T-3440-80
Herman Lindy (Appelant)
c.
Le registraire des marques de commerce (Intimé)
Division de première instance, le juge Dubé—
Montréal, 17 mars; Ottawa, 25 mars 1981.
Marques de commerce — Appel contre la décision du
registraire de radier l'enregistrement de la marque de com
merce «Friday's» au motif du défaut de l'appelant de prouver
son emploi — L'appelant est le propriétaire inscrit de la
marque de commerce — L'appelant a produit un affidavit
d'emploi en réponse à la demande de radier l'enregistrement de
la marque de commerce — L'affidavit établit, à la date de
l'avis, l'utilisation au Canada en liaison avec les services
rendus et «indique» l'emploi — L'affidavit n'établit pas l'uti-
lisation par l'appelant — Il échet de déterminer si l'affidavit
répond aux exigences de l'art. 44 de la Loi sur les marques de
commerce — Appel rejeté — Loi sur les marques de com
merce, S.R.C. 1970, c. T-10, art. 2 et 44.
Distinction faite avec l'arrêt: Aerosol Fillers Inc. c. Plough
(Canada) Ltd. [1980] 2 C.F. 338, confirmé â [1981] 1
C.F. 679. Arrêts mentionnés: American Distilling Co. c.
Canadian Schenley Distilleries Ltd. (1979) 38 C.P.R. (2e)
60; Broderick & Bascom Rope Co. c. Le registraire des
marques de commerce (1970) 62 C.P.R. 268; Re Wolfville
Holland Bakery Ltd. (1965) 42 C.P.R. 88; The Noxzema
Chemical Co. of Canada Ltd. c. Sheran Manufacturing
Ltd. [1968] 2 R.C.É. 446.
APPEL.
AVOCATS:
Mortimer G. Freiheit et James Woods pour
l'appelant.
Robert W. Côté pour l'intimé.
Terrance J. McManus pour Ken Dolan Inc.
(partie intéressée).
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Tamaki, Mercier & Robb,
Montréal, pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Scott & Aylen, Ottawa, pour Ken Dolan Inc.
(partie intéressée).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE Dust: L'appel est dirigé contre la
décision du registraire des marques de commerce
de radier l'enregistrement de la marque de com
merce «Friday's» de l'appelant, sur demande de
Ken Dolan Inc.
Le 4 mai 1973, Friday's Ltd., société dont l'ap-
pelant est le président et le principal actionnaire,
obtint l'enregistrement de cette marque de com
merce. Le 4 août 1977, Friday's Ltd. céda ses
droits dans la marque à l'appelant et, le 25 novem-
bre 1977, ce dernier fut inscrit au Bureau des
marques de commerce comme propriétaire inscrit.
Le 30 octobre 1978, sur demande écrite du requé-
rant susmentionné, le registraire délivra un avis en
application de l'article 44 de la Loi sur les mar-
ques de commerce'.
Le 21 mai 1980, après le dépôt de l'affidavit de
l'appelant, le registraire décida de radier l'enregis-
trement au motif que, à la date de la délivrance de
l'avis en application de l'article 44 ou avant cette
date, c'était Friday's Ltd., l'ancien propriétaire
inscrit, qui employait cette marque, et non l'appe-
lant. Le registraire conclut comme suit:
[TRADUCTION] Le fait que Herman Lindy est le président et le
principal actionnaire de Friday's Ltd. n'établit nullement que
c'est lui qui emploie la marque de commerce .... Suivant
l'article 44(1), le propriétaire inscrit doit établir que, à la date
de la délivrance de l'avis en application de l'article 44, c'est lui
qui employait la marque de commerce en liaison avec chacun
des services dans le cours habituel du commerce au Canada.
Les paragraphes applicables sont ainsi conçus:
44. (1) Le registraire peut, à tout moment, et doit, sur la
demande écrite présentée après trois années à compter de la
date de l'enregistrement, par une personne qui verse les droits
prescrits, à moins qu'il ne voie une raison valable à l'effet
contraire, donner au propriétaire inscrit un avis lui enjoignant
de fournir, dans les trois mois, un affidavit ou une déclaration
statutaire indiquant, à l'égard de chacune des marchandises ou
de chacun des services que spécifie l'enregistrement, si la
marque de commerce est- employée au Canada et, dans la
négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et
la raison de son défaut d'emploi depuis cette date.
(3) Lorsqu'il apparaît au registraire, en raison de la preuve à
lui fournie ou de l'omission de fournir une telle preuve, que la
marque de commerce, soit à l'égard de la totalité des marchan-
dises ou services spécifiés dans l'enregistrement, soit à l'égard
de l'une quelconque de ces marchandises ou de l'un quelconque
de ces services, n'est pas employée au Canada, et que le défaut
d'emploi n'a pas été attribuable à des circonstances spéciales
qui le justifient, l'enregistrement de cette marque de commerce
est susceptible de radiation ou modification en conséquence.
' S.R.C. 1970, c. T-10.
Le registraire s'est principalement fondé sur la
décision Aerosol Fillers Inc. c. Plough (Canada)
Limited 2 , dans laquelle le juge Cattanach a dit
ceci [à la page 344]:
Dans ces circonstances, je suis d'avis qu'il incombe au regis-
traire d'exiger la plus grande précision dans les preuves qui lui
sont présentées. Une simple déclaration non étayée quant à
l'emploi d'une marque est inacceptable; de plus, toute alléga-
tion ambiguitas patens dans un affidavit le rend irrecevable.
Dans l'affaire Aerosol, le seul document perti
nent produit devant le registraire était un paragra-
phe de l'affidavit énonçant que Plough [TRADUC-
TION] «emploie ... la marque de commerce
déposée PHARMACO dans la pratique normale du
commerce en liaison avec des préparations
pharmaceutiques.»
Toutefois, à mon avis, l'affidavit déposé par
Herman Lindy n'est pas une simple déclaration
d'emploi, sans aucune preuve à l'appui. Cet affida
vit satisfait aux exigences de l'article 44 en ce qu'il
établit qu'à la date de l'avis, soit le 30 octobre
1978, la marque de commerce «Friday's» était
employée au Canada, en liaison avec les services
rendus. Loin d'être une simple affirmation relative
à l'emploi, cet affidavit «indique» l'emploi. Il donne
une description du genre d'emploi en question; il
fournit deux articles de presse relatifs à la qualité
des aliments et du service chez Friday's, ainsi
qu'une mention à la télévision, une publicité pour
la carte de crédit American Express, des photoco
pies de pochettes d'allumettes et de serviettes de
table utilisées au restaurant et portant imprimée la
marque de commerce «Friday's», une copie des
banderoles distribuées aux clients, et même une
copie du menu de «Friday's». L'affidavit «indique»
indéniablement que la marque de commerce «Fri-
day's» était employée en liaison avec les services
fournis pendant la période en question.
Il n'établit toutefois pas que la marque de com
merce était utilisée au Canada par l'appelant. Il
prouve seulement qu'elle était utilisée au Canada
par Friday's Ltd.
J'admets avec l'appelant que les procédures de
l'article 44 n'ont pas pour objet de déterminer un
droit de propriété sur la marque de commerce,
mais de rechercher si celle-ci est employée au
Canada. L'article 44 vise à débarrasser le registre
2 [1980] 2 C.F. 338, confirmé par la Cour d'appel [1981] 1
C.F. 679.
du [TRADUCTION] «bois mort». Cela a été claire-
ment affirmé par le juge en chef adjoint Thurlow
(tel était alors son titre) dans la décision American
Distilling Co. c. Canadian Schenley Distilleries
Ltd. 3 ; par le président Jackett (tel était alors son
titre) dans la décision Broderick & Bascom Rope
Co. c. Le registraire des marques de commerce 4 ;
et par le président Thorson dans Re Wolfville
Holland Bakery Ltd. 5 , où il a affirmé ce qui suit à
la page 91:
[TRADUCTION] Il est évident que le but de l'art. 44 de la Loi
est de fournir une procédure afin d'émonder, pour ainsi dire, le
registre des marques de commerce, en se débarrassant du «bois
mort», je veux dire des marques de commerce qui ne sont plus
employées ....
Pour satisfaire aux exigences de l'article 44, il
suffit au propriétaire inscrit de fournir [TRADUC-
TION] «une preuve quelconque» de l'emploi de la
marque de commerce au Canada. C'est ce qui,
dans la décision The Noxzema Chemical Co. of
Canada Ltd. c. Sheran Manufacturing Ltd. 6 , a été
nettement affirmé par le président Jackett à la
page 452:
[TRADUCTION] Selon moi, il institue une procédure sommaire
par laquelle le propriétaire inscrit d'une marque de commerce
est requis de fournir une preuve quelconque de l'emploi au
Canada de la marque de commerce enregistrée ....
Il ne faut pas considérer l'article 44 comme un
moyen pour radier une marque de commerce ins-
crite dans le registre au motif qu'elle n'exprime
pas des droits en vigueur. C'est l'article 57 de la
Loi qui s'applique dans de tels cas. Comme l'a dit
le juge en chef adjoint Thurlow (tel était alors son
titre) dans la décision précitée American Distilling
Co., à la page 62:
[TRADUCTION] Sous le régime de l'art. 44, les seules questions
qui se posent et sur lesquelles doit porter l'affidavit ou la
déclaration, sont de savoir si la marque de commerce est
présentement employée et, dans la négative, à quelle date elle a
été employée pour la dernière fois et pourquoi elle n'est plus
employée.
Il ne faut pas, non plus, considérer les disposi
tions de l'article 44 comme définissant la procé-
dure à suivre pour décider si un propriétaire a
(1979) 38 C.P.R. (2e) 60.
4 (1970) 62 C.P.R. 268.
5 (1965) 42 C.P.R. 88.
6 [1968] 2 R.C.É. 446.
abandonné sa marque de commerce au sens de
l'article 18(1)c) de la Loi'. Dans la décision Nox-
zema précitée, le président Jackett (tel était alors
son titre) a affirmé ce qui suit aux pages 451 et
452:
[TRADUCTION] A mon avis, cette disposition indique claire-
ment que l'article 44 ne vise pas à déterminer si une marque de
commerce a été abandonnée, mais constitue simplement une
procédure pour débarrasser le registre des marques dont le
propriétaire inscrit ne soutient pas véritablement qu'il ne les a
pas abandonnées .... Selon moi, l'article 44 ne définit pas une
procédure sommaire pour décider si une marque de commerce
enregistrée a été «abandonnée» au sens de l'article 18(1)c).
Et, comme l'appelant l'a fait justement ressortir,
l'article 44 ne dispose pas expressément que la
marque de commerce doit être employée au
Canada par le propriétaire inscrit lui-même. Il n'y
a aucune jurisprudence sur ce sujet précis.
L'avocat de l'intimé, ainsi que le requérant, se
fondent sur toute une série de décisions 8 relatives à
d'autres articles de la Loi pour prouver que le
terme «employée» dans la Loi signifie employée
par le propriétaire inscrit ou un usager inscrit. En
revanche, l'avocat de l'appelant invoque d'autres
décisions 9 , relatives elles aussi à d'autres aspects
de la loi, pour établir que l'«emploi» peut être fait
par d'autres personnes telles que des entités juridi-
ques ou des entreprises commerciales contrôlées
par le propriétaire inscrit.
' Le requérant a déposé devant cette Cour un avis introductif
de requête (n° T-3415-78) tendant à la radiation de la marque
de commerce «Friday's». L'appelant a également introduit une
action devant cette Cour (n° T-3418-78) en alléguant une
violation de brevet par le requérant.
Marketing International Ltd. c. S.C. Johnson and Son,
Limited [1979] 1 C.F. 65; Wilkinson Sword (Canada) Limited
c. Arthur Juda, faisant affaires sous la raison sociale Conti
nental Watch Import Co. (1966) 34 Fox Pat. C. 77; The
Molson Companies Ltd. c. Halter (1977) 28 C.P.R. (2') pp.
158 182; John Labatt Ltd. c. The Cotton Club Bottling Co.
(1976) 25 C.P.R. (2°) pp. 115 126; Gattuso c. Gattuso Corp.
Ltd. [1968] 2 R.C.É. 609; Noxzema Chemical Co. of Canada
Ltd. c. Sheran Manufacturing Ltd. (précitée).
9 Gray Rocks Inn Ltd. c. Snowy Eagle Ski Club Inc. (1972)
3 C.P.R. (2°) 9; Upjohn Co. c. Lino Aires de Oliveira Valadas
(1978) 33 C.P.R. (2°) 257; Good Humor Corp. of America c.
Good Humor Food Products Ltd. [1937] R.C.E. 61; Berg c.
Segal Furniture Ltd. (1974) 14 C.P.R. (2') 215; Foodcorp
Limited c. Chalet Bar B-Q (Canada) Inc. (1981) 55 C.P.R.
(2') 46.
A mon avis, il résulte nécessairement de l'en-
semble de la Loi que l'expression «employée au
Canada» signifie employée par le propriétaire ins-
crit ou par l'usager inscrit.
Le mot «emploi» est ainsi défini à l'article 2 de la
Loi:
2....
«emploi» ou «usage», à l'égard d'une marque de commerce
signifie tout emploi qui, selon l'article 4, est réputé un emploi
en liaison avec des marchandises ou services;
L'article 4, qui définit dans quelles conditions
une marque de commerce est censée employée, est
ainsi conçu:
4. (1) Une marque de commerce est censée employée en
liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la pro-
priété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique
normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises
mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont
distribuées ou si elle est, de quelque autre manière, liée aux
marchandises au point qu'avis de liaison est alors donné à la
personne à qui la propriété ou possession est transférée.
(2) Une marque de commerce est censée employée en liaison
avec des services si elle est employée ou montrée dans l'exécu-
tion ou l'annonce de ces services.
L'article 2 définit ainsi la «marque de com
merce»:
2....
«marque de commerce» signifie
a) une marque qui est employée par une personne aux fins ou
en vue de distinguer des marchandises fabriquées, vendues,
données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés,
par elle, de marchandises fabriquées, vendues, données à bail
ou louées ou de services loués ou exécutés, par d'autres,
[C'est moi qui souligne.]
La personne en question doit être le propriétaire
inscrit. De toute évidence, il ne peut s'agir d'un
concurrent ou d'un étranger. Si la personne con-
cernée était un cessionnaire du propriétaire inscrit,
elle devrait se faire inscrire comme «usager inscrit»
conformément à l'article 49 pour pouvoir se préva-
loir de «l'emploi permis». Selon le paragraphe
49(3), l'emploi permis d'une marque de commerce
a le même effet, à toutes fins de la présente Loi,
qu'un emploi de cette marque par le propriétaire
inscrit 10 . Etendre à d'autres personnes les privilè-
ges de «l'emploi permis» sans l'inscription prévue à
l'article 49 reviendrait à priver ce dernier de tout
effet. Au surplus, rien dans la Loi ne permet à une
10 Voir le juge Pigeon dans S.C. Johnson and Son, Limited c.
Marketing International Ltd. [1980] 1 R.C.S. 99.
entité juridique non inscrite contrôlée par le pro-
priétaire inscrit d'employer la marque au Canada
avec le même effet, aux fins de l'article 44 ou â
toute autre fin, qu'un emploi de cette marque par
le propriétaire inscrit.
Il résulte des motifs précédents que l'appel doit
être rejeté avec dépens.
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