste pour la car-
gaison à destination de Montréal et le plaça dans
le sac de la société Air Canada à bord de l'avion.
Air Canada prépara le registre des marchandises
de valeur Air Canada ZRH FF 4641 mais le nom
du chargeur n'y apparaît pas et le message d'ache-
minement de fret ne mentionne pas non plus le
colis perdu. On a expliqué cela comme étant sans
doute dû au fait que le colis en question a été remis
personnellement au capitaine Proctor peu avant le
décollage. Le colis de Toronto provenait de Zurich
et peut s'être trouvé en la possession d'Air Canada
antérieurement, ce qui expliquerait qu'il apparaît
sur le message. D'après M. Johnson, le colis man-
quant n'aurait pas été inscrit sur le message
d'acheminement du fret de toute façon car il n'a
pas été placé dans la soute.
Le responsable d'aire de trafic X, lorsqu'il a
reçu le colis du capitaine Proctor, n'a pas vérifié la
lettre de transport aérien ni le registre des mar-
chandises de valeur qui tous deux devaient se
trouver dans le sac aux documents, ce qui était
contraire au Règlement d'Air Canada 170.18-4.
Selon M. Johnson, cela n'était pas nécessaire puis-
que les colis lui ont été remis directement par le
capitaine et ne se trouvaient pas dans la soute.
Les Règlements requièrent, lorsqu'il faut trans
porter des colis de valeur d'un lieu à un autre dans
un aéroport, outre la présence du conducteur du
véhicule automobile ou des remorques porte-baga-
ges, la présence d'un autre employé responsable
pour les surveiller au cours du transfert; le respon-
sable d'aire de trafic X s'est chargé seul des colis,
les transportant dans sa familiale, laquelle lui est
fournie pour surveiller le chargement et le déchar-
gement des avions, le transfert des équipages, etc.
Le témoin Johnson a expliqué que l'objet du
Règlement est de voir à ce qu'il y ait, lorsque les
objets précieux sont transportés dans les véhicules
habituellement affectés au transport des marchan-
dises, remorqués par un tracteur, avec les autres
bagages, comme ils peuvent en tomber ou être
subrepticement soutirés au cours du parcours, un
responsable qui les ait toujours sous les yeux tant
que dure le transport; cela ne fut cependant pas
nécessaire puisque X emporta les deux petits colis
avec lui à bord de son propre véhicule; en dési-
gnant deux employés responsables du transport, on
n'avait pas pour but que l'un surveille l'autre. Ce
responsable d'aire de trafic ne semble toutefois pas
avoir fait preuve de diligence à l'égard de ces deux
colis de valeur puisqu'il laissa celui qui devait être
replacé à bord de l'avion pour être transporté à
Toronto sur le siège de sa familiale pendant qu'il
allait livrer l'autre. Le colis de Toronto n'a pas été
perdu; il l'a remis au capitaine Proctor et il a
éventuellement été livré à Toronto. Aussi ce com-
portement n'a aucun rapport avec la disparition du
colis de Montréal.
Air Canada a eu connaissance de l'expédition de
ce colis puisque la pièce P-31 est un registre des
marchandises de valeur non signé pour une expédi-
tion de Zurich à Montréal. Sur cette formule
apparaît la phrase suivante: [TRADUCTION] «L'ar-
rivée des colis doit immédiatement être notifiée
par téléscripteur à la station expéditrice.» Aucun
message téléscripté de ce genre n'a jamais été
envoyé et cette pièce, de même que la copie mont-
réalaise de la lettre de transport aérien, le mani-
feste de la cargaison et la notification de marchan-
dises de valeur, qui devaient se trouver dans le sac
aux documents, ont disparu et n'ont jamais pu être
retrouvés à Montréal. Ce qu'il y a d'étrange, c'est
que, d'après le témoin Johnson, les seuls docu
ments qui ont disparu sont ceux relatifs à cette
marchandise, outre le manifeste qui couvre l'en-
semble de la cargaison de l'avion. Ces documents
sont dirigés vers un secteur de l'aéroport totale-
ment différent de celui où la marchandise est
entreposée et, s'ils n'avaient pas disparu, la perte
du colis précieux aurait été découverte beaucoup
plus tôt et l'enquête ouverte de même. En fait, le
département d'enquête apprit la perte pour la pre-
mière fois le 5 décembre, presque un mois après
l'expédition, lorsqu'une secrétaire de chez Hayes,
Stuart téléphona, au nom des destinataires, pour
signaler que le colis manquait; elle avait eu une
conversation à ce sujet avec les responsables de la
cargaison à Air Canada un ou deux jours aupara-
vant. M. Johnson ordonna alors de procéder à un
inventaire des entrepôts tant à Dorval qu'à
Toronto puisque aucun document ne permettait de
savoir si le colis avait été perdu bien que le mani-
feste des douanes, la lettre de transport aérien, le
reçu de marchandises de valeur et les inscriptions
au registre des marchandises de valeur auraient dû
se trouver à Dorval. Cela inquiéta beaucoup car on
en déduisit que quelqu'un avait délibérément
manipulé les documents puisque si ceux-ci avaient
existé sans la cargaison, cela aurait immédiate-
ment provoqué une enquête alors que dans le cas
contraire, la présence de quelque marchandise sans
les documents ne pose aucun problème insurmon-
table puisqu'il peut y avoir délivrance d'une sous-
lettre de transport aérien. S'il y avait eu un mani-
feste, on y aurait pointé les marchandises, ce qui
est fait normalement le même jour. Il fallut obte-
nir les documents de Suisse et ce n'est qu'après
avoir interrogé le capitaine Proctor pour savoir à
qui il avait remis les colis que le responsable d'aire
de trafic X a été interrogé. Les Règlements
demandent qu'un préposé spécialement désigné
prenne livraison des objets précieux; X n'en était
pas un mais le témoin Johnson a insisté pour dire
que cela valait tout aussi bien puisqu'il occupait un
poste supérieur, considéré comme faisant partie de
la direction. Néanmoins, il était responsable du
chargement et du déchargement de quatre ou cinq
avions à ce moment-là; ce n'était pas dans le but
spécifique de prendre livraison du colis et de le
placer dans le casier de sécurité qu'il était venu des
hangars des marchandises.
Lorsqu'il a été interrogé pour la première fois,
un mois après les événements naturellement, ledit
employé X n'a pu se rappeler le colis que quelques
jours plus tard, lorsqu'on lui a rafraîchi la
mémoire. Sur l'avion en question certaines palettes
de cargaison destinées à être livrées à Toronto
avaient par erreur été chargées devant celles desti
nées à Montréal, ce qui obligeait à les décharger
pour atteindre celles de Montréal puis à les rechar-
ger à nouveau. Il en est résulté que ledit X s'est
rendu au hangar des marchandises pour savoir s'il
ne serait pas préférable de laisser les palettes de
Montréal à bord de l'avion se rendant à Toronto
puis revenir à Montréal pour éviter un double
déchargement. Il s'est alors souvenu que lorsqu'il
avait franchi le secteur des arrivées de la cargai-
son, il s'était rendu jusqu'au casier des marchandi-
ses de valeur avec le colis de Montréal pour le
remettre à l'employé responsable du casier ce
jour-là, que j'appellerai l'employé Y. Il croit avoir
obtenu un reçu qui aurait alors dû être acheminé
au bureau des marchandises de l'aire de trafic. Le
reçu y aurait été conservé pour un mois mais, s'il a
jamais existé, aurait été perdu ou jeté le mois
écoulé, avant même que l'enquête ne soit commen
cée. Il n'a pu se rappeler le nom du préposé auquel
il aurait prétendument remis le colis.
En tout état de cause, aucune inscription rela
tive à ce colis n'a été faite au registre des mar-
chandises de valeur, comme cela aurait dû être le
cas, tant lorsque le colis fut déposé que lorsqu'il fut
retiré du casier, des marchandises de valeur.
L'employé d'Air Canada responsable du casier
des marchandises de valeur et du registre des
marchandises de valeur aux époques en cause,
l'employé Y, avait déjà fait l'objet de certains
soupçons de la part du personnel de sécurité d'Air
Canada et de la police de Dorval au sujet de
marchandises égarées à l'aéroport de Dorval anté-
rieurement. Par après, quelque six ans plus tard, il
a été reconnu coupable, de même que certains
autres employés, dans une affaire d'importation de
stupéfiants et de vol de pièces de monnaie olympi-
que. Cette condamnation, plusieurs années plus
tard, ne saurait avoir aucune portée sur la négli-
gence d'Air Canada à l'époque. Toutefois, comme
l'a déclaré M. Johnson, corroboré en cela par un
témoin qui occupait un poste supérieur dans la
police de Dorval à l'époque, le nom de cet employé
Y apparaissait sur la liste des noms des personnes
travaillant dans le secteur des marchandises lors de
deux ou trois disparitions antérieures de marchan-
dises précieuses du hangar, ce qui donnait quelque
motif de le soupçonner. D'après le témoin Johnson,
lorsqu'un employé est engagé pour la première fois
pour travailler dans les hangars des marchandises
d'Air Canada, une enquête de sécurité a lieu mais
il n'y a, par la suite, aucun contrôle ultérieur,
même en cas de promotion, de sorte que l'agent X,
devenu responsable d'aire de trafic, n'a subi aucun
contrôle de sécurité depuis l'époque où il fut
engagé pour la première fois; ce serait aussi le cas
de l'employé Y. Il est curieux cependant qu'un
employé soupçonné à l'époque, si peu fondés
qu'aient été les soupçons, se soit vu confier la
responsabilité importante du casier de sécurité où
sont gardées les marchandises de valeur. M. John-
son a dit que vers la fin des années 60, et au début
des années 70, l'aéroport de Dorval faisait l'objet
d'une attention spéciale de la part du service de
sécurité d'Air Canada ainsi qu'une demi-douzaine
d'autres aérogares. Le problème devenait aigu à
Dorval, à Toronto et à Vancouver. Les Règlements
de sécurité de la compagnie sont constamment mis
à jour lorsque les conditions le justifient. Les ins-
pecteurs d'Air Canada toutefois, contrairement
aux inspecteurs de chemins de fer, ne prêtent pas
serment comme agents de la paix. La Gendarmerie
royale du Canada surveille l'aéroport de Dorval
mais il arrive que des gardes de sécurité privés
soient engagés pour accompagner un conducteur
d'Air Canada à l'avion pour livrer ou recevoir
quelque objet particulièrement précieux. L'expédi-
teur ou le destinataire est alors facturé pour ce
service spécial qui doit être organisé à l'avance.
Air Canada à Dorval n'a envoyé aucun télex à
Air Canada à Zurich pour confirmer réception de
l'expédition dans les douze heures comme les
Règlements de traitement du fret précieux et les
dispositions du registre des marchandises de valeur
l'exigent. Fort probablement cela est dû à la dispa-
rition des papiers la concernant; il ne peut cepen-
dant être soutenu qu'Air Canada ne savait pas que
la marchandise avait été reçue. D'ailleurs, Air
Canada à Zurich n'a pas communiqué avec Air
Canada à Dorval dans les douze heures pour
demander confirmation de la bonne réception de
l'expédition, ce que les Règlements de traitement
du fret précieux requièrent aussi. Les Règlements
requièrent ces contrôles afin que l'on puisse s'aper-
cevoir de la disparition d'une marchandise pré-
cieuse, organiser la recherche et ouvrir une
enquête dès que possible; sa disparition, qui
retarda presque d'un mois le moment où Air
Canada se rendit seulement compte que le colis
manquait, a, nul doute, anéanti tout espoir de le
retrouver. Je ne puis toutefois conclure que le fait
de n'avoir pas suivi cette procédure a contribué à
sa disparition. La preuve administrée amène obli-
gatoirement à présumer que le colis n'a pas été
simplement égaré mais a été volé par un employé,
ou plus vraisemblablement par un groupe d'em-
ployés d'Air Canada agissant de concert et fami-
liers avec la procédure de traitement de ces mar-
chandises et celle subséquente de vérification de ce
traitement et aussi à même d'enlever, d'un autre
secteur de l'aéroport, les documents y relatifs, qui
auraient permis de se rendre compte rapidement
du vol. Il est peu probable que ce colis toutefois, vu
sa nature, ait pu être retrouvé même si l'enquête
avait commencé le jour suivant. Le colis était d'un
format et d'un poids permettant facilement de le
porter sous le bras en jetant par-dessus, par exem-
ple, un manteau pour le cacher% L'horloge où
doivent pointer les ouvriers avant de quitter le
travail est à côté du bureau du responsable et les
employés qui s'en vont doivent passer sous le
regard de la ou des personnes se trouvant dans le
bureau; ils ne sont pas fouillés cependant; il est
d'ailleurs fort improbable que le syndicat permette
une telle pratique. Enfin, il aurait été facile de
placer un aussi petit paquet dans un véhicule
quelconque quittant les lieux à un moment ou à un
autre, le conducteur pouvant être partie au com-
plot. Il pouvait facilement être lancé au-dessus de
la clôture du périmètre de sécurité ou quitter
l'aéroport d'une autre façon. Le contenu, des bil
lets de différentes coupures, non marqués, les
numéros n'ayant pas été notés, se sera rapidement
évanoui.
L'écoulement du temps avant la découverte du
vol et la disparition de certains documents impor-
tants font qu'il est impossible d'attribuer le vol à
un ou des individus déterminés. Le responsable
d'aire de trafic X, un employé respecté que per-
sonne ne soupçonnait à l'époque, n'a pu malheu-
reusement produire le reçu de l'employé à qui il
aurait remis le colis, ce qui l'aurait innocenté. Nul
doute que si l'enquête avait été ouverte immédiate-
ment après le vol, il n'aurait pu prétendre, comme
il l'a fait au début, qu'il avait oublié ce qu'il avait
fait du colis ni qu'il avait effectivement obtenu un
reçu mais qu'il avait été détruit quelque 30 jours
plus tard au bureau du responsable d'aire de trafic.
Certainement, il est la dernière personne connue à
avoir eu le colis en sa possession et il est difficile de
comprendre comment, même 30 jours plus tard, il
ne se soit pas tout de suite souvenu de ce qu'il en
avait fait tant qu'on ne lui eût pas rafraîchi la
mémoire. Même lorsque finalement Johnson
appela la police de Dorval, le 11 décembre, il ne
parlait pas encore de vol, aussi la police qualifia
dans ses dossiers la chose d'incident. D'après le
témoignage du capitaine détective Boyer, le trans-
porteur aérien attend habituellement 30 jours
avant de déposer une plainte pour, vol, de toute
façon. Naturellement, beaucoup de colis sont sim-
plement mal placés, égarés, envoyés à la mauvaise
destination ou temporairement perdus plutôt que
volés, de sorte qu'il n'est pas déraisonnable de
laisser un peu de temps s'écouler avant de considé-
rer une disparition comme un vol. Le capitaine
détective Boyer suggéra de soumettre X au détec-
teur de mensonge puisqu'il était la dernière per-
sonne connue à avoir eu le colis en main. Malheu-
reusement, peu après l'incident en cause, et bien
que l'on ne sache pas si l'incident en question en
est ou non la cause, ledit X a fait une dépression
nerveuse. L'un des employés de son aire de trafic
avait été blessé et il le conduisait au service d'ur-
gence lorsque dans son énervement il fit marche
arrière avec sa voiture involontairement, renver-
sant un autre employé. C'est alors qu'il a fait sa
dépression nerveuse. Suivant le conseil des méde-
cins, la compagnie refusa de le soumettre au détec-
teur de mensonge, ce qui était compréhensible
dans les circonstances. Toutefois, M. Johnson a
insisté pour dire que, lorsqu'on a parlé du détec-
teur de mensonge, il a refusé absolument que le
test ait lieu au cours des heures de travail sur les
lieux de la compagnie. Vu la condition mentale de
X, cette position paraît justifiée mais, n'était cela,
elle serait entièrement inacceptable car l'on doit
attendre la plus complète coopération entre les
inspecteurs du transporteur aérien et la police
locale lorsqu'on cherche à prouver un vol. Les
divers employés qui travaillaient dans le hangar à
l'époque furent interrogés, particulièrement ceux
que l'on soupçonnait parce qu'ils avaient été pré-
sents lors de vols antérieurs. L'employé Y était
responsable du casier de sécurité ce jour-là. On a
jugé sa déposition protégée par le secret profes-
sionnel en un état antérieur de l'instance, sur une
demande de communication de pièces. La deman-
deresse n'a pu localiser l'employé Y après qu'il eut
été relaxé, après sa condamnation pour le vol de
1976, pour le citer à témoigner. Le responsable
d'aire de trafic X fut cité à comparaître mais la
demanderesse ne l'appela pas à la barre car son
avocat croyait que la défenderesse Air Canada s'en
chargerait. Il n'a pas été appelé cependant. Il ne
s'agit pas en l'espèce d'une instance au criminel et
aucune accusation n'a d'ailleurs été retenue contre
lui. La Cour peut tirer certaines conclusions de son
défaut de témoigner. Il n'existe aucune preuve
quant à son état de santé présent mais il se peut
bien que la défenderesse Air Canada ait choisi de
ne pas le soumettre aux rigueurs d'un contre-
interrogatoire. Il est plus probable, cependant,
qu'appelé à la barre, il se serait borné à réitérer les
renseignements donnés à l'inspecteur Johnson (la
défenderesse Air Canada n'a pas excipé de ce
ouï-dire) qu'il a livré le colis au responsable du
casier de sécurité pour qu'il y soit placé et en a
obtenu un reçu qu'il a donné au bureau du respon-
sable d'aire de trafic où il a subséquemment été
détruit après 30 jours. Une chose est claire: il n'y a
aucune inscription comme quoi le colis aurait été
déposé dans le casier de sécurité ou en aurait été
retiré et comme c'est l'employé Y déjà soupçonné
qui aurait été responsable de cela, il est hautement
probable que si ce dernier avait témoigné, il se
serait borné à nier toute connaissance du colis ou
l'avoir reçu de X et lui avoir remis un reçu. Ce
serait pure spéculation, toutefois, que de conclure
qu'il l'a volé. Il peut avoir été aussi négligent à cet
égard que X avec le colis de Toronto, l'avoir laissé
quelque part, avec l'intention de l'inscrire sur le
registre et le placer dans le casier plus tard. Tout
employé et même quiconque avait accès au hangar
aurait pu alors le prendre et Y chercherait à
couvrir sa négligence en prétendant ne l'avoir
jamais reçu. Il peut l'avoir placé dans le casier sans
l'inscrire comme le veut la consigne puis l'avoir
repris plus tard. L'avocat de la défenderesse Air
Canada a laissé entendre que tous ceux qui ont
accès aux hangars, tels les employés des autres
transporteurs et même les étrangers qui se trou-
vent dans l'aéroport, bien qu'ils n'aient aucun droit
de s'y trouver, auraient pu le prendre; mais c'est là
une possibilité fort improbable vu les preuves de
vols antérieurs et subséquents de marchandises par
des employés d'Air Canada dans les hangars réser-
liés aux marchandises à l'aéroport de Dorval et la ,
disparition inexpliquée des documents d'accompa-
gnement.
Comme l'enquête à l'époque n'a révélé aucune
preuve permettant de blâmer un individu en parti-
culier, cela certainement ne saurait être fait main-
tenant; mais je ne doute pas, comme je l'ai déjà
dit, que le colis a été volé par un ou des employés
d'Air Canada y ayant accès, ainsi qu'aux docu
ments d'accompagnement, ce qui a permis de
retarder l'enquête sur le vol.
Air Canada a reconnu sa responsabilité et offert
en paiement $1,000, la limite de sa responsabilité
selon la Convention de Varsovie pour le transport
aérien international à laquelle le chapitre C-14 des
Statuts revisés du Canada de 1970 [Loi sur le
transport aérien] donne effet au Canada. Il échet
d'examiner dans le présent litige si le transporteur
Air Canada peut limiter sa responsabilité ou si
cela est exclu par l'article 25 de ladite Convention
de Varsovie, modifiée par la Convention de La
Haye.
QUESTIONS PROCÉDURALES ET AVEUX
Une question procédurale sérieuse se pose
d'abord, laquelle, bien qu'elle ait été résolue, de
sorte que l'action a pu être instruite au fond, doit
être mentionnée puisqu'un vice apparemment
fatal, quoique circoncis avant l'ouverture de l'ins-
truction, apparaît au dossier. Dans les premiers
états de l'instance, la défenderesse Air Canada a
excipé du déclinatoire, contestant la compétence
de la Cour et, par jugement en date du 18 décem-
bre 1974, fondé sur la jurisprudence de l'époque, il
a été dit que notre juridiction était incompétente et
l'action de la demanderesse a été rejetée avec
dépens. On forma appel de ce jugement. Plusieurs
années s'écoulèrent et, dans l'intervalle, la Cour
d'appel prononça son arrêt dans Bensol Customs
Brokers Limited c. Air Canada' et jugea que notre
juridiction est compétente en matière de demandes
relatives au transport aérien international. Toutes
les parties étant convaincues que cela représente
l'état actuel du droit, elles désirent maintenant
procéder au fond devant notre juridiction. On
aurait pu arriver à ce résultat simplement par un
consentement à l'appel, sur lequel la Cour d'appel,
1 [1979] 2 C.F. 575.
nul doute, aurait agi, suivant ainsi l'arrêt Bensol
Customs Brokers. Toutefois, par inadvertance, les
parties ont versé au dossier d'appel, numéro du
greffe A-339-75, des actes ayant l'effet contraire.
Le 4 décembre 1980, deux actes de procédure ont
été déposés, le premier étant une reconnaissance de
la compétence de notre juridiction, le second un
désistement de l'appel. Mis à part le fait que les
parties ne peuvent conférer compétence à une juri-
diction par leur consentement, car c'est là une
question de droit qu'il appartient à la Cour de
décider, le désistement de l'appel a eu l'effet de
confirmer le jugement du juge Addy, et de fermer
le dossier. Comme le dossier d'appel a aussi été
fermé par le désistement, il devenait impossible de
le retirer et de le remplacer par un consentement à
l'appel, ce que les parties désiraient. Les Règles de
la Cour fédérale prévoient le désistement (Règle
406) et le consentement à un appel en infirmation
d'un jugement (Règle 1212), mais ni l'une ni
l'autre de ces Règles ne sont applicables dans les
circonstances. En outre, l'instance qui avait été
engagée devant la Cour supérieure de Montréal
par suite du jugement du juge Addy, selon lequel
notre juridiction n'avait pas compétence, a été
elle-même abandonnée lorsqu'il a été décidé de
saisir notre juridiction comme le permettait l'arrêt
Bensol Customs Brokers. Il serait manifestement
inéquitable de priver la demanderesse de son
procès au fond par suite d'un vice de procédure
auquel ont contribué les avocats de toutes les
parties qui tous ont signé les actes versés au dossier
d'appel.
Heureusement, ce qui semble être un moyen
honorable de sortir de l'impasse a été découvert
dans l'article 476 du Code de procédure civile du
Québec que voici:
476. Une partie peut renoncer aux droits qui lui résultent
d'un jugement rendu en sa faveur, en produisant au greffe un
désistement total ou partiel, signé d'elle-même ou de son fondé
de procuration spéciale. Le désistement total accepté par la
partie adverse a pour effet de remettre la cause dans l'état où
elle était immédiatement avant le jugement.
Les Règles de la Cour fédérale ne comportent
aucune disposition semblable et, par le jeu de la
Règle 5 (la Règle des lacunes), il a été possible
d'appliquer l'article 476. Avec l'approbation écrite
de toutes les parties, sans réserve, les défenderesses
Air Canada, Swissair et Swiss Air Transport Co.
Ltd. ont renoncé à leurs droits découlant du juge-
ment prononcé par le juge Addy le 20 mai 1975.
L'article 476 ne stipule aucun délai dans lequel le
désistement devrait être fait. Le résultat a été de
placer les parties dans l'état où elles étaient immé-
diatement avant ledit jugement de sorte que l'on
peut maintenant instruire l'action.
Au début de l'instruction, les parties ont fait
divers aveux: que le montant représentant la limi
tation de responsabilité des transporteurs aériens
relativement à une expédition était de $1,000,
lesquels ont été présumés légalement et validement
offerts et consignés à la Cour le jour de l'aveu, le 6
octobre 1981; que l'expédition consistait en dollars
canadiens totalisant $60,400; que le transport était
un transport international visé par la lettre de
transport aérien Swissair numéro 085-626-4641-5;
que la demanderesse autorisée à agir contre les
défenderesses était bien la bonne; que la méthode
de transport utilisée était celle qu'utilisaient nor-
malement La Banque Royale du Canada et la
demanderesse, et que ni Swissair ni Air Canada
n'avaient notifié soit MAT Transport, soit la
demanderesse, soit La Banque Royale du Canada,
du fait qu'Air Canada serait le transporteur de
Zurich à Montréal avant que la disparition ne soit
découverte. Un autre aveu a été fait: que la
demanderesse a versé à Swissair 143.95 francs
suisses soit les frais minimums applicables en vertu
du tarif, et il n'a été perçu aucuns frais addition-
nels, aucune valeur de transport n'ayant été
déclarée.
Air Canada ayant fait certaines demandes de
documents en cours d'instance, on s'y est
conformé.
On a discuté pour savoir si Air Canada devrait
produire les documents apparaissant sur sa liste de
documents déclarés non couverts par le secret pro-
fessionnel par le jugement du 7 juin 1974 ou s'ils
ne pouvaient être produits que par la demande-
resse en présentant des témoins, ce qui aurait exigé
d'en citer un grand nombre, dont plusieurs qu'on
ne retrouverait plus pour identifier des signatures.
On a aussi discuté de la production de photocopies
de certains de ces documents plutôt que des origi-
naux. La Cour a invoqué la Règle 456 que voici:
Règle 456. A tout stade d'une action, la Cour pourra ordonner
à une partie de lui produire un document qui se trouve en la
possession, sous la garde ou sous l'autorité de cette partie et qui
a trait à un point litigieux de l'affaire ou de la question, et la
Cour pourra, lorsque le document est produit, en user de la
manière qu'elle estime à propos.
On a ordonné à la défenderesse Air Canada de
produire tout document sur sa liste que la deman-
deresse désirait voir produit comme pièce et qui
n'avait pas été déclaré couvert par le secret; une
photocopie de tout document de ce genre serait
acceptable si l'original n'était pas disponible, à
moins que la défenderesse Air Canada ne soit en
mesure de montrer que la photocopie n'est pas
conforme à l'original.
La demanderesse dans sa déclaration en date
du 20 octobre 1972 réclamait l'intérêt au taux
commercial courant à compter du moment de la
perte. Au procès, du consentement de toutes les
parties, on a modifié cette demande pour réclamer
l'intérêt au taux préférentiel moyen à compter du
moment de la perte jusqu'à la date du jugement,
l'un des accords produits étant que le taux préfé-
rentiel moyen entre le 6 novembre 1970 et le 6
octobre 1981 avait été de 10.1%, sans préjudice au
droit de la défenderesse Air Canada de soutenir
que seul le/taux d'intérêt légal s'appliquait. Cet
aveu contenait aussi celui selon lequel aucune noti
fication d'arrivée n'avait été donnée soit par Air
Canada, soit par Swissair à MAT Transport, à La
Banque Royale ou à Swiss Bank Corporation, de
l'arrivée à Dorval de la marchandise.
L'interrogatoire préalable du capitaine Proctor a
été versé au dossier comme s'il avait été entière-
ment lu. Les dépositions de P. V. Hohl de Swiss
Bank Corporation, de Charles Redman de MAT
Transport et de B. Mettini, chef du Service des
marchandises de valeur chez Swissair à Zurich,
consignées avec l'accord des parties en Suisse
après interrogatoire par leurs avocats, comme si
consignées en vertu d'une ' commission rogatoire,
ont aussi été versées au dossier, étant convenu que
les dépositions de ces témoins représentaient ce
qu'ils auraient dit s'ils avaient été présents devant
la Cour.
LE DROIT ET LA JURISPRUDENCE
Voici le texte original de l'article 25 de la Con
vention de Varsovie:
Article 25
(1) Le transporteur n'aura pas le droit de se prévaloir des
dispositions de la présente Convention qui excluent ou limitent
sa responsabilité, si le dommage provient de son dol ou d'une
faute qui, d'après la loi du tribunal saisi, est considérée comme
équivalente au dol.
(2) Ce droit lui sera également refusé si le dommage a été
causé dans les mêmes conditions par un de ses préposés agissant
dans l'exercice de ses fonctions.
La Convention de La Haye du 28 septembre 1955
l'a modifié comme suit:
Article XIII
A l'article 25 de la Convention—
les alinéas 1 et 2 sont supprimés et remplacés par la disposition
suivante:
«Les limites de responsabilité prévues à l'article 22 ne s'appli-
quent pas s'il est prouvé que le dommage résulte d'un acte ou
d'une omission du transporteur ou de ses préposés fait, soit
avec l'intention de provoquer un dommage, soit téméraire-
ment et avec conscience qu'un dommage en résultera proba-
blement, pour autant que, dans le cas d'un acte ou d'une
omission de préposés, la preuve soit également apportée que
ceux-ci ont agi dans l'exercice de leurs fonctions.»
Dans le but d'éviter les limitations de responsabi-
lité qu'impose l'article 22, modifié, la demande-
resse fait valoir cet article 25, dont la nouvelle
version s'applique en l'instance.
On s'est référé au texte original toutefois vu que
les États-Unis n'ont pas adhéré à la Convention de
La Haye qui en modifie le texte, ce qui rend, la
jurisprudence américaine de peu d'utilité en l'es-
pèce présente. La jurisprudence anglaise vise aussi
pour la plus grande part le texte original, interpré-
tant le terme «dol» («wilful misconduct»). Une
difficulté sérieuse se pose lorsqu'on recherche une
interprétation internationale uniforme étant donné
que les pays de droit romaniste se sont attachés à
interpréter les termes «dol ou d'une faute qui,
d'après la loi du tribunal saisi, est considérée
comme équivalente au dol» de la version française.
Shawcross et Beaumont, Air Law (2 » éd., 1951),
page 345, concluent que les tribunaux anglais,
jusqu'à cette époque, interprétaient les termes
«wilful misconduct» de la Convention de Varsovie
comme un acte ou un défaut d'agir intentionnel
(1) alors que son auteur a conscience qu'il n'exé-
cute pas son obligation dans les circonstances, ou
(2) [TRADUCTION] «qu'il causera probablement un
dommage à des tiers», ou (3) avec une indifférence
imprudente ignore s'il s'agit ou non d'une inexécu-
tion de son obligation ou le risque de causer un
dommage ou n'y prend pas garde.
Dans un article, William C. Strock, Volume 32,
Journal of Air Law and Commerce (1966) la
page 294, analyse le nouveau texte. Il dit:
[TRADUCTION] Cette modification dans le texte montre que les
nations qui rédigèrent et signèrent le Protocole de La Haye
n'étaient pas satisfaites du texte de la Convention de Varsovie.
Apparemment cela était dû à un changement de circonstances
et d'époque ainsi qu'à un désir de réduire les cas où le transpor-
teur voit sa responsabilité non limitée. Comme compromis, on
doubla le maximum de la limitation de responsabilité. Le
Protocole restreint la responsabilité illimitée en remplaçant le
«dol» («wilful misconduct») par l'exigence de l'intention soit de
causer un dommage, soit de commettre une imprudence.
En Angleterre, la Carriage by Air Act, 1961, 9
& 10 Eliz. 2, c. 27, reprenait les dispositions de la
Convention de Varsovie modifiées par la Conven
tion de La Haye de 1955 mais l'ordonnance Car
riage by Air Acis (Application of Provisions)
Order 1967 [T.R. 1967, N° 480] a substitué à
l'article 25 (c.-à-d. l'article modifié) l'article 25
ancien, de sorte que la jurisprudence britannique
postérieure à 1967 interprète toujours les termes
«wilful misconduct» et doit donc être lue avec
prudence. Shawcross et Beaumont disent à la page
449:
[TRADUCTION] Dans les pays de droit romaniste, il existe
une forte tendance traditionnelle à traiter la faute lourde (gross
negligence) comme équivalente au dol; mais cette tradition ne
laisse pas d'être particulièrement controversée en France où, en
1957, la législation française, suivant en cela l'exemple de la
convention révisée à La Haye, dispose que la faute équivalant
au dol est la «faute inexcusable ... la faute délibérée, qui
implique la conscience de la probabilité du dommage, et son
acceptation téméraire sans raison valable».
Devant les tribunaux anglais, le texte anglais prévaut, et la
question demeure de savoir ce que veut dire l'expression «wilful
misconduct» ou son équivalent.
Traitant de l'article 25 révisé, Giuseppe Guer-
reri dans un article intitulé «Wilful Misconduct in
the Warsaw Convention: A Stumbling Block» 2 dit
à la page 275:
[TRADUCTION] La comparaison des deux textes de l'art. 25
montre que dans le Protocole, ni le terme «dol» ni l'expression
«faute ... équivalente au dol» n'ont été utilisés, évitant ainsi
toute discussion additionnelle à ce sujet par les délégations des
différents pays.
2 The McGill Law Journal, Vol. 6.
Les mots sont disparus mais, à leur place, on a incorporé
dans le texte les concepts mêmes aussi clairement que possible
afin d'éviter toute différence d'interprétation selon les systèmes
de droit.
La faute qui prive le transporteur du bénéfice de la limitation
de responsabilité doit être téméraire et accompagnée de la
conscience de ses conséquences probables. En outre, l'acte
intentionnel exécuté dans le but de causer un dommage rend
bien le sens universellement accepté du terme «dol».
Ainsi, l'article 25 nouveau traduit en précisant et en
limitant les contours la notion de «wilful misconduct» appli-
quée par les juges Anglo-Saxons, sans pour autant s'éloigner
sensiblement de la jurisprudence française statuant au cours
de ces dernières années sur les responsabilités impliquées par
les grands sinistres aériens qui ont endeuillé l'aviation
nationale.
Garnault: Le Protocole de la Haye, [1956] Revue Fran-
çaise de Droit Aérien, 6.
Dans les arrêts français les plus récents, particulièrement
dans l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 3 février 1954
(Hennessy c. Air France), on peut discerner une tendance à
restreindre la «faute lourde» dans des limites fort circonscrites;
en général, on en donne une interprétation restrictive, ce qui
fait que les concepts de «faute lourde» et de «wilful misconduct»
se rejoignent à la fin. Une équivalence de concepts, vient enfin
de s'accomplir entre les différents systèmes de droit.
Vu les différentes tendances rencontrées dans la
jurisprudence ultérieure, il semble que cette opi
nion ait été un peu trop optimiste.
En étudiant les nombreuses affaires que les avo-
cats des parties ont citées à la Cour, il semble qu'il
faille non seulement être prudent lorsqu'on a
recours à la jurisprudence anglaise et américaine,
fondée sur le premier texte de l'article 25 de la
Convention, mais aussi écarter les nombreuses
affaires où il y a eu écrasement d'un avion, puisque
les faits sont alors fort différents de ceux de l'es-
pèce. Il est évident que le pilote dont la vie est en
jeu lorsqu'il vole à une altitude inférieure à celle
autorisée, qui ignore les directives d'un contrôleur
ou qui agit ou n'agit pas dans tel ou tel sens,
témérairement, ne peut être considéré comme
ayant eu l'intention de causer un dommage ou
avoir eu conscience qu'un dommage en résulterait
probablement.
Modification importante apportée à l'article 25,
les termes du vieil article «d'après la loi du tribunal
saisi» ont été omis dans le nouveau. Ce n'est donc
plus la lex fori qui doit être appliquée et, comme
l'avocat de la défenderesse Air Canada l'a fait
remarquer, il est souhaitable de donner une inter-
prétation internationale à la Convention pour assu-
rer l'uniformité des décisions. Quoique cela soit
souhaitable, la jurisprudence des divers pays qui
l'a interprétée n'a nullement été uniforme pas plus
que lorsqu'il s'agit d'interpréter les Règles de La
Haye sur le transport maritime ou la Carriage of
Goods by Sea Act américaine. La défenderesse Air
Canada a cité une jurisprudence imposante publiée
pour la plus grande part dans la Revue Française
de Droit Aérien. Dans l'affaire Lacroix Baart-
mans, Callens, Und, Van Tichelen S.A. c. Swiss
Air 3 , un jugement du tribunal fédéral suisse por-
tant sur un vol de billets de banque consignés en
tant que marchandises de valeur, la Cour a jugé,
aux pages 77 et 78, que:
«... Il ne fait aucun doute que d'après les nouvelles rédactions
de l'article 25 de la Convention et de l'article 10 du règlement
de transport aérien, la faute lourde du transporteur ou de ses
préposés ne suffit plus à déclencher la responsabilité illimitée.
Selon ces dispositions, même la faute lourde commise consciem-
ment ne suffit plus. La responsabilité n'est désormais illimitée
que lorsque le transporteur ou ses préposés a intentionnellement
causé le dommage, ou encore lorsque son acte ou omission a été
téméraire, inconsidéré ... à condition, en outre, qu'il eût cons
cience qu'un dommage résultera probablement de ce comporte-
ment....»
A la page 78 du jugement on poursuit:
Appliquant cette interprétation au cas dont il est saisi, le
tribunal fédéral déclare qu'il n'est pas possible de constater que
les personnes éventuellement responsables de la perte des cinq
colis ont effectivement eu cette conscience. En effet, bien que le
juge de fond fût convaincu qu'un des plusieurs préposés de la
Eastern Airlines qui sont intervenus dans la réexpédition des
colis de New York à Mexico, et dont les noms sont connus, a
été responsable de cette perte, les circonstances de cette réexpé-
dition sont si confuses, qu'il ne peut désigner ce préposé. Or,
«du moment où le Tribunal de Commerce estime qu'il est
impossible de savoir avec certitude où et pourquoi les colis ont
été perdus» il est également impossible d'identifier la personne
dont la faute a causé leur perte et, partant, de «prouver qu'elle
a effectivement eu conscience de la probabilité du dommage,
comme l'exigent les dispositions relatives à la responsabilité
illimitée du transporteur».
et plus bas, sur la même page:
Le tribunal fédéral a ensuite examiné plusieurs hypothèses
avancées par la demanderesse pour expliquer la perte des colis.
Il constate que, en supposant qu'elles soient correctes, elles ne
permettent pas «de constater l'existence du critère subjectif
d'intention et de conscience de la probabilité du dommage».
L'arrêt Tondriau c. Cie Air India 4 de la Cour
de cassation de Belgique traite d'un écrasement
3 1974 R.F.D.A. 75.
4 1977 R.F.D.A. 193.
d'avion et les faits donc ne sont pas pertinents mais
ils demeurent utiles en ce qu'ils confirment que la
Convention doit être interprétée selon les disposi
tions du droit international comme je l'ai déjà dit.
A la page 202, l'arrêt dit:
Mais attendu que la responsabilité en matière de transport
aérien international, question sur laquelle la Cour d'appel était
appelée à statuer, est régie par la Convention internationale de
Varsovie ayant pour objet l'unification des règles applicables en
ce domaine; que le recours au droit interne ne peut dès lors se
concevoir que dans la mesure où la convention y renvoie ou le
permet;
Attendu que l'interprétation d'une convention internationale
qui a pour but l'unification du droit ne peut se faire par
référence au droit national de l'un des Etats contractants; que,
si le texte appelle interprétation, celle-ci doit se faire sur la base
d'éléments propres à la convention, notamment son objet, son
but et son contexte, ainsi que ses travaux préparatoires et sa
genèse; qu'il serait vain d'élaborer une convention destinée à
former une législation internationale, si les juridictions de
chaque Etat l'interprétaient suivant des notions propres à leur
droit;
et plus loin sur la même page:
Attendu que le Protocole de La Haye a eu pour but, à cet
égard, d'éliminer les difficultés nées du texte antérieur, en
fixant, par une solution de compromis, une règle commune,
propre au transport aérien international;
Toutefois, dans un arrêt difficile à comprendre,
Syndicat d'assurances des Lloyds c. Sté Aérofret 5 ,
la Cour de cassation française (Ch. corn.) avait
décidé:
Laisser un colis contenant des diamants dans un magasin
d'aéroport ouvert à tout venant par un préposé du représentant
du transporteur, qui connaissait la nature du contenu, ne
constitue pas une faute inexcusable propre à faire déclencher la
responsabilité illimitée du transporteur prévue par l'article 25
de la Convention de Varsovie.
Dans les Annales de droit aérien et spatial,
1977, Volume II, Bin Cheng procède à une analyse
en profondeur de l'histoire de l'article 25 et de
l'interprétation que lui ont donnée les juridictions
de différents pays. Il cite l'arrêt Tondriau c. Cie
Air India (précité) dans lequel la Cour d'appel de
Bruxelles avait rejeté la démarche suivie par la
Cour de cassation française (i re Ch. Civ.) dans son
arrêt Emery c. Sté Sabena 6 choisissant l'interpré-
tation subjective plutôt que l'interprétation objec
tive qui avait été appliquée au pilote fautif en cette
espèce.
5 1969 R.F.D.A. 397.
6 1968 R.F.D.A. 184.
L'auteur cite l'affaire Rashap c. American Air
lines Inc. 7 dans lequel le juge de district Dawson a
dit, à la page 605:
[TRADUCTION] Le dol (wilful misconduct) ... cela signifie un
acte ou une omission délibérée dont l'auteur: (1) sait qu'il
constitue une inexécution de son obligation sur les lieux; (2)
sait qu'il causera probablement un dommage à des tiers; ou (3)
avec une indifférence imprudente ignore s'il s'agit ou non d'une
inexécution de son obligation ou le risque de causer un dom-
mage ou n'y prend pas garde.
Cette affaire traitait de l'article 25 ancien qui
s'applique toujours aux États-Unis avec son inter-
prétation du terme «dol» («wilful misconducts);
néanmoins, la démarche suivie s'apparente au
texte nouveau: «témérairement et avec conscience
qu'un dommage en résultera probablement».
Après avoir analysé la jurisprudence américaine
et anglaise, Bin Cheng conclut à la page 75:
[TRADUCTION] En bonne doctrine, il semble donc que dans le
troisième cas de faute lourde (wilful misconduct), l'élément
conscience soit requis du délinquant, mais une plus grande
latitude est implicitement accordée pour laisser présumer cette
conscience, qui doit cependant exister, à partir des circons-
tances, ce qui est différent du critère objectif où l'élément
conscience n'est pas requis de l'acteur. Dans ce dernier cas, il
suffit qu'un individu raisonnable, un «bon père de famille» ou
un «bon pilote» (quelle que soit la norme appliquée) ait eu cette
conscience.
Le Protocole de La Haye a été adopté en 1955
et n'est pas entré en vigueur en France avant le ler
août 1963. Entre-temps, le 2 mars 1957, la Loi
57-259 sur la responsabilité des transporteurs
aériens fut adoptée en France modifiant l'article
42(1) de la loi du 31 mai 1924 sur le même sujet
comme suit:
Art. 42. Pour l'application de l'art. 25 de ladite convention
[la convention de Varsovie ou toute convention la modifiant;
voir art. 41], la faute considérée comme équipollente au dol est
la faute inexcusable. Est inexcusable la faute délibérée qui
implique la conscience de la probabilité du dommage et son
acceptation téméraire sans raison valable.
La Cour de cassation persiste dans son interpréta-
tion dite objective de l'article 25 de la Convention
de Varsovie modifié par la Convention de La Haye
quoique Bin Cheng, dans l'article que j'ai déjà
mentionné, rappelant la genèse et les travaux pré-
paratoires des Conventions et l'intention des par
ties contractantes, prétend que c'est l'interpréta-
' 1955 US& Civ. AvR 593.
tion subjective que l'on a voulu consacrer dans le
texte finalement adopté par la Convention de La
Haye. Dans l'affaire Cfe Air-France c. Moinot 8 , à
la page 107, la Cour de cassation (i re Ch. civ.) dit:
... la Cour d'appel a justement considéré que c'était objective-
ment, c'est-à-dire par rapport à une personne normalement
avisée et prudente, qu'il fallait, aux termes de l'article 25 de la
Convention de Varsovie modifié par le Protocole de La Haye,
apprécier si l'auteur de l'acte ou de l'omission téméraire, cause
de l'accident, avait eu conscience qu'un dommage en résulterait
probablement;
Il s'agissait là encore d'une catastrophe aérienne.
Toutefois, le même arrêt est répété dans des affai-
res de transport. Dans l'affaire C,e Le Languedoc c.
Société Hernu-Peron 9 , on dit:
... la faute inexcusable du transporteur ou de ses préposés visée
par l'article 25 de la Convention de La Haye doit être appréciée
objectivement: qu'il convient donc, en l'espèce, de rechercher si
le comportement de la Société H.P. révèle, de sa part, la
conscience qu'elle aurait dû avoir et de sa témérité et de la
possibilité du dommage;
Si j'ai passé en revue la doctrine et la jurispru
dence assez longuement, c'est pour montrer qu'il
n'y a pas de jurisprudence internationale consis-
tante exigeant une interprétation subjective du
membre de phrase «fait, soit avec l'intention de
provoquer un dommage, soit témérairement et
avec conscience qu'un dommage en résultera pro-
bablement> de l'article 25, modifié par la Conven
tion de La Haye, comme la défenderesse Air
Canada le soutient, quoiqu'ait pu être l'intention
des parties signataires au moment où il y eut
adoption du texte nouveau. J'éprouve quelques
difficultés à accepter l'interprétation de la Cour de
cassation belge dans l'arrêt Tondriau (précité) et
dans les autres affaires où l'on adopte l'interpréta-
tion subjective car cela mène fatalement à une
conclusion somme toute absurde. S'il s'avérait
nécessaire d'identifier spécifiquement le voleur
dans les cas où il a été conclu que les marchandises
ont bien été volées en transit par un préposé ou
quelque mandataire agissant dans l'exécution de
ses fonctions, pour sonder ses intentions, avant de
conclure que ce faisant, il les a volées avec l'inten-
tion de causer un dommage, ou témérairement et
avec conscience qu'il en résultera probablement un
dommage, l'exclusion de la limitation de responsa-
8 1976 R.F.D.A. 105.
9 1976 R.F.D.A. 109, aux pages 115 et 116.
bilité ne recevrait que fort rarement application.
On peut certes soutenir qu'un voleur s'empare
d'objets pour son profit et son bénéfice personnels
et non dans l'intention de causer un dommage à
son employeur ou témérairement et avec cons
cience qu'il en résultera probablement un dom-
mage; on peut cependant présumer qu'il savait que
le vol causerait un dommage au propriétaire.
Si nous acceptons ce point de vue, et aucune
jurisprudence ne paraît le contester lorsque la
perte peut être attribuée à un individu particulier,
il est manifestement spécieux de soutenir, lorsque
le vol a eu lieu par suite de la participation d'un ou
de plusieurs individus inconnus, agissant dans
l'exercice de leurs fonctions, que l'intention de
causer un dommage ou la conscience qu'un dom-
mage en résultera probablement ne peuvent être
prouvées parce qu'il est impossible d'identifier
ceux dont on doit examiner les intentions. Tout
voleur, tous les voleurs, doivent savoir qu'un dom-
mage résultera probablement de leur geste même
si ce n'est pas là l'intention particulière qu'ils ont
lorsqu'ils volent le colis en cause. Interpréter l'arti-
cle autrement aurait pour effet de lui enlever toute
signification; c'est donc à bon droit à mon avis que
la Cour de cassation française a adopté l'interpré-
tation objective.
Certes, les mesures de sécurité prises par Air
Canada à l'époque pour assurer la protection des
marchandises de valeur étaient loin d'être parfaites
et certainement inférieures à celles de Swissair, qui
utilisait des véhicules blindés à l'aéroport et des
gardes de sécurité pour transporter ce genre de
colis; je ne puis cependant conclure, d'après la
preuve administrée, que c'est l'absence de ces
mesures ou le défaut de les respecter à la lettre qui
est responsable de la disparition. La faute princi-
pale semble avoir été d'abord le défaut d'agir après
réception du message notifiant que la marchandise
de valeur était en route (quoique la réception de ce
message ait été niée, il est plus probable qu'il ait
été égaré ou que l'on n'en ait pas tenu compte),
ensuite de n'avoir pas accusé réception du colis ni
prévenu Zurich et enfin, pour Air Canada à
Zurich, lorsque aucun accusé de réception n'est
parvenu après les douze heures réglementaires, de
n'avoir pas fait enquête. Ces erreurs sont la cause
du retard mis à découvrir l'absence du colis et à
ouvrir une enquête pour le retrouver. Elles ne
furent pas la cause de sa disparition. Il était aussi
fautif d'employer un individu non au-dessus des
soupçons, l'employé Y, comme responsable du
casier des marchandises de valeur, mais il faut se
rappeler qu'à cette époque, on n'avait pas encore
grand motif de le soupçonner et, bien qu'il ait été,
plusieurs années plus tard, reconnu coupable de
vols de cargaison aérienne, cela n'était pas prévisi-
ble au moment de son engagement ni à l'époque où
il fut affecté à ce poste de confiance.
Donc, pour ce qui est de la responsabilité directe
d'Air Canada, je ne puis conclure que la perte a
résulté d'un acte ou d'une omission de sa part «fait,
soit avec l'intention de provoquer un dommage,
soit témérairement et avec conscience qu'un dom-
mage en résultera probablement». Cela n'exonère
nullement cette défenderesse toutefois car l'article
25 prévoit la même exclusion de la limitation de
responsabilité si le dommage résulte d'un acte ou
d'une omission des préposés du transporteur «fait,
soit avec l'intention de provoquer un dommage,
soit témérairement et avec conscience qu'un dom-
mage en résultera probablement» pour autant que
dans le cas d'un acte ou d'une omission du préposé,
la preuve soit également apportée que celui-ci a agi
dans l'exercice de ses fonctions.
Ayant déjà jugé que l'on peut à bon droit con-
clure que le colis en question n'a pas été perdu ni
égaré mais qu'il a effectivement été volé et que ce
vol a été le résultat d'une action concertée d'un ou
de plusieurs employés d'Air Canada (qui fort pro-
bablement ont aussi volé les documents dont l'exis-
tence aurait autrement suscité une enquête beau-
coup plus tôt), et ayant aussi conclu qu'ils ont dû
commettre ce vol en sachant qu'il en résulterait
probablement un dommage, il ne reste qu'à établir
si ceux-ci ont agi dans l'exercice de leurs fonctions
à l'époque. C'est là en soi une question controver-
sée. Certainement, aucun employé n'est engagé
pour voler mais puisqu'on peut conclure que le ou
les employés qui ont participé au vol travaillaient
dans le hangar réservé aux marchandises ou dans
ses environs à l'époque du vol, on peut soutenir que
ce dernier s'est produit au cours de l'exercice de
leurs fonctions. La jurisprudence a opéré une dis
tinction claire disant que le simple fait d'être un
employé ne signifie pas que l'incident s'est produit
au cours de l'exercice des fonctions comme, par
exemple, si un préposé aux billets ou quelque
membre de l'équipage avait perpétré le vol dans le
hangar des marchandises où il n'a pas à travailler,
mais présumément ce n'est pas ce qui s'est produit;
plutôt, ce sont un ou des employés travaillant dans
le hangar, préposés à la manutention des marchan-
dises ou qui y avaient accès dans l'exercice de leurs
fonctions qui l'ont volé. A cet égard, il est instruc-
tif de considérer l'arrêt anglais Rustenburg Plati
num Mines Ltd. c. South African Airways et Pan
American World Airways Inc. 10 auquel la deman-
deresse donne une importance considérable. Dans
cette affaire, une boîte de platine avait été volée en
transit. Contrairement à la présente espèce, elle fut
jugée sur la base du «dol» stipulé dans l'ancien
texte de l'article 25, adopté en Angleterre par
l'ordonnance Carriage by Air Acts (Application of
Provisions) Order 1967; il fut aussi décidé que Pan
Am Airways était responsable du dol alors qu'en
l'espèce présente je n'estime pas Air Canada direc-
tement responsable de la perte de la marchandise.
L'affaire n'est donc pas citée comme précédent sur
ces points. La décision comme en l'espèce en cause
est fondée sur une présomption que le vol a été
perpétré par un ou des chargeurs au cours du
transfert du colis d'un avion à un autre. On a cité,
à la page 574 du recueil de première instance,
l'affaire Morris c. C. W. Martin & Sons Ltd."
dans laquelle lord Denning, M.R., a déclaré à la
page 69:
[TRADUCTION] ... L'affaire soulève l'importante question de
savoir jusqu'à quel point on doit tenir le maître responsable
pour le vol ou la malhonnêteté de l'un de ses préposés. Si le
maître a lui-même été en faute en n'employant pas un
homme de confiance, il est bien sûr responsable. Mais qu'en
est-il lorsque le maître lui-même n'est pas en faute?
Le droit à cet égard a grandement évolué au cours des
années. Au cours du 19® siècle, il était accepté, comme droit,
que le maître était responsable de la malhonnêteté voire de la
fraude de son préposé si elle avait lieu dans l'exécution de ses
fonctions et pour le profit du maître. La malhonnêteté ou la
fraude du préposé pour son propre profit faisait que celui-ci
n'était plus dans l'exécution de ses fonctions. Les juges
avaient cette vue simple des faits: aucun préposé devenu
voleur n'agit dans l'exercice de ses fonctions. Il agit en dehors
totalement de celles-ci. Mais en 1912 l'arrêt Lloyd c. Grace
Smith & Co., [1912] A.C. 716, révolutionna le droit en
jugeant le maître responsable de la malhonnêteté ou de la
fraude de son préposé s'il était dans l'exercice de ses fonc-
tions que ce soit pour le bénéfice du maître ou pour celui du
préposé...
10 [1977] 1 Lloyd's Rep. 564. Cour d'appel [1979] 1 Lloyd's
Rep. 19.
" [1965] 2 Lloyd's Rep. 63.
A la page 575, le juge Ackner ajoute:
[TRADUCTION] Lord Denning, M.R., poursuivit en disant
que, bien entendu, la question demeurait toujours de savoir ce
que l'on entendait par l'expression «dans l'exercice de ses
fonctions». Après avoir dit que la jurisprudence était déconcer-
tante, il concluait qu'en dernière analyse cela dépendait de la
nature de l'obligation dont le maître était débiteur envers celui
dont les biens avaient été perdus ou endommagés. A la page 70
il disait:
Le maître a l'obligation de conserver en sûreté les mar-
chandises, et de les protéger du vol et de tout dommage. Il ne
peut se débarrasser de cette responsabilité en déléguant son
obligation à un autre. S'il charge son préposé de cette
obligation, il doit répondre de la manière dont celui-ci l'exé-
cute. Que le préposé soit négligent, qu'il commette une
fraude, ou qu'il soit malhonnête, peu importe, le maître est
responsable. Mais non s'il n'a pas semblable obligation.
A la page 576, le juge Ackner ajoute encore:
[TRADUCTION] En conséquence, en droit anglais, le vol du
chargeur A a été fait dans l'exercice de ses fonctions. Manifes-
tement ses fonctions incluaient l'obligation de prendre un soin
raisonnable du colis au cours du chargement à bord de l'avion.
et à nouveau, à la page 577:
[TRADUCTION] En tout état de cause, je suis convaincu par
les pièces dont on m'a saisi que l'interprétation que j'ai donnée
aux termes «agissant dans l'exercice de ses fonctions» est géné-
ralement, sinon universellement, acceptable.
En appel, lord Denning a dit à la page 23:
[TRADUCTION] Si cette perte résulta de la faute lourde d'un
préposé du transporteur, agissant dans l'exercice de ses fonc-
tions, le transporteur ne peut plus invoquer la limite de respon-
sabilité. Il est responsable pour la pleine valeur de la
marchandise.
et à nouveau, [aux pages 23 et 24] après avoir revu
la jurisprudence antérieure:
[TRADUCTION] Si cette boîte de platine a été volée par l'un des
chargeurs à qui avait été confiée la tâche de la placer soigneu-
sement à bord de l'avion, pour qu'elle soit en toute sécurité, si
c'est lui qui l'a volée ou si cela s'est fait avec la complicité
d'autres personnes à l'extérieur de l'avion, cet individu est
coupable d'une faute lourde dans l'exercice de ses fonctions. Ce
serait différent si elle avait été volée par un individu qui
n'aurait rien à voir avec le chargement, comme si elle avait été
volée par un passager ou par un membre de l'équipage. Alors
celui-ci n'aurait évidemment pas été dans l'exercice de ses
fonctions — à moins qu'on (un responsable de la garde de la
boîte) ait été négligent en laissant quelque passager ou membre
d'équipage y avoir accès. Alors, bien entendu, la responsabilité
naîtrait de la négligence de cet individu qui serait alors dans
l'exercice de ses fonctions.
et encore à la page 24:
[TRADUCTION] Ce à quoi je puis ajouter que si ce préposé est
coupable d'une faute lourde dans la manière dont il exerce ses
fonctions dans la mesure où il vole les marchandises lui-même
ou s'associe avec d'autres pour les voler ou leur permet de les
voler, alors, dans ces circonstances, ce préposé commet une
faute lourde dans l'exercice de ses fonctions.
et enfin, toujours à la page 24:
[TRADUCTION] Il me semble donc, comme l'a pensé le juge
de première instance, que cette boîte de platine a été volée par
l'action combinée de l'un des chargeurs responsables de la tâche
même de la charger soigneusement et d'un complice dans les
véhicules à l'extérieur, le premier plaçant la boîte en une
position permettant de la retirer de l'avion au moment crucial
et de la voler. C'était certainement là commettre une faute
lourde dans l'exercice de ses fonctions.
Cette question a aussi soulevé une controverse
considérable au Canada. L'arrêt de principe cana-
dien The Governor and Company of Gentlemen
Adventurers of England c. Vaillancourt 12, inter-
prétant l'article 1054 du Code civil du Québec,
dont les termes «dans l'exécution des fonctions
auxquelles ces derniers sont employés» ressemblent
fort aux termes «agi dans l'exercice de leurs fonc-
tions» de l'article 25 de la Convention, a décidé
qu'un facteur de la Baie d'Hudson qui avait tué un
employé ivre et désobéissant engageait néanmoins
la responsabilité de son employeur. A la page 429,
le juge Mignault écrivit:
Il ne me paraît pas douteux que le maître ne peut se
soustraire à sa responsabilité pour les actes de son préposé sous
prétexte que le préposé s'est rendu coupable d'un crime pour
lequel aucun mandat ne lui avait été donné, s'il est constaté que
ce crime a été commis dans l'exercice des fonctions du préposé.
mais il ajouta:
Mais il est également certain que le maitre n'est pas responsa-
ble du délit ou crime dont son préposé s'est rendu coupable en
dehors de ses fonctions.
Dans l'arrêt Velan-Hattersley Valve Co. Ltd. c.
Johnson", la Cour d'appel du Québec a analysé
cet arrêt ainsi que l'arrêt antérieur de la Cour
suprême Curley c. Latreille 14 . Le juge Taschereau
avait décidé que le fait que les vols avaient été
commis par un employé de la défenderesse alors
qu'il était responsable des marchandises ne justi-
fiait pas la condamnation de l'employeur vu que la
preuve n'était fondée que sur des soupçons et qu'en
outre les vols n'avaient pas été commis alors que
l'employé était dans l'exercice de ses fonctions
mais à l'occasion de celles-ci, en dépit du fait que
la défenderesse, qui avait l'obligation de fournir les
12 [1923] R.C.S. 414.
13 [1971] C.A. 190.
14 (1920) 60 R.C.S. 131.
services d'un garde de sécurité, en avait engagé un
condamné pour vol à quatre reprises. L'éminent
juge opéra un distinguo d'avec l'affaire de la Baie
d'Hudson parce que, même si l'employé avait volé
la marchandise, on ne pouvait établir que c'était
dans l'exercice de ses fonctions puisque ce qu'il
avait fait était contraire aux obligations qu'il avait
assumées envers son employeur. Les deux autres
juges du pourvoi semblent avoir fondé leur déci-
sion avant tout sur le fait qu'il n'existait qu'une
présomption que le vol avait été commis par l'em-
ployé en cause, plutôt que sur la question plus
difficile de savoir, s'il avait commis le vol en
question, si on devait le considérer comme dans
l'exercice de ses fonctions ce faisant. Si l'on
regarde les versions françaises des articles 1054 du
Code civil du Québec et 25 de la Convention, il se
peut que le Code civil, qui emploie les termes
«dans l'exécution des fonctions auxquelles ces der-
niers sont employés» alors que l'article 25 se borne
à dire «dans l'exercice de leurs fonctions», soit plus
restrictif. Les versions anglaises emploient les
termes «in the performance of the work for which
they are employed» et «within the scope of his
employment». L'une et l'autre version de l'article
25 semblent autoriser un peu plus de latitude.
Je conclus donc que le vol présumé du colis en
question par un ou des employés de la défenderesse
Air Canada peut être considéré comme régi par les
dispositions de l'article 25 de la Convention parce
qu'il s'est produit dans l'exercice de leurs fonctions
ou «within the scope of /theirJ employment», la
possibilité de le faire étant apparue alors qu'ils
travaillaient dans le hangar réservé aux marchan-
dises, à manipuler des marchandises, dont le colis
précieux en cause.
Il y aura donc jugement pour le plein montant
de la perte, montant convenu de $60,400.
L'INTÉRÊT
La question de l'intérêt demeure; elle est fort
importante vu le long délai avant l'instruction de
l'affaire et l'escalade rapide des taux d'intérêt
commerciaux au cours de la même période. Voici
le paragraphe 21 de la déclaration de la demande-
resse, modifiée:
[TRADUCTION] La demanderesse a droit à l'intérêt sur lesdits
billets de banque au taux préférentiel moyen à compter de la
date de la perte, courant jusqu'au jour du jugement.
L'un des aveux faits est que le taux préférentiel du
6 novembre 1970 au 6 octobre 1981 s'est élevé à
10.1% mais cet aveu a été fait sans préjudice au
droit pour la défenderesse de soutenir que seul le
taux légal d'intérêt s'applique.
L'article 40 de la Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 10, dispose:
40. A moins qu'il n'en soit autrement ordonné par la Cour,
un jugement, notamment un jugement contre la Couronne,
porte intérêt à compter du moment où le jugement est rendu au
taux prescrit par l'article 3 de la Loi sur l'intérêt.
Cela ne s'applique qu'à l'intérêt sur les jugements
toutefois.
Il est bien établi qu'en droit maritime, la Cour
peut accorder l'intérêt à discrétion, que la
demande soit contractuelle ou délictuelle, comme
une partie intégrante des dommages-intérêts, à
compter du moment où la dépense cause de l'attri-
bution des dommages-intérêts a eu lieu (voir
Canadian Brine Limited c. Le Scott Misener» i5
et La Compagnie de Téléphone Bell du Canada—
Bell Canada c. Le «Mar-Tirenno» 16 , confirmé en
appel par [1976] 1 C.F. 539. Cette jurisprudence
suit la pratique anglaise d'exercer une compétence
d'équité. On ne m'a cité aucune jurisprudence
toutefois, ni n'ai-je été à même de trouver quelque
précédent où l'on aurait accordé l'intérêt à comp-
ter de la date du dommage, si ce n'est par applica
tion des règles de droit ou de procédure provincia-
les ou d'une législation, sauf, comme mentionné
ci-dessus, en matière maritime. L'espace présente
traite de transport aérien, non de droit maritime.
Je ne puis trouver aucun précédent m'autorisant
à accorder au nom de l'équité la demande d'intérêt
avant jugement de la demanderesse. Ce sont les
dispositions de la Convention de Varsovie, modi
fiées par la Convention de La Haye, qui doivent
être appliquées en l'espèce, non les dispositions du
droit fédéral ou provincial, qu'un intérêt de ce
genre ait ou non été accordé selon le droit de la
province de Québec où l'action a été instruite. En
équité, certainement la demanderesse a subi une
perte d'intérêt sur cet argent à compter du 6
novembre 1970, mais on peut aussi dire que la
défenderesse Air Canada n'a pas non plus profité
15 [1962] R.C.É. 441.
' 6 [1974] 1 C.F. 294.
de cet intérêt puisque l'argent n'était pas en sa
possession. L'article 14 de la Convention de Varso-
vie autorise tant l'expéditeur que le destinataire à
engager l'action en leur nom propre, qu'ils agissent
en leur propre intérêt ou dans l'intérêt d'autrui, et
les parties reconnaissent que Swiss Bank Corpora
tion est la demanderesse appropriée bien qu'elle ait
été remboursée de sa perte par son assureur,
Baloise Insurance Company, le 5 novembre 1971.
En pratique, Swiss Bank Corporation a perdu
l'intérêt d'un an et Baloise Insurance Company,
celui ayant couru depuis le 5 novembre 1971.
L'article 14(3) des [TRADUCTION] Conditions
générales de transport de marchandises de Swiss-
air (pièce DAC -1) dont la demanderesse a accepté
les modalités en délivrant la marchandise à
Swissair pour qu'elle la transporte, stipule que
[TRADUCTION] «un transporteur n'est pas respon-
sable des dommages indirects ou consécutifs. Le
transporteur n'est pas responsable des pertes de
revenu.» L'intérêt, c'est le revenu que la conserva
tion de l'argent aurait généré. Avec regret, donc, je
ne crois pas que l'intérêt ayant couru antérieure-
ment au jugement puisse être accordé ni que la
Cour doive s'écarter de sa pratique habituelle et
accorder l'intérêt au taux commercial plutôt qu'au
taux légal à compter du jugement.
La demanderesse a, à bon droit, engagé l'action
à la fois contre Air Canada et contre Swissair et
Swiss Air Transport Co. Ltd., à qui le colis avait
d'abord été délivré pour transport, obligeant ainsi
Swissair à produire une défense. Swissair appela
Air Canada en garantie conformément à la Règle
1730 demandant de l'indemniser de tout jugement
que la demanderesse peut recouvrer de Swissair et
de tous les frais, frais judiciaires et honoraires
d'avocat engagés pour se défendre de l'action.
L'action de la demanderesse sera accueillie, avec
dépens, contre Air Canada seulement, aucune
faute n'étant attribuable à Swissair. L'appel en
garantie de Swissair contre Air Canada sera
accueilli, avec dépens, y inclus les dépens engagés
par Swissair en contestation de l'action de la
demanderesse.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.