T-4448-80
Asbjorn Hogard A/S (Demanderesse)
c.
Northwest Tackle Manufacturing Limited et
Gibbs Tool and Stamping Works Ltd. (Défende-
resses)
Division de première instance, le juge Walsh—
Toronto, ler juin; Ottawa, 4 juin 1981.
Pratique — Marques de commerce — Action visant à
obtenir un jugement déclarant que les défenderesses ont fait
passer leurs marchandises pour celles de la demanderesse, que
l'enregistrement est invalide et qu'il doit être radié du registre
— Requête de la demanderesse tendant à une ordonnance
portant que des dirigeants des compagnies défenderesses com-
paraissent aux fins d'un interrogatoire préalable et que la
convocation soit signifiée à leurs procureurs — Requête des
défenderesses demandant à la Cour de déterminer si les al.
7a),b) et c) de la Loi sur les marques de commerce sont ultra
vires et si la Cour a compétence pour connaître d'une action
fondée sur ces alinéas — Il échet d'examiner s'il devrait y
avoir une décision préliminaire sur un point de droit en vertu
de la Règle 474 — La requête des défenderesses est rejetée —
La requête de la demanderesse est ajournée sine die — Loi sur
les marques de commerce, S.R.C. 1970, c. T-10, art. 7a),b),c),
57, 58 — Règles 465(8), 474 de la Cour fédérale.
La demanderesse tente d'obtenir une ordonnance portant
qu'un dirigeant de chacune des compagnies défenderesses com-
paraisse aux fins d'un interrogatoire préalable et que la convo
cation soit signifiée aux procureurs de ces dernières. La deman-
deresse conclut à un jugement déclarant que les défenderesses
ont fait passer leurs marchandises pour celles de la demande-
resse contrairement à l'article 7 de la Loi sur les marques de
commerce. Elle conclut aussi à un jugement déclarant que la
marque de commerce «NORSE SILDA» de la défenderesse Gibbs
est invalide et doit être radiée du registre. Elle demande en
outre une injonction interdisant aux défenderesses d'employer
la marque de commerce «sTINGSILDwa ou des mots que l'on
peut confondre avec cette marque et d'utiliser des emballages
semblables à ceux dont se sert la demanderesse pour les leurres
de pêche qu'elle vend au Canada. Les défenderesses tentent
d'obtenir une décision en application de la Règle 474, savoir si
les alinéas 7a),b) et c) de la Loi sont ultra vires et si la Cour a
compétence pour connaître d'une action fondée sur ces alinéas.
Il échet d'examiner si la Cour doit se prononcer sur cette
question préliminaire à titre de point de droit conformément à
la Règle 474.
Arrêt: la requête des défenderesses est rejetée et celle de la
demanderesse est ajournée sine die. La Règle 474 investit la
Cour du pouvoir discrétionnaire de déterminer s'il y a lieu de
procéder à l'instruction préliminaire d'un point de droit.
D'après la jurisprudence, la Cour ne doit le faire que si sa
décision sur le point de droit vide le litige dont elle est saisie.
On ne peut conclure à cette étape des procédures que si la
décision sur le point de droit était défavorable à la deman-
deresse, l'action en radiation de la marque de commerce suc-
comberait inéluctablement sur un point de procédure. En
conséquence, la présente action, à cause de sa dualité, ne se
prête pas à l'instruction préliminaire d'un point de droit prévue
à la Règle 474. Il n'est pas nécessaire que la Cour se prononce
sur la requête de la demanderesse.
Arrêts mentionnés: MacDonald c. Vapor Canada Ltd.
[1977] 2 R.C.S. 134; Motel 6, Inc. c. No. 6 Motel Ltd.
[1982] 1 C.F. 638; The Clarkson Co. Ltd. c. La Reine
[1978] 1 C.F. 481; Lignes aériennes Canadien Pacifique
Ltée. c. La Reine [1976] 1 C.F. 494. Arrêt appliqué:
Cardinal c. La Reine [1977] 2 C.F. 698.
REQUÊTE.
AVOCATS:
K. D. McKay pour la demanderesse.
B. Edmonds et G. Clarke pour les défenderes-
ses.
PROCUREURS:
Donald F. Sim, c.r., Toronto, pour la
demanderesse.
McCarthy & McCarthy, Toronto, pour les
défenderesses.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: La Cour a été saisie en l'es-
pèce de deux requêtes, la première émanant des
défenderesses qui invoquent la Règle 474 des
Règles de la Cour pour demander une décision sur
des points de droit, savoir si les alinéas a),b) et c)
de l'article 7 de la Loi sur les marques de com
merce, S.R.C. 1970, c. T-10, sont ultra vires, et si
cette Cour a compétence pour connaître de la
partie de l'action fondée sur lesdits alinéas a),b) et
c) de l'article 7.
La seconde requête, introduite par la demande-
resse, tend à une ordonnance portant qu'un diri-
geant de chacune des compagnies défenderesses
comparaîtra aux fins d'interrogatoire préalable par
la demanderesse et que la convocation sera si-
gnifiée aux procureurs des défenderesses confor-
mément à la Règle 465(8).
Dans l'action principale, la demanderesse con-
clut à un jugement déclarant que les défenderesses
ont fait passer leurs marchandises pour les siennes,
au sens de l'article 7, ainsi qu'à un jugement
déclarant que l'enregistrement n° 216,708 de la
marque de commerce NORSE SILDA de la défende-
resse Gibbs est invalide et doit être radiée du
registre. Elle demande en outre une injonction
pour interdire aux défenderesses d'employer les
mots NORSE SILDA ou d'autres mots qu'on peut
confondre avec la marque de commerce STING-
SILDA, marque non enregistrée et employée par la
demanderesse en liaison avec des leurres de pêche
vendus au Canada, et d'utiliser un conditionne-
ment qu'on peut confondre avec celui qu'utilise la
demanderesse en liaison avec lesdits leurres vendus
ou distribués au Canada. Elle demande également
la remise, aux fins de destruction, des emballages,
étiquettes, factures, annonces publicitaires, etc.,
ainsi que des dommages-intérêts ou un compte
rendu des bénéfices.
La procédure fut engagée en septembre 1980 et
après un certain nombre de requêtes préliminaires,
le mémoire de défense a été déposé le 21 avril
1981, auquel la demanderesse a répondu. Les
défenderesses soulèvent d'importants points de
droit, au sujet desquels un jugement définitif de la
Cour suprême du Canada serait bienvenu à la fois
pour les juges du siège et pour les avocats spécia-
lisés dans les marques de commerce, vu l'état
incertain des règles de droit relatives aux autres
alinéas de l'article 7 de la Loi sur les marques de
commerce (à part l'alinéa e) que la Cour suprême
a déclaré ultra vires dans l'arrêt MacDonald c.
Vapor Canada Limited [1977] 2 R.C.S. 134, prin-
cipale source jurisprudentielle). Selon une école de
pensée, ce dernier portait certes sur l'alinéa e),
mais le raisonnement adopté dans ce jugement
s'applique à tous les autres alinéas de l'article 7,
lesquels, de ce fait, sont tous ultra vires. Selon une
autre école, il est encore loisible de soutenir que
quelques-uns des autres alinéas de l'article 7 trou-
vent leur fondement dans une loi fédérale applica
ble. Mon collègue le juge Addy a consulté une
abondante jurisprudence dans Motel 6, Inc. c. No.
6 Motel Limited, précité à la page 638, jugement
rendu le 3 avril 1981, dans lequel il a conclu que
l'article 7b) de la Loi sur les marques de com
merce était ultra vires du pouvoir législatif fédéral
et que la Cour n'avait pas compétence pour con-
naître de l'affaire sur la base ni de cette disposition
ni de l'action en passing off de la common law.
Il n'est pas nécessaire en l'espèce de revenir sur
la jurisprudence invoquée dans cette affaire. Il
suffit de rappeler que les précédents cités sont
Aluminum Co. of Canada Ltd. c. Tisco Home
Building Products (Ontario) Ltd.', Adidas
(Canada) Ltd. c. Colins Inc. 2 , Imperial Dax Co.,
Inc. c. Mascoll Corp. Ltd. 3 , McCain Foods Ltd. c.
C. M. McLean Ltd. 4 , Balinte c. DeCloet Bros.
Ltd. 5 et l'arrêt d'appel dans [1980] 2 C.F. 384,
Weider c. Industries Beco Ltée 6 , S. C. Johnson &
Son, Ltd. c. Marketing International Ltd. 7 et l'ar-
rêt d'appel dans [1979] 1 C.F. 65, Seiko Time
Canada Ltd. c. Consumers Distributing Co. Ltd. 5
Aussi souhaitable qu'il soit de disposer dans les
meilleurs délais d'un jugement définitif sur la
question de savoir si certains alinéas de l'article 7
de la Loi sur les marques de commerce sont intra
vires du pouvoir fédéral et si cette Cour a compé-
tence pour connaître d'une action basée sur ces
dispositions légales ou sur l'action en passing off
de la common law, il est douteux qu'il y ait lieu
pour la Cour de se prononcer là-dessus à titre de
point de droit conformément à la Règle 474,
attendu que l'action intentée vise également la
radiation de la marque de commerce des défende-
resses. Dans l'affaire Motel 6 rappelée ci-dessus, le
juge Addy s'est prononcé en ces termes aux pages
675 et 676:
Les trois principaux motifs pour lesquels une marque peut
être attaquée ont été discutés plus haut dans les présents motifs.
Ils sont tout à fait différents de ceux pour lesquels une action de
passing off fondée sur l'article 7b) ou sur la common law peut
être engagée. De même, la marque pourrait être déclarée
invalide pour l'un quelconque des trois motifs principaux ou
pour tous les trois prévus par la Loi, et la radiation de l'enregis-
trement être ordonnée, lors même qu'une action de passing off
serait rejetée sur le fond.
Dans son jugement, il a ordonné, outre la radiation
de la marque de commerce de la défenderesse, ce
qui suit [à la page 679]:
Toutes les autres demandes de la demanderesse seront rejetées,
la demande fondée sur l'article 7b) de la Loi sur les marques de
commerce étant toutefois rejetée uniquement pour défaut de
compétence.
La Règle 474 investit la Cour du pouvoir discré-
tionnaire de déterminer s'il y a lieu de procéder à
l'instruction préliminaire d'un point de droit.
D'après la jurisprudence, la Cour ne doit le faire
' (1978) 33 C.P.R. (2e) 145.
2 (1979) 38 C.P.R. (2e) 145.
3 (1979) 42 C.P.R. (2e) 62.
4 (1980) 45 C.P.R. (2e) 150.
5 (1979) 40 C.P.R. (2 e ) 157.
6 [1976] 2 C.F. 739.
7 (1978) 32 C.P.R. (2 e ) 15.
$ (1981) 29 O.R. (2 e ) 221.
que si sa décision sur le point de droit vide le litige
dont elle est saisie. Dans Cardinal c. La Reine 9 , le
juge Mahoney a refusé de procéder à l'instruction
préliminaire de points de droit qui pourraient aisé-
ment être tranchés dans une procédure antérieure
au procès, attendu qu'une décision en la matière ne
réglerait pas l'action dont la Cour était saisie.
Dans The Clarkson Company Limited c. La
Reine 10 , le juge Mahoney s'est prononcé en ces
termes à la page 483:
La situation envisagée à la Règle 474 est celle où, dans une
affaire qui comporte un certain nombre de questions litigieuses,
la solution d'une de ces questions aura probablement pour effet
de mettre fin à l'action. Les instructions qu'il est loisible à la
Cour de donner en vertu du paragraphe (2) de cette règle
doivent viser à mettre fin à l'action.
Dans Lignes aériennes Canadien Pacifique Limi-
tée c. La Reine", le juge Cattanach, après avoir
constaté qu'un procès était inévitable, a conclu à la
page 498 en ces termes:
Ceci étant, je ne suis pas convaincu que le fait de soumettre des
questions de droit à une décision préalable faciliterait substan-
tiellement le règlement de l'affaire ou entraînerait une écono-
mie de temps et d'argent, ce qui est à mon avis le but de la
Règle 474. On n'évitera pas les frais d'un procès ...
En soutenant qu'une décision préliminaire sur
un point de droit, savoir que cette Cour n'a pas
compétence pour connaître de la partie de la
demande basée sur l'article 7 de la Loi sur les
marques de commerce, aura pour effet de vider le
litige, l'avocat des défenderesses s'est prévalu de
l'article 58 de la même Loi, qui porte:
58. Une demande prévue à l'article 57 doit être, faite, soit par
la production d'un avis de motion introductif (originating
notice of motion), par une demande reconventionnelle dans une
action pour usurpation de la marque de commerce, ou par un
exposé de réclamation dans une action demandant un redresse-
ment additionnel en vertu de la présente lai.
Attendu que la demande, prévue à l'article 57, en
radiation d'une marque de commerce n'a été faite
ni par voie d'avis de motion introductif ni par
demande reconventionnelle dans une action en
contrefaçon, mais par une déclaration qui, en l'es-
pèce, conclut également au passing off visé à
l'article 7, il soutient que si la Cour conclut à sa
propre incompétence pour connaître des cas visés à
l'article 7 ou si celui-ci est jugé ultra vires du
pouvoir fédéral, l'action doit succomber dans son
9 [1977] 2 C.F. 698.
10 [1978] 1 C.F. 481.
" [1976] 1 C.F. 494.
ensemble. De son côté, la demanderesse soutient
qu'en l'espèce, un juge de première instance pour-
rait toujours ordonner la radiation de la marque de
commerce, quand bien même la Cour n'aurait pas
compétence pour connaître de l'autre recours invo-
qué, et c'est d'ailleurs ce qu'a fait le juge Addy
dans l'affaire Motel 6 (citée plus haut), en l'ab-
sence d'exceptions d'ordre procédural. La deman-
deresse ne se contentera pas de la simple radiation
de la marque de commerce des défenderesses; elle
n'est pas disposée à se désister de cette partie de
ses prétentions dans la présente action pour
demander ensuite cette radiation par voie d'avis de
motion introductif, afin que la partie restante de
l'action soit entièrement basée sur l'application de
l'article 7 de la Loi sur les marques de commerce,
au sujet duquel elle recherche une décision défini-
tive sur un point de droit qui viderait l'ensemble du
litige. Je ne suis pas enclin, en cet état de la cause,
à conclure que si la décision sur le point de droit
était défavorable à la demanderesse, l'action en
radiation de la marque de commerce succomberait
inéluctablement sur un point de procédure.
La demanderesse souligne, non sans justifica
tion, qu'il est un peu tard pour les défenderesses de
demander une décision préliminaire sur un point
de droit, après que les conclusions eurent été sou-
mises de part et d'autre et qu'une requête eut été
faite en interrogatoire préalable d'un dirigeant de
chacune des compagnies défenderesses. Ces inter-
rogatoires, ainsi que celui de n'importe quel diri-
geant de la demanderesse, dont l'avocat affirme
qu'il peut être fait à tout moment qui convienne
aux défenderesses, pourrait avoir lieu pendant les
vacances d'été; il n'y a donc aucune raison de ne
pas inscrire l'action au rôle pour une audition au
fond au début de l'automne. Si, par contre, on
soulève un point de droit; il est peu probable qu'on
puisse en inscrire l'audition au rôle pendant les
vacances d'été. De toute façon, dans l'état actuel
du droit en la matière, tout jugement rendu, quel
qu'il soit, serait presque certainement porté en
appel, le plus probablement jusqu'en Cour
suprême. Il y aurait donc une longue période au
cours de laquelle l'action de la demanderesse ne
serait pas entendue, et les défenderesses continue-
raient à utiliser, à son détriment, la marque de
commerce enregistrée.
Il est donc nécessaire de peser d'une part, le coût
et l'inconvénient de longs interrogatoires préala-
bles, dont une partie ne servira à rien s'il est
finalement jugé que la Cour n'a pas compétence
pour connaître des prétentions fondées en l'espèce
sur l'article 7, du fait peut-être d'un point de
procédure tenant à la radiation de la marque de
commerce des défenderesses, et d'autre part, le
préjudice dont souffrira la demanderesse à cause
du long retard dans la décision définitive sur le
point de droit, en cas d'instruction préliminaire.
Je conclus qu'en raison de sa dualité, cette
action ne se prête pas à l'instruction préliminaire
d'un point de droit, prévue à la Règle 474. Il
s'ensuit que la requête des défenderesses sera reje-
tée, celles-ci n'étant pas, vu les circonstances, con-
damnées aux dépens. Vu cette décision, il n'est pas
nécessaire que la Cour se prononce sur la requête
de la demanderesse en ordonnance portant qu'un
dirigeant de chacune des compagnies défenderes-
ses comparaîtra aux fins d'interrogatoire préalable
par la demanderesse et que la convocation pourra
être signifiée aux procureurs des défenderesses
conformément à la Règle 465(8), attendu qu'il est
probable que les avocats des parties pourraient
s'entendre sur les dirigeants devant subir l'interro-
gatoire préalable, sur les date et lieu de cet interro-
gatoire et sur les frais de déplacement à fournir.
La requête est donc ajournée sine die.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.