A-80-81
Tieng Nei Ng (Requérant)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration
(Intimé)
Cour d'appel, les juges Heald, Urie et le juge
suppléant Kelly—Toronto, 20 et 22 juillet 1981.
Examen judiciaire — Immigration — Demande d'annula-
tion de l'ordonnance d'expulsion — Le requérant a été déclaré
coupable d'un vol d'une valeur supérieure à $200 — L'ordon-
nance d'expulsion a été rendue en vertu du par. 32(6) de la Loi
sur l'immigration de 1976, le requérant étant une personne
visée aux al. 27(2)a) et d) de la Loi — S'il est établi qu'un
requérant tombe sous le coup de l'al. 27(2)a), l'ordonnance
d'expulsion est obligatoire attendu qu'il tombe dans la catégo-
rie des personnes visées par l'al. 19(1)c), lesquelles sont
expressément exclues du traitement prévu au par. 32(6) — Les
personnes visées à l'al. 27(2)d) ne sont nullement exclues du
traitement prévu au par. 32(6) — Il échet d'examiner si
l'arbitre a refusé à tort d'exercer sa compétence en ne précisant
pas sur lequel des deux alinéas de l'art. 27 elle a fondé
l'ordonnance d'expulsion — Demande accueillie — Loi sur
l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, art. 19(1)c),
27(2)a),d), 32(6) — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2'
Supp.), c. 10, art. 28.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
Anne Barrett pour le requérant.
Graham Garton pour l'intimé.
PROCUREURS:
Anne Barrett, Toronto, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE: La Cour a été saisie d'une
demande fondée sur l'article 28 et tendant à l'exa-
men et à l'annulation de l'ordonnance d'expulsion
rendue le 12 février 1981 par un arbitre.
Les seuls faits pertinents de la cause peuvent se
résumer en quelques mots. Le requérant est entré
au Canada par le port de Vancouver le 9 janvier
1974 titre d'étudiant. Il a bénéficié de nombreu-
ses prorogations de son statut de visiteur, la der-
nière devant expirer le 29 septembre 1981. Le 12
novembre 1980, il a été, à la suite d'un aveu de
culpabilité, déclaré coupable du vol d'un magnéto-
phone à cassettes d'une valeur supérieure à $200.
Par suite, une enquête a été tenue, qui a donné lieu
à l'ordonnance d'expulsion entreprise, laquelle
porte:
[TRADUCTION] Vu les preuves produites à l'enquête tenue
conformément à la Loi sur l'immigration de 1976, j'ordonne
par la présente votre expulsion conformément à l'article
32(6)
de cette Loi, attendu que vous tombez dans la catégorie des
personnes visées par les
alinéas 27(2)a) et 27(2)d) de la Loi sur l'immigration de 1976.
Vous êtes une personne se trouvant au Canada, autre qu'un
citoyen canadien ou un résident permanent, et qui pourrait se
voir refuser l'autorisation de séjour du fait qu'elle fait partie
d'une catégorie non admissible, visée à l'alinéa 19(1)c) de la
Loi, attendu que vous avez été déclaré coupable d'une infrac
tion punissable, en vertu d'une loi du Parlement, d'une peine
maximale d'au moins dix ans d'emprisonnement, savoir un «vol
d'une valeur supérieure à deux cents dollars» commis le 12
novembre 1980 Scarborough, en Ontario; et qui a été décla-
rée coupable d'une infraction punissable en application du Code
criminel, savoir un «vol d'une valeur supérieure à deux cents
dollars» commis le 12 novembre 1980 à Scarborough, en
Ontario.
Les alinéas 27(2)a), 27(2)d) et 19(1)c) de la Loi
sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52,
prévoient ce qui suit:
27....
(2) Tout agent d'immigration ou agent de la paix, en posses
sion de renseignements indiquant qu'une personne se trouvant
au Canada, autre qu'un citoyen canadien ou un résident
permanent,
a) pourrait se voir refuser l'autorisation de séjour du fait
qu'elle fait partie d'une catégorie non admissible, autre que
celles visées aux alinéas 19(1)h) ou 19(2)c),
d) a été déclarée coupable d'une infraction en vertu du Code
criminel ou d'une infraction qui peut être punissable par voie
de mise en accusation en vertu d'une loi du Parlement autre
que le Code criminel ou la présente loi,
19. (1) Ne sont pas admissibles
c) les personnes qui ont été déclarées coupables d'une infrac
tion qui constitue, qu'elle ait été commise au Canada ou à
l'étranger, une infraction qui peut être punissable, en vertu
d'une loi du Parlement, d'une peine maximale d'au moins dix
ans d'emprisonnement, à l'exception de celles qui établissent
à la satisfaction du gouverneur en conseil qu'elles se sont
réhabilitées et que cinq ans au moins se sont écoulés depuis
l'expiration de leur peine;
Le requérant soutient que, faute par l'arbitre de
préciser sur lequel des deux alinéas de l'article 27
elle a fondé l'ordonnance d'expulsion, elle a refusé
à tort d'exercer sa compétence. L'importance de
cette précision se dégage du paragraphe 32(6) qui
porte:
32... .
(6) L'arbitre, après avoir conclu que la personne faisant
l'objet d'une enquête est visée par le paragraphe 27(2), doit,
sous réserve des paragraphes 45(1) et 47(3), en prononcer
l'expulsion; cependant, dans le cas d'une personne non visée aux
alinéas 19(1)c), d), e), f) ou g) ou 27(2)c), h) ou i), l'arbitre
doit émettre un avis d'interdiction de séjour fixant à ladite
personne un délai pour quitter le Canada, s'il est convaincu
a) qu'une ordonnance d'expulsion ne devrait pas être rendue
eu égard aux circonstances de l'espèce; et
b) que ladite personne quittera le Canada dans le délai
imparti.
Il y a lieu de noter que s'il est établi qu'un
requérant, qui sollicite l'autorisation de séjour,
tombe sous le coup de l'alinéa 27(2)a), l'ordon-
nance d'expulsion est obligatoire attendu qu'il
tombe dans la catégorie des personnes visées par
l'alinéa 19(1)c) de la Loi, lesquelles sont expressé-
ment exclues du traitement prévu au paragraphe
32(6). Par contre, les personnes visées à l'alinéa
27(2)d) n'en sont nullement exclues.
Devant l'arbitre comme devant la Cour, l'avo-
cate du requérant a fait valoir que l'ordre d'en-
quête émanant de l'agent d'immigration supérieur
citait le rapport établi sous le régime de l'article 27
comme classant le requérant dans la catégorie des
personnes visées par les alinéas 27(2)a) et d) de la
Loi, ce qui avait pour effet de donner à l'arbitre la
possibilité de choisir, entre ces deux dispositions,
celle qui serait applicable aux faits de la cause tels
qu'ils ressortent de l'enquête. Dans son rapport,
l'arbitre n'aurait su conclure que l'une et l'autre
disposition s'appliquaient en l'espèce, attendu que
selon le cas, le requérant tombait sous le coup soit
de l'une soit de l'autre; il se peut même qu'il n'ait
rien à voir avec l'une ou l'autre.
A mon avis, cette avocate est fondée dans ses
objections contre la formulation de l'ordonnance
d'expulsion. Toujours à mon avis, . il n'est pas
nécessaire, eu égard aux faits de la cause, de
décider quels sont les cas qui relèvent respective-
ment de l'alinéa 27(2)a) ou de l'alinéa 27(2)d).
Tout ce qu'il y a lieu de noter, c'est qu'après avoir
conclu, comme indiqué plus haut, que le requérant
était une personne visée par l'un et l'autre alinéas,
l'arbitre a jugé que, les personnes visées à l'alinéa
19(1)c) étant exclues de l'application du paragra-
phe 32(6), elle n'avait pas d'autre choix que de
rendre l'ordonnance d'expulsion et que, de ce fait,
elle n'a pas considéré la possibilité d'appliquer ce
paragraphe. J'estime que ce faisant, elle a commis
une erreur pour les deux raisons suivantes:
1. La première raison est illustrée par l'exemple
suivant, l'une des multiples possibilités décou-
lant du paragraphe 27(2). Supposons qu'une
personne prolonge son séjour au-delà du délai
prévu par son visa de visiteur et qu'elle ait pris
un travail illégalement: la voilà qui tombe sous
le coup de deux alinéas différents du paragraphe
27(2). Ces deux violations découlent de deux
faits complètement distincts et différents. Il
s'ensuit qu'une ordonnance d'expulsion est par-
faitement indiquée à l'égard de ces deux viola
tions de la Loi. Par contre, il n'y a eu en l'espèce
qu'un fait, savoir une condamnation du requé-
rant sous le régime du Code criminel, pendant
qu'il se trouvait au Canada. Attendu qu'on doit
présumer que le législateur n'avait pas pu pré-
voir, dans un paragraphe, plus d'un alinéa à
propos de la même situation, l'arbitre est tenue,
à la lumière des faits établis à l'enquête, de
décider lequel des alinéas du paragraphe 27(2) a
été violé par le requérant. Que le requérant ait
ou non droit à un avis d'interdiction de séjour en
vertu du paragraphe 32(6) dépendra de cette
décision.
2. Voici la seconde raison: après avoir conclu à
l'applicabilité des deux alinéas, dont l'un, savoir
l'alinéa 27(2)d), tombe dans le champ d'applica-
tion du paragraphe 32(6), elle était tenue, à mon
avis, de se conformer à ce dernier et, partant,
d'examiner s'il y avait lieu de décerner un avis
d'interdiction de séjour au lieu d'une ordon-
nance d'expulsion. Conclure qu'il y avait lieu à
avis d'interdiction de séjour serait faire preuve
de futilité, vu le caractère impératif de l'ordon-
nance d'expulsion requise par l'alinéa 27(2)a),
qu'elle trouvait également applicable au requé-
rant. Voilà qui illustre la nécessité qu'il y a pour
l'arbitre de déterminer quel est l'alinéa applica
ble aux faits de la cause. On ne saurait, à mon
avis, tolérer une interprétation de la loi telle
qu'elle permet d'anéantir, par une ordonnance,
l'un des droits qui reviennent au requérant.
Par ces motifs, j'annule l'ordonnance d'expul-
sion et renvoie l'affaire à l'arbitre pour qu'elle
examine lequel des alinéas du paragraphe 27(2)
s'applique en l'espèce et rende l'ordonnance qui
s'impose à l'issue de cet examen.
* * *
LE JUGE HEALD: Je souscris aux motifs
ci-dessus.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT KELLY: Je souscris aux
motifs ci-dessus.
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